6. Droit de l’eau, droit à l’eau
p. 258-259
Texte intégral
1L’histoire se déroule en Ariège dans le fief que donna le Maréchal de Foix à son lieutenant, le Chevalier Jean de Lourdes. Lors d’une inondation, la demeure du chevalier et ses occupants furent en danger. Grâce au dévouement des villageois, gens et bêtes furent sauvés. En reconnaissance, Jean de Lourdes donna le libre usage des eaux aux habitants. À l’origine du nom du hameau « Font Communal », cette anecdote de la fin du XVe siècle révèle la problématique de l’eau.
Droit de l’eau
2Dès le droit romain, l’eau est classifiée comme une res comunes, une chose commune à l’universalité des êtres humains, mais son régime juridique est fragmenté : qu’il s’agisse d’eau potable, agricole, destinée aux loisirs, vecteur d’énergie ou source de pollutions, à chaque usage correspond un droit et une gestion administrative spécialisés. Face à l’enchevêtrement des textes, une rupture conceptuelle et normative s’imposait. L’émergence de l’écologie comme science et comme politique a contribué à cette transformation par une approche plus globalisante, un droit plus programmatique et une gestion plus intégrée de l’eau.
3L’art L. 211-1 du code de l’environnement français, issu de la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau, illustre cette conception en posant le principe d’une « gestion équilibrée et durable de la ressource en eau » prenant « en compte les adaptations nécessaires au changement climatique ». Ces objectifs ont conduit à une unification du droit applicable, avec un ministère de l’environnement à vocation horizontale, une administration à l’échelle des bassins hydrographiques, des documents de planification juridiquement opposables, les schémas d’aménagement et de gestion des eaux et un régime unifié de police de l’eau (cf. VI.7).
Droit à l’eau
4Le droit à l’eau a été consacré comme un droit fondamental par une résolution de l’ONU du 28 juillet 2010 : « le droit à une eau potable, salubre et propre est un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’Homme ».
5Pour le Conseil des droits de l’Homme (30 septembre 2010) « le droit fondamental à l’eau et à l’assainissement découle du droit à un niveau de vie suffisant et il est indissociable du droit au meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint, ainsi que du droit à la vie et à la dignité ».
6Reconnu par la Cour européenne des droits de l’Homme (4 août 2006, Kadikis c/Lettonie), son contenu est précisé par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels : « Le droit à l'eau consiste en un approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à un coût abordable, d'une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques de chacun ».
7La reconnaissance d’un tel droit confère aux États, débiteurs, la responsabilité d’en garantir le plein exercice et fournit aux usagers créanciers un levier juridique pour en obtenir le respect. De nombreux États y sont hostiles, craignant les charges financières et la mise en cause pouvant résulter d’objectifs trop ambitieux. L’Union européenne se montre réaliste : sans aller jusqu’à promouvoir un « droit à », elle insiste sur l’eau comme besoin vital pour l’humanité et un service social de base. La directive communautaire du 23 octobre 2000 est transposée en France à l’article L. 210-1 du code de l’environnement : « L’eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général ». Cette approche pragmatique est aussi celle de la Cour de Justice de l’UE (11 septembre 2012, Symvouliotis Epikrateias), qui envisage la fourniture d’eau comme une priorité pour la santé et la vie des populations.
Courbe et carte montrant l'extension de la gestion de l’eau en régie dans le monde. Sources : PSIRU, France Eau Publique, Food & Water Watch, Corporate Accountability International, Remunicipalisation Tracker
8Si la France a signé de nombreux engagements internationaux en matière de droit à l’eau potable et à l’assainissement*, il n’existe dans notre droit positif aucun « droit à l’eau » à valeur supralégislative, mais seulement un droit d’accès à l’eau, dont le prix doit être payé par les utilisateurs hors tarifications sociales.
Accès à l’eau
9Les craintes liées au déséquilibre croissant entre offre et demande d’eau douce et à la qualité de l’eau justifient une forte mobilisation internationale : sécuriser l’approvisionnement et progresser dans la voie de l’assainissement sont donc deux priorités réaffirmées lors du 7ème forum mondial de l’eau (avril 2015).
10En France, l’accès à l’eau est en débat sur trois points. Tout d’abord, sur la gestion de l’eau. La distribution de l’eau potable est un service public communal qui peut être affermé ou concédé à des opérateurs privés dans le cadre de Délégation de service public* ou exploité en régie* directe (cf. VI.15). Depuis 2000, un nombre croissant de municipalités, dont Paris, Lyon, Rennes, Atlanta, Djakarta (soit 235 villes dans 37 pays) a repris la gestion de l’eau en régie au bénéfice des usagers, pour un service de meilleure qualité, socialement équitable et écologiquement soutenable. Malgré les difficultés (contraintes financières et compétences techniques à réacquérir), il est probable que ce mouvement mondial s’amplifie.
11Le deuxième débat concerne la tarification. En 2012, le candidat François Hollande avait annoncé une « nouvelle tarification progressive de l'eau, de l'électricité et du gaz », afin d'en réduire la consommation et faire « sortir de la précarité énergétique » huit millions de Français. Aujourd’hui, cette proposition n’a été que partiellement concrétisée en raison de la complexité de sa mise ne œuvre, de la difficulté à distinguer pour tous, eau vitale, utile ou de confort et à éviter les effets d’aubaine et les effets pervers.
12Enfin, le dernier débat porte sur les interruptions d’eau. La loi du 15 Avril 2013 prépare la transition vers un système énergétique sobre. Elle étend l’interdiction d’interruption de la distribution d’eau tout au long de l’année pour l’ensemble des situations d’impayés liées à la résidence principale. Le législateur garantit ainsi la continuité d’un accès à l’eau, qui répond à un besoin essentiel pour toute personne, conformément aux principes consacrés par le préambule de la constitution de 1946. Dans une décision du 29 mai 2015 (2015-470 QPC) le Conseil constitutionnel renforce la protection de cet accès en le rattachant à un objectif de valeur constitutionnelle, le droit à disposer d’un logement décent, afin qu’aucune personne en situation de précarité ne puisse être privée d’eau : « le législateur, en garantissant dans ces conditions l'accès à l'eau qui répond à un besoin essentiel de la personne, a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent ». Ceci constitue une avancée juridique notable. Si « l’eau est le miroir de notre avenir » (Gaston Bachelard), c’est aussi une question très difficile à saisir par le droit. Il y faut toujours plus de cohérence et de volonté partagées !
Bibliographie
Références bibliographiques
• Rapport du Conseil d’État – L’eau et son droit, 2010.
• J.-P. OURLIAC, J.-L. GAZZANIGA, P. MARC et X. LARROUY-CASTÉRA – Le droit de l’eau, LITEC, 2011.
• M. CUQ – L'eau en droit international, Larcier, 2013.
• www.tni.org/briefing/our-public-water-future, 2015.
Auteur
Juriste, Professeure à Sciences Po Toulouse, Membre du Conseil constitutionnel, Paris, p. 258.
nicole.belloubet@conseil-constitutionnel.fr
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012