5.4. Les mycotoxines
p. 192-193
Texte intégral
1Les moisissures sont utilisées pour fabriquer le vin et le pain et affiner la charcuterie et le fromage. Cependant certaines d’entre elles, appartenant notamment aux genres Aspergillus, Penicillium et Fusarium, produisent des métabolites secondaires* toxiques, les mycotoxines. Plus de 300 mycotoxines sont identifiées et une trentaine sont potentiellement dangereuses.
2Contrairement aux toxines bactériennes généralement de nature protéique, les mycotoxines sont les produits terminaux de réactions enzymatiques successives complexes. Elles possèdent des structures chimiques très variées (Tableau 1) et sont très résistantes à la chaleur, au froid, à l’oxydation et à l’acidité. Chaque espèce de moisissure possède un profil « oxygène-température-humidité » optimal pour la croissance qui peut différer de celui qui est optimal pour la production des mycotoxines. La contamination peut avoir lieu sur la plante au champ ou lors du stockage. Certaines mycotoxines sont produites par plusieurs espèces appartenant à des genres différents ; de même, une espèce peut synthétiser plusieurs mycotoxines. Par ailleurs, il n’y a pas de corrélation directe entre moisissure et mycotoxines : il peut y avoir moisissure sans production de toxine ; de même, les mycotoxines peuvent subsister alors que la moisissure a disparu.
3Aujourd’hui, les toxines considérées comme importantes sont les aflatoxines, les ochratoxines (OTA) et la patuline, produites par Aspergillus et Penicillium, les fumonisines, la zéaralénone et les trichothécènes dont le déoxynivalénol (DON), le nivalénol et la toxine T-2, élaborés par Fusarium. D’autres mycotoxines peuvent également contaminer les aliments : stérigmatocystine (Aspergillus), fusarine et monoliformine (Fusa rium), citrinine et acide cyclopiazonique (Penicillium) ou alcaloïdes de l’ergot de seigle (Claviceps). De nouvelles mycotoxines dites « émergentes » (beauvéricine, moniliformine, enniatines) sont découvertes régulièrement et il est important d’évaluer leurs effets toxiques individuels ou en interactions avec d’autres mycotoxines.
La contamination des denrées et les effets toxiques
4De nombreuses denrées d’origine végétale sont naturellement contaminées, en particulier les céréales et les fourrages mais aussi les fruits, noix, amandes et les produits dérivés. Les produits d’origine animale (viande, lait, abats, sang) peuvent contenir des traces de mycotoxines ou de leurs métabolites produits par biotransformation hépatique ou intestinale. Ainsi l’aflatoxine B1 (AFB1), métabolisée en aflatoxine M1 est retrouvée dans le lait de vache après ingestion d’aliment contaminé avec un taux de transfert variant de 1 à 6 %. La toxicité est variable selon les mycotoxines (Tableau 2). Les aflatoxines sont hépatotoxiques voire cancérogènes ; la patuline, les trichothécènes et les fumonisines sont immunotoxiques ; l’ochratoxine A est néphrotoxique et la zéaralénone est œstrogénique.
5Si certaines mycotoxines possèdent une toxicité aiguë élevée, il est rare en Europe d’être exposé de manière unique à une forte dose. Comme les mycotoxines résistent aux températures et aux procédés technologiques de l’industrie alimentaire et ont un pouvoir de persistance élevé, les effets chroniques, liés à l’exposition répétée à de faibles voire très faibles doses, sont les plus redoutés. Par ailleurs, la nature des rations, composées d’aliments différents favorise la multicontamination. La toxicité des mélanges de toxines est souvent mal connue et des effets additifs, synergiques ou antagonistes peuvent apparaître, liés à la nature des toxines et à leur concentration respective.
Règlementation, exposition de la population, moyens de lutte
6La législation européenne vise à atteindre un haut niveau de sécurité sanitaire dans les aliments destinés à l’homme ou aux animaux. En alimentation humaine, des limites maximales sont fixées pour l’AFB1, l’OTA, la patuline, la zéaralénone et le DON. Chez l’animal, à l’exception de l’AFB1 qui est règlementée, les autres mycotoxines font l’objet de simples recommandations.
7L’estimation des apports en mycotoxines est calculée en multipliant les données de consommation alimentaire individuelle par les données de concentration moyenne en toxines. Les experts de l’ANSES ont caractérisé l’exposition de la population française et ils concluent que le risque peut être écarté pour la population générale pour l’OTA, les aflatoxines, la patuline, le nivalénol, les fumonisines et la zéaralénone. En revanche, pour le DON et ses dérivés acétylés, les calculs d’exposition mettent en évidence certains dépassements des valeurs toxicologiques de référence.
Tableau 2 – Effets des principales mycotoxines et mécanismes d’action cellulaires et moléculaires identifiés (AFSSA, 2009)
8La présence de moisissures et de mycotoxines peut être réduite par des mesures prises avant et après la récolte : lutte contre les ravageurs et les maladies, choix des variétés, pratiques de moissonnage, de séchage et de stockage, nettoyage des grains et procédés de transformation.
9Ainsi, les mycotoxines qui contaminent surtout les céréales et les fruits constituent un problème de qualité et de sécurité en alimentation humaine et animale. Ce risque est naturel et difficilement contrôlable en raison notamment de l’importance des conditions climatiques dans son apparition. L’évaluation du risque mycotoxique révèle qu’il y a, en France, très peu de dépassements des valeurs toxicologiques de référence. Le défi est aujourd’hui d’évaluer les risques liés à la présence simultanée de différentes mycotoxines.
Bibliographie
Références bibliographiques
• Dragacci S. et al., Danger dans l’assiette., Quae, Paris, 2011.
• AFSSA, Évaluation des risques liés à la présence de mycotoxines dans les chaînes alimentaires humaine et animale, Rapport final, 2009.
• ANSES, Étude de l’alimentation totale française 2 (EAT 2). Contaminants inorganiques, minéraux, polluants organiques persistants, mycotoxines, phyto-œstrogènes, Rapport d’expertise, 2011.
Auteurs
Toxicologue
Unité de Toxicologie Alimentaire
INRA
Toulouse
philippe.pinton@toulouse.inra.fr
Immunologiste toxicologue
Unité de Toxicologie Alimentaire
INRA
Toulouse
isabelle.oswald@toulouse.inra.fr
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