Chapitre 1
Intervenir sur la radicalisation et le séparatisme
p. 32-57
Texte intégral
1Les professions de la santé mentale, du social et du médico-social se sont construites séparément au cours de l’histoire, mais possèdent des caractéristiques communes qui les rapprochent dans la manière dont elles ont été confrontées, à partir de 2014, à la lutte et à la prévention de la radicalisation et du séparatisme. Dans ce chapitre, nous chercherons à décrire cette confrontation et les effets de celle-ci sur l’éthos de ces professionnels (Serre 2009). Il s’agira de comprendre en quoi la mobilisation des professionnels dans la nouvelle politique publique s’inscrit dans une hiérarchie des risques et révèle des stratégies de redéfinition des rôles.
2Dans l’introduction de cet ouvrage, nous avons rappelé comment l’extension progressive de l’antiterrorisme mobilise un nombre d’acteurs toujours plus grand dans la lutte et la prévention de la radicalisation et du séparatisme (Donnet 2020). À partir d’une enquête de terrain de plus de cinq ans auprès de professionnels de l’action sociale et de la santé mentale, ce chapitre analyse leurs registres d’action dans une politique fortement contrainte par la définition sécuritaire du problème public. En s’appuyant sur une sociologie des professions, sur l’analyse des discours et de l’éthos professionnels défendus par celles-ci, il décrit les conflits, les ressources et les stratégies mobilisés pour conserver une certaine autonomie.
3Dans un premier temps, je reviendrai sur les spécificités des métiers étudiés qui expliquent leur difficile enrôlement dans la politique publique. Il s’agira par conséquent d’aborder ces métiers de la relation (Demailly 2008) et leur cadre d’intervention dans la lutte et la prévention de la radicalisation. Dans un second temps, j’aborderai les stratégies de ces acteurs en situation et leurs discours. Cela permettra de faire apparaître un tableau plus complexe que ne le laisse imaginer le cadre prescrit. En conclusion, je décrirai l’apparition d’un « système de défiance » au cœur duquel chaque acteur mobilisé cherche à asseoir sa légitimité.
Méthodologie de l’enquête
4L’enquête s’appuie sur une immersion de cinq ans auprès d’acteurs de terrain engagés sur les questions liées à la radicalisation. Mobilisé en tant que sociologue d’une école de travail social dans de nombreux projets de prévention, d’accompagnement et de formation sur ces questions, il me fut possible d’accéder à de nombreux échanges, d’entrer en relation avec de nombreux acteurs de cette politique publique. Il s’agit tout d’abord d’acteurs de l’action sociale et de la santé mentale (éducateurs spécialisés, assistants de service social, pédopsychiatres, médiateurs, psychologues) travaillant pour des associations, des collectivités (département, commune). Il s’agit aussi d’acteurs de la sécurité publique (policiers, agents de la préfecture, agents des services de renseignements territoriaux et de la DGSI) et de la justice (chargés de mission, procureurs, magistrats des tribunaux d’instance).
5Deux terrains d’enquête ont fait l’objet d’une observation plus approfondie :
La mise en œuvre entre 2016 et 2020 de réseaux territoriaux de la prévention de la radicalisation dans une grande métropole de la région Grand Est. Ces réseaux cherchent à mobiliser les professionnels d’un territoire (travail social, Éducation nationale, Protection judiciaire de la jeunesse, commune, associations…) sur la prévention de la radicalisation. Ces réseaux sont mis en œuvre par la commune.
Le réseau régional Virage (Violence des idées, ressources et accompagnement Grand Est) qui propose des actions de prévention, de formation et d’accompagnement pour les personnes concernées par la radicalisation par des professionnels de la santé mentale. Ce réseau est financé par l’Agence régionale de santé et s’adresse particulièrement aux professionnels de la santé et de l’intervention sociale.
6Cette immersion basée sur une méthodologie rigoureuse a permis de collecter deux types de données de terrain à partir de la participation observante et d’entretiens.
La participation observante
7Être à la fois acteur d’un terrain d’étude et observateur de celui-ci est une situation classique qui a fait l’objet de nombreux travaux et qui constitue l’un des fondements mêmes de la réflexion ethnographique. La méthode de la participation observante semble tout à fait adaptée à cette situation (Soulé 2007). Éloignée de l’idée d’un observateur neutre présent dans l’observation participante, la participation observante place la subjectivité du chercheur, au cœur du dispositif de recherche. Cette subjectivité est partagée par le chercheur avec les acteurs rencontrés. Il n’était ainsi pas rare que les acteurs rencontrés durant l’enquête aient assisté, quelques jours auparavant, à une formation, une conférence ou participé à un projet que je coordonnais sur les questions de radicalisation. Cette implication constituait une position privilégiée pour accéder aux terrains, au lieu de « pouvoir », mais amenait aussi un rapport particulier avec les personnes enquêtées. En effet, alors que nous étions souvent considéré comme « celui qui sait », les personnes rencontrées me renvoyaient souvent au statut de « sachant », craignant de « dire des bêtises ». L’immersion au long cours sur le terrain a toutefois permis, dans la majorité des situations, de dépasser ce biais méthodologique.
8Les observations se sont déroulées entre avril 2016 et décembre 2021. Il est possible de les regrouper en cinq grandes catégories : les actions de formation, les projets de prévention, les projets internationaux, la participation à des instances institutionnelles (comité d’éthique, réunion de partenaires), la participation à des événements liés à la recherche (séminaire, colloque). L’ensemble de ces événements a été retranscrit dans un carnet de terrain.
Les entretiens semi-directifs
9De manière plus traditionnelle, les observations réalisées dans le cadre des différents événements décrits ci-dessus ont été complétées par des entretiens semi-directifs auprès de professionnels de l’action sociale et de la santé mentale. Dix-sept professionnels ont été interrogés1. Dix de ces professionnels exercent un métier du travail social (éducateur spécialisé, assistant de service social ou conseiller en économie sociale ou familiale), deux d’entre eux exercent un métier dans le secteur de l’éducation populaire (animateur socioculturel), deux d’entre eux sont fonctionnaires territoriaux et trois d’entre eux exercent d’autres types de métier (professeur ou chargé de mission).
10L’ensemble de ces données a fait l’objet d’une analyse qualitative basée sur les principes de la théorie enracinée (Corbin & Strauss 2004). Les catégories d’analyse ont été développées tout au long de l’enquête par un aller-retour entre les données empiriques et la théorisation. Le logiciel d’analyse ATLAS.ti a été utilisé pour systématiser ce processus.
Une profession en crise
Crise de légitimité et recherche d’autonomie
11Depuis plusieurs décennies, les « métiers de la relation », comme les appelle Lise Demailly (2008), sont marqués par une crise (Autès 1996 ; Dubet 2002). L’enrôlement de ces acteurs dans la politique publique de lutte et de prévention contre la radicalisation révèle et cristallise de nombreux aspects de cette crise multifactorielle. On peut distinguer deux facteurs principaux qui sont une crise de légitimité et une crise d’autonomie.
12Crise de légitimité tout d’abord, lorsqu’en 1972, la revue Esprit publie un numéro intitulé « Pourquoi le travail social ? », Michel Foucault, Jacques Donzelot et d’autres définissent alors le travail social à partir de sa mission de « contrôle social » : « Surveiller les individus, et les corriger dans les deux sens du terme, c’est-à-dire les punir ou les pédagogiser. » (Domenach et al. 1972, p. 695). Cette critique trouve un écho très fort dans la profession, définie alors comme agent du « contrôle social », ce qui l’obligera à s’interroger sur le paradoxe émergeant du conflit entre son mandat institutionnel de contrôle social et son mandat relationnel d’émancipation.
13Le rapport à l’institution cristallise ainsi une seconde crise, celle de l’impossible autonomie du travail social, à la fois vis-à-vis de l’institution qui le mandate et face aux disciplines universitaires qui le traversent. En premier lieu, le travail social entretient un rapport ambigu face aux institutions qui le financent et le mandatent (Trepos 1992, p. 164). Dans l’impossibilité de couper la main qui les nourrit, les professionnels cherchent en permanence à s’en distinguer manœuvrant aux marges dans un cadre institutionnellement contraint. En second lieu, la recherche d’autonomie est disciplinaire. Discipline non reconnue par l’université2, « le travail social ne construit pas ses savoirs, il les importe » (Autès 1996, p. 6). Soumis aux paradigmes d’interprétations de nombreuses disciplines (sociologie, psychologie, sciences de l’éducation), le travail social entretient une relation paradoxale avec les savoirs universitaires qu’il ne cesse de mobiliser tout en les critiquant, les considérant comme trop éloignés du « terrain ».
14Face à cette double crise, le travail social a développé au cours de son histoire un éthos professionnel qu’il est possible de définir, avec Alain Jorro, comme un principe organisateur de pratiques qui « structure l’orientation de l’action, qui fonde un type de discours et d’action en relation avec les normes et usages du métier visé » (Jorro 2009, p. 14). Cet éthos se cristallise autour de trois concepts clés : la relation, le partenariat et la déontologie3. Ces trois concepts ont permis aux travailleurs sociaux de se distinguer et de répondre à l’accusation de contrôle social et à l’absence d’autonomie. Mais, aujourd’hui, la participation aux missions de lutte et de prévention de la radicalisation et du séparatisme réactive la crise et les oblige à développer des pratiques de « braconnage » visant au maintien de l’autonomie4.
Lutter et prévenir la radicalisation, la place des professionnels
15Comme indiqué dans le chapitre introductif, les métiers de la relation occupent une place centrale dans la mise en œuvre de la politique publique. On peut distinguer trois niveaux de cette dernière (Andersen 2015). Le premier niveau est celui de la prévention : différents publics sont sensibilisés aux risques de radicalisation. Le second relève de la détection et met en œuvre un dispositif de signalement des individus engagés dans un processus de radicalisation à partir de signaux forts et faibles (Puaud 2018). Le troisième niveau a trait à la prise en charge et regroupe les différentes modalités de traitement des situations avérées de radicalisation (détention, accompagnement, suivi psychologique).
16Les travailleurs sociaux interviennent à chacun de ces niveaux5. En matière de prévention, le plan national « Prévenir pour protéger » présenté par le Premier ministre le 23 février 2018 consacre une section entière à « encourager l’implication des professionnels de la santé, du travail social et du droit des femmes ». Il insiste sur le développement d’actions de prévention, sur la formation des professionnels et sur le contrôle des acteurs de la prise en charge. En matière de détection, sujet extrêmement sensible sur lequel je reviendrai, les professionnels sont appelés à signaler les individus suspectés de radicalisation sur des critères ayant évolué au fil du temps. De nombreuses critiques ont émergé notamment au regard du respect du secret professionnel et de la confidentialité, qui sont au cœur des métiers de la relation. Enfin, en matière de prise en charge, le développement de dispositifs d’accompagnement et de suivi des « personnes radicalisées » fait très largement appel à ces métiers. Il s’agit principalement des éducateurs spécialisés, des assistantes sociales, des psychiatres et des psychologues. À cet égard, la création des « binômes de soutien » par le ministère de la Justice en 2015 est intéressante. L’administration pénitentiaire crée ces binômes composés d’un psychologue et d’un éducateur spécialisé, chargé du suivi, durant l’incarcération puis à leur sortie en milieu ouvert, d’individus condamnés pour des faits de radicalisation (Mengual 2018)6. Le réseau Virage présenté ci-dessus se compose quant à lui de deux assistantes sociales, de deux psychologues, d’un pédopsychiatre, d’un thérapeute familial et d’une médiatrice interculturelle. En plus des professionnels de la sécurité publique, les agents de l’action sociale et de la santé mentale sont donc largement mobilisés dans ces dispositifs.
17Cette mobilisation a fait l’objet d’un certain nombre de recherches, notamment les ouvrages et articles de l’anthropologue David Puaud et du sociologue Lionel Clariana, consacrés au travail social et plus spécifiquement à la protection de l’enfance. Ce dernier retrace l’évolution des interventions socio-éducatives d’une visée émancipatrice à une normalisation des comportements et en particulier des pratiques religieuses (Clariana 2017, p. 191). David Puaud décrit quant à lui la façon dont la prévention de la radicalisation oblige l’administration sociale à développer des « dispositifs de sécurité » qui visent la mise en conformité des citoyens à une « bonne religion », à une religion « normalisée » (Puaud 2018, p. 65). Dans la littérature internationale, les mêmes questionnements émergent autour de l’implication du travail social dans une politique de sécurité publique7.
18Cette politique publique s’appuie sur les ressources propres à chaque territoire pour déployer l’arsenal de mesures décidées au niveau national. L’innovation principale étant, comme déjà mentionné, la délégation d’un pan important de l’accompagnement, de la détection et de la prévention de la radicalisation à des acteurs de l’intervention sociale. Ce phénomène est ainsi décrit par le politologue Francesco Ragazzi :
Bien que les professionnels de l’antiterrorisme, en France, se gardent bien de vouloir distinguer le « bon musulman du mauvais musulman » […], la logique de la lutte contre la radicalisation ne leur laisse pas d’autre choix. […] Avec l’instauration des systèmes de dépistage de la radicalisation, les professionnels de la sécurité tentent par ailleurs de déléguer cette tâche difficile non seulement à leurs collègues des autres corps de police, mais également à un grand nombre de professionnels dont ce n’est pas, a priori, la fonction (enseignants, travailleurs sociaux ou les personnels hospitaliers). (Ragazzi 2014, p. 38)
Communautarisme et séparatisme, une place à trouver ?
19Dans le prolongement de la lutte contre la radicalisation, le concept récent de lutte contre le séparatisme étend le spectre des comportements dans le viseur de la puissance publique. La loi du 24 août 2021 « confortant le respect des principes de la République » touche ainsi les professionnels de la relation à plusieurs niveaux. Pour les agents de la fonction publique territoriale, cette loi renforce notamment le pouvoir de contrôle du préfet sur les « atteintes à la laïcité et à la neutralité » commises par une collectivité territoriale. Ce renforcement du contrôle de l’État restreint l’autonomie des collectivités dans la gestion des affaires cultuelles. Pour les salariés d’association, forme juridique majoritairement empruntée dans l’intervention sociale, la loi renforce l’encadrement des financements publics par la signature d’un « contrat d’engagement républicain ». Ce contrat engage les bénévoles, les administrateurs et les salariés de ces structures. Les termes du contrat ne posent a priori aucun problème aux associations, puisqu’ils ne font que confirmer les valeurs inhérentes du travail social (dignité, égalité homme-femme, liberté de conscience, etc.). Ils laissent toutefois une plus grande place au risque d’arbitraire dans le retrait de financements et la dissolution des associations.
20Pour le moment, la loi et les circulaires d’application se contentent d’un contrôle accru de l’État sur le secteur social et médico-social. Cependant, à l’heure actuelle (mars 2022), les professionnels ne sont pas encore officiellement mobilisés sur la lutte contre le séparatisme. Ils constatent toutefois les premières demandes d’information ou de contrôle sur des associations cultuelles ou culturelles suspectées de séparatisme ou de communautarisme. Ainsi, une directrice d’association me fait part de sa surprise lorsque, lors d’une négociation du renouvellement des subventions de sa structure par la préfecture, son interlocuteur lui demande, en échange d’une augmentation de l’enveloppe budgétaire, de nouer des liens avec l’association turque du quartier. La préfecture s’inquiétait alors du « repli communautaire » de celle-ci (extrait du carnet de terrain, 18 février 2021). La question de l’implication des professionnels dans la lutte contre le séparatisme n’est donc pas encore directe. Elle performe cependant, j’y reviendrai, la lecture par les professionnels de certaines situations.
Trouver son autonomie et redéfinir les rôles
21J’ai décrit ci-dessus la crise de légitimité au cœur de laquelle se trouvent actuellement les métiers du social et de la santé mentale. Leur mobilisation dans les politiques publiques se heurte donc à ce contexte. L’enjeu principal est celui de la conservation d’une autonomie dans la définition du problème public posé par la radicalisation. L’enquête permet de distinguer quatre aspects essentiels de cette quête d’autonomie. La première est celle de la définition du problème, les trois autres mobilisent les trois concepts clés développés par le travail social pour revendiquer sa singularité : la déontologie, la relation et le partenariat.
Redéfinir le problème
22La redéfinition du problème public est le premier aspect essentiel de cette recherche d’autonomie. La « configuration narrative » autour de laquelle s’est cristallisé le discours public sur la radicalisation met en récit un triple problème : celui de la sécurité publique, celui de l’islam et celui des valeurs de la République (Cefaï 1996). Le terrorisme, la radicalisation ou le séparatisme sont perçus à travers ces trois prismes. Le champ sécuritaire, tout d’abord, imprime les discours politiques et médiatiques sur ces objets dans une logique que Romain Sèze décrit comme l’« extension d’un paradigme sécuritaire au champ de l’antiterrorisme, selon des logiques comparables à celles qui ont prévalu lors de son apparition dans les politiques de gestion de la délinquance, et dans la continuité desquelles elle s’inscrit » (Sèze 2019, p. 207). La centralité du djihadisme est le second problème public que cherche à construire la politique publique. La radicalisation est avant tout comprise comme un phénomène lié à l’islam. Les valeurs de la République, troisième aspect de la configuration narrative, sont quant à elles mobilisées dès les premiers attentats à la fois comme victimes de ces derniers, mais aussi comme solutions8. Le plan de prévention de la radicalisation de 2018 ou la loi d’août 2021 « confortant le respect des principes de la République » témoignent de cette place centrale accordée aux valeurs de la République.
23Sur ces trois aspects, les professionnels du social et de la santé mentale proposent des définitions alternatives et redéfinissent le problème public. La définition sécuritaire du problème public est le premier aspect sur lequel ils réagissent. C’est ce qu’exprime Irène9, assistante sociale et conseillère territoriale :
On n’est pas dans les mêmes enjeux, nous, l’évaluation sociale pour une personne, pour un individu, qu’il soit enfant ou adulte vulnérable, c’est cet individu qu’il est nécessaire de protéger, c’est pas l’ensemble de la population, c’est d’autres services qui s’en chargent. Et nous, travailleur social, être à l’origine, contribuer à informer ou transmettre des informations, peut-être au détriment de cette personne à protéger, pour protéger toute une population, c’est pas que le travailleur social refuse de protéger, mais son intervention c’est avant tout protéger une fratrie ou une cellule familiale. (Irène, assistante sociale, conseillère territoriale, conseil départemental, 54 ans)
24La définition sécuritaire du problème – « la radicalisation est un problème de sécurité publique qui nécessite d’être réprimé » – est critiquée à partir d’une définition alternative : « La radicalisation est un problème de vulnérabilité qui nécessite d’être accompagnée. » Dans les deux cas, le problème est reconnu, mais le « régime de justification » (Boltanski & Thévenot 1991) de l’action publique est modifié.
25Le second aspect de la définition alternative du problème public critique la focalisation sur l’islam. Il s’agit d’un aspect récurrent de l’enquête :
Au départ, j’étais un peu mal à l’aise avec le fait qu’on parle de radicalisation islamiste, parce que j’avais peur que ce soit un peu stigmatisant… Et que, quand on parle de radicalité… Pour moi, tout ce qui est radicalisation, c’est la légitimation de la violence pour une cause. Que ce soit une cause portée par… des djihadistes, ou encore des identitaires d’extrême droite, ou que sais-je. (Pierre, chargé de mission, agent de la fonction publique territoriale, 35 ans)
26Lors de rencontres avec des acteurs de la sécurité publique, le lien avec la définition sécuritaire du problème est évident, la justification de la focalisation sur l’islam étant directement reliée aux attentats terroristes qui sont majoritairement soutenus par des revendications djihadistes. Les intervenants sociaux proposent quant à eux une définition plus large de la radicalisation, prenant en considération l’ensemble des mouvements sociaux mobilisant une idéologie et justifiant le recours à la violence.
27Le troisième et dernier aspect concerne le recours aux valeurs de la République. J’ai décrit la mobilisation des valeurs et des principes de la République comme axe principal de la prévention de la radicalisation. Dans la définition du problème public, la défense et la promotion de la citoyenneté et des valeurs de la République, véritable « totem » républicain (Puaud 2018) sont les outils principaux de prévention. La définition sous-jacente est la suivante : « La radicalisation émerge d’un manque de compréhension et de défense des valeurs de la République, il faut donc les promouvoir pour prévenir la radicalisation. » La mise en œuvre, après les attentats de Charlie Hebdo, de la formation « Valeurs de la république et laïcité » à destination de l’ensemble des professionnels de l’éducation et du social10 témoigne de cette définition du problème public.
28À nouveau, les intervenants sociaux s’opposent à la mobilisation exclusive de ces valeurs. La grande majorité des professionnels interrogés ont participé à ces formations ou sont eux-mêmes formateurs. Il s’agit même pour certains du cœur de leur mission. C’est le cas de Marie, référente citoyenneté et laïcité à la Protection judiciaire de la jeunesse :
Parler des valeurs de la République à une jeune qui sait que ses parents n’auront jamais le droit de vote, c’est personnel comme point de vue, mais ça marche pas bien bien. Pourtant c’est un peu là qu’on a voulu nous emmener. Et j’ai l’impression, l’avenir nous le dira, qu’on commence à faire un pas de côté en se disant c’est peut-être pas ça qu’il faut viser. (Marie, référente laïcité et citoyenneté, Protection judiciaire de la jeunesse, 50 ans)
29Les professionnels interrogés mobilisent une conception alternative de la prévention en fonction de leur métier et du secteur dans lequel ils l’exercent. De nombreux professionnels expriment ainsi la dimension positive de l’engagement radical d’une jeunesse que l’on réduit souvent à son apolitisme :
Je sais pas si c’est pas bien. La radicalisation, c’est aussi un signe d’engagement, alors peut-être un peu trop fort à un moment. […] C’est la violence ensuite derrière et l’utilisation de cette radicalité par des mecs un peu pervers qui est gênante. (Eddy, éducateur de prévention spécialisée, association, 50 ans)
30Il ne s’agirait donc pas tant d’un défaut de citoyenneté que d’un trop-plein d’engagement et de valeurs. On retrouve ici la critique exprimée par de nombreux chercheurs sur la dépolitisation de la radicalisation (Guibet-Lafaye & Rapin 2017). La première stratégie d’opposition des professionnels de l’intervention sociale et de la santé mentale est donc de redéfinir le problème public de la radicalisation en remettant en cause l’approche sécuritaire, centrée sur l’islam et promouvant les valeurs de la république. Ils proposent une définition alternative, centrée sur les vulnérabilités sociales et psychiques des jeunes qu’ils accompagnent et sur les idéologies porteuses de radicalisation, et prennent en considération la dimension politique de cet engagement. Cette redéfinition illustre la recherche d’autonomie et de légitimité des professionnels qui s’appuient pour cela sur les concepts clés de leur secteur.
La déontologie comme ressource
31Parmi les ressources mobilisées par les professionnels de la relation dans leur lutte pour la légitimité et l’autonomie, la déontologie occupe une place centrale :
Socle commun de règles et d’obligation […], une déontologie est là pour éclairer les praticiens dans leur décision et les guider dans l’action. Loin d’être un carcan qui les asservit et les enferme, elle est un guide pour assumer une responsabilité en acte, pour trouver des réponses à ce qui ne va plus de soi ou à ce qui n’est jamais allé vraiment de soi. (Prairat 2007, p. 96-97)
32En ce sens, j’appréhenderai la déontologie non comme une règle fermée, mais comme une ressource propre aux professionnels. Mobilisée en acte, la déontologie fait l’objet de typification à l’intersection des expériences biographiques et de l’interprétation de l’expérience vécue. Dans les métiers du social et de la santé, la déontologie est encadrée juridiquement à partir des concepts de secret professionnel, de devoir de discrétion et de confidentialité11. Elle constitue un aspect important de l’éthos professionnel de ces métiers. Tout au long de l’enquête, la mobilisation répétée de la déontologie dans les confrontations avec les services de sécurité fut déterminante :
Ils ne comprennent pas le sens du soin, la police a la main sur les hospitalisations. Les RT [renseignements territoriaux] sont secret défense, la justice soumise au secret de l’instruction, mais, par contre, on demande aux gens soumis aux secrets pro de tout dire ! (Hervé, psychiatre, 40 ans, extrait du carnet de terrain, 25 octobre 2020)
33Les professionnels de la protection de l’enfance, soumis également au secret professionnel et mobilisés dans l’accompagnement de mineurs signalés pour radicalisation, s’interrogent sur les informations qu’il convient de transmettre aux forces de l’ordre ou aux préfectures.
On en revient à nos débuts à quelque chose qui est transversal à nos professions, qu’est-ce qu’on dit à l’enseignant pour qu’il comprenne qu’on est inquiets, qu’est-ce qu’on peut dire à la famille en transparence, c’est des questions qui se posent continuellement, de manière transversale dès lors qu’on touche à la vie privée et des actes qui peuvent être violents, répréhensibles. Je pense que là [sur la radicalisation] il faut qu’on apprenne un nouveau positionnement sur cette thématique. Moi-même qui suis assez secret pro, il y a des situations où je me dis qu’est-ce qu’on a à mettre en avant en premier ? (Brigitte, assistante sociale, cheffe de service, conseil départemental, 57 ans)
34La déontologie apparaît donc comme une ressource permettant de rétablir une certaine légitimité dans un rapport de pouvoir, souvent considéré par les travailleurs sociaux comme asymétrique, avec les services de sécurité. La déontologie constitue aussi l’étalon à partir duquel sont évaluées les pratiques des acteurs impliqués dans la politique publique. Les remontées systématiques de comportements jugés inquiétants par l’institution scolaire font ainsi l’objet de nombreuses critiques de la part des professionnels du social et de la santé mentale. Ils estiment que ces signalements nuisent à l’instauration d’une relation de confiance, condition sine qua non, pour eux, d’un accompagnement de qualité (Donnet 2020).
Relation de confiance et radicalisation
35Rappeler que la relation est un concept essentiel des métiers de la relation semble aller de soi. Pourtant, chacun des professionnels rencontrés l’évoque pour décrire et justifier son action sur les questions de radicalisation. Le « travail sur autrui » (Dubet 2002) des professions sociales et de santé mentale nécessite l’instauration d’une relation de confiance que le cadre de la politique publique de lutte contre la radicalisation et contre le séparatisme rend compliqué. L’urgence des situations de radicalisation et la crainte des attentats modifient profondément le cadre de la relation d’accompagnement dans lequel ils ont l’habitude d’évoluer. Comment nouer une relation de confiance avec un individu qui pourrait commettre un attentat ? Comment travailler sur des situations pour lesquelles les services de sécurité demandent une remontée d’information ? Autrement dit, comment ne pas devenir de simples « auxiliaires de police » (Puaud 2018, p. 193) ? Face à ces questionnements, les professionnels développent des pratiques de « braconnage » (De Certeau, id.). Sur un terrain qu’ils n’ont pas défini et sur lequel ils se sentent étrangers (la politique publique), ils s’aménagent des espaces de liberté à chaque étape de l’accompagnement : l’entretien et la transmission d’informations.
Clairement autour de cette politique publique j’ai l’impression que les gens sont dans la terreur, ils sont dans la panique… Il faut signaler, détecter, balancer. Moi, ça me convient pas. C’est pas comme ça qu’on va guérir la France. Car j’ai l’impression que comme ça on va fabriquer des terroristes et on va passer à côté de choses plus importantes. Pouvoir accompagner un jeune… J’essaie de pas faire de distinction finalement avec ce que je fais par ailleurs [hors accompagnement radicalisation]. […] Je me dis ils sont déjà pris dans quelque chose d’ultra compliqué et je peux les accrocher, les accompagner. (Imane, chargée de mission radicalisation, association, 35 ans)
36Le moment de l’entretien, souvent en face à face, lors duquel se joue la relation d’accompagnement, s’inscrit dans une politique publique qui interroge nombre de professionnels, mais qui offre un espace de liberté dans lequel le professionnel seul définit la relation. Dans l’extrait, Imane cherche à définir la situation d’accompagnement en dehors de la problématique de la radicalisation. Il ne s’agit pas tant d’un jeune « radicalisé » que d’un jeune « vulnérable » qui a besoin d’accompagnement. L’oxymore reste cependant omniprésent tant le cadre de l’entretien est contraint par la logique sécuritaire et le risque terroriste :
La difficulté la plus grande, c’est quand le lien se casse entre guillemets avec le jeune, enfin, tu vois, je n’ai pas la prétention de pouvoir déradicaliser les gens, mais c’est important de garder le lien et suivre l’évolution du jeune. Et quand tu arrives plus à accrocher, c’est compliqué, car, d’une part, c’est frustrant, mais ça, c’est juste le boulot, mais surtout t’as peur. Tu vois t’as peur d’un jour entendre parler d’elle, de lui [lors d’un attentat], ça, c’est flippant. (Ibid.)
37Le maintien du lien créé par la relation d’accompagnement est le cœur de métier des professionnels de la relation. La crainte de perdre ce lien est omniprésente et explique les pratiques de braconnage réalisées à tous les niveaux de la politique publique. Dans la prévention, par exemple, lorsque les professionnels cherchent à diversifier les formes de radicalité et critiquent à demi-mot la politique publique ; dans l’accompagnement ensuite, comme nous venons de le comprendre avec Imane, lorsque la question de la radicalisation s’efface au profit d’un accompagnement social ou psychologique plus classique ; et enfin sur la transmission d’informations à la justice ou aux services de sécurité. Ces pratiques peuvent prendre la forme de refus de transmission, comme explique Jacqueline : « Parce que nous, on ne souhaitait pas être identifié comme un transmetteur d’informations pour bien rester sur la question de l’accompagnement. » (Jacqueline, assistante sociale, Éducation nationale, 57 ans) Les transmissions d’informations peuvent aussi être partielles, c’est-à-dire ne concerner qu’une partie des informations issues de l’accompagnement. Ces pratiques de braconnage construisent donc un espace d’autonomie que les professionnels cherchent à préserver de l’emprise des institutions qui dominent la politique publique (justice, préfecture, pénitentiaire). Ces institutions constituent de nouveaux interlocuteurs qui réinterrogent le troisième pilier des métiers de la relation : le partenariat.
Partenariat ou colonisation du monde vécu ?
38Nous l’avons rappelé, le travail en partenariat est l’un des socles de l’intervention sociale. Il constitue un domaine à part entière des formations des travailleurs sociaux et un concept redondant de leur discours et de leur pratique. Le quotidien de ces professionnels est marqué par des rencontres avec de nombreuses institutions et professions avec qui ils interagissent dans l’intérêt des personnes accompagnées. Habitués à composer avec des corps de métier et des institutions diverses dont les missions peuvent être éloignées des leurs, les professionnels s’adaptent aux exigences du partenariat et aux transactions qu’elles nécessitent (Blanc et al. 2016). Dans la prévention et la lutte contre la radicalisation et le séparatisme, un nouveau type d’acteurs et d’enjeux est impliqué. Il s’agit des services de renseignement et de police, des préfectures et des tribunaux de grandes instances. Ces nouveaux interlocuteurs ne sont pas entièrement étrangers aux métiers de la relation, qui travaillent avec des juges des enfants et la police dans la protection de l’enfance ou dans le cadre de la prévention de la délinquance ou de la toxicomanie. Toutefois, l’ensemble des professionnels rencontrés constatent une différence, qu’exprime Irène ici :
Quand il s’agit de délinquance ou de réseaux de toxicomanie, les réseaux de gendarmerie sont collaborants. Je veux dire, sans divulguer d’information, ils vont être en capacité de nous aiguiller dans des directions… Je veux dire y a… y a un vocabulaire qui permet de comprendre ce qui se fait. Là, au niveau sécurité publique, y a rien. Tout le monde soupçonne tout le monde et personne ne va pouvoir communiquer. En fait, on fait pas confiance quoi. (Irène, assistante sociale, conseillère territoriale, conseil départemental, 54 ans)
39Il n’y a pas d’unanimité sur l’effet de ces nouveaux partenariats. Certains professionnels y voient une chance de faire évoluer leur pratique : « Mais du coup, c’est venu bousculer un peu plus les pratiques professionnelles et on est revenus dans quelque chose de beaucoup plus sain. […] Et aussi sur le travail en partenariat, ça redynamise pas mal les choses. » (Marie, référente laïcité et citoyenneté, Protection judiciaire de la jeunesse, 50 ans) D’autres au contraire refusent ces nouveaux partenaires : « Il n’y a pas de raison qu’on travaille avec la préfecture sur les questions qui nous concernent habituellement. » (Jacqueline, conseillère technique, assistante sociale, Éducation nationale, 57 ans) D’autres enfin, comme Irène ci-dessus, s’insurgent contre l’asymétrie des relations qui existent entre partenaires. Tout au long des cinq années d’enquête, j’ai cependant pu constater que la proximité avec les services de sécurité modifiait le discours et les pratiques de nombreux professionnels.
40L’enjeu sécuritaire de la prévention du « séparatisme islamiste » ou de la radicalisation contraint et « colonise », au sens d’Habermas, l’agir professionnel des agents de l’intervention sociale. Le concept de « colonisation du monde vécu » décrit le processus d’instrumentalisation d’une réalité par des impératifs propres à des sous-systèmes autonomes (ici les services de sécurité) : « Les impératifs des sous-systèmes devenus autonomes affluent de l’extérieur dans le monde vécu – comme les maîtres de la colonisation dans les sociétés tribales – et s’assimilent à lui par la force. » (Habermas 1987, p. 391) En somme, l’impératif sécuritaire colonise l’action sociale en imposant un discours et une définition du problème. L’omniprésence du lexique sécuritaire de la radicalisation dans le discours des travailleurs sociaux, les notions de « signaux faibles » (Alloing & Moinet 2017), d’AMT (association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste), de renseignements, etc., émaillent les entretiens et témoignent de la domination du lexique sécuritaire sur le lexique social.
Système de défiance et reconnaissance
41Cette enquête aboutit au constat de l’émergence d’un système de défiance généralisée. Celui-ci émerge de ce que le sociologue Dominique Linhardt nomme « l’économie du soupçon » :
Dans un monde qui […] est a priori indifférencié – où, par conséquent, on ne sait ni où, ni quand, ni sous quel masque l’ennemi va frapper – le soupçon est une nécessité, le travail des acteurs de la répression et de la prévention du terrorisme consistant, dans cette perspective, à rediscriminer le monde, à séparer le grain de l’ivraie, le « quidam » inoffensif et innocent de l’intrus malveillant et coupable. (Linhardt 2001, p. 77)
42L’éthos professionnel des acteurs de la sécurité, basé sur la méfiance, se heurte donc à celui des métiers de la relation. Le rapport entre ces deux mondes n’est pas égalitaire, mais dominé par l’impératif de sécurité publique. « On joue pas dans la même cour », explique ainsi Irène dans l’entretien précédemment cité. Le sentiment d’être instrumentalisé par les enjeux sécuritaires de la radicalisation et du séparatisme revient de manière récurrente dans l’ensemble des entretiens et des observations. Cette hiérarchie implicite des risques, qui place le risque sécuritaire au-dessus du risque social, est le fondement sur lequel repose la participation des professionnels du social et de la santé mentale à la politique publique. Sur le terrain, les grammaires du risque préexistantes s’affrontent et font ressortir, dans l’action, des cultures antagoniques, desquelles découle une impossibilité de confiance entre professionnels pourtant chargés de concourir à la même mission.
43D’un côté, les services de sécurité critiquent les atermoiements des professionnels de l’intervention sociale quant à la transmission d’informations ou à la justification de la nécessité d’un accompagnement. De l’autre, les professionnels de l’intervention sociale accusent les services de sécurité de ne pas respecter leur déontologie et mobilisent le secret professionnel comme seule ressource à même de rétablir un semblant d’équilibre dans le partenariat.
44De cela découle un système généralisé de défiance, que j’ai cherché à résumer dans le schéma représenté par la figure 1.
Figure 1 : Représentation graphique du système généralisé de défiance

* * *
45Ce chapitre analyse la manière dont les professionnels de l’intervention sociale et de la santé mentale redéfinissent le problème de la radicalisation et du séparatisme pour le faire coïncider avec leurs missions, dans un processus permanent, mais précaire, de transaction. En mobilisant les ressources à leur disposition (déontologie, entretien d’une relation de confiance et recherche d’un partenariat de confiance), ils entrent en confrontation avec une définition du problème public qu’ils cherchent à modifier. Pour aller plus loin, il faudrait proposer une analyse plus fine des différences entre les métiers de l’intervention sociale et ceux de la santé mentale, pour lesquels les enjeux peuvent différer. Mon enquête témoigne toutefois de difficultés comparables dans leur implication dans la politique publique. La définition même du problème public posé par la radicalisation et le « séparatisme » empêche les relations entre professionnels de la sécurité et de l’intervention sociale de se construire sur la confiance. Il est particulièrement difficile (voire inenvisageable) pour les personnes accompagnées et les organisations qualifiées de séparatistes d’entrer dans une relation de confiance avec les professionnels chargés de leur accompagnement, et c’est bien sûr impossible avec les services de sécurité chargés de leur surveillance. Malgré cette économie du soupçon, les professionnels de la sécurité, du social et de la santé mentale se situent dans une relation de dépendance qui les contraint à coopérer dans un certain nombre de situations. On constate finalement peu de refus systématiques de collaboration, mais bien plus un ajustement progressif des uns aux autres, qui pourrait aboutir, comme, à certains égards, dans la politique de prévention de la délinquance, à une reconnaissance de l’autonomie des missions de chacun, seule à même de concourir réellement à un impératif de sécurité publique sans fragiliser pour autant les fondements, valeurs et histoires des métiers du social et de la santé mentale.
Bibliographie
Alloing Camille & Moinet Nicolas (2017), « Traquer les signaux faibles ou l’art illusoire de chercher des aiguilles… dans une botte d’aiguilles », I2D - Information, données & documents, vol. 54, no 3, p 17-18.
Andersen Lars Erslev (2015), « Terrorisme et contre-radicalisation. Le modèle danois », Politique étrangère, 2015/2, p. 173-183.
Autès Michel (1996), « Le travail social indéfini », Revue des politiques sociales et familiales, no 44, p. 1-10.
Blanc Maurice, Foucart Jean & Stoessel-Ritz Josiane (2016), « Travail social, partenariats et transactions sociales », Pensées plurielles, no 43, p. 7-13.
Cefaï Daniel (1996), « La construction des problèmes publics. Définitions de situations dans des arènes publiques », Réseaux, no 75, p. 43-66.
De Certeau Michel (1990), L’Invention du quotidien (I). Arts de faire, Paris, Gallimard.
Clariana Lionel (2017), « Laïcité, radicalisation, protection de l'enfance : pour quels enjeux ? », in Manuel Boucher (dir.), La Laïcité à l'épreuve des identités. Enjeux professionnels et pédagogiques dans le champ éducatif et social, Paris, L’Harmattan.
Clariana Lionel (2020), Laïcité, radicalisation et protection de l’enfant, Paris, L’Harmattan.
Corbin Juliet & Strauss Anselm (2004), Les Fondements de la recherche qualitative. Techniques et procédures de développement de la théorie enracinée, Fribourg, Academic Press Fribourg.
Demailly Lise (2008), Politiques de la relation. Approche sociologique des métiers et activités professionnelles relationnelles, Lille, Presses universitaires du Septentrion.
Domenach Jean-Michel, Donzelot Jacques, Foucault Michel et al. (1972), « Table ronde », Esprit, no 413, p. 678-703.
Dubet François (2002), Le Déclin de l’institution, Paris, Seuil.
Donnet Claire (2020), « Les signalements pour “risque de radicalisation” dans les établissements scolaires en France, nouvel outil de régulation de l’islam », Déviance et Société, no 44, p. 420-452.
Ellis Heidi & Abdi Saida (2017), « Building community resilience to violent extremism through genuine partnerships », American Psychologist, no 72, p. 289-300.
Eser Davolio Mirjam (2015), « Hintergründe jihadistischer Radikali–sierung in der Schweiz. Eine explorative Studie mit Empfehlungen für Prävention und Intervention. Schlussbericht », Zürcher Hochschule für Angewandte Wissenschaften, no 40, p. 15-36.
Guibet-Lafaye Caroline & Rapin Ami-Jacques (2017), « La “radicalisation”. Individualisation et dépolitisation d’une notion », Politiques de communication, no 8, p. 127-154.
Habermas Jürgen (1987), Théorie de l’agir communicationnel, Paris, Fayard.
Hedjerassi Nassira & Peyronie Henri (2017), « 1967-2017. Les sciences de l’éducation en France 50 ans après, regards croisés. Introduction au dossier », Les Sciences de l’éducation-Pour l’ère nouvelle, no 50, p. 7-16.
Jorro Alain (2009), « La reconnaissance professionnelle. Enjeux conceptuels et praxéologiques », in Alain Jorro (dir.), La Reconnaissance professionnelle en éducation. Évaluer, valoriser, légitimer, Ottawa, Presses universitaires d’Ottawa, p. 11-40.
Linhardt Dominique (2001), « L’économie du soupçon. Une contribution pragmatique à la sociologie de la menace », Genèses, no 44, p. 76-98.
Mengual Corentin (2018), « Le psychologue clinicien à l’épreuve de la “lutte contre la radicalisation” en milieux ouvert et fermé des services pénitentiaires », in Romuald Hamon & Yohan Trichet (dir.), Les Fanatismes aujourd’hui, Toulouse, Érès, p. 431-444.
Prairat Eirick (2007), « L’orientation déontologique », Les Sciences de l’éducation-Pour l’ère nouvelle, vol. 40, no 2, p. 95-113.
Puaud David (2018), Le Spectre de la radicalisation. L’administration sociale en temps de menace terroriste, Rennes, Presses de l’EHESP.
Ragazzi Francesco (2014), « Vers un “multiculturalisme policier” ? La lutte contre la radicalisation en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni », Études du CERI, no 206, p. 1-39.
Serre Delphine (2009), Les Coulisses de l’État social. Enquête sur les signalements d’enfant en danger, Paris, Raisons d’Agir.
Sèze Romain (2019), Prévenir la violence djihadiste. Les paradoxes d’un modèle sécuritaire, Paris, Le Seuil.
Soulé Bastien (2007), « Observation participante ou participation observante ? Usages et justifications de la notion de participation observante en sciences sociales », Recherches qualitatives, vol. 27, no 1, p. 127-140.
Stanley Tony & Guru Surinder (2015), « Childhood radicalisation risk. An emerging practice issue », Practice, no 27, p. 353-366.
Thévenot Laurent & Boltanski Luc (1991), De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard.
Trépos Jean-Yves (1992), Sociologie de la compétence professionnelle, Nancy, Presses universitaires de Nancy.
Notes de bas de page
1Ces entretiens ont été réalisés conjointement avec Lilli Soussoko, doctorante en science politique à l’Université de Strasbourg entre mars 2018 et avril 2019, que je tiens à remercier chaleureusement ici.
2Au contraire de nombreux pays, le travail social n’a en France jamais réussi à être reconnu comme discipline autonome, au contraire des sciences de l’éducation, qui ont obtenu une section universitaire dédiée en 1969.
3Ces concepts fondent le socle sur lequel reposent les diplômes des métiers de l’action sociale. On les retrouve également dans la définition du travail social adopté en 2017 dans le Code de l’action sociale et des familles (article D142-1-1 – créé par le décret no 2017-877 du 6 mai 2017).
4On doit le concept de « braconnage » à Michel de Certeau, qui décrit les pratiques ordinaires de la lecture comme des pratiques braconnières. Le lecteur n’est en effet jamais passif dans sa lecture mais toujours corporellement et intellectuellement actif, redéfinissant ainsi un sens qui lui est imposé par l’écrivain (De Certeau 1990, p. 239).
5De très nombreux rapports, circulaires et autres avis constituent une importante littérature grise développant, non sans esprit critique, l’importance de l’implication des professionnels de l’intervention sociale dans la politique publique. Il est impossible de tous les présenter ici. On en trouvera une liste non exhaustive sur le site du CIPDR. [En ligne] https://www.cipdr.gouv.fr/outils/ressources-legislatives-reglementaires/ [archive]
6Deux infractions sont principalement visées ici : « l’association de malfaiteurs en vue de commettre un acte terroriste », dite aussi « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », et « l’apologie du terrorisme ».
7Signalons à titre d’exemple pour l’Angleterre l’article de Tony Stanley et Surinder Guru (2015) interrogeant le bon niveau d’implication des travailleurs sociaux. Pour les États-Unis, les travaux de Heidi Ellis et Saida Abdi (2017) construisent une réflexion sur la juste place du travail social communautaire dans la prévention de la radicalisation. En Suisse, Mirjam Eser Davolio (2015) pose la question du risque de polarisation émergeant des politiques de lutte contre la radicalisation.
8Le discours de François Hollande du 21 janvier 2015, quelques jours après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper cacher est à cet égard exemplaire.
9Les prénoms ont été modifiés.
10La description du plan de formation est disponible sur le site de l’Agence nationale de la cohésion des territoires. [En ligne] https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/formation-valeurs-de-la-republique-et-laicite-185 [archive]
11La mise en œuvre du secret professionnel ainsi que les professions et les missions concernées sont définies dans le Code de l’action sociale et des familles (art. L226-2 ; L221-6), dans le Code de la santé publique (art. L1110-4) et dans le Code pénal (art. 226-13). Ils décrivent les situations pour lesquelles le secret peut être levé et les sanctions appliquées pour son non-respect.
Auteur
École supérieure européenne de l’intervention sociale, Strasbourg

Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Penser la Palestine en réseaux
Véronique Bontemps, Jalal Al Husseini, Nicolas Dot-Pouillard et al. (dir.)
2020
Un Moyen-Orient ordinaire
Entre consommations et mobilités
Thierry Boissière et Yoann Morvan (dir.)
2022
Un miroir libanais des sciences sociales
Acteurs, pratiques, disciplines
Candice Raymond, Myriam Catusse et Sari Hanafi (dir.)
2021
L’État du califat
La société sunnite irakienne face à la violence (1991-2015)
Faleh A. Jabar Minas Ouchaklian (éd.) Marianne Babut (trad.)
2024
Au-delà du séparatisme et de la radicalisation
Penser l’intensité religieuse musulmane en France
Anne-Sophie Lamine (dir.)
2024