11. Pratiques de consommation domestique
p. 268-269
Texte intégral
1A l’échelle mondiale, 70 % de l’eau douce est utilisée par l’irrigation agricole, 11 % par l’industrie et 14 % pour les usages domestiques. Au-delà de ces valeurs globales, cette répartition diffère selon les pays, compte tenu des contextes régionaux, du développement de chacun des secteurs d’activités et de leurs besoins en eau, ainsi que de la répartition spatiale des populations et de leurs pratiques.
2En 2011, en France métropolitaine, 28 milliards de m3 ont été prélevés pour satisfaire les besoins en eau pour les usages de chacun des secteurs d’activité. Les producteurs d’eau potable ont prélevé 19 % du total, l’irrigation représente, quant à elle, 11 % (cf. IV.4) et l’industrie 10 % (cf. IV.6), alors que les 60 % des prélèvements restants sont consacrés à la production d’énergie, plus particulièrement au refroidissement des centrales thermiques et nucléaires. La majorité de cette eau est recyclée (cf. V.19), contrairement à celle destinée à l’irrigation, qui est, pour sa grande part, entièrement consommée. Ainsi, en considérant la part de l’eau consommée, celle de l’agriculture est bien plus grande avec 68 %, 24 % pour la production d’eau potable, 5 % pour l’industrie et seulement 3 % pour l’énergie.
Usages domestiques
3Boire, cuisiner, faire sa toilette, laver le linge ou la vaisselle, faire le ménage, arroser ses plantes… sont les usages quotidiens de l’espace domestique, pour lesquels chacun utilise de l’eau puisée au robinet dans le meilleur des cas. A l’extérieur de la maison, arroser le jardin, laver la voiture, remplir une piscine… sont des usages spécifiques mobilisant des volumes importants d’eau prélevés le plus souvent dans le réseau (figure 1). Cependant, la récupération et le stockage des eaux de pluie, selon des techniques plus ou moins perfectionnées, peuvent suffire à ces usages extérieurs ; cela dépend toutefois des situations locales des régions et de leur climat, des saisons et des taux de précipitation, ainsi que de l’efficacité des dispositifs utilisés, qui sont encore à améliorer et à développer.
4Quelle que soit l’origine de l’eau, pour chacun de ces usages communs, chaque personne adopte des pratiques singulières, qui varient selon la facilité d’accès à l’eau, le type d’équipement des logements et des niveaux de conforts et aussi l’éducation, l’histoire de vie de chacun… sa relation au milieu qui l’entoure. Ainsi, pour satisfaire ses besoins quotidiens, un villageois du nord du Sénégal utilise environ 20 litres d’eau par jour, puisés au forage et dont la qualité n’est pas assurée, alors qu’un habitant des Etats-Unis en utilisera plus de 400 litres et un Français environ 150 litres. Ces tendances révèlent la diversité des conditions de vie et des pratiques individuelles. En effet, alors que certaines personnes préfèrent prendre une douche rapide pour se laver, et ainsi consommer peu d’eau, d’autres apprécieront la faire durer en laissant plus longtemps couler l’eau et en profiter pour se détendre ou encore en prendre plusieurs fois par jour pour se réveiller, se rafraîchir… Ainsi pour un usage commun, les pratiques individuelles sont multiples et impliquent l’usage de volumes d’eau variables venant relativiser les moyennes de consommation et les volumes d’eau nécessaires pour chaque usage.
Fig. 1 – Répartition des 150 litres consommés en moyenne par un Français chaque jour (55 m 3/an)
Des pratiques singulières
5Certaines de ces pratiques ne sont pas toujours viables et compatibles avec les ressources disponibles et/ou les conditions climatiques et les usages de l’eau à l’extérieur de la maison sont directement concernés. Avoir une pelouse verte, en est un exemple emblématique ; l’entretien du gazon nécessite des volumes d’eau d’autant plus importants en zones arides, où sa présence est source de bien-être et de plaisir, mais où l’idée d’abondance doit être remise en question par les usagers. Si certains développent de nouvelles pratiques, comme planter des variétés endémiques peu consommatrices, d’autres décident de peindre leur gazon en vert… comme cela est le cas dans le sud-ouest des États-Unis. Mais souvent, dans le fond du jardin, caché des regards et de la voie publique, il est plus difficile d’abandonner l’usage de la piscine et de quelques espaces de verdures… Vivre dans une zone aride ne conduit pas nécessairement à consommer moins d’eau, la croyance dans le pouvoir de la technique ou encore la recherche de confort ou le plaisir de la présence d’une eau, même rare étant plus fort. À moins que, confrontés à de nouvelles réalités, les usagers, qu’ils soient petits ou gros consommateurs d’eau, se trouvent dans l’obligation de faire évoluer leurs habitudes et leurs pratiques…
Fig. 2 – Une maison à Tucson, en Arizona. Côté rue, les plantations ont besoin de peu d’eau. Côté jardin, la verdure et le plaisir de la piscine sont préservés. © A. Euzen, 2009
Manquer d’eau…
6Face à des situations de sécheresse et de pénurie d’eau, les populations sahéliennes, comme les peuls, réduisent leur consommation d’eau à l’essentiel et pratiquent le nomadisme en partant toujours de plus en plus loin à la recherche de pâturages pour leurs troupeaux. Ailleurs, les gestionnaires de l’eau imposent des restrictions pour certains usages, afin de favoriser l’alimentation en eau des populations, tout en permettant le maintien des besoins pour l’irrigation agricole… En France, face au manque d’eau dans certaines régions, la restriction de différents usages est imposée par arrêtés préfectoraux. Ainsi, des mesures de limitation des prélèvements domestiques non prioritaires et industriels (pour ceux connectés aux réseaux d’eau potable) sont prises selon différents seuils d’alerte et de crise. Par exemple, le lavage de voiture hors des stations professionnelles est proscrit, tout comme le remplissage des piscines privées, l’arrosage durant la journée des jardins, pelouses, espaces publics, terrains de sport et golfs… Selon les régions, compte tenu de l’évolution des réserves naturelles en eau et de leur répartition, du changement climatique et de la fragilité des écosystèmes, de la croissance des villes et de l’évolution des modes de vie et des pratiques alimentaires, une gestion durable de la ressource, considérant les interdépendances des milieux naturels et des activités humaines, sera de plus en plus nécessaire, tant à l’échelle locale que globale. Satisfaire les usages de l’eau à la fois pour l’agriculture, l’industrie, l’énergie et la consommation domestique, tout en préservant l’environnement devient l’un des enjeux de demain dans ce contexte de changement global.
Bibliographie
Références bibliographiques
• A. EUZEN et B. MOREHOUSE – De l’abondance à la raison. Manières d’habiter à travers l’usage de l’eau dans une région semi-aride, l’exemple de Tucson en Arizona, Norois 231, 2014.
• A. EUZEN – L’eau à la maison, Éditions Universitaires Européennes, 2010.
• G. DE MARSILY – L’eau, un trésor en partage, Dunod, 2009.
Auteur
Anthropologue, Chargée de recherche au CNRS, LATTS, Déléguée scientifique à l’INEE, Paris, p. 16, p. 21, p. 244, p. 268, p. 299, p. 302.
agathe.euzen@cnrs-dir.fr
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Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012