3.11. Le végétarisme
p. 120-121
Texte intégral
Qu’est-ce que le végétarisme ?
1Si l’on peut faire remonter certaines pratiques prônant l’abstinence totale de viande jusqu’à l’Antiquité, le terme « végétarisme » vient de l’anglais vegetarianism et s’est progressivement implanté après la fondation de la société végétarienne anglaise (1847) qui promut aussi le slogan live and let live (« vivre et laisser vivre »). Quant au véganisme, il désigne le courant apparu en 1944 avec la fondation de l’American Vegan Society, qui défend un végétalisme radical bannissant tous les sous-produits animaux et toute exploitation animale (cuirs, fourrures, ornements, cosmétiques, tests sur cobayes, spectacles, etc.). Il s’inspire des thèses défendues notamment par le philosophe Peter Singer, antispéciste, c’est-à-dire refusant l’énonciation d’une différence entre les espèces du vivant qui entraînerait leur hiérarchisation.
2La diète végétarienne la plus communément répandue se réfère aux pratiques ovo-lacto-végétariennes qui éliminent de l’alimentation tout élément carné ou provenant d’animaux morts (y compris donc les graisses, les bouillons, les sauces). Les produits tirés de l’activité des bêtes vivantes, tels que le miel, les œufs, le lait et ses dérivés, sont admis mais en quantité modérée. Les crudivores, à ne pas confondre avec les instinctothérapeuthes qui consomment également des produits carnés non cuits, fondent leur alimentation uniquement sur les fruits et les légumes aussi bien que les céréales et les légumineuses germées.
Profils de végétarien-ne-s
Fig. 1 – Affiche du collectif Abolir la viande
3Réuni-e-s par une alimentation relativement semblable, les végétarien-ne-s ne constituent néanmoins pas une entité homogène. Leurs parcours biographiques, leurs motivations, leurs centres d’intérêt, leurs spiritualités et leurs modes de soin peuvent être différents. La décision d’adopter – progressivement ou brutalement – une alimentation végétarienne est souvent associée à certains moments clefs du cycle de vie (transition à l’âge adulte, départ du foyer familial, mariage, naissance d’un enfant, séparation, divorce), à des atteintes soit graves, soit chroniques de la santé ou encore à un événement traumatisant (la visite d’un abattoir ou le passage à la casserole d’un animal familier tel qu’un lapin domestique). Les adeptes d’un régime sans produits carnés viennent aussi au végétarisme en prenant conscience de certaines thématiques : philosophiques (le respect de la vie animale) ; politiques (une répartition plus égalitaire des ressources planétaires) ; écologiques (une gestion plus prudente et plus économe de la nature, un retour à une alimentation imaginée comme plus saine ou le choix d’un mode alimentaire moins industriel, et si possible ancré dans le terroir local tel que le propose notamment la mouvance Slow food).
4Loin de ne se définir que par l’exclusion des produits carnés, le végétarisme se fonde aussi sur l’inclusion de céréales et légumineuses souvent abandonnées ou inconnues des non-végétarien-ne-s et sur une pratique généralisée de substitutions donnant la préférence à ce qui est végétal, complet/non raffiné, issu de culture dite biologique, cru, ou cuit à basse température. De l’avis des nutritionnistes, il présente une nourriture équilibrée si des légumineuses et des oléagineux sont associés aux céréales et aux légumes consommés quotidiennement et si les sous-produits animaux ne sont pas globalement absents ; ils sont plus critiques sur le végétalisme, notamment parce qu’il risque d’entraîner une carence en vitamine B12.
5Bien que souvent présenté par ses adeptes comme une alimentation à la portée de toutes et tous, le végétarisme est néanmoins sociologiquement situé. Il concerne entre 1 et 4 % de la population en Europe et en Amérique du Nord. Les végétarien-ne-s appartiennent généralement aux classes moyennes et bénéficient d’un assez bon capital de formation scolaire. Nombre d’individus, qui subissent un certain décalage entre ce capital et leur positionnement social, se tourneraient volontiers vers des enseignements nutritionnels, sanitaires et spirituels, relativement faciles d’accès et, de surcroît, formant souvent système et leur apportant donc du sens et de la cohérence. D’autre part, dans presque toutes les enquêtes sur le végétarisme, les femmes représentent deux tiers des échantillons, surreprésentation qui peut être reliée à l’idéal de minceur et de pureté en vigueur dans certaines couches de la population, ainsi qu’à une volonté de se forger une identité nouvelle à partir de tâches traditionnellement dévolues aux femmes.
Actualité du végétarisme
6Le végétarisme permet une vision critique des sociétés contemporaines fondées sur l’abondance et certaines formes de gaspillage. Il ne suscite plus guère de rejet et signale au contraire un mode de vie considéré comme sain et raisonnable et ayant acquis ses lettres de noblesse dans la gastronomie.
7C’est probablement pourquoi le flexivégétarisme est à la mode depuis une petite dizaine d’années. Ses adeptes s’efforcent d’encourager une diète essentiellement basée sur des produits végétaux et sur des sous-produits animaux. N’éliminant pas la viande et le poisson qui restent consommés à titre exceptionnel (souvent une fois par semaine pour des raisons gastronomiques, gustatives et conviviales), les flexivégétarien-ne-s diffèrent des végétarien-ne-s d’obédience classique dans leur rapport à l’animal dont l’abattage n’est pas tenu pour un meurtre. Mais elles/ils leur ressemblent par le souci d’une alimentation laissant moins de place aux graisses et protéines animales, afin d’atteindre un meilleur équilibre alimentaire et écologique à l’échelle de la planète.
Bibliographie
Références bibliographiques
• Position officielle de l’Association américaine de diététique et des diététiciens canadiens au sujet de l’alimentation végétarienne, 2000, http://vegenutrition.free.fr/position-AAD.pdf,
• Ouedrago P.A., Crise sociale, crise du goût : le végétarisme comme issue. Une étude de cas dans la région parisienne, Inra, Paris, 2005, http://prodinra.inra.fr/record/162441
• Ossipow L., La Cuisine du corps et de l’âme : approche ethnologique du végétarisme, du crudivorisme et de la macrobiotique en Suisse, Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 1997.
• Ossipow L., « Muesli d’hier, Muesli d’aujourd’hui : de la cuisine des origines aux préparations industrialisées » in Couscous, boulghour et polenta : transformer et consommer les céréales dans le monde, Franconie H. et al. éd., Karthala, Paris, 2010 : 247-61.
Auteur
Ethnologue
Haute École de Travail Social
Genève
Suisse
laurence.ossipow-wuest@hesge.ch
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L'archéologie à découvert
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Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012