4.16. L’intolérance au lactose
p. 163-164
Texte intégral
La lactase
1Le lactose est un disaccharide majeur du lait. Il est hydrolysé dans le tube digestif par la lactase (lactase-phlorizine hydrolase, LPH), présente dans la muqueuse intestinale, plus précisément à la surface des microvillosités des entérocytes*. L’hydrolyse produit du glucose et du galactose rapidement qui sont complètement absorbés dans l’intestin grêle.
2L’activité de la LPH apparaît dès la neuvième semaine de gestation et est très élevée à terme, ce qui rend compte de l’efficacité avec laquelle le nourrisson utilise le lactose du lait maternel (environ 70 g/l). L’activité de la LPH diminue progressivement au cours des premières années de la vie, de sorte qu’elle est très faible (moins d’un dixième de celle du nourrisson) chez 65-70 % des adultes de la population mondiale. La non-persistance de la lactase est donc une évolution physiologique, commune à tous les mammifères, espèce humaine comprise. Le déclin commence dès l’âge de 2-3 ans dans les populations où la prévalence de la non-persistance de la lactase est élevée, alors qu’il ne débute qu’au moment de la puberté dans celles où sa prévalence est faible. Cette prévalence varie beaucoup en Europe : elle est d’environ 56 % en Italie, 38 % en France, mais seulement de 2 % au Danemark. L’activité de la LPH peut en effet demeurer inchangée à l’âge adulte dans certains groupes ethniques. La persistance de la lactase et la non-persistance de la lactase sont déterminées génétiquement, la première ayant un caractère autosomique* dominant. Les mécanismes moléculaires de ce polymorphisme ne sont pas encore totalement élucidés.
3La persistance de la lactase n’a pas toujours existé dans l’espèce humaine. La fréquence de l’allèle responsable est nulle ou presque chez tous les « Européens » du début du Néolithique dont il a été possible d’analyser l’ADN, indiquant que la non-persistance de la lactase représente la situation ancestrale. Les évaluations de l’âge de ce variant encadrent la durée du Néolithique, ce qui est tout à fait congruent avec les preuves archéologiques datant de cette période l’apparition de l’usage du lait dans l’alimentation humaine, ainsi que sa transformation par fermentation. L’accroissement spectaculaire et rapide de la prévalence de la persistance de la lactase (passant de 0 à 98 % dans certaines régions sur moins de 8 000 ans) ne peut s’expliquer par une simple dérive génétique et implique la présence d’une forte pression de sélection. Diverses simulations suggèrent que la domestication des animaux d’élevage et l’usage de leur lait en ont été le principal moteur. De fait, une forte prévalence de la persistance de la lactase apparaît liée à de très anciennes traditions d’élevage. Surtout, la persistance de la lactase est apparue de façon indépendante dans des ethnies distinctes, géographiquement distantes (Afrique, Europe), mais ayant en commun la pratique du pastoralisme. L’apparition de la persistance de la lactase offre donc un exemple de coévolution gène-culture convergente, récente et toujours actuelle (Figure 1).
4La non-persistance de la lactase doit être distinguée du déficit congénital en lactase, maladie extrêmement rare, et du déficit secondaire en lactase qui accompagne les maladies provoquant des lésions de l’épithélium de l’intestin grêle et qui se corrige lors de la guérison de la maladie causale.
Conséquences de l’absence de lactase chez l’adulte
5En l’absence de lactase, le lactose non digéré atteint le colon où il est fermenté par les bactéries, produisant notamment des acides organiques et de l’hydrogène. L’absence de digestion du lactose peut induire les symptômes d’intolérance au lactose (douleurs abdominales, borborygmes, distension intestinale, flatulences, diarrhée). Ils surviennent 1 à 3 heures après la consommation de lactose. L’intensité des symptômes est liée à la quantité ingérée, mais la relation dose-effet est très variable d’un individu à l’autre : la plupart des sujets à la non-persistance de la lactase peuvent ingérer jusqu’à 12 g de lactose sans inconvénient. L’absence de digestion du lactose ne provoque pas de troubles chez tous les sujets sans persistance de la lactase et certains troubles demeurent asymptomatiques en dépit de l’ingestion de grandes quantités de lactose.
6Il est aisé de faire le diagnostic de non-persistance de la lactase. Le moyen le plus simple consiste à mesurer la pression partielle d’hydrogène produit par la fermentation dans le mélange gazeux expiré. L’absence de variation de la glycémie après une charge de lactose est une épreuve beaucoup moins sensible. L’identification des polymorphismes nucléotidiques liés au déficit en lactase par séquençage est une excellente méthode, notamment dans les populations multiethniques. Enfin, la mesure directe de l’activité spécifique de la lactase sur biopsie intestinale reste la méthode de référence, même si elle est peu employée.
7Au contraire, le diagnostic d’intolérance au lactose est difficile à établir, car la corrélation entre intensité des troubles et activité enzymatique de la lactase est très faible. En outre, il repose sur des données déclaratives peu fiables et sur une symptomatologie difficile à évaluer objectivement. Seul un régime d’éviction et de réintroduction permet de confirmer le diagnostic, compte tenu de l’effet placebo très élevé. Le traitement consiste à exclure les produits contenant du lactose, notamment le lait. Avant d’éliminer toute consommation de lait, un élément important du régime (notamment par les protéines et le calcium qu’il apporte), le déficit en lactase doit être formellement démontré par l’une des techniques déjà évoquées. Cependant, il reste possible de consommer des yaourts sans inconvénient, car ils apportent des bactéries qui digèrent le lactose qu’ils contiennent.
Fig. 1 – Prévalence de la persistance de la lactase. Les régions les plus claires sont celles où la prévalence est la plus élevée (en % de la population) (d’après Itan et al., 2010)
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10.1186/1471-2148-10-36 :• Itan Y. et al., « A worldwide correlation of lactase persistence phenotypes and genotypes », BMC Evolutionary Biology 2010 ; 13 : 36.
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L'alimentation à découvert
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