17. Gestion des risques naturels liés à l’eau et vulnérabilités
p. 280-281
Texte intégral
1L’eau est à la fois une ressource vitale et un risque* : selon les époques et les territoires, les sociétés ont mis en place différentes réponses pour faire face à l’excès ou à la pénurie d’eau. Le paradigme de gestion dominant s’appuie sur trois piliers : la science, pour connaître et parfois prévoir les processus dommageables (aléas*) ; la technique, pour limiter (sinon éradiquer) l’intensité et/ou la fréquence de ces aléas, ou encore ériger des infrastructures de protection (digues, barrages-réservoirs…) ; et le calcul coût-bénéfice, fondé sur les probabilités, supposé garantir une prise de décision « rationnelle ».
2Cette approche, souvent taxée de techniciste et technocratique, repose sur l’idéal de maîtriser l’eau et nourrit l’aspiration des sociétés modernes à une sécurité absolue, incarnée dans l’expression « risque zéro », de sorte que la gestion s’est longtemps résumée au « tout protection ». Elle encourage une culture du risque dans laquelle il s’agit de dominer et de « lutter contre » les éléments du milieu, alors que par le passé ou dans certaines cultures, on « vivait avec » l’eau (cf. VI.3).
La construction sociale du risque
3La gestion a néanmoins évolué, notamment sous l’impulsion des sciences humaines et sociales (SHS), qui ont cherché à dénaturaliser ces risques en montrant, d’une part, qu’il n’y avait de risques que perçus par les sociétés, d’autre part et surtout, que les risques, loin d’être des productions de la nature, étaient des constructions sociales. En effet, qu’il s’agisse des sécheresses, en particulier en Afrique, ou des inondations, elles ont à la fois démontré le rôle des sociétés dans la transformation des aléas (anthropisation) et l’augmentation de l’exposition (production du risque), le caractère relatif des notions d’excès ou de pénurie (construction sociale du risque), et l’importance et la diversité des formes d’adaptation aux milieux. Aux États-Unis en particulier, les grandes inondations du Mississippi de 1927, qui provoquèrent la mort de plus de 200 personnes et près de 400 millions de dollars de dommages, ont conduit, d’une part à déconstruire la causalité linéaire entre le risque et la catastrophe, d’autre part à distinguer l’aléa et la vulnérabilité*, en mettant en exergue les facteurs structurels, économiques, (géo) politiques et sociétaux, qui empêchent les individus et les collectifs de faire face. Cette analyse s’est en particulier appuyée sur les différentiels de dommages entre « pays riches » et « pays pauvres » : des aléas identiques ne provoquaient ni le même type, ni la même ampleur de dégâts, des aléas faibles pouvant même entraîner des dommages majeurs dans des pays pauvres quand des aléas très violents passaient quasiment inaperçus dans des pays riches. L’insistance sur la vulnérabilité s’est inscrite dans une perspective radicale et critique, qui recoupe les réflexions sur les inégalités face aux risques et à la justice environnementale. Des inondations comme celles qui ont dévasté la Nouvelle-Orléans après le passage de Katrina en 2005 (figure) ont tragiquement rappelé la pertinence de ces analyses : l’inondation de 80 % de la ville résulte de la rupture des digues, mal entretenues, et de l’occupation de zones inondables récemment bâties. La mauvaise gestion de crise, en particulier de l’évacuation des plus démunis et des plus fragiles, est à l’origine de nombreuses victimes.
4Les SHS, en particulier la géographie et la sociologie, ont ainsi ouvert la voie à de nouveaux outils de gestion. La protection est désormais intégrée dans un ensemble plus large de mesures de prévention. Outre la mitigation* technique des aléas, les actions portent d’abord sur la réduction ou le contrôle de l’exposition : ainsi, en France, les PER* (plans d’exposition au risque), puis surtout, à partir de 1995, les PPR* (plans de prévention des risques) proposent des zonages réglementaires afin de limiter l’urbanisation des espaces inondables. Les normes de construction permettent de réduire la fragilité du bâti à l’inondation tandis que les scientifiques cherchent à développer des espèces végétales plus résistantes à la pénurie d’eau (ou moins consommatrices). Ces mesures permettent d’agir sur la vulnérabilité biophysique. Des actions sont aussi entreprises pour réduire la vulnérabilité sociale : information préventive, alerte, exercices de simulation… Ces différents dispositifs se retrouvent à des degrés divers selon les pays.
La globalisation des risques
5Depuis une quinzaine d’années, plusieurs observateurs notent une transformation de certains risques qui deviennent « globaux » ou « systémiques ». L’exemple des inondations liées à l’ouragan Sandy en 2012 ou les dommages attendus dans le cas d’une crue centennale* en Ile-de-France montrent que les coûts des catastrophes s’accroissent de façon exponentielle tandis que des aléas localisés peuvent avoir des conséquences globales (et inversement), décalées dans le temps (les effets indirects de l’aléa initial peuvent être ressentis plusieurs mois, voire plusieurs années après). L’imbrication des systèmes sociaux-techniques affectés produit des perturbations en cascade et il ne suffit plus d’être exposé directement pour être touché. Dès lors, les gestionnaires se trouvent face à une situation d’incertitude radicale : ils ont affaire à des menaces parfois invisibles, souvent imprédictibles, dont les effets, à la fois multi- et trans-scalaires, sont si complexes qu’il devient impossible de les soumettre au calcul, et donc, d’appliquer les « recettes » traditionnelles de gestion.
6Face à des aléas que les sciences et les techniques ne peuvent empêcher, face à des vulnérabilités que les solutions classiques de prévention peinent à réduire, les différents acteurs en charge de la gestion des risques (services de l’État, collectivités territoriales, aménageurs, acteurs privés…) développent désormais des « stratégies de résilience* ». À défaut de savoir éviter la crise, les gestionnaires cherchent à faire en sorte que celle-ci ne devienne pas une catastrophe, en assurant notamment la continuité d’activité. Ils travaillent aussi à limiter la durée des perturbations pour assurer un retour à la « normale » (avec toutes les ambiguïtés que porte ce terme) le plus rapide possible. Les aménageurs, architectes et urbaniste tentent enfin de reconstruire en tirant les leçons du passé en améliorant ce qui existait. L’exemple de la Nouvelle-Orléans montre cependant les difficultés rencontrées dans ce processus de résilience : outre la lenteur de la reconstruction, celle-ci a eu pour effet de renforcer les fractures socioéconomiques tout en consolidant les vulnérabilités biophysiques existantes, l’érection de nouvelles digues et de nouveaux systèmes de pompage donnant ici un illusoire sentiment de sécurité.
7Ces stratégies de résilience, qui deviennent des injonctions à l’échelle internationales et qui sont désormais inscrites dans les dispositifs nationaux, mais aussi dans les directives européennes, s’intègrent en pratique aux actions de prévention puisque tout ce qui diminue le risque doit a priori réduire la crise et donc faciliter la résilience. Elles appellent également des dispositifs de gestion de crise plus efficaces, qui ne se limitent plus à la prise en charge de l’urgence ou à la sécurité civile.
Bibliographie
Références bibliographiques
• S. L. CUTTER – Environmental Risks and Hazards, Prentice Hall, 1993.
• F. LEONE, N. MESCHINET DE RICHEMOND et F. VINET – Aléas naturels et gestion des risques, PUF, 2010.
• P. PIGEON – Géographie critique des risques, Economica, 2005.
• M. REGHEZZA et S. RUFAT – Résiliences. Sociétés et territoires face à l’incertitude, aux risques et aux catastrophes, ISTE Éditions, 2015.
Auteur
Géographe, Maître de conférences à l’École Normale Supérieure, Paris, p. 280.
magali.reghezza@ens.fr
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2012