21. Les sédiments des lacs, archives des crues
p. 288-289
Texte intégral
1L’estimation des risques hydrologiques est au cœur des préoccupations des acteurs et des gestionnaires, et ce, d’autant plus dans un contexte de densification du bâti dans les zones à risque (cf. VI.20). L’attention portée à ces risques est aujourd’hui renforcée par l’augmentation théorique des événements extrêmes* avec le réchauffement global. Cependant, peu de données d’observations permettent de confirmer cette théorie, car les périodes d’observations sont généralement trop courtes par rapport au temps de retour de ces événements. Au cours de la dernière décennie, les sédiments de lacs ont été étudiés pour documenter l’évolution passée des crues sur de longues périodes de temps, et ainsi préciser les relations entre la dynamique des crues et la variabilité climatique. La particularité de ce champ d’étude est sa transversalité disciplinaire. Déchiffrer les informations paléohydrologiques archivées dans les sédiments lacustres est, en effet, un défi interdisciplinaire réunissant notamment la sédimentologie*, la géochronologie*, l’histoire et l’hydrologie. Il exige des collaborations étroites entre les sédimentologues sachant analyser et interpréter les dépôts sédimentaires, les géochronologues permettant de croiser des méthodes de datations variées pour dater ces dépôts, les historiens apportant des documents capitaux pour valider le travail de reconstitution et les hydrologues pour faire le lien entre les occurrences de crue passées et la variabilité hydro-climatique.
Reconstitutions paléohydrologiques
2Au cours d’une crue, l’augmentation du débit entraîne une importante érosion* de matériaux qui sont transportés par le cours d’eau. Si, plus à l’aval de ce cours d’eau se situe un lac, les matériaux sont piégés et forment des dépôts caractéristiques, appelés « dépôts de crues ». Ces derniers peuvent constituer jusqu’à près de 100 % de l’accumulation de sédiments au fond d’un lac. Le travail des sédimentologues consiste à identifier les dépôts de crues dans l’accumulation sédimentaire, en tirant profit de techniques modernes de géochimie (scanner de carottes), qui mettent en évidence les enrichissements en matériel minéral caractéristiques des dépôts de crues. En complément, ils s’appuient sur des méthodes de mesure de la taille des particules (granulométrie* laser), car les dépôts de crue sont également caractérisés par des anomalies granulométriques. En effet, ils sont constitués de particules grossières, dont la taille est proportionnelle au débit du pic de crue. À partir de ces mesures, il est donc également possible de reconstituer l’intensité des crues passées. Une fois déterminées les occurrences et les intensités des crues passées, plusieurs méthodes sont déployées pour dater ces dépôts, en cherchant par exemple à identifier des contaminations historiques dans le sédiment pouvant servir de marqueurs chronologiques. À l’échelle des derniers millénaires, la méthode classique du Carbone 14* est parfois combinée à celle, plus originale, utilisant les variations séculaires du champ magnétique terrestre.
Fig. 2 – Chronique de crues reconstituées à partir des sédiments du Lac d’Allos. Les barres verticales représentent les occurrences de crues, et leur hauteur l’intensité des crues. Les barres rouges sont celles qui correspondent à des crues historiques. Dans cette région des Alpes du Sud, les crues apparaissent plus fréquentes et plus intenses au cours de la période froide du Petit Âge Glaciaire. Source B. Wihhelm
Valider les reconstitutions
3La pertinence des reconstitutions paléohydrologiques doit ensuite être vérifiée. Dans cet objectif, les reconstitutions peuvent être confrontées à des mesures de débit. Cependant, il n’existe que rarement des données instrumentales suffisamment longues pour réaliser cette étape. Une alternative est d’exploiter les documents historiques mentionnant les crues ayant affecté les populations au cours des derniers siècles à proximité des sites d’étude. Cette approche permet de valider le travail de reconstitution en s’interrogeant sur la représentativité des crues à fort impact sociétal dans les enregistrements sédimentaires. Elle s’appuie sur le travail des historiens, qui identifient les crues passées à partir de sources documentaires hétérogènes, produites dans des contextes sociaux très différents et élaborées suite à des dommages matériels ou humains. Une critique rigoureuse des sources par l’historien est donc indispensable pour objectiver les données récoltées avant toute comparaison avec les reconstitutions.
Relations à la variabilité hydro-climatique
4Cette approche par reconstitution, développée essentiellement dans les Alpes, a permis de documenter en continu les fréquences et les intensités des crues au cours de périodes chaudes (Petit Optimum Médiéval* et Réchauffement Global) et froides (Petit Âge Glaciaire*). Il ressort de ces premiers résultats une relation bien plus complexe qu’attendue entre la température et l’activité hydrologique. Une augmentation de la fréquence de crues a été identifiée sur l’ensemble des Alpes au cours des périodes froides, certainement en lien avec une activité plus intense qu’aujourd’hui des circulations atmosphériques apportant l’humidité sur le continent. La reconstitution de l’intensité des crues passées révèle des évolutions plus complexes, dépendantes des régions hydro-climatiques (nord vs. sud des Alpes françaises) et du type de crues (crues torrentielles vs. crues fluviales). Le succès de cette approche, la seule permettant d’observer et donc de comprendre la réponse des crues à la variabilité climatique pluridécennale, appelle à l’appliquer à d’autres territoires où les risques hydrologiques sont prégnants. Mais surtout, ce défi interdisciplinaire qui vise à répondre à une question sociétale majeure doit être poursuivi, afin que la connaissance acquise du passé sur les aléas et leurs impacts (cf. I.6) favorise une meilleure gestion et prévention des risques hydrologiques dans le futur (cf. VI.17). La contribution des hydro-météorologues devrait permettre de mieux comprendre les processus à l’origine des crues sur ces longues périodes de temps, et ainsi de préciser les relations entre crues et variabilité climatique. Relations qui pourront être quantifiées avec l’appui de statisticiens en vue d’améliorer les modèles prédictifs de ces événements extrêmes à fort impact sociétal.
Bibliographie
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Références bibliographiques
• M.-A. MÉLIÈRES et C. MARÉCHAL – Climat et société, CRDP Grenoble, 2010.
10.4267/2042/56360 :• M. KHODRI et al. – Le climat du dernier millénaire, La Météorologie, 2015.
Auteurs
Paléohydrologue, Maître de conférences à l’Université Joseph Fournier, LTHE, Grenoble, p. 288.
bruno.wilhelm@ujf-grenoble.fr
Sédimentologue géochimiste, Directeur de recherche au CNRS, Directeur du laboratoire EDYTEM, Chambéry, p. 288.
fabien.arnaud@univ-savoie.fr
Paléoclimatologue, Maître de conférences à l’Université Savoie Mont Blanc, EDYTEM, Chambéry, p. 288.
pierre.sabatier@univ-savoie.fr
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L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012