5.1. Prion, encéphalopathie spongiforme, maladie de Creutzfeld-Jakob
p. 187-188
Texte intégral
1Les Encéphalopathies Spongiformes Transmissibles (EST), dites aussi « maladies à prions » constituent un groupe de maladies neuro-dégénératives affectant l’homme (maladie de Creutzfeldt-Jakob, Insomnie Fatale Familiale…) et un large spectre d’espèces de mammifères, tels que les bovins (Encéphalopathie Spongiforme Bovine ou ESB) ou les petits ruminants (tremblante du mouton). Les EST se caractérisent par une durée d’incubation asymptomatique généralement longue (jusqu’à 50 ans chez l’Homme), une évolution clinique progressive et une issue fatale. Il n’existe à ce jour aucun traitement pour ces maladies.
2Chez l’homme la forme la plus fréquente d’EST est la forme dite sporadique de maladie de Creutzfeldt-Jakob (sMCJ). Son incidence est d’environ un cas par million d’individus et par an (ce qui en fait une maladie rare). Elle touche principalement des personnes âgées de plus de 60 ans. En l’absence de cause externe identifiée, la sMCJ est considérée comme un désordre spontané lié à l’âge.
3Dans les années 1930, le caractère transmissible des EST fut démontré par Jean Cuillé et Paul-Louis Chelle, professeurs à l’Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse, qui reproduisirent une tremblante clinique chez des ovins après l’injection d’un broyat de cerveaux issus d’ovins atteints. Depuis, plusieurs centaines de cas de transmissions interhumaines de sMCJ, consécutifs à des actes médicaux ou à l’utilisation de produits biologiques issus de patients atteints (hormone de croissance extractive), ont été rapportés.
Mécanismes pathologiques
4Le mystère de la nature des agents transmissibles responsables des maladies à prions semble aujourd’hui en passe d’être résolu. Le développement des ESTs est associé à l’accumulation, dans les tissus des individus atteints (dont le système nerveux central), d’une isoforme anormale (PrPSc) d’une protéine de l’hôte, la PrPC.
5À partir de la théorie développée par Griffith dès 1966, Stanley Prusiner a énoncé au début des années 1980 l’hypothèse selon laquelle l’agent transmissible responsable des EST serait la PrPSc. Ce concept dit « prion » (pour Protein Infectious Only) implique qu’une protéine serve de support à l’ensemble des caractéristiques propres à un agent infectieux. Dans le concept prion, l’accumulation de PrPSC dans les tissus des individus atteints est le résultat d’un processus auto-catalytique de conversion au cours duquel la PrPSc transconformerait la PrPC. Le processus neurodégénératif serait une conséquence secondaire de l’accumulation de la PrPSc dans le système nerveux central. D’abord décriée, l’idée de la transconformation* d’une protéine induite par une de ces isoformes anormales semble également impliquée dans la pathogénie d’autres maladies neurodégénératives telles que la maladie de Parkinson (α synucléine) ou la maladie d’Alzheimer (Ab1-42).
La crise de la vache folle
6En 1986 une nouvelle forme d’EST a été identifiée chez des bovins au Royaume-Uni. Rapidement l’épidémie d’Encéphalopathie Spongiforme Bovine (ESB) a pris des proportions inquiétantes ; en Grande-Bretagne environ 185 000 cas cliniques d’ESB ont été enregistrés (principalement entre 1987 et 1995), et on estime que 450 000 animaux en incubation de la maladie seraient entrés dans la chaîne alimentaire.
7Les enquêtes épidémiologiques ont rapidement identifié le rôle de vecteur joué par des farines de viandes et d’os (FVO), utilisées pour l’alimentation animale dans la transmission de la maladie ; Le processus de préparation des FVO ne permettant pas d’inactiver l’agent de l’ESB, le recyclage de carcasses de bovins infectées par ce biais a assuré une large dissémination de l’ESB dans les élevages. Durant plus d’une décennie le Royaume-Uni a exporté des animaux infectés et des FVO contaminées. Ces exportations sont considérées comme l’origine des épidémies d’ESB observées dans de nombreux pays (Europe, Canada, etc.).
8Malgré les inquiétudes suscitées par l’exposition alimentaire des consommateurs à l’ESB, les autorités sanitaires et politiques du Royaume-Uni et de l’UE se sont voulues d’abord rassurantes quant au risque de transmission zoonotique de cet agent. Toutefois en 1996, le premier cas d’une nouvelle forme d’EST baptisée nouveau variant de la MCJ (vCJD, variant Creutzfeltd-Jakob Disease) était observé chez un patient anglais. Moins d’un an après les premiers éléments démontrant que l’ESB était responsable du vCJD étaient rendus publics (Figure 1).
9Les craintes nées de l’émergence du vCJD combinées à un emballement médiatique précipitèrent les institutions européennes dans une crise profonde. Face à la défiance de la société civile et à l’effondrement de la consommation de viande bovine, les responsables sanitaires et politiques prirent des mesures drastiques visant à contrôler l’ESB et à restaurer au plus vite la confiance des consommateurs. L’interdiction totale de l’utilisation des protéines animales dans l’alimentation des animaux de rente*, la mise en œuvre de programmes de dépistage des EST chez les ruminants et le retrait systématique de la chaîne alimentaire des tissus susceptibles de contenir des quantités significatives d’agent infectieux ont permis de limiter l’exposition du consommateur et de lutter de manière extrêmement efficace contre l’ESB qui aujourd’hui a quasiment disparu.
20 ans après, quel est l’héritage de la crise de l’ESB ?
10Tout d’abord, c’est de cette crise que sont nées les agences nationales (AFSSA en France) ou Européenne (EFSA) en charge d’une évaluation scientifique indépendante des risques sanitaires liés à l’alimentation.
11Ensuite, sur le plan sanitaire, malgré le nombre limité de cas cliniques de vCJD observés jusqu’à aujourd’hui (environ 260 dans le monde), une personne sur 2 000 née entre 1941 et 1985 serait porteuse de la maladie au Royaume-Uni. Ces personnes peuvent ne jamais développer de maladie clinique, elles représentent néanmoins autant de sources potentielle de transmission secondaire (notamment par transfusion sanguine).
12Enfin, les campagnes de dépistage menées au cours de la dernière décennie ont permis d’identifier des formes d’EST jusqu’alors inconnues chez les bovins (ESB H et ESB L) et les petits ruminants (tremblante atypique). La découverte de ces « nouveaux » prions amène à s’interroger sur le risque potentiel qu’ils pourraient représenter pour l’homme. Cette question prend toute son acuité dans un contexte où l’ESB ayant quasiment disparu, les pressions s’accentuent pour supprimer les mesures de protection de la chaîne alimentaire spécifique au risque prion.
Bibliographie
Référence bibliographique
• Cuillé J., Chelle P.L., « La tremblante du mouton est bien inoculable », C.R. Séances Acad Sci Paris 1936 ; 206 : 78-9.
Auteur
Pathologiste du bétail
UMR « Interactions Hôtes Agents Pathogènes »
INRA / École Nationale Vétérinaire
Toulouse
o.andreoletti@envt.fr
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012