Muhammad Bayram V (1840-1889)
Un ouléma tunisien défenseur des réformes ottomanes
p. 46-63
Texte intégral
Muhammad Bayram V (1840-1889)

Christian Wouters (CC BY-NC-ND 4.0)
1Entre les deux-guerres mondiales, des oulémas, des journalistes et des penseurs musulmans déclarèrent se rattacher à un « mouvement » ou un « parti » (hizb) de l’islâh tandis qu’en français émergeait la notion de « réformisme musulman1 ». Ils tentaient de donner de la cohérence aux manifestations diverses d’un idéal ancien de renouveau de la communauté des musulmans. Au sens religieux, l’islâh désigne toute action sur cette dernière pour la maintenir dans la voie droite et la purifier des innovations blâmables. Au sens technique, c’est un terme équivalent à « réforme » : réforme des mœurs, de la langue arabe, du fonctionnement des États musulmans. L’idéal de l’islâh dans ses deux sens prit de l’ampleur à partir de la fin du xviiie siècle, dans un contexte de grandes transformations politiques et culturelles qui touchèrent tout le monde musulman. L’Empire ottoman et ses provinces autonomes d’Égypte et de Tunisie eurent notamment à lutter pour éviter le démembrement territorial ou l’occupation étrangère, ce qui se traduisit par des réformes institutionnelles appelées islâhât (pluriel d’islâh) ou tanzîmât. Elles n’empêchèrent cependant ni l’expansion de l’impérialisme économique européen ni le passage d’une partie du monde musulman sous domination coloniale. Simultanément, le développement de l’imprimerie et de la presse, les progrès de l’alphabétisation, la naissance d’une opinion publique, l’émergence de journalistes et d’intellectuels qui disputaient aux savants religieux la direction des consciences nourrirent toute une réflexion sur l’état du monde musulman et les moyens propres à rétablir un rapport de forces favorable entre lui et les puissances européennes.
2Un ouléma hanafite de Tunis, Muhammad Bayram, cinquième du nom à exercer une fonction religieuse de haut rang, est l’un des visages du réformisme du xixe siècle. Né à Tunis en 1840, mort au Caire en 1889, professeur à la grande mosquée de Tunis, la Zaytuna, où il avait lui-même étudié les sciences religieuses, il commença une carrière au service de l’État tunisien sous le gouvernement réformateur du général Kheireddine (1873-1877). Pris dans les conflits politiques consécutifs à la chute de celui-ci puis confronté à l’établissement du protectorat français en 1881, il préféra s’exiler à Istanbul et au Caire. Son réformisme consista à défendre les innovations politiques et institutionnelles des États musulmans (Empire ottoman, Égypte et Tunisie), à y participer parfois directement et à les justifier du point de vue du shar‘, c’est-à-dire du point de vue des commandements divins, de la religion. Les traits qui le caractérisent sont l’usage des médias, l’engagement sur le terrain politique et social, une réflexion sur le bon gouvernement musulman intégrant les notions de liberté et de régime représentatif, ainsi qu’un rapport complexe aux autorités impériales ottomanes ou coloniales.
Un savant en politique
3Nous connaissons la vie de Muhammad Bayram par ce que lui-même et son fils aîné Muhammad al-Hadi Bayram en écrivirent2. Ce que biographie et autobiographie racontent, c’est la carrière d’un religieux entré en politique. La chose était suffisamment rare pour devoir être justifiée. Les oulémas répugnaient généralement à servir le pouvoir tant ils craignaient d’avoir à se compromettre avec des dirigeants corrompus, injustes ou tyranniques, et à prendre parti dans des luttes qui pouvaient nuire à leur indépendance ou à leur réputation. Pour défendre son choix, Muhammad Bayram met en avant l’émergence à Tunis d’un nouveau type de « gouvernement consultatif » incarné par Kheireddine (1822-1889). Il invoque également l’héritage de sa famille qui comptait autant de soldats que d’oulémas. C’était là, plaide son fils, deux façons de servir la religion : par le jihâd et par le ‘ilm, c’est-à-dire par la guerre sainte et par la science3.
4La famille Bayram portait le nom d’un ancêtre membre des troupes ottomanes qui avaient conquis la Tunisie en 1574. Comme les beys dirigeants de Tunis, elle cultivait ses origines turques et son appartenance à l’école juridique hanafite, alors que la majorité des Tunisiens – à l’instar des Algériens et Marocains – étaient malékites. Elle ne s’en était pas moins enracinée dans l’élite tunisoise par la pratique de l’arabe et grâce à des mariages prestigieux avec des femmes d’origine andalouse ou d’ascendance prophétique. En devenant chérif par sa mère, le trisaïeul de Muhammad Bayram V, qui s’appelait également Muhammad (1718-1800), renonça à la carrière militaire de ses pères pour inaugurer une lignée de savants religieux. Son fils Muhammad II, son petit-fils Muhammad III, son arrière-petit-fils Muhammad IV – oncle paternel et beau-père de Muhammad Bayram V – furent comme lui grands muftis hanafites, la plus haute fonction religieuse de Tunisie, appelée shaykh al-islâm au milieu du xixe siècle en imitation d’Istanbul. Les Bayram étaient également les cheikhs, c’est-à-dire les directeurs et les maîtres, d’une ancienne école religieuse de Tunis, la madrasa al-‘Unuqiyya. De son père Mustafa (m. 1863), administrateur d’un domaine foncier, Muhammad V hérita par ailleurs une grande fortune. Quant à sa mère, elle était la fille d’un mamelouk, le général Muhammad Khuja, ministre de la Marine d’Ahmad Bey (r. 1837-1855)4.
5Muhammad Bayram V suivit d’abord les traces de Muhammad IV auquel il succéda à la tête de la ‘Unuqiyya à sa mort en 1861, l’année même où il fut nommé professeur à la Zaytuna. Sans doute serait-il devenu à son tour shaykh al-islâm s’il n’avait été attiré par la politique et n’en avait connu les vicissitudes ? Le contexte l’encourageait dans cette voie : dans la foulée du rescrit souverain ottoman (hatt-ı hümayûn) de 1856 qui, en instituant l’égalité juridique entre musulmans et non-musulmans, avait relancé les tanzîmât, un « pacte de garantie » (‘ahd al-amân), par lequel le bey garantissait la sécurité à tous ses sujets, et une « loi fondamentale » ou dustûr (destour), c’est-à-dire une Constitution, furent promulgués à Tunis, respectivement en 1857 et 1861. Bien que la Constitution fût enterrée dès 1864 à la suite d’un soulèvement populaire, un courant réformiste se maintint dans les cercles du pouvoir. La figure de proue en était Kheireddine, qui signa en 1867 une œuvre collective intitulée la Plus Sûre Direction pour connaître l’état des nations (Aqwam al-masâlik fî ma‘rifat ahwâl al-mamâlik). Ce manuel décrivait l’état du monde à l’usage des gouvernements et administrations des pays musulmans. Il acquit rapidement une grande célébrité, d’une part parce qu’il fut imprimé, chose encore rare à Tunis, d’autre part parce qu’il était flanqué d’une introduction qui justifiait les réformes ottomanes et fut adaptée dès 1868 en français, sous le titre Réformes nécessaires aux États musulmans5.
6Muhammad Bayram V fut l’un des rares membres de sa famille et, plus généralement l’un des rares oulémas de Tunis, à soutenir la Constitution tunisienne6. La lecture de la Plus Sûre Direction acheva de le rallier à Kheireddine dont il salua publiquement la nomination comme premier ministre en 1873. En faisant appel à ce jeune ouléma qui croyait en l’action politique et osait prendre position, Kheireddine gagnait de son côté une utile caution religieuse. Bayram avait de surcroît une fortune personnelle qu’il était susceptible d’investir dans les nouvelles institutions, à une époque où domaine privé et domaine public n’étaient pas clairement séparés7. Kheireddine lui confia en 1874 la présidence de la toute nouvelle administration des Waqfs, charge qu’il cumula l’année suivante avec la direction de l’Imprimerie officielle et du journal de la Régence, l’Éclaireur de Tunis (al-Râ’id al-tûnisî). À la même époque, Bayram déclara une dépression qui l’amena à voyager par trois fois, en 1875, 1878 et 1879, en Europe pour se soigner : sa destination principale fut Paris où il était suivi par le célèbre neurologue Jean-Martin Charcot. Ces voyages et les nombreuses pérégrinations qui suivirent devaient lui fournir la matière d’un récit en plusieurs volumes, son grand œuvre.
7En étant si étroitement associé au pouvoir, Bayram prenait le risque d’être emporté dans la tourmente de la vie politique, surtout à une époque où l’État tunisien était fragilisé par les ambitions de la France. La biographie que lui consacra son fils bruisse de toutes les calomnies dont il fut la cible et qu’elle cherche à contrer. En 1877, Kheireddine fut contraint de démissionner de son poste de premier ministre à Tunis et partit pour Istanbul où il connut une deuxième carrière, accédant même au grand vizirat en 1878-1879. Bayram, qui dit n’être entré en politique qu’à cause de la confiance qu’il avait en lui, aurait pu être entraîné dans sa chute. Il n’en fut rien, si bien que les Français le soupçonnèrent d’y avoir contribué et de s’être rallié au nouveau favori du bey, Mustafa ibn Ismaïl, devenu à son tour premier ministre en 18788. Quoi qu’il en soit, l’entente entre les deux hommes ne dura pas. Dans la biographie de Bayram, Ben Ismaïl est dépeint comme l’antithèse de Kheireddine9 : le premier n’avait dû son ascension qu’à sa relation privilégiée avec le bey alors que le second, pourtant d’origine mamelouke, c’est-à-dire servile, se voyait d’abord en homme d’État, fondant son autorité sur des compétences politiques et administratives10.
8En octobre 1879, Muhammad Bayram demanda l’autorisation de partir accomplir le hajj. C’était un exil déguisé : il ne revit jamais la Tunisie. Après avoir quitté le Hedjaz, il fit étape quelques semaines à Beyrouth puis alla s’installer à Istanbul. L’établissement du protectorat français en Tunisie le dissuada définitivement de rentrer. Il vendit ses biens et fit venir sa famille dans la capitale ottomane où il fut pensionné par le sultan Abdülhamid II (r. 1876-1909)11 mais se trouva en concurrence avec d’autres Arabes12, et n’obtint aucun poste à sa mesure. Il est très probable qu’il ait voulu aussi fuir la dictature du sultan qui allait se renforçant après une tentative avortée de monarchie constitutionnelle en 1877. Il finit par émigrer au Caire à l’automne 1884, deux ans après que l’Égypte eut connu le même sort que la Tunisie et se fut retrouvée occupée et protégée de fait par les Anglais. Bayram vécut d’abord de subsides versés par le gouvernement égyptien et de la publication d’un journal politique et religieux, l’Information (al-I‘lâm), puis en 1889, quelques mois avant sa mort, obtint un poste de juge au tribunal de première instance du Caire. À nouvelle vie en Égypte, nouvelles attaques. Bayram donna des signes de ralliement aux Anglais et, de fait, fut invité au jubilé des cinquante années de règne de la reine Victoria à Londres en 1887. La ligne pro-britannique d’al-I‘lâm lui attira des inimitiés. À Tunis, il se murmurait qu’il s’était vendu aux Anglais après avoir été un zélé défenseur des droits de l’Empire ottoman en ses provinces13.
De nouvelles perspectives de carrière religieuse
9En dépit des compromis politiques qu’il dut faire et que nombre de ses pairs cherchaient précisément à éviter, Muhammad Bayram resta un ouléma. Ouléma, il l’était par la formation, les fonctions exercées, l’abondante production écrite. Il l’était aussi par l’habit religieux, qu’il n’abandonna jamais, et par la conviction d’appartenir à un corps dont la vocation était de guider la société et de conseiller les dirigeants. Une grande partie de son action visa à remettre les savants religieux au cœur d’un processus réformiste qui tendait à les marginaliser. Il n’occupa de postes que dans des administrations nouvelles – administration des Waqfs, Imprimerie officielle de Tunis, tribunal de première instance du Caire – et, par le journalisme et l’impression d’une partie de ses écrits, s’empara de nouveaux médias qui permettaient à sa parole de porter loin, au-delà du cercle de ses disciples à la ‘Unuqiyya ou à la Zaytuna.
10De sa carrière, on retiendra d’abord la direction de l’administration des Waqfs. Un waqf, ou habous (francisation de hubs), est l’action juridique qui consiste à consacrer de façon permanente les revenus d’un bien (par exemple un immeuble de rapport, des boutiques, un domaine agricole, des oliviers) à une œuvre pieuse ou charitable (par exemple l’éclairage d’une mosquée, la rémunération d’imams, de professeurs et d’étudiants en sciences religieuses, la lecture du Coran, la construction et l’entretien d’une école coranique, d’une fontaine ou d’un hôpital). La traduction courante en français est « fondation pieuse14 ». Sont waqfs à la fois les œuvres bénéficiaires et les biens qui les font vivre. C’est une institution fondamentale en islam, qui assura longtemps la redistribution de la richesse, soutint les pauvres, fit fonctionner des services d’intérêt général. Il existait aussi des waqfs privés, c’est-à-dire des biens dont les revenus allaient aux membres de la famille et aux descendants du fondateur.
11L’administration tunisienne des Waqfs fut fondée en 1874, sur le modèle du ministère des Waqfs d’Istanbul (1826), dans le but de recenser les biens habous qui étaient si nécessaires à la collectivité mais dont beaucoup étaient en ruine ou laissés à l’abandon, d’en percevoir les revenus, de répartir ces derniers de manière rationnelle selon les besoins des bénéficiaires et de tenir une comptabilité stricte des recettes et des dépenses. Par cette gestion centralisée, l’État escomptait augmenter les ressources dédiées aux œuvres d’intérêt général, telles que mosquées, hôpitaux, bibliothèques, ponts, canaux etc. La direction de la nouvelle institution ne pouvait échoir qu’à un religieux. Elle nécessitait non seulement des compétences administratives mais aussi une connaissance fine du droit islamique (fiqh) auquel la réglementation des waqfs était soumise et, par conséquent, une excellente maîtrise de l’arabe15. C’est pourquoi l’administration des Waqfs fut l’une des rares institutions modernes à n’avoir pas été peuplée de fonctionnaires français après l’établissement du protectorat. Elle-même se percevait, au début des années 1880, comme la gardienne de l’identité tunisienne face à la municipalité de Tunis, qui avait été créée en 1858 et où prédominaient désormais les Européens, et à la Direction des travaux publics, un nouveau ministère sous contrôle français. Pourtant tenus au devoir de réserve, les fonctionnaires des Waqfs, y compris leur président, n’hésitèrent pas à participer, voire à coordonner, en avril 1885, un mouvement de protestation de la population de Tunis connu sous le nom d’« affaire des eaux ». L’avaient déclenché, d’une part, la concession de la distribution de l’eau dans la capitale à une compagnie française, ce qui entraîna une augmentation des tarifs, et, d’autre part, de nouvelles règles d’inhumation des morts dans les cimetières, ce qui apparut comme une atteinte à la tradition islamique16.
12L’autre grand pan de l’activité de Muhammad Bayram fut l’imprimerie et le journalisme, entreprises encore fragiles et rarement rentables. S’il put consolider l’Imprimerie officielle de Tunis17, son affaire du Caire, lancée en grande partie sur fonds propres, périclita au bout de quatre ans18. L’imprimerie avait deux vertus selon lui : diffuser des livres utiles – principalement religieux19 – et contribuer à l’éclosion des journaux d’information. À l’aide de collaborateurs comme Muhammad ben ‘Othman al-Sanusi (1851-1900)20, il réussit à faire paraître régulièrement le Râ’id, l’organe officiel de la Régence, et, en 1877, à le transformer en journal d’opinion, vecteur de la mobilisation des Tunisiens derrière l’Empire ottoman alors en guerre contre la Russie. Même tonalité panislamique, des années plus tard, dans l’I‘lâm déjà mentionné. Cet hebdomadaire d’information et d’orientation religieuse de l’Umma, publié au Caire entre janvier 1884 et janvier 1889, décrivait l’état économique et politique de l’Égypte et de l’Empire ottoman, analysait les relations internationales, exposait comment on pouvait réformer en restant fidèle à la religion. Il dénonçait la politique française en Afrique du Nord et lui opposait celle des Anglais en Égypte qui, il est vrai, restait en droit une province ottomane et où le protectorat n’était que « voilé21 ».
13Durant toute sa carrière, Bayram s’adonna à l’écriture. Beaucoup de ses travaux appartiennent à des genres courants dans la littérature religieuse. On y trouve des traités sur des points de droit et de doctrine (licéité de la chasse au fusil, esclavage22, supériorité du Prophète sur les autres musulmans, droits des chérifs, ses descendants23) ; de nombreux poèmes et panégyriques dédiés à des hommes politiques et des oulémas ; un mémoire dans la tradition du conseil au prince, qu’il présenta au sultan Abdülhamid II pour l’encourager à réformer l’Empire ottoman24 ; un récit de ses voyages (rihla) en Europe, dans le Hedjaz et à Beyrouth25. Au Caire, Bayram et son fils Muhammad al-Hadi firent imprimer nombre de ces écrits, parfois plusieurs années après leur rédaction, alors que, dans les mondes arabe et musulman, à Tunis notamment, beaucoup de livres circulaient encore sous forme de copies manuscrites. Une bonne partie des œuvres de Bayram parut sur ses propres presses, celles de l’I‘lâm. Après sa mort, son traité sur l’esclavage fut publié par la fameuse revue la Sélection (al-Muqtataf). Celle-ci n’avait rien d’islamique – il est intéressant de le noter. Fondée par des journalistes syriens chrétiens originaires de Beyrouth, elle était spécialisée dans la vulgarisation des sciences et des techniques26. Sa renommée et sa large diffusion dans tout le public lettré égyptien, voire arabophone en général, installaient assurément les écrits de Bayram dans le débat public.
14De toutes les œuvres de ce dernier, la seule, sans doute, qu’il eût écrite dans la perspective d’une publication est la relation de ses voyages Aspects remarquables des cités et nations du monde27 (Safwat al-i‘tibâr bi-mustawda‘ al-amsâr wa-l-aqtâr). Quatre volumes furent imprimés au Caire en 1885 dans la foulée de leur rédaction. Un cinquième était encore en chantier et ne fut édité qu’à titre posthume. Selon son fils, Bayram avait l’intention d’ajouter à son livre une conclusion digne de l’introduction d’Aqwam al-masâlik, voire de celle qu’Ibn Khaldoun (m. 1406) avait donnée en d’autres temps à son histoire universelle. Elle aurait analysé les causes de la décadence de la communauté musulmane depuis deux siècles, tiré les leçons du passé pour préparer l’avenir, médité sur le fonctionnement des régimes représentatifs et leur adaptation en contexte musulman, vanté les bienfaits de la science et d’un certain nombre d’innovations techniques etc.28 On comprend que Bayram destinait sa Safwat al-i‘tibâr à rejoindre les grandes œuvres imprimées du moment29, ces livres de sociologie politique anciens et modernes qui inspiraient toute la mouvance réformiste.
L’engagement dans le siècle
15Dans son action politique et ses écrits, Muhammad Bayram V défend l’idée que les musulmans doivent vivre avec leur temps, accepter les changements d’habitudes et de mœurs, mais sans imiter en tout les Européens. La crainte de la déperdition identitaire n’a d’égale que sa curiosité pour le monde qui l’entoure. Trois thèmes principaux retinrent son attention : éducation et santé ; modalités d’adaptation des normes et doctrines juridiques islamiques (le fiqh) aux besoins des contemporains ; conditions d’introduction du régime parlementaire en pays musulman. En matière d’éducation et de santé, Bayram participa, dans les années 1870 à Tunis, à la fondation de plusieurs institutions qui portaient le nom du bey régnant, Muhammad al-Sadiq (Sadok Bey, r. 1859-1882) : la bibliothèque, l’hôpital et, surtout, le collège Sadiqi qui ouvrit ses portes en 1875. Inscrit dans un plan de réforme de la Zaytuna, cet établissement était destiné à donner une formation moderne et bilingue, en français et en arabe, aux futurs fonctionnaires de l’État tunisien30. Le fils aîné de Bayram, Muhammad al-Hadi – héritier de générations de zaytuniens – fit partie de la première promotion, avant d’être scolarisé dans une pension suisse durant l’exil de la famille31. Bayram n’en était pas moins attaché à l’usage de l’arabe littéral comme langue d’enseignement et rédigea au Caire un mémoire sur le sujet32. En Égypte, cet usage allait de soi dans les établissements qui formaient des oulémas, mais était contesté dans les nouvelles écoles vouées à l’instruction publique, y compris les écoles gouvernementales, à la fois par les tenants du dialecte – la langue de tous les jours – et ceux de l’anglais ou du français.
16Sur le plan juridique et religieux, il entreprit de justifier des lois, des innovations techniques et des pratiques qui tendaient à se répandre, par exemple le fait, pour un musulman, de vivre en pays non musulman ou de voyager en terre non musulmane. Écrit à Istanbul au début des années 1880, son traité sur l’esclavage entrait en résonance avec une question d’une grande actualité tout au long du xixe siècle dans les États musulmans. La signature d’une convention anglo-ottomane destinée à mettre fin au trafic des esclaves noirs venait encore de la relancer. Le but explicite de Bayram était d’analyser, du point de vue de cette actualité, les causes de l’esclavage et les dispositions du droit islamique en la matière et, partant, de déclarer conformes à la religion toutes les mesures de réduction de la traite et d’affranchissement progressivement adoptées par les dirigeants musulmans depuis les années 183033.
17Nous nous arrêterons sur son traité qui déclare licite la chasse au fusil, c’est-à-dire le fait que l’on puisse consommer un animal mort avant d’avoir été égorgé34. Le sujet nous intéresse moins ici que la méthodologie brossée à grands traits par Bayram dans les premières pages du texte : on en lira ci-dessous un extrait qui met en valeur l’ijtihâd et son antonyme, le taqlîd – concepts devenus, à partir de la fin du xixe siècle ou du début du xxe siècle, la marque de fabrique du réformisme musulman. L’ijtihâd est le raisonnement que tient un juriste musulman, appelé mujtahid, pour déduire des règles de vie et de culte de la loi révélée par Dieu dans le Coran et la Sunna. C’est un travail qui, selon la tradition, fut essentiellement accompli dans les premiers siècles de l’islam et donna naissance aux quatre écoles juridiques sunnites (madhhab). Les fondateurs de ces écoles sont considérés comme « les mujtahid absolus », leurs successeurs n’ayant qu’à les imiter (taqlîd), à rendre des jugements sur la base du corps de doctrines qu’ils fixèrent jadis. En théorie et en pratique, ceci n’interdit jamais aux oulémas de conserver une marge de manœuvre et d’apprécier de manière personnelle les cas nouveaux qui s’offraient à eux, notamment lorsqu’ils avaient à rendre des avis juridiques, c’est-à-dire des fatwas35. Il y en eut même à toutes les époques qui, sans songer à fonder de nouvelles écoles juridiques, purent se prévaloir de la qualité de mujtahid et furent reconnus comme tels par une partie de leurs pairs. Cette tradition perdurait encore au xviiie siècle36. En somme, « les portes de l’ijtihâd » ne s’étaient pas vraiment refermées après le troisième siècle de l’hégire, même si des savants, des réformateurs, des orientalistes plaidèrent ou observèrent leur réouverture large au xxe siècle, pour justifier l’occidentalisation des institutions ou résoudre les nouvelles questions juridiques qui se multipliaient du fait des changements massifs dans les modes de vie.
18La position de Bayram en matière d’ijtihâd semble encore assez classique. Le plus significatif, sans doute, est qu’elle soit explicite. Bayram se situe dans une tradition juridique dont il cherche à libérer la créativité. Le savant reste, selon lui, un « imitateur » (muqallid), mais un imitateur du fondateur ou de toute figure d’autorité de son école, pas d’un prédécesseur de même rang que lui. S’il juge bien dans le cadre de son madhhab, il ne peut, face aux changements des temps, s’en tenir à la seule jurisprudence, mais a le droit de fournir un effort personnel d’interprétation de la loi religieuse en prenant en considération « l’intérêt général » (maslaha). Au fond, Bayram rejette le conformisme et invite chaque ouléma à utiliser toutes les ressources que la théorie juridique islamique lui permet.
19Les idées politiques de Bayram peuvent enfin être analysées à partir des deux mémoires qu’il présenta au sultan Abdülhamid II et au gouvernement ottoman en 1881. Aucun ne fut suivi d’effet et peut-être même ne furent-ils pas lus par les destinataires initiaux. Ils n’en exprimaient pas moins des positions peu conventionnelles tant en politique étrangère qu’en philosophie politique, et alimentèrent le débat émergent depuis les années 1860 sur le régime politique le plus adapté aux pays musulmans. Le titre du premier mémoire, déjà évoqué, est Considérations politiques sur les réformes nécessaires au Sublime Empire37. Bayram y critique les faiblesses, mais non le principe, des tanzîmât et de la Constitution ottomane de 1876 (suspendue en 1878). Il se dit favorable à l’élection d’un Parlement tout en proclamant que la loi religieuse doit être le fondement du régime. La référence à cette loi lui sert surtout à dénoncer la sécularisation de l’État ottoman, l’adoption de codes légaux traduits de codes étrangers, l’empiètement des nouveaux tribunaux de commerce ou administratifs sur les prérogatives des tribunaux religieux, l’ingérence des puissances en faveur des sujets chrétiens de l’Empire. Son programme de réformes consiste au fond à maintenir le pouvoir judiciaire des oulémas. Il propose notamment la création d’un conseil impérial de dix savants élus pour cinq ans, qui désignerait les titulaires des fonctions juridico-religieuses, généraliserait l’enseignement des sciences islamiques et veillerait à l’exécution des jugements rendus dans les tribunaux religieux. Nulle idée de démocratie dans sa vision du gouvernement idéal : il pense que les musulmans ne sont pas encore prêts pour former des partis politiques, que la liberté doit leur être accordée progressivement et que le dirigeant, tout en devant accepter une limitation de son pouvoir, reste le père de ses sujets38.
20Le second mémoire, présenté au gouvernement ottoman peu après l’entrée des troupes françaises en Tunisie, invoque les droits de l’Empire sur ce territoire et demande son intervention diplomatique contre la France : la principale proposition de Bayram est que l’Empire s’allie à une puissance capable de faire pression sur la France – l’Angleterre en l’occurrence – en échange de quoi il lui céderait une base maritime à Bizerte39. C’était une position de compromis entre la majorité des Tunisiens qui croyaient encore dans les capacités militaires de l’Empire ottoman et en espéraient une intervention armée contre les Français, et son ami Muhammad al-Sanusi, pour lequel il était vain d’attendre quoi que ce fût d’un État affaibli et n’exerçant en Tunisie qu’une souveraineté nominale40. Ce type d’analyse conduisit Sanusi – à l’inverse de Bayram – à se rallier au protectorat français, ou, plus exactement, à justifier ce ralliement, survenu à la suite de l’affaire des eaux41.
21Ici se dessine le dilemme que représenta la domination coloniale en Tunisie et en Égypte pour des lettrés tout à la fois patriotes et réformistes : quelle attitude adopter vis-à-vis de la puissance occupante qui légitimait sa présence par le même discours qu’eux sur la nécessité de faire advenir la « civilisation moderne » dans le monde musulman ? Cette question posait simultanément celle du rapport à l’Empire ottoman et au calife, fonction largement mise en avant par Abdülhamid II. L’Empire était-il l’autorité souveraine en Tunisie ou un simple horizon d’attente symbolique parce qu’il abritait le calife ? Pouvait-on continuer à respecter ce dernier sans cautionner sa dictature ? Face à l’impérialisme européen se développait dans les années 1880, un idéal d’union de l’islam appelé en français ou en anglais « panislamisme », Pan-Islam. Cet idéal recouvrait soit la nostalgie de la tutelle ottomane, soit la crainte que la référence islamique ne s’amenuise dans la législation tunisienne, soit le rejet de l’assimilation culturelle à la puissance coloniale. Bayram montre toute la complexité de la situation politique : il était contre la politique française en Afrique du Nord mais pas contre celle des Anglais en Égypte ; il était attaché à l’Empire ottoman mais hostile au régime hamidien après la suspension de la Constitution ; il promouvait l’unité du monde musulman mais n’hésita pas à imprimer son traité consacré aux descendants du Prophète et à leurs droits sur les autres musulmans, au risque d’être accusé à Istanbul, bien à tort selon son fils, de trahir le califat dont la dynastie ottomane était dépositaire, bien que non arabe42. Il oscillait en somme entre un fort patriotisme tunisien, un ottomanisme motivé par son idéal d’unité du monde musulman, et la référence naissante à un « monde arabe » dont l’Égypte était le cœur, lors-même qu’elle était en train de passer sous domination coloniale.
Postérité
22À bien des égards, la carrière de Muhammad Bayram V présente des similitudes avec celles de son contemporain, le célèbre ouléma égyptien Muhammad ‘Abduh (1848-1905). Ce dernier dirigea la rédaction du journal officiel égyptien, al-Waqâ’i‘ al-misriyya, au tout début des années 1880, s’exila après l’occupation de l’Égypte par les Britanniques en 1882, publia en 1884 à Paris, avec son ancien mentor Jamal Eddin al-Afghani (1838-1897), dix-huit numéros d’un journal, le Lien indissoluble (al-‘Urwa al-wuthqâ), qui marqua beaucoup les esprits par sa volonté de réveiller et d’unifier les musulmans, occupa un poste de juge à son retour au Caire, s’accommoda de la présence britannique qu’il était vain de chercher à combattre par les armes et s’investit dans les réformes juridiques et éducatives de son pays.
23C’est incontestablement à Muhammad ‘Abduh que fut attribuée, de son vivant même, la paternité du réformisme musulman arabe parce qu’il vécut ses années d’exil à Beyrouth en évitant Istanbul, qu’à son retour au Caire, il gravit tous les échelons de la hiérarchie religieuse jusqu’à devenir mufti d’Égypte, que ses idées furent en partie relayées dans la revue le Phare (al-Manâr, 1898-1935) et qu’il finit par se tenir plus résolument à l’écart des combats politiques que Bayram. Les réformistes tunisiens de la génération de Bayram, son collaborateur Sanusi en tête, virent eux-mêmes en Muhammad ‘Abduh un chef de file après la publication d’al-‘Urwa al-wuthqâ, du reste financée par un ancien homme politique de la Régence de Tunis, le général Hussein (m. 1887)43. Muhammad ‘Abduh vint par deux fois à Tunis, en 1884 et en 190144, et c’est à Tunis qu’il fit naître une légende tenace jusque dans les années 1960, selon laquelle al-‘Urwa al-wuthqâ aurait été, plus qu’un journal, une société secrète créée en Inde par al-Afghani et ramifiée dans tout le monde musulman45.
24Bayram, de son côté, était un homme malade qui ne put aller au bout de son action et, surtout, resta un exilé. Il apparaît plus marginal que Muhammad ‘Abduh. Il s’inséra néanmoins suffisamment en Égypte pour que les dictionnaires biographiques du Machreq lui fissent une place46. En Tunisie, nul ne l’oublia. Il fut incorporé dans une généalogie intellectuelle de zaytuniens ouverts aux réformes politiques, religieuses et culturelles, qui allait du cheikh Mahmud Qabadu (1815-1871) aux cheikhs Muhammad al-Tahir (1879-1973) et Muhammad al-Fadil (1909-1970) Ibn ‘Ashur (Ben Achour). Ce dernier amplifia la tendance observable dès les années 1880 d’un rattachement des réformistes tunisiens à Muhammad ‘Abduh et à Jamal Eddin al-Afghani en transformant Bayram en « ambassadeur du mouvement réformiste tunisien en Orient ». Il vit dans son exil une occasion de lier « les deux mouvements de réforme islamique, celui du Maghreb qu’avait porté Qabadu et celui de l’Orient que portait Jamal Eddin al-Afghani (dans les années 1880)47 ».
25C’est surtout ces trente dernières années que les travaux de Bayram V furent recensés et pour partie édités ou réédités, et que de nombreux mémoires universitaires et ouvrages lui furent consacrés en Tunisie. L’initiative en revient notamment à Moncef Ben Abdel Jelil et Kamal Omrane, qui publièrent en 1989 une importante et utile bibliographie analytique des travaux de et sur Muhammad Bayram48. Depuis, la bibliographie s’est considérablement étoffée : labellisé « réformiste » (islâhî), le projet de Bayram est analysé dans ses dimensions politiques, sociologiques et éducatives. Une des publications les plus récentes met à la disposition des chercheurs des documents d’archives relatifs à sa gestion des waqfs dans les années 187049. L’intérêt qu’il suscite est en partie politique et à comprendre dans un contexte de concurrence des mémoires au sein de la Tunisie indépendante post-bourguibienne : il s’agit sans doute, pour les spécialistes de Bayram et du réformisme du xixe siècle, de tailler une brèche dans le monopole du Néo-Destour sur le mouvement nationaliste, de rétablir une continuité entre la Tunisie pré et post-coloniale et de souligner la part d’une élite de formation zaytunienne dans la création de l’État tunisien moderne et la définition d’une identité nationale référée à l’islam.
Pourquoi écrire un traité sur la chasse au fusil ? Plaidoyer en faveur de la créativité du savant
« La chasse au fusil, la chasse par armes à feu répandues aussi bien dans le peuple que dans l’élite, est chose courante depuis longtemps et il n’est point besoin de démontrer la supériorité de cet outil sur les autres. Comme le fusil fait partie des innovations postérieures au temps des mujtahid, les muqallid50 modernes émirent cependant à son sujet des avis divergents. Il finit par se dire de proche en proche que, selon le madhhab nu‘mânî [hanafite], [un animal] tué à la chasse avant d’avoir été égorgé était illicite. Cette question vint à être évoquée entre une éminente personnalité et moi. Ceci m’amena à consulter ce qui avait été dit exactement sur elle. Je recherchai au fond des mers, des cours d’eau et des étangs comment elle avait été jugée, mais ne trouvai rien qui étanchât ma soif, rien qui guérît mon cœur des ténèbres de l’imitation (taqlîd). Je voulus donc composer un livre où je traiterais de la chose avec toute la mesure possible51. […]
Nous avons vu que le muqallid ne doit pas se soumettre à un autre muqallid surtout s’il apparaît que l’argumentation de ce dernier n’a pas de fondement valide, mais qu’il doit suivre le mujtahid ou qui est qualifié pour préférer une sentence à une autre ou déduire une sentence claire [de ce qui est obscur dans son école]. Nous savons aussi que s’il ne trouve chez ces derniers aucun texte [relatif au cas qu’il a à traiter], il doit examiner celui-ci avec tout le soin, le discernement et le raisonnement indépendant (ijtihâd) possible pour se faire à peu près une opinion, et ne pas se prononcer de manière irréfléchie, comme il est indiqué dans les écrits sur la tâche du mufti. C’est pourquoi il nous est possible de parler de cette question [la chasse au fusil], dans la mesure où elle est une innovation introduite après ces piliers protecteurs et que, comme on le verra, on ne la trouve traitée que par quelques [savants] récents qui se fient aux fatwas d’Ibn al-Nujaym52. Dieu connaît la vérité et montre le chemin. »
Extrait de la préface et de l’introduction du traité de Muhammad Bayram V sur la licéité de la chasse au fusil, Tuhfat al-khawâs fî hall sayd bunduq al-risâs (texte rédigé en 1868), dans al-Munsif b. ‘Abd al-Jalîl & Kamâl ‘Umrân, Muhammad Bayrâm al-khâmis. Bîbliyûghrafiyya tahlîliyya, Tûnis, Bayt al- Hikma, 1989, p. 228-239.
Les voyages de Muhammad Bayram V

Christian Wouters, d’après un dessin d’Anne-Laure Dupont (CC BY-NC-ND 4.0)
Notes de bas de page
1 Article fondateur : Henri Laoust, « Le réformisme orthodoxe des ‘salafiya’ et les caractères généraux de son orientation actuelle », Revue des études islamiques, vol. 6, no 2, 1932, p. 175-224. Pour une première approche : Sabrina Mervin, Histoire de l’islam. Doctrines et fondements, Paris, Flammarion, Champs Université, 2000, p. 152-168 ; Anne-Laure Dupont, « Réformisme musulman », dans François Georgeon, Nicolas Vatin & Gilles Veinstein (dir.), Dictionnaire de l’Empire ottoman, avec la collaboration d’Elisabetta Borromeo, Paris, Fayard, 2015, p. 1011-1013 ; et du même auteur, « Islah : le réformisme musulman moderne », dans Houari Touati (dir.), Encyclopédie de l’humanisme méditerranéen, avril 2018, http://www.encyclopedie-humanisme.com/?Islah [archive]
2 La vie de Bayram est contée, par lui dans le premier chapitre et par son fils en annexe, de la relation de ses voyages intitulée Safwat al-i‘tibâr bi-mustawda‘ al-amsâr wa-l-aqtâr : 1re éd., 5 vol. , al-Qâhira, al-Matba‘a al-i‘lâmiyya, 1885-1894 ; nouvelle éd. par ‘Alî al-Shannûfî (Ali Chenoufi), 6 vol. , Tûnis, Bayt al-hikma, 1999. Il existe une édition séparée des pages relatives à la vie de Bayram : Tarjamat Muhammad Bayram al-khâmis fî Safwat al-i‘tibâr bi-mustawda‘ al-amsâr wa-l-aqtâr, éd. ‘Alî al-Shannûfî, Tûnis-Qartâj, Bayt al-hikma, 1989. C’est à ce volume à part que nous nous référons ci-dessous. Les diverses notices sur la vie de Bayram s’inspirent de Safwat al-i‘tibâr : Gerard van Krieken, « Muḥammad Bayram al-Khāmis », EI2, VII, p. 433 ; Ahmed Abdesselem, Les Historiens tunisiens des xviie, xviiie et xixe siècles. Essai d’histoire culturelle, Publications de l’université de Tunis, s. d. [1973], p. 387-404 ; Arnold Green, The Tunisian Ulama 1873-1915, Leiden, Brill, 1978, p. 244-245.
3 Tarjamat Muhammad Bayram, op. cit., p. 37-40, 68.
4 Un mamelouk est un homme d’État d’origine servile. Voir M’hamed Oualdi, Esclaves et Maîtres. Les mamelouks des Beys de Tunis du xviie siècle aux années 1880, Paris, Publications de la Sorbonne, 2011.
5 Première édition arabe : Tûnis, al-Matba‘a al-rasmiyya (Imprimerie officielle), 1284 h./1867. Version française : Réformes nécessaires aux États musulmans. Essai formant la première partie de l’ouvrage politique et statistique intitulé : La plus sûre direction pour connaître l’état des nations, par le Général Khérédine, Ancien Ministre de la Marine à Tunis et Ancien Président du Grand Conseil tunisien, traduit de l’arabe sous la direction de l’auteur, Paris, Imprimerie administrative de Paul Dupont, 1868. (disponible sur gallica.bnf.fr) ; rééd. Khayr el-Din, Essai sur les réformes nécessaires aux États musulmans, présenté et annoté par Magali Morsy, Aix-en-Provence, Édisud, 1987.
6 Tarjamat Muhammad Bayram , op. cit., p. 71; Arnold Green, The Tunisian Ulama, op. cit., p. 105.
7 C’est ce que suggère Moncef Chenoufi dans Le Problème des origines de l’imprimerie et de la presse arabes en Tunisie dans sa relation avec la Renaissance « Nahḍa », 2 vol. , Université Lille III, Service de reproduction des thèses, 1974, p. 510.
8 Dépêche du Résident général de France à Tunis, Justin Massicault, au ministre français des Affaires étrangères le 30 avril 1890, traduite en arabe et citée par ‘Alî al-Shannûfî en annexe de Tarjamat Muhammad Bayram, p. 233‑235.
9 Tarjamat Muhammad Bayram, op. cit., p. 92 sq.
10 Voir M’hamed Oualdi, Esclaves et Maîtres, op. cit., p. 361-366.
11 Sur le règne de ce sultan, qui constitue la toile de fond des dernières années de vie de Muhammad Bayram V, voir François Georgeon, Abdülhamid II, le sultan calife, Paris, Fayard, 2003, p. 528.
12 Remarques sur l’ambiance exécrable qui régnait entre Arabes à Istanbul dans Tarjamat Muhammad Bayram, p. 143-144. La critique d’Istanbul, pourtant siège du califat ottoman, est un lieu commun des récits de voyageurs arabes.
13 Voir dépêche du résident Massicault citée en note 8.
14 Bibliographie pléthorique sur les waqfs. Pour une première approche, voir l’entrée « Waḳf » de l’EI2, et Faruk Bilici, « Vakf », dans François Georgeon, Nicolas Vatin & Gilles Veinstein (dir.), Dictionnaire de l’Empire ottoman, op. cit., p. 1187-1191.
15 Sur les débuts de l’administration des Waqfs à Tunis, voir al-Shaybânî Binbulghayth, Fusûl fî târîkh al-awqâf fî Tûnis min muntasif al-qarn al-tâsi‘ ‘ashar ilâ 1914, Sfâqs, Maktabat ‘Alâ’ al-Dîn, 2003 ; et sur la gestion de Bayram, un recueil de documents du même Binbulghayth, Al-Shaykh Muhammad Bayram al-khâmis : rasâ’il wa-taqârîr fî islâh al-awqâf, Sfâqs, Maktabat ‘Alâ’ al-Dîn li-l-nashr wa-l-tawzî‘, 2011.
16 Il appartint à Muhammad al-Sanusi, secrétaire à l’administration des Waqfs et ancien collaborateur de Muhammad Bayram V, de rédiger la correspondance des protestataires avec les autorités tunisiennes et de narrer ensuite l’affaire dans un manuscrit finalement édité en 1976 : Muhammad al-Sanûsî, Al-Nâzila al-tûnisiyya, éd. Muhammad al-Sâdiq Bissîs, Tûnis, al-Dâr al-tûnisiyya li-l-nashr, 1976.
17 Sur la gestion de l’Imprimerie officielle de Tunis par Bayram, voir Moncef Chenoufi, Le Problème, op. cit., p. 378-511.
18 Tarjamat Muhammad Bayram, op. cit., p. 156-157.
19 Voir Jean Quémeneur, « Publications de l’Imprimerie officielle tunisienne (Matba‘a rasmiyya) de la fondation 1276H-1860 à 1300H-1882 », IBLA, Revue de l’Institut des belles-lettres arabes à Tunis, 25e année, no 98 (1962/2), p. 147-173.
20 Ali Chenoufi, Un savant tunisien du xixe siècle : Muḥammad As-Sanūsī, sa vie et son œuvre, Publications de l’université de Tunis, 1977.
21 Liste détaillée des sujets traités par l’I‘lâm dans les numéros des années 1886 et 1887 conservés à la Bibliothèque nationale de Tunisie, dans al-Munsif b. ‘Abd al-Jalîl & Kamâl ‘Umrân, Muhammad Bayram al-khâmis : bîbliyûghrafiyya tahlîliyya ma‘a thalâth rasâ’il nâdira, Tûnis, Bayt al-hikma, 1989, p. 49-164.
22 Muhammad Bayram al-khâmis, Risâlat tuhfat al-khawâss fî hall sayd bunduq al-rasâs, al-Qâhira, al-Matba‘a al-i‘lâmiyya, 1303 (1885-1886) et « Al-tahqîq fî mas’alat al-raqîq », Al-Muqtataf, vol. 15, no 8, 1890-1891, p. 505-513 et vol. 15, no 9, p. 577-584. Rééd. de ces textes dans al-Munsif b. ‘Abd al-Jalîl & Kamâl ‘Umrân, Muhammad Bayram al-khâmis, op. cit., p. 227-254 et p. 291-318.
23 Muhammad Bayram al-khâmis, Ahkâm al-ashrâf Âl Bayt Rasûl Allâh, al-Qâhira, al-Matba‘a al-i‘lâmiyya, 1302 (1885).
24 Mulâhazât siyâsiyya ‘an al-tanzîmât al-lâzima li-l-dawla al-‘aliyya, mémorandum rédigé en 1881 et édité par la suite au Caire : 1re éd. s. d. ; 2de éd. Matba‘at al-Muqtataf, 1898 ; rééd. dans al-Munsif b. ‘Abd al-Jalîl & Kamâl ‘Umrân, Muhammad Bayram al-khâmis, op. cit., p. 257-287.
25 Voir Safwat al-i‘tibâr bi-mustawda‘ al-amsâr wa-l-aqtâr, op. cit. ; et Tarjamat Muhammad Bayram al-khâmis, op. cit.
26 Dagmar Glaβ, Der Muqtataf und seine Offentlichkeit, 2 vol. , Würzburg, Ergon, 2004.
27 Traduction d’Ali Chenoufi, éditeur de l’ouvrage en 1989.
28 Tarjamat Muhammad Bayram, op. cit., p. 125, 167-168.
29 La première édition en arabe de l’introduction (ou prolégomènes) d’Ibn Khaldoun, Al-Muqaddima, date de 1858. Elle avait été préparée par l’orientaliste français Étienne Quatremère et parut à Paris.
30 Noureddine Sraïeb, Le Collège Sadiki de Tunis 1875-1956 : enseignement et nationalisme, Paris, CNRS Éditions, 1995.
31 Tarjamat Muhammad Bayram, op. cit., p. 80 et p. 131.
32 Ibidem, p. 165.
33 En Tunisie, ces mesures dataient du règne d’Ahmad Bey et avaient été validées par des fatwas des deux grands muftis malékite et hanafite, dont Muhammad Bayram IV, l’oncle de Muhammad Bayram V. M’hamed Oualdi, Esclaves et Maîtres, op. cit., p. 215 sq ; Hayri Özkoray, « Esclavage », dans François Georgeon, Nicolas Vatin & Gilles Veinstein (dir.), Dictionnaire de l’Empire ottoman, op. cit., p. 413-415 ; Y. Hakan Erdem, Slavery in the Ottoman Empire and its Demise 1800-1909, London, St Antony’s-McMillan Series, 1996.
34 Référence n. 22.
35 Wael Hallaq, « Was the Gate of Ijtihad Closed? », International Journal of Middle East Studies, vol. 16, no 1, 1984, p. 3-41.
36 Ahmad Dallal, Islam without Europe. Traditions of Reform in Eighteenth Century Islamic Thought, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2018 (p. 56-93 pour la notion d’ijtihâd).
37 Mulâhazât siyâsiyya, op. cit.; rééd. dans al-Munsif b. ‘Abd al-Jalîl & Kamâl ‘Umrân, Muhammad Bayram al-khâmis, op. cit., p. 257-287.
38 Pour une analyse détaillée de ce mémoire et de la pensée politique de Bayram, voir Béchir Tlili, Études d’histoire sociale tunisienne du xixe siècle, Tunis, Publications de l’Université de Tunis, 1974.
39 « Taqrîr al-shaykh Muhammad Bayram al-khâmis ilâ rijâl al-dawla al-‘uthmâniyya (1881) », éd. ‘Abd al-Jalîl al-Tamîmî, Al-Majalla al-târîkhiyya al-maghâribiyya, vol. 18, no 61-62, juillet 1991, p. 195-201.
40 Muhammad al-Sanûsî, Al-Rihla al-hijâziyya, vol. 2, éd. ‘Alî al-Shannûfî, Tunis, al-Sharka al-tûnisiyya li-l-tawzî‘, 1981, p. 104-106 (rédaction de l’œuvre achevée en 1885) ; pages traduites en français dans Ali Chenoufi, Un savant, op. cit., p. 63-65.
41 Voir Anne-Laure Dupont, « De la Demeure du Califat aux “découvertes parisiennes” : Muhammad al-Sanûsî (1851-1900), un lettré réformiste à l’épreuve du protectorat français », dans Nathalie Clayer & Erdal Kaynar, Penser, agir et vivre dans l’Empire ottoman et en Turquie. Études réunies pour François Georgeon, Louvain, Peeters, 2013, p. 47-65.
42 Tarjamat Muhammad Bayram, op. cit., p. 140, 159. La publication de ce traité (1885, voir n. 23) survint à une époque où la question du califat était ultra-sensible et alimentait le nationalisme arabe. Voir les entrées « Arabes » (Henry Laurens), « Califat » (Gilles Veinstein) et « Nationalisme arabe » (Anne-Laure Dupont) dans François Georgeon, Nicolas Vatin & Gilles Veinstein (dir.), Dictionnaire de l’Empire ottoman, op. cit.
43 Homa Pakdaman, Djamal-ed-din Assad Abadi dit Afghani, Paris, G. P. Maisonneuve et Larose, 1969, p. 93-100 ; Nikki Keddie, Sayyid Jamāl al-Dīn « al-Afghānī ». A Political Biography, Berkeley, University of California Press, 1972, p. 215-219. Sur le général Hussein : M’hamed Oualdi, Esclaves et Maîtres, op. cit..
44 Moncef Chenoufi, « Les deux séjours de Muhammad ‘Abduh en Tunisie et leurs incidences sur le réformisme musulman tunisien (6 décembre 1884 – 4 janvier 1885 et 9-24 septembre 1903) », Les Cahiers de Tunisie, no 16, 1968, p. 57-96.
45 Idée accréditée par Sanusi dans ses biographies de Muhammad ‘Abduh et Jamal Eddin al-Afghani (Sanûsî, Al-Rihla al-hijâziyya, vol. 3, p. 265-288), et infirmée dans Homa Pakdaman, Djamal-ed-din Assad Abadi dit Afghani, p. 103-106 ; Nikki Keddie, Sayyid Jamâl al-Dîn « al-Afghānī », op. cit., p. 227 ; Arnold Green, The Tunisian Ulama, op. cit., p. 146-149.
46 Voir Jurjî Zaydân, Tarâjim mashâhîr al-Sharq, al-Qâhira, Matba‘at al-Hilâl, 1911 (2de éd.) ; Khayr al-Dîn al-Ziriklî, Al-A‘lâm, al-Qâhira, al-Matba‘a al-‘arabiyya, 1927 ; Yusuf Dâghir, Masâdir al-dirâsa al-adabiyya, Bayrût, 1950-1973.
47 Muhammad al-Fâdil Ibn ‘Âshûr, A‘lâm al-fikr wa-arkân al-nahda bi-l-Maghrib al-‘arabî, Tûnis, Markaz al-nashr al-jâmi‘î, 2000, p. 173-179, 181.
48 Al-Munsif b. ‘Abd al-Jalîl & Kamâl ‘Umrân, Muhammad Bayram al-khâmis, op. cit.
49 Al-Shaybâni Binbulghayth, Al-Shaykh Muhammad Bayram al-khâmis, op. cit.
50 Le mot mujtahid renvoie, dans le sunnisme, aux fondateurs de madhhab, évoqués plus bas comme « piliers protecteurs ». Les muqallid sont « les imitateurs », c’est-à-dire les savants qui se conforment à la tradition de leur madhhab.
51 En arabe, ce paragraphe comprend des rimes. La présente traduction rend peu compte de sa dimension littéraire et s’attache au sens.
52 Ibn Nujaym (1520-1563) est un ouléma hanafite égyptien, réputé pour sa maîtrise du fiqh et ses nombreuses fatwas. Pour Bayram V, il appartient à la catégorie des savants muqallid et ne peut être imité. Qui a une question juridique à trancher ne peut répéter ses avis, mais doit faire lui-même un travail de lecture et de recherche.
Auteur
Sorbonne Université Lettres

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