Les Méconnus dans la maison
Évocation radiophonique
p. 281-302
Texte intégral
I – Le thé
1Premier volet des Méconnus dans la maison, sous-titrés « évocations radiophoniques », cette pièce fut diffusée à la Radiodiffusion française le 19 septembre 1957. Lorsqu’il écrit cette pièce, Pham Van Ky écrit du théâtre radiophonique depuis une dizaine d’années. Le titre général de ces dix pièces mérite d’être commenté : les méconnus dans la maison, ce sont ces produits asiatiques à l’origine, devenus quotidiens pour les Occidentaux et dont Pham Van Ky rappelle l’histoire. Les autres sont la soie, la porcelaine, le poivre, le jade, la cuisine chinoise, l’ivoire, la laque, le caoutchouc, le café. L’intérêt de cette courte pièce est de montrer d’une part la modernité de l’écriture de Pham Van Ky, qui mêle de façon humoristique les temps et les lieux, des personnages connus et fictifs pour évoquer l’histoire de l’importation du thé dans le monde occidental. D’autre part, ce texte permet d’observer l’écriture radiophonique, les libertés et le rythme qu’elle propose en termes de coupes, la mention des effets sonores qui signale la succession des scènes. (Mathilde Aubague)
Personnages :
Homme 1 : | l’empereur K’ien Long |
Le maître de thé | |
Le ministre | |
Homme 2 : | Honoré de Balzac |
L’homme de Boston | |
L’arboriculteur | |
Homme 3 : | Samuel Johnson |
Delille | |
L’apothicaire | |
Le planteur | |
Femme 1 : | La favorite |
La Chinoise | |
Femme 2 : | Wadako |
La meneuse de jeu |
Générique
2La meneuse de jeu. Le thé est prêt, M. de Balzac. Je vous sers ?
3Balzac. Un instant, Madame. Est-ce vrai que lorsqu’on a pris trois fois de ce breuvage, on devient borgne ?
4La meneuse. Et, pour devenir aveugle, combien de fois ?
5Balzac. Six, m’a-t-on dit. Aussi dois-je d’abord me consulter ! Indicatif
6Le Speaker. La R.T.F. présente : « Les Méconnus dans la Maison », évocations radiophoniques de Pham Van Ky. Aujourd’hui, première émission : Le Thé. En voici les principaux interprètes :
7[Blanc]
Séquence I
8La meneuse. Vous vous êtes consulté, M. de Balzac ?
9Balzac. Ne me pressez pas trop. Je risque mes yeux dans cette affaire !
10La meneuse. De qui tenez-vous cela ?
11Balzac. De notre ministre à Moscou, M. de Humboldt, qui l’a tenu d’un ministre du Tsar, qui l’aurait tenu de l’empereur de Chine. La meneuse. Quel voyage !
12Balzac. Pas un voyage de plaisance ! Et il y a du sang dans ce thé. Je l’appelle donc Thé des Argonautes ! Oui ! Des Kirghizes et des
13Tartares avaient attaqué la caravane russe qui transportait les quelques livres de cette feuille enchantée. Et, pour qu’elles pussent parvenir au Tsar, des hommes de l’escorte s’étaient sacrifiés au cours d’un combat long et meurtrier.
14La meneuse. Sommes-nous responsables de ces Gengis-Khan ?
15Balzac. Nous sommes responsables de nos yeux.
16La meneuse. On peut n’être aveugle que de jour comme la chouette, ou de nuit comme le corbeau.
17Balzac. On peut encore être aveugle comme l’amour qui ne voit ni le jour ni la nuit.
18La meneuse. De toute façon, vous retardez sur les Anglais. Certes, au xviiie siècle, quand lord Arlington et lord Ossori ont introduit le thé à Londres, les Anglais en furent les premiers détracteurs :
19Tonalité Évocation
20Homme 1. Yes ! C’est une boisson impure !
21Femme 2. Plus qu’impure ! Son usage fait perdre aux hommes leur stature, et, aux femmes, leur beauté.
22Homme 1. Et cela, à quel prix ?
23Femme 2. 70 livres la livre !
24Tonalité normale
25La meneuse. Mais les Anglais ne perdent pas leur esprit pour autant…
26Balzac. Tout comme les Indiens du Mexique à la vue des premiers chevaux !
27La meneuse. Peu à peu, les prix baissent jusqu’à devenir accessibles aux plus humbles. La boisson impure est adoptée. On lui doit une certaine sobriété. Et bientôt, l’eau chante dans les bouilloires et, devant les bouilloires, les adeptes du thé :
28Tonalité Évocation
29Samuel Johnson. Si, quelque jour, j’avais à écrire ma biographie, je l’intitulerais : Samuel Johnson, satiriste — ou : Vingt ans d’un buveur de thé. Et, en sous-titre : Amusé le soir, consolé à minuit et salué le matin.
30Homme 1. Votre journal du matin, Sir.
31Samuel Johnson. Le Spectateur ? Au diable ! Vous voyez, mon ami, que je prends mon thé !
32Homme 1. Justement, Sir. Désirez-vous que je lise ce passage de l’Èditorial ? (Lit) « La direction du Spectateur recommande instamment à toutes les familles conscientes et organisées qui consacrent une heure chaque matin au thé, au pain et au beurre, d’exiger que ce journal leur soit ponctuellement servi et de le considérer comme faisant partie intégrante du service à thé. »
33Samuel Johnson. Encore un précédent pour la Constitution anglaise ! Mais vous, mon ami, que pensez-vous du thé ?
34Homme 1. Ma foi, Sir, j’en bois pour m’empêcher de dormir.
35Samuel Johnson. Et vous vous empêchez de dormir… pourquoi ? Homme 1. Pour lire vos œuvres, sir.
36Ponctuation : I”
Séquence II
37Delille. En France, Madame, le thé n’a pas eu son Samuel Johnson, ni son Rabelais.
38La meneuse. Qui êtes-vous ? Rabelais ?
39Delille. Non, Madame. On doit à Rabelais l’introduction d’Italie en France de la laitue romaine, cela va de soi, du melon, des artichauts, des œillets d’Alexandrie. Mais la Suède a son Rabelais : il s’appelle Linné. Le célèbre botaniste est parvenu, paraît-il, à cultiver un arbuste à thé hors des serres.
40La meneuse. J’en doute fort !
41Delille. Ah ! L’arbuste à thé craindrait-il le froid ?
42La meneuse. Non ! Mais il a des caprices de femme. De femme chinoise. Si le vent du nord-ouest lui est favorable, le vent d’est lui fait du mal. Et il préfère certains sols, certaines collines, entre tel et tel degré de latitude. Et puis, il y a la manière — assez délicate — de cueillir les feuilles, de les faire sécher, de les rouler et surtout d’en conserver l’arôme. Et, pour cela, il faut des mains soumises, respectueuses, habiles. Pas des mains d’Anglaises donc ! Car, Taine dit que les Anglaises ont deux mains gauches !
43Delille. Mais pour ce qui est de boire ! Car, l’Angleterre reste le seul pays capable, à une certaine heure et toutes affaires cessantes, de se consacrer exclusivement au thé.
44La meneuse. À cet égard, elle l’emporte sur la Chine d’aujourd’hui. Du moins à Changhaï. Dans cette ville, et dans l’enthousiasme de la libération, les conducteurs de tramways ont résolu de ne plus brûler les arrêts. Ils brûlaient les arrêts pour boire plus longuement leur thé !… . Mais, qui êtes-vous, Monsieur ?
45Delille. Delille. Jacques Delille.
46La meneuse. L’abbé ?
47Delille. En l’occurrence, le poète. On me conteste toutefois cette dernière qualité.
48La meneuse. Pas à cause, j’espère, de cette ode que vous avez
49dédiée au thé… et au café ? (déclame) :
C’est là, cette liqueur au poète si chère,
Inconnue à Virgile et qu’adorait Voltaire.
Mon cœur devient-il lourd et ma tête pesante ? Eh bien, pour ranimer ma gaieté languissante, La fève de Moka, la feuille de Canton,
Vont verser leur nectar dans l’émail du Japon…
50Delille. Après tout, ce n’est pas la plus mauvaise de toutes les odes ! La meneuse. Ni la plus chanceuse. La plus chanceuse appartient à un nommé Godeau : elle lui a valu un évêché.
51Delille. Moi, je l’attends toujours. La meneuse. Godeau ?
52Delille. L’évêché !… . Aurais-je eu plus de chance avec un empereur de Chine ?
53La meneuse. Pas avec K’ien Long, de la dynastie des Mandchous ! Tonalité Évocation
54K’ien Long. Madame ma favorite, approchez ! Et dites-moi si j’avais bien appris de vous la manière de préparer correctement le thé.
55Voici un vase tripode. La couleur et la forme en montrent l’âge et les longs services.
56La favorite. C’est ce qu’il faut, Sire.
57K’ien Long. Je le remplis de cette eau limpide.
58La favorite. Eau de montagne, j’espère ?
59K’ien Long. Où voulez-vous que j’en trouve ? Nous sommes en hiver, Madame, et qui pis est, au milieu de cette désolation tartare, loin de la capitale, loin de votre civilisation chinoise et de ses raffinements. Non ! J’ai fait fondre tout simplement de la neige. Bref, voici un feu modéré. Je chauffe l’eau jusqu’à un certain degré.
60La favorite. C’est-à-dire ?
61K’ien Long. C’est-à-dire jusqu’au degré où le poisson blanchit et où rougeoie le crabe. Ca y est : l’eau commence à frémir.
62La favorite. C’est le moment. Vite, Sire !
63K’ien Long. J’enlève donc l’eau du feu. Maintenant, je la verse dans cette théière.
64La favorite. Vous la versez sur le thé. Bien. Quant à la théière, d’où avait-on tiré la porcelaine ?
65K’ien Long. D’où ? Mais des terres du Sud. C’est bien ce qu’il faut ? Maintenant, je laisse le tout en repos… Les vapeurs sortent du bec de la théière. Je hume…
66La favorite. Sans hâte, Sire, sans hâte !
67K’ien Long. Je hume lentement ces délices. Déjà, je sens s’évanouir en moi les cinq sujets d’inquiétude qui assaillent l’homme chaque jour. Ah ! Quelle suave paix !
68La favorite. Mais sans plénitude ! Votre Majesté a oublié le décor : le décor qui ajoute à la jouissance du thé. Un ivoire ou un bleu, une peinture sur soie et un pin nain : de ces arbres dont nous autres, Chinois, savons empêcher ou régler à volonté la croissance. Avec le thé, ces trois joyaux flattent la vue, l’odorat et le palais.
69K’ien Long. J’y penserai. En attendant, je sers…
70La favorite. Oh ! Pas dans ces tasses-là ! Quand la porcelaine est
71jaune, dit Lo Yu, auteur du Livre sur le thé, le thé liquide prend une couleur brune, désagréable.
72K’ien Long. Ces tasses bleues conviennent-elles mieux ?
73La favorite. Certainement, car elles donnent au thé une teinte
74verte.
75K’ien Long. Bien. Maintenant, savourons !
76La favorite. Toujours sans hâte, sire.
77K’ien Long. Par petites gorgées, soit. (Un temps) Que ressentez-vous ?
78La favorite. Et vous-même ?
79K’ien Long. Cela ne se voit pas sur mon visage ?
80La favorite. Confucius dit : « L’homme ne sait rien cacher ». K’ien Long. Vous, si, Madame. Vous demeurez impassible !
81La favorite. C’est que je n’ai rien ressenti, sire. Je songe aux trois choses manquées dont parle le poète : une jeunesse gâchée par une fausse éducation, un tableau souillé par l’engouement du vulgaire… et du thé préparé de façon incorrecte.
82K’ien Long. Pourtant, j’ai suivi exactement vos conseils !
83La favorite. Un sage taoïste apprend à son fils une formule incantatoire. Le fils a beau la réciter textuellement, il n’en obtient aucun effet.
84K’ien Long. Que faudra-t-il de plus ?
85La favorite. Il est du bon ou du mauvais thé comme d’un pinceau entre les doigts d’un bon ou d’un mauvais calligraphe. Et il y a un art du thé comme un art du pinceau.
86K’ien Long. Mais encore ?
87La favorite. Avant de préparer ce thé, Votre Majesté ne s’était pas enquise de ses origines, ni de son hérédité, ni de sa sympathie pour telle eau ou de sa répulsion pour telle autre : Votre Majesté ne s’était pas inquiétée de son esprit.
88K’ien Long. Cela admis, je ne vois pas plusieurs façons de le préparer !
89La favorite. Chaque dynastie le préparait à sa façon. L’une faisait bouillir des gâteaux de thé, l’autre battait de la poudre de thé, l’autre laissait infuser la feuille de thé. Trois dynasties, trois reflets de leur comportement, trois marques de leur grossièreté ou de leur finesse.
90K’ien Long. Mais la meilleure de ces trois pratiques, c’est bien l’infusion ? Et si vous me refaisiez ce thé ?
91La favorite. D’abord, est-ce bien le moment, Sire ?
92K’ien Long. Ne peut-on boire lorsqu’on a soif ?
93La favorite. Cela ne suffit guère. Un maître du thé homologue les moments et les lieux où il est permis de prendre le thé.
94K’ien Long. Je suis empereur, Madame !
95La favorite. Alors, ce n’est pas le moment de prendre le thé. Votre Majesté dit : « Je suis empereur ! » Ce qui signifie qu’Elle n’a pas les mains ni le cœur oisifs. Elle se pense empereur. Donc, elle n’est pas assez détachée des soucis du monde pour jouir pleinement des vertus du thé.
96K’ien Long. Je ne me demande si mes ancêtres n’ont pas commis une erreur en conquérant la Chine ! Eh bien, Madame, quand ce sera le moment pour moi de jouir pleinement, ayez la bonté de m’en prévenir !
97La favorite. Tout à l’heure, avez-vous lu des vers ?
98K’ien Long. J’en ai plutôt composé…
99La favorite. En les composant, vous avez donc éprouvé une certaine fatigue ?
100K’ien Long. Ce n’est qu’un quatrain. Si un quatrain fatiguait un Tartare, je craindrais pour la pérennité de la dynastie !
101La favorite. Pas de fatigue après la création d’une œuvre d’art. Donc, pas de thé, Sire.
102K’ien Long. Alors du thé, quand et où ?
103La favorite. Quand on écoute de vieux airs. À la fin d’un chant. Devant une fenêtre bien claire, et une table bien propre. Quand la pluie humecte le sol. Dans une barque en dérive ou amarrée près d’un ponceau. Au milieu d’une forêt de bambous. À l’ombre, dans un pavillon d’été. Devant une mare garnie de lotus. Dans
104une pagode ou près d’un ruisseau. À un banquet, après le départ des invités bavards. Le soir, au cours des entretiens sur les livres classiques et les livres canoniques. Auprès des amis par le son ou des amis par l’écriture…
105K’ien Long. Pas auprès d’une belle femme ?
106La favorite. Si !
107K’ien Long. Que ne l’avez-vous dit plus tôt ! Alors, c’est le moment et le lieu. Préparez, Madame !
108La favorite. D’abord, permettez-moi de débarrasser la tente de
109certains ustensiles proscrits par les règles : par exemple cette cuiller en cuivre, ou encore ce seau en bois. Le bois donne mauvais goût à l’eau.
110K’ien Long. De toute façon, ce n’est pas de l’eau de montagne.
111La favorite. J’en ai apporté dans ce vase… à tout hasard. Ensuite,
112je remplace ces bûches par du charbon de bois : le bois donne de la fumée. Or, toute odeur fausse l’arôme du thé et l’on doit tenir le thé à l’écart de tout ce qui est malodorant ou parfumé : torchons sales, remèdes… Ou encore une servante grincheuse, un valet grossier.
113K’ien Long. À vous croire, on n’a jamais bu jusqu’ici que du mauvais thé.
114La favorite. Pour revenir à l’eau, il y a trois degrés d’ébullition. Apparaissent d’abord des bulles pareilles aux yeux de petits poissons, puis des bulles de la grosseur d’une perle, enfin des vagues furieuses.
115K’ien Long. Qu’on n’attende ni les perles, ni les vagues !
116La favorite. Aux perles, l’eau étouffe déjà l’arôme. Aux vagues, elle l’assassine. (Un temps) Voilà. Je vous invite, sire à déguster. (Un temps) Que ressentez-vous à présent ?
117K’ien Long. Ce n’est que la première gorgée ! Elle mouille mes lèvres et mon gosier.
118La favorite. C’est la seconde gorgée.
119K’ien Long. Elle chante déjà en moi.
120La favorite. La troisième.
121K’ien Long. Elle envahit mes entrailles comme dix mille idéogrammes liquides.
122La favorite. La quatrième.
123K’ien Long. Elle chasse de mon corps toutes les impuretés de la vie. La favorite. La cinquième.
124K’ien Long. Elle m’enlève les cinq sujets d’inquiétude.
125La favorite. La sixième.
126K’ien Long. Elle m’élève vers le séjour des huit génies. La favorite. Et la septième ?
127K’ien Long. Ah ! La septième !… . Ponctuation : I’’
Séquence III
128La meneuse. Et c’est ainsi que le thé entre dans la poésie !
129L’homme de Boston. Chez nous, c’est dans la tragédie qu’il tombe. La meneuse. Qui êtes-vous, Monsieur ?
130L’homme de Boston. Un homme de Boston. Savez-vous à combien est revenue la découverte de l’Amérique ? C’est une question que s’est posée un économiste allemand. Et voici la réponse : la découverte de l’Amérique a coûté moins cher qu’un appartement actuel de trois pièces. Maintenant, savez-vous à combien est revenue l’indépendance de l’Amérique ?
131Tonalité Évocation
132Homme 3. L’Angleterre veut être obéie par ses colonies du Nouveau Monde. Nous ordonnons la perception de l’impôt sur le thé !
133Homme 1. Habitants de Boston, trois cargaisons de thé arrivent de Londres.
134Plusieurs voix. Détruisons-les !… . À la mer !… ..
135Homme 3. L’Angleterre veut être obéie par ses colonies du Nouveau Monde. Aujourd’hui, 13 mars 1774, nous publions un bill qui porte fermeture du port de Boston et défense d’y rien débarquer, d’y rien prendre !
136Homme 1. Américains, demeurons unis !
137Femme 2. Toutes les provinces soutiennent Boston !
138Homme 1. Et le sort de trois millions d’hommes est en jeu !
139Femme 2. Le Congrès de l’Amérique contre le Parlement d’Angleterre !
140Homme 1. Et George Washington prendra le commandement de notre armée ! Hurrah !
141Tonalité normale
142L’homme de Boston. Ainsi, l’Indépendance de l’Amérique du Sud a coûté trois cargaisons de thé. En tout cas, voilà le thé anobli.
143La meneuse. Il a d’autres titres de noblesse
144L’homme de Boston. Où donc ?
145La meneuse. Au Japon. Bien après la Chine. Au xve siècle. Connaissez-vous Tokyo ?
146Tonalité Évocation
147Le Maître du thé. Wadako, je suis le Maître du thé que vous désirez consulter.
148Wadako. Comme la fleur du cerisier est la première d’entre toutes, le Maître du thé est la fleur de l’homme. Oui, je désire vous consulter au sujet de la construction d’un pavillon de thé. D’abord, que faut-il ?
149Le Maître. Très peu de matériaux, et beaucoup de réflexion.
150Wadako. Et combien de pièces ?
151Le Maître. Avant tout, la salle principale.
152Wadako. Grande ?
153Le Maître. Petite. Elle ne doit pas recevoir plus de cinq personnes. Pourquoi ? On ne trouve jamais à la fois plus de cinq personnes susceptibles de partager vos goûts et d’entrer en communion avec vous complètement.
154Wadako. Et après la salle principale ?
155Le Maître. Une dépendance où l’on nettoie et prépare les ustensiles qui forment l’équipement du service à thé. Ensuite, un portique. Enfin, une allée qui relie le portique à la salle principale. Pour les dimensions de celle-ci : dix pieds de côté.
156Wadako. Dix pieds…
157Le Maître. C’est dans une cellule de dix pieds de côté qu’un saint a accueilli 84000 disciples du Bouddha.
158Wadako. 84000 hommes dans ce peu d’espace ?
159Le Maître. Que représente l’espace pour vous, Wadako ?… . Pour les détails de l’architecture, la nature et la qualité des matériaux, ne vous fiez point aux artisans ordinaires. Appelez des experts.
160Wadako. Et combien de temps mettront-ils pour construire ce pavillon ?
161Le Maître. Plus qu’ils n’en mettent pour construire un temple ou un palais. Je reviendrai quand ce sera fini.
162Ponctuation : I’’
163Wadako. Le pavillon est achevé, maître. Le trouvez-vous assez pauvre ?
164Le Maître. Pas assez. Dans une vraie pauvreté, il ne reste pas une place pour une tête d’épingle.
165Wadako. Pourquoi regardez-vous cette porte avec insistance ? Ne serait-elle pas assez haute ?
166Le Maître. Elle est trop haute, au contraire. Elle ne doit pas dépasser trois pieds de hauteur.
167Wadako. Mais… avec trois pieds de hauteur, les invités…
168Le Maître. Oui ! Ils se baisseront en pénétrant dans la salle principale.
169Wadako. Pour les appeler à l’humilité ? Bien, maître. Et, du plancher au plafond, les tons sont-ils assez sobres ?
170Le Maître. Oui. (Un temps) Je vois, là-bas, dans ce coin, deux grains de poussière. Enlevez-les !… . Je reviendrai quand vous en aurez terminé avec la décoration.
171Ponctuation : I’’
172Wadako. J’en ai terminé avec la décoration, maître. Ai-je commis
173quelque faute ?
174Le Maître. Plusieurs. D’abord, pourquoi cette broderie ?
175Wadako. J’ai pensé que ces fleurs brodées…
176Le Maître. N’y a-t-il pas déjà une fleur, et une fleur bien vivante, dans ce vase ? Répétition. Et pourquoi une fleur blanche alors qu’il neige ? Répétition. Et pourquoi cette bouilloire ronde et cette cruche également ronde ?
177Wadako. J’ai pensé qu’elles allaient ainsi ensemble.
178Le Maître. Trop ! Répétition. Pour une bouilloire ronde, une cruche à angles. Ou inversement. Autre répétition que cette tasse de porcelaine bleue à côté d’une boîte à thé de même couleur. Répétition et monotonie. Monotonie et parallélisme.
179Wadako. Le parallélisme n’est-il pas de règle dans la prosodie ?
180Le Maître. Dans la prosodie chinoise surtout ! Or, nous sommes au Japon et dans un pavillon de thé. Dans le pavillon de thé, tout parallélisme arrête l’imagination des invités, coupe court à leur méditation sur l’imparfait.
181Wadako. L’imparfait serait-il la règle des règles ?
182Le Maître. Tout, ici, le reflète : le toit de chaume, les piliers fragiles, la sobriété ascétique des matériaux. Tout ici doit refléter le passager, l’instable, l’instance, le destin éphémère du monde. Donc, enlevez l’un de ces brûle-parfums et cette autre broderie.
183Wadako. Cette broderie ne représente pas des fleurs, maître.
184Le Maître. Elle représente une figure humaine. Superfluité ! L’homme se regarde trop. L’orgueil, un jour, naquit de là. Il convient que l’homme se regarde plutôt au-dedans de soi… Je reviendrai !
185Ponctuation : I’’
186Mais ce sont des objets que j’ai déjà vus hier !
187Wadako. Je n’y ai pas touché, maitre !
188Le Maître. Et vous avez grand tort. Jamais le même objet à la même place pour plus d’un jour. Jamais les choses qu’on possède accumulées une fois pour toutes ! N’étalez pas vulgairement vos biens. Pour telle cérémonie et tel jour, vous ornez la salle d’un tel joyau que vous n’utiliserez pas pour telle autre cérémonie et tel autre jour. Et, en règle générale, le plus de vide possible : vos invités le rempliront de la mesure entière de leur émotion. Je reviendrai ! Ponctuation : I’’
189Wadako. Que m’enseignez-vous aujourd’hui, maître ?
190Le Maître. Quelques préliminaires du rite. Le rite du thé, s’entend. Donc, vous avez invité quelque cinq amis ou personnalités de Tokyo. Ils arrivent et attendent ici, sous le portique. Entre eux, ils décident de la place assignée à chacun. Dans cet ordre de préséance, ils s’engagent dans cette allée qui relie le portique à la salle principale… Devinez-vous la signification de cette allée ?
191Wadako. Elle permet aux invités qui la parcourent de se débarrasser de toute idée impure, de se préparer d’ores et déjà à la méditation ?
192Le Maître. Ils entrent donc dans la salle. Que pensez-vous qu’ils font ensuite ?
193Wadako. Ils s’inclinent devant le tokonoma, place d’honneur dans toute demeure japonaise. Ou plutôt ils saluent la peinture ou les fleurs qui garnissent le tokonoma.
194Le Maître. Et où vous tenez-vous en ce moment précis ?
195Wadako. Mais dans la salle même pour accueillir mes hôtes !
196Le Maître. Non ! Vous n’y pénétrez que lorsqu’ils ont pris place, et dans un silence que rien ne trouble… Rien ne trouble ce silence vraiment ?
197Wadako. Si ! Les compliments que j’adresse à mes hôtes.
198Le Maître. Gardez-vous en. On ne doit entendre qu’un chant. Wadako. Un chant humain ?
199Le Maître. Le chant de l’eau qui s’apprête à bouillir. Wadako. L’entend-on à cette distance-ci ?
200Le Maître. Ou de plus loin encore. Car, l’eau ne chante pas alors, comme elle eût chanté pour la cuisson d’un crabe ! Car, vous avez eu soin de disposer, au fond de la bouilloire, quelques morceaux de fer : très propres, cela va sans dire. C’est donc le chant du fer et de l’eau accordés. Le chant d’une cascatelle, ou du ressac, ou de la pluie sur une forêt de bambous. Tout cela en sourdine, amorti par les vapeurs de l’eau. Et, à partir de ce chant commencent
201véritablement l’art et la religion du thé.
202Wadako. Je les apprendrai ?
203Le Maître. Pas demain.
204Wadako. Bien plus tard ?
205Le Maître. Plus tard… ou jamais !
206Wadako. Mais dans combien de temps au juste ?
207Le Maître. Que signifie le temps pour vous ? En tout cas, il y a lieu d’attendre que le pavillon et ce qui s’y trouve soient recouverts d’une patine de bon aloi. Car, dans le rite du thé, il importe de bannir tous les objets flambant neufs, sauf… la longue cuiller de bambou et la serviette de toile. Adieu, Wadako.
208Tonalité normale.
Séquence IV
209L’apothicaire. Adieu, faiseur d’embarras !
210La Meneuse. Qui êtes-vous, Monsieur ?
211L’apothicaire. Un apothicaire… Ton thé t’a-t-il ôté ta toux ?
212La Meneuse. Pardon ?
213L’apothicaire. Ton thé t’a-t-il ôté ta toux ? C’est tout ce que je sais sur le thé : quelques vertus médicinales. Oui ! Du moins tout au début de sa carrière, le thé fut une médecine.
214La Meneuse. Une médecine… et le souci d’un ministre du commerce en Angleterre !
215Tonalité Évocation
216Le ministre. Monsieur l’arboriculteur, veuillez vous asseoir.
217L’arboriculteur. Je préfère rester debout, Monsieur le Ministre. Mes arbres s’assoient-ils ?
218Le ministre. Oui ! Du moins peut-être oui, là où je me propose de vous envoyer. Les habitants y affirment, m’a-t-on dit, qu’un œuf a des plumes, qu’un oiseau a trois pattes ou encore que le feu n’est pas chaud.
219L’arboriculteur. Voilà qui rappelle — sinon l’enfance — les sophistes grecs !
220Le ministre. Il s’agit bien de sophistes… mais chinois.
221L’arboriculteur. Et grands amateurs de coquecigrues, à en juger par ces échantillons !
222Le ministre. Grands amateurs aussi d’une certaine feuille : et c’est là sans plus d’ambages, l’objet de notre entrevue.
223L’arboriculteur. Une feuille ? De quelle famille ?
224Le ministre. Une feuille précieuse.
225L’arboriculteur. Toutes les feuilles le sont, Monsieur le Ministre. Seulement, l’homme n’en connaît que quelques-unes…
226Le ministre. Dont celle qui m’occupe. Oui ! Depuis quelque temps, elle arrive dans nos ports. La première année, on compte quatre caisses. L’année suivante, cent. Et cette année, mille. Toutes viennent de la Chine. Je vous y envoie donc en mission extraordinaire. Étudiez cette culture, choisissez les meilleures graines et semez-en, pour commencer, disons : à Ceylan.
227L’arboriculteur. Et le nom de cette feuille ?
228Le ministre. Les noms. On l’appelle tantôt tou, tantôt tseh, tantôt chung, tantôt kha, tantôt ming. Mais en tant que ministre du
229commerce de l’empire britannique, je l’appellerai…
230L’arboriculteur. Comment ?
231Le ministre. Produit anglais ! Ponctuation : I’’
232L’arboriculteur. Mademoiselle, je suis l’envoyé de S. E. le Ministre du Commerce de la Grande-Bretagne… Il y a longtemps, dites-moi, que vous vous consacrez à la culture de cet arbrisseau ?
233La Chinoise. Quand chaque famille l’a apprise, toute la nation l’a apprise.
234L’arboriculteur. Hmm. C’est l’évidence même. Mais que récolte-t-on ?
235La Chinoise. Celui qui sème des haricots, récolte des haricots. Celui qui sème du riz, récolte du riz.
236L’arboriculteur. Certes, certes. Et, dans cette perspective, chacun est prophète en son pays. Mais récolte-t-on les feuilles ou les fleurs ? Et dans combien de temps ? (Silence) Cet arbrisseau, par exemple, quel âge a-t-il ?
237La Chinoise. L’âge où les garçons perdent leurs dents de lait.
238L’arboriculteur. Ah ! Aucun souvenir de cette époque-là, en ce qui me concerne. Disons : huit ans. Et l’arbrisseau ne mesure pas plus de quatre ou cinq pieds de hauteur !
239La Chinoise. Qui élargit son cœur, rétrécit sa bouche.
240L’arboriculteur. Ah ? Autrement dit ?
241La Chinoise. Grande taille, petit esprit. Petite taille, grand arôme. Nous maintenons cette taille de quatre ou cinq pieds par des coupes, des défoliations et des recépages fréquents.
242L’arboriculteur. Voilà qui est parler ! Y a-t-il plusieurs variétés ?
243La Chinoise. La pureté est le repos du ciel, la fixité la paix de la terre.
244L’arboriculteur. Voilà qui recommence ! Autrement dit ?
245La Chinoise. Il n’y a qu’une sorte d’arbre à thé.
246L’arboriculteur. Pourtant, vous homologuez plusieurs sortes de feuilles.
247La Chinoise. Ce qu’est un être, ce qu’on en sait, ce qu’on en fait connaître peuvent différer.
248L’arboriculteur. Autrement dit ?
249La Chinoise. La différence dans les qualités provient de l’état de pousse, des feuilles récoltées, de leur première préparation, de la nature du sol, des impressions du climat, de l’exposition des plantes.
250L’arboriculteur. En somme, il est en Chine des qualités de thé comme en France des qualités de vins ? Cela varie donc d’une province à l’autre ?
251La Chinoise. Parfois, d’un coteau à l’autre. La grande qualité dépend du ciel, la petite de l’application.
252L’arboriculteur. Mais à quoi reconnaît-on la meilleure feuille ?
253La Chinoise. À ce qu’elle a des plis semblables à ceux des bottes de cuir, à ce qu’elle a des boules qui évoquent les fanons d’un taureau, à ce qu’elle se déroule comme la brume au-dessus d’un ravin, brille autant qu’un lac caressé par le zéphyr, à ce qu’elle est aussi tendre que la terre qui reçoit la pluie…
254L’arboriculteur. Les Grecs appelaient cela des comparaisons à longue queue. Et c’est bien le moins qu’on les pratique ici. Et pour revenir au thé, par quelque raccourci, que vois-je, Mademoiselle ? Vous arrachez les feuilles une à une !
255La Chinoise. Je ne devrais pas ? Et d’abord, je « n’arrache » pas : je cueille.
256L’arboriculteur. Une à une ! Certes, un proverbe turc dit : « Toute hâte est un mal ». Mais suis-je turc ? Et un proverbe anglais… mais passons !… . Il paraît que, pour la récolte des feuilles, on n’emploie que des vierges. Est-ce vrai ?
257La Chinoise. J’ai jeûné ce matin, j’ai l’esprit en repos et les mains propres.
258L’arboriculteur. Tant mieux !… . Savez-vous à quoi ressemblent les feuilles de thé ? Aux fleurs du camélia sesanqua. Camélia pour tout dire.
259La Chinoise. Comment soigne-t-on le camélia en Grande-Bretagne ? Chez nous, sous deux dynasties, un homme veillait à la croissance de chaque fleur.
260L’arboriculteur. Le contraire, seul, m’eût étonné.
261La Chinoise. Les soins de la pivoine incombaient à une belle jeune fille, ceux du prunier d’hiver à un bonze. Et, à l’intention de toutes les fleurs, on donnait parfois un concert.
262L’arboriculteur. Bravo !
263La Chinoise. Mais que faites-vous ? Oh ! Ne saccagez pas les plants !
264Quiconque aura coupé une branche, la paiera d’un de ses doigts !
265Rassurez-vous. Ce n’est qu’un édit qui protège les cerisiers au Japon.
266L’arboriculteur. Et, ici, qu’est-ce qui protège l’arbre à thé ?
267La Chinoise. Tout ce qui ne protège plus notre civilisation, noble étranger ! Et le grand défaut des hommes des mers occidentales est d’abandonner leurs champs pour regarder dans ceux des autres. Adieu.
268Tonalité normale.
Séquence V
269La meneuse. Adieu, arboriculteur !
270Le planteur. Adieu, secret de la Chine. Je suis un planteur de thé.
271La meneuse. C’est-à-dire quelqu’un qui a percé le secret de cette industrie ?
272Le planteur. Quoi de plus facile ? De Ceylan, l’arboriculteur anglais s’est avisé de recruter des travailleurs chinois. Et cette main-d’œuvre, c’est la fin du secret, la fin des réponses à double entente.
273La meneuse. Pas tout à fait, Monsieur.
274Le planteur. Que nous reste-t-il à apprendre ?
275La meneuse. Peut-être ceci : produire sans posséder, donner sans espérer, croître sans usurper.
276Le planteur. Serait-ce le secret du maître de thé ?
277Tonalité Évocation.
278Le Maître du thé. Salut, Wadako.
279Wadako. Vous êtes revenu, Maître : me direz-vous enfin le secret de votre enseignement ?
280Le Maître du thé. Il ne déborde pas la vie quotidienne.
281Wadako. Mais encore ?
282Le Maître. Avant que vous le sachiez, le thé est pour vous le thé. Lorsque vous le savez, le thé n’est plus le thé. Après cela, lorsque vous le savez vraiment, de nouveau le thé redevient le thé.
283Wadako. Je ne vous suis point.
284Le Maître. Pour me suivre, qu’aviez-vous fait pendant ma longue absence ? Avant d’être des maîtres du thé, d’aucuns n’hésitaient pas à sacrifier, qui une maison, qui un bras… Une femme a jeté même son enfant dans la rivière. Des cas extrêmes, bien entendu.
285Wadako. Et vous-même, qu’avez-vous sacrifié ?
286Le Maître. Le monde. J’ai mis trois ans à désapprendre de juger et de qualifier en paroles : alors mon maître m’honora pour la première fois d’un regard. Au bout de cinq ans, je ne jugeais ni ne qualifiais même plus mentalement : alors mon maître me sourit pour la première fois. Au bout de sept ans, quand j’eus perdu toute notion du oui et du non, de la perte et du gain, alors mon maître me fit asseoir pour la première fois sur sa natte. Au bout de neuf ans, quand j’eus perdu toute notion du droit et du tort, du bien et du mal, et pour soi et pour autrui, quand je me sentais indifférent à tout, alors… mais vous n’en êtes pas encore là, Wadako.
287Wadako. Je ne demande qu’à apprendre !
288Le Maître. Chacun de nous doit apprendre seul. Car il n’y a rien à expliquer qui puisse ajouter à notre connaissance, à moins qu’elle ne s’élève de nous-même… Je reviendrai !
289Ponctuation : I’’
290Wadako. Je n’avance pas, Maître, je n’avance pas !
291Le Maître. Et quand un chariot n’avance pas, fouettez-vous le chariot ou le bœuf ?
292Wadako. Que me cachez-vous, maître ?
293Le Maître. Je ne vous ai rien caché. Ce que vous cherchez est en vous. Enlevez votre peau, touchez l’os, parvenez à la moëlle.
294Wadako. Mais comment ?
295Le Maître. Ce thé que nous sommes en train de prendre, sentez-vous son arôme ? Vous voyez ? Je ne vous ai rien caché ! Je reviendrai !
296Ponctuation : I’’
297Le Maître. Wadako, cette théière est à vous, ou à moi ?
298Wadako. Apparemment, elle est à moi !
299Le Maître. Si elle vous appartient, comment se fait-il qu’elle soit entre mes mains ?
300Wadako. Alors, disons qu’elle est à vous !
301Le Maître. Si elle m’appartient, comment se fait-il qu’elle soit dans votre maison ? Dites un mot correct, sinon je la réduirai en miettes. Un temps. Bruit de la théière brisée.
302Je reviendrai !
303Ponctuation : I’’
304Le Maître. Wadako, écoutez ceci : un jour, le maître et son disciple s’en vont cueillir des feuilles de thé :
305Homme 1. Disciple, en cueillant des feuilles de thé, je t’entends, mais ne te vois point. Fais-moi voir ton corps !
306Homme 3. Le voici, maître : je secoue cet arbuste à thé.
307Homme 1. En secouant l’arbuste, tu ne montres que la force de ton corps, tu n’en montres pas la substance.
308Le Maître. Wadako, avez-vous saisi le sens de ce dialogue ? (Silence) Je reviendrai !
309Ponctuation : I’’
310Wadako. Maître, je n’avance pas, je n’avance pas.
311Le Maître. Écoutez encore ceci : l’empereur avait commandé au peintre Wou Ta Tseu — c’était en Chine — un grand paysage pour orner les murs de son palais.
312Homme 1. Vraiment, c’est une belle œuvre !
313Homme 3. Votre majesté n’y voit rien d’insolite ?
314Homme 1. Heu… non ! Je vois des nuages, des oiseaux, des montagnes.
315Homme 3. Mais, au pied de cette montagne-ci, Sire ?
316Homme 1. Je vois une caverne.
317Homme 3. Dans cette caverne, Sire, réside un esprit.
318Homme 1. Je ne le vois point.
319Homme 3. Je ne saurais le décrire à Votre Majesté : les mots le tueraient. Mais je vais battre des mains, et la caverne s’ouvrira !
320Bruitage
321Votre Majesté désire-t-elle me suivre ? J’entre de ce pas dans la caverne !
322Homme 1, crie. Attendez-moi ! (Parlé) L’impudent ! La caverne s’est refermée. Et plus de tableau. Plus de paysage. Tout s’est évanoui avec le peintre !
323Wadako, crie. Maître, revenez !… . Il s’est évanoui, lui aussi. Il ne reviendra plus !
324Tonalité normale.
Séquence VI
325Balzac. Bon débarras ! Farceur du diable !
326La meneuse. Mais vous êtes toujours là, M. de Balzac ! Vous êtes-vous enfin consulté ?
327Balzac. Qu’ai-je déjà dit au sujet de ce breuvage ?
328La meneuse. Que si l’on en prenait six fois, on deviendrait aveugle, et trois fois seulement, borgne.
329Balzac. Eh bien, je ne risquerai qu’un œil — rien qu’un. Je ne boirai que trois fois. Servez !
330Musique.
331FIN
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