Les mots du désir dans la poésie d’Ibn Khafāja
p. 28-67
Texte intégral
1Notre étude sur les mots du désir dans la poésie d’al-Andalus sera axée sur la production de ghazal d’Ibn Khafāja1 (450-533/1058-1139) relevant du mujūn2. Celle-ci se situe dans la droite ligne de la poésie érotique orientale, en particulier de celle du précurseur en la matière, Abū Nuwās (m. v. 199/813) et fait la part belle au ghazal homoérotique. Afin de mieux cerner la spécificité de l’Andalou, mais également ses limites, nous tenterons d’identifier les similitudes et les dissemblances existant entre la production des deux poètes.
2Il nous faut en préambule statuer sur deux questions souvent posées à propos de ces poèmes. La première concerne le rapport entre ces compositions homoérotiques et la réalité des faits. Ces textes reflètent-ils une expérience vécue par le poète ou ne sont-ils que l’expression d’une « mode » littéraire, d’un genre devenu conventionnel à l’époque en al-Andalus ? Nous ne saurions nous prononcer, n’ayant aucun moyen de percer réellement cette énigme, même si les biographes d’Ibn Khafāja insistent sur son célibat. Le « sujet » dont il est question dans notre étude doit être compris comme la « fiction discursive » produite par l’énoncé et sans lien avec le sujet empirique.
3La seconde question concerne le genre de l’objet. Nous n’abonderons pas dans le sens des analystes et des traducteurs ayant interprété le masculin prévalant dans les descriptions comme une actualisation de l’usage attesté de ce genre pour l’évocation de la bien-aimée dans la poésie arabe. C’est là, à nos yeux, une position qui est l’expression d’un déni et n’est pas tenable3. Les textes apportent suffisamment d’éléments pour lever, dans bien des cas, toute ambiguïté. Ainsi, le poète précise parfois qu’il s’adresse à un jeune homme portant le voile (lithām) spécifique aux milieux almoravides qu’il fréquente4. Ajoutons que le genre de l’objet du désir ne modifie qu’à la marge les modalités de la langue du désir dans cette poésie5.
4C’est en effet bien de désir dont il est question dans ces textes, désir qui, selon Ibn Khafāja, se laisse plus aisément capter, et donc décrire, que l’amour :
[…] Bien qu’ayant un cœur possédé par la passion ; l’amour a ses mystères, tandis que le désir s’exhibe.
ʿAlā anna lī qalban tamallaka-hu l-hawā / fa-li-l- ḥubbi mā yukhfī wa-li-sh-shawqi mā yubdī. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 346, n° 278 (mètre ṭawīl), v. 19]
5La notion de « pacte lyrique », que l’on doit à Antonio Rodriguez6, nous aidera à montrer comment notre poète procède à la mise en mots du désir. Ce pacte qui, nous dit cet auteur, « articule la mise en forme affective du pâtir humain » et dont l’effet global « consiste à faire sentir et ressentir des rapports affectifs au monde7 », nous semble particulièrement opératoire.
6Nous observerons la place assignée dans cette poésie aux deux pôles du désir : le désirant, que nous nommerons « le sujet », qui est aussi le patient principal, et le désiré, que nous nommerons « l’objet ». On pourrait a priori penser que ces deux pôles sont interchangeables, puisqu’ils se trouvent en interaction, chacun agissant ou réagissant tour à tour, faisant naître le désir ou y répondant. Cependant, cette interchangeabilité est absente de notre corpus, et ce pour deux raisons. La première tient au fait que les poèmes nous présentent, par la force des choses, un seul point de vue, celui du sujet lyrique. La seconde résulte du rapport inégalitaire marquant le plus souvent la relation homoérotique en al-Andalus. Comme c’était le cas dans la société abbasside, il s’agit avant tout d’une relation entre dominant et dominé, esclave ou serviteur. À cette inégalité sociale s’ajoute souvent une grande différence d’âge. Nous ne sommes pas loin du rapport ayant prévalu, dans la Grèce antique, entre l’éraste et l’éromène8. Ibn Khafāja fait allusion à cette relation inégalitaire dans un poème adressé à l’un de ses amis, le qāḍī Abū Isḥāq b. Maymūn, qu’il invite à le rejoindre en ces termes9 :
Viens [jouir d’un moment d’]intimité dans une assemblée où l’homme mûr excite les flancs d’un éphèbe
Resplendissant et lisse comme un œuf, il te saisira d’admiration sous les ailes des ténèbres.
Taʿāla ilā l-unsi fī majlisin / yahuzzu bi-hī sh-shaykhu ʿiṭfay ghulāmī
Ṣaqīlin takhālu bi-hī bayḍatan / tarūqu-ka taḥta janāḥi ẓ-ẓalāmī. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 245, n° 186 (mètre mutaqārib), v. 2-3]
7Cette comparaison de l’éphèbe, centre de tous les regards, avec un œuf dont l’éclat semble illuminer l’obscurité, produit immanquablement une association d’idées10, l’image de l’œuf renvoyant aux représentations de la jeune vierge dans la poésie préislamique.
8La première, et sans doute la plus importante, des similitudes rapprochant les corpus d’Ibn Khafāja et d’Abū Nuwās est le lien organique que les deux poètes établissent entre poésie érotique et poésie bachique. C’est, en effet, à l’occasion de la description d’une scène bachique qu’apparaissent les vers signalant le surgissement du désir. Ce moment, qui constitue une parenthèse qui « ôte les craintes de l’avenir et le fardeau du passé11 », établit une tonalité affective euphorique, dite « de l’union », qui, en permettant la concordance dans l’affectif entre le monde et l’homme, se manifeste par une poussée du désir, comme on le voit dans le vers suivant12 :
9Durant un long moment, les « événements » nous y oublièrent, et nous fûmes aidés en cela par le vin et l’aimé.
Tajāfat bi-hā ʿannā l-ḥawādithu burhatan / wa-qad sāʿadat-nā qahwatun wa-ḥabībū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 83, n° 43 (mètre ṭawīl), v. 7]
L’échanson et le vin
10Comme chez Abū Nuwās13, la figure de l’échanson, le sāqī, très souvent un éphèbe, est indissociable de la scène bachique14. Il constitue la parure du majlis, et ce rôle de premier plan explique qu’il fasse souvent son apparition, tel le nasīb, dès les premiers vers de la qaṣīda, ce que justifie ce vers :
[C’est un jeune homme] svelte ; sa beauté en fait la parure posée sur le cercle d’intimes et le nasīb entamant la qaṣīda15.
Wa-aghyada fī-ṣadri l-nadiyyi li-ḥusni-hī / ḥuliyyun wa-fī-ṣadri l-qaṣīdi nasībū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 83, n° 43 (mètre ṭawīl), v. 1]
11Avec la coupe qu’il fait circuler, il forme un couple resplendissant, l’éclat de l’un renforçant et réfléchissant simultanément celui de l’autre :
Y évoluait un astre lunaire : sa coupe et lui arboraient une face resplendissante et un sourire de miel.
Yasʿā bi-hā qamarun la-hū wa-li kaʾsi-hī / wajhun agharru wa-mabsimun maʿsūlū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 254, n° 196 (mètre kāmil), v. 13]
12L’échanson est parfois qualifié de sorcier (saḥḥār)16, tant est irrésistible son attractivité. Le désir qu’il attise s’apparente à de la convoitise. Celle-ci est traduite, dans le vers suivant, par des images hippologiques :
[C’est] un échanson poursuivi par les coursiers des regards lancés au galop vers sa beauté, tandis que la patience se montre rétive.
Wa-sāqin li-khayli l-laḥẓi fī shaʾwi ḥusni-hī / jimāḥun wa-bi-ṣ-ṣabri l-jamīli ḥirānū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 235, n° 177 (mètre ṭawīl), v. 1]
13Mais les choses ne prendraient sans doute pas la même tournure sans le puissant désinhibiteur de l’ivresse. Sous son effet, les corps, lascifs, se délient et vacillent, tandis que les frontières entre servis et servants semblent se flouter. Le vin est souvent présenté comme le déclencheur d’un désir ardent, sa flamme se propageant de la coupe aux joues et liquéfiant les âmes comme les corps :
C’était un garçon au ventre plat : il se leva pour nous servir [le vin], la taille cambrée par l’ivresse
Il chancelait, [ployé] tel un rameau, et la coupe avait rougi sa rose
L’ivresse enflamma une joue, et la passion y fit jaillir le feu de son briquet
Peu s’en fallut qu’il ne bût mon âme et que je ne busse sa joue.
Wa-ahyafin qāma yasqī / wa-s-sukru yaʿṭifu qaddah
Wa-qad tarannaḥa ghuṣnan / wa-ḥmarrati l-kaʾsu wardah
Wa-alhaba s-sukru khaddan / awrā bi-hī l-wajdu zandah
Fa-kāda yashrabu nafsī / wa-kidtu ashrabu khaddah. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 354, n° 286 (mètre mujtathth)]
14La scène bachique d’Ibn Khafāja diffère néanmoins sur deux points importants de celle d’Abū Nuwās. Tout d’abord, l’Andalou y intègre beaucoup plus fréquemment des représentations paysagères, parfois très élaborées17. Nous y reviendrons. La seconde différence concerne l’éthos du sujet dans ces poèmes : chez Abū Nuwās, ce dernier apparaît comme un antihéros, ne reculant devant rien pour posséder l’objet de son désir et ne craignant pas l’obscénité. Cette identification à un antihéros semble bien être l’une des marques du mujūn18. Ibn Khafāja, quant à lui, revendique pour son sujet une éthique moins transgressive, insistant à plusieurs reprises sur sa chasteté et son horreur du vice.
15Ainsi, un de ses poèmes nous montre le sujet profiter de la somnolence d’un jeune homme vaincu par l’ébriété et à l’abandon dans ses bras19. C’est là un motif exploité fréquemment par Abū Nuwās20. Enhardi, le sujet enlace et embrasse à loisir le garçon, tandis que ses mains explorent et caressent son corps21. Mais, brusquement, au cœur de l’étreinte, il affirme haut et fort sa chasteté et la pureté de ses intentions (wa-innī la-ʿaffun miʾzarī ṭāhirun burdī)22. Quel est le sens à donner à cette affirmation ? Peut-être faut-il y voir le reflet du conflit écartelant le sujet entre deux systèmes de valeur, celui valorisant l’abandon au plaisir, prédominant dans la poésie de mujūn, et celui des normes en vigueur dans l’éthique islamique ? Peut-être cette concession à ce dernier système a-t-elle comme objectif de ménager la susceptibilité des protecteurs almoravides, au moment où le poète révise son recueil23 ? Ou bien cet aveu est-il à mettre en relation avec le vers suivant, où le sujet évoque l’écart d’âge qui le sépare de son amant ? A-t-il soudain des scrupules à flétrir un corps si parfait, alors qu’il a atteint un âge avancé, comme semble l’indiquer un vers24, ou bien n’est-il plus en capacité de le posséder ?
16Ailleurs, le sujet insiste encore sur sa moralité, se déclarant avant tout comme un amoureux de la beauté :
La chasteté faisant partie de mes dispositions naturelles, je refuse le vice et suis épris de beauté
Tantôt contrit, tantôt badin, je pleure les péchés [commis] et me lamente sur les vestiges du campement25.
Fa-innī wa-l-ʿafāfu min shiyamī / ābā d-danāyā wa-aʿshaqu l-ḥasanā
Ṭawran munībun wa-tāratan ghazilun / abkī l-khaṭāyā wa-andubu d-dimanā. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 121, n° 71 (mètre munsariḥ), v. 8-9]
17Le désir est, en effet, en premier lieu attisé par la beauté émanant d’un objet et nous allons à présent observer comment cette beauté est mise en scène.
La beauté physique
18Le désir suppose d’abord l’identification d’un objet. Les métonymies servant chez Ibn Khafāja à cette identification26, elles nous renseignent sur la propriété attirant en premier lieu le regard. Or, le choix opéré par l’Andalou en ce domaine ne s’éloigne guère du répertoire sélectionné par Abū Nuwās pour identifier l’éphèbe désirable27.
19Très souvent, cette propriété est en relation avec la silhouette de l’objet. L’une des métonymies les plus usitées met ainsi l’accent sur sa sveltesse, sa souplesse et son aspect juvénile28. Il s’agit de l’adjectif aghyad29 (« jeune et svelte » ou « flexible [rameau] »)30, parfois renforcé par un quasi-synonyme, amlad (« tendre, délicat, flexible »)31.
20Une autre métonymie fréquemment usitée insiste sur la minceur et le ventre plat de l’objet, avec l’adjectif ahyaf32 ou le participe muhafhaf33 qui, au féminin dans la muʿallaqa d’Imruʾ al-Qays, caractérisait l’une des belles courtisées par le poète34. Ce corps juvénile aux parfaites proportions est souvent comparé à une lance35.
21Le contraste entre cette minceur, notamment au niveau de la taille, et le caractère plantureux de la croupe est aussi apprécié chez le garçon qu’il ne l’était chez la femme36. Dans le vers suivant, ce contraste est imagé par l’emploi de deux épithètes antithétiques dénotant respectivement la fertilité et l’aridité d’une terre ou d’une région :
Mince au ventre plat, sa croupe est douce, moelleuse et fertile ; quant à sa taille, elle est stérile.
Mina l-hīfi ammā ridfu-hu fa-munaʿʿamun / khaṣībun wa-ammā khaṣru-hu fa-jadībū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 83, n° 43 (mètre ṭawīl), v. 2]
22Mais il se dégage aussi parfois de cette silhouette élancée une impression d’indolence, voire de mollesse, suggérée par l’adjectif khanith, qualifiant aussi bien le regard que les flancs. La racine de ce terme donne, on le sait, des termes dénotant l’impuissance, pour un homme, à cohabiter avec sa femme (mukhannath), voire l’hermaphrodite (khunthā) et, par conséquent, suggère une attitude efféminée37.
23Une autre métonymie servant à identifier l’objet, agharr, met cette fois l’accent sur le caractère radieux et resplendissant du visage38. Mais l’objet peut aussi être désigné par un lexème dénotant un chanteur (mugharridin), capable de déclencher une émotion (muṭarrib)39 si violente qu’elle fait perdre toute notion du temps40.
24La description qui suit l’identification de l’objet se révèle chez Ibn Khafāja aussi stéréotypée que chez ses prédécesseurs et s’organise en premier lieu par l’intermédiaire du regard. La beauté de l’objet se décline en un nombre relativement réduit d’éléments qui s’assemblent pour composer des portraits quasiment interchangeables. Le poète active là, comme dans tous les textes lyriques, « les répertoires des symboles, de l’imaginaire collectif et des valeurs41 ». Néanmoins, on note dans ce corpus une amplification des descriptions par rapport à l’œuvre d’Abū Nuwās.
25Les trois propriétés mises le plus souvent en avant chez la personne désirable sont un corps flexible, un visage radieux et un regard pénétrant (ou captivant)42. Faute de pouvoir passer en revue tous ces éléments, nous nous focaliserons, dans les lignes qui suivent, sur les plus saillants d’entre eux.
Un corps souple et flexible
26Le mouvement est extrêmement valorisé dans la poésie de notre auteur, qui dépeint un univers où tout ce qui vit, des astres les plus lointains au plus petit brin d’herbe en passant par la personne humaine, vibre et tressaille. La fonction assignée à ce mouvement est généralement, dans les textes lyriques, l’« expression des mouvements intérieurs de l’âme, des sentiments, de la vie morale de l’individu43 ».
27Dans ce contexte, l’impassibilité est synonyme d’insensibilité. Dans un fragment sonnant comme une profession de foi, le poète exprime explicitement sa méfiance et sa réprobation à l’égard de ceux que leur rigidité empêche d’exprimer leurs émotions et qu’il compare à des idoles de pierre dénuées d’affect :
Colline au sol ferme, je n’en tressaille et n’en vibre pas moins, tel un rameau, lorsque la beauté me trouble
Je n’aime pas les hommes inébranlables, ils ressemblent à des idoles pétrifiées
Jamais l’insomnie provoquée par la passion ne leur a noirci les paupières, jamais le mal d’amour ne leur a broyé le corps44.
Innī wa-in kuntu haḍbatan jaladan / ahtazzu li-l-ḥusni lawʿatan ghuṣunā
Lastu uḥibbu l-jumūda fī rajulin / taḥsabu-hu min jumūdi-hī wathanā
Lam yakḥali s-suhdu jafna-hū kalafan / wa-lā ṭawā jisma-hū l-gharāmu ḍanā. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 121, n° 71 (mètre munsariḥ), v. 3 et 5-6]
28L’émotivité, cependant, ne signifie guère, pour le poète, mollesse ou absence de fermeté45. Dans un autre vers, Ibn Khafāja fait de la capacité à s’émouvoir une propriété de l’homme noble et généreux :
Les pleurs des colombes ne m’ont-ils pas ému ? Car l’homme noble est sensible et il existe différentes manières de pleurer.
A-lā aṭrabat-nī wa-l-karīmu ṭarūbu / ḥamāʾimu tabkī wa-l-bukāʾu ḍurūbū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 298, n° 235 (mètre ṭawīl), v. 1]
29Ce langage du corps, qui nous renseigne sur la « grammaire du comportement46 » en vigueur dans la communauté culturelle du poète, est sans aucun doute à mettre en relation avec le raffinement, le ẓarf, revendiqué par les mujjān (sing. mājin). Celui-ci apparaît comme une composante de la séduction aussi importante que la beauté, comme l’atteste ce vers, qui place les deux attraits sur le même plan :
Si sa beauté nous a fait tressaillir, son raffinement a ravi nos âmes.
Laʾin hazza aʿṭāfa-nā ḥusnu-hū / laqad bazza anfusanā ẓarfu-hū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 99, n° 54 (mètre mutaqārib), v. 9]
30L’analogie établie, comme nous le verrons plus loin, entre les humains et certains végétaux, permet de figurer cet ébranlement de l’être. Car les émotions agitent les premiers comme le vent et l’air secouent les seconds, allant souvent jusqu’à les plier et les coucher47. Les verbes les plus employés pour dénoter cet état sont hazza et ses dérivés, ainsi que inthanā48 et les formes voisines49. Dans ce contexte, le « vent de l’ivresse » est constamment valorisé, que cet état soit provoqué par l’alcool ou par l’emballement des sens :
Le vent de l’ivresse t’agite et ploie le rameau de ta taille.
Wa-yahuzzu min-ka fa-tanthanī / bi-qaḍībi qaddi-ka rīḥu sukri-k. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 122, n° 72 (mètre kāmil majzūʾ), v. 11]
Le visage
31On ne sera guère surpris d’apprendre que le visage de l’objet, radieux et lumineux, est très souvent comparé à la pleine lune50. La nomenclature de ses parties actualisée dans la description est limitée. Trois éléments sont privilégiés : la joue, les yeux et la bouche51 qui, depuis l’Antéislam, occupent une place essentielle dans les canons de la beauté humaine.
32Si, à l’instar de ce qui se passe chez Abū Nuwās52, la joue est régulièrement au premier plan des descriptions, jusqu’à se muer en métonymie du visage, c’est que cette surface plane, cette safḥa, sorte de « livre ouvert », offre bien des indices à celui qui s’emploie à déchiffrer le trouble, l’émoi que trahit le désir, ainsi que la pudeur, dont la manifestation constitue un attrait supplémentaire. Si sa coloration pourpre est souvent, comme le veut la tradition poétique, assimilée à celle de la braise ou du vin53, le poète se risque néanmoins parfois à des associations moins attendues : ainsi, dans le vers suivant, une antithèse (ṭibāq) oppose la clarté aurorale perçant les ténèbres (falaq) du visage juvénile et le rougeoiement du ciel lors du coucher du soleil (shafaq), fard trahissant le trouble et annonciateur de plaisirs :
Je l’ai courtisé [il s’agit d’un grain de beauté] sur la face d’un bien-aimé baignée de clarté aurorale, sur laquelle bientôt parut un rougeoiement crépusculaire.
Ghāzaltu-hū min ḥabībin wajhu-hū falaqun / fa-mā ʿadā an badā fī wajhi-hī shafaqū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 115, n° 68 (mètre basīṭ), v. 1]
33La séduction, cependant, passe en premier lieu par le regard. Celui de l’objet ensorcelle54 et annihile toute résistance. Il est souvent décrit comme possédant une double propriété : à la fois séducteur (fātin) et langoureux (fātir) :
Il possède un regard à la fois ensorceleur et languissant ; sa faiblesse même dissout toutes les forces de ma volonté.
La-hū naẓarun fātinun fātirun / yaḥullu quwā ʿazmatī ḍaʿfu-hū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 99, n° 54 (mètre mutaqārib), v. 8]
34Cette langueur est un facteur décisif dans l’entreprise de séduction55. C’était déjà le cas chez Abū Nuwās, où elle est associée au taʾannuth, qui lui confère un caractère efféminé56.
35Parfois, en revanche, c’est l’audace, l’impudence (fatka) qui est davantage appréciée. Celle-ci, selon Abū Nuwās, caractérise le regard de « celui qui préfère le monde d’ici-bas à sa religion57 ». Tels la pointe d’une flèche ou le tranchant du sabre, le regard audacieux ne rate jamais sa cible58.
Les lèvres
36Avec les lèvres, particulièrement appréciées lorsque leur coloration tend vers le noir, nous ne nous éloignons pas davantage des canons de beauté féminins édictés par la tradition poétique59. Mais décrire cette bouche désirable implique d’engager un autre sens que la vue : le goût. Car ces lèvres brunes, qui ressemblent à un fruit gouteux gorgé de jus sucré dans lesquels le sujet aimerait croquer, sont, au sens propre du terme, appétissantes. Les représentations puisent dans le réservoir des termes traditionnellement évocateurs de ces bouches désirables : al-lamā (almā), al-laʿs (alʿas) ou encore aḥwā60 pour la couleur, maʿsūl pour le goût61.
37Cependant, la vue et le goût ne sont pas les seuls vecteurs de la séduction. Celle-ci passe aussi par l’ouïe, un talent de chanteur pouvant, comme nous l’avons vu, constituer l’attrait principal de l’objet. Le vers suivant est peut-être celui qui montre le mieux l’association de ces deux sens dans la séduction :
Il a rempli les yeux et les oreilles de telles beautés, que je ne savais pas si je l’écoutais ou le contemplais.
Malaʾa l-masāmiʿa wa-l-ʿuyūna maḥāsinan / fa-lam adri hal uṣghī ilay-hi am anẓurū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 221, n° 166 (mètre kāmil), v. 6]
38Si Joseph est, comme le veut la tradition, convoqué quand il s’agit de beauté masculine, c’est à l’aune de David qu’est évaluée la perfection d’un chant capable, nous dit le poète, de consoler62 la lune et de faire fondre le roc63 :
Il pouvait, par sa beauté, consoler la lune des ténèbres et, par ses mélodies, faire fondre le roc
Lorsqu’il paraissait, on aurait dit Joseph, et lorsqu’il chantait, on aurait dit David.
Amsā yuqirru li-ḥusni-hī badru d-dujā / wa-ghadā yadhūbu li-laḥni-hī l-julmūdū
Fa-idhā badā fa-ka-anna-mā huwa Yūsufun / wa-idhā shadā fa-ka-anna-hu Dāwūdū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 371, n° 314 (mètre kāmil) (distique)]
39Le strict parallélisme établi, dans les deux hémistiches, entre les deux figures mythiques, marque bien la part égale accordée aux deux types d’attraits du jeune homme64.
Le ʿidhār
40Nous allons nous attarder davantage sur le ʿidhār, ce duvet apparaissant sur les joues de l’éphèbe pubère, lequel, chez Ibn Khafāja, occupe une place beaucoup plus importante que chez Abū Nuwās65.
41Chez ce dernier, les rares mentions de cette pilosité ne trahissent aucune répulsion à son égard. Le ʿidhār est comparé à deux lignes de musc tracées au qalam, sur la joue de l’éphèbe, par un scribe66. Bien plus, un autre fragment suggère que ce ʿidhār, assimilé au très fin duvet des poussins ou des nouveau-nés (zaghab), constitue un ornement (zāna) pour la joue67.
42Chez Ibn Khafāja, seules deux compositions montrent le ʿidhār participer de la séduction. Et, dans les deux cas, les représentations sont extrêmement proches de celles d’Abū Nuwās, puisque le duvet y est assimilé à un trait, soit de musc68, soit de camphre ou d’ambre gris69, qui contraste avec l’éclat lunaire de la peau de la joue, ou à des lignes d’écriture composant un texte70.
43Il s’agit là d’exceptions, car, en général, seules des joues glabres sont susceptibles d’attiser le désir du sujet, comme on le voit dans ce vers où le feu des joues, symbole de jeunesse, n’a pas encore eu le temps de produire de fumée :
De la jeunesse, sur ses joues, tu vois le feu, aucune fumée ne s’est [encore] élevée depuis des joues noircies.
Tarā li-ṣ-ṣibā nāran bi-khadday-hi lam yathur / la-hā min sawāday ʿāriḍayni dukhānū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 235, n° 177 (mètre ṭawīl), v. 2]
44L’apparition du ʿidhār marque la fin de la prime jeunesse et le passage à l’âge adulte de l’objet du désir qui, dès lors, est totalement désinvesti par le sujet et devient la cible de ses railleries, plus ou moins cruelles71. C’est l’occasion, pour le poète, d’exercer ses talents parodiques et de reprendre avec humour des thèmes traditionnels de la poésie arabe. Il peut s’agir d’une parodie de nasīb, comme dans les deux vers suivants :
Un lieu [jadis] peuplé s’est vidé [de ses habitants] : ta jeunesse. Et j’y ai fait halte pour pleurer sur ces vestiges effacés
Là, le duvet ressemble à une rigole circulaire, et les noirs grains de beauté figurent [les traces] du trépied72.
Aqwā maḥallun min shabābi-ka āhilun / fa-waqaftu andubu min-hu rasman ʿāfiyā
Mathala l-ʿidhāru hunāka nuʾyan dāʾiran / wa-swaddati l-khīlānu fī-hi athāfiyā. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 235, n° 177 (mètre ṭawīl), v. 2]
45Les vestiges sur lesquels pleure le sujet ne sont autres que les traces de la jeunesse évanouie du garçon. Dans cette parodie, le duvet prend la place de la rigole entourant la tente (nuʾy), tandis que les grains de beauté deviennent les traces noircies du trépied (athāfin), motifs omniprésents dans la poésie archaïque.
46Dans un autre distique, le duvet est assimilé à la mousse verte flottant à la surface des eaux stagnantes (ṭuḥlub), plutôt dévalorisée dans les représentations paysagères. Il est clair que ce n’est plus à cette aiguade que l’amant viendra se désaltérer :
S’afflige-t-il de voir sa rose transformée en myrte, et sa bouche ne plus servir de coupe à laquelle on se désaltère ?
Sa joue et son duvet naissant ressemblent à une [pièce d’] eau à la surface de laquelle serait apparue une mousse verdâtre.
Hal sāʾa-hū an āla āsan wardu-hū / wa-taʿaṭṭalat min fī-hi kaʾsun tushrabū
Wa-kaʾanna ṣafḥata-hū wa-badʾa ʿidhāri-hī / māʾun yathūru bi-ṣafḥatay-hi ṭuḥlubū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 126, n° 76 (mètre kāmil) (distique)]
47Une variation sur le même thème s’appuie sur l’imagerie religieuse. Le visage glabre y est représenté sous la forme d’une qibla, point de convergence des regards. Le ʿidhār trace, sur ce visage, les contours d’un miḥrāb73. Le poète oppose, dans ce fragment, l’arrogance propre à la jeunesse, tout à ses plaisirs, aux préoccupations sérieuses et au repentir de l’âge mûr :
La jeunesse, qui n’était guère encline à l’humilité, s’y prosterne [à présent], revenue à Dieu74.
Wa-idhā l-shabābu wa-kāna laysa bi-khāshiʿin / qad kharra fī-hi sājidan wa-anābā. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 126, n° 76 (mètre kāmil), v. 2]
48L’apparition du duvet est au centre d’un autre poème, dans lequel le sujet taquine un jeune homme qualifié de hautain (tāʾih), de fat aveuglé par son orgueil, qu’il se propose d’éclairer. Dans le texte en prose accompagnant le poème, il conseille au garçon de cesser ses postures aguicheuses et provocantes, puisque les vents des désirs ont cessé de souffler et que les yeux des amoureux se sont fermés (fa-qad rakadat riyāḥu l-ashwāq wa-raqadat ʿuyūnu l-ʿushshāq). Duvet et orgueil, ajoute-t-il, ne font pas bon ménage (Fa-inna-hu lā yajtamiʿu l-ʿidhār wa-l-tīh)75.
49La cruauté atteint son paroxysme dans un fragment montrant tous les regards se détourner du spectacle de la joue du garçon, désormais recouverte de tragacanthe76. Le dernier vers est encore plus mordant, puisque le poète y oppose la promesse de la résurrection au caractère définitif de la mort de la beauté :
L’homme meurt puis ressuscite, mais la mort de la beauté est définitive.
Yamūtu l-marʾu thumma yaʿūdu ḥayyan / wa-mawtu l-ḥusni laysa la-hū maʿādū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 126, n° 76 (mètre kāmil), v. 3]
50L’importance de la thématique du ʿidhār dans la production d’Ibn Khafāja est sans doute à mettre en relation avec l’obsession du poète, qui vécut jusqu’à un âge avancé, pour le processus de l’entropie et le vieillissement, qui ont beaucoup nourri son inspiration mais auxquels, en revanche, Abū Nuwās était moins sensible.
51Quant au goût pour la parodie, la dérision et la moquerie qui, dans les vers mettant en scène le ʿidhār, s’affiche, notamment à travers le détournement des motifs de la poésie archaïque et de l’imagerie religieuse, il est l’une des caractéristiques majeures du mujūn, comme l’a montré Zoltan Szombathy77.
52Si la splendeur de l’objet, saisie par le regard, constitue le déclencheur majeur du désir, d’autres attraits, telles la vivacité d’esprit ou l’intelligence, peuvent aussi séduire le sujet. Il leur arrive de prendre le relais de la beauté, lorsque celle-ci vient à pâlir :
À peine la lumière [éclairant] son front vient-elle à s’éteindre qu’il se met à briller des mille feux de son intelligence78.
Mā in khabā tilqāʾa nūri jabīni-hī / ḥattā dhakā bi-dhakāʾi-hī fa-tawaqqadā. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 183, n° 136 (mètre kāmil), v. 2]
53La perfection physique de l’objet attire tous les regards ; c’est toutefois par son esprit qu’il s’attache les cœurs, ancrant l’inclination dans la durée :
Les yeux, lorsqu’il paraît, sont aveuglés par sa beauté, et les cœurs, toute la nuit, sont épris de son esprit.
Tughrā bi-ṭalʿati-hī l-ʿuyūnu malāḥatan / wa-tabītu taʿshaqu ʿaqla-hū l-albābū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 337, n° 203m (mètre kāmil), v. 2]
54Les vertus morales de l’objet sont aussi parfois mises en exergue :
Dans l’obscurité de la nuit, tu peux lire, à la lumière de ses vertus, tout un livre.
Taqraʾu wa-l-laylu mudlahimmun / li-nūri akhlāqi-hī kitābā. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 338, n° 267 (mètre basīṭ mukhallaʿ), v. 6]
Les effets du désir : l’Eau et le Feu
55Il est temps à présent d’observer comment le sujet réagit à ces différents stimuli émanant de l’objet79.
56Le désir engendre chez lui une série de désordres et de perturbations physiologiques et mentales, décrits comme un ouragan (iʿṣār)80. Invariablement ambivalent, son surgissement annonce extase et bonheur, angoisses et souffrances. Il est question de « tourment du plaisir » et de « châtiment de la clémence »81. Nous quittons alors parfois la tonalité affective de l’union pour celle de l’étrangeté, déclinée sur le mode de l’angoisse. Le mal d’amour, le saqam, est presque inhérent au désir82, puisque l’objet qui le cristallise est à la fois celui dont la présence chasse la tristesse et dissipe les soucis, et celui dont l’absence engendre le chagrin83.
57Deux éléments, le Feu et l’Eau, sont convoqués pour donner corps à ce bouleversement. Le Feu symbolise les désordres physiologiques touchant principalement les organes internes du sujet (entrailles [aḥshāʾ] et thorax)84, qui tressaillent85, s’embrasent86 et déclenchent une violente soif (ẓamaʾ). L’Eau, quant à elle, intervient par le biais des larmes qui agissent au niveau de l’enveloppe corporelle externe. Celles-ci sont parfois dénommées « eau du désir » (māʾ al-shawq) ou « océan du désir » (baḥru shawqin)87. Leur flot s’amplifie au point de se déverser en vagues gonflées (ʿubāb) qui débordent et submergent. Cependant, Eau et Feu ne s’annulent pas. Les deux éléments semblent plutôt se nourrir et s’exacerber mutuellement :
Quelle étrangeté : comment, l’œil n’étant plus qu’eau et les entrailles brasier, les chemins, dans son amour, purent-il s’y croiser ?
ʿAjabtu wa-l-ʿaynu māʾun wa-l-ḥashā lahabun / kayfa ltaqat bi-himā fī-ḥubbi-hī ṭ-ṭuruqū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 115, n° 68 (mètre basīṭ), v. 4]
58Caractérisées comme « brûlantes », les larmes ravivent, plutôt qu’elles ne l’éteignent, l’incendie qui fait rage dans l’intériorité du corps. Et seule l’union peut étancher la soif de l’autre. Pour rendre compte de cette extrême tension, le poète emploie le terme barad (« grêlons »), terme connoté très négativement, pour désigner les dents de l’aimé, et, par métonymie, sa bouche, seule susceptible d’étancher la soif, mais qui semble inaccessible :
Je souffre d’une soif ardente et n’ai, pour me désaltérer, que des grêlons ; s’ils étanchaient ma soif, je retrouverais la santé.
Ashkū ẓ-ẓamāʾa wa-riyyī fī ḥaṣā baradin / law balla min ghulalin ablaltu min ʿilalī. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 141, n° 97 (mètre basīṭ), v. 3]
59Comme chez Abū Nuwās88, quoique moins fréquemment, l’imagerie religieuse est convoquée pour rendre palpables les égarements de la passion, forcément transgressifs. Ainsi, le sujet se déclare prêt à se prosterner, tel un adorateur du feu mazdéen, devant l’objet de son désir89, idole en laquelle il voit sa nouvelle Kaaba. L’insomnie, qui est son lot lors des séparations, devient un jeûne prescrit par la passion, jeûne dont aucune rupture n’est envisageable avant le retour de l’aimé90.
60Le sujet n’est plus maître de lui, et la passion peut l’égarer, en le guidant vers une illusion que le poète compare au mirage (sarāb), motif de déception s’il en est91. Cependant, même au plus fort de sa folie92, le sujet reste parfois conscient de la distorsion séparant l’objet réel de son désir et le reflet encore plus attirant que lui en offre son regard, qui transmue une pièce d’argent (dirham), le visage, en pièce d’or (dīnār)93.
Motifs essaimant dans les autres genres
61Une spécificité de l’art poétique d’Ibn Khafāja réside dans le fait que les motifs de ghazal essaiment dans tous les genres qu’il aborde.
62Cette « contamination » touche ainsi la poésie laudative. Selon la tradition, celle-ci, focalisée, on le sait, sur les vertus du mamdūḥ, évitait, en principe, de vanter les attraits physiques de celui-ci94. Pourtant, de fortes similitudes existent, chez notre poète, entre la présentation du mamdūḥ et celle de l’amant.
63C’est le cas dans une pièce dédiée à Abū Bakr b. al-Ḥajj, dont on sait seulement qu’il fut un gouverneur de Valence95. Le poète met en scène l’émoi qui s’empare de la nature à la vue de ce personnage. Pour ce, il utilise les verbes htazza, puis hazza (« secouer ou exciter ») qui, nous l’avons vu, marquent, dans la poésie érotique, l’irruption du désir. Si la nature est prise d’un tel frisson, c’est que nul ne saurait résister à l’attrait de cet être au charme enivrant qui, à l’instar d’un vin vieux, ravit tous ceux qui le côtoient :
C’est pour toi que vibre le rameau planté sur le mamelon de sable, et que [la floraison] des fleurs blanches des collines explose
Seulement du fait de ton beau caractère qui [nous] agite comme le fait un vin vieilli96.
Wa-min ajli-ka htazza l-qaḍību ʿalā n-naqā / wa-ashrafa nuwwāru r-rubā yatafattaqū
Wa-mā dhāka illā anna khulqa-ka rāʾiqun / yahuzzu ka-mā hazza r-raḥīqu l-muʿattaqū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 184, n° 139 (mètre ṭawīl), v. 2-3]
64À sa vue, tous sont emportés par un désir ardent (lawʿa) : pour étancher la soif ardente née de ce désir, les prunelles n’ont d’autre choix que celui de s’abîmer dans la contemplation du visage du prince, représenté sous la forme d’une surface liquide :
Tous les yeux brûlent du désir ardent [que tu leur inspires], tandis que leurs prunelles plongent toutes entières dans l’eau de ton visage.
Fa-lā ʿayna illā wa-hya taẓmaʾu lawʿatan / wa-insānu-hā fī māʾi wajhi-ka yaghraqū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 184, n° 139 (mètre ṭawīl), v. 7]
65Nous retrouvons cette même confusion des genres dans un panégyrique adressé au prince almoravide Abū Isḥāq Ibrāhīm, frère du souverain almoravide ʿAlī b. Yūsuf et gouverneur de la province de Valence97. Notons que le poète semble avoir lui-même conscience de ce télescopage entre poésie laudative et amoureuse, puisqu’après avoir loué l’éclat du visage du prince98, il ajoute :
Je ne savais pas, voyant que la beauté et lui ne faisaient qu’un, si je devais commencer par un panégyrique ou par un chant d’amour99.
Fa-lam adri wa-l-ḥusnu ṣinwun la-hu / a-abdaʾu bi-l-madḥi am bi-l-ghazal. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 102, n° 57 (mètre ṭawīl), v. 8]
66Cette « contamination » des motifs érotico-amoureux touche aussi le poème « épique ». C’est le cas d’un long texte combinant la louange de la bravoure guerrière (ḥamāsa) et le ghazal100. Ce poème a fait l’objet d’une analyse par Arie Schippers101 qui, justement, avait été intrigué par le caractère inhabituel de cette pièce combinant une scène martiale et une scène érotique. En effet, après une première partie décrivant une bataille102 dans laquelle s’illustrent de jeunes héros auréolés de gloire, le ton change brusquement au vers 19, lorsque le sujet dévoile la passion que lui inspire un jeune homme :
Cependant, mon cœur est possédé par la passion ; si l’amour se dissimule, le désir se révèle103
C’est un jeune homme aussi souple qu’un rameau, dont la joue s’est couverte d’un duvet [dessinant] des rayures semblables à celle du camphre sur une bande d’ambre gris104.
ʿAlā anna lī qalban tamallaka-hū l-hawā / fa-li-l-ḥubbi mā yukhfī wa-li-sh-shawqi mā yubdī
Wa-aghyada qad ṣāra l-ʿidhāru bi-khaddi-hī / kamā khuṭṭa bi-l-kāfūri saṭrun mina n-naddī. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 346, n° 278 (mètre ṭawīl), v. 19-20]
67Le sujet affirme avoir choisi celui-ci parmi les jeunes gens de son entourage et en avoir fait son seigneur105. Il déclare renoncer à la gloire des combats106 pour cet être exceptionnel alliant beauté et générosité107. S’en suit une description associant images guerrières et représentations paysagères : le corps du jeune homme est comparé à une lance redressée, tandis que sa joue devient l’arène sur laquelle le sujet lance les chevaux des baisers. Mais la bouche est aussi une camomille que l’on cueille et la taille de l’aimé une tige de bambou flexible108.
Désir et nature
68Les représentations paysagères sont omniprésentes dans la poésie érotico-amoureuse d’Ibn Khafāja, et leur contribution à la langue du désir est primordiale. Ces textes sont axés le plus souvent sur une relation pathique confiante dans laquelle, comme le souligne Antonio Rodriguez, « chaque chose, chaque être s’active dans la disposition, avec une mise en mouvement aussi forte109 » que celle des pulsions du sujet. « Nous assistons alors, poursuit-il, à une diffraction de la vie affective qui se répand sur tous les éléments évoqués110. » Les représentations paysagères, en particulier, offrent « un décentrement de la fonction du sujet-patient. De ce fait, l’hiatus entre l’intériorité et l’extériorité s’estompe. […] La stratégie du poète consiste à marquer la relation entre le paysage et le sujet lyrique par une même configuration affective111. »
69Cette relation de confiance et d’empathie entre la nature et le sujet est particulièrement sensible dans les vers muant un arbre112, condensé du macrocosme, en une puissance protectrice des compagnons de plaisir :
Dirige-toi vers un arbre humide dans la [ramure duquel] battent les ailes palpitantes [des oiseaux]
Les rimes font frémir ses flancs, et les coupes, les convives
Il ressemble, alors qu’il abrite ces buveurs, à une mère entourant tendrement de ses bras des orphelins.
Wa-mil ilā aykatin balīlin / tahfū htizāzan bi-hā qudāmā
Tahuzzu aʿṭāfa-hā l-qawāfī / la-hā wa-akwāsa-hā n-nadāmā
Ka-anna umman bi-hā raʾūman / taḥḍunu min sharbi-hā yatāmā. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 59, n° 21 (mètre basīṭ mukhallaʿ), v. 3-4]
70Cet arbre anthropomorphisé, qui se comporte comme une mère de substitution aimante envers des « orphelins » et bruissant des battements d’ailes des oiseaux qui nichent dans son feuillage, est un condensé de vie. L’écoute des vers déclamés sous sa ramure le secoue d’émotion.
71Le poète utilise plusieurs procédés pour mettre en scène cette proximité réunissant humains et éléments naturels113. Le premier consiste à naturaliser l’objet du désir et à le doter des attributs de la nature. Ibn Khafāja puise, pour ce faire, dans le réservoir des motifs poétiques arabes les plus anciens, et c’est là où sa singularité est la plus difficile à discerner : le cou est un iris, les yeux des narcisses et le sourire des camomilles immaculées114. Les joues rosies se transforment en anémones humectées par la rosée, tandis que le parfum de l’aimé se mue en brise odoriférante115. Le poète use et abuse du très ancien motif du rameau planté dans un monticule sablonneux et agité par le vent, le ghuṣn116. La comparaison de son front (et plus généralement du visage) lumineux à la pleine lune éclairant les ténèbres117 n’est, bien sûr, guère plus inventive. Moins convenues sont les images représentant la vigueur de la jeunesse sous la forme d’une puissante vague qui agite les flancs de l’éphèbe et fait onduler ses fesses rebondies118. Cette ondulation, très appréciée, est assimilée au déferlement de la vague qui s’écrase sur le rivage de la taille119.
72C’est dans la manière d’articuler ces différents motifs qu’Ibn Khafāja se révèle plus novateur. Il compose alors des scènes dans lesquelles le ghulām prend une dimension onirique et quasiment cosmologique. De tels tableaux sont nombreux ; nous prendrons comme exemple la composition dédiée à un objet mué en une pleine lune resplendissante qui marche en tirant, en guise de traîne, une nuée120. L’eau ruisselle sur ses joues, fraîches et éclatantes, mais la pudeur et le trouble qui les rosissent ne tardent pas à transmuer cette eau en vin. Bien sûr, ivre de sa jeunesse, c’est une tige qui se plie et un astre splendide ; mais aussi une vague qui s’avance en majesté, enveloppée dans l’écume formée par le précieux costume brocardé. Enfin, une dernière métamorphose le montre brise subtile, tendre rameau et floraison de jeunesse. On aura remarqué que les quatre Éléments s’immiscent dans ce tableau.
73Le second procédé consiste à anthropomorphiser et érotiser la Nature. Un poème érotise ainsi les composantes d’un paysage en les assimilant aux parties d’un corps désirable : un terrain encaissé prend la forme d’une taille ceinturée par un acacia, le sommet de la montagne celle d’une tête enturbannée par les nuages. Le fleuve, quant à lui, dévoile une gorge ornée d’un collier de bulles d’eau, et la plaine ouverte est un visage voilé par le givre. En fonction des représentations déployées, les éléments du décor personnifiés sont tantôt du sexe masculin, tantôt du sexe féminin121. Cependant, ce n’est là que le prologue à la brève scène de séduction à laquelle se prête un rameau se cambrant de plaisir à l’écoute d’un chant d’oiseau122.
74Ailleurs, la végétation recouvrant le sol d’un vallon est comparée au duvet naissant sur une joue au contour parfait123, tandis que, dans un autre poème, le jardin est assimilé à un visage radieux, paré de la chevelure de ses sombres ombrages, et sur lequel s’ouvre la bouche fraîche de l’eau vive, dotée d’une dentition parfaite124. De telles représentations sont nombreuses dans la production d’Ibn Khafāja125. L’expérience de l’ivresse, commune à la nature et à l’homme, est intimement liée au désir. Dans les deux vers qui suivent, ce ne sont pas moins de sept termes qui sont utilisés pour dénoter la griserie qui fait se ployer l’acacia et frémir tout entier le jardin sous la caresse de la brise :
Le flanc de l’acacia ploie, grisé et étourdi par l’ivresse ; sa ramure bruit du roucoulement des pigeons
Sous son manteau, le jardin, soûl, frémit de bonheur et, sous la caresse du vent d’Est, se cambre.
Wa qadi ntashā ʿiṭfu l-arākati fa-nthanā / sukran wa-rajjaʿa fī-l-ghuṣūni hadīlū […]
Wa-l-rawḍu muhtazzu l-maʿāṭifi niʿmatan / nashwānu taʿṭifu-hu ṣ-ṣabā fa-yamīlū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 254, n° 196 (mètre kāmil), v. 3 et 6]
75Si les éléments du paysage sont capables de se livrer à une parade amoureuse, il va sans dire qu’ils sont également investis de la capacité à s’émouvoir et à souffrir et, par conséquent, à verser des larmes :
Les larmes d’un nuage avaient humecté les flancs de la terre, s’immisçant sous la paupière d’une fleur à peine éclose.
Wa-qad balla aʿṭāfa th-tharā damʿu muznatin / taḥayyara fī jafnin mina n-nawri ṭārifī. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 210, n° 136 (mètre ṭawīl), v. 6]
Le brouillage des frontières
76Il arrive souvent que les frontières se brouillent entre microcosme et macrocosme, et qu’une ambiguïté s’installe. C’est l’univers tout entier qui s’empare alors de la langue du désir. Nature anthropomorphisée et désirante et figures humaines métamorphosées par l’ivresse en autant de lianes lascives s’y confondent, au point qu’il est parfois difficile de démêler ce qui relève des deux ordres.
77Ainsi, un poème présenté par l’auteur comme la description d’un lieu de promenade (yaṣifu mutanazzah) débute par l’entrée en scène d’un éphèbe au front clair et à la barbe naissante, vers lequel tous les regards convergent126. Mais, très vite, la tenue de celui-ci s’avère être empruntée, pour partie à l’aurore, et pour partie au soir :
Vêtu d’une tunique humectée de rosée et d’un voile, le premier, don du matin, le second offert par le crépuscule rougeoyant.
Khuliʿat ʿalay-hi mina ṣ-ṣabāḥi ghilālatun / tandā wa-min shafaqi l-masāʾi niqābū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 337, n° 203m (mètre kāmil), v. 3]
78Si bien que l’on en vient à se demander si cette figure humaine n’est pas la métaphore d’un espace naturel. Le mystère s’épaissit encore lorsque le sujet se donne à voir se désaltérant à une source qualifiée d’« eau de l’amour ardent », où il est aussi question d’un mystérieux mirage :
J’ai bu l’eau de l’amour à une source si transparente qu’elle laissait apparaître, à travers la chemise, un mirage.
Fa-karaʿtu min māʾi ṣ-ṣibā fī manhalin / qad raqqa ʿan-hu mina l-qamīṣi sarābū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 337, n° 203m (mètre kāmil), v. 4]
79Les représentations du vers suivant nous éloignent encore davantage du règne de l’humain, puisqu’elles évoquent le lieu naturel où se trouve cette source au flot bouillonnant, parfumé par le souffle de la brise :
Là où le vent, affaibli, diffuse son souffle parfumé, et où l’eau douce déborde127.
Fī ḥaythu li-r-rīḥi r-rukhāʾi tanaffusun / arijun wa-li-l-māʾi l-furāti ʿubābū. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 337, n° 203m (mètre kāmil), v. 5]
80Tout se passe donc, en réalité, comme si ces quelques vers mettaient en scène la métamorphose d’une figure humaine se « naturalisant » progressivement, l’objectif du poète étant peut-être de nous faire toucher du doigt l’extase dans laquelle le plonge sa passion pour cette nature luxuriante.
81Il arrive aussi qu’Ibn Khafāja brouille encore davantage les pistes en croisant les attributs du microcosme et macrocosme. Ainsi, dans les deux vers suivants, le costume de l’objet se végétalise, tandis que l’aube parade dans son habit d’apparat :
Sous ton voile, je cueillis alors un jardin fleuri et, à ta taille, une branche de saule fructifiant sous ta ceinture richement ornée […]
Tandis que le matin, ayant laissé glisser son voile, apparaissait, enveloppé dans un manteau rougeoyant et revêtu de son izār.
Fa-janaytu rawḍan fī qināʿi-ka zāhiran / wa-qaḍība bānin fī washāḥi-ka muthmirā, […]
Wa-ṣ-ṣubḥu maḥṭūṭ l-qināʿi qadi ḥtabā / fī shamlatin warsiyyatin wa-taʾazzarā. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 300, n° 237 (mètre kāmil), v. 5 et 7]
Conclusion
82Notre étude s’est attachée à faire l’inventaire des motifs de mujūn dans la poésie d’Ibn Khafāja. Il nous semble qu’elle démontre, si cela s’avérait encore nécessaire, l’étroite parenté unissant la poésie andalouse de facture classique et la production orientale. Seules de subtiles variations permettent à l’œil avisé de distinguer les vers de l’Andalou de ceux de son illustre prédécesseur, Abū Nuwās.
83À l’époque de notre auteur, la poésie de mujūn semble toutefois bien avoir perdu sa force transgressive et n’être plus qu’une modalité parmi d’autres de l’écriture du désir128. En effet, et même si, comme nous le signalions en introduction, les pièces dédiées au mujūn représentent une grande partie de la production de son ghazal, le poète andalou n’a pas manqué de cultiver d’autres styles, telle la poésie élégiaque aux accents bédouins qui occupe, dans ses longues pièces, la place traditionnellement dévolue au nasīb129. Le temps nous a aussi manqué pour analyser les textes dans lesquels le poète concède davantage de place à l’amitié amoureuse se développant entre pairs et égaux, jeunes hommes valeureux (fityān) et commensaux (nudamāʾ), veine elle aussi présente chez les poètes abbassides et en particulier, encore une fois, chez Abū Nuwās.
84Le désir, telle une vague ondoyante, n’en irrigue pas moins l’ensemble de la production du poète levantin qui parvient, en combinant et exploitant tous les éléments et procédés hérités de la tradition poétique arabe, à insuffler la vie à ses compositions souvent imitées mais très rarement égalées.
Notes de bas de page
1 Sur ce poète, voir notamment Al-Nowaihi Magda, The Poetry of Ibn Khafājah. A Literary analysis, Leyde/New York/Cologne, E. J. Brill, 1993 ; Hadjadji Hamdane, Vie et œuvre du poète andalou Ibn Khafadja, Alger, SNED, 1982 ; Foulon Brigitte, La Poésie andalouse du xie siècle. Voir et décrire le paysage. Étude du recueil d’Ibn Ḥafāja, Paris, L’Harmattan, 2011.
2 L’ensemble de cette production de ghazal représente une soixantaine de poèmes. Les pièces relevant du mujūn sont les plus nombreuses.
3 C’est le cas, par exemple de Hamdane Hadjadi, tant dans son ouvrage Vie et œuvre du poète andalou Ibn Khafadja, op. cit., que dans Ibn Khafâdja l’Andalou, l’amant de la nature, Paris, El-Ouns, 2002, dont les traductions sont l’œuvre d’André Miquel. On note le même parti pris dans les traductions castillanes de Mahmud Sobh (Antología poética, Madrid, Ediciones del Orto, 1992).
4 Ibn Khafāja, Dīwān, Éd. al-Sayyid Muṣṭafā Ghāzī, al-Iskandariyya, Munshaʾat al-Maʿārif, 1960, p. 99, n° 54 [mètre mutaqārib], v. 1 : Wa-qāla yataghazzalu fī ghulām mutalaththim.
5 Voir Ben Abdesselem Afif, La Vie littéraire dans l’Espagne sous les Mulūk al-Ṭawāʾif, Damas, IFEAD, 2001, p. 270-272.
6 Rodriguez Antonio, Le Pacte lyrique. Configuration discursive et interaction affective, Sprimont, Mardaga, 2003.
7 Idem, p. 94.
8 Voir à ce sujet Foucault Michel, Histoire de la sexualité III. Le souci de soi, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1984, en particulier p. 257-279.
9 Nous trouvons chez Abū Nuwās des allusions similaires au caractère inégalitaire de la relation. Voir par exemple Abū Nuwās, Dīwān, Éd. Ῑliyyā l-Ḥāwī, Bayrūt, Dār al-kitāb al-lubnānī, 1983, II/329, v. 7 : Wa-muʾazzarin yadʿū l-kuhūla ilā / khalʿi l-aʿinnati fī-hi bi-ḍ-ḍammī. Le poète décrit souvent l’éphèbe comme gharīr (« inexpérimenté et facile à tromper »), qualité qu’il associe à la jeunesse, comme dans cet exemple : Wa-gharīri sh-shabābi… (II/325, n° 765, v. 1)
10 Les deux noms (majlis et ghulām) sont du genre masculin en arabe.
11 Rodriguez Antonio, Le Pacte lyrique, op. cit., p. 112-113.
12 Voir aussi Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 210, n° 156 [mètre ṭawīl], v. 2 : Lahawtu bi-hī wa-d-dahru wasnānu dhāhilun / wa-ghuṣnu ṣ-ṣibā rayyānu ladnu l-maʿāṭifī. L’insouciance et le plaisir sont rendus possibles, aux yeux du sujet, par l’assoupissement et la distraction du dahr, le temps menaçant.
13 Voir à ce sujet Bonnaud Mary, La Poésie bachique d’Abū Nuwās, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2008, p. 443-462.
14 Voir par exemple Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 231, n° 174 [mètre khafīf], v. 1-2 :
Qāma yasʿā bi-hā ghulāmun taghannā / fa-nthanat khūṭatun wa-nāḥat ḥamāmah
Wa-ntaḥat-nā min ṭarfi-hi wa-yaday-hi / wa-lamā-hu wa-wajnatay-hi mudāmah.
Ou p. 135, n° 86 [mètre ramal], v. 1 : Inna-mā l-ʿayshu mudāmun aḥmarun / qāma bi-saqyi-hi ghulāmun aḥwarū.
15 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 83, n° 43 [mètre ṭawīl], v. 1 : Wa-aghyada fī-ṣadri l-nadiyyi li-ḥusni-hī / ḥuliyyun wa-fī-ṣadri l-qaṣīdi nasībū. Le vers joue sur la polysémie du nom ṣadr, « poitrine » et « première place », jeu de mots malaisé à rendre en français.
16 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 281, n° 221 [mètre kāmil], v. 2 : ʿᾹṭā bi-hā ṣ-ṣahbāʾa aḥwā aḥwaru / saḥḥābu adhyāli ṣ-ṣibā saḥḥārū.
17 Voir Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 231, n° 174 [mètre khafīf], v. 3-4 ; p. 235, n° 177 [mètre ṭawīl], v. 5 et 7 ; ou encore p. 281, n° 221 [mètre kāmil].
18 Voir à ce sujet Szombathy Zoltan, Mujūn. Libertinism in Mediaeval Muslim Society and Literature, Exeter, Gibb Memorial Trust, 2013, p. 115-121 ; Meisami Julie Scott, « Arabic Mujūn Poetry: The Literary Dimension », Verse and the Fair Sex, Studies in Arabic Poetry and in the Representation of Women in Arabic Literature, Frederick de Jong (dir.), Utrecht, Publications of the M. Th. Houtsma Stichting, 1993, p. 8-30.
19 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 346, n° 278 [mètre ṭawīl], v. 37-38 :
Ilā an sarat fī jismi-hī r-rāḥu wa-l-karā / wa-mālā bi-ʿiṭfay-hi fa-māla ʿalā ʿaḍudī
Fa-aqbaltu astahdī li-mā bayna aḍluʿī / mina l-ḥarri mā bayna th-thanāyā mina l-bardī.
20 Voir, par exemple, Abū Nuwās, Dīwān, op. cit., II/432, n° 865, pièce décrivant pratiquement une scène de viol.
21 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 346, n° 278 [mètre ṭawīl], v. 39-45 :
Wa-ʿānaqtu-hu qad sulla min washyi burdi-hi / fa-ʿānaqtu min-hu s-sayfa sulla mina l-ghamdī
Layāna majassin wa-stiqāmata qāmatin / wa-hizzata aʿṭāfin wa-rawnaqa ifrindī
Ughāzilu min-hu l-ghuṣna fī maghrisi n-naqā / wa-althimu wajha sh-shamsi fī maṭlaʿi s-saʿdī
Fa-in lam yakun-hā aw takun-hu fa-inna-hū / akhū-hā kamā qudda sh-shirāku mina l-jildi
Tusāfiru kiltā rāḥatayya bi-jismi-hī / fa-ṭawran ilā khaṣrin wa-ṭawran ilā nahdī
Fa-tahbiṭu min kashḥay-hi kafffun tihāmatan / wa-taṣʿadu min nahday-hi ukhrā ilā najdī
Wa-qad miltu min taqbīli khaddin ilā famin / aqūlu bi-tafḍīli l-qarāḥi ʿalā l-wardī.
Notons, dans ces vers, l’usage insolite du nom nahd (au duel) pour évoquer le torse du garçon, alors que ce terme est généralement employé pour dénoter la poitrine féminine (voir infra, note n° 101). Il est difficile d’interpréter cet emploi.
22 Idem, v. 46 : Wa-ghayyartu bi-t-tajmīshi kāfūra khaddi-hi / wa-innī la-ʿaffun miʾzarī ṭāhirun burdī.
23 Le poète évoque cette révision dans l’introduction de son Dīwān, expurgé de certaines de ses compositions de jeunesse. Cette prudence vis-à-vis du pouvoir amène aussi parfois Abū Nuwās à renoncer à son plaisir. Voir par exemple Abū Nuwās, Dīwān, op. cit., II/398, n° 835, v. 11 : Dhāka ʿīshun law dāma lī ghayra annī / ʿiftu-hū mukrahan wa-khiftu l-Amīna.
24 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 346, n° 278 [mètre ṭawīl], v. 47 : Wa-law lā dhubūlun massa-nī wa-ghaḍāratun / ʿalay-hi la-bāta l-badru yaḥsudu-nī waḥdī.
25 Voir aussi Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 99, n° 54 [mètre mutaqārib], v. 19 : Wa-qad luthtu burdī ʿalā ʿiffatin / wa-yuʿjibu-nī anna-nī ʿaffu-hū.
26 Dans la poésie arabe, l’objet d’une description (le pantonyme) est régulièrement désigné par une métonymie dite « linguistique », fonctionnant comme un condensé descriptif.
27 Lequel, on le sait, avait repris, en les masculinisant, l’essentiel des termes disant la beauté féminine depuis la Jāhiliyya.
28 Ibn Khafāja, sur ce point comme sur d’autres, est en conformité avec la description des éphèbes chez Abū Nuwās. Voir par exemple Abū Nuwās, Dīwān, op. cit., II/331, n° 769, v. 4-5 :
Min kaffi ẓabyin aghanna dhī ghanajin / ukmila min qarni-hī ilā l-qadamī
Aghyadu murtajjatun rawādifu-hū…
Voir aussi II/119, n° 567, v. 2 et II/237, n° 676, v. 6 : aʿlāhu ghuṣnun / wa-asfalu khaṣri-hī ridfun thaqīlū.
29 Le Lisān al-ʿArab d’Ibn Manẓūr définit cet adjectif comme suit : mālat ʿunqu-hu wa-lānat aʿtāfu-hu, et indique qu’il s’utilise aussi pour une gazelle ou une personne prise de langueur et dont le cou est penché (al-wasnān al-māʾil al-ʿunq).
30 Voir, par exemple, Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 83, n° 43 [mètre ṭawīl], v. 1.
31 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 156, n° 116 [mètre sariʿ], v. 1 : Wa-aghyadin ḥulwi l-laman amladin / yudhkā ʿalā wajnati-hī l-jamru.
32 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 354, n° 287 [mètre mujtathth], v. 1. Abū Nuwās fait aussi référence à cette minceur. Voir par exemple Abū Nuwās, Dīwān, op. cit., II/329, v. 5 : yasʿā ilay-ka bi-hā akhū hayfin ; ou II/240, n° 679, v. 2 : Yudīru-hā aḥwarun bi-hī hayafun / muʿtadilu l-khalqi rājiḥu l-kafalī. Le poète abbasside préfère parfois d’autres termes pour dénoter cette minceur qui confine à la maigreur, tels sāhim (II/389, n° 830, v. 2) ou mukhṭaf (II/235, n° 675, v. 6). Ailleurs, il compare le jeune homme à la taille fine à un coursier, dont la maigreur est valorisée chez les Arabes : laṭīfu l-khaṣri ka-l-farasi l-rabīṭī (II/89, n° 544, v. 1).
33 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 141, n° 96 [mètre kāmil majzūʾ], v. 1 : Wa-muhafhafin ṭāwī l-ḥashā / khanithi l-maʿāṭifi wa-n-naẓar.
34 Il s’agit du vers 31 de la muʿallaqa, commençant par : Muhafhafatun bayḍāʾu ghayru mufāḍatin…
35 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 336, n° 266 [mètre ṭawīl], v. 2 : Taṭallaʿa mithla r-rumḥi basṭata qāmatin / wa-fatkata alḥāẓin wa-līna maʿāṭifī. Plus généralement, le corps, par sa fermeté, peut être comparé à une arme : Shākī s-silāḥi bi-qaddi-hi wa-bi-ṭarfi-hi / rumḥun aṣammu wa-ṣārimun maslūlū (p. 254, n° 196 [mètre kāmil], v. 14).
36 Celui-ci est tout autant valorisé chez Abū Nuwās.
37 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 141, n° 96 [mètre kāmil majzūʾ], v. 1 : Wa-muhafhafin ṭāwī l-ḥashā / khanithi l-maʿāṭifi wa-n-naẓar. Nous trouvons aussi, chez Abū Nuwās, cette attirance pour un corps alliant féminité et masculinité. Voir par exemple la description d’un jeune homme (fatan) : Wa-mushtarakin fī-hi idhā l-wahmu nāla-hu / takhannuthu unthā wa-ʿtidālu ghulāmī (Abū Nuwās, Dīwān, op. cit., II/355, n° 796, v. 4). Cette indolence est parfois montrée comme une attitude paresseuse : Tarā-hu kaslāna min tasāquṭi-hī / wa-mā bi-hī ghayru niʿmatin kasalū (II/267, n° 710, v. 5).
38 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 183, n° 136 [mètre ṭawīl], v. 1 : Wa-agharra ḍāḥaka wajhu-hū miṣbāḥa-hū / fa-anāra dhā qamaran wa-dhālika farqadā. Notons que Kasimirski donne aussi comme définition de ce terme : « noble, illustre, qui brille par ses vertus et ses qualités ». Cet adjectif est aussi convoqué régulièrement par Abū Nuwās. Il qualifie tantôt le commensal, tantôt l’échanson : agharra ka-ḍawʾi ṣ-ṣubḥi (Abū Nuwās, Dīwān, op. cit., II/242, n° 681, v. 1).
39 C’est généralement l’un des protagonistes de la scène bachique.
40 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 221, n° 166 [mètre kāmil], v. 1 et 3 :
Wa-mugharridin haziji l-ghināʾi muṭarribin / talqā bi-hī layla t-timāmī fa-yaqṣurū
Ghāzaltu-hū ḥaythu l-mudāmatu wa-l-ḥabā / batu wajnatun tadmā wa-ʿaynun tanẓurū.
41 Rodriguez Antonio, Le Pacte lyrique, op. cit., p. 255.
42 Le vers suivant assemble ces trois éléments pour donner à voir l’incarnation de la séduction : Fa-aqamta ʿiṭfan azwaran wa-jalawta wajhan / azharan wa-adarta ṭarfan aḥwarā (Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 300, n° 237 [mètre kāmil], v. 2).
43 Rodriguez Antonio, Le Pacte lyrique, op. cit., p. 25-26.
44 Le verbe ṭawā, employé dans le dernier vers pour caractériser l’effet du mal d’amour sur le corps, signifie « rouler, plier ». Afin de rendre l’image plus accessible, nous avons préféré, dans notre traduction, le rendre par « broyer ».
45 Puisque, nous l’avons vu, il se caractérise comme une « colline au sol ferme » (haḍba jalad). On retrouve des motifs similaires chez Abū Nuwās, pour lequel cette prédisposition à s’émouvoir n’est nullement en contradiction avec des qualités « viriles » tel le courage : Wa-nadīmin musāʿidin ghayri naksin / ḥaythu-mā milta māla maʿka mumīlā (Abū Nuwās, Dīwān, op. cit., II/245, n° 683, v. 5).
46 Celle-ci est définie par David Le Breton comme ce « qui indique aux acteurs la manière dont il convient de se situer face à l’autre » (Le Breton David, Les Passions ordinaires. Anthropologie des émotions, Paris, Payot et Rivages pour l’édition de poche, 2004, p. 61).
47 Cependant, cette souplesse semble ne pas entrer en contradiction avec la valorisation d’une taille ferme, comparée à une lance et d’un port altier : Wa-aqwamu min rumḥi-hī qaddu-hū / wa-aftaku min naṣli-hī ṭarfu-hū (Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 99, n° 54 [mètre mutaqārib], v. 13).
48 Voir par exemple Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 245, n° 186 [mètre mutaqārib], v. 12 : Wa-ʿish tatathannā nthināʿa l-qaḍībi / surūran wa-tasjaʿu sajʿa l-ḥamāmī ; p. 150, n° 108 [mètre kāmil], v. 1 : Yā mutrafan yamshī l-huwaynā ʿizzatan / wa-yahuzzu aʿṭāfa l-qaḍībi l-mūriqī.
49 Cette prédilection pour les corps flexibles est déjà très présente chez Abū Nuwās. Voir par exemple Abū Nuwās, Dīwān, op. cit., II/ 326, v. 4 : Yatathannā idhā mashā ladnun / fī-ʿtidālin bi-jawdati t-taqwīmī ; II/328, v. 8 : Yaḥuththu bi-hā ka-khūṭi l-bāni sāqin… ; I/430, n° 338, v. 12 : Yatathannā kaʾanna-hū ghuṣnu bānin / mayyalat-hu r-riyāḥu bi-l-ashārī ; I/439, n° 345, v. 1 : Saqā Allāhu ẓabyan mubdiya l-ghunji fī l-khaṭrī / yamīsu ka-ghuṣni l-bāni min riqqati l-khaṣrī ; I/446, n° 352, v. 4 : qaḍīban mina-l-rayḥāni yahtazzu akhḍarā ; II/83, n° 541, v. 2 : ihtazza ka-l-ghuṣni.
50 Les comparaisons du visage avec la pleine lune sont aussi innombrables chez Abū Nuwās.
51 Le cou, le front et les mèches de cheveux constituent des attraits secondaires. Le premier est particulièrement apprécié lorsqu’il est lisse et « poli ». Voir Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 171, n° 129 [mètre kāmil], v. 1 du distique : ṣaqīli l-ḥulā wa-l-mujtalā wa-s-sawālifi. Le grain de beauté fait aussi partie des éléments valorisés. Comme ici par exemple : Takhālu khīlāna-hū fī nūri ṣafḥati-hī / kawākiban fī shuʿāʿi sh-shamsi taḥtariqū (p. 115, n° 68 [mètre basīṭ], v. 3).
52 Ses évocations de la joue sont très nombreuses. Voir à titre d’exemple Abū Nuwās, Dīwān, op. cit., I/452, n° 358, v. 1 : Wa-mushtaʿali l-khaddayni yasḥaru ṭarfu-hū ; II/267, n° 710, v. 4 : Takhālu khadday-hi li-ḥmirāri-himā / yufattiḥu l-warda fi-himā l-khajalū ; II/329, n° 768, v. 6 : Dhū wajnatin khajlā muwarradatin ; II/331, n° 769, v. 6 : Ka-anna khadday-hi fī bayāḍi-himā / qad ushribat wajnatā-humā bi-damī ; II/408, n° 845, v. 9 : Yakādu min ishrāqi khadday-hi an / tukhtaṭafu l-abṣaru min dūni-hī.
53 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 156, n° 116 [mètre sariʿ], v. 1 : Wa-aghyadin ḥulwi l-lamā amladin / yudhkā ʿalā wajnati-hī l-jamrū. Voir aussi p. 156, n° 116 [mètre sarīʿ], v. 4 : Abkī fa-yastaḥyī fa-fī wajnatī / māʾun wa-fī wajnati-hī khamrū.
54 On retrouve cette magie du regard chez Abū Nuwās. Voir Dīwān, op. cit., I/439, n° 345, v. 2 : bi-ʿaynay-hi siḥrun ẓāhirun fī jufūni-hī ; I/452, n° 358, v. 1 : tasḥaru ṭarfu-hū ; II/339, n° 776, v. 5 : ʿallama s-siḥru muqlatayhi ḥwirārā ; voir aussi I/524, n° 421. Le poète abbasside insiste souvent sur la dangerosité de ce regard : wa-fī qalbī bi-laḥẓati-hī kulūmū (II/328, n° 767, v. 9). Ce regard fait du sujet un captif : yasbī l-qulūba (I/442, n° 347, v. 4).
55 Voir par exemple Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 242, n° 182 [mètre ṭawīl], v. 7 : A-mā wa-bayāḍi th-thaghri fī sumrati l-lamā / wa-ḥusni majāli s-siḥri fī fatrati ṭ-ṭarfī.
56 Abū Nuwās, Dīwān, op. cit., I/439, n° 345, v. 3 : illā anna fī-hi malāḥatan bi-taftīri laḥẓin laysa li-sh-shamsi wa-l-badrī ; I/446, n° 352, v. 5 : Marīḍi jufūni l-muqlatayni ; II/64, n° 526, v. 1 : ghazālun bi-hī fatrun wa-fī-hi taʾannuth ; ou n° 573, p. 124, v. 5 : fātir al-ṭarf (à propos d’un échanson).
57 Abū Nuwās, Dīwān, op. cit., II/408, n° 845, v. 3 : fātikin qad āthara d-dunyā ʿalā dīni-hī.
58 Voir Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 99, n° 54 [mètre mutaqārib] : Wa-aqwamu min rumḥi-hī qaddu-hū / wa-aftaku min naṣli-hī ṭarfu-hū ; ou encore p. 254, n° 196 [mètre kāmil], v. 14 : Shākī s-silāḥi bi-qaddi-hī wa-bi-ṭarfi-hī / rumḥun aṣammu wa-ṣārimun maslūlū.
59 Il en va de même pour l’assimilation de la salive à du miel.
60 Que l’on trouve aussi chez Abū Nuwās.Voir Abū Nuwās, Diwān, op. cit., II/107, n° 604, v. 2 : rashaʾ aḥwā.
61 Voir par exemple Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 171, n° 129 [mètre kāmil], v. 1 du distique : Wa-aghyada maʿsūli l-lamā wa-l-marāshifi ; p. 242, n° 182 [mètre ṭawīl], v. 7 : A-mā wa-bayāḍi th-thaghri fī sumrati l-lamā wa-ḥusni majāli s-siḥri fī fatrati ṭ-ṭarfī. En réalité, c’est avant tout le contraste entre la blancheur de la dentition et la coloration brune des lèvres, apprécié depuis l’Antéislam, qui est valorisé dans ces représentations. Notons qu’Ibn Khafāja se sert de ces représentations pour décrire un paysage idyllique, qu’il personnifie en y dotant les ombrages de la coloration brune des lèvres et l’eau vive de la blancheur éclatante de la dentition.
62 Ou de prolonger sa présence (aqarra).
63 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 237, n° 178 [mètre ṭawīl], v. 27 : Tarā Yūsufan fī thawbi-hī ḥusna ṣūratin / wa-tasmaʿu Dāwūdan bi-hī mutarannimā. Voir aussi p. 221, n° 166 : yaṣifu shābban ḥasan al-ṣawt.
64 Voir aussi Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 345, n° 277 [mètre ṭawīl], v. 17 : Tarāʾā la-nā fī mithli ṣūrati Yūsufin / tarāʾā la-nā fī mithli mulki Sulaymānī.
65 Dans son ouvrage, Liebe und Liebesdichtung in der Arabischen Welt des 9. Und 10 Jahrhunderts, Wiesbaden, Harassowitz Verlag, 1998, Thomas Bauer consacre 25 pages au ʿidhār (p. 255-258). Il rappelle que d’autres noms étaient usités pour désigner cet attribut pileux : khaṭṭ (« ligne », le duvet étant comparé à des lignes d’écriture), ou ʿāriḍ, désignant originellement la joue. Il retrace la carrière étonnante de ce motif qui était inconnu avant la période abbasside (du fait de l’absence d’une production poétique homoérotique). Alors qu’il jouait encore un rôle marginal chez Abū Nuwās, Abū Tammām lui consacra un poème entier. C’est à partir de ce moment que l’engouement pour ce motif se fit de plus en plus vif : des centaines de vers lui furent consacrés, et aucun des poètes de renom, depuis Ibn al-Rūmī jusqu’à Abū l-Firās, en passant par Ibn al-Muʿtazz, ne renonça à l’évoquer. Même des poètes devant leur renommée à d’autres genres que le ghazal se plièrent à cette vogue. Ainsi, al-Ṣāḥib Ibn ʿAbbād composa tant de poèmes sur ce thème qu’al-Thaʿālibī lui consacra une section de sa Yatīma. Ce motif est aussi abondamment représenté dans les grandes anthologies, telles celles d’al-Sārī et d’al-Nuwarī. Une anthologie entière (encore inédite), celle de Shamsaddin Muḥammad al-Nawajī (m. 859/1455) : Khalʿ al-ʿidhār fī madḥ al-ʿidhār, lui a même été entièrement dédiée. Cependant, ce thème disparut aussi vite qu’il était apparu, au début du xixe siècle. Bauer évoque ensuite les causes de ce succès. Il invoque d’abord des raisons sociales : les relations homoérotiques n’étant acceptables que tant que l’un des partenaires était encore imberbe, la relation devait cesser avec l’apparition de la barbe, d’où la cristallisation sur cet élément pileux. Il considère ensuite le débat qu’il suscita sur le plan esthétique, la question étant : le ʿidhār embellit-il ou enlaidit-il ? Les poèmes sur le ʿidhār se partagent entre éloge et satire. Le rapport entre les deux évolue au cours du temps au détriment du premier. Le dhamm du ʿidhār donne lieu à des comparaisons avec des objets connotés négativement, tels les cendres, les épines ou encore les vêtements de deuil.
66 Abū Nuwās, Diwān, op. cit., II/354, n° 795, v. 1-2 :
Ka-anna-mā khadda-hū wa-sh-shaʿru mulbisu-hū / shiqqun mina l-badri munshaqqun ʿani-l-ẓulmī
Ka-anna-mā kātibun khaṭṭat anāmilu-hū / bi-l-miski fī khaddi-hī saṭrayni bi-l-qalamī.
67 Abū Nuwās, Diwān, op. cit., II / 365, n° 808, v. 4 : Wa-ʿidhārin zāna-hu min / zaghabi sh-shaʿri lijāmū.
68 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 298, n° 235 [mètre ṭawīl], v. 5 : Fa-yā rashaʾan li-l-miski fī ṣafaḥāti-hī / sawādun wa-li-badri l-munīri shuḥūbun.
69 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 346, n° 278 [mètre ṭawīl], v. 20 : Wa-aghyada qad ṣāra l-ʿidhāru bi-khaddi-hī / kamā khuṭṭa bi-l-kāfūri saṭrun mina n-naddī.
70 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 337, n° 203m [mètre kāmil], v. 1-2 :
Yā rubba waḍḍāḥi l-jabīni ka-’anna-mā / rasmu l-ʿidhāri bi-ṣafḥatay-hi kitābū
Tughrā bi-ṭalʿati-hi l-ʿuyūnu malāḥatan / wa-tabītu taʿshaqu ʿaqla-hū l-albābū.
Cette représentation de la barbe naissante sous la forme de lignes d’écriture est sans doute liée aux qualités intellectuelles prêtées à cette personne dans le vers qui suit. Dans un autre distique, cependant, l’assimilation du ʿidhār à des lignes d’écriture est nettement moins positive, puisque cette vision est associée au phénomène de l’éclipse du soleil que l’on tente, par des prières spécifiques, de conjurer et d’abréger (p. 189, n° 140 [mètre mutaqārib] [distique]) :
Aṭalla wa-qad khuṭṭa fī khaddi-hī / mina l-shaʿri saṭrun daqīqu l-ḥurūfī
Fa-qultu arā sh-shamsa maksūfatan / fa-qūmū nuṣalli ṣalāta l-kusūfī.
71 Les poèmes composés dans cette veine sont souvent introduits par une notation réputée de la main du poète, dont la matrice est la suivante : ghaḍḍa (ou yaghuḍḍu) min al-ʿidhār ou muʿadhdhar. Voir par exemple Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 373, n° 319 : yaghuḍḍu min al-ʿidhār ; p. 129, n° 79 [mètre ramal majzūʾ] : yudāʿibu ghulāman qad baqala ʿidhāru-hū ; p. 142, n° 98 [mètre kāmil] : fī-l-ʿaḍḍ min muʿadhdhar.
72 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 61, n° 12 [mètre kāmil] :
Aqwā maḥallun min shabābi-ka āhilun / fa-waqaftu andubu min-hu rasman ʿāfiyā
Mathala l-ʿidhāru hunāka nuʾyan dāʾiran / wa-swaddati l-khīlānu fī-hi athāfiyā.
73 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 126, n° 76 [mètre kāmil], v. 1 : Mā li-l-ʿidhāri wa-kāna wajhu-ka qiblatan / qad khaṭṭa fī-hi mina-dujā miḥrābā.
74 Le troisième vers, quant à lui, insiste sur l’inéluctabilité de ce passage vers l’âge adulte, déjà inscrit dans le sourire le plus éclatant, tout comme les éclairs annoncent immanquablement l’arrivée de nuages porteurs de pluie : Wa-laqad ʿalimtu bi-kawni thaghri-ka bāriqan / an sawfa yuzjī li-lʿidhāri saḥābā.
75 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 129, n° 79 [mètre ramal majzūʾ]. En voici les premiers vers, très significatifs :
Ayyuhā l-tāʾihu mahlan / sāʾanī an tihta jahlā
Hal tarā fī-mā tarā illā / shabāban qad tawallā
Wa-gharāman qad tasarrā / wa-fuʾādan qad tasallā
Ayna damʿun fī-ka yajrī / ayna janbun yataqallā
Ayna nafsun bi-ka tahdhī / wa-ḍulūʿun fī-ka taṣlā.
Dans un autre distique, le duvet devient successivement une encre maculant la surface de la joue (jaʿala l-ʿidhāru bi-hā yasīlu midādā), puis la tenue de deuil (labisa l-ʿidhāra ʿalā l-shabābi ḥidādā) revêtue par un jeune homme renfrogné (mutajahhim), pleurant sa jeunesse perdue (thakila l-shabāba) (Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 142, n° 98 [mètre kāmil]).
76 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 373, n° 319 [mètre wāfir], v. 1-2 :
Taghashshā nawra wajnati-hī l-qatādu / wa-ghaṭṭā nūra ṣafḥati-hī s-sawādū
Fa-mā yahfū ilā marʾā-hu ṭarfun / wa-lā yaṣbū li-dhikrā-hu fuʾādū.
77 Szombathy Zoltan, Mujūn, op. cit., p. 115-121.
78 Ce vers est construit sur un jeu de mots activant la polysémie de la racine dh-k-w (« brûler » et « être fin, pénétrant »).
79 Voir à ce sujet Foulon Brigitte, « Le corps du poète dans la poésie arabe médiévale, d’après l’œuvre d’Ibn Khafāja », Annales islamologiques de l’IFAO 48-1 (2015), p. 104-133, ainsi que Balda Tillier Monica, « Parler d’amour sans mot dire : les stigmates de la passion », Annales islamologiques de l’IFAO 48-1 (2015), p. 185-202.
80 Voir Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 125, n° 75 [mètre sarīʿ], v. 8 : Man yalqa min lāʿiji wajdin bi-hī / rīḥan fa-qad lāqaytu iʿṣārā.
81 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 338, n° 267 [mètre basīṭ mukhallaʿ], v. 14 : Fa-niltu min niʿmatin shaqāʾan / wa-dhuqtu min raḥmatin ʿadhābā.
82 L’apparition de l’objet peut même constituer un danger mortel pour ceux dont le désir s’empare. Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 99, n° 54 [mètre mutaqārib], v. 14 : Wa-kullun hunāka ṣarīʿun bi-hī / yarā anna ghashyata-hū ḥatfu-hū.
83 Voir Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 251, n° 193 [mètre kāmil majzūʾ], v. 1-2 :
Lā wa-l-ladhī tujlā l-kurūbu / bi-hī wa-tanfariju l-khuṭūb
Lā bittu illā bayna damʿin / yanhamī wa-ḥashan yadhūb.
84 Les côtes sont aussi, conformément à la tradition poétique, le siège de cette brûlure. Voir par exemple Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 124, n° 74 [mètre ṭawīl], v. 4 : Wa-ḥasbiya shajwan anna lī fī-ka aḍluʿan / ḥirāran wa-ardānan ʿalay-ka khiḍālā.
85 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 298, n° 235 [mètre ṭawīl], v. 9 : Wa-innī la-muhtazzun li-dhikrā-ka lawʿatan / kamā htazza fī-masrā n-nasīmi qaḍībū.
86 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 338, n° 267 [mètre basīṭ mukhallaʿ], v. 13 : Qad shabba fī-wajhi-hī shuʿāʿun / shabba ʿalā qalbī ltihābā.
87 Voir Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 124, n° 74 [mètre ṭawīl], v. 10 : Wa-lī naẓarun yartaddu fī-ka ṣabābatan / wa-qad fāḍa māʾu sh-shawqi fī-hi wa-jālā ; ou p. 338, n° 267 [mètre basīṭ mukhallaʿ], v. 12 : Wa-bayna jafnayya baḥru shawqin / yaʿubbu fī-wajnatī ʿubābā.
88 Cette transgression peut aller, chez le poète abbasside, quasiment jusqu’au blasphème, comme dans le vers suivant : Fa-law annā jaḥadnā llā- / -ha yawman la-ʿabadnā-hū (Abū Nuwās, Dīwān, op. cit., II/527, n° 978, v. 7).
89 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 125, n° 75 [mètre sarīʿ], v. 11-12 :
Yudīru li-l-aʿyuni min wajhi-hī / kaʿbata ḥusnin ḥaythumā dārā
Fa-lī bi-hī ʿaynun majūsiyyatun / taʿbudu min wajnati-hī nārā.
Voir aussi p. 345, n° 277 [mètre ṭawīl], v. 19 : Maḥabbatu-hū dīnī wa-mathwā-hu kaʿbatī / wa-ruʾyatu-hū ḥajjī wa-dhikrā-hu qurʾānī.
90 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 124, n° 74 [mètre ṭawīl], v. 5 : Wa-ṭarfan qarīḥan ṣāma fī-ka ʿani-l-karā / wa-lā fiṭra illā an talūḥa hilālā.
91 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 338, n° 267 [mètre basīṭ mukhallaʿ], v. 10 : Izdadtu min lawʿatī khabālan / fa-jiʿtu min ghullatī sarābā.
92 Abū Nuwās évolue dans le même registre de la folie. Voir, par exemple Abū Nuwās, Dīwān, op. cit., II/424, n° 857, v. 3 : Kulla-mā zdadtu ilay-hī / naẓaran zidtu junūnā.
93 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 125, n° 75 [mètre sarīʿ], v. 8 : Qad ṭabaʿa l-ḥusnu bi-hī dirhaman / tasbuku min-hu l-ʿaynu dīnārā. Voir aussi p. 340, n° 270 [mètre basīṭ mukhallaʿ], v. 6-7.
94 Même si les critiques divergent à ce sujet : Qudāma b. Jaʿfar, par exemple, est catégorique sur ce point, tandis qu’Ibn Rashīq se montre beaucoup plus tolérant. Voir Ibn Rashīq, al-ʿUmda, Bayrūt, Dār al-jīl, 1981, II/135.
95 Hadjadji Hamdane, Vie et œuvre du poète andalou Ibn Khafādja, op. cit., p. 87.
96 Voir aussi le v. 4 : Ḥasunta ghanāʾan wa-jtilāʾan wa-khibratan / wa-kullu-ka mawmūqu l-ḥulā mutaʿashshaqū.
97 Hadjadji Hamdane, Vie et œuvre du poète andalou Ibn Khafādja, op. cit., p. 68-72.
98 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 102, n° 57 [mètre ṭawīl], v. 7 : Yashuddu l-lithāma ʿalā ṣafḥatin / tarā l-badra min-hā bi-marqā zuḥal.
99 Voir aussi le poème adressé au vizir Abū l-Ḥasan b. Ruḥaym (Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 256, n° 198 [mètre kāmil]), personnage fort mal connu au demeurant. Voir à ce sujet Hadjadji Hamdane, Vie et œuvre du poète andalou Ibn Khafādja, op. cit., p. 73-74.
100 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 346, n° 278 [mètre ṭawīl].
101 Voir Schippers Arie, « Love and War: a Poem of Ibn Khafajah », Journal of Arabic Literature 17 (1986), p. 50-68. Cet auteur précise que ce poème n’était pas apparu dans son intégralité avant l’édition du Dīwān de Ghāzī. Pour lui, c’est sans doute ce qui explique que certains commentateurs, parmi lesquels Henri Pérès, avaient estimé que la scène érotique mettait en scène une jeune fille. Pour Schippers (comme pour moi), il est évident que ce n’est pas le cas, et que l’objet du désir est bel et bien un jeune homme. Il ajoute qu’il est possible que l’emploi du nom nahday (v. 42), réservé habituellement à la poitrine des femmes, ait contribué à brouiller les pistes, l’interprétation de Pérès ayant pu se baser sur la présence de ce terme. Quoiqu’il en soit, il souligne avec raison la cohérence réelle de l’ensemble du poème, cohérence sous-tendue par le réseau des métaphores. La seconde partie est à considérer à la lumière de la première, dans laquelle le ton héroïque, loin de se réduire à un simple exercice rhétorique, semble se prêter à un double sens. Voir aussi Schippers Arie, « Nasīb and Ghazal in 11th and 12th Century Arabic and Hebrew Andalusian Poetry », Ghazal as World literature I. Transformations of a Literary Genre, Thomas Bauer & Angelika Neuwirth (dir.), Beirut/Würzburg, Orient Institut/Ergon Verlag, 2005, p. 311-319.
102 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 346, n° 278 [mètre ṭawīl], v. 1-18.
103 Schippers pointe l’introduction, dans ce vers, de trois substantifs porteurs d’une charge érotique : ḥubb, hawā et shawq. Pour lui, il peut s’interpréter de deux manières : soit le sujet veut dire qu’il ressent de l’amour pour les jeunes gens évoqués dans la première partie et du désir pour ceux présents dans la seconde partie, soit l’inverse.
104 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 346, n° 278 [mètre ṭawīl], v. 19-20 :
ʿAlā anna lī qalban tamallaka-hū l-hawā / fa-li-l-ḥubbi mā yukhfī wa-li-sh-shawqi mā yubdī,
Wa-aghyada qad ṣāra l-ʿidhāru bi-khaddi-hī / ka-mā khuṭṭa bi-l-kāfūri saṭrun mina n-naddī.
105 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 346, n° 278 [mètre ṭawīl], v. 21 : Takhayyartu-hū min fityati l-ḥayyi sayyidan / takawwana bayna sh-shamsi wa-l-qamari s-saʿdī.
106 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 346, n° 278 [mètre ṭawīl], v. 23 : Arūḥu ilay-hi thumma aghdū wa-innamā / unakkibu ʿan majdin ilā multaqā wajdī.
107 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 346, n° 278 [mètre ṭawīl], v. 22 : Idhā qaraʾū min wajhi-hī sūrata ḍ-ḍuḥā / talaw fa-talaw min jūdi-hī sūrata l-ḥamdi.
108 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 346, n° 278 [mètre ṭawīl], v. 24 et 25 :
Ilā ḥaythu alqā r-rumḥa nahdan muthaqqafan / fa-aṭrudu khayla l-lathmi fī malʿabi l-khaddī,
Ilā ḥaythu ajnī l-uqḥuwānata min famin / shahiyyin wa-athnī l-khayzurānata min qaddī.
109 Rodriguez Antonio, Le Pacte lyrique, op. cit., p. 150.
110 Idem.
111 Ibid., p. 152.
112 Le nom ayka signifie exactement : « bois, forêt, ensemble d’arbres », mais il nous semble plus opportun de le traduire par le singulier « arbre ».
113 À propos des représentations paysagères, voir Foulon Brigitte, La Poésie andalouse du xie siècle. Voir et décrire le paysage. Étude du recueil d’Ibn Khafāja, Paris, L’Harmattan, 2011.
114 Voir Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 122, n° 72 [mètre kāmil majzūʾ], v. 9 : Wa-qadi stadāra bi-ṣafḥatay / sawsāni jīdi-ka ṭallu durri-k ; p. 336, n° 266 [mètre ṭawīl], v. 2 : Wa-aghyada ahdā narjisan min maḥājirin / wa-thannā fa-atlā sawsanan min sawālifī ; p. 83, n° 43 [mètre ṭawīl], v. 8 : Wa-ghāzala-nā jafnun hunāka li-narjisin / wa-mubtasamun li-l-uqḥuwāni shanībū.
115 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 122, n° 72 [mètre kāmil majzūʾ], v. 8 : Tandā shaqā’iqu wajnatay-ka / bi-hī wa-tanfaḥu rīḥu nashri-k.
116 Les noms qaḍīb et khūṭa sont aussi employés dans le même sens : Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 99, n° 54 [mètre mutaqārib], v. 10 : Wa aqbala bi-l-ḥusni idbāru-hū / yulāʿibu khūṭata-hū ḥiqfu-hū ; p. 221, n° 166 [mètre kāmil], v. 5 : Wa-kaʾanna-hū wa-s-sukru yalwī ʿiṭfa-hū / ghuṣnun tuʿāniqu-hū r-riyāḥu munawwirū. La floraison de ce rameau connote ici la jeunesse du garçon ; p. 115, n° 68 [mètre basīṭ], v. 2 : Wa-rtajja yaʿthuru fī adhyāli khajlati-hī / ghuṣnun bi-ʿaṭfay-hi min istabraqin waraqū ; p. 99, n° 54 [mètre mutaqārib], v. 18 : Fa-yalwiya min ghuṣni-hī haṣra-hū / wa-yumkina min wardi-hī qaṭfu-hū.
117 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 122, n° 72 [mètre kāmil majzūʾ], v. 6 : Wa-la-rubba laylin qad ṣadaʿtu / ẓalāma-hū bi-jabīni badri-k.
118 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 336, n° 266 [mètre ṭawīl], v. 3 : Wa-qad māja min-ʿiṭfay-hi māʾu shabībatin / taʿubbu wa-lā amwājā ghayru r-rawādifī.
119 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 122, n° 72 [mètre kāmil majzūʾ], v. 12 : Wa-yaʿubbu min rajrāji rid-/-fi-ka mawjatun fī shaṭṭi khaṣri-k.
120 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 338, n° 267 [mètre basīṭ mukhallaʿ], v. 1-5 :
Marra bi-nā wa-hwa badru timmin / yasḥabu min dhayli-hī saḥābā
Qad sāla fī ṣafḥatay-hi māʾun / yaʿūdu min khajlatin sharābā
Bi-qāmatin tanthanī qaḍīban / wa-ghurratin taltaẓī shihābā
Ka-anna-hu mawjatun tahādā / talbasu min washyi-hī ḥabābā
Fa-hwa ṣaban riqqatan wa-ghuṣnun / līnan wa-nuwwāratun shabābā.
On pourra aussi se référer au poème n° 198 (p. 256 [mètre kāmil], v. 16-18) :
Wa-agharra azhara bāta yaʿbaqu nafḥatan / fa-kaʾanna-hū fī burdati-hī rawḍan azharā
Ṭalqi l-muḥayyā wa-l-yadayni kaʾanna-hū / qamarun taṭallaʿa fī ghamāmin amṭarā
Labisa r-ridāʾa mina th-thanāʾi muṭarrazan / fawqa l-qamīṣi mina l-ḥayāʾi muʿaṣfarā.
121 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 244, n° 185 [mètre kāmil], v. 7-8 :
Fī khaṣri ghawrin bi-l-arāki muwashshaḥin / aw ra’si ṭawdin bi-l-ghamāmi muʿammamī
Aw naḥri nahrin bi-l-ḥabābi muqalladin / aw-wajhi kharqin bi-ḍ-ḍarībi mulaththamī.
122 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 244, n° 185 [mètre kāmil], v. 9 : Ḥattā tahādā l-ghuṣnu ya’ṭiru matnu-hū / ṭaraban li-shadwi ṭ-ṭā’iri l-mutarannimī.
123 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 378, n° 329 [mètre mutaqārib], v. 1 : Wa-qad ghashiya n-nabtu baṭḥāʾa-hū / ka-badwi l-ʿidhāri bi-khaddin asīlī.
124 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 289, n° 229 [mètre kāmil], v. 6 : Wa-r-rawḍu wajhun azharun wa-ẓ-ẓillu far- / -ʿun aswadun wa-l-mā’u thaghrun ashnabū.
125 Voir aussi Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 378, n° 329 [mètre mutaqārib].
126 Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 337, n° 203m [mètre kāmil], v. 1-2 :
Yā rubba waḍḍāḥi l-jabīni kaʾanna-mā / rasmu l-ʿidhāri bi-ṣafḥatay-hi kitābu
Tughrā bi-ṭalʿati-hi l-ʿuyūnu malāḥatan / wa-tabītu taʿshaqu ʿaqla-hu l-albābū.
127 Notons que le second extrait du poème figurant dans le recueil se présente sans ambigüité comme l’évocation d’un paysage fluvial.
128 Voir Foulon Brigitte, « Poésie andalouse et marginalité », Étrangeté de l’autre, singularité du moi. Les figures du marginal dans les littératures, Ève Feuillebois-Pierunek & Zaïneb Ben Lagha (dir.), Paris, Classiques Garnier, 2015, p. 331-352.
129 Ibn Khafāja y revivifie les motifs archaïques, en particulier ceux en liaison avec le voyage nocturne (surā), et plus généralement le raḥīl. Dans les vers suivants, le sujet traque les traces de l’aimé dans les effluves du vent et au sommet de chaque dune. Puis, la passion le pousse à s’enfoncer dans les profondeurs des ténèbres nocturnes, pour poursuivre sa quête, à la manière furtive du loup :
Wa-mahmā tanassamtu r-riyāḥa ʿashiyyatan / tasannamtu shawqan ẓahra kulli kathībī
Wa-khuḍtu ḥashā ẓ-ẓalmāʾi fī-hi ṣabābatan / urīghu maʿa ẓ-ẓalmāʾi khilsata dhībī. [Ibn Khafāja, Dīwān, op. cit., p. 288, n° 228 (mètre ṭawīl), v. 3-4]
Notons que le verbe arāgha signifie aussi bien « chercher du gibier » que « désirer ». Ce type de compositions s’apparente au genre ḥijāziyyāt auquel al-Sharīf al-Raḍī donna une impulsion décisive, et qui essaima par la suite dans l’ensemble du Dār al-islām. Le désir qui s’y exprime est avant tout d’ordre mystique, même si une certaine ambiguïté y est souvent cultivée.
Auteur
Université Paris 3 Sorbonne nouvelle/CEAO

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