17. La remédiation naturelle et l’autoépuration des milieux aquatiques
p. 234-235
Texte intégral
1Selon la Directive-cadre sur l'eau (DCE*, 2000), les hydrosystèmes européens doivent avoir atteint le bon état chimique et écologique des masses d’eaux d’ici 2015 et 2027, respectivement. Actuellement, les actions de gestion préconisées en faveur d’une meilleure qualité de l’eau dépassent rarement le niveau de diagnostic et la mise en place des redevances. Mieux comprendre le fonctionnement de la biodiversité de ces hydrosystèmes et leur géomorphologie peut permettre de définir des plans de rétablissement de ces bons états et fournir des outils d'ingénierie écologique* pour accompagner leur restauration. Cependant, les connaissances dans ces domaines restent lacunaires et elles demandent un vrai travail collaboratif entre des disciplines aussi diverses que la biologie, la physiologie, la microbiologie, la pédologie*, l’hydrogéologie, la chimie, l’écotoxicologie, l’écologie et les sciences humaines.
L'autoépuration
2Pendant longtemps, les autorités ont laissé les hydrosystèmes traiter les contaminants en arguant de leurs capacités d’autoépuration, entraînant une pollution chronique de ces écosystèmes. Ce service naturel met en œuvre les interactions entre biodiversités microbienne et végétale et celle des invertébrés. Il est quantifiable aujourd’hui au niveau de la quantité de nutriments retirés sur un tronçon de cours d’eau ou une étendue d'eau douce ou saumâtre et permet d'estimer la valeur économique du service rendu. Ainsi, la rétention des éléments traces métalliques par les différents compartiments aquatiques, biotiques* ou non, a été intensivement étudiée ces dernières années. Dans ce service, la capacité de bioremédiation* de micropolluants organiques est aussi incluse, bien que cette intervention soit encore difficilement quantifiable à l'échelle des hydrosystèmes. Or, ce service d'autoépuration est menacé suite à des aménagements, que ce soit dans les lits majeurs ou dans les bassins versants, impactant la biodiversité et in fine, sa fonctionnalité. De surcroît, la qualité et l’intensité de ce service risquent d'être impactées dans un contexte de changement climatique, mais reste probablement l'opportunité de solutions durables si les processus de résilience* en sont accompagnés.
3Outre les phénomènes d'adsorption* de contaminants sur le substrat, qui peuvent jouer un rôle prépondérant dans la rétention des éléments métalliques, notamment, le vivant est capable de retenir ou de dégrader les contaminants par un ensemble de processus (figure). Selon le type de contaminant, l'action biotique varie : les métaux et métalloïdes, non dégradables, seront stockés sous des formes plus ou moins biodisponibles, et les polluants organiques subiront des dégradations bactériennes. Certains de ces processus sont stimulés par l’activité de bioturbation* des invertébrés ou par le broutage de biofilm. Les différents compartiments biologiques interagissent entre eux, pouvant ainsi générer des effets synergiques et aboutir à l'épuration d'une vaste gamme de contaminants si ces relations sont favorisées.
La biorémédiation naturelle accompagnée
4L'état actuel de contamination chronique et/ou accidentelle des hydrosystèmes amène à réfléchir sur les limites des capacités autoépuratoires de ces écosystèmes. De multiples fonctions réalisées par la biodiversité dans les hydrosystèmes sont influencées directement ou indirectement par le niveau de contamination de l’eau. L’efficacité de la fonction d’épuration implique un niveau de contamination acceptable et il est généralement souhaitable d’accompagner les actions d’ingénierie écologique d’une réduction de la charge en polluant depuis la source, car les organismes ingénieurs sont sensibles aux contaminants circulant dans l’eau. En s’inspirant et en acquérant de plus amples connaissances sur les processus mis en jeux, et par biomimétisme en renforçant les fonctions naturelles, il est possible de concevoir des outils d'ingénierie écologique visant à reproduire le fonctionnement des hydrosystèmes en les optimisant. Le renforcement de ce service par des actions de conservation et d’ingénierie écologique peut s'illustrer, par exemple : au niveau du lit mineur*, par des systèmes de radeaux végétalisés filtrants, ou en favorisant la circulation hyporhéïque* et les bancs de galets infiltrants ; au niveau du lit majeur*, par la conservation de zones humides riveraines et en favorisant la phytoextraction* par la ripisylve* ; au niveau des eaux stagnantes, en intégrant en amont des zones humides (cf. III.8) artificielles pour affecter la fonction épuratoire à un technosystème permettant de retarder la phase de saturation des hydrosystèmes.
5Ces différents travaux montrent qu’il est nécessaire de prendre du recul sur les actions à mettre en œuvre pour favoriser l'autoépuration des contaminations chroniques de ces systèmes. Au-delà de la biodiversité à renforcer en tant que moteur de ce service, il est souhaitable de s'interroger sur les conditions optimales pour que cette bioremédiation soit efficace. Notamment, les limites supérieures de la pression de contaminations ne doivent pas être dépassées pour une bioremédiation naturelle durable, accompagnée d'une biodiversité viable. Cela induit une réflexion sur les effets des concentrations et des compositions variables en contaminants sur la résilience des espèces. Jusque-là, les recherches étaient ciblées sur « qui fait quoi » en ingénierie écologique. Aujourd’hui, une vision intégrée de l’effet de la biodiversité comme vecteur d’évolution d’un système perturbé sous la pression d’une contamination devient nécessaire. Les interactions entre espèces de communautés différentes sont encore sous-exploitées et ouvrent la porte à des actions de bioremédiation plus avancées, mettant en œuvre ces interactions pour faire face aux complexes de polluants qui circulent dans le milieu naturel.
Bibliographie
Références bibliographiques
• T. DATRY et al. – La zone hyporhéique, une composante à ne pas négliger dans l’état des lieux et la restauration des cours d’eau, Ingénieries EAT, 2008.
• A. GUITTONNY-PHILIPPE et al. – Potentiels d’utilisation des macrophytes pour réduire l’impact des industries sur les milieux aquatiques européens, Sciences-Eau-Territoires, 15, 2014.
• V. NICOLAS et al. – Ingénierie écologique appliquée aux milieux aquatiques. Pourquoi ? Comment ? ASTEE, 2013.
• C. LÉVÊQUE – Nos rivières sont-elles devenues des poubelles ? Le Pommier, Collection Petites Pommes du Savoir, 84, 2006.
Auteurs
Écologue, Professeure à l’Université de Toulouse 3, ÉCOLAB, Toulouse, p. 234.
magali.gerino@univ-tlse3.fr
Écophysiologiste, Maître de conférences à l'Université d'Aix-Marseille, IMBE, Marseille, p. 234.
isabelle.laffont-schwob@imbe.fr
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L'archéologie à découvert
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Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012