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12. Compter l’eau

p. 270-271


Texte intégral

1À partir du XIXe siècle, le service public d’eau potable s’est étendu à l’ensemble de la population par le raccordement progressif des ménages à leur domicile. C’est à ce moment de l’histoire du développement des services d’eau (cf. I.8) qu’ont été posés les premiers compteurs en France, permettant de facturer à l’usager les volumes d’eau qu’il a consommé. Le compteur est un appareil de mesure de la consommation d’un bâtiment.

2Il existe deux catégories de compteurs : les divisionnaires et les collectifs. Les compteurs divisionnaires sont des compteurs propres à chaque logement, pour une maison (compteur individuel) ou pour chaque appartement d’un immeuble collectif. Le compteur collectif est installé en pied d’un immeuble pour mesurer l’ensemble de sa consommation et les compteurs divisionnaires sont installés en aval de celui-ci (figure 1). Les évolutions contemporaines du système de comptage se font autour de la technologie de télérelevé*. D’abord déployée dans le domaine de l’électricité et du gaz, la télérelève* des compteurs d’eau est un dispositif de comptage à distance et en temps réel des consommations individuelles (sur un pas de temps allant de toutes les 6 heures jusqu’à une fréquence infra-horaire) permettant d’éviter les estimations de consommation pour la facturation et contribuant à l’approfondissement de la connaissance sur l’usage de l’eau. La dynamique observée en France de déploiement important des compteurs (loi SRU*, article 13) n’a pas été adoptée par tous les pays d’Europe. En Irlande, en Angleterre, au Danemark ou en Finlande, le comptage est moins répandu et la facturation se fait sur une base non volumétrique (forfait, valeur du logement, superficie…). En France, c’est principalement l’individualisation des compteurs d’eau dans l’habitat collectif qui fait polémique, notamment à cause du surcoût généré sur la facture d’eau des usagers, environ 80 € (coût du déploiement des compteurs et individualisation de la part fixe pour chaque ménage), et par l’évolution de la philosophie de la gestion de l’eau qu’elle entraîne (passage d’une gestion communautaire à une gestion individuelle de l’eau au sein d’un immeuble). Néanmoins, l’installation de compteurs individuels a souvent pour conséquence une diminution de la consommation d’eau.

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Fig. 1 – Les modes de comptage de l'eau. © M. Colas

Pourquoi compter l’eau ?

3Plus qu’un outil de mesure, le compteur est l’infrastructure technique qui permet de se procurer une information plus fine sur l’usage fait de l’eau. La première fonction du compteur est de permettre la facturation des coûts de production et de distribution de l’eau à l’usager, dans le cadre d’un service public défini en France comme industriel et commercial (SPIC*). Le comptage permet à l’opérateur de quantifier la demande en eau, d’éviter le vol d’eau, mais aussi de fonder la facturation du service rendu sur l’usage objectivé qui en est fait. Pour être réclamées, les factures d’eau doivent être exigibles, partagées avec l'usager, mais surtout certaines ! L’objectif du compteur – et de la précision du comptage obtenu – est donc de générer de la confiance entre des acteurs économiques du service public et de maintenir l’équilibre économique du service. Afin de garantir une précision du comptage dans le temps, les opérateurs mettent en place des politiques d’investissements de renouvellement des compteurs optimisées, qui s’appuient sur la connaissance des erreurs de comptage, évaluées périodiquement sur la base d’un contrôle statistique de lots de compteurs de vente d’eau, afin d’en contrôler leur conformité (arrêté du 6 mars 2007). Le comptage est également le vecteur d’enjeux sociaux et environnementaux de gestion durable du service public. C’est sur la base des volumes consommés et comptés que sont aujourd’hui développées des tarifications dites « sociales » ou « éco-solidaires », visant à organiser la redistributivité entre les usagers ; ou bien à assurer la mise en adéquation de la demande en eau avec la disponibilité de la ressource. L’enjeu est par exemple d’inciter financièrement les usagers à la réduction de leur consommation en augmentant le prix unitaire de l’eau au fur et à mesure que la consommation globale comptée franchit les paliers d’une consommation considérée comme « essentielle », « utile » ou « de confort ».

Les enjeux de recherche sur le comptage télérelevé

4La nouvelle précision de comptage apportée par la télérelève offre des informations inédites aux gestionnaires de service et ouvre des perspectives d’optimisation de la gestion des réseaux situés en amont du compteur et aussi des usages situés en aval. La capacité à quantifier les volumes consommés sur des pas de temps fins à partir du télérelevé, qu’il soit partiel (échantillonnage intelligent) ou généralisé (exhaustif), entrouvre de nouvelles voies pour l’optimisation du pilotage d’un réseau de distribution. En effet, la détection anticipée des fuites sur un réseau et la réduction de leur durée d’écoulement est aujourd’hui réalisable par le calcul et le suivi d’indicateur de performance du réseau (rendement* de réseau, pertes en eau) en quasi-temps réel grâce à l’estimation précise des volumes consommés par les usagers, en exploitant statistiquement les données issues du télérelevé. Il devient également possible à partir de ces données d’élaborer de nouveaux outils de prédiction de la consommation d’un service, afin d’appréhender les tendances d’évolution du volume consommé à différentes échelles spatiales et temporelles. Ces outils permettront alors à l’opérateur d’acquérir une meilleure compréhension des facteurs explicatifs de la consommation, d’améliorer la prédiction de la performance réseau et ainsi de mieux maîtriser l’impact technique à plus ou moins long terme de ses politiques de gestion du réseau et leur définition.

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Fig. 2 – Service de comparaison des consommations domestiques. Source : Lyonnaise des Eaux, 2013

5La télérelève permet d’analyser non seulement le niveau de consommation d’un usager, mais aussi sa variation de consommation dans le temps (journalier, hebdomadaire, mensuel, saisonnier). Il devient alors possible de qualifier l’usage et de segmenter progressivement les différents usagers sur la base de leur « signature de consommation ». Cette démarche permet aux opérateurs de développer de nouvelles connaissances sur les usagers et de personnaliser le service rendu. Par exemple, pour les usagers domestiques, de nouveaux services sont aujourd’hui développés grâce à l’exploitation des données télérelevées : alertes surconsommations, conseils personnalisés sur les déterminants de la consommation et sur les usages de l’eau des ménages, alertes fuites… (figure 2). Le compteur devient l’objet d’une nouvelle médiation, cette fois socio-technique, visant à accompagner les usagers vers une mutation de leur comportement vers plus de sobriété. À titre d’exemple, les études comportementales menées par le réseau Global Action Plan dans les domaines de l’eau et de l’énergie démontrent que les changements de pratiques de consommation sont d’autant plus fortes et durables que l’usager arrive à comprendre et suivre sa consommation ; et à se positionner, se comparer avec une communauté réelle ou virtuelle d’usagers (figure 2).

Bibliographie

Références bibliographiques

• OIEAU – Les factures dans l’habitat, Rapport en ligne, 2000.

• B. BARRAQUE – Le compteur d'eau : enjeux passés et actuels, Sciences Eaux & Territoires, n° 10, 2013.

• E. LAFAYE, S. VANDERBROUKE et B. MARESCA – Les compteurs intelligents : vecteurs de changements comportementaux ? Instruments de la maîtrise de la demande d’énergie, CREDOC, 2013.

• K. CLAUDIO – Maîtrise des pertes sur les réseaux d’eau potable : mise en place d’un modèle de fuite multi-états en secteur hydraulique, Thèse de doctorat, 2014.

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