À la gauche de la gauche
Une toile française de la Palestine
p. 90-122
Texte intégral
1Le 31 mars 2002, une trentaine de Français entrent dans l’enceinte présidentielle de Yasser Arafat, à Ramallah. Ils sont envoyés par la Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien (CCIPPP). Parmi eux, José Bové, le porte-parole de la Confédération paysanne1, un syndicat proche de la mouvance altermondialiste. Depuis deux jours, le président de l’Autorité nationale palestinienne (ANP) est assiégé par les troupes israéliennes : l’opération Rempart a été lancée en Cisjordanie par le Premier ministre israélien, Ariel Sharon.
2Depuis juin 2001, la CCIPPP2 envoie dans les Territoires palestiniens occupés (TPO) des activistes français – majoritairement issus de la gauche de la gauche3 – pour des périodes de résidence plus ou moins longues : elle les met en réseaux avec des organisations partisanes et associatives palestiniennes, et avec des mouvements anticolonialistes israéliens qui se situent à la gauche du Parti travailliste. La CCIPPP n’est pas seule : l’Association France-Palestine Solidarité (AFPS)4 envoie à la même époque ses militants dans les TPO5. Les membres des « missions civiles » des années 2000 se postent aux différents checkpoints israéliens qui maillent les Territoires occupés, ou tentent parfois de prévenir l’intrusion de colons israéliens dans les villages palestiniens : ils s’attèlent surtout à un travail de « témoignage » à leur retour en France, auprès de médias écrits, télévisés ou sur les réseaux sociaux, et à l’organisation de réunions publiques où ils rendent compte de leurs observations dans la bande de Gaza et en Cisjordanie6.
La Palestine, « passion française »
3Plus de quinze ans plus tard, en novembre 2017, des députés du Parti communiste français (PCF) et de la France insoumise (FI) se voient refuser par les autorités israéliennes le droit d’atterrir à Tel-Aviv, alors qu’ils projettent de rencontrer Marwan Barghouti, un membre du Conseil législatif palestinien incarcéré en Israël depuis avril 2001. À la même époque, des mairies dirigées par le PCF déploient sur leurs frontons le portrait d’un militant franco-palestinien, Salah Hamouri, emprisonné par les Israéliens d’août 2017 à septembre 2018. Mais les quinze ans qui séparent l’arrivée de plusieurs dizaines de syndicalistes et de militants altermondialistes à Ramallah de celle du départ avorté de députés « insoumis » et communistes en Palestine occupée n’ont rien d’une parenthèse historique, ouverte par la seconde Intifada de 2000 et l’échec du processus d’Oslo (septembre 1993) : les premiers Comités Palestine sont formés en 1970, et sont proches de la Gauche prolétarienne (GP)7 ; le PCF relaie depuis le début des années 1970 les positions de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ; le Parti socialiste unifié (PSU)8 sympathise également avec la « cause palestinienne », dès la fin des années 1960 (Ravenel 2016, p. 129-132).
4« Passion française » (Sieffert 2004), la question palestinienne l’est encore plus spécifiquement pour la gauche de la gauche. Son histoire reste à écrire : les sources, militantes ou académiques, ne manquent pas, mais elles sont dispersées. Les Itinéraires de Paris à Jérusalem de Samir Kassir et Farouk Mardam-Bey demeurent un ouvrage de référence, mais ils datent (Kassir & Mardam-Bey 1993). L’histoire des Comités Palestine et du Mouvement des travailleurs arabes (MTA) est explorée dans les années 2000 (Hajjat 2006). En 2010, un numéro de la revue Confluences Méditerranée, « La Palestine en débat », consacre une partie de son dossier aux positions des grandes organisations politiques françaises à la gauche de la gauche sur la question palestinienne (Bistolfi 2010). Les sources militantes sont aussi nombreuses : tout au long des années 2000, les Cahiers de l’AFPS rendent compte des débats propres au PCF, au PSU ou aux Verts concernant Israël et la Palestine ; l’association Radar9, proche du Nouveau parti anticapitaliste (NPA)10, permet de consulter, en ligne, un ensemble de documents relatifs au Moyen-Orient publiés sous l’égide du Secrétariat unifié de la Quatrième internationale, trotskyste, au cours des années 1970 et 1980 ; un retour récent sur le phénomène maoïste et sur l’histoire du groupe armé Action directe (AD) croise souvent la Palestine, sans qu’un ouvrage ou une monographie soient explicitement consacrés à cette question (Moukaddem 2013 ; Collectif 2015 ; Dubuisson 2018). Les témoignages d’acteurs sont rares, en-dehors de quelques articles et ouvrages (Halevi 2005 ; Boussoumah 2009 ; Rajfus 1986 ; Rouillan 2018 ; Sommer-Houdeville 2011). Fort utiles, les « Archives de l’autonomie – Fragments de la gauche radicale », sur Internet, donnent accès à de nombreux textes de la GP et de la mouvance autonome11 et maoïste relatifs à la question palestinienne. Restent également les innombrables publications des Éditions François Maspero, du numéro 52 de la revue Partisans consacré au « peuple palestinien en marche » (Partisans 1970), aux écrits de Nathan Weinstock et Maxime Rodinson (Rodinson 1972 ; Weinstock 1969)12. Les sources utilisées dans cet article sont tributaires de ces écrits : elles ne sont par contre pas relatives à un travail de « terrain », encore moins à des entretiens ou à des « observations participantes ». En effet, les souvenirs de l’auteur, dont l’engagement militant précéda l’entrée en sciences sociales, constituent une source et une mémoire accumulée que nous avons rarement eu l’occasion de relater – si ce n’est dans l’introduction d’une thèse en sciences politiques terminée en 2009 (Dot-Pouillard 2009)13. Il y a des « exigences en tension » (Neveu 2003) que nous assumons, l’enjeu étant de produire une analyse distanciée de réseaux d’activistes en mobilisant notre propre mémoire subjective et partisane. Si l’exercice est difficile – croiser l’agir-militant et l’activité scientifique –, il rappelle que le « chercheur doit aussi apprendre à se dépouiller d’une revendication implicite à avoir le dernier mot devant des savoirs militants, des formes fécondes d’intelligence dans l’action » (Neveu 2003).
Une Palestine internationalisée
5La question palestinienne affecte depuis la fin des années 1960 tous les courants de la gauche de la gauche : autonomes, maoïstes, trotskystes, communistes, libertaires, écologistes, voire même nouveaux « populistes de gauche » (Mouffe 2018). Tous les répertoires d’action furent utilisés : manifestations légales et illégales, sit-in, boycott de produits israéliens, attaques armées contre les intérêts israéliens en France, développement de liens institutionnels avec l’OLP et l’ANP14, départ d’activistes dans les Territoires occupés. La toile française de la Palestine n’est pas seulement connectée à l’ancien espace mandataire de la « Palestine historique » : à l’image d’un « nationalisme transnational » ou d’un « nationalisme de diaspora » (Kastoryano 2006, p. 533-553) palestinien, la gauche de la gauche française a une toile palestinienne qui couvre la Jordanie, l’Irak et le Liban et qui déborde aussi sur l’Amérique latine. Les réseaux palestiniens de la gauche de la gauche n’associent pas uniquement des Français et des Palestiniens. La cause palestinienne a un caractère extensif : en se l’appropriant, la gauche de la gauche s’est connectée sur des réseaux transnationaux mêlant activistes basques et latino-américains, palestiniens et maghrébins, turcs et kurdes, libanais et palestiniens. Cette dynamique débute avec les « années rouges » (Badiou 2012) de l’après mai 1968 français, lorsque les militants trotskystes et maoïstes voient des effets de résonnance tiers-mondiste et anti-impérialiste dans chaque mouvement de guérilla du monde arabe, d’Amérique latine et d’Asie. Elle se poursuit jusqu’en dans les années 2000 et 2010 avec une gauche de la gauche qui investit le mouvement altermondialiste et qui n’a de cesse de connecter la question de la Palestine à d’autres espaces et à d’autres réseaux que ceux des seuls Palestiniens.
6À la gauche de la gauche, la toile française de la Palestine est composée de trois types de réseaux qui sont nationaux et transnationaux et qui ne sont pas étanches. Les premiers réseaux sont ceux des radicalités armées – des enfants de la Gauche prolétarienne maoïste au groupe armé Action directe : ce sont des réseaux qui reconnaissent un « droit de légitime violence » (Bouamama 2017, p. 89) aux Palestiniens, qui comprennent des activistes français passés par la lutte armée, connectés à des groupes militaires turcs, libanais ou palestiniens, mais pas seulement. Il y a aussi de simples sympathisants de la lutte armée dans ce réseau qui n’ont pas forcément opéré un passage effectif à la violence politique. Les seconds réseaux sont protestataires : s’ils croisent parfois les réseaux des radicalités armées, ils ne s’y réduisent pas, puisque leurs répertoires d’action sont pacifiques. Les réseaux protestataires utilisent la cause palestinienne comme un « levier15 » (Tannous 2017, p. 17-18) en prenant parfois appui sur elle pour contester capitalisme et impérialisme, comme dans le cas de la CCIPPP. Les réseaux protestataires autour de la cause palestinienne sont alors connectés sur d’autres réseaux transnationaux – « anti-guerre » ou altermondialistes, par exemple dans les années 2000. Les derniers réseaux sont des réseaux de plaidoyer : des organisations politiques et des associations françaises de solidarité avec la Palestine, marquées à la gauche de la gauche (comme l’AFPS, ou, typiquement, le PCF), établissent des liens formalisés, pérennes, voire institutionnalisés avec des Palestiniens, liant la pure protestation contre Israël à des logiques de plaidoyer adressé au ministère des Affaires étrangères français, à l’Union européenne ou à l’ONU. Les réseaux des radicalités armées ont un air de famille avec les réseaux protestataires ; les réseaux de plaidoyer recoupent parfois les réseaux protestataires ; mais les anciens réseaux des radicalités armées se méfient des réseaux de plaidoyer
7L’utilisation du concept de réseau comme catégorie d’analyse et l’image de la toile française de la Palestine pour décoder le rapport de la gauche de la gauche française à la question palestinienne appellent deux remarques. Premièrement, réseaux et toile permettent de décrire des liaisons effectives entre des mouvements politiques, associatifs et syndicaux français et internationaux qui ont leur part « d’horizontalité, de flexibilité et d’informalité », trois caractéristiques souvent attribuées à « l’agir-en-réseau » (Dumoulin-Kervran & Pepin-Lehalleur 2012, p. 19). D’une part, les réseaux français de solidarité avec la Palestine – armées, protestataires et de plaidoyer – ne sont pas centralisés (même s’ils sont tous connectés), et sont exempts de toute hiérarchie, voire de tout processus vertical décisionnel. Dans les années 2000, une « campagne nationale de solidarité avec la Palestine » est le fruit de difficiles négociations entre des mouvements parfois concurrents. Ni le PCF, ni le NPA, ni les anciens d’Action directe « ne donnent le la » de la cause palestinienne en France. D’autre part des formations disparaissent tandis que d’autres apparaissent, selon une logique de l’éphémère. Les réseaux militants survivent aux organisations, aux sigles et aux modes idéologiques du moment : les anciens réseaux maoïstes de la GP et ceux du PSU se fondent facilement, une fois leurs organisations disparues, dans d’autres formations attachées à la cause palestinienne. Flexibilité : les trois réseaux décrits sont à la fois distincts, et interconnectés. Les réseaux protestataires jouent le rôle de « pivot » entre le pôle des radicalités armées et celui du plaidoyer, des militants peuvent circuler entre les trois réseaux (par exemple dans le cas de la CCIPPP), et se greffent temporairement sur d’autres réseaux (maoïstes, « anti-guerre », altermondialistes), selon l’opportunité politique de la conjoncture.
8Deuxièmement, l’étude de la toile française de la Palestine se distingue quelque peu d’un postulat académique et militant parfois consensuel et trompeur (Boltanski & Chiapello 1999 ; Castells 1998 ; Hardt & Negri 2004) qui fait temporellement correspondre « l’agir-en-réseau » au « modèle universel d’une nouvelle ère post-État-nation (mais aussi post-fordiste, post-industrielle, post-guerre froide, voire post-moderne) » (Dumoulin-Kervran & Pepin-Lehalleur 2012, p. 16). Au contraire, les réseaux décrits dans cet article sont bien antérieurs à la décennie des années 1990 : à la gauche de la gauche française, les Itinéraires de Paris à Jérusalem (Kassir & Mardam-Bey 1993) sont inséparables des dynamiques transnationales d’un « Global 6816 » dont les effets notoires furent, parmi d’autres, d’internationaliser la cause palestinienne, et de permettre, dès cette époque, la mise en réseaux d’activistes selon des logiques multicontinentales.
Un « droit à la légitime violence » : les réseaux des radicalités armées
9En mars 1984, Gabriel Mouesca est emprisonné à la maison d’arrêt de Pau. Il a 22 ans. Il s’en échappe le 13 décembre 1986 – après que des militants basques du mouvement Iparretarrak17 se sont introduits dans la prison. Capturé à nouveau, puis libéré en 2001 par la justice française, il a passé dix-sept années en prison pour le meurtre d’un gendarme dans les Landes, en 1983 (Mouesca 2006). Il devient président de l’Observatoire international des prisons (OIP)18, après un passage comme chargé de mission auprès de la Croix-Rouge. Son entrée à l’OIP en 2004 correspond aux premiers contacts qu’il établit avec la CCIPPP, sans qu’il n’en ait jamais été membre : la CCIPPP développe alors une campagne de solidarité avec les détenus palestiniens dans les prisons israéliennes19. Elle se décline sous la forme de lettres envoyées aux prisonniers à partir de la France, d’une campagne de plaidoyer auprès du ministère des Affaires étrangères, et de délégations « d’officiels » dans les Territoires occupés – Gabriel Mouesca en fait partie. Depuis 2001, la même CCIPPP a été dirigée entre autres personnes20 par Nahla Chahal, une ancienne dirigeante de l’Organisation d’action communiste au Liban (OACL)21, résidant à l’époque en France. Dans Nos guerres imprudentes, un documentaire réalisé en 1995 par sa sœur, Randa, elle relate ses années de militance armée passées aux côtés des Palestiniens au Liban. Pays basque français, Liban, Palestine : cette triangulation qui relie des activistes passés par la lutte armée n’est pas rare. À la gauche de la gauche, une toile palestinienne relie encore d’anciens combattants et des prisonniers de la gauche radicale.
Des « maos » à Action directe : les « nouveaux partisans22 » ?
10Jusqu’à la fin des années 1980, les contingents de combattants non palestiniens dans les rangs du Fatah ou du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP)23 viennent du monde arabe (Dot-Pouillard 2012), et dans une moindre mesure, d’Amérique latine, d’Allemagne ou du Japon (Chamberlin 2012 ; Collins 2012). Peu de militants français sont morts dans des combats les opposant aux Israéliens au Liban. Françoise Kesteman et Nicolas Roubie demeurent des exceptions notables. La première, une ancienne militante du PCF, décède le 22 septembre 1984 lors d’une attaque armée sur les côtes israéliennes revendiquée par le mouvement Fatah, aux côtés de son mari palestinien, Fathi Khalil Daher. Elle est aujourd’hui enterrée au « cimetière des Martyrs de Chatila », qui jouxte le camp de réfugiés palestinien du même nom, à Beyrouth. Nicolas Roubie, membre du Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP), meurt à l’âge de 25 ans, lors d’un bombardement israélien sur le quartier de Fakhani, à Beyrouth, le 17 juillet 1981 (Sulaymân & Hamâda 2012, p. 298).
11C’est sur le territoire français – et non au Moyen-Orient – que la violence politique d’une partie de l’extrême gauche hexagonale se déporte lorsqu’il s’agit de la cause palestinienne. En septembre 1969, le siège de la banque Rothschild, rue Notre-Dame-de-Lorette à Paris, est incendié par des militants maoïstes de la GP. En juillet 1970, la MOM (Milice ouvrière multinationale), proche de la GP, attaque l’ambassade de Jordanie à Neuilly pour dénoncer la répression de l’État hachémite contre les troupes de l’OLP. Il faut ensuite attendre mars 1982 pour voir le groupe Action directe (AD) mener une série d’attaques contre les intérêts israéliens en France (Moukaddem 2013, p. 198). Le 30 mars, une antenne du ministère de la Défense israélien à Paris est attaquée par des membres d’AD et d’un groupe marxiste-léniniste turc, le THKP-C24. Le 1er août, c’est la voiture d’un fonctionnaire de l’ambassade d’Israël à Paris qui est mitraillée. Le même mois, le groupe revendique « l’occupation et l’expropriation de la Chase Manhattan Bank25 », ainsi que deux « attentats contre une banque et une société israélienne » (Action directe, avril 1984, p. 12 ; 1997, p. 6). AD critique cependant dans les pages de l’Internationale, un journal qui lui est proche, les attentats de la rue des Rosiers d’août 1982, qu’il qualifie alors de « massacre26 ». Les attentats contre les intérêts israéliens en France s’inscrivent, du point de vue d’AD, dans le contexte de l’invasion israélienne du Liban de l’été 1982, et dans la perspective d’un « Front anti-impérialiste » reliant les luttes du « centre » (l’Occident) à celles des « trois continents » (Afrique, Asie, Amérique latine) (Action directe, 1997, p. 6).
12Les attaques anti-israéliennes d’AD au début des années 1980 ne s’expliquent pas seulement par un virage théorique (le « Front anti-impérialiste ») – rejeté par une partie des militants d’AD qui prennent leurs distances avec l’organisation à partir d’août 198227. Plusieurs réseaux sont en effet à l’origine d’AD. Le premier est celui du Mouvement ibérique de libération (MIL) et des Groupes d’action révolutionnaires internationalistes (GARI). De 1971 à 1977, ces deux organisations dirigent leurs attaques contre l’État espagnol28. Le second réseau constitutif d’AD dérive de la dissolution, en 1973, de la GP. Des activistes, membres de la « branche armée de la GP », la Nouvelle résistance populaire (NRP), se regroupent tout au long des années 1970 dans différentes structures clandestines : les Brigades internationales (BI), et, de 1977 à 1980, les Noyaux armés pour l’autonomie populaire (NAPAP). Autonomes, maoïstes, anciens partisans d’une lutte armée contre le régime franquiste en Espagne, AD agrège progressivement, à partir de 1978, l’ensemble de ces sensibilités (Dubuisson 2018, p. 258-259).
13Or, au sein des réseaux maoïstes et autonomes issus de l’ancienne GP, la sensibilité propalestinienne est forte. La GP était directement connectée au Fatah palestinien, en Jordanie et au Liban, et y a envoyé plusieurs délégations jusqu’à sa dissolution. En 1975, des militants des BI sont au Liban, et résident au camp de réfugiés palestinien de Tell al-Zatar (Dubuisson 2018, p. 126). À partir de septembre 1970, les Comités de solidarité avec la révolution palestinienne (CSRP) mêlent travailleurs immigrés proches de la GP, mais aussi activistes de l’Union générale des étudiants palestiniens (GUPS) installés en France, militants d’extrême gauche libanais et syriens, exilés algériens, tunisiens et marocains (Arar 2010 ; Hajjat 2006). Des anciens de la GP, des CSRP et du Mouvement des travailleurs arabes (MTA), fondé en juin 1972, gravitent autour de la mouvance autonome dont certains rejoignent AD à la fin des années 1970 (Rouillan 2018, p. 149-150). En même temps, AD s’implique dans un mouvement d’occupation d’immeubles abandonnés dans les quartiers de Barbès et de Strasbourg-Saint-Denis : aux jeunes travailleurs précaires et aux immigrés gravitant dans l’orbite de la mouvance maoïste et autonome s’ajoutent des exilés politiques turcs d’extrême gauche résidant dans les « squats ».
14La vague d’attentats contre les intérêts israéliens en France, revendiqués par AD au début des années 1980, est donc la conséquence d’une mise en réseaux : celle qui associe d’anciens activistes antifranquistes à des militants maoïstes et autonomes, pour certains immigrés en France et originaires du Maghreb, connectés sur des réseaux transnationaux (Palestiniens du Liban, extrême gauche turque). Ces réseaux ne fonctionnent plus dans la seconde moitié des années 1980 : le dernier noyau combattant d’AD tombe en février 1987, à Vitry-aux-loges, dans le Loiret.
Réseaux ou « constellation » ?
15À partir de la seconde moitié des années 1980, les réseaux des radicalités armées en France sont dissous. Mais ils survivent sous d’autres formes, avec des répertoires d’action différents. Le 16 juin 2004, Joëlle Aubron est libérée de la prison de Bapaume, dans le Pas-de-Calais. Membre d’AD, elle a été arrêtée, aux côtés de Nathalie Ménigon, Jean-Marc Rouillan et Georges Cipriani, le 21 février 1987. Le jour de sa sortie, une petite foule l’attend29 : membres de différents comités de solidarité avec la Palestine, des collectifs de défense des prisonniers d’AD, de la CCIPPP, de la Confédération nationale du travail (CNT) anarcho-syndicaliste, d’anciens militants « semi-légaux » d’AD et de la bibliothèque Jargon libre – autrefois une librairie parisienne proche d’AD, fermée par les autorités en 1984. Nombre des militants qui accueillent Joëlle Aubron à sa sortie de prison sont également membres des comités pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah, incarcéré en France depuis 1984. Ce dernier, fondateur des Forces armées révolutionnaires libanaises (FARL)30, est également un ancien activiste du FPLP. Atteinte d’un cancer, Joëlle Aubron décède deux ans plus tard. Durant cette période de liberté surveillée, elle entretient des liens épisodiques avec la CCIPPP31, ainsi qu’avec les réseaux proches de Georges Ibrahim Abdallah. En 2002, Joëlle Aubron et Nathalie Ménigon avaient entamé une grève de la faim dans la prison de Bapaume, en solidarité avec les « 24 femmes et mineures palestiniennes détenues à la Neve Tirza Prison en Israël. » (Aubron & Ménigon 2002)
16En France, les anciens réseaux armés de l’autonomie et du maoïsme attachés à la cause palestinienne ont leurs « vies ultérieures » (Ross 2010), mais il ne s’agit plus, comme à l’époque de la GP et d’AD, de s’attaquer militairement aux intérêts israéliens en France. Durant la seconde moitié des années 2000, les anciens de la mouvance autonome militent souvent dans des comités de solidarité avec la Palestine, bien qu’ils se méfient de la rhétorique très institutionnelle de formations comme l’AFPS, à qui ils reprochent une trop grande proximité avec l’Autorité nationale palestinienne, ou un discours trop centré sur la reconnaissance de deux États israélien et palestinien32. Les anciens sympathisants des radicalités armées se retrouvent surtout dans les comités Georges Ibrahim Abdallah – leurs membres sont souvent les mêmes que ceux des anciens collectifs de défense des prisonniers politiques d’AD. Un ancien proche d’AD qui avait fondé le Collectif autonome de la BNP en 1976 aux côtés de Nathalie Ménigon33 et qui a intégré le NPA en 2010 participe par exemple la même année à un meeting de solidarité avec Georges Ibrahim Abdallah à Beyrouth. Il partage la tribune avec des représentants de partis politiques libanais – notamment du Parti communiste libanais (PCL) – des membres de la famille de Georges Ibrahim Abdallah, et Anis Naccache – un ancien membre libanais du Fatah qui a pris fait et cause pour la révolution iranienne, incarcéré en France de 1980 à 1990 pour une tentative d’assassinat sur l’ancien Premier ministre du Shah d’Iran, Shapour Baktiar34.
17La sympathie de Joëlle Aubron à sa sortie de prison pour les réseaux propalestiniens, la proximité d’un ancien militant basque d’Iparretarrak avec la CCIPPP, les connexions entre les différents comités de défense des prisonniers d’AD et ceux de Georges Ibrahim Abdallah : les anciens partisans des radicalités armées, engagés ou sympathisants, constituent-ils encore un réseau ? Il faut admettre que s’ils sont bien mis en réseaux, selon des logiques affinitaires et des airs de famille, il ne s’agit naturellement plus des mêmes « formes » de réseaux que dans les années 1970 et 1980. Ces derniers ressemblent aujourd’hui davantage à une « constellation » (Dubuisson 2018, p. 85) propalestinienne et n’ont plus un caractère aussi structuré que dans les années 1970 et 1980. Les réseaux propalestiniens issus de la GP, des NAPAP, de la mouvance autonome ou d’AD étaient clandestins, et connectés à des organisations palestiniennes (le Fatah principalement), ils avaient même un programme (le « Front anti-impérialiste » par exemple). Les réseaux armés des années 1970 et 1980 n’agrégeaient pas seulement des individus, mais des organisations politiques et/ou militaires, même éphémères : GP, BI, NAPAP, MTA, AD… Ils avaient une certaine base sociale, même limitée : immigrés, jeunes travailleurs précaires, réseaux des squats et des immeubles occupés de l’Est-parisien. Ils combinaient activisme clandestin et semi-légal. Les anciens réseaux des radicalités armées se sont aujourd’hui pliés à une logique plus typiquement protestataire – qui exclut désormais l’usage de la violence politique.
Les réseaux protestataires : la Palestine comme « levier »
18Les réseaux des radicalités armées inscrivaient la question palestinienne dans un imaginaire politique où « la solidarité avec les peuples en lutte » pouvait « nourrir un imaginaire guerrier » (Sommier 2008, p. 31). Mais les réseaux protestataires se limitent à des répertoires d’action pacifiques (manifestations, occupations). À la gauche de la gauche française, la Palestine a un effet de « levier » et des effets de résonnance avec d’autres causes : mobilisations antiracistes en métropole (et ce dès les années 1970), mouvements de solidarité avec d’autres pays arabes (Liban, Irak), contestations altermondialistes. La gauche de la gauche légitime également son positionnement protestataire et propalestinien en se connectant aux mouvements anticolonialistes israéliens, marqués à gauche, et en mobilisant l’identité juive de certains de ses membres. La cause palestinienne permet à la gauche de la gauche de développer des réseaux qui sont tout à la fois nationaux et transnationaux et qui passent autant par le Liban et l’Irak que par l’Amérique latine.
Les réseaux de l’immigration maghrébine
19Dans les années 1970, la GP tente de s’implanter dans les milieux de l’immigration maghrébine qui comprennent notamment des ouvriers spécialisés (OS) algériens, tunisiens ou marocains, et des habitants des bidonvilles de Nanterre. L’aventure du Mouvement des travailleurs arabes à partir de 1972, si elle ne se réduit pas à l’histoire de la seule GP, symbolise cette mise en résonnance des causes antiracistes et palestiniennes par l’extrême gauche. Le contexte s’y prête bien alors que les héritages de la guerre d’Algérie sur la France sont encore prégnants.
20La cause palestinienne sert ainsi à la gauche de la gauche de « levier » pour se connecter sur l’immigration maghrébine, selon une logique instrumentale. Dans les années 1990 et 2000, les réseaux de l’immigration sont particulièrement mobilisés autour de la question palestinienne : associations « historiques » des immigrations tunisiennes, algériennes et marocaines de France (Association des travailleurs maghrébins de France – ATMF ; Fédération tunisienne pour une citoyenneté des deux rives – FTCR), réseaux des « quartiers populaires » (Forum unifié de l’immigration et des quartiers populaires). Mais, contrairement aux années 1970 et 1980, ces mobilisations voient s’affirmer les réseaux musulmans dits communautaires (Collectif des musulmans de France, Participation et spiritualité musulmane). À la suite de la seconde Intifada de 2000, la présence de ces réseaux musulmans dans des manifestations de solidarité avec la Palestine n’est pas sans poser problème à une gauche de la gauche habituée à travailler avec des partenaires perçus comme « progressistes », en raison notamment de la présence d’anciens militants de gauche arabes exilés en France parmi eux.
21Mais la mise en réseaux autour de la Palestine de la gauche de la gauche avec des mouvements issus de l’immigration prend corps et déborde dorénavant la seule question palestinienne. Les réseaux de solidarité avec la cause palestinienne sont souvent les mêmes que ceux qui se mobilisent sur des questions plus typiquement françaises. Dans la première moitié des années 2000, la CCIPPP regroupe dans sa coordination nationale, des militants de la LCR, de la CNT et de la Confédération paysanne d’une part, des activistes issus de l’immigration d’autre part (les réunions de la CCIPPP se tiennent alors dans les locaux de l’Association des travailleurs maghrébins de France, au métro La Chapelle35).
En 2004, la CCIPPP s’engage dans la campagne nationale contre la Loi sur le port de signes religieux dans les écoles françaises qui est perçue comme visant directement les jeunes filles musulmanes et voilées. En octobre 2015, la « Marche de la dignité contre les violences policières », initiée par la Marche des femmes pour la dignité (MAFED)36, mais aussi par le Parti des indigènes de la République (PIR)37, voit l’ensemble des associations de soutien à la Palestine défiler aux côtés de mouvements issus de l’immigration, suivis, en queue de cortège, par la gauche de la gauche : Mouvement des jeunesses communistes (MJC), proches du PCF ou du NPA, jusqu’au député « frondeur » du Parti socialiste Pouria Amirshahi. Ancienne ambassadrice de Palestine en France, Leila Shahid se fait marraine de l’initiative, aux côtés d’Angela Davis, une ancienne membre du Black Panthers Party (BPP) – parti politique fondé en 1966).
Les juifs français de la Palestine
22À la gauche de la gauche, les réseaux propalestiniens ont également un fort registre de légitimation. Se connectant à des mouvements anticolonialistes israéliens, et mobilisant des activistes de gauche binationaux franco-israéliens – le cas de Michel Warshawski est emblématique38 – ils cherchent à contrer un récit les accusant d’être antisémites. Ils mobilisent pour cela une gauche anticolonialiste israélienne avec laquelle ils partagent un programme anticapitaliste. Dans les années 1970, la LCR se rapproche de deux formations israéliennes : l’Organisation socialiste israélienne (OSI) et la Ligue communiste révolutionnaire israélienne. La première a été fondée en 1962 par Akiva Orr et Moshe Mashover, et fut plus connue sous le nom de la Boussole (Matzpen), son journal. D’anciens militants sionistes, membres du Palmach et du Mapam39, ont pu la rejoindre à l’époque. C’est cependant la Ligue communiste révolutionnaire israélienne qui est, officiellement, de 1972 à 1994, date de sa disparition, la section israélienne de la Quatrième internationale, trotskyste. Quant à la GP et aux « maos », les liens avec le Fatah sont assurés à la même époque par Ilan Halevi, un jeune français né à Lyon en 1943, dont le père était un juif polonais et la mère une juive originaire d’Istanbul40. En 1975, il épouse la sociologue Catherine Lévy. Lecteur de Sartre et de Fanon, proche du philosophe Félix Guattari, son histoire, comme celle des « juifs du Fatah », demeure peu connue (Halevi 2005). Proche de Yasser Arafat, il devient dans les années 1990 membre du Conseil révolutionnaire du Fatah, et vice-ministre des Affaires étrangères de l’Autorité nationale palestinienne.
23Dans les années 1990 et 2000, la gauche de la gauche française se revendique par ailleurs d’une forme de « judaïsme libertaire » (Löwy 2009). Plusieurs initiatives et prises de position illustrent cette tendance. Avril 1994 voit la fondation de l’Union juive française pour la paix (UJFP). Formation proche de la gauche radicale, ses troupes sont réduites et son discours va à l’encontre des grandes organisations communautaires, du Conseil représentatif des juifs de France (CRIF) au Consistoire israélite (Stambul 2018). Par ailleurs, il est bien aussi à la gauche de la gauche des personnalités qui se réclament d’une identité juive. C’est le cas notamment de Daniel Bensaïd, philosophe et dirigeant de la LCR, qui, avec Rony Broman et Marcel-Francis Kahn, souhaitent « en tant que juifs » briser « l’escalade religieuse et communautaire pour revenir au fond politique de la question (israélo-palestinienne) » (Bensaïd, Broman & Kahn 2000). C’est enfin encore en ce sens que l’on peut lire une parution de la revue d’extrême gauche Ballast, qui publie en novembre 2015 un long article consacré à Marek Edelman, juif polonais commandant les insurgés du Ghetto de Varsovie en avril 1943 et toujours opposé au sionisme (Carme 2015).
Les mouvements « anti-guerre »
24Dans les années 2000, les réseaux propalestiniens se greffent sur des réseaux « anti-guerre ». L’entrée des forces américaines et britanniques en Afghanistan en octobre 2001, puis celle d’une coalition militaire en Irak menée par les États-Unis à partir de mars 2003 favorisent une convergence des causes : les réseaux de solidarité avec la Palestine contestent l’ensemble de la politique américaine au Moyen-Orient qu’ils perçoivent comme solidaire d’Israël. En janvier 2002, le réseau Agir contre la guerre (ACG) tient sa première réunion à Paris. Aux côtés d’intellectuels comme Gilbert Achcar, un Libanais membre de la Quatrième internationale et proche de la LCR, des activistes venant des Verts, d’Attac, de Socialisme par en bas (SPEB)41 et du Comité de solidarité avec la Palestine du 18e arrondissement, lancent une campagne nationale contre les guerres en Afghanistan et au Moyen-Orient. ACG, né d’un réseau, se met également en réseau avec d’autres mouvements, tels que la CCIPPP et le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB)42. Ensemble, ils organisent des manifestations ainsi que l’occupation de bureaux de la compagnie American Express (avril 2003).
25Ces mises en réseaux triangulaires (gauche de la gauche – mouvements issus de l’immigration – mouvements de solidarité avec la Palestine) autour de problématiques « anti-guerre » sont nationales, mais elles ont aussi leurs diagonales transnationales. Dès le printemps 2003, des membres de la CCIPPP et de la LCR partent en Irak avec pour objectif de structurer sur place un réseau « d’observation de l’occupation américaine », sur le modèle des « missions civiles » en Palestine43. Toutefois, la rapide confessionnalisation du théâtre irakien oblige ces activistes à quitter progressivement l’Irak. En juillet 2006, des membres de la CCIPPP sont à l’initiative d’une « mission de solidarité » avec le Liban – alors sous le feu de l’armée israélienne. Une petite délégation composée de représentants de la LCR, des Verts, du PCF, mais aussi de l’AFPS et de la Fédération tunisienne pour une citoyenneté des deux rives (FTCR) est rejointe à Beyrouth par un ancien proche du président africain Nelson Mandela et du Parti communiste sud-africain, Dennis Brutus44. Sur place, la délégation rencontre notamment des dirigeants du Parti communiste libanais (PCL) et du Hezbollah, et s’associe à un petit réseau de gauche radicale libanais engagé dans le soutien aux réfugiés du Sud-Liban, Samidoun (résistants).
Les réseaux altermondialistes
26De la Palestine à « l’immigration postcoloniale » en France et de la question de Palestine aux réseaux « anti-guerre », un troisième réseau se forge dans les années 2000. La gauche de la gauche française encourage alors la dynamique altermondialiste et participe aux forums sociaux mondiaux annuels qui se tiennent dans des pays des « Suds » : Brésil, Inde, Kenya, Sénégal, et Tunis, en 2013. Tandis que des activistes de la LCR, des Verts, du PCF et d’Attac s’investissent dans des réseaux transnationaux mêlant syndicats et mouvements de paysans (le Mouvement des sans-terre45 brésilien notamment), la mouvance propalestinienne en France opère rapidement une conversion à l’altermondialisme. La CCIPPP et l’AFPS envoient des délégués aux Forums sociaux de Porto Alegre (Brésil) et de Mumbai (Inde), tandis qu’en novembre 2006, une « Conférence de solidarité avec la résistance libanaise » tenue à Beyrouth fait la jonction entre partis politiques palestiniens (Fatah, Hamas, FPLP, FDLP), libanais (le Hezbollah et le Parti communiste), gauche de la gauche française et européenne (de la LCR française au Parti des travailleurs de Belgique46), en passant par différents mouvements altermondialistes européens, latino-américains, africains et asiatiques47.
27Les réseaux protestataires ne sont cependant jamais tout à fait loin des réseaux de plaidoyer. La CCIPPP fait elle-même ponctuellement référence au droit international, en appelant l’ONU et la communauté internationale à « protéger les Palestiniens » des Territoires occupés. En ce sens, les réseaux protestataires sont des réseaux « pivots » qui font la jonction entre les anciens réseaux des radicalités armées, et les réseaux de plaidoyer.
Les réseaux de plaidoyer : la logique du droit international
28Les réseaux de plaidoyer ne se distinguent pas fondamentalement des réseaux protestataires. Les militants de l’AFPS, le plus souvent issus de la gauche de la gauche, notamment du PCF, inscrivent bien la question palestinienne dans une grande narration anticoloniale, anti-impérialiste et anticapitaliste : mais, au-delà de la pure protestation, ils s’adressent à des institutions nationales – le ministère des Affaires étrangères français – et transnationales – le Parlement européen par exemple – de différentes manières : pétitions, communiqués, délégations officielles, coordination avec les groupes d’amitiés France-Palestine du Sénat et de l’Assemblée nationale, jumelages entre des mairies de gauche et des mairies palestiniennes dans les TPO. Au contraire des réseaux protestataires, l’adresse aux institutions est la priorité des réseaux de plaidoyer. La logique de plaidoyer se base souvent sur les principes du droit international et des grandes résolutions de l’ONU concernant la question israélo-palestinienne ce qui n’est pas forcément le cas de tous les réseaux protestataires. Cela n’était pas du tout le cas pour les réseaux des radicalités armées. Tout en recoupant les réseaux protestataires, les réseaux de plaidoyers s’en distinguent à certains moments. En toute logique, les réseaux de plaidoyers croisent souvent la gauche de la gauche la plus institutionnalisée.
Le miroir de l’OLP
29La logique de plaidoyer adoptée par une partie de la gauche de la gauche française est d’abord tributaire de ses liens historiques avec l’OLP – une OLP qui, dès son neuvième congrès de juin 1974, s’oriente progressivement vers la perspective de deux États israélien et palestinien côte à côte (Dot-Pouillard 2016, p. 38-41). Ces liens ont un caractère formalisé et institutionnalisé dès la fin des années 1970. Il s’agit pour certaines formations de la gauche de la gauche de se connecter à des organisations palestiniennes dans l’optique d’aboutir à une solution de la question palestinienne fondée sur le droit international. C’est aussi qu’il y a une politique française de la Palestine – et a fortiori de l’OLP. Dès la fin des années 1960, la centrale palestinienne veut tout à la fois séduire la gauche de la gauche, et approcher les autorités gaullistes. En avril 1970, le représentant de l’OLP à Paris, Mahmoud Hamchari, transmet un message officieux au gouvernement français, par l’intermédiaire de Lucien Bitterlin48 : il n’y aura pas d’attaques du Fatah contre les intérêts israéliens en France (Kassir & Mardam-Bey 1993, p. 105). Il est vrai qu’en juin 1967, Charles de Gaulle a critiqué l’invasion israélienne du plateau du Golan syrien, du Sinaï égyptien, de la bande de Gaza et de la Cisjordanie. Le même Mahmoud Hamchari, qui développe peu à peu ses liens avec le Quai d’Orsay, s’ouvre aussi sur la gauche radicale et organise en août 1969 un départ de militants français dans les camps de réfugiés palestiniens de Jordanie. Y participent notamment des représentants de la LCR et de la GP. Mahmoud Hamchari lance le premier bulletin de langue francophone, qui relaie dans l’hexagone les positions de l’OLP : Fedayin. L’OLP tisse également des liens avec les réseaux chrétiens de gauche, des protestants de Cité nouvelle (Cabanel 2012, p. 360-361)49 aux catholiques de Témoignage chrétien, mais surtout avec le PCF et le PSU. Au contraire de l’extrême gauche (GP, LCR), ces deux partis ont une assise institutionnelle solide (députés, sénateurs, maires). Ils ont aussi des contacts avec les Israéliens : le PCF cultive ses relations avec le Parti communiste israélien (PCI), tandis que le PSU a des relations privilégiées avec le Mapam, une organisation de gauche sioniste, proche de l’Union soviétique dans les années 1940. Pour les Palestiniens, la gauche de la gauche la plus institutionnalisée est un « levier ». Elle permet d’élargir les réseaux protestataires au-delà de la seule extrême gauche, et de gagner en France une certaine respectabilité. Au contraire de la GP et de la LCR, il n’y a pas d’antisionisme au sein du PCF et du PSU. Ces deux partis se situent dans une perspective de double reconnaissance d’Israël et de l’OLP.
30Dans les années 1990 et 2000, la représentation de l’OLP à Paris joue sur trois réseaux. Deux de ces réseaux appartiennent à la gauche de la gauche, tandis que le troisième lui est étranger. À la gauche de la gauche, l’OLP balance systématiquement entre proximité avec les réseaux protestataires – notamment par le biais de la LCR et de la CCIPPP – et avec les réseaux de plaidoyer – le PCF, les Verts et l’AFPS. Ambassadrice de Palestine de 1994 à 2005, Leila Shahid se fait très proche de la direction de la LCR, mais la place du Colonel Fabien (siège du PCF) lui fait aussi ses honneurs. Et lorsqu’une cérémonie se tient le 15 novembre 2004 devant la représentation palestinienne à Paris, en hommage à Yasser Arafat mort quelques jours plus tôt50, des délégués de la LCR (Alain Krivine et Olivier Besancenot) et du PCF (Nicole Borvo, Patrick Braouzec et Muguette Jacquaint) y participent naturellement. C’est auprès de « la Ligue » et du PCF que Leila Shahid trouve souvent ses plus fervents soutiens. Dans le même temps, la militante est aussi une diplomate : elle ne s’aliéna ni la gauche, ni la droite, ni la Présidence de la République – en particulier celle de Jacques Chirac. En 2002, elle est accueillie à Évry par Manuel Valls, alors maire socialiste de la ville.
Institutionnaliser le rapport aux Palestiniens
31Comment les réseaux de plaidoyer se distinguent-ils des réseaux protestataires, même s’ils se recoupent ? D’abord, par une très forte logique d’institutionnalisation et de formalisation des rapports avec les Palestiniens. Les mairies du PCF font des jumelages avec des mairies palestiniennes dans les TPO, notamment par l’intermédiaire de l’Association des élus communistes et républicains (ANECR) et de l’Association pour les jumelages entre les camps de réfugiés palestiniens et les villes françaises (APJF), longtemps présidée par Fernand Tuil, un membre du PCF, décédé en novembre 2013. La logique du jumelage est naturellement étrangère aux réseaux des radicalités armées, mais ne recoupe pas toujours non plus celle des réseaux protestataires (la LCR puis le NPA ont très peu d’élus, sinon municipaux, la CCIPPP vise d’abord à envoyer des activistes dans les Territoires occupés). Ensuite, la référence au droit international est constante au PCF, chez les Verts et à l’AFPS qui mènent des campagnes nationales et internationales dont l’objectif est de mettre en contradiction les principes supposés directeurs des politiques françaises et européennes concernant la question palestinienne et leur application réelle. En France, cela se traduit depuis septembre 2000 par la constitution d’un réseau d’une cinquantaine d’organisations politiques et syndicales, nommé Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens (CNPJDPI), dont la charte mentionne explicitement les résolutions des Nations unies concernant la question palestinienne. Le CNPJDPI, composé majoritairement d’organisations situées à la gauche de la gauche, envoie régulièrement des délégations à l’Assemblée nationale et au Sénat, coordonne ses campagnes nationales avec les députés européens de la FI, du PCF et des Verts, plaidant notamment pour une suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël.
32Enfin, la logique de plaidoyer se distingue bien de la logique protestataire et des anciens réseaux des radicalités armées, en ce qu’elle exclut tout soutien, même lointain, à un « droit à la légitime violence ». Ce n’est là ni la perspective du PCF, ni celle de l’AFPS, encore moins celle des écologistes. Mais cela n’exclut en rien la présence au sein du CNPJDPI du NPA et de la CCIPPP, qui reconnaissent bien pour leur part une légitimité à la violence politique des Palestiniens. Cette porosité entre réseaux de plaidoyer et réseaux protestataires n’est d’ailleurs pas exempte de tensions à la gauche de la gauche. À titre d’exemple, en juillet 2014, le NPA manifeste à Barbès aux côtés d’associations issues de l’immigration pour protester contre les bombardements israéliens sur la bande de Gaza. La préfecture de police de Paris interdit l’événement, mais le NPA maintient sa participation à la manifestation, alors que c’est un membre de son comité exécutif, Alain Pojolat, qui se voit notifier le refus en préfecture51. L’initiative n’est alors pas partagée par le PCF. Par ailleurs, le NPA et la CCIPPP sont aussi engagés depuis la seconde moitié des années 2000 dans une « campagne BDS » (boycott, désinvestissement, sanctions) contre Israël52. Mais l’interprétation qui en est faite est différente : si pour le PCF ou les membres de l’AFPS inscrits dans une logique de plaidoyer, en vertu du droit international qui implique une reconnaissance d’Israël, seuls les produits issus des colonies israéliennes dans les Territoires occupés devraient être boycottés, pour le NPA et la CCIPPP, au contraire, ce sont toutes les productions matérielles et immatérielles israéliennes qui doivent faire l’objet d’un boycott. Il faut noter enfin que ces divergences stratégiques recoupent des affinités partisanes transnationales comme l’attachement du PCF et des Verts pour le Fatah et l’Autorité nationale palestinienne, là où le NPA et l’ensemble de la gauche radicale trouvent plus de valeurs dans les positions du FPLP et de la gauche palestinienne.
Les réseaux de Villacoublay
3311 novembre 2004 : il n’y a pas de gerbe pour le soldat inconnu de la Première Guerre mondiale à l’aéroport de Villacoublay. Encore moins d’armistice attendu. Mais une foule compacte attend dans un froid glacial que son soldat familier, Yasser Arafat, décolle pour Le Caire. Le président palestinien est décédé dans la nuit. Sur le tarmac de l’aéroport, une étrange cérémonie officielle salue, au son de la Marseillaise, le président d’un pays sans État. Drapeaux français et palestiniens sont en berne. Devant l’aéroport, quelques centaines de militants accourus depuis l’hôpital de Clamart. Des membres du Fatah et du FPLP se mêlent à des communistes libanais. Anarchistes de la CNT, anciens proches des réseaux armés d’AD, membres de la LCR, du PCF et des Verts, altermondialistes d’Attac, militants du Mouvement de l’immigration et des banlieues, de la CCIPP et de l’AFPS, juifs communistes et libertaires de l’UJFP, défenseurs de Georges Ibrahim Abdallah, sont à quelques dizaines de mètres d’un aréopage officiel de généraux, de membres du gouvernement et du Premier ministre de Jacques Chirac – à l’époque Jean-Pierre Raffarin53. La toile française de la Palestine est réunie.
34À la gauche de la gauche, cette toile française de la Palestine recoupe trois réseaux. Dans les années 1970 et 1980, les réseaux des radicalités armées se connectent aux Palestiniens du Fatah et du FPLP, croisent des « maos » turcs, prennent acte de l’occupation de la Palestine pour occuper des immeubles à Barbès et Strasbourg-Saint-Denis, tentent de faire la jonction avec les ouvriers spécialisés (OS) issus de l’immigration des usines de Renault Flins et de Peugeot Sochaux, et finissent effectivement par attaquer les intérêts israéliens en France. Les réseaux protestataires recoupent parfois les réseaux des radicalités armées, mais ne s’y réduisent pas. Leurs répertoires d’action ne sont pas violents, même s’ils soutiennent souvent ce fameux « droit à la légitime violence » revendiqué autrefois par les réseaux des radicalités armées. Dans les années 2000, ils lisent la Palestine à leur manière : l’invasion américaine de l’Irak en 2003 a des effets de résonnance avec l’Intifada palestinienne de septembre 2000. La Palestine est connectée à l’Amérique latine des Forums sociaux mondiaux et du mouvement altermondialiste. D’où, à cette gauche de la gauche « passionnée » par la question palestinienne, la constitution de singuliers réseaux transnationaux, d’une « diagonale des Suds » (Botiveau, Salcedo Fidalgo & Signoles 2018), passant tout à la fois par Porto Alegre, Bagdad et Beyrouth. Car contester Israël, c’est contester capitalisme et impérialisme, à une échelle globale. Comme registre de légitimation contestataire, la gauche de la gauche distingue antisionisme et antisémitisme, et s’appuie sur des mouvements anticolonialistes israéliens et sur de binationaux franco-israéliens avec qui elle partage les mêmes convictions anticapitalistes. Quant aux réseaux de plaidoyer, dont la ligne de démarcation avec les réseaux protestataires est mince, ils ont suivi depuis la seconde moitié des années 1970 la politique de l’OLP. Arc-boutés sur le droit international, ils formalisent des liens transnationaux avec les Palestiniens dans les Territoires occupés. Mais les anciens membres des réseaux des radicalités armées reprochent aux partisans de la logique de plaidoyer une trop grande proximité avec l’Autorité nationale palestinienne, ou de ne pas soutenir un « droit à la légitime violence » des Palestiniens. De fait, ce sont les réseaux protestataires qui font office de « pivot » entre le « droit à la légitime violence » et le droit international, entre les anciens réseaux des radicalités armées et les réseaux de plaidoyer. La toile française de la Palestine a ceci de singulier qu’elle ne se réduit pas à une seule histoire franco-palestinienne : les réseaux se démultiplient à une échelle nationale et transnationale. Ils se multicontinentalisent, excédant largement le seul Moyen-Orient. Ces réseaux se sont rarement pensés comme tels, mais l’expérience de la CCIPPP, qui, dans la seconde moitié des années 2000, élabore de manière non publique54 un usage militant du concept de réseau en théorisant un « triangle d’action » décentralisé associant Palestiniens des Territoires occupés, mouvements anticolonialistes israéliens et mouvance altermondialiste rappelle combien la frontière entre le réseau comme « catégorie d’analyse » et « modèle d’action » est poreuse (Dumoulin-Kervran & Pepin-Lehalleur 2012).
35Ces réseaux sont d’autant plus flexibles et informels qu’au regard d’une longue histoire, bien des organisations ayant porté la cause palestinienne en France ont aujourd’hui disparu (à l’instar de la GP, du MTA ou du PSU). Nombre de leurs militants n’ont cependant pas démissionné et se sont vite fondus dans d’autres formations politiques et associatives, jouant les passeurs et les transmetteurs de cette cause en France. Quant au principe d’horizontalité des réseaux propalestiniens en France, il appelle une remarque : l’horizontalité ne signifie pas une absence totale de verticalité. Ainsi, certaines des organisations de la gauche de la gauche soutenant les Palestiniens sont typiquement centralisées, avec des directions politiques identifiables (Bureau politique, Comité exécutif, Bureau national) : ainsi du PCF, de la LCR, du NPA ou de l’AFPS. Cependant, en se mettant en réseaux avec d’autres mouvements, associations et syndicats, ces mouvements centralisés et verticaux ont adopté une logique horizontale propre à « l’agir-en-réseau » : les campagnes nationales du Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens (CNPJDPI) fonctionnent au consensus entre ses différents membres, et nulle organisation ne peut tout à fait « donner le la » de la cause palestinienne en France. Le concept de réseau demeure également heuristique pour décrire une mobilisation propalestinienne en France qui fonctionne selon une logique de « greffes » (Kriegel 1966, p. 1246), de connexions et de déplacements successifs. Les activistes propalestiniens de la gauche de la gauche greffant la question palestinienne à d’autres causes (antiguerre, altermondialiste, antiracistes, etc.), se connectant ainsi à d’autres réseaux qui excèdent largement la seule question de Palestine.
36Horizontale, flexible, informelle, greffée ou connectée : à la gauche de la gauche, la toile française de la Palestine a une dernière caractéristique. Elle s’inscrit dans une épaisse durée historique. Elle s’ouvre avec un cycle de contestation qui n’est pas seulement celui du mai français – mais celui d’un « Global 68 » qui n’est toujours pas refermé. La Palestine, « passion française », certes, mais l’étude des réseaux nationaux et transnationaux qui composent cette toile mériterait d’être mise en relation – en réseaux ? – avec d’autres pays. À l’été 2018, le musée Sursock, en collaboration avec les Chiliens du Musée de la solidarité Salvador Allende, redonne vie à Beyrouth aux « passions révolutionnaires » internationales (Bozarslan, Bataillon & Jaffrelot 2011) qui ont croisé la Palestine au cours des années 1970 et 1980. Sont exposés et diffusés à cette occasion films, affiches, extraits de tracts, de livres et de journaux venus du Japon, de France, d’Italie ou d’Amérique latine, témoignant d’une appropriation politique, esthétique et internationale de la cause palestinienne à la gauche de la gauche (Barthes 2018). De façon surprenante, alors que la cause palestinienne demeure, au moins depuis la fin des années 1960, un singulier vecteur de mobilisations transnationales continues, et de mises en réseaux multicontinentales, l’histoire de cette Palestine internationalisée n’est encore ni écrite ni réellement pensée.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 La Confédération paysanne est née en 1987.
2 La CCIPPP disparaît progressivement au cours des années 2010 (son site Internet a été fermé en 2015). Ses militants ont depuis intégré deux structures : la campagne française « Boycott, désinvestissement, sanctions » (BDS) contre Israël, et l’Agence Média Palestine.
3 Par gauche de la gauche, nous entendons les mouvements partisans, mais également associatifs et syndicaux, légaux et illégaux, situés à la gauche du Parti socialiste (PS) et de la social-démocratie. Nous incluons le Parti communiste français (PCF) et, pour une période plus récente, la France insoumise (FI) dans l’univers de cette gauche de la gauche. Certes, le PCF et la FI se distinguent des organisations maoïstes ou trotskystes de par leur positionnement institutionnel : discours « républicain », responsabilités diverses au sein de collectivités locales (municipalités) et parlementaires (Sénat et Assemblée nationale). Cependant, il y a un « air de famille » entre le PCF, la FI et la gauche la plus radicale : la narration anticapitaliste et protestataire est forte, les références historiques sont souvent les mêmes (Cuba, la révolution espagnole), les lectures de grandes crises régionales se rejoignent souvent (le Venezuela des présidents Hugo Chavez et Nicolas Maduro par exemple) et leurs choix syndicaux convergent (Sud et la Confédération générale du travail moins que la Confédération française démocratique du travail). Enfin, des « transfuges » circulent d’une organisation à une autre – par exemple du PCF et de l’ancienne Ligue communiste révolutionnaire (LCR) vers la FI, voire de l’ancien groupe armé Action directe vers le NPA. Le cas d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) est plus complexe : les écologistes français sont parfois cités dans cet article. Cependant, ils agrègent différentes sensibilités – les uns proches de la gauche de la gauche et d’un vocabulaire protestataire, d’autres plus proches du Parti socialiste et d’une logique gestionnaire.
4 L’AFPS a été fondée en 2001.
5 Dans une moindre mesure, l’International Solidarity Movement (ISM), une organisation palestinienne implantée aux États-Unis et en Grande-Bretagne, a envoyé quelques activistes français dans les Territoires palestiniens occupés depuis le début des années 2000.
6 Sur la pratique du témoignage comme modalité de l’engagement politique, voir la contribution de Clio Chaveneau dans ce même ouvrage.
7 La GP est née en septembre 1968. Elle est issue de l’Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes (UJCML).
8 Fondé en avril 1960, le PSU fut un temps incarné par la figure de Michel Rocard, décédé en 2016. Le PSU se distingua tant de l’extrême gauche que de la social-démocratie et des communistes pour ses théorisations « autogestionnaires » (Ravenel 2016). Le PSU disparaît au début des années 1990.
9 Fondée en 2006, l’association Radar (Rassembler, diffuser les archives révolutionnaires), proche de la Quatrième internationale et des trotskystes, constitue un fonds documentaire d’archives militantes sur Internet et sur papier (la revue Drapeau rouge).
10 Fondé en 2009, le NPA est en partie issu de l’ancienne Ligue communiste révolutionnaire (LCR), d’obédience trotskyste.
11 L’autonomie, dont le groupe armé Action directe (AD) fut l’une des expressions françaises, s’inspire des mouvements d’extrême gauche, nés en Italie dans la seconde moitié des années 1970 (Sommier 1998 ; Schifres 2008).
12 Islamologue réputé, Maxime Rodinson fut également membre du PCF, et se revendiqua d’un marxisme critique. Il est décédé en 2004. Nathan Weinstock fut longtemps l’une des figures de la gauche antisioniste israélienne.
13 L’auteur de ces lignes fut en effet l’un des acteurs dans les années 2000 des réseaux décrits – au moins en tant que membre du Comité Ivry Palestine (CIP), de la Coordination nationale de la CCIPPP et du Bureau national de l’AFPS.
14 L’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a été fondée en 1964. Yasser Arafat en prend les commandes en 1969, et, en 1974, l’OLP obtient le statut d’observateur à l’ONU. L’Autorité nationale palestinienne (ANP) est fondée à la suite des accords d’Oslo, en 1993. Entité gouvernementale, elle est responsable de l’administration et de la sécurité dans les zones autonomes palestiniennes de Cisjordanie et de Gaza. Le président de l’ANP, de 1996 à 2004, était Yasser Arafat. L’ANP est aujourd’hui présidée par Mahmoud Abbas.
15 Le concept de « levier » est utilisé par Manon-Nour Tannous (2017) dans son ouvrage consacré aux relations franco-syriennes pour décrire le mode de fonctionnement de leur diplomatie respective.
16 « Global 68 » est le titre d’un colloque organisé en mai 2018 à Paris et à Londres par Françoise Vergès, Marcus Rediker, Oscar Guardiola-Rivera et Sylvie Robic.
17 Iparretarrak est un mouvement nationaliste basque d’inspiration marxiste implanté en France, proche du mouvement ETA (Euskadi Ta Euskatasuna). Fondé au début des années 1970, Iparretarrak disparaît au début des années 2000.
18 L’OIP est né en 1990, en France. En 1995, l’Organisation obtient un statut consultatif à l’ONU.
19 Souvenirs de l’auteur (2004).
20 La CCIPPP a été fondée par des militants français (Youssef Boussoumah), libanais et franco-libanais (Walid Charara, Nahla Chahal), palestiniens (Marwan Bishara) et franco-égyptiens (Samir Abdallah) : la plupart d’entre eux ont été les initiateurs, au printemps 1998, de la Marche pour le droit au retour des Palestiniens, aux côtés du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB).
21 L’OACL est née en 1969, de la fusion de l’Organisation des socialistes libanais (OSL) et de Liban socialiste (LS).
22 Les « nouveaux partisans » est une chanson de Dominique Grange composée en 1969, adoptée comme « hymne » par la GP.
23 Le Fatah est fondé en 1959 au Koweït par Yasser Arafat. Le FPLP est issu du Mouvement des nationalistes arabes (MNA) dont il est la branche palestinienne. Créé en 1967, il est d’inspiration marxiste-léniniste.
24 Le THKP-C (Parti-Front de libération du peuple de Turquie) est une organisation marxiste-léniniste née au début des années 1970.
25 Dans les communiqués d’AD, l’expression « occupation et expropriation » signifie braquages armés.
26 L’attentat de la rue des Rosiers contre le restaurant Goldenberg a fait six morts et vingt-deux blessés. Non revendiqué, l’attentat est attribué par la justice française, en 2015, au Fatah-Conseil révolutionnaire de Abou Nidal. C’est dans le numéro 6 de l’Internationale qu’AD se démarque de tout soutien à cet attentat. Proche de la mouvance autonome et d’AD, l’Internationale publie onze numéros, d’octobre 1983 à novembre 1984.
27 En août 1982, AD connaît une scission qui donne naissance à l’Assemblée clandestine du 1er août. Moins attachée aux thématiques anti-impérialistes, l’Assemblée clandestine du 1er août disparaît rapidement.
28 Le général Francisco Franco décède en 1975. Solidaires des Basques de l’ETA et critiques des « gouvernements de transition » de Carlos Arias Navarro et de Adolfo Suarez, le MIL et les GARI poursuivent donc leur lutte armée après la chute de la dictature franquiste.
29 Souvenirs de l’auteur (juin 2004).
30 En France, les FARL ont notamment revendiqué l’assassinat de Charles Rey, attaché militaire à l’ambassade des États-Unis (janvier 1982) et d’un diplomate israélien, Yacov Barsimentov (avril 1982).
31 Souvenirs de l’auteur (2004-2005).
32 Souvenirs de l’auteur (seconde moitié des années 2000).
33 Nous préférons rendre l’identité du militant en question anonyme. Ce dernier a d’abord été membre de la LCR, puis, à partir de 1973, du groupe Révolution !, qui agrégeait militants trotskystes et maoïstes. Il se rapproche par la suite de la mouvance autonome.
34 Souvenirs de l’auteur (printemps 2010).
35 Souvenirs de l’auteur (années 2000).
36 La MAFED est un collectif de plusieurs dizaines de femmes issues de l’immigration. En octobre 2015, la MAFED a organisé une manifestation, partie de Barbès, pour dénoncer les violences policières dans les quartiers populaires.
37 Le PIR est né en 2008.
38 Michel Warshawski est un Franco-Israélien, né à Strasbourg, en 1949. Il fut membre de l’Organisation socialiste israélienne et de la Ligue communiste révolutionnaire israélienne, et fonda, au début des années 1990, l’Alternative Information Center (AIC) en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés.
39 Le Palmach était une milice sioniste particulièrement active lors des guerres de 1948. Le Mapam était une organisation marxiste et sioniste, née en 1948.
40 Ilhan Halevi est décédé en juillet 2013 à Clichy.
41 L’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (ATTAC), proche du mouvement altermondialiste, est née en 1998. SPEB est un courant trotskyste proche du Socialist Workers Party (SWP) britannique. Il intègre la LCR en janvier 2004, puis le NPA en 2009. Ultérieurement, certains de ses membres adhèrent à la FI – l’une des anciennes militantes de SPEB entre à l’Assemblée nationale en 2017 au nom de la FI.
42 Souvenirs de l’auteur (2003). Aujourd’hui disparu, le MIB a été fondé en 1995, et se réclamait de l’héritage du MTA.
43 Souvenirs de l’auteur (printemps 2003).
44 Souvenirs de l’auteur (été 2006).
45 Proche du Parti des travailleurs (PT) de l’ancien président brésilien Lula, le MST est fondé en 1985.
46 Le Parti des travailleurs de Belgique (PTB), fondé à la fin des années 1970, est une organisation à l’origine maoïste.
47 Souvenirs de l’auteur (automne 2006).
48 Président de l’Association de solidarité franco-arabe (ASFA), fondée en 1967, ancien de la guerre d’Algérie, proche des milieux gaullistes, Lucien Bitterlin se fit souvent l’intermédiaire entre les autorités françaises, l’OLP et plusieurs régimes arabes.
49 En mai 1970, plusieurs représentants protestants du Mouvement du christianisme social, proches de la revue Cité nouvelle, participent, à Beyrouth à une Conférence mondiale des chrétiens pour la Palestine.
50 Souvenirs de l’auteur (novembre 2004).
51 Souvenirs de l’auteur (été 2014).
52 Cette campagne française s’inscrit dans le cadre d’une campagne internationale du même nom, lancée en 2005 par plusieurs organisations non gouvernementales palestiniennes. En France, ses activités ont été condamnées par la Cour de cassation en octobre 2015.
53 Souvenirs de l’auteur (novembre 2004).
54 Souvenirs de l’auteur (années 2004-2005).
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