2.8. Concilier qualité nutritionnelle et qualité sensorielle des aliments
p. 78-79
Texte intégral
1À travers les dispositifs mis en place dans le cadre des Programmes Nationaux Nutrition Santé (PNNS*), les pouvoirs publics français ont choisi d’inciter à l’amélioration de la qualité nutritionnelle des aliments. Ces mesures impliquent une modification de la composition des aliments afin d’éviter la consommation excessive de sel, sucre et de matières grasses par exemple, qui peuvent contribuer au développement de certaines pathologies (hypertension, risques cardiovasculaires, diabète, obésité…). Les industriels sont ainsi amenés à reformuler leurs produits tout en maintenant une bonne acceptabilité pour le consommateur. Or, il ressort de l’expertise scientifique sur les comportements alimentaires coordonnée par Patrick Etiévant que le goût joue un rôle déterminant sur les choix alimentaires des consommateurs et donc sur leur santé.
Les mécanismes
2La première étape de transformation de l’aliment lors du processus complet de digestion se situe dans la bouche. Sous l’action conjointe de la salive et de la mastication, l’aliment est déstructuré et les molécules responsables du goût sont libérées. Pour atteindre les récepteurs olfactifs et être perçues, les molécules responsables de l’arôme sont transférées de la cavité buccale vers la cavité nasale (Figure 1). La nature des constituants de l’aliment et leur organisation modulent l’accessibilité de ces molécules à nos récepteurs sensoriels.
3Les mécanismes mis en jeu de la mise en bouche de l’aliment jusqu’à la perception sont complexes. De manière générale, les molécules responsables de l’arôme sont plus solubles dans la matière grasse que dans l’eau. Les aliments moins riches en matière grasse libèrent ainsi les arômes plus vite, induisant une perception rapide et moins persistante. Les protéines étant plus ou moins susceptibles d’interagir avec les molécules de la flaveur (ensemble des sensations olfactives, gustatives et tactiles), une modification de la source protéique conduit à des modifications de libération de ces molécules. Les agents de texture ajoutés dans les aliments reformulés sont susceptibles de réduire la libération des molécules d’arôme par des interactions plus ou moins spécifiques (exemple des complexes entre arômes et amidon) ou par la formation d’un réseau qui limite leur diffusion. Des modifications de composition en ingrédients peuvent également conduire à l’apparition de défauts d’arôme, comme les réactions d’oxydation de la matière grasse ou les odeurs résiduelles de certaines fractions protéiques. De plus, la connaissance des effets individuels des différents ingrédients entrant dans la composition d’un aliment ne suffit pas à prédire la libération des molécules de la flaveur et leur perception. En effet l’organisation des différents ingrédients structure l’aliment pour lui conférer des propriétés de texture particulières. Ainsi, la densité du réseau protéique dans des produits laitiers a un effet sur la mobilité du sel et sur sa libération en bouche : un réseau plus dense limite la mobilité du sel et son transfert de l’aliment dans la salive, ce qui a pour effet de diminuer l’intensité de la perception salée.
Fig. 1 – Libération des molécules responsables du goût lors de la mastication
Perception des goûts
4La manière dont l’aliment est déstructuré en bouche varie en fonction de la physiologie de l’individu (composition de la salive, activité masticatoire). Une activité masticatoire intense augmente la libération des molécules de la flaveur et conduit à une perception accrue.
5C’est au niveau du système nerveux central que convergent les informations transmises par les différents organes des sens. Lors de la consommation d’un aliment il y a une arrivée quasi simultanée des informations concernant les composantes de la flaveur et de la texture. L’intégration de ces différentes informations peut engendrer des interactions cognitives qui reposent sur des associations préalablement acquises. Par exemple l’ajout d’un arôme « fraise » renforce la perception de la saveur sucrée alors que l’ajout d’un arôme « sardine » renforce la perception de la saveur salée. De même, la saveur acide renforce la note odorante « citron » et diminue la note « vanille ». Des interactions perceptives ont été mises en évidence entre la perception du gras et celle du salé mais les effets dépendent à la fois de la teneur en sel et en matière grasse ainsi que de la structure de l’aliment, ce qui montre bien le niveau de complexité associé. Il est donc important non seulement de connaître le mode de libération des molécules de la flaveur* mais également de comprendre les mécanismes sous-jacents à la perception des mélanges.
6Une meilleure compréhension des effets d’une modification de composition des aliments sur la libération des molécules odorantes et sapides doit permettre l’élaboration de modèles mécanistiques prédictifs de cette libération en relation avec la perception. Ainsi, les industriels de l’agroalimentaire pourront bénéficier des outils nécessaires pour une reformulation des aliments, dans une démarche raisonnée et non plus empirique.
Bibliographie
Références bibliographiques
• Etiévant P., Les comportements alimentaires. Choix des consommateurs et politiques nutritionnelles, Quae, Paris, 2012.
• Etiévant P. et al., Les Comportements alimentaires. Quels en sont les déterminants ? Quelles actions, pour quels effets ? Expertise scientifique collective, INRA, Paris, 2010.
• Guichard E et al., Texture et flaveur des aliments, vers une conception maîtrisée, Educagri, Dijon, 2012.
Auteur
Chercheur en Sciences des Aliments
Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation
INRA
Dijon
elisabeth.guichard@dijon.inra.fr
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2012