7. Essor et déclin du groupe de rédaction du comité du Parti de Shanghai durant la Révolution culturelle
p. 217-236
Texte intégral
1Formé au début de l’année 1964 et dissout en 1976 après l’arrestation de la « Bande des Quatre », le groupe de rédaction du comité du Parti de Shanghai (Shanghai shiwei xiezuozu 上海市委 寫作組) totalise douze années d’existence ; il s’est imposé durant la Révolution culturelle comme l’organisation la plus influente du pays dans les champs idéologique et culturel. Au moment de sa formation, il a spécifiquement pour tâche d’écrire des articles de critique du révisionnisme1. Lorsque la Révolution culturelle éclate, il prend la tête de la rébellion contre le comité du Parti de Shanghai (Shanghai shiwei 上海市委) et devient à la fois l’étendard et le fer de lance des cadres rebelles, puis, très vite, de l’équipe de secrétaires attitrée de Zhang Chunqiao 張春橋 et Yao Wenyuan 姚文元2, qui ont alors la haute main sur la ville. Avec le développement de la Révolution culturelle et l’essor du pouvoir de ces deux personnages, ses fonctions évoluent ; l’organisation s’agrandit progressivement et son domaine de compétences s’élargit : durant les dernières années de la Révolution culturelle, ce n’est plus un simple groupe de rédaction, mais un puissant organe en charge de la propagande, de la culture, de l’édition, de l’éducation et même de la recherche sur les mesures politiques.
2Pour reprendre l’expression d’un des principaux membres de l’organisation, le groupe de rédaction a connu, entre le début et la fin de la Révolution culturelle, « trois essors et trois déclins » (san qi san luo 三起三落).
3En suivant le fil de ces trois essors et déclin, on se concentrera ici sur les protagonistes qui sous le nom de plume « Luo Siding » ( 羅思鼎)3 constituèrent la pièce maîtresse du groupe. Il s’agit d’élucider les raisons de l’évolution des fonctions et de l’expansion de leur pouvoir, et de fournir des éléments à la réflexion sur le contrôle et la mobilisation idéologique durant la Révolution culturelle, ainsi que sur le rôle spécifique et décisif joué par les intellectuels.
Premier essor et premier déclin
4Au printemps 1964, comme la critique du révisionnisme soviétique requiert d’écrire des articles dénonçant la politique agressive de l’URSS envers la Chine, le comité municipal de Shanghai, par l’intermédiaire du comité du Parti de l’université Fudan (Fudan daxue dangwei 复旦大學黨委), détache cinq professeurs du département d’histoire vers le bureau de rédaction d’Ébauches (Weiding wengao 未定文稿), journal interne du bureau Est-Chine4 (Huadong ju 華 東局). Ces cinq professeurs se nomment Jin Chongji 金冲及 (muté à Pékin en 1965), Zhu Yongjia 朱永嘉, Wang Zhichang 王知常, Wu Ruiwu 吳瑞武 et Zhu Weizheng 朱維錚 ; ils prennent le pseudonyme collectif de Luo Siding (羅思鼎) avec l’idée de devenir, comme Lei Feng 雷鋒5, une « vis » (螺絲釘, également prononcé luosiding) inoxydable de la machine révolutionnaire.
5Ces cinq éléments fusionnant dans l’identité militante de Luo Siding sont tous de jeunes enseignants, âgés entre 28 et 34 ans. Diplômés après 1949, ce sont de jeunes intellectuels qui ont grandi après la prise du pouvoir par le parti communiste et qui, à l’exception d’un seul d’entre eux, en sont tous membres : écouter la parole du Parti et se mettre avec zèle à son service est leur vœu le plus ardent — comme il est celui de tous les intellectuels de l’époque. Ces cinq jeunes professeurs, qui ont connu la « révolution de l’historiographie » (shixue geming 史學革命) de 1958 et bien assimilé dès le début des années 1960 toute l’importance accordée à la « lutte idéologique », pratiquent déjà la recherche historique du point de vue de la lutte des classes et avec la méthode de l’analyse de classe. C’est précisément la raison pour laquelle le comité du Parti de Shanghai fait appel à eux plutôt qu’à la vieille génération d’historiens, qui conservent une approche plus proprement historique de leur discipline.
6De façon avouée, ils ont été détachés et Luo Siding inventé pour critiquer avec une autorité d’historiens le « révisionnisme soviétique » (Sulian xiuzheng zhuyi 蘇聯修正主義, abr. Suxiu 蘇 修). Mais peu après leur arrivée au bureau éditorial du journal interne et la parution d’un premier article effectivement consacré à ce sujet, on leur commande un autre article critiquant les menées du révisionnisme à l’intérieur même du pays : le vent de la lutte idéologique, outil de démarcation entre révolutionnaires authentiques et traîtres divers, moyen essentiel de victoire par stigmatisation de l’adversaire, souffle avec une intensité grandissante.
7Les autorités supérieures prennent ainsi pour cible l’école exégétique Qian Jia (Qian Jia xuepai 乾嘉學派), les politiques de concession, la trahison du général Li Xiucheng 李秀成, etc. Les auteurs de Luo Siding, initialement spécialisés dans la rédaction d’essais historiques, se mettent donc à écrire sur commande des articles académiques à caractère politique. « Intégrité politique, intégrité morale, intégrité au soir de sa vie » (« Da jie, qi jie, wan jie » 大節、氣節、晚節), qui porte sur la droiture morale (ou plutôt l’absence de droiture) de Li Xiucheng, est un excellent exemple de ce type d’écrit.
8Fraichement débarqués de l’université, les auteurs subsumés sous Luo Siding conservent dans un premier temps le style académique et érudit hérité de leur formation universitaire. Ainsi, par exemple, pour cet article de mise en cause de l’intégrité de Li Xiucheng, un premier manuscrit est ébauché par Wang Zhichang puis corrigé par Zhu Weizheng : cette version remaniée comprend de nombreuses phrases agencées par paires, en raison du goût de Zhu Weizheng pour la prose parallèle des Six Dynasties. Lorsque, plus tard, Shi Ximin 石西民, secrétaire à la culture et à l’éducation du comité du Parti de Shanghai, louera cet article comme un « excellent essai », il causera le mécontentement de Wang Zhichang qui estimait avoir écrit un article scientifique… Or, en réalité, le politique y supplantait déjà nettement le scientifique.
9La conscience de travailler pour le Parti, la présence proche de ses dirigeants et l’exemple donné par son porte-plume officiel Yao Wenyuan amènent Luo Siding à s’adapter et à maîtriser progressivement l’écriture d’articles académiques à caractère politique. Dans le cas de l’article sur l’intégrité morale et politique, le sujet a été proposé par Zhou Yuanbing 周原冰, directeur-adjoint du bureau de rédaction du journal interne, après avoir entendu Wang Zhichang en exposer le contenu. C’est à travers des échanges avec Yao Wenyuan que Wang Zhichang apprend à mettre le doigt sur les failles et à examiner les problèmes sous un angle politique pour écrire ses articles.
10L’événement qui marque un tournant décisif pour Luo Siding est la critique de la pièce historique de Wu Han 吳晗, La Destitution de Hai Rui (Hai Rui baguan 海瑞罷官), publiée par Yao Wenyuan le 10 novembre 1965 dans le Wenhui bao (文匯報), journal de Shanghai6. Au début, Luo Siding a juste été chargé de fournir à Yao Wenyuan des matériaux historiques sur la période des Ming, sans connaître ni chercher à se renseigner sur la teneur de l’article. À la lecture du manuscrit, les auteurs associés trouvent d’abord ses liens avec l’actualité trop tirés par les cheveux ; puis, comprenant au vu des suites que Yao Wenyuan a la caution des hauts dirigeants, ils vont dès lors collaborer activement avec ce qui s’avère être les directives du Parti. Luo Siding devient « l’assistant » de Yao Wenyuan et sa tâche principale, qui consistait à rédiger des articles académiques à caractère politique, devient dès lors de développer la critique politique dans le champ académique.
11Autour de l’article de Yao Wenyuan, Zhang Chunqiao confie à Wenhui l’organisation d’un débat intitulé « Cent écoles de pensée rivalisent » (baijia zhengming 百家爭鳴). Les quatre articles publiés le jour de l’ouverture du débat sont commandés par Luo Siding, montrant qu’ils ne sont déjà plus de simples scribes, mais ont commencé à prendre part au contrôle des scribes. Au cours de ce débat visant à « attirer les serpents hors de leur trou » (yin shen chu dong 引蛇出洞), un ancien professeur des membres de Luo Siding nommé Zhou Yutong 周予同, ainsi qu’un camarade de classe de Wang Zhichang sont mis en cause.
12La dimension de critique politique qui caractérise les articles écrits par Luo Siding durant cette période s’intensifie. Début février 1966, un article intitulé « “L’autocritique” de Wu Han vue sous l’angle du “métayage” » (« Cong “touxian” kan Wu Han de “Ziwo piping” » 從“投獻”看吳晗的“自我批評), traitant du plaidoyer en retour de Wu Han sur des points précis comme la restitution des terres ou le métayage, ainsi que de la remise en cause de Yao Wenyuan par les historiens, s’efforce de combler les lacunes scientifiques de ce dernier, citant à cet effet un grand nombre de documents historiques de la période Ming. Si un article comme celui-ci s’apparente passablement à un article historique, l’intention politique qui motive sa rédaction est néanmoins explicite. La « Remise en cause de la conception des “fonctionnaires intègres” » (« Lun “qingguan” zhiyi » 論“清官”質疑) rédigé courant avril vise directement, avec le ton fixé à l’avance par Yao Wenyuan, le département central de la propagande (zhong xuan bu 中宣部) et le comité du Parti de Pékin : les auteurs de Luo Siding connaissent à ce moment l’intention déclarée de Mao Zedong de dissoudre ce département et d’« abattre le royaume infernal » (dadao yanwang dian 打 倒閻王殿)…
13Au fil de cette évolution qui le conduit de l’écriture d’articles académiques à caractère politique jusqu’à la critique politique développée sur le terrain académique, Luo Siding s’impose comme un acteur puissant et influent dans le domaine idéologique. Un fait en témoigne : avant la publication de l’article de Yao Wenyuan, le groupe avait pour principaux interlocuteurs au journal les directeurs de section ; après sa publication, ils ont directement affaire au rédacteur en chef et, dans la mesure où leurs articles paraissent principalement dans Wenhui, le rédacteur en chef du quotidien Libération (Jiefang ribao 解放日報) doit faire expressément le déplacement pour leur demander un article. Voilà qui renforce la toute puissance de ces jeunes intellectuels.
14L’article de Yao Wenyuan critiquant La Destitution de Hai Rui de Wu Han peut être considéré comme le coup d’envoi de la Révolution culturelle lancée par Mao Zedong. En répondant aux sollicitations et en apportant son concours, Luo Siding s’est non seulement placé à la pointe de l’avant-garde dans le domaine idéologique, mais s’est de facto mis directement au service de cette entreprise politique. Le paradoxe est que la Révolution culturelle vraiment lancée, il va rencontrer des difficultés.
15Dans les prémices de la révolution, Zhang Chunqiao et Yao Wenyuan quittent Shanghai pour Pékin où ils rejoignent le Groupe central de la révolution culturelle (zhongyang wenge xiaozu 中央文 革小組) ; Luo Siding se trouve privé de sa direction directe et de sa principale source de commande.
16Une fois la Révolution culturelle sérieusement enclenchée, la critique initiale des « autorités académiques bourgeoises » (zichan jieji xueshu quanwei 資產階級學術權威) bifurque rapidement vers une « critique des dirigeants du Parti engagés dans la voie du capitalisme » (dangnei zou zibenzhuyi daolu de dangquanpai 黨 內走資本主義道路的當權派). En quelque sorte dépassé par les événements, Luo Siding, qui commençait tout juste à se faire à la critique politique dans le domaine idéologique, ne sait plus quelle attitude adopter devant un mouvement politique de masse d’une telle envergure et marque une certaine hésitation.
17Lorsque le mouvement gagne l’université Fudan, un certain nombre de jeunes professeurs et d’étudiants qui ont rallié le mouvement dirigent le fer contre Luo Siding et cherchent même à dénicher ceux qui le pilotent depuis les coulisses. Sous la pression du mouvement, le comité du Parti de l’école encourage les actions rebelles parmi les étudiants et les professeurs, de sorte que le bataillon pionnier de la critique politique dans le milieu académique devient à son tour la cible de la critique menée par l’énorme mouvement politique de masse. À la fin novembre 1966, le responsable de Luo Siding Zhu Yongjia se fait arrêter et ramener de force à Fudan pour y être critiqué.
18Voilà pour le premier essor et le premier déclin du groupe de rédaction.
Second essor et second déclin
19C’est l’époque où la politique tient les commandes, pénétrant dans tous les recoins de la société et influençant le destin de chacun. Alors que Zhu Yongjia subit à Fudan les critiques et attaques des gardes rouges et que les autres membres de Luo Siding se retrouvent absolument désemparés, une intervention salvatrice vient changer leur destinée. Sitôt qu’ils apprennent le sort qui est fait à Zhu Yongjia, Zhang Chunqiao et Yao Wenyuan, devenus à Pékin les leaders du groupe central de la révolution, annoncent ouvertement être les pilotes de Luo Siding. On assiste alors à un complet renversement de situation : de cible des critiques, Luo Siding devient une figure rebelle, et Zhu Yongjia placarde sur le campus de Fudan un dazibao portant l’inscription « je veux la rébellion ! » (wo yao zaofan 我要造 反).
20De tous les membres du groupe de rédaction du comité du Parti de Shanghai, Luo Siding est le premier à se rebeller ; l’impact est énorme, tout le système vacille ; à l’instigation de Yao Wenyuan et sous l’impulsion active de Luo Siding, la totalité des membres du groupe finit par rallier la rébellion pour former à la mi-décembre le « Poste de liaison rebelle révolutionnaire des organes du comité du Parti de Shanghai » (Shanghai shiwei jiguan geming zaofan lianluozhan 上海市委機關革命造反聯絡站), abrégé en « Poste de liaison » (jilianzhan 機聯站). Ce dernier se trouve être, tous cadres confondus — nationaux, provinciaux et municipaux — la première organisation communiste rebelle à surgir sur scène, saluée par le président Mao.
21Cette « rébellion » de Luo Siding et de l’ensemble du groupe de rédaction témoigne du contrôle du pouvoir politique sur les intellectuels, mais témoigne aussi d’une adhésion délibérée et consentie de ces derniers à Mao et au parti communiste.
22Le 4 janvier 1967, Zhang Chunqiao et Yao Wenyuan sont envoyés en délégation à Shanghai et reçus le jour même au poste de liaison. Celui-ci (avec donc Luo Siding parmi ses membres) est expressément mobilisé par les deux hommes pour promouvoir, en tant que collectif de travail et organe administratif à la fois, la Révolution culturelle à Shanghai. De ce moment la ville est plongée dans la tempête de la « révolution de janvier » (yiyue geming 一月革命)7. Zhang Chunqiao et Yao Wenyuan cherchent avant tout à « prendre le pouvoir » (duoquan 奪權)8 et à mettre en place de nouvelles structures, ce qui se concrétisera par la création du Comité révolutionnaire de Shanghai (Shanghaishi geming weiyuanhui 上海市革命委員會). Durant toute cette période, Luo Siding ne ménage pas sa plume au service de cette tâche capitale, et joue tout son rôle.
23Le groupe prend part à la conception et à la rédaction de plusieurs articles essentiels de la révolution de janvier : parmi les plus influents, on peut citer « Note urgente » (« Jinji tonggao » 緊急 通告) et « Proclamation de la Commune populaire de Shanghai » (« Shanghai renmin gongshe xuanyan » 上海人民公社宣言). Après la campagne de bombardement de Zhang Chunqiao à la fin du mois de janvier 1967 et « l’incident du 28 janvier », Luo Siding est chargé de rédiger les « Comptes-rendus des bombardements du contre-courant réactionnaire de la Révolution culturelle » (« Paoda zhongyang wenge de fandong niliu jiyao » 炮打中央文革的反動逆 流紀要), autrement dit une chronique de l’affaire du 28 janvier. De tous les articles qu’il signe au cours de cette période, celui-ci est le plus en rapport avec la spécialité de ses membres, l’histoire.
24À partir du moment où ses articles ne visent plus à développer la critique politique dans le domaine idéologique, mais à faire la promotion de la rébellion révolutionnaire, le style de Luo Siding se modifie ; la tournure académique de ses débuts laisse place aux accents belliqueux de la rébellion révolutionnaire, dans un ajustement de plus en plus net au ton de l’époque. Issu d’une famille d’écrivains-ouvriers, Xiao Mu 蕭木, qui n’a pas séjourné dans le groupe de rédaction avant la Révolution culturelle, écrit encore aux premiers temps de son intégration à Luo Siding dans un style délicat et raffiné, mais au contact d’un habitué comme Wang Zhichang, son écriture se charge progressivement de la phraséologie révolutionnaire, en phase avec l’essor impérieux du style rebelle. La « Proclamation de la Commune populaire de Shanghai » fournit un des exemples les plus frappants de ce type d’écriture.
25Pris dans l’immense mouvement de masse de la Révolution culturelle et n’ayant guère le loisir de s’occuper pour lors de critique idéologico-politique, les érudits de Luo Siding endossent aussi durant un certain temps le rôle de travailleurs sur le terrain. Ainsi Zhu Yongjia, qui passe deux mois au « Poste de commandement du front pour “empoigner la révolution et promouvoir la production” » (zhua geming cu shengchan huoxian zhihui bu 抓革命促生產火 線指揮部), participe-t-il au contrôle de la production pour les voies de chemin de fer et les ports ; à l’« équipe des bulletins », Wang Zhichang s’occupe de rédiger les bulletins sur la situation quotidienne de la production à Shanghai ; Wu Ruiwu est chargé, dans l’« équipe des enquêtes », de se renseigner sur la situation dans les secteurs du trafic et de l’industrie, du commerce et des finances, de la culture et de l’éducation, etc. Les voilà effectivement devenus une vis de la machine révolutionnaire…
26Après la fondation du comité révolutionnaire de Shanghai, Zhang Chunqiao et Yao Wenyuan, qui accordent la plus haute importance à la rédaction de ses documents et résolutions, souhaitent monter une équipe spécialement dévolue à cette besogne. C’est alors que Xu Jingxian 徐景賢9 intervient pour demander à Wu Ruiwu et Zhu Yongjia de reformer le groupe de rédaction. Au début du mois d’avril est fondée l’« équipe de rédaction thématique » (zhuanti xiezuo zu 專題寫作組), avec à sa tête Wu Ruiwu, secondé de Zhu Yongjia, et comme membres Wang Zhichang et d’autres figures de la section de littérature du groupe de rédaction initial. Sur un total de huit personnes, les membres de Luo Siding sont en prépondérance.
27Au début, l’équipe de rédaction thématique a pour tâche principale la rédaction pour le comité révolutionnaire de Shanghai de toutes sortes de documents, y compris les comptes-rendus de travail destinés au comité central ou les messages de félicitation adressés aux comités révolutionnaires surgis dans les autres provinces. C’est le cas, par exemple, de la « Résolution sur le contrôle de l’orientation générale de la lutte et l’usage étendu de la critique » (« Guanyu zhangwo douzheng da fangxiang, yong da pipan tuidong yiqie de jueyi » 關於掌握鬥爭大方向,用大批 判推動一切的決議), ou des « Remarques sur l’accueil de l’essor généralisé de la Révolution culturelle » (« Guangyu yingjie wenhua dageming quanmian gaozhang de yijian » 關於迎接文化大革命全 面高漲的意見). Ses responsabilités sont équivalentes à celles des groupes de rédaction dans le système administratif des organes gouvernementaux et du Parti. Mais, par la suite, mécontent de l’étendue du domaine de compétence de Xu Jingxian, le responsable du bureau du comité révolutionnaire municipal, Wang Chenglong 王承龍, met en place un groupe de rédaction à proprement parler ; dès lors, l’équipe de rédaction thématique se voit confier de moins en moins de textes officiels, et se réoriente vers l’écriture d’articles critiques, domaine où ses membres peuvent le mieux faire valoir leurs compétences.
28Parmi ces articles, on citera, signés par les bureaux de rédaction des quotidiens Wenhui, Libération et La Vie de la Cellule du Parti (Zhibu shenghuo 支部生活) une série de sept critiques du « Khrouchtchev chinois » Liu Shaoqi 劉少奇. (Initialement, la série devait comporter neuf critiques : Mao Zedong loue les deux premières mais son appréciation sur les suivantes est moins élogieuse, c’est pourquoi elles s’arrêtent finalement à sept). Voici leurs titres : « Manigancer de trahir le Parti vise à usurper son pouvoir » (« Cedong pan dang jiushi weile cuan dang » 策動叛黨就是為了篡 黨), daté du 9 août 1967 ; « La faillite du partisan chinois du “crétinisme parlementaire” » (« Zhongghuo “yihuimi de pochan” » 中國 “議會迷”的破產), daté du 10 août ; « Seul le socialisme peut sauver la Chine » (« Zhiyou shehuizhuyi nenggou jiu Zhongguo » 只有 社會主義能夠救中國), daté du 14 août ; « La dictature du prolétariat et le traître Khrouchtchev chinois » (« Wuchan jieji zhuanzheng he pantu Zhongguo Heluxiaofu » 無產階級專政和叛徒中國赫魯曉 夫), daté du 20 août ; « Deux voies foncièrement opposées de l’édification économique en Chine » (« Liang tiao genben duili de jingji jianshe luxian » 兩條根本對立的經濟建設路線), daté du 23 août ; « La nature de la ligne réactionnaire bourgeoise c’est d’emprunter la voie capitaliste » (« Zichan jieji fandong luxian de benzhi jiushi zou ziben zhuyi daolu » 資產階級反動路線的本質就是走資本主義道 路), daté du 27 août ; « Parti communiste ou Parti social-démocrate » (« Gongchandang haishi shehui mingzhudang » 共產黨還是社會民 主黨), daté du 31 août. On trouve également des articles critiquant les « routiers capitalistes » (zouzipai 走資派) de Shanghai, Chen Pixian 陳丕顯, premier secrétaire du PCC de Shanghai, et Cao Diqiu 曹荻秋, maire de la ville, comme le « Commentaire sur les cinq autocritiques mensongères de Chen Pixian » (« Ping Chen Pixian de wu ci jia jiantao » 評陳丕顯的五次假檢討), etc. Si les articles rédigés autour de La Destitution de Hai Rui requéraient encore, plus ou moins, les connaissances acquises à travers une formation universitaire en histoire, ceux-ci sont en revanche de plus en plus éloignés de la pratique académique.
29L’« équipe de rédaction thématique » est un groupe de petite envergure, qui compte peu de membres. Pendant ce temps à Pékin, un groupe de plus de cent personnes a été constitué pour écrire des articles de « grande critique » (da pipan 大批判)10 ; Zhang Chunqiao souhaite du coup que Shanghai unisse aussi ses forces pour être le lieu de parution d’articles portant sur des points cruciaux. En novembre 1967, il met donc en place le « groupe de rédaction de la grande critique » (da piping xiezuo zu 大批判寫作組) conduit par Zhu Yongjia et composé d’une trentaine de membres pour la plupart issus de l’ancien groupe de rédaction (y compris Zhu Weizheng, le seul de Luo Siding à n’avoir pas fait partie de l’équipe de rédaction thématique), du bureau éditorial du journal interne du bureau Est-Chine, etc. En réalité, ce groupe de rédaction de la grande critique est un prolongement du groupe de rédaction thématique, les deux s’alliant pour composer la nouvelle équipe de rédaction de cette période.
30En raison de différends toujours plus importants entre Xu Jingxian, directement responsable du groupe de rédaction thématique et du groupe de rédaction de la grande critique, et Wang Chenglong, en charge du bureau du comité révolutionnaire de Shanghai, en raison également du mécontentement des ouvriers rebelles dirigés par Wang Hongwen 王洪文 à l’égard du groupe de rédaction, en juillet-août 1967, Xu Jingxian profite de l’envoi de l’équipe de propagande des ouvriers en garnison (sic) dans les établissements d’enseignement supérieur pour proposer que les membres des deux groupes de rédaction se joignent à cette équipe ainsi déployée : grâce à cette stratégie de division, il espère éviter le conflit frontal avec Wang Chenglong. Mais ce dernier, au nom du comité révolutionnaire de Shanghai, dissout alors officiellement, texte à l’appui, les deux groupes de rédaction. Certes, ces deux groupes avaient été mis en place selon les directives de Zhang Chunqiao et Yao Wenyuan ; mais ils étaient associés à Xu Jingxian, concrètement leur responsable et étaient donc les victimes désignées de l’exacerbation de son conflit avec Wang Chenglong ; ni Zhang Chunqiao ni Yao Wenyuan n’étant à Shanghai, Xu Jingxian est contraint de s’incliner.
31Voilà donc pour le second essor et le second déclin du groupe de rédaction.
Troisième essor et troisième déclin
32En août 1968, Mao Zedong décide d’envoyer à Shanghai Zhang Chunqiao et Yao Wenyuan, en tant que responsables de la revue Drapeau rouge (Hongqi 紅旗). Cette décision marque un pas capital dans leur parcours de grands responsables de l’idéologie durant la Révolution culturelle. L’expansion de leur pouvoir constitue un facteur décisif du « troisième essor » du groupe de rédaction de Shanghai.
33En septembre, Yao Wenyuan arrive à Shanghai. Après concertation avec Xu Jingxian, il décide de rappeler Zhu Yongjia, Wang Zhichang et Xiao Mu, les sortant de l’équipe de propagande des ouvriers, et de fonder l’antenne shanghaienne du Drapeau Rouge. Les membres de Luo Siding y occupent une place prépondérante ; Zhu Yongjia est nommé responsable. On est alors seulement un mois après la révocation des groupes de rédaction thématique et de la grande critique. La différence la plus notable avec ces deux groupes est que le bureau de l’antenne de Shanghai est placé sous la direction immédiate de Zhang Chunqiao et Yao Wenyuan, et qu’un document émis par le comité central du Parti stipule explicitement son affiliation officielle à la revue Drapeau Rouge, lui conférant un pouvoir plus important que par le passé.
34La tâche principale de ce bureau consiste, bien sûr, à commander et écrire des articles pour Drapeau Rouge. Leur sujet est défini de concert par Zhang Chunqiao, alors à Shanghai, et par le bureau. Pour l’un des sujets donné par Zhang Chunqiao : « Du huitième au neuvième congrès national du Parti communiste chinois » (« Cong bada dao jiuda » 從“八大”到“九大”), Zhu Yongjia, Xiao Mu et Wang Zhichang soumettent pas moins de trente-six manuscrits ; aucun n’étant jugé satisfaisant par Zhang Chunqiao, l’article ne voit jamais le jour. En l’espace de trois années, le bureau fournit à Drapeau Rouge plus de quarante textes ; il en rédige lui-même vingt-deux, soit environ la moitié, sous les noms de plume « groupe de rédaction de la grande critique de la révolution à Shanghai » (Shanghai geming da pipan xiezuo xiaozu 上海革命大批判寫作小 組), « Gong Xiaowen » (宮效聞), « Qi Yonghong » (齊永紅), etc. Un grand nombre de ces textes critiquent des œuvres littéraires telles que Matin de Shanghai (Shanghai de zaochen 上海的早晨), Une famille révolutionnaire (Geming jiating 革命家庭), La ruelle aux trois familles (San jia xiang 三家巷) etc., et pratiquement aucun n’a de rapport avec l’histoire.
35Outre la fourniture de manuscrits à Drapeau Rouge, le bureau reçoit également l’ordre de rédiger ou d’organiser la rédaction d’autres articles. Fin 1968, lors des préparatifs du neuvième congrès national du PCC, le comité central demande que Shanghai mobilise les masses pour amender les statuts du Parti : Xiao Mu se voit nommer responsable de la section de l’amendement des statuts du Parti à Shanghai. Sous le pseudonyme « Tang Xiaozuo » (唐曉佐, quasi homophone de dang xiaozu 黨小組, « petit groupe du Parti »), Wang Zhichang et quelques autres signent un grand nombre de critiques où ils expriment leur point de vue sur le remaniement du Parti et l’amendement de ses statuts. Puis, lorsque se tient le quatrième congrès du Parti de Shanghai, le bureau est chargé d’en élaborer le projet de résolution.
36Bien qu’il ne compte que trois hommes, le bureau ne tarde pas à restaurer progressivement puis à élargir l’équipe de rédaction, eu égard à l’ancienne structure. C’est d’abord la « section histoire », principalement composée de membres du département d’histoire de l’université Fudan et du centre d’histoire de l’Institut des sciences sociales de Shanghai ; son bureau est situé à la bibliothèque de Shanghai. C’est ensuite la section « arts et lettres », composée principalement de la section de littérature du groupe de rédaction initial, et qui a son bureau au quotidien Libération. Puis c’est la « section dialectique de la nature », qui a ses quartiers au quotidien Wenhui. Par la suite, on fonde encore la « section philosophie » et la « section économie ». L’envergure du groupe de rédaction dépasse alors celle d’avant la Révolution culturelle.
37En juillet-août 1967, Zhang Chunqiao rassemble les trois membres du bureau de l’antenne du Drapeau Rouge pour étudier avec lui les cinq volumes des Textes choisis de Mao (Mao xuan 毛 選). Si Zhang Chunqiao a déjà, avant la Révolution culturelle, pris la tête de l’équipe de rédaction du comité du Parti municipal, c’est la première fois qu’il a avec Zhu Yongjia, Wang Zhichang et Xiao Mu des contacts aussi intimes sur une période aussi prolongée. Cette session d’étude élève considérablement le degré de reconnaissance intellectuelle des quatre protagonistes et renforce la position du bureau. Ce dernier aura donc constitué un maillon essentiel dans l’évolution du groupe de rédaction.
38Le développement du bureau de l’antenne du Drapeau Rouge et des différents groupes placés sous sa direction équivaut à la réunion des conditions d’instauration d’une nouvelle structure, le groupe de rédaction du comité du Parti de Shanghai. Le 7 juillet 1971, le comité municipal de Shanghai publie un document proclamant officiellement la création du « groupe de rédaction du comité municipal de Shanghai » (Shanghai shiwei xiezuozu 上海 市委寫作組), appelé également « groupe de rédaction du comité révolutionnaire de la ville de Shanghai » (Shanghaishi geming wenyuanhui xiezuozu 上海市革命委員會寫作組). Ses membres principaux sont Zhu Yongjia, Wang Zhichang et Xiao Mu du bureau de l’antenne de Drapeau Rouge ; autrement dit, Luo Siding reste là aussi dominant. En 1973, Wang Shaoxi 王紹璽 vient remplacer Xiao Mu, qui suit Wang Hongwen à Pékin. En 1976, Chen Jide 陳冀德 et deux autres s’adjoignent encore au noyau dirigeant.
39Entre juillet 1971 et octobre 1976, le groupe de rédaction du comité municipal de Shanghai se développe jusqu’à devenir une énorme structure au personnel nombreux. Les cinq sections (histoire, arts et lettres, philosophie, économie, dialectique de la nature) fondées au temps de l’antenne du Drapeau Rouge, ainsi que l’équipe du secrétariat, constituent la force centrale du groupe et relèvent de son commandement général. En sus, de nombreuses autres petites sections organisées en fonction de leur tâche se placent sous sa direction. Ainsi, par exemple, les groupes respectivement en charge du Petit dictionnaire philosophique ou d’Économie politique, ou encore le groupe chargé d’écrire l’histoire du Parti communiste chinois, etc. : soit un total de 340 individus environ. Plus périphériques encore, on trouve toutes sortes d’équipes d’écriture, de compilation, de classement des documents, etc., avec un personnel encore plus nombreux. Ces différentes sections et équipes du groupe de rédaction forment un ensemble de cercles concentriques et hiérarchisés autour du noyau dirigeant.
40Durant cette période, les fonctions du groupe de rédaction s’élargissent considérablement. Écrire des articles demeure bien sûr la tâche la plus importante. À la fin de la Révolution culturelle, « Liang Xiao au Nord et Luo Siding au Sud11 » sont devenus deux des groupes de rédaction les plus connus à travers tout le pays. Un grand nombre d’articles écrits par le groupe de rédaction à cette époque ont trait à l’histoire et plus particulièrement à l’histoire de Chine, donnant à Luo Siding l’occasion de déployer tout son savoir-faire. Parmi les articles de cette catégorie ayant eu un fort impact, on peut citer : « Sur le respect du confucianisme et l’opposition au légisme » (« Lun zun ru fan fa » 論尊儒反法), « La lutte entre restauration et anti-restauration durant l’établissement de la dynastie des Qin » (« Qin wangchao jianli guocheng zhong fubi yu fan fubi de douzheng » 秦王朝建立過程中復辟與反復辟的鬥爭), ou encore « Sur la lutte des classes durant la transition Qin-Han » (« Lun Qin Han zhiji de jieji douzheng » 論秦漢之際的階級鬥爭). En comparaison des textes sur l’autocritique de Wu Han ou sur les fonctionnaires intègres écrits avant la Révolution culturelle, le style de ces articles est plus tranchant, leurs thèses plus arbitraires et leur tournure académique nettement moins marquée.
41Créer et éditer des publications est l’une des besognes pour lesquelles le groupe de rédaction prodigue le plus d’efforts. C’est d’abord Xiao Mu, féru d’art et de littérature, qui propose et entreprend de mettre en place la publication d’une collection de périodiques sur les arts et les lettres nommée Nuées aurorales (Zhaoxia 朝霞), suivie d’un mensuel du même titre. Les premiers numéros reçoivent l’approbation de Zhang Chunqiao et Yao Wenyuan. La revue Étude et critique (Xuexi yu piping 學習與批 評) est créée sur les instructions directes de Zhang Chunqiao. La raison en est qu’après la reparution du journal de l’université de Pékin, Mao Zedong souhaite que l’université Fudan à Shanghai elle aussi retrouve son journal. Placée sous la supervision directe de Zhu Yongjia et Wang Zhichang, et connue sous le nom de Petit Drapeau rouge (Xiao Hongqi 小紅旗), la publication atteint dans les moments de plus fort tirage jusqu’à 900000 exemplaires. Avec les autres revues — Dialectique de la nature (Ziran bianzhengfa 自然辯 證法), Traductions de passages choisis (Zhai yi 摘譯), décliné en trois secteurs (lettres et arts, sciences naturelles et philosophie – histoire – économie de l’Occident), et enfin Pratique de l’éducation (Jiaoyu shijian 教育實踐) —, le total s’élève à huit publications. Nuées aurorales et Étude et critique offrent aux jeunes gens un espace de publication.
42Le groupe de rédaction met également sur pied la rédaction et la parution de nombreux ouvrages. Toute une ligne d’ouvrages — Économie politique du socialisme (Shehui zhuyi zhengzhi jingjixue 社會主義政治經濟學), Petit dictionnaire de philosophie (Zhexue xiao cidian 哲學小辭典), Leçons sur l’histoire du Parti communiste chinois (Zhongguo gongchandang lishi jiangyi 中國共產黨歷史講 義) — a pour but d’exposer et diffuser la théorie de la révolution continue sous la dictature du prolétariat. Des traductions d’ouvrages occidentaux — Biographie de Henry Kissinger (Jixinge zhuan 基辛格 傳), Biographie de Kakuei Tanaka (Tianzhong Jiaorong zhuan 田中角 榮傳), etc. — visent à accompagner le développement des relations internationales. Une « Collection pour les jeunes autodidactes » (Qingnian zixue congshu 青年自學叢書) s’adresse aux jeunes instruits dans les campagnes.
43Le groupe de rédaction est également chargé d’annoter les textes et poèmes de la littérature classique : une tâche confiée par Mao lui-même à Yao Wenyuan. Un grand nombre de vieux professeurs trouve là une occasion de travailler.
44Le groupe intervient aussi dans le domaine éducatif, participant à la réforme de l’instruction. Dans les universités, il contribue à la propagation de nouvelles formes d’enseignement centrées sur les sciences humaines et les sciences appliquées. Wang Zhichang se retrouve même chargé d’examiner et ratifier les manuels des cycles primaire et secondaire.
45Sur les directives de Zhang Chunqiao et Yao Wenyuan, le groupe de rédaction réalise de surcroît un important travail d’investigation et d’étude sociologiques. Ce travail comprend des enquêtes sur la transformation des relations entre classes sociales, sur les problèmes de la transition dans les campagnes, etc., toujours en rapport avec les politiques des hautes instances de l’autorité centrale. Sont également menées des enquêtes visant à déboucher sur des propositions de mesures politiques concrètes, comme, par exemple, l’approvisionnement en légumes.
46À la fin de la Révolution culturelle, le domaine de compétence du groupe de rédaction recouvre la propagande, la culture, l’édition, l’éducation, la recherche politique… Il est devenu une structure tout à fait singulière et sans équivalent dans le reste du pays.
47Après la création du groupe de rédaction du comité municipal du parti de Shanghai, certaines propositions sont émises pour remettre sur pied le département de la propagande du comité municipal et l’Institut des Sciences sociales, mais elles sont catégoriquement rejetées par Zhang Chunqiao. On peut dire, par conséquent, que c’est entièrement à ce dernier que le groupe de rédaction doit d’être devenu l’appareil massif et polyvalent que l’on connaît.
48Le 6 octobre 1976, la Bande des Quatre est arrêtée. Lorsque la rumeur parvient à Shanghai, les membres du groupe de rédaction réagissent : Zhu Yongjia déclare : « Mobiliser la milice, imiter la Commune de Paris, contrôler Shanghai par les armes, à défaut de tenir une semaine, trois ou cinq jours suffisent pour que le monde entier soit au courant. » Wang Zhichang lance quatre mots d’ordre : « Rendez-moi Zhang Chunqiao », « Rendez-moi Yao Wenyuan », « Rendez-moi Wang Hongwen », « Rendez-moi Jiang Qing ». Peu après, Zhu Yongjia, Wang Zhichang et les autres principaux membres du Groupe sont appréhendés à leur tour.
49Voilà pour le troisième essor et le troisième déclin du groupe de rédaction.
***
50La grandeur et la décadence du groupe de rédaction sont intimement liées au pouvoir politique. En tant qu’équipe soutenue, formée et patronnée par Zhang Chunqiao et Yao Wenyuan, l’expansion progressive de sa puissance va de pair avec la leur. Cela illustre pleinement le contrôle absolu qu’exerce le pouvoir politique dans le domaine idéologique au temps de Mao. Dès la publication de l’article de Yao Wenyuan critiquant La Destitution de Hai Rui, le groupe reste placé sous la surveillance attentive de Mao.
51D’un autre côté, la légitimité du pouvoir politique à cette époque repose dans une très large mesure sur la suprématie du discours idéologique. C’est la raison pour laquelle ce bataillon de scribes, en tant qu’instrument idéologique, jouit de la considération des hauts dirigeants. Pour les lettrés, le pinceau est comme une lame, dont ils se servent pour obtenir une place particulière dans la structure politique.
52Les membres du groupe de rédaction appartiennent pour une grande majorité à la nouvelle génération d’intellectuels qui ont grandi après l’établissement du régime communiste en 1949. Durant les années 1950, Mao Zedong appelle à la formation des intellectuels du parti communiste même. Les membres du groupe de rédaction obéissent consciemment à cet appel ; même après la mort de Mao, ils continuent à professer ses doctrines, montrant que son objectif a sans conteste été atteint auprès d’une partie des intellectuels.
53Les membres du groupe de rédaction ont voulu jouer un rôle de « vis » dans la Révolution culturelle, et devenir un outil idéologique à son service. Mais leur tempérament d’hommes d’étude ne disparaît pas complètement, comme le montre la création du périodique Nuées aurorales ou l’édition de la « Collection pour les jeunes autodidactes ».
54L’écriture sur commande pratiquée par le groupe, avec son style impérieux et militant, n’a pas pris fin avec l’arrêt de la Révolution culturelle : on peut en voir les prolongements dans le processus de dénonciation de la « Bande des Quatre ». Les articles critiquant Luo Siding et les articles de grande critique signés par Luo Siding dans sa dernière phase sont très similaires sur le plan de l’argumentation ou de la composition, à la différence près que les auteurs de la critique sont finalement devenus les victimes de la critique…
Notes de bas de page
1 Sur le terme « révisionnisme », voir supra, p. 203 note 15.
2 Voir supra, p. 212 note 30.
3 Ces trois caractères ont respectivement le sens suivant : luo 羅, « prendre au filet, regrouper, exposer » ; si 思, « penser, réfléchir » ; ding 鼎, « vase tripode, chaudron alchimique ; moment où le faible s’élève vers le fort (Yijing) ». Luo Siding est homophone de 螺丝钉, « vis ».
4 Voir supra, p. 199 note 11.
5 Lei Feng (1940-1962) : issu d’une famille de paysans pauvres et très jeune orphelin, il est élevé par le Parti communiste dont il rejoint les rangs dès sa majorité, devenant membre de la Jeunesse communiste et soldat de l’Armée populaire de libération. Désirant « travailler avec diligence pour devenir un bon soldat de Mao », et devenir « une vis qui ne rouille jamais », rouage aussi discret qu’indispensable de la Révolution, il s’illustre pour ses bonnes actions avec un enthousiasme et un dévouement exemplaires. Sa mort brutale dans un accident de la route à 22 ans en fait le « martyre de la nation » et donne naissance à une légende qui va permettre à Mao, par le biais de campagnes d’émulation, de motiver — et contrôler — l’ensemble du pays. À grands renforts de propagande, Lei Feng est érigé en héros national, protecteur de la mère-patrie et pionnier de la Révolution, loué pour son abnégation dans les services rendus à son peuple et sa dévotion inconditionnelle à la cause révolutionnaire, proposé en modèle à tous.
6 Après un premier article intitulé « Hai Rui semonce l’Empereur » (1959), Wu Han (1909- 1969), professeur d’histoire à l’université Qinghua et vice-maire de Pékin, compose en 1960 un livret d’opéra centré sur le même personnage : La Destitution de Hai Rui. Dans cet apologue historique, Hai Rui (1515-1587), haut-fonctionnaire Ming démis de ses fonctions pour avoir défendu la cause des paysans opprimés, sert de prête-nom à l’officier Peng Dehuai, écarté du pouvoir pour avoir critiqué Mao à propos des conséquences du Grand Bond en avant sur les paysans. La critique de cette pièce par Yao Wenyuan sur instruction personnelle de Mao est considérée comme l’événement qui marque le début de la Révolution culturelle.
7 Voir supra, p. 212 note 32
8 Voir supra, p. 212 note 31.
9 Voir supra, p. 206 note 19.
10 La « grande critique » désigne le mouvement de masse et de lutte politique prenant pour cible tout ennemi du socialisme, traître au Parti et à la voie révolutionnaire de Mao. En août 1966, la charte en seize points de la Révolution culturelle fait de la « critique » une tâche majeure du mouvement : il s’agit de « critiquer les autorités académiques réactionnaires de la bourgeoisie, critiquer l’idéologie de la bourgeoisie et de toutes les autres classes exploiteuses ». D’abord circonscrite aux milieux académiques par le biais d’articles à caractère scientifique (visant notamment Wu Han, Tao Zhu, Zhou Yang, au sujet d’œuvres littéraires), la critique s’amplifie en intensité et en étendue. À l’époque où l’hyperbole règne et où « grand » s’applique à toutes les actions révolutionnaires, la critique gagne l’ensemble de la société, se répand dans les fermes et les usines ; sa nature change aussi, elle devient expressément un mouvement politique, prenant pour cible le capitalisme et le révisionnisme. Le peuple se livre à des séances de critique et de dénonciation publiques tandis qu’à chaque échelon les structures politiques se dotent d’une d’un groupe de grande critique, dont les plus célèbres sont Liang Xiao 梁效 (homophone de 两校 « deux écoles », désignant les universités Qinghua et Beida à Pékin) et Luo Siding.
11 Liang Xiao 梁效 est homophone de 兩校 « deux écoles », désignant les universités Qinghua et Beida à Pékin.
Auteur
Professeur au département d’histoire et directeur du Centre international d’études sur la civilisation chinoise (ICSCC) de l’université Fudan. Il a obtenu son diplôme de doctorat en relations internationales à l’université Fudan. Ses recherches portent principalement sur l’histoire des relations étrangères de la Chine, et en particulier sur l’histoire diplomatique de la République chinoise. Il se concentre plus récemment sur la Chine contemporaine, et plus spécifiquement sur la Révolution culturelle à Shanghai ou encore le mouvement d’envoi des « jeunes instruits » à la campagne. Il est auteur ou co-auteur des ouvrages suivants : Biographie de Wellington Koo, Histoire de la République de Chine (co-auteur du vol. 10), Histoire des relations sino-américaines (1784-1996), Les relations sino-russes (1689-1989). Il est l’éditeur ou coéditeur de Wellington Koo et la diplomatie chinoise, Diplomatie de la Chine à l’époque des Seigneurs de guerre, Dix-mille Shanghaiens au Mont Huang durant le mouvement d’envoi des jeunes instruits, etc. Il a dirigé par ailleurs un programme d’histoire sur la Révolution culturelle à Shanghai.
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