4. Auerbach et la « tradition générale de la philologie allemande »
Un texte référence : Maire et Edward Said, Introduction à « ‘Philology and Weltliteratur’, par Erich Auerbach, traduit par Maire et Edward Said »1
p. 69-70
Texte intégral
1[1] Avec l’introduction (qui reprend elle-même un article plus ancien sur « Vico et la critique littéraire ») à son dernier ouvrage Le Langage littéraire et son public dans l’antiquité latine tardive et au Moyen Age, cet essai d’Erich Auerbach constitue un exposé théorique majeur sur son travail et sa mission en tant que Philolog (philologue) de l’ancienne tradition. Il est paru en 1952 dans une série d’essais dédiés à Fritz Strich, l’auteur largement publié de Goethe und die Weltliteratur ‘Goethe et la Weltliteratur’, à l’occasion de son 70e anniversaire. Ce cadeau d’anniversaire était judicieusement intitulé Weltliteratur et la plupart des articles qui y figuraient étaient l’œuvre d’éminents spécialistes de littérature de la génération d’Auerbach, comme Karl Vietor et Emil Staiger. Dans la présente traduction de l’article d’Auerbach nous avons choisi de ne pas traduire Weltliteratur en anglais. Un expédient tel que world literature trahit en effet la tradition assez exceptionnelle que recouvre le terme allemand. Il s’agit bien sûr du mot forgé par Goethe lui-même (et qu’il utilisa de plus en plus à partir de 1827) pour désigner la littérature universelle ou celle qui exprime l’Humanität, l’humanité, sachant que cette expression est le but ultime de la littérature. Le concept de Weltliteratur est ainsi visionnaire car il transcende les littératures nationales sans pour autant en briser l’individualité. En outre Weltliteratur ne doit pas être compris comme une collection sélective de classiques mondiaux ou de grands livres – bien que Goethe semble souvent le laisser entendre – mais plutôt comme un concert parmi toute la littérature produite par l’homme sur l’homme. Un autre courant vient rejoindre cet ensemble de significations ; il dérive cette fois de Herder, Grimm, les Schlegel et, en particulier dans le cas d’Auerbach, de Giambattista Vico. Il s’agit de la tradition générale de la philologie allemande qui a exercé une influence particulière sur la philologie romane en Allemagne. Elle a inauguré la pratique de l’historicisme et a aussi considérablement élargi le rôle de la philologie pour inclure l’étude de toute l’activité verbale humaine, ou presque. [2] En assumant ce rôle, la philologie a dominé toutes les disciplines historiques car, contrairement à la philosophie qui s’intéresse aux vérités éternelles, elle traite de vérités historiques et contingentes envisagées à leur niveau élémentaire : elle conçoit l’homme de manière dialectique et non statique. Dans cet article, Auerbach s’attache à la philologie strictement littéraire mais on ne doit jamais perdre de vue que le « matériau » de la philologie ne se limite pas nécessairement à la littérature mais peut aussi être constitué d’écrits sociaux, juridiques ou philosophiques. Son intérêt pour l’intuition et la synthèse reflète l’influence métaphysique de Dilthey et de Troeltsch, entre autres, qui considéraient l’histoire comme une partie d’un problème spirituel affectant et informant la culture contemporaine.
Notes de bas de page
1 Je traduis ici l’introduction écrite par Maire et Edward Said à leur traduction du texte d’Erich Auerbach : « Introduction » à Erich Auerbach, « Philology and Weltliteratur », The Centennial Review XIII/1, 1969, pp. 1-17 (introduction pp. 1-2) (p. R.-F.). Pour la traduction française du texte d’Erich Auerbach « Philologie der Weltliteratur », voir Erich Auerbach, « Philologie de la littérature mondiale », traduit de l’allemand par Diane Meur, in Christophe Pradeau, Tiphaine Samoyault (éds.), Où est la littérature mondiale, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2005, pp. 25-37.
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