3.1. Les agricultures vivrières : 1 001 manières de produire le pain quotidien
p. 101-102
Texte intégral
1Prédominante jusqu’au XIXe siècle, l’agriculture vivrière n’a pas disparu : elle assure la nourriture de près de la moitié de l’humanité, 3 milliards d’hommes et de femmes dont les techniques culturales occupent près de 60 % des terres cultivées, en particulier dans la ceinture intertropicale. Cette agriculture à finalité domestique, où producteur et consommateur sont identiques, est destinée à l’alimentation directe de la famille, du groupe. Toutefois vivrier ne signifie pas autarcique, car les aliments circulent entre les familles et les villages, notamment lors des grands repas d’apparat accompagnant les événements de la vie religieuse et sociale, où de larges communautés se réunissent. L’agriculture de marché n’exclut pas l’agriculture vivrière, car le paysan peut consacrer une partie de ses récoltes à la vente en sus de sa consommation personnelle, tout comme l’ouvrier agricole peut produire à côté ses propres aliments.
2À l’immense diversité des conditions écologiques du globe répondent de multiples formes d’agriculture vivrière, tenant compte du climat, des reliefs, des cours d’eau, de la nature des sols, de la végétation. Il en résulte une grande variété de produits alimentaires. Diversité et complexité définissent les traits communs de ce système de production : les agroécoture vivrière résulte d’interactions complexes, à la fois environnementales et sociales, qui dépassent largement les limites du seul champ cultivé.
3La production agricole ne se limite pas aux seuls aliments de base (riz, blé, sorgho, maïs, banane ou manioc). En Asie tempérée, en sus du blé ou de l’orge sont cultivées d’autres céréales comme les millets Panicum ou Setaria, du sésame et des légumineuses (soja, pois chiche, lentilles, doliques…) ; en Afrique de l’ouest le riz africain (Oryza glaberrima) est accompagné de mils Pennisetum et Digitaria, ainsi que de sésame et d’arachide ; en Afrique forestière, les tubercules (manioc, ignames) sont associés aux bananes plantain, au maïs, aux courges et à d’innombrables légumes-feuilles. En Océanie, les arbres à pain surplombent bananiers et cannes à sucre, à côté des ignames et des taros. En Amérique centrale, à côté du maïs sont cultivés des haricots, des courges, des solanées à fruits (piments, Physalis). Partout sont présents condiments, tabac, plantes médicinales ou à usage technique (notamment textile : coton, chanvre, lin). L’agriculture vivrière est multifonctionnelle.
Un système fragile
4La polyculture assure un approvisionnement alimentaire régulier et varié par des récoltes étalées toute l’année. À cette diversité temporelle répond une dispersion spatiale : le paysan européen cultive un champ céréalier (blé, seigle, avoine), un verger d’arbres fruitiers et un potager près de sa maison. Le paysan des Andes, par exemple, étage sur les pentes des parcelles de maïs, d’amaranthacées* à graines et ailleurs de tubercules (pommes de terre et autres). Une même parcelle porte plusieurs plantes différentes. Aux Philippines, les Hanunóo cultivent dans leur essart* 90 variétés de riz pluvial, 15 de maïs, des sorghos, des millets, 29 sortes de bananes à cuire et une centaine de types de tubercules. Cette agrobiodiversité a plusieurs fonctions : réduire les attaques des maladies, limiter les risques liés aux aléas climatiques (sécheresse, gel) et couvrir d’éventuelles pertes, étaler les récoltes, répondre à des besoins et goûts alimentaires variés. Il ne faut pas sous-estimer la transformation des céréales, des fruits ou des tubercules en boissons, bières ou vins, indispensables pour les usages rituels, festifs et sociaux.
5Pour gérer les capacités de production du sol, le paysan doit résoudre trois questions essentielles : entretenir la fertilité du sol, contenir la végétation sauvage (adventices, mauvaises herbes), gérer l’humidité. Pour résoudre ces problèmes, l’inventivité des agriculteurs traditionnels à travers les siècles est infinie.
6L’agriculture vivrière, étant familiale et à petite échelle, est fragile devant les changements industriels, qui tendent à réduire considérablement la diversité des cultivars, entraînant des déficits en nutriments. Cependant, elle trouve actuellement un regain de faveur par son faible impact écologique et sa contribution au maintien de la biodiversité associé à la lutte contre la pauvreté des populations défavorisées, faiblement monétarisées. Des systèmes de culture complexes avec d’amples sélections de variétés, accumulant l’expérience de centaines de générations de fermiers, répondent au souhait croissant dans les pays industrialisés d’une agriculture sans intrants chimiques, non polluante, propre et assurant un approvisionnement alimentaire savoureux, de qualité et produit localement par une agriculture durable.
Fig. 2 – Chasseur Inuit dans son kayak, avec sa capture : un phoque barbu. Ammassalik, Groenland, 1961, photo Pierre Robbe
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Références bibliographiques
• Altieri M.A., L’Agroécologie. Corlet, Condé sur Noireau, 2013.
• De Garine I., « Les modes alimentaires : histoire de l’alimentation et des manières de table », Histoire des mœurs, Poirier J. éd. Vol. 2. Les coordonnées de l’homme et la culture matérielle, Gallimard, Paris, 1990 : 1447-627.
• Mazoyer M., Roudart L., Histoire des agricultures du monde. Du Néolithique à la crise contemporaine, Seuil, Paris, 1998.
10.4000/books.irdeditions.2834 :• Mollard E., Walter A., Agricultures singulières, IRD, Paris, 2008.
Auteur
Ethnoécologue
UMR « Eco-Anthropologie et Ethnobiologie »
Muséum d’Histoire Naturelle
Paris
bahuchet@mnhn.fr
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2012