Chapitre 7
Moins de polarisation et plus de résilience sociale ?
p. 188-213
Texte intégral
1À distance de nombreux travaux portant sur les processus de radicalisation, nous avons choisi d’investiguer, d’une part, les effets des politiques publiques, à la fois sur certaines professions impliquées dans la prévention et sur le public musulman et, d’autre part, la multiplicité des modalités des rapports intensifs au religieux, avec une attention à la relation à l’altérité. Les outils sociologiques permettent en effet une prise en compte de ce que font réellement les acteurs, de leurs ajustements et de leurs relations sociales. Nos travaux n’ont donc pas porté sur des personnes engagées dans une radicalité violente ni sur les groupes de croyants les plus rigoristes (salafis ou tablighis, notamment). Nous nous sommes focalisés sur des personnes majoritairement pieuses, religieusement visibles et attachées à leur identité religieuse musulmane, ainsi que sur la manière dont leurs propos et leurs actes sont traités par les professionnels du social, de la santé mentale et de l’éducation. Nous justifions la pertinence de ce choix par le fait que ce groupe a une place centrale dans la perception et le traitement du « problème » musulman ainsi que dans la politique de lutte et de prévention de la radicalisation. Il est donc l’objet d’une forte inquiétude de la part des acteurs professionnels et politiques ainsi que du grand public, du fait de la conception largement partagée des processus menant à la radicalisation. Cette focale est en effet d’autant plus nécessaire que l’importance donnée aux « signaux faibles » ou au « bas du spectre » va toujours croissant, dans un contexte où l’on tend facilement à considérer la voie religieuse vers la radicalisation comme une sorte de tapis roulant menant de l’attachement religieux à la radicalité.
2Ce chapitre synthétisera d’abord les principaux apports de notre enquête collective, ce qui conduira à la question des risques de polarisation. Ensuite, je soulignerai qu’en dépit du nombre d’analyses et de dispositifs, la complexité du rapport au religieux me semble insuffisamment prise en compte. Pourtant, à cet égard, une approche socio-anthropologique relationnelle et pragmatiste apporte des éléments de compréhension vulgarisables, accessibles et opérationnels dans la pratique de nombreux professionnels (intervention sociale, Éducation nationale, collectivités locales, pénitentiaire, etc.)1. Enfin, j’introduirai la notion de résilience sociale, centrée sur la capacité d’agir (individuelle et collective), qui permet de tracer plusieurs pistes et propositions d’inflexion à destination des différents acteurs, professionnels ou religieux.
Des éclairages sur le traitement de la radicalisation
3Les travaux du projet ANR Rigoral présentés dans cet ouvrage éclairent trois points cruciaux liés au traitement de la « radicalisation » : d’abord, l’effet de ce traitement sur les métiers de l’accompagnement et de l’éducation ; ensuite, les répercussions sur les musulmans ; et, enfin, l’analyse de la complexité du rapport au religieux intensif.
L’effet des politiques publiques de prévention sur les professionnels
4Le premier apport concerne l’effet des politiques publiques de prévention de la « radicalisation » dans les métiers du social, de la santé mentale et de l’éducation2. L’extension de la lutte contre le terrorisme impliquant une mobilisation toujours plus large d’acteurs situés hors du champ sécuritaire, ces professionnels se voient confrontés à des demandes de collaboration en forte tension avec leur éthos professionnel. Cette tension et les ajustements auxquels elle donne lieu sont au cœur du premier chapitre (B. Michon). L’auteur montre comment les professionnels de la santé mentale et du social redéfinissent le problème de la radicalisation et du séparatisme afin de sauvegarder l’autonomie de leur mission et la relation de confiance qu’elle nécessite, tout en acceptant des collaborations avec des services de sécurité dans des situations qui le nécessitent. À rebours de l’accusation de manque de citoyenneté du public qu’ils accompagnent, un point saillant de leur redéfinition est la « dimension positive » de l’engagement, qui peut parfois inquiéter dans un contexte de vulnérabilité sociale et psychique. Ils font donc place à la dimension politique de la contestation sociale, le plus souvent obérée par une conception de la radicalité comme idéologique et aliénante. Ce faisant, ils reconnaissent une dimension de dépassement de soi (chapitre 6, A.-S. Lamine) dans la construction de l’identité de leur public. Finalement, au travers de ces points de tension, le processus de redéfinition, tant du problème de la « radicalisation » que du rôle des professionnels, aboutit à une demande de reconnaissance de l’autonomie des missions vis-à-vis des métiers de la sécurité publique. La transformation des métiers de l’éducation est aussi documentée en creux dans le troisième chapitre (Im. El Feki & Cl. Donnet) sur les adolescents musulmans. Les propos des collégiens et lycéens (témoignages et mise en situation dans les jeux de rôle) démontrent l’effectivité de l’intériorisation de la norme laïque, mais aussi un fort sentiment de rigidité dans cette transmission, qui témoigne de crispations du personnel éducatif vis-à-vis de l’expression des religiosités musulmanes.
Les effets sur les musulmans de la prévention de la radicalisation et du « séparatisme »
5Le deuxième apport de cette recherche collective concerne les effets directs sur les musulmans des plans successifs de la prévention de la radicalisation et de la lutte contre le « séparatisme ». La contribution sur les adolescents musulmans (chapitre 3, Im. El Feki & Cl. Donnet) montre que, s’ils adoptent pleinement la norme laïque tout comme la nécessité de prévenir la radicalisation, ils éprouvent aussi un réel malaise. En effet, le sentiment de disqualification s’allie à l’impossibilité pour eux d’exprimer leur identité religieuse en milieu scolaire, dans un contexte de prégnance d’une laïcité « de contrôle », présentée par les enseignants comme une valeur civilisationnelle. Si l’autodiscipline qui en découle permet de réduire les tensions, ce contexte prive néanmoins les adolescents d’espaces de parole sur les identités et sur les conflits de loyauté qu’ils peuvent éprouver, ainsi que de débats sur des problèmes de société liés à l’ethnico-religieux3. Ce contexte présente donc des « freins aux relations éducatives ». L’enquête documente aussi la réflexivité des adolescents et leur capacité de distanciation vis-à-vis de la mauvaise image de leur groupe, notamment par l’humour. L’étude sur les mères de famille pratiquant l’instruction en famille (chapitre 4, Im. El Feki & H. Karimi) montre que, tout en reconnaissant la nécessité d’un contrôle pédagogique, elles éprouvent fortement la « politique du soupçon ». La place centrale prise par leur visibilité religieuse et la prégnance de la dimension sécuritaire dans ce contrôle impliquent des anticipations stratégiques afin d’assurer son bon déroulement. Les usages de l’Internet religieux par les jeunes musulmans (chapitre 5, M. Foubert) mettent aussi en évidence les effets de la « dégradation croissante de l’image publique de l’islam » et des controverses sur sa compatibilité avec les « valeurs la République » ou sur la « cohésion sociale ». La norme laïque est là aussi intériorisée, voire surinterprétée en défendant une « privatisation [obligatoire] de la religion ». En outre, en dépit d’une représentation d’Internet comme « espace de libération de la parole religieuse », seule la moitié des enquêtés exprime son identité religieuse sur les réseaux sociaux. Les autres renoncent à le faire par crainte de signalement, d’agression verbale ou d’accusation de victimisation. Enfin, le chapitre 2 (A.-S. Lamine & C. Lutz) sur le traitement du « séparatisme » au moment des débats sur le projet de loi (2020-2021) par des médias musulmans de diverses tendances analyse les effets sur les musulmans des discours médiatiques et du traitement politique de l’islam. La critique principale du projet de loi repose sur les droits humains et sur le principe de séparation entre l’État et les religions. L’étude montre aussi leur capacité d’agir des musulmans, qui s’appuie sur une information quant aux processus législatifs et leurs effets ainsi que sur une validation de la critique en croisant des positions non musulmanes (responsables d’autres groupes religieux, ONG, chercheurs, acteurs politiques critiques).
La complexité du rapport au religieux
6En troisième lieu, notre recherche collective éclaire la complexité du rapport au religieux. D’abord en rappelant que les musulmanes et les musulmans ont, comme tout un chacun, des identités composites. Le religieux n’est qu’une dimension de leur identité, ce qu’obèrent les diverses formes d’assignation et de stigmatisation et plus généralement la plupart des discours tenus sur eux dans le champ politique, médiatique et dans les échanges ordinaires (Amiraux 2014). Ce point évident doit cependant être rappelé, tant est fréquente dans l’interprétation de leurs actions ou attitudes la réduction à leur identité religieuse. Un adolescent qui provoque, une mère qui jongle entre profession et organisation familiale, une répartition inégale des tâches au sein du couple, des parents qui s’interrogent sur le bien-être de leurs enfants, des citoyens qui s’inquiètent ou se préoccupent de la liberté associative ou des inégalités, tous ces faits doivent aussi être analysés dans leur dimension générale, ordinaire et commune et faire place à la réflexivité des acteurs dans leurs rapports à la complexité du religieux, des relations humaines et de la vie sociale. Ainsi, dans les enquêtes menées, on observe que la dimension religieuse n’a qu’une place marginale dans le choix (en général temporaire) de l’instruction à domicile de leurs enfants par des femmes musulmanes pieuses (chapitre 4, Im. El Feki & H. Karimi). Les motivations de celles-ci rejoignent très largement celles de parents non croyants (pédagogie, respect du rythme de l’enfant). Le chapitre 5 (M. Foubert) sur la consommation de l’Internet et des réseaux sociaux musulmans par de jeunes musulmans démontre la capacité d’agir de ces derniers et leur compétence par rapport à la complexité, notamment dans leur distanciation et leur rapport à l’altérité, ainsi que dans leur constante vérification et comparaison des sources. Enfin, le chapitre 6 (A.-S. Lamine) sur les intensités religieuses montre que l’intensité croyante peut combiner diverses modalités de rapport aux textes, aux valeurs, au groupe et à soi-même et qu’elle s’articule à une pluralité d’attitudes par rapport à l’altérité interne et externe.
Des risques de renforcer involontairement la polarisation sociale ?
7Enfin, nos recherches documentent en filigrane comment les mises en œuvre de la lutte contre le terrorisme et de la prévention de la radicalisation risquent, dans certains cas, par d’éventuels effets collatéraux non anticipés, de contribuer à renforcer des processus de différenciation sociale. Cela peut se produire pour certaines personnes lorsque les discours perçus impliquent une dévalorisation systématique de leur identité, sans contrepartie suffisante permettant de les (re)valoriser. Ces contreparties existent certes dans des efforts culturels, artistiques, muséaux, pédagogiques ou encore d’animation socioculturelle, visant notamment à une meilleure (re)connaissance de la culture arabo-musulmane. Elles peuvent aussi être apportées par divers acteurs communautaires (associations, mosquées, médias, auteurs, conférenciers). Cependant, un apport de la sociologie des relations interethniques (des relations entre groupes) est de montrer comment l’assignation à la différence renforce le sentiment d’être différent et donc le processus de différenciation sociale. Ce processus, s’il est accentué, peut aussi être qualifié de « polarisation sociale », un concept qui a d’abord été utilisé par les politistes pour signifier les oppositions d’opinions (politiques, axiologiques), ainsi que l’augmentation de ces oppositions avec le temps4. Plus récemment, des sociologues étudiant la radicalisation l’ont mobilisé, en soulignant le rôle que jouent dans ce processus un rapport aux « identités menacées » et l’opposition croissante (à forte teneur émotionnelle) entre un « nous » valorisé et un « eux » déprécié (Van Stekelenburg et al. 2010).
8Les recherches récentes démontrent également qu’une différenciation radicale est un des éléments centraux du processus de radicalisation5. Sageman (2017) déploie une mise en perspective historique des groupes politiques radicaux qui confirme que les récits extrémistes et la répression (perçue comme disproportionnée) se renforcent mutuellement6. Ce sentiment de disproportion joue aussi un rôle central dans le passage d’une partie des militants de la contestation non violente à la contestation violente. De manière plus contemporaine, Doosje, Van den Bos et Loseman ont travaillé sur le contexte de l’extrême droite (Doosje et al. 2012) et des radicalités musulmanes (Doosje et al. 2013). Ils proposent de définir le « système de croyance radicale » comme caractérisé par quatre éléments de perception : l’illégitimité des autorités, la supériorité de son groupe, la distance aux autres et la déconnexion sociale. Concernant la radicalisation religieuse, ils insistent aussi sur le rôle de l’incertitude personnelle, de l’injustice éprouvée et de la menace perçue à l’égard du groupe (Doosje et al. 2013). On retrouve le rôle central du sentiment d’injustice et de la différenciation par rapport au reste de la société7.
9On ne peut donc pas écarter des effets collatéraux potentiels sur certaines personnes, et y réfléchir permet de proposer des pistes pour les anticiper, les éviter ou du moins les limiter. Des éléments résultants des dimensions sécuritaires et répressives de la prévention de la radicalisation peuvent produire une assignation au manque de citoyenneté et à la radicalité. Ils contribuent alors à renforcer la différenciation, et pour certaines sensibilités, à accentuer cette polarisation. Ainsi, les autrices du chapitre sur les adolescents musulmans et leur rapport à l’institution scolaire soulignent en conclusion que « la sécuritisation (dimensions disciplinaire et répressive) des politiques scolaires via les plans de prévention de la radicalisation accentue l’illégitimité et la marginalisation dans cet espace des groupes ethnoculturels minoritaires ». Les adolescents qu’elles ont observés évoluent certes dans un cadre structurant (familial et religieux) qui les protège de la polarisation, mais leurs propos démontrent bien le poids de la politique scolaire sur les identités minoritaires. Dans le cas des femmes musulmanes pieuses pratiquant l’instruction en famille, les assimiler systématiquement aux rigoristes salafistes (comme le font les discours politiques et médiatiques), en plus d’être une erreur d’analyse, peut s’avérer significativement contre-productif, en termes de polarisation au sein du champ musulman et par rapport à la société. La possibilité de polarisation est aussi bien visible dans les médias musulmans les plus militants, avec des réactions aux discours politiques et médiatiques sur le « séparatisme musulman » qui emploient, à propos de l’action de l’État, des termes comme « liberticide », « traitement d’exception » ou volonté de « désislamisation ». Notons aussi que la différenciation ou la polarisation sociale ne se limitent pas forcément aux opinions, mais peuvent aussi impacter les relations sociales, les actions et les engagements. Il s’agit donc d’être attentif au risque collatéral d’accentuer la polarisation pour certains individus. Celle-ci peut être un facteur favorisant la radicalité, mais, même sans radicalisation, elle porte en soi, avec la production de méfiance qui l’accompagne8, un effet contraire à la cohésion sociale recherchée (Hemmingsen 2015, p. 40). Ces effets non souhaités sont pour l’instant très peu investigués (Brouillette-Alarie et al. 2022 ; Lebourg & Sèze 2021, p. 373). Les résultats de nos travaux permettent d’ouvrir des pistes pour réduire ces risques non souhaités, que je développe ci-dessous.
La radicalité et le religieux : complexifier la lecture
10Afin de préciser ces pistes, il faut d’abord rappeler quelques points concernant les processus de radicalisation et le rapport aux identités religieuses. Articuler leur complexité permettra de positionner les divers types d’action de prévention et d’interactions sociales.
La complémentarité des quatre types d’approches de la radicalisation
11Schématiquement, l’analyse de la question de la radicalisation se fait selon quatre grands types d’approches, liés à la focale privilégiée9. Par focale, nous entendons à la fois un niveau d’analyse (échelles de l’individu, du groupe ou de la société) et un type de phénomène social explicatif (idéologie, valeurs, militance collective, marginalité). Un premier type d’approche considère que le contenu des croyances, et donc l’idéologie, est un facteur explicatif central : on agit au nom d’un texte, d’une idéologie10. On se place donc au niveau de l’individu (approche microsociologique). On peut opposer cette approche à des analyses qui accordent une forte détermination au poids de facteurs structurels, tels que la ségrégation économique, la géopolitique et la marginalité politique11 (approches macrosociologiques). Un troisième type d’analyse porte un regard plus anthropologique et met en évidence le rôle des symboles, des imaginaires et des idéaux12 (approches micro/méso-sociologiques). Enfin, les apports de la sociologie des mouvements sociaux rendent attentif aux dimensions relationnelles et émotionnelles de l’engagement13 (approches méso-sociologiques).
12Au-delà des oppositions médiatiques de certains auteurs qui les défendent, ces quatre types d’approches sont évidemment complémentaires et non exclusives, ce que reconnaissent volontiers de nombreux chercheurs. Ainsi, les tenants de la sociologie des mouvements sociaux précisent que l’idéologie peut, par un cadrage efficace de la situation, servir d’appui au passage à la violence14.
Mais une approche nettement prédominante
13L’histoire spécifique de l’Europe avec le rôle joué par les idéologies totalitaires au xxe siècle prédispose à donner une place prédominante à l’idéologie (ce qui n’est pas le cas dans les recherches nord-américaines par exemple15). Ce point est encore renforcé en France où la mémoire des conflits liés au religieux, la représentation de la religion comme risque d’aliénation et l’imaginaire social d’unité sont particulièrement prégnants (Birnbaum 2003, p. 20-21). Il n’est donc pas surprenant de constater que l’action publique (notamment dans le domaine éducatif) privilégie très nettement l’approche idéologique, d’abord en proposant des vidéos de contre-discours, puis en diffusant un discours fortement normatif sur la laïcité et la citoyenneté et en donnant une place centrale au développement de l’esprit critique. En outre, l’attention est forte à ce qui dans le discours d’adolescents ou de jeunes peut être considéré comme une preuve de radicalisation, quitte à parfois négliger la dimension souvent provocatrice de propos d’adolescents16.
14Dans les champs politique, médiatique et éducatif prévaut donc largement l’idée d’un processus principalement gouverné par le marché cognitif, dans lequel l’idéologie implique l’action. Dit autrement, on pense le religieux quasiment exclusivement comme un rapport au texte (ou à une idéologie). Un attachement trop visible (à des pratiques et à des croyances) est dès lors considéré comme gouverné par l’idéologie religieuse (et comme militant pour diffuser cette idéologie). Notons qu’en plus de sa simplicité explicative (en affinité avec l’idée corrélative assez prégnante de la religion comme aliénation) cette option présente l’avantage de permettre des actions de prévention bien plus aisées à mettre en place que les trois autres approches, qui nécessitent un travail à la fois plus complexe et sur le long terme. Évidemment, comme on l’a vu, les professionnels du social et de la santé mentale ne se satisfont pas de cette explication monocausale et sont attentifs aux conditions sociales, mais aussi au rôle des interactions. Certains d’entre eux y ajoutent la dimension de recherche d’idéaux.
15Une éducation à l’esprit critique est évidemment nécessaire, d’autant plus que la complexité des problèmes sociaux, géopolitiques, économiques et environnementaux rend très attractives des réponses simplifiées, sur le mode dualiste (les choses sont blanches ou noires), et que les réseaux sociaux favorisent fortement ces bulles cognitives. Néanmoins, comme on l’a déjà vu, ce traitement par une voie exclusivement (ou principalement) cognitive laisse de côté d’autres dimensions du rapport à l’expérience vécue, aux identités et à la complexité du social. Négliger ces dimensions peut donc contribuer à produire des effets non souhaités, en particulier renforcer la polarisation sociale et donc générer, de manière contre-productive, des éléments qui favorisent la « radicalisation ». C’est aussi, de facto, une forme discrète de discrimination religieuse, par le fait qu’il déforme négativement ce qu’est le rapport au religieux des personnes concernées.
Complexifier la lecture des identifications religieuses
16Pour aller plus loin dans cette réflexion, revenons brièvement sur le rapport aux identités religieuses. On peut considérer quatre pôles de l’identité religieuse (schématisé sur la figure 1 du chapitre 6), qui correspondent à la construction de soi, au dépassement de soi, au rapport aux références religieuses et à la relation à l’altérité. De manière pratique, dans l’éducation et la prévention, ils correspondent au développement, respectivement, de l’estime de soi ; de la capacité d’agir et de partager des valeurs ; de l’esprit critique ; de l’empathie et la capacité de penser la complexité et la pluralité.
17Si, comme on l’a déjà souligné, la formation à l’esprit critique est beaucoup développée (et c’est crucial), les trois autres dimensions le sont peu, ou de manière parcellaire (même si les professionnels du social et de la santé mentale peuvent y apporter une certaine attention). On peut provisoirement formuler le problème ainsi (des précisions seront apportées dans la partie suivante) : du point de vue des valeurs partagées, la focale sur la laïcité est quasi exclusive et peu de place est accordée aux valeurs des droits de l’homme, à l’égalité, à la fraternité, à la liberté et au respect de la différence. L’estime de soi se heurte à l’impossibilité d’exprimer et de discuter des éléments importants de son identité. L’empathie et la capacité de penser la complexité sont freinées par le manque de considération anthropologique pour ce à quoi les gens tiennent. La reconnaissance de ces trois autres dimensions (partage des valeurs, estime de soi, capacité de penser la pluralité) pourrait donc contribuer à une meilleure prévention, ainsi que plus largement à une action éducative et sociale plus adéquate.
Que peut apporter cette vision plus complexe ?
18Face aux défis de la polarisation, de la radicalisation et plus largement de la complexité du monde et des incertitudes du futur proche et lointain, la prise en compte des multiples dimensions de l’identité et de la radicalité peut permettre d’accroître ce que l’on peut qualifier de résilience sociale.
Qu’est-ce que la résilience sociale ?
19Le terme résilience est familier en tant que concept psychologique désignant la capacité d’individus de « rebondir » après une épreuve. Des sociologues se sont aussi emparés du concept pour définir une forme de « résilience sociale ». C’est ce qui nous intéresse ici. Il ne s’agit pas de nier l’apport de la psychologie, mais elle ne suffit pas pour réfléchir à la prévention et encore moins aux politiques publiques. Il s’agit donc de faire un pas de côté, en abordant la résilience de manière sociologique, et plus précisément interactionniste, donc relationnelle. Ainsi, des sociologues proposent de définir la résilience sociale comme « la capacité d’un groupe de personnes liées entre elles au sein d’une organisation, d’une classe, d’un groupe ethnique, d’une communauté ou d’une nation à maintenir, ou à faire progresser leur bien-être malgré les difficultés » (Hall & Lamont 201917). On parle donc de résilience sociale notamment après des crises économiques ou des catastrophes écologiques. Elle est, avant tout, une capacité collective et individuelle à agir dans un contexte difficile, que l’on analyse en prêtant attention à ce contexte et aux ressources disponibles et mobilisées18. En effet, l’individu et le groupe interagissent avec leur contexte social, qui leur offre des ressources, des opportunités, mais aussi des freins, dont le nombre et la nature sont très variables. En outre, cette approche permet de prendre en compte l’ensemble des acteurs (collectifs et individuels) concernés : sociaux, professionnels, religieux, etc.
Une hypothèse sur la capacité collective d’agir
20Mon hypothèse est que la résilience sociale ou la capacité collective d’agir face aux défis de la polarisation et de la radicalisation serait renforcée par une prise en compte plus pragmatique des identités religieuses. Le mot pragmatique peut certes être entendu dans son sens courant (pratique, ce qui est le cas dans de nombreux ajustements déjà à l’œuvre19). Cependant, il désigne d’abord ici une approche socio-anthropologique des interactions sociales qui fait place à l’expérience, à l’émotion, à la fabrique collective du commun et à la capacité ordinaire de construire collectivement des connaissances. Une application de cette approche aux identités religieuses a été présentée dans le chapitre 6, et on a ici rappelé les quatre pôles sur lesquelles elle s’appuyait (construction de soi, dépassement de soi, rapport aux références religieuses et relation à l’altérité). Il convient maintenant d’articuler ces quatre pôles à des modalités de résilience. Il ne s’agit évidemment aucunement d’esquisser un bilan des pratiques existantes dans le domaine de la prévention (ce qui serait en dehors de notre projet collectif et de mes compétences), mais plutôt, à partir des résultats empiriques de notre équipe et d’un travail analytique et théorique, de contribuer à esquisser des réflexions et des pistes, des attentions ou des inflexions possibles.
Décliner les rapports au religieux pour comprendre les régimes de résilience sociale
21On a déjà souligné que le religieux est souvent réduit à un contenu de croyance ou même à une idéologie dans les discours publics. De manière générale, on constate qu’un effort réel a été entrepris dans les programmes scolaires, mais aussi dans les formations de divers professionnels pour apporter des connaissances sur le religieux. Du point de vue de la formation scolaire, le religieux est principalement abordé à travers sa dimension historique et, de manière ponctuelle, littéraire et artistique. Les dimensions sociologique et anthropologique sont totalement absentes, alors qu’elles permettraient d’expliquer des interactions sociales, de comprendre l’attachement des individus à des pratiques, religieuses ou non, d’explorer le sens que peuvent prendre des symboles et des identités religieuses. L’état des lieux récent de l’enseignement du fait religieux à l’école dressé par l’historienne Isabelle Saint-Martin conclut à une impression d’« éclatement » et de « saupoudrage » (Saint-Martin 2019, p. 88) et regrette aussi le manque d’apports de la sociologie et de l’anthropologie20. Les formations professionnelles étant très diversifiées, il est difficile d’évaluer la place qu’y prennent les sciences sociales, mais elles n’y sont pas toujours absentes. Voyons maintenant ce qu’apporte une analyse socio-anthropologique de type pragmatiste, en partant des quatre pôles proposés.
22Concernant le pôle « estime de soi », le problème le plus patent est la peur des identités, qui sont en général considérées comme des obstacles à la citoyenneté et à la cohésion sociale. Elles ne sont donc quasiment jamais envisagées comme des supports positifs de construction de soi. Cela conduit, comme on l’a vu dans nos enquêtes (El Feki & Donnet supra), à ce que les adolescents s’autocensurent ou bien, comme le montrent d’autres enquêtes (Fondeville 2017), à ce que les affirmations identitaires provocatrices (rigoristes ou non) mettent les enseignants dans une position inconfortable, voire très réactive pour recadrer. Le type de rapport à la citoyenneté développé en France (mis en œuvre dans l’éducation scolaire, le travail social et culturel), en plus de viser à dépasser ces attachements, rend leurs expressions illégitimes et illicites. Ce point s’est encore accentué dans le contexte post-attentats à partir de 2015. D’une part, on néglige le rôle des répertoires imaginaires (non exclusifs) des groupes : religieux, ethniques, régionaux, nationaux, ainsi que la dimension composite des identités. D’autre part, la rareté des lieux d’échanges sur ces identités, qui permettraient de les explorer, d’en débattre, d’y réfléchir (en incluant le rapport à des idéologies) dans des « safe spaces », peut constituer une carence dans l’éducation des enfants et des adolescents, notamment s’ils sont issus de groupes « minoritaires ». Si, en outre, ce manque est associé à une image médiatique dégradée de l’identité, il peut produire un sentiment d’inégalité et d’injustice. Si ce manque n’est pas compensé dans d’autres espaces (familial, associatif, religieux), il peut contribuer à la construction d’une identité par différenciation, voire par polarisation. Le développement de l’estime de soi et la réflexion sur la construction de soi demandent des espaces de parole dans lesquels des positions atypiques et minoritaires pourraient se dire sans gommer des attachements identitaires (culturels, ethniques, religieux). Ces espaces pourraient se développer dans des lieux accessibles à tous, scolaires ou non21. Il y a finalement une forte contradiction intrinsèque à penser que l’« identité religieuse » et la « communauté » sont le problème, alors qu’elles font, au contraire, partie de la solution. Car une identité (avec ou sans dimension religieuse) affirmée, discutée et débattue est de nature à apporter de la confiance et de la souplesse dans la construction de soi de l’individu (et du groupe). Quant aux communautés établies, elles offrent un répertoire de ressources pour la construction de soi et un espace de débat sur les croyances et pratiques religieuses. Elles ont aussi construit une solide connaissance des types de rapports au religieux des jeunes et sont des espaces régulateurs de ces identités. Elles font donc de facto partie des acteurs de prévention.
23Concernant le pôle « dépassement de soi », il s’agit de prendre en compte les aspirations des jeunes, leurs rapports à des idéaux et à des engagements au nom de ces idéaux. Le concept d’idéal est ici défini comme des valeurs pour lesquelles on s’engage dans la durée et qui sont partageables avec d’autres (Dewey 2011 ; Lamine 2018a, p. 129). Dans cette perspective, le rapport aux valeurs n’est pas une affaire purement rationnelle, mais comporte aussi une dimension émotionnelle (Dewey 2011). Pour prendre un exemple hors du champ religieux, face à deux photos d’un glacier prises à quelques décennies d’intervalle, on éprouve une émotion de l’ordre de la tristesse, voire de l’anxiété, et, tout en même temps, on pense rationnellement aux effets de l’activité humaine sur le dérèglement climatique et de celui-ci sur les glaciers. Cette émotion contribue à être plus attentif et plus enclin à l’investigation et à l’action, elle renforce donc la rationalité. Cependant, le raisonnement courant voit les individus comme (devant être) purement rationnels, en ne laissant aucune place à cette dimension émotionnelle, et donc en négligeant le rôle de l’émotion et des attachements. D’une part, les attachements, ou, dit autrement, « ce à quoi l’on tient » (Dewey 2011), ne sont pas antagonistes à la rationalité. D’autre part, l’appui idéologique est un cas particulier et non la règle. On peut être attaché à des fêtes (Noël ou un aïd en famille, des anniversaires entre amis), à des manières de se nourrir (végétarien, sans porc, halal) ou de se vêtir (avec plus ou moins d’excentricité, de pudeur) indépendamment d’une éventuelle justification croyante ou idéologique. Rappeler cette dimension permet d’être attentif aux attachements ordinaires ainsi qu’à l’importance – notamment pour des adolescents et des jeunes – de s’engager pour une cause qui ait un sens et qui permette de se dépasser. L’anthropologue Scott Atran, qui a enquêté auprès de jeunes s’engageant dans l’extrémisme violent dans divers contextes nationaux, utilise le concept de « valeurs sacrées » et de « citoyen dévoué [à ces valeurs] » (Atran 2016) pour analyser ce qui motive un tel engagement. Du point de vue de la prévention, il affirme que : « les valeurs sacrées doivent être combattues par d’autres valeurs sacrées » et il présente des alternatives à développer pour ces jeunes : leur faciliter des occasions de « donner un sens à leur vie à travers la lutte, le sacrifice et la fraternité », leur offrir « des opportunités d’engagement personnel », « leur donner la possibilité de créer leurs propres initiatives locales » (Atran 2015). C’est certes ce que proposent certains projets pédagogiques ou d’animation sociale22, mais ils sont peu nombreux. Reconnaître la légitimité ordinaire des attachements et les aspirations des jeunes à s’engager pour des projets en lien avec leurs idéaux offre donc deux pistes émanant de ce pôle.
24Concernant le pôle « construction du commun et rapport à l’altérité », quels que soient les acteurs concernés (jeunes ou professionnels), il s’agit de penser au mieux la complexité et la pluralité, ce qui faciliterait la reconnaissance et l’empathie. Or, plusieurs « impensés » sur le religieux des jeunes s’avèrent être des obstacles qui pourraient facilement être dépassés par un regard plus socio-anthropologique sur les pratiques et les discours. D’abord, prendre conscience (et cela ne concerne pas que les jeunes) que la religion socialement acceptable est devenue celle du for intérieur (Asad 2003, p. 37-38 ; Lamine 2018a, p. 43-48), alors que, pour certains groupes, les pratiques ont une importance considérable (juifs ou musulmans pratiquants, chrétiens évangéliques, etc.). Ensuite, on considère que croire, c’est croire à 100 % alors que l’observation fine montre les fluctuations et les questionnements (Piette 2003). On a aussi déjà mentionné plus haut qu’une parole adolescente peut avoir une dimension réactive ou provocatrice sans renvoyer forcément à une opinion construite et solidifiée. Enfin, la vision courante de la rationalité, et de la religion comme idéologie, ne permet pas de considérer la modalité expressive contenue dans la croyance religieuse. Cela pousse à voir des oppositions (et à les accentuer plutôt qu’à les déconstruire), notamment entre science et croyance (Lamine 2018b), à un endroit où autre chose est en jeu. En effet, la modalité expressive n’est ni rationnelle ni irrationnelle, mais a-rationelle (Lamine 2018a, p. 31) : c’est celle de la personne qui dit « c’est beau » devant un paysage ou un tableau, ou bien « j’aime Dieu » dans son intimité ou en groupe. Ces divers éléments, articulés à la place prépondérante de la laïcité dans le discours normatif, impactent les possibilités de penser la complexité et de développer compréhension, reconnaissance et empathie face à l’altérité.
25Le quatrième pôle, celui du rapport aux références religieuses, est celui qui est, on l’a vu, le plus développé par les institutions. Il est d’ailleurs significatif que les documents officiels, lorsqu’ils évoquent la résilience, la réfèrent uniquement au rapport cognitif23. On peut certes mentionner des expériences originales restant dans ce cadre cognitif et favorisant la réflexivité et la flexibilité cognitive, comme le dispositif « Et si j’avais tort » développé au Québec et importé par des associations de prévention françaises (Dupont & Cordouan 2021). Une socio-anthropologie de la lecture du rapport aux références permettrait cependant d’admettre que les acteurs religieux n’adhèrent pas à 100 % aux livres qu’ils achètent, aux sites qu’ils consultent ou aux discours des imams et des prédicateurs qu’ils écoutent.
Une tension entre sécuritisation et protection des libertés
26Il faut enfin aussi rappeler le contexte d’un agenda politique autoritaire, que documentent de nombreux juristes. Certes, cet agenda n’est pas nouveau, il remonte à l’après 11 septembre 2001, mais il s’est progressivement renforcé et accéléré, dans un contexte de risque terroriste et de crise sanitaire24, comme le souligne Mireille Delmas-Marty (2021) : « Comme la sécurité n’est jamais parfaite, le rêve du risque zéro, qu’il s’agisse de terrorisme ou de pandémie, entraîne inévitablement une surenchère, voire une sorte d’hystérie législative qui relève plus de l’activisme que de l’action efficace. » La juriste avait auparavant pointé les contradictions de cette logique avec la protection des libertés dans l’état de droit :
[T]out protéger, en tout temps et en tous lieux, est non seulement impossible techniquement, mais marque aussi, comme on l’a vu, une rupture philosophique, contraire à l’idée même d’indétermination, donc de liberté individuelle, qui fonde le processus d’humanisation inscrit au cœur de l’État de droit. (Delmas-Marty 2010)
27Une autre juriste, Julie Alix, a analysé le processus de « criminalisation » : « La dangerosité est traitée comme une criminalité, […] quoi qu’il en coûte en termes de violation des droits fondamentaux » (Alix 2011). Plus récemment, elle conclut son analyse approfondie de la loi du 24 août 2021 et de son contexte administratif et législatif en s’interrogeant, elle aussi, sur la protection des libertés :
Peines, mesures de sûreté, mesures de police administrative et sanctions administratives sont entremêlées pour former un maillage étroit de contrôle autour de certaines personnes ou de certaines activités, participant à l’émergence d’un continuum répressif au sein duquel s’opère une fusion des répressions pénales et administratives. Une telle fusion alimente l’émergence d’un droit répressif de la sécurité dont le déploiement au sein des activités de culte et d’enseignement interroge : une telle répression est-elle conforme aux « principes de la République » ? (Alix 2022)
28En plus d’éclairer le contexte, ces apports non sociologiques offrent des éléments d’objectivation convergeant avec les dénonciations citoyennes de certains acteurs musulmans quant à la restriction des libertés religieuses ou à la « politique du soupçon » dont leur groupe fait l’objet.
29Des réflexions sociologiques, de nature à complexifier les formes d’intensités religieuses, auxquelles contribue notre recherche collective, apparaissent donc d’autant plus nécessaires dans ce contexte où les actes terroristes ont renforcé, outre l’inquiétude sociale vis-à-vis des musulmans, ces processus administratifs et juridiques autoritaires qui sont de nature à porter atteinte aux libertés. Le renvoi du religieux à une idéologie s’y avère une difficulté à la fois pratique, conceptuelle et législative.
30Notre approche relationnelle et pragmatiste apporte des outils permettant de complexifier la lecture du religieux et de comprendre la pluralité des formes d’intensités et de rapports à l’altérité. Le concept de résilience sociale, en mettant l’accent sur la capacité d’agir de tous les acteurs (jeunes musulmans, acteurs professionnels, acteurs religieux), articulé à une approche socio-anthropologique fine du rapport au religieux, est à même d’ouvrir des pistes de travail à la fois théoriques, analytiques et pratiques sur les phénomènes de polarisation sociale et de radicalisation et sur leur prévention.
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Notes de bas de page
1Ils ont été mobilisés avec succès dans nombre d’interventions et de formations de professionnels auxquelles nous avons participé.
2La plupart des membres de notre équipe interviennent régulièrement dans des formations au fait religieux pour ces publics, ce qui nous permet en retour de documenter les effets des politiques publiques dans ces secteurs.
3Les enquêtes menées par d’autres chercheurs sur les enseignants du primaire et du secondaire démontrent à la fois un pragmatisme permettant de résoudre nombre de situations pratiques (Vivarelli 2013) et un malaise persistant par rapport aux identités musulmanes. Comme le souligne Bozec (2020) : « Les représentations culturalistes de la religion musulmane se nourrissent d’une vision négative de la “communauté”, en décalage par rapport à la conception individualiste de la citoyenneté française. » Ce point explique l’évitement très fréquent de situations d’expression des identités et plus largement des questions ethnico-religieuses.
4« La polarisation est à la fois un état et un processus. La polarisation en tant qu’état fait référence à la mesure dans laquelle les opinions sur une question sont opposées par rapport à un certain maximum théorique. La polarisation en tant que processus fait référence à l’augmentation de cette opposition au fil du temps » (Di Maggio et al. 1996, p. 693). Le texte de référence dont est issu cette citation se réfère aux opinions politiques ; d’autres politistes ont élargi le concept de polarisation aux valeurs, par exemple celles des Européens (Bréchon 2014).
5Le fait que la radicalisation s’appuie (entre autres) sur de la différenciation ne doit évidemment pas être retourné, la différenciation n’implique nullement la radicalisation ; elle peut simplement être, dans des cas spécifiques, un des éléments qui la favorisent.
6Sageman documente historiquement les violences politiques et le terrorisme (de la Révolution française à l’aube de la Première Guerre mondiale) et qualifie ce processus d’« aggravation mutuelle des conflits » (mutual escalation of conflicts) (Sageman 2017, p. 371).
7Ces deux éléments sont aussi très visibles dans l’enquête de Khosrokhavar auprès de détenus pour terrorisme (2006, p. 311).
8Cette considération rejoint les résultats d’une enquête quantitative montrant que l’expérience de discrimination se corrèle avec « la perte de confiance dans les institutions et le changement de comportement résultant de l’interaction avec les politiques antiterroristes » (Ragazzi et al. 2018).
9Pour une analyse plus détaillée des divers types d’approches, voir l’article de synthèse de Crettiez (2016).
10Cette polarité explicative inclut les approches de Gilles Kepel (importance centrale des textes des idéologues jihadistes) et de Gérald Bronner (rationalité de l’extrémisme) (Kepel 2015 ; Bronner 2009).
11Le poids du facteur géopolitique est souligné par François Burgat (2005), alors que les travaux sociologiques de Fahrad Khosrokhavar sur la prison (2016) ou ceux, psychologiques, de Fethi Benslama (2016) sont attentifs à la marginalité.
12Notamment Roy (2016), Atran (2016), Bouzar & Martin (2016).
13Notamment Sommier (2012), Crettiez (2016), Bonelli & Carrié (2018).
14« Si l’idéologie n’a pas pour but de conduire l’acteur à user de la violence, elle peut, en revanche, servir de tremplin à l’engagement radical si le cadrage est mené de manière efficace et qu’il est accompagné de “l’apparition d’une énergique caisse de résonance multiple” » (Crettiez 2016, p. 716).
15 Peter Neuman distingue ainsi une approche cognitive de la prévention de la radicalisation (européenne) et une approche comportementale (centrée sur les actes et non sur le discours), plus fréquente dans les pays anglo-saxons (Neuman 2013).
16Cette possibilité est mise en évidence dans la typologie proposée par Bonelli et Carrié, avec le cas de la radicalité « agonistique », dont la logique correspond à la « provocation et revalorisation de soi dans les interactions avec les agents des institutions d’encadrement de la jeunesse » (2018, p. 72).
17Voir aussi leur ouvrage collectif (Hall & Lamont 2013).
18Ce terme a aussi été utilisé en sciences politiques : « La notion de registres de résilience permet de penser de manière contextualisée ce dont un individu peut disposer pour nommer, comprendre et protester (contre) ce qui lui arrive : nous avons tous, selon l’époque dans laquelle nous vivons et selon la place que nous occupons dans la société, une panoplie de moyens individuels ou collectifs pour interpréter les événements qui affectent notre vie et pour y porter remède » (Offerlé 2012, p. 85).
19Nombre d’acteurs professionnels (école, hôpital, armée, prison, etc.) s’ajustent ainsi aux situations, de la même manière que la très grande majorité des acteurs religieux (Lamine 2013).
20Saint-Martin écrit que « l’approche anthropologique ou sociologique permettrait de donner une vision plus problématisée de la question de l’appartenance ou de la non-appartenance religieuse dans la société française » (Saint-Martin 2019, p. 88), ce qui rejoint complètement nos analyses. Les travaux antérieurs d’un des co-auteurs du présent ouvrage sur la culture religieuse des adolescents français et allemands soulignaient aussi ce point (Michon 2014).
21Notons qu’une partie des réflexions développées ici rejoignent les conclusions d’une étude de synthèse sur la prévention menée à partir de soixante-treize articles, majoritairement psycho-sociologiques. Cette étude pointe notamment l’importance pour les jeunes d’avoir des lieux où discuter des identités et des idéologies et trouver des possibilités de s’engager (Stephens et al. 2019).
22Comme le montre, par exemple et de manière emblématique, le film de Marie-Castille Mention-Schaar Les Héritiers (2014).
23Voir Comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPDR), « Guide des bonnes pratiques en matière de contre-discours », octobre 2021, p. 21 ; « Guide interministériel de prévention de la radicalisation », mars 2016, p. 96. [En ligne] https://www.cipdr.gouv.fr/wp-content/uploads/2021/09/BVA-pour-CIPDR-Guide-des-bonnes-pratiques-en-matiere-de-contre-discours.pdf [archive] ; https://www.cipdr.gouv.fr/wp-content/uploads/2018/02/guide-interministériel-de-prevention-de-la-radicalisation-Mars-2016.pdf [archive]
24Les sociologues ajouteraient « et de surenchères électorales ».
Auteur
SAGE et Université de Strasbourg

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