Les usages politiques de la charia
p. 77-85
Texte intégral
1Les usages politiques qui sont faits de la charia tendent à introduire un certain nombre de biais sur les représentations de celle-ci comme droit. Ce que j’essayerai de démontrer dans cette communication, qui sera une sorte de panorama historique rapide de la charia, c’est que charia et droit ne sont pas toujours équivalents dans le monde musulman, et que leur relation doit être considérée sous le sceau de la complexité. Le droit dit « charaïque » est un droit fluctuant et évolutif, éloigné des certitudes des promoteurs contemporains de la charia et des opérateurs politiques, ou des raccourcis proposés à un public occidental.
Pourquoi s’intéresser à la charia ?
2Cette notion était pratiquement inconnue des opinions publiques du monde occidental jusqu’à la fin du 20e siècle. Qui savait ce qu’était de près ou de loin la charia ? À peu près personne, sauf quelques spécialistes qui nourrissaient par leurs productions une communauté scientifique. Aujourd’hui, la charia intéresse tous les citoyens du fait même de son inscription au cœur de l’agenda politique et juridique des sociétés occidentales.
3Alors pourquoi cette « mise sur agenda », comme on dit en matière de politiques publiques ? D’une part en raison d’un élément propre aux sociétés occidentales, à savoir la croissance de populations qui s’identifient à une religion, l’islam ; et d’autre part en raison de la demande croissante de normativité islamique issue de ces populations. Il s’agit pour leurs membres de connaître les normes de leur religion et de savoir comment se comporter pour devenir de bons musulmans. Ils demandent à cet effet des espaces qui leur permettent d’exercer leurs rituels religieux. Un autre facteur de cette « mise sur agenda » est la promotion de la charia par les islamistes radicaux. Ils emploient des moyens de combat qualifiés de terroristes et usent de la charia à des fins guerrières contre le monde occidental en disant : « Nous allons détruire un monde et le remplacer par un autre reposant sur la charia. » Ces processus sont autant externes, avec l’Occident en ligne de mire, qu’internes, puisque les menaces sont également dirigées contre certains régimes en place dans le monde arabe et musulman. Enfin, troisième élément, un débat subsiste à propos des printemps arabes et de la place de la charia dans l’État, le droit et les sociétés de la région, et avec lui l’idée qu’il fait écho à celui de l’Occident. Il ne faut donc pas penser ces débats distinctement, car ils sont bel et bien interconnectés.
L’intrusion de la charia dans l’espace public
4Nous avons tous à l’esprit ces images de manifestation sur lesquelles on voit brandis les fameux drapeaux noirs portant la formule : « Il n’y a de dieu que Dieu et Muhammad est son prophète ». En Tunisie, par exemple, Ansar al-charia était un mouvement légal, toléré, et même encouragé au début de l’exercice du pouvoir du parti Ennahda, affilié aux Frères musulmans ; mais il a, par la suite, été catégorisé comme terroriste. Sous l’égide d’al-Qaïda, plusieurs mouvements des Ansar al-charia se sont développés. Aujourd’hui, leur principal concurrent est l’État islamique. Bien que leurs revendications soient de même nature, leurs stratégies sont quelque peu différentes. Celle de l’État islamique repose sur la conquête de territoires toujours fluctuants, puisque, selon les opérations militaires, ils se rétractent ou se dilatent.
5Le fameux drapeau noir et les pickups marquent la mobilité des troupes, leur manière d’agir et de conquérir des terrains qui doivent devenir des terres de charia.
6De nos jours, la représentation de la charia en Occident est souvent liée à des peines pénales non conformes aux conceptions et aux standards des droits de l’homme. Elle est confortée par le soin des mouvements islamiques radicaux à mettre en scène l’exécution publique de ces sanctions physiques et à les diffuser par voie médiatique (flagellations, décollations, etc.).
7La question que l’on doit se poser ici est la suivante : qu’est-ce que la charia, aujourd’hui omniprésente dans le débat public ?
8Elle est au moins trois choses différentes :
La charia est d’abord une affaire de foi, en plus d’être une morale dictant la bonne conduite du croyant. Il s’agit d’un ethos religieux qui indique la voie à suivre pour atteindre le salut et la vérité. Étymologiquement, charia signifie d’ailleurs « voie », terme qui désigne à l’origine le chemin menant les troupeaux au point d’eau dans le désert. La charia représente donc, pour le musulman, l’ensemble des normes qui lui permettent de se conduire de manière conforme au dogme religieux.
La charia, c’est également un droit, c’est-à-dire un corpus de textes qui confère une validité à des normes juridiques. Telle loi, tel jugement sont valides parce que conformes à la charia. Nous sommes donc ici dans le registre de la validité juridique et non de la vérité théologique.
Enfin, la charia est un projet politique. C’est celui de son instauration, ou de sa réinstauration dans les pays du monde musulman, ainsi que de la mise en œuvre de ce droit et de cette morale par l’État assisté de juridictions islamiques.
L’émergence de la charia comme droit
9Ce droit, qui a été conçu dans les sociétés arabes du désert au 7e siècle, va rapidement devenir celui d’un empire. Il va naviguer entre les registres éthique et religieux, entre le transcendantal, qui se concentre sur le contenu d’une vérité immuable relevant d’un ordre supérieur, et le juridique, domaine du mutable et de l’humain. C’est donc un droit qui va être doté d’une histoire.
10La charia n’est pas une notion première de la juridiction islamique : elle émerge progressivement comme vecteur d’unification du droit d’un monde musulman qui va se constituer sur des temporalités très courtes. Celui-ci s’édifie autour de moments clés qui sont ceux de la vie du prophète de l’islam, de son décès en 632, des premiers califes, de l’Empire omeyyade jusqu’en 750 et de l’Empire abbasside jusqu’en 1258. On a donc un empire en très forte expansion territoriale jusqu’en 1258, mais qui va, dans la dernière partie de la période médiévale, se fragmenter. Il faudra attendre l’Empire ottoman du 16e siècle pour retrouver une structure impériale solide, mais ce au profit d’un califat non arabe.
11La première expansion se fait sur la Péninsule arabique en quelques années, continue sur toute la rive sud de la Méditerranée, remonte jusqu’à Cordoue et s’étend enfin vers l’Orient. Parce qu’extrêmement rapide, elle pose des problèmes d’élaboration juridique. Comment construire le droit d’un empire conquis si rapidement ? Il fallut le formuler autour de sources juridiques considérées a posteriori comme les sources de la charia. On en identifie quatre : deux sources scripturaires, le Coran et les hadiths (les traditions du Prophète), puis deux autres sources qui possèdent des statuts hiérarchisés, la coutume (‘urf), contestée en tant que source directe de la charia et du droit islamique, et le consensus (ijmâ‘) qui donne lieu à des débats sur ses modalités et sa portée.
12À partir du 7e siècle, il faut donc créer un droit : cela passe par la constitution d’un corpus de textes sacrés autour du Coran et des hadiths. Le Coran, littéralement « révélation », « récitation », est divisé en 114 sourates et environ 6 200 versets. C’est dans ce texte que sont censés se trouver les fondements du droit islamique. En vérité, on ne relève que fort peu de dispositions possédant une véritable teneur juridique. On considère seulement 500 versets, dispersés dans différentes sourates, comme légiférants. Il faut noter aussi que la notion de charia est quasiment absente du Coran. Le terme n’est lui-même utilisé que trois fois, dont deux de manière substantivée. Ce fait montre que le Coran ne met pas en avant la charia en tant que concept mobilisateur du droit. Il n’en demeure pas moins que l’on trouve dans le Coran un certain nombre de règles à caractère social et économique, sur la famille, les mœurs, le commerce, etc. ; pour autant, il n’en est presque aucune portant sur la question de l’organisation politique et de l’institution du califat. On trouve bien la règle de l’obéissance du croyant au pouvoir politique, mais la présence d’un droit constitutionnel musulman dans le Coran ne peut guère être mentionnée.
13Bien sûr, sont présentes certaines règles relevant du droit pénal. Ce sont elles qui font le plus parler aujourd’hui. Les hudûd (sing. hadd, « limite ») sont des règles de droit pénal qui prévoient la sanction d’un certain nombre de crimes et de délits. Ces sanctions peuvent être corporelles, comme pour le crime d’adultère ou la fausse dénonciation de l’adultère (coups de fouet), le vol (trancher les mains du voleur), ou encore la guerre contre Dieu et son prophète (plusieurs sanctions prévues). Cet agencement de sanctions ne correspond plus aux logiques du droit contemporain, ce qui a entraîné de violents débats, notamment sur la peine de mort. Se voit donc soulevée la question de son abolition dans un certain nombre de pays du monde musulman, comme en Tunisie ou au Maroc, son application étant explicitement prévue par le Coran au regard de certaines infractions.
14D’autres hudûd, qui ne sont pas inscrits dans le Coran mais dans les nombreux hadiths, viennent compléter ce droit islamique. Les hadiths rendent compte du comportement du Prophète et de ses compagnons grâce à une chaîne de transmetteurs fiables, l’isnâd, qui garantit leur authenticité. Comme on l’a vu, le Coran dit peu de choses de ce que doivent être les normes de comportement du bon musulman ainsi que des règles du droit islamique. Les hadiths sont donc essentiels. Mais ils sont aussi extraordinairement nombreux : on parle de plus de 750 000 hadiths disponibles. Aux 2e et 3e siècles, ces hadiths ont été rassemblés en recueils, parmi eux le Sahîh d’al-Bukhârî qui en comporte plusieurs milliers. Dans un passage célèbre sur les hadiths, Ibn Khaldoun les qualifie de véritables casse-tête pour les juristes. Certaines écoles juridiques, comme les malikites ou les hanafites, en mobilisent très peu. Mais lorsque quelqu’un cherche à justifier un acte, il est toujours possible de trouver un hadith auquel se référer pour argumenter. Le débat porte donc sur le hadith lui-même, afin de déterminer s’il se situe ou non dans une chaîne de transmission sûre et si son interprétation est certaine. Voilà donc les deux critères permettant de distinguer le bon hadith du mauvais. Les hadiths en droit musulman sont une source considérable de débats, ces derniers suscitant eux-mêmes une dynamique du droit différente selon la manière qu’ils ont d’être mobilisés et interprétés. Ils constituent donc une source du droit très abondante, mais difficile à exploiter.
La mise en place du droit musulman
15La charia rassemble donc le Coran et les hadiths, mais nécessite des acteurs qui l’appliquent, faute de quoi elle ne peut être mise en pratique. On en distingue différents types : d’abord, les théologiens, acteurs religieux que l’on appelle les oulémas. Ils possèdent la science religieuse (‘ilm) et jouent un rôle important dans la construction de la charia en tant qu’instrument juridique. Mais on trouve aussi des acteurs juridiques spécialisés, les fuqahâ', détenteurs de la science du fiqh. Ils ont reçu une formation spécifique dans les grandes institutions de théologie islamique et peuvent occuper les fonctions juridiques de muftis ou de cadis. Les muftis sont les autorités qui délivrent les fatwas, ces avis juridiques dont on parle beaucoup aujourd’hui parce qu’ils peuvent être utilisés pour justifier des guerres ou la commission d’actes terroristes. Les cadis, quant à eux, prononcent des jugements dans le cadre des tribunaux religieux. Tels sont les acteurs de cette justice traditionnelle musulmane qui s’exerçait dans le cadre de tribunaux religieux. Aujourd’hui, la charia est également mobilisée par des acteurs juridiques contemporains, mais qui n’ont que peu de rapport avec les anciens, tant par leur formation que par leur positionnement institutionnel.
16La question des acteurs est essentielle dans les débuts de l’islam en raison d’une forte incertitude concernant la construction d’une justice islamique. On ignore si le prophète de l’islam avait nommé ou non des cadis et, si oui, combien ; on ne sait pas comment s’organisait la justice islamique ; si les cadis devaient être nommés par les califes ou par les gouverneurs des régions ; comment ils administraient la justice. On a vu que le Coran et les hadiths forment un corpus extrêmement vaste, si bien que le cadi peut agir à sa guise tout en restant dans le cadre de référence d’une justice islamique. Il peut se reporter à ce corpus en l’utilisant à sa manière, mobiliser les sources du droit dans des combinatoires différentes en utilisant ou non la coutume ou le consensus. Mais il peut également choisir une technique d’interprétation des textes au détriment des autres et par là lui conférer une certaine signification. Il existe ainsi quatre grands types d’herméneutique qui sont l’interprétation littérale, l’interprétation par analogie, l’interprétation réaliste et l’interprétation dite généalogique portant sur l’intention de l’auteur. Cette dernière est d’un usage périlleux pour les juristes, puisque c’est Dieu lui-même que l’on estime être l’ultime créateur de la norme.
17Voilà donc un empire qui se développe à toute allure, mais qui porte avec lui un risque d’anarchie judiciaire, chaque juge disposant d’une grande latitude dans le choix de sa méthode et contribuant à créer une absence de sécurité juridique pour les citoyens.
18La mise en ordre s’est faite progressivement pendant les premiers siècles de l’islam, dans le cadre des écoles juridiques ou madhhab. Elles sont au nombre de quatre : l’école hanafite, qui va devenir l’école officielle de l’Empire ottoman ; l’école malikite, dominante au Maghreb ; l’école hanbalite, considérée comme la plus traditionniste et fortement implantée dans la péninsule arabique ; et l’école chafiite qui a connu des développements en Égypte et son heure de gloire en Irak. Ces écoles permirent de stabiliser l’usage des techniques juridiques en délivrant des recueils de fiqh qui épaulèrent les juges dans l’exercice de leur fonction : la démarche adoptée n’est plus arbitrairement soumise au choix du juge mais est conforme aux orientations de son école d’appartenance.
19C’est la fin de l’anarchie, mais il n’y a pas unité du droit islamique pour autant. On assiste plutôt, à l’époque médiévale, à la naissance d’un pluralisme juridique : chaque école a ses juges et ses juridictions, et les plaignants choisissent les juges et les écoles en sachant pertinemment que celles-ci divergent tant en matière de procédures qu’en matière de fond du droit. Ce pluralisme juridique se verra ordonner sous l’Empire ottoman, permettant ainsi une restitution des différentes traditions juridiques de ses régions. On est donc loin de l’idée, chère aux États-nations, que la charia devrait délivrer un droit unique. Il ne s’agit pas d’un droit unitaire partant d’une vérité révélée, mais d’un pluralisme juridique marqué par une forme de pragmatisme.
20Du 9e au 14e siècle, la charia devient un vecteur d’unification du droit à travers quatre efforts de la théorie et de la doctrine. Le premier effort consiste en l’énoncé de la théorie des usûl al-fiqh (les principes du fiqh) qui repose sur une méthode commune de l’usage des sources du droit. Autrement dit, on s’accorde sur la manière d’utiliser le Coran, la sunna, l’ijmâ’ et le qiyâs (le raisonnement par analogie)1. C’est al-Shâfi‘î, le fondateur de l'école chafiite, qui a imposé cet effort d’unification de la méthode, sans réussir pour autant à mettre fin au pluralisme juridique. Un élément d’harmonisation du droit est donc introduit, mais le pluralisme juridique persiste avec le panel des écoles.
21Le deuxième moment important est celui de l’apparition de la doctrine des « règles de la charia » (ahkâm al-shâri‘a) qui établit une échelle de licéité des actes humains, entre ceux qui sont obligatoires, recommandés, permis, interdits et répréhensibles. Cette classification est cruciale pour la qualification juridique des faits à laquelle doivent s’adonner les juges au moment de rendre leur décision.
22Le troisième élément majeur de cette unification du droit va consister en l’attribution de finalités au droit islamique, à travers les notions d’« objectif » ou de « but » de la charia (maqâsid al-shâri‘a). Cette dernière consiste ainsi en une organisation du droit visant la personne, la religion, la raison, la famille, les biens. C’est al-Ghazzâlî qui, le premier, a développé cette thèse. La charia est donc du droit, des normes, des règles, mais aussi des objectifs que la volonté divine confère à ce droit et qui, d’une certaine manière, le naturalisent.
23Enfin, une dernière notion importante, mais ambivalente dans l’effort d’unification du droit, est celle de siyâsa shar‘îyya, que l’on peut traduire par « doctrine de la législation islamique ». Elle amorce un début de sécularisation du droit, au sens où elle permet au pouvoir des princes d’exister en tant que pouvoir normatif dans le cadre d’un État religieux. C’est-à-dire que les gouvernants auront la faculté d’exercer une fonction législative de manière légitime au regard de la religion, dès lors que cette fonction est jugée conforme aux principes de la religion. C’est là une manière de régler la question de la collaboration entre les princes et les religieux. Mais en conférant une compétence normative au pouvoir temporel, on ouvre aussi la voie à une diversification du droit dans l’espace juridique musulman. Ibn Taymiyya et son disciple Ibn Qayyim al-Jawziyya, deux grandes figures de la pensée islamique, développent cette doctrine au 14e siècle. D’ailleurs, ces auteurs sont aujourd’hui mobilisés par les fondamentalistes et les salafistes, autre trait de cette ambivalence.
Les transformations contemporaines du droit islamique
24À la fin du 19e et au début du 20e siècle, les empires coloniaux sont confrontés de manière très directe à la question de la gestion du droit et notamment des droits en vigueur sur leur territoire. Que font-ils ? Ils font du droit codifié, c’est-à-dire un droit caractéristique de la forme de l’État-nation. De fait, la France, la Grande-Bretagne, mais aussi les Pays-Bas en Indonésie, quoiqu’avec des options quelque peu différentes, mettent tous en place des stratégies de codification du droit musulman. Il ne s’agissait pas de le supprimer, car éliminer le droit musulman aurait entraîné la disparition problématique de l’altérité des populations colonisées. Les puissances coloniales ont donc codifié le droit musulman et l’ont fait mettre en œuvre par des magistrats au sein de tribunaux modernes.
25En réponse à la menace de la colonisation, l’Empire ottoman et les États musulmans qui commençaient alors à s’autonomiser, comme l’Égypte ou la Tunisie, ont eux-mêmes mis en place des processus de codification et de réforme en vue de la modernisation du droit. Cette politique a totalement bouleversé l’univers juridique de cette région du monde. Si antérieurement les musulmans avaient affaire à un droit fortement décentralisé et déstructuré, un droit des juges et des juristes, de la doctrine et de la jurisprudence, la fin du 19e siècle marque donc, dans le contexte de la colonisation et du mouvement de la réforme, la naissance d’une juridiction centralisée. La charia réapparaît alors de manière très étonnante, puisqu’elle est désormais conçue comme un instrument de modernisation du droit. Voilà une conception totalement opposée à la représentation que nous en avons aujourd’hui. À la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, la charia est vue par les réformistes musulmans qui prônent la « renaissance » du monde islamique à travers la Nahda, comme un corpus restreint de normes, élaboré à partir du Coran et d’un nombre limité de hadiths dont l’interprétation est certaine. De fait, ce corpus, identifié comme charia, doit devenir source de la législation, puisqu’il est fiable. À partir du moment où ce corpus est bien source de législation, toute la jurisprudence islamique traditionnelle est frappée d’invalidité sur le plan juridique. Le fiqh, œuvre doctrinale débutée au 7e siècle et poursuivie jusqu’à la fin du 19e siècle, est mis dans les armoires de l’histoire du monde musulman. À partir de cette période, la charia, restreinte au strict minimum quant à sa portée par les grandes figures du réformisme musulman, comme Muhammed Abduh ou Rashid Rida, laisse une large place pour la venue d’un législateur moderne. Ce dernier pourra s’abriter derrière la charia et se référer à ses principes afin de donner une légitimité constitutionnelle à son action. Au bout du compte, le législateur se trouve dans une position qui lui ouvre un champ normatif lui permettant de moderniser l’État. C’est ce qu’espèrent les dirigeants musulmans de la fin du 19e et du début du 20e siècle. Par la suite, des États indépendants se sont créés et dotés de constitutions qui font, pour certaines, référence à la charia en lui conférant un statut très variable, allant de source unique à source parmi d’autres de la législation.
26Au regard de ce bref panorama historique, il est évident que la charia ne saurait se résumer ni aux assignations sommaires, sinon rudimentaires, de l’islamisme radical contemporain, ni à la perception réductionniste que s’en fait de son côté l’Occident.
Notes de bas de page
1 Pour les juristes contemporains, le raisonnement par analogie n’est pas une source du droit, mais une méthode juridique d’utilisation des sources.
Auteur
Juriste, professeur, université de Rouen

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