4.23. Sous-alimentation et carences
p. 178-179
Texte intégral
1Chaque année un bilan de la « faim dans le monde » estime le nombre de personnes qui ne couvrent pas leurs besoins alimentaires pour mener une vie active. Le déficit porte sur les calories et inclut implicitement un certain nombre de carences en divers macro- et micronutriments*. La conséquence visible en est un état de dénutrition assez facilement mesurable (maigreur).
La faim « cachée »
2Malgré une satisfaction globale de leurs besoins en énergie, des personnes peuvent souffrir de carences spécifiques, chroniques, en un ou plusieurs nutriments (certains acides aminés ou acides gras et plus généralement vitamines et minéraux). Hormis les cas les plus sévères, les conséquences pour la santé n’en sont pas très visibles ni aisément mesurables. C’est ce que les Nations Unies nomment la « faim cachée » (hidden hunger).
3Environ deux milliards d’individus seraient concernés, principalement dans les pays les plus pauvres. Ce chiffre recouvre aussi bien les cas cliniques (personnes visiblement atteintes) que les cas infra-cliniques beaucoup plus nombreux (non visibles) ; l’ensemble de la population mondiale à risque – du fait d’une consommation insuffisante en ces nutriments pour des raisons géographiques, économiques, alimentaires ou culturelles – est sans doute encore supérieur.
Iode, vitamine A, fer et zinc
4Même des carences modérées peuvent nuire au fonctionnement de l’organisme. Les femmes en âge de reproduction et les jeunes enfants y sont particulièrement vulnérables. Certaines de ces carences focalisent davantage l’attention de par leurs graves conséquences. La carence en iode (un peu moins de 2 milliards d’individus), principalement liée au lessivage des sols montagneux, entraîne surtout des déficiences mentales ; la carence en vitamine A est directement responsable de 600 000 décès de jeunes enfants et c’est une des premières causes de cécité ; la carence en zinc entraînerait 400 000 décès d’enfants, celle en fer 115 000 décès maternels, de l’anémie (pour un peu plus de deux milliards d’habitants) et un retard de développement psychomoteur chez les enfants.
Fig. 1 – Probabilité de couverture alimentaire (en % des besoins) pour 11 micronutriments chez des mères pauvres de 3 pays africains (d’après Arimond M. et al. Simple food group diversity indicators predict micronutrient adequacy of women’s diets in 5 diverse, resource-poor settings. J Nutr 2010 ; 140 : 2059S-69S.)
5Une grande partie du retard de croissance des jeunes enfants est associée à plusieurs carences simultanées. Les régions les plus touchées sont l’Afrique subsaharienne et l’Asie du sud et de l’est. Les familles pauvres dans ces régions ne couvrent pas leurs besoins estimés pour la plupart des vitamines et minéraux (Figure 1).
Stratégies de lutte
6Pour les cas graves, on recourt à des distributions de suppléments dans le cadre d’opérations de santé. Elles peuvent concerner un seul nutriment, ou plusieurs en association. Si leur efficacité immédiate ne fait guère de doute, elles sont relativement coûteuses et ne permettent pas de traiter le problème de façon durable. D’autres solutions récentes consistent en compléments spécifiques ou multi-micronutriments pour jeunes enfants utilisables à domicile sous forme de comprimés, poudres ou pâtes à tartiner.
7Le meilleur moyen de prévention est d’assurer un régime alimentaire équilibré. Par défaut, on recourt à l’enrichissement d’aliments vecteurs largement consommés : sel iodé un peu partout ; vitamine A dans le sucre en Amérique latine ; fer dans la sauce de poisson au Vietnam et dans la sauce de soja en Chine ; huile, margarine ou farine de blé enrichies en vitamine A dans divers pays. Une voie active de recherche explore le bioenrichissement par voie de sélection génétique d’aliments de base riches en minéraux ou vitamines d’intérêt (riz « doré » riche en vitamine A, maïs pauvre en phytates* qui facilite ainsi l’absorption du zinc).
8Ces mesures sont complétées par des politiques éducatives et de démonstration (jardinage familial) pour favoriser la consommation d’aliments riches en vitamines et minéraux, solution durable mais dont la mise en œuvre exige du temps ; les aliments riches en micronutriments fournissent en outre divers antioxydants* et substances probiotiques* importants pour la protection contre diverses maladies non transmissibles*.
9Les cartes de la faim dans le monde et de la faim cachée ne se recouvrent qu’en partie, témoignant d’un problème spécifique de qualité de l’alimentation dans le monde qui ne sera donc pas forcément résolu par l’augmentation des calories disponibles. Cet aspect doit être mieux considéré dans les politiques alimentaires et nutritionnelles, car il constitue aussi un frein au développement des pays du Sud.
Des carences même dans les pays développés
Bernard Maire
La persistance de la pauvreté dans certains segments de la population, les dérives vers de nouveaux régimes alimentaires riches en glucides et lipides mais souvent insuffisamment denses en vitamines et minéraux, l’absence de politiques de supplémentation ou d’enrichissement en certains nutriments critiques, font que les carences en divers micronutriments ne sont pas inconnues dans les pays développés. Les déficiences les plus communes impliquent toujours l’iode malgré les efforts de contrôle déjà anciens, puis la vitamine D, le fer et l’acide folique (vitamine B9).
Les suppléments en acide folique au moment de la gestation permettent d’abaisser le risque de mauvaise fermeture du tube neural du fœtus, tandis que les suppléments multiples en vitamines et minéraux peuvent avoir une action positive sur les tests d’intelligence non verbale et de comportement chez les enfants et adolescents ayant une alimentation quantitativement satisfaisante mais de qualité assez pauvre. Pour autant, des compléments vitaminiques et minéraux pris de manière non appropriée aux besoins peuvent se révéler néfastes. ■
Référence bibliographique
• Eggersdorfer M., Walter P., « Emerging nutrition gaps in a world of affluence - micronutrient intake and status globally », Int J Vitam Nutr Res, 2011 ; 81 : 238-9.
Bibliographie
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Références bibliographiques
10.1371/journal.pone.0067860 :• Muthayya S. et al., « The global hidden hunger indices and maps : an advocacy tool for action », Plos One 2013 ; 8 : e67860.
• Allen L et al., Directives sur l’enrichissement des aliments en micronutriments, OMS et FAO, 2011.
Auteur
Nutritionniste
UMR Nutripass
Institut de Recherche pour le Développement
Montpellier
bernard.maire@ird.fr
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