4.17. Blé, gluten et pathologies
p. 165-166
Texte intégral
1Les propriétés exceptionnelles de la farine de blé permettent la formation de pains levés et d’une grande diversité de produits constituant une des bases de l’alimentation occidentale. Ces propriétés proviennent du gluten, la fraction protéique principale de la farine de blé (Figure 1). Les protéines du gluten ont la capacité de s’associer les unes aux autres pour former un réseau continu extensible et élastique (Figure 2). Ce réseau emprisonne les granules d’amidon ainsi que le gaz carbonique issu de la fermentation et confère au blé son aptitude unique à la panification. Actuellement, plus de 95 % du blé cultivé en France est du blé tendre, les 5 % de blé dur étant utilisés pour la fabrication des pâtes et semoules. Toutes les espèces de blé y compris l’épeautre et l’engrain permettent la formation de gluten. La sélection variétale a permis l’amélioration et l’adaptation des farines aux techniques de panification actuelles mais la quantité de gluten dans les variétés de blé est restée assez stable.
2La consommation de blé peut être responsable de manifestations pathologiques souvent regroupées sous le terme d’hypersensibilité au gluten. Ce terme recouvre cependant trois entités très différentes dont seules les deux premières, la maladie cœliaque et l’allergie alimentaire au blé, sont bien caractérisées.
La maladie cœliaque
3La maladie cœliaque, autrefois aussi appelée intolérance au gluten, affecte 0,5 à 1 % de la population occidentale. Elle survient exclusivement chez des sujets possédant les molécules d’histocompatibilité HLA-DQ2 ou HLA-DQ8, principal facteur de risque génétique. Chez ces sujets, l’ingestion de gluten peut induire une réponse immunitaire excessive dans la partie haute de l’intestin, provoquant des lésions très caractéristiques d’atrophie villositaire, qui empêchent l’assimilation des aliments et provoquent diarrhée chronique, amaigrissement et, chez l’enfant, cassure de la courbe de croissance. Douleurs abdominales, anémie et fatigue sont habituelles. La réaction immunitaire anormale s’accompagne de la production d’anticorps de type IgA contre une protéine endogène, la transglutaminase. Leur détection dans le sang fournit un test diagnostique très spécifique qui permet aussi d’identifier des formes atypiques fréquentes où les symptômes digestifs sont discrets ou absents.
4Le diagnostic doit être confirmé par la démonstration des lésions intestinales caractéristiques sur des biopsies réalisées au cours d’un examen endoscopique. Il est important de souligner que les anticorps disparaissent rapidement en cas de régime sans gluten et qu’il est indispensable de réaliser l’ensemble des tests avant la mise sous régime, au risque de ne pouvoir affirmer le diagnostic. Dans la très grande majorité des cas, la maladie cœliaque est guérie par un régime sans gluten strict qui doit être suivi toute la vie.
Fig. 2 – Réseau des protéines du gluten expansé après cuisson (Photo H. Chiron)
L’allergie au blé
5L’allergie au blé affecterait environ 0,1 % de la population, le blé étant ainsi l’un des 8 aliments les plus souvent incriminés dans l’allergie alimentaire. Comme les autres allergies alimentaires, elle est plus fréquente chez le jeune enfant où elle prend souvent la forme d’un eczéma. Les autres symptômes varient de l’urticaire à l’œdème de Quincke et au choc anaphylactique et peuvent être associés à des symptômes gastro-intestinaux. Les manifestations apparaissent quelques minutes à quelques heures, voire 24 heures après l’ingestion de blé.
6Une particularité de l’allergie au blé est l’aggravation ou le déclenchement des symptômes par l’exercice physique. On lui rattache l’asthme du boulanger, lié non à l’ingestion, mais à l’inhalation de farine de blé. Ces deux affections sont dépendantes de la production d’anticorps de type IgE contre certaines protéines du blé présentes soit dans le gluten soit dans la fraction salino-soluble de la farine. Le diagnostic repose sur la détection d‘IgE spécifiques dans le sang ou dans la peau grâce au prick-test*. Outre les mesures immédiates contre le choc et l’œdème de Quincke, le traitement nécessite l’éviction du blé. Néanmoins, l’allergie au blé est souvent transitoire chez l’enfant.
La sensibilité au gluten
7Le concept de sensibilité au gluten non cœliaque émerge depuis plusieurs années car une proportion significative de la population générale rapporte des symptômes gastro-intestinaux (douleurs ou inconfort abdominal, diarrhée) ou extradigestifs (fatigue, maux de tête) améliorés par un régime sans gluten alors que les tests diagnostiques sont négatifs pour la maladie cœliaque et l’allergie au blé. Ces manifestations sont très similaires à celles du syndrome du côlon irritable, une cause très fréquente de consultation médicale mais aussi une entité mal comprise.
8Pour tenter d’objectiver la responsabilité du gluten à l’origine des symptômes de côlon irritable, trois études récentes ont réalisé des études randomisées en double aveugle* indispensables pour éliminer des effets placebo et nocebo*. Ces études suggèrent un rôle possible de l’ingestion de blé mais seulement chez une petite fraction des sujets. La troisième étude suggère la responsabilité des carbohydrates fermentescibles à chaîne courte et présents dans les graines. À travers un effet osmotique et/ou en favorisant la fermentation bactérienne, ces sucres favoriseraient diarrhée et distension intestinale perçue douloureusement du fait de l’innervation sensitive très dense de l’intestin.
9La définition de l’hypersensibilité au gluten non cœliaque se heurte en outre à l’absence de critères biologiques objectifs de diagnostic. Notamment tous les marqueurs qui pourraient authentifier une réaction immunitaire se sont révélés négatifs ou très peu spécifiques.
10Ainsi, les symptômes associés à l’hypersensibilité au gluten non cœliaque restent à ce jour subjectifs. Des études sont nécessaires pour identifier des mécanismes, trouver des critères diagnostiques et établir s’il existe ou non un fondement rationnel à la mode sans précédent des régimes sans gluten.
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Références bibliographiques
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10.1016/j.immuni.2012.06.006 :• Meresse B. et al., « Celiac disease : an immunological jigsaw », Immunity 2012 ; 36 : 907-19.
10.1007/s11882-013-0386-4 :• Biesiekierski J.R. et al., « Is gluten a cause of gastrointestinal symptoms in people without celiac disease ? », Curr Allergy Asthma Rep 2013 ; 13 : 631-8.
Auteurs
Immunologiste
Laboratoire Immunité Intestinale
Institut IMAGINE-INSERM 1163
Université Paris Descartes-Sorbonne
Paris Cité
nadine.cerf-bensussan@inserm.fr
Immunochimiste
Unité « Biopolymères Interactions Assemblages »
INRA
Nantes
sandra.denery@nantes.inra.fr
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