Introduction à la troisième partie
p. 207-209
Texte intégral
1Les stratégies du Zaydan écrivant ne sont pas disjointes de celles de l’écrivain. L’écrivant a toujours un objectif et un destinataire. Une œuvre engagée, dit le critique Étienne Barilier, « est une œuvre engageante, qui suscite les débats, qui éveille chez les lecteurs la conscience et le désir d’action » (Kaempfer & Meizoz 2006, p. 278). Mais s’il veut que son message ait une vraie force illocutoire et performative, l’écrivant doit savoir créer un texte artistiquement à la hauteur de ses objectifs. L’écrivant donc, ne l’est pleinement que s’il est aussi écrivain. En d’autres termes – en empruntant à Étienne Barilier une expression très pertinente – il faut savoir « changer de monde » pour « changer le monde » (Kaempfer & Meizoz 2006, p. 267). Ainsi, l’opposition de Roland Barthes entre « écrivant » et « écrivain » s’annule ici en faveur d’une interdépendance nécessaire de ces deux attitudes face au texte.
2Chez un auteur comme Zaydan, qui met clairement en avant son rôle de pédagogue, la portée de son engagement se concevra donc, comme l’affirme Jean-Paul Sartre, « à l’aune de son efficacité, c’est-à-dire à l’aune de sa capacité à atteindre le public choisi et visé » (Kaempfer & Meizoz 2006, p. 114). Le pôle artistique d’un texte (c’est-à-dire celui du texte produit par l’auteur, incluant ses choix génériques et stylistiques) et son pôle esthétique (c’est-à-dire celui de la concrétisation du texte réalisée par l’acte de lecture) sont ainsi strictement liés, car toute œuvre littéraire ne peut trouver sa réalisation que dans la lecture qu’en fait son public.
3Ce qu’il nous intéressera de traiter ici, c’est l’esthétique de la réception zaydanienne, c’est-à-dire la façon dont Zaydan construit la communication avec son lecteur. Au regard de cet objectif, le modèle d’analyse proposé par Wolfgang Iser est l’un des plus opératoires. Représentant majeur de l’école de Constance avec Hans Robert Jauss, Wolfgang Iser essaye de résoudre l’apparente contradiction entre le texte littéraire en tant que création artistique établie et en tant qu’actualisation éphémère par un acte de lecture. Sa théorie ouvre, dans les années 1970, une importante voie vers un accord entre l’analyse narratologique et la sociologie. Le texte est, selon Wolfgang Iser, un processus qui va du regard que l’auteur porte sur le monde aux actes de sélection et combinaison1 des éléments pour le texte, à la perception et la réception du lecteur (Iser 1985). Ce processus englobe donc une dimension sociologique (le regard de l’auteur sur la société) ; une dimension artistique (les choix de sélection et de combinaison effectués par l’auteur, c’est-à-dire la manière dont il manie la langue pour atteindre l’objectif de la communication) ; une dimension esthétique (liée à la réception). Le texte, dit Wolfgang Iser, « donne lui-même de manière anticipée son mode de réception et libère en cela un potentiel d’effet dont les structures mettent en branle – et jusqu’à un certain point contrôlent – le processus de réception » (Iser 1985, p. 5).
4Ainsi, après avoir exposé les théories de Zaydan telles qu’elles ressortent de son œuvre littéraire et de son essai, et après avoir étudié les stratégies génériques de l’auteur, il sera question de traiter la façon dont les textes étudiés construisent de manière anticipée leur mode de réception. Cette construction s’articule en deux points : la construction de l’autorité discursive et la construction des lecteurs inscrits dans les textes.
5Dans l’œuvre de Zaydan, ce sont les textes eux-mêmes qui – étudiés de manière approfondie grâce aux outils de l’analyse stylistique et narratologique, des études de genre et de la réception – nous informent sur la manière dont l’univers social et idéologique y est déformé et reformulé, nous permettant ainsi de comprendre les enjeux de la réécriture de l’histoire qui s’y opère, dans le contexte de l’Égypte actuelle. Comme l’affirme Claude Duchet, un des théoriciens de l’approche sociocritique, nous ne devons pas chercher la société dans le texte, mais la « société du texte » (Duchet & Maurus 2011, p. 83-84). Ainsi, l’étude des textes et des destinataires qu’ils englobent nous permettra – nous l’espérons – d’éclairer les débats suscités par l’œuvre de Zaydan en Égypte.
Notes de bas de page
1 Iser s’inspire des concepts de « sélection » et de « combinaison » employés par Roman Jakobson pour décrire l’acte de communication (voir Jakobson 1963, p. 45-49).

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