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1.4. Alimentation et cycle de vie

p. 27-28


Texte intégral

1La sociologie et l’ethnologie ont montré que les pratiques et les représentations alimentaires sont marquées par les milieux sociaux et par les cultures dans lesquelles vivent les individus. La psychologie et la psychanalyse ont pointé le rôle des expériences précoces. Ces grilles de lecture contribuent à mettre en évidence l’importance de déterminants qui façonnent sur le long terme les prédispositions et le style alimentaire d’un individu. Mais en même temps l’alimentation d’un individu est soumise à des variations liées aux transformations de ses contextes matériels et sociaux de vie. Une mise en couple ou un mariage par exemple sont la rencontre de deux conceptions de l’alimentation, de deux histoires individuelles et familiales, de deux espaces sociaux alimentaires. Ils sont l’occasion de découvertes, de nouveaux apprentissages, de recombinaisons, de réorganisations des manières de cuisiner et de manger. L’arrivée d’un ou plusieurs enfants s’accompagne elle aussi de transformations touchant les rythmes alimentaires, l’expression des goûts individuels, la décision plus ou moins négociée des menus et plus largement l’éducation alimentaire qui passe par l’imposition de normes variant plus ou moins avec l’âge. La scolarisation s’accompagne souvent de l’expérience de la cantine et la vie professionnelle de celle du restaurant collectif ou des tickets restaurant. Le veuvage, les fins de vie, l’entrée en institution imposent de nouveaux apprentissages et modifient les formes de socialisation. Tout au long de la vie, de grands événements modulent, réorganisent et transforment de façon plus ou moins radicale les manières de cuisiner, de manger et les interactions sociales.

Le cycle de vie familial

2Le concept de « cycle de vie familial » a été proposé par la sociologue Evelyn Duvall dans les années 1930. Il peut se définir comme un ensemble d’étapes prévisibles au cours desquelles se réorganisent les rôles et la répartition des tâches au sein de la famille et tout au long de la vie. Il met l’accent sur les stades ou les étapes qui sont des organisations particulières et plutôt stables et sur les transitions, c’est-à-dire le passage d’un stade à l’autre au cours desquelles s’opèrent les réorganisations. Dans sa forme initiale, Duvall distinguait 9 étapes : jeune adulte célibataire, couple marié sans enfants, familles avec enfant en bas âge, familles avec enfants en âge préscolaire (2,5-6 ans), familles avec enfants scolarisés, familles avec adolescents (13-20 ans), familles « rampe de lancement » (premier enfant parti et dernier à la maison), familles “nid vide”, familles vieillissante (retraite jusqu’à la mort d’un des conjoints). Du point de vue de l’alimentation, à chaque stade correspondent des contextes dans lesquels les individus jouent des rôles sociaux et domestiques et dans lesquels se développent certaines formes d’interaction sociales. Ces rôles et interactions influencent l’alimentation, des achats aux manières de cuisiner et aux pratiques de consommation.

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Fig. 1 – Jeune femme allaitant. Photo Véronique Roméo

3Le concept de « cycle de vie familial » a été l’objet de nombreuses critiques et de propositions d’amélioration. Certains ont pointé les arrières plans conformistes et normatifs, rappelant que d’autres parcours de vie sont possibles, d’autres ont mis en évidence une conception ethnocentrique et hétérosexuelle. Tous ont mis l’accent sur la nécessité de le complexifier en intégrant les divorces, les recompositions familiales. Nous ajouterons l’importance de l’élargir en amont du mariage et en aval sur le cycle de fin de vie.

L’exemple de l’alimentation dans la fin de vie

4L’alimentation dans la fin de vie passe par trois grandes étapes : l’alimentation « normale » des seniors, le portage alimentaire à domicile et l’alimentation en institution. La première débute avec la cessation de l’activité professionnelle. Un individu qui mangeait à midi sur son lieu de travail rapatrie de 200 à 250 repas par an sur le domicile lorsqu’il prend sa retraite. Comme l’alimentation quotidienne en restauration, qu’elle soit collective ou commerciale, laisse le choix au mangeur, les repas de midi en semaine sont fortement individualisés.

5Les seniors développent une sensibilité de plus en plus grande aux questions de santé. Celle-ci peut être la conséquence d’une perméabilité plus grande aux arguments nutritionnels inscrits dans une logique de prévention. L’alimentation est impliquée dans des fonctions sociales ; l’âge avançant, elle devient de plus en plus importante dans l’organisation temporelle et sociale de l’individu. Elle rythme la journée et donne des occasions de sorties et de rencontres : aller chercher le pain, faire les courses, etc.

6Le portage à domicile offre le formidable avantage de maintenir à domicile des personnes qui connaissent des pertes relatives d’autonomie. Cependant le bilan est à dresser car si le portage libère des contraintes du faire à manger, des courses, d’une partie de la vaisselle etc., il diminue considérablement les occasions d’interactions sociales et d’activités quotidiennes motrices et cognitives structurantes et semble accélérer le déclin. Enfin, dans le cadre de l’institution médicalisée, le risque de dénutrition est le principal enjeu de la restauration collective pour les personnes âgées.

7Dans sa version développée, c’est-à-dire intégrant l’amont et l’aval du cycle familial classique et sous réserve de le moderniser pour intégrer la diversité des parcours de vie, le concept de cycle de vie alimentaire permet de comprendre que la socialisation alimentaire se poursuit tout au long de la vie. Ce faisant, il pointe également les périodes charnières au cours desquelles se réorganisent l’alimentation et qui constituent autant d’occasions de changer les comportements alimentaires pour apprendre.

Bibliographie

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Références bibliographiques

• Fischler C., L’Homnivore, Odile Jacob, Paris ; 1990.

• Poulain J.-P., Les jeunes seniors et leur alimentation, OCHA, Paris ; 1997.

10.3917/puf.poul.2013.01 :

• Poulain J.-P., Sociologies de l’alimentation : les mangeurs et l’espace social alimentaire, PUF, Paris, 2002.

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