4.5. L’alimentation du nouveau-né
p. 142-143
Texte intégral
1Loin d’être un adulte en miniature, le nouveau-né est presque un extra-terrestre. Expulsé d’un milieu fœtal « protégé » du froid et de l’oxygène, il doit subitement assurer sa thermorégulation et lutter contre le stress oxydant*. Nourri jusqu’alors par un flux intraveineux continu de nutriments via le cordon ombilical, il doit désormais s’adapter à une nutrition orale intermittente, contenant 60 % de l’énergie sous forme de lipides, alors qu’in utero il utilisait le glucose comme seul substrat énergétique. Équipé d’un gros cerveau (> 10 % du poids à la naissance) le bébé a de gros besoins en glucose, seul carburant du cerveau ; or il a de faibles réserves en glycogène*, et est incapable d’utiliser les « sucres lents » faute de l’enzyme nécessaire pour les dégrader (amylase) : il doit donc être nourri toutes les 3 h les premiers jours.
2En outre, le nourrisson grossit de 1 g/h de 0 à 3 mois ; la première année de la vie est la seule où le poids triple et la taille augmente de 50 % (il passe de 3 à 10 kg et de 50 à 75 cm) : aussi ses besoins atteignent-ils 100 kcal/kg/j, 3 fois ceux d’un adulte. Enfin, le cerveau atteint son poids adulte dès 3 ans : sa croissance conditionne le développement psychomoteur, et, véritable « boule de graisse », il a des besoins spécifiques, par exemple en acides gras polyinsaturés*.
Composition du lait humain
3L’aliment idéal pour répondre à ces défis est le lait humain, qui, comme le lait de vache, contient 660 kcal/L et 40 g/L de lipides. Par contre, le lait humain contient plus de glucides (70 g/L contre 40 g/L dans le lait de vache) et, tandis que le lactose représente plus de 98 % des glucides du lait de vache, le lait humain apporte aussi des centaines d’oligosaccharides* différents (10 % du total des glucides du lait). Non digestibles par l’intestin grêle, ils parviennent au colon et favorisent la croissance d’un microbiote* bénéfique pour la maturation intestinale. Pour ce qui est des protéines, elles sont 3 fois moins abondantes dans le lait humain, et de nature différente, avec une prédominance de protéines « solubles » qui ne précipitent pas dans l’estomac et ne ralentissent pas la vidange gastrique. Le lait humain est beaucoup plus riche que le lait de vache en acides aminés libres, notamment en taurine, un acide aminé soufré non incorporé dans les protéines mais qui joue un rôle crucial dans le développement cérébral et rétinien. Enfin il est beaucoup plus riche aussi en acides gras essentiels, acide linoléique (C 18:2; n-6) et alpha-linolénique (C18:2; n-3), et le lait humain est le seul à apporter des acides gras polyinsaturés à chaîne longue de la lignée oméga-3 (acide eicoso-penta-énoique EPA, 20:5;n-3, et docoso-hexaénoique DHA, C22:6;n-3) indispensables au développement du fait de leur incorporation dans les membranes neuronales.
4Quels que soient les progrès des préparations lactées pour nourrissons (ajout de prébiotiques*, réduction de la teneur en protéines, etc.), elles ne pourront jamais reproduire la composition du lait humain puisque cet aliment « vivant » contient, outre des nutriments, des cellules immunitaires (macrophages), des anticorps (immunoglobulines), et que sa composition varie beaucoup : d’une mère à l’autre (par exemple, la composition en acides gras dépend de celle du tissu adipeux de sa mère, donc de son alimentation des mois précédents), d’un stade de lactation à l’autre, et entre le début et la fin de la tétée.
« Breast is best »
5L’allaitement au sein est considéré par l’ensemble des comités d’experts en nutrition et en pédiatrie, comme l’étalon-or pour l’alimentation de 0 a 6 mois. Cette recommandation est fondée sur une masse de données épidémiologiques qui montrent des bénéfices multiples chez les enfants qui ont reçu un allaitement au sein. Le bénéfice le mieux démontré est la réduction de l’incidence des infections (ORL, méningites, pneumopathies, gastroentérites) durant la première année de vie. Cet effet peut s’expliquer par la présence dans le lait humain de composés comme le lysozyme*, qui a un effet hydrolytique sur les parois bactériennes, les IgA sécrétoires, les oligosaccharides favorisant l’implantation d’un microbiote* « défensif » contre les pathogènes, et des cellules immunitaires (macrophages, neutrophiles, lymphocytes T) particulièrement dans le lait du 1er jour ou colostrum.
6D’autres bénéfices de l’allaitement maternel sont moins fermement établis : sur le développement psychomoteur (+ 5 points de quotient intellectuel), la prévention de l’allergie, ou la prévention de l’obésité du grand enfant et du risque cardio-vasculaire chez le futur adulte via une réduction des concentrations de cholestérol et de la tension artérielle. Ces bénéfices sont-ils liés à des composants du lait maternel, à l’allaitement au sein par lui-même, ou à des facteurs confondants ? En effet, ces effets ont été démontrés en comparant des enfants que leur mère avait choisis d’allaiter à d’autres, non allaités. Des études randomisées* seraient contraires à l’éthique, la décision d’allaiter ou non relevant exclusivement de la mère.
7Quels qu’en soient les mécanismes, les bénéfices de l’allaitement maternel illustrent le fait que la nutrition au début de la vie a des effets rémanents à très long terme sur le risque de maladie chronique du futur adulte. Les enjeux de l’alimentation du nouveau-né ont changé de nature ; traditionnellement, la nutrition fournissait les « briques » de construction requises pour la croissance. Désormais, c’est la vie entière du futur adulte qui est en jeu.
Bibliographie
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Références bibliographiques
• Synthèses du PNNS, « Thème nutrition. Allaitement maternel. Les bénéfices pour la santé de l’enfant et de sa mère », www.sante.gouv.fr.
• Bocquet A. et al., « Feeding of infants based on age. Practice guidelines », Arch Pediatr 2003 ; 10 : 76-81.
10.1056/NEJMra0708473 :• Gluckman P.D. et al. « Effect of in utero and early-life conditions on adult health and disease », N Engl J Med 2008 ; 359 : 61-73.
Auteur
Pédiatre nutritionniste
UMR Physiologie des Adaptations Nutritionnelles
IMAD, CHU Hôtel-Dieu
Nantes
ddarmaun@chu-nantes.fr
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2012