1L’année 2015 est une année charnière, qui correspond à la fois au bilan des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), initiés en 2000 par les Nations Unies, et à l’émergence d’un nouveau paradigme, avec la formulation des Objectifs du Développement Durable (ODD), adoptés fin 2015 par l’Assemblée Générale des Nations Unies. Le contexte est propice à une mise en valeur des questions environnementales. En décembre 2015 se tiendra, à Paris, la 21^e Conférence des Parties à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP21), le secteur de l’eau étant fortement impacté par le dérèglement climatique. Les ODD devraient répondre à certaines limites des OMD, notamment concernant le manque de visibilité des enjeux d’eau et d’assainissement*, intégrés dans l’objectif 7 : « Assurer un environnement durable ». Pour y remédier, diverses coalitions d’acteurs ont œuvré pour que l’eau et l’assainissement constituent un objectif en soi dans les ODD. Dans cette perspective, la problématique de l’accès à l’eau et l’assainissement devient indissociable de la question environnementale.

Objectifs du Millénaire

2D’après le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, l'objectif de réduire de moitié, à l’échelle mondiale, le nombre de personnes vivant dans l'extrême pauvreté, ainsi que ceux n'ayant pas accès à une source d'eau améliorée aurait été atteint. Certes, à l’échelle mondiale, des progrès ont été réalisés : en 2012, 89 % de la population avait accès à une source d’eau dite « améliorée », c’est-à-dire protégée de toute contamination extérieure. Deux milliards de personnes supplémentaires bénéficieraient de cet accès depuis 1990 et plus de la moitié de la population mondiale disposerait d’un branchement à domicile. Mais environ 800 millions de personnes n’ont toujours pas accès à ces sources d’eau (cf. I.12). Ces chiffres globaux masquent les disparités entre régions du monde ; ainsi, le taux de couverture de l’Afrique subsaharienne est de seulement 64 % (figure). Des écarts existent entre pays, entre zones urbaines et rurales, et au sein des populations (selon des critères de genre, d’ethnies, souvent négligés). De plus, les données fines sur les taux d’accès dans des quartiers non régularisés sont rarement diffusées. De nombreuses autres critiques pourraient être mentionnées comme la non-prise en compte des taux de panne des infrastructures, la discontinuité du service, ainsi que les difficultés d’accès en fonction des saisons. Par ailleurs, les Nations Unies ont reconnu que 1,8 milliard de personnes consommeraient une eau contaminée par des matières fécales, et que 10 % des sources d’eau améliorées seraient à haut risque. De nombreux retards ont aussi été soulignés en matière d’assainissement : 64 % de la population mondiale utilise des installations sanitaires améliorées*, avec seulement 30 % en Afrique subsaharienne. Enfin, un milliard de personnes (14 % de la population mondiale) pratique la défécation à l’air libre, avec d’importantes conséquences sanitaires.

3Au-delà du bilan chiffré, il s’agit aujourd’hui de discuter dans quelle mesure les OMD incarnent l’émergence d’un nouveau paradigme de développement. Des ambiguïtés subsistent. L’approche sectorielle (dite « en silo ») développée dans les OMD est apparue comme contradictoire avec une approche intégrée, inhérente à une perspective de développement durable et de lutte contre la pauvreté, car elle engendrait des logiques concurrentielles entre secteurs. Par ailleurs, l’absence de concertation avec les pays et les populations bénéficiaires explique certains échecs dus au manque d’appropriation. Enfin, seuls les pays du Sud ont été ciblés par ces mesures, élaborées au niveau international. Malgré les critiques, d’aucuns soulignent la prise de conscience de nombreux décideurs qui intègrent désormais les enjeux liés à l’eau et, plus marginalement, à l’assainissement* dans les politiques nationales. De plus, les OMD ont favorisé l’élaboration d’indicateurs de suivi et leur diffusion auprès des populations et de la société civile.

Objectifs du Développement Durable

4En 2015, une rupture intervient avec l’élaboration des Objectifs du Développement Durable (ODD). L’originalité réside dans l’articulation de deux enjeux majeurs du développement dans un agenda commun : la lutte contre la pauvreté, avec une vision renouvelée suite au bilan mitigé des OMD, et le développement durable dans le prolongement de Rio + 20 (2012). Est réaffirmée la nécessaire prise en compte des trois piliers du développement durable : l’équité sociale, l’efficacité économique et la soutenabilité environnementale. Néanmoins, les ODD ne pourront être à la fois universels, intégrés (équilibre des trois dimensions) et mis en œuvre localement, d’où la définition d’objectifs globaux et transversaux, déclinés en cibles au niveau national.

5À la différence des OMD, ces nouveaux objectifs concernent tous les pays, et pas seulement ceux du Sud. L’enjeu est donc de combiner un souci d’universalité avec des spécificités locales, en tenant compte des vulnérabilités et des capacités de développement des pays. La question des moyens est centrale du point de vue du financement et du renforcement des capacités. Elle sera débattue à la conférence des Nations Unies sur le financement du développement en juillet 2015.

Progrès réalisés en 2012 dans le cadre de l’OMD relatif à l’eau potable : la plupart des pays d’Afrique n’atteindront pas l’OMD relatif à l’eau potable. Source : Joint Monitoring Program. 2014

6C’est donc suite à un long processus de négociation, en amont, que le Groupe de travail ouvert (Open Working Group créé par l’Assemblée générale des Nations Unies et représentant plus de 70 pays) a retenu 17 objectifs et 169 cibles en février 2015. La formulation de l’objectif 6 : « Assurer un accès universel à l’eau potable et à l’assainissement, et gérer durablement les ressources en eau » résulte de la mobilisation de coalitions d’acteurs du secteur de l’eau, impliqués à différentes échelles. La volonté de dépasser une approche sectorielle a justifié de concilier les enjeux de développement à ceux de soutenabilité, d’articuler la question du service d’eau potable à celle de la gestion de la ressource en eau. Cette vision systémique et transversale permet d’associer l’accès à l’eau potable et à l’assainissement aux enjeux d’alimentation, d’énergie, d’éducation, de santé, de genre, mais aussi aux problématiques liées aux pollutions, et au maintien de la paix et de la sécurité. Les débats ont été tendus lorsqu’il s’est agi de hiérarchiser les priorités. Les questions relatives à l’eau agricole ont dominé, car portées par des lobbys puissants, au détriment de celles traitant des pollutions. Par ailleurs, en référence à la reconnaissance du droit à l’eau (cf. VI.6), l’accent a été mis sur l’équité et la lutte contre les inégalités dans l’accès, ainsi que le respect de la dignité, aspects difficilement mesurables, d’où des innovations indispensables afin d’évaluer et d’assurer le suivi des objectifs.

7Les débats autour des ODD traduisent donc la difficulté à co-construire une vision systémique des liens entre développement économique, lutte contre les inégalités et environnement. La question de l’eau et de l’assainissement a fait émerger, de manière visible, des positionnements très diversifiés qui reflètent la pluralité des conceptions de la société et du bien commun.