8. Dénoncer la corruption des élites politiques du Sud au Nord : trajectoires biographiques, professionnelles et militantes
Le cas de la mobilisation contre les « biens mal acquis » en France
p. 179-200
Texte intégral
Face au spectacle d’un malheureux souffrant au loin, que peut faire un spectateur, condamné — au moins dans l’immédiat —, à l’inaction mais moralement bien disposé ? Il peut s’en indigner […] Mais à distance et, par conséquent, hors de tout contact physique, cette violence est condamnée à demeurer langagière. L’acte de parole qui la manifeste est une accusation1.
1Qu’il soit question de coopération ou plus largement du « développement », les relations Nord-Sud fonctionnent sur le mode de l’aide des premiers aux seconds. C’est d’ailleurs sur ce fondement idéologique qu’ont prospéré, dès les années 1950, les politiques publiques à l’échelle mondiale impulsées par les institutions internationales, et ont apporté un soutien substantiel à ces territoires anciennement colonisés2. Le prisme de la « mal gouvernance » a longtemps captivé le regard porté sur ces nouveaux États, à tel point que les conditions posées à cette aide ont fini par intégrer le facteur « corruption ». L’accent mis sur la prédation des ressources par les dirigeants locaux a introduit la vision prégnante d’un Sud gangréné par la corruption de ses élites.
2La science politique s’est intéressée d’ailleurs aux formes que prend l’État en Afrique3 et à la question patrimoniale comme élément du gouvernement. Mais s’il est désormais admis que la corruption politique n’est ni atavique, ni le fait exclusif des sociétés vivant au sud de la Méditerranée4, l’accent n’est que trop peu mis sur les acteurs de la dénonciation de ce phénomène, pour autant qu’il existe. Même si la voie est désormais ouverte en France pour une sociologie des « entrepreneurs critiques de la politique5 » qu’ils soient magistrats, journalistes, élus ou simples citoyens, peu de travaux sont consacrés — à l’instar des travaux sur l’humanitaire tournés vers les organisations non gouvernementales6 et abordant notamment la question de la professionnalisation — aux acteurs « non gouvernementaux » de l’action anticorruption. La présente contribution propose de s’intéresser aux visages de cette action — telle qu’elle s’est développée dans le cadre d’une coalition d’organisations dont l’action a vu émerger en France, avec succès, une mobilisation inédite contre les « biens mal acquis » (BMA) de dirigeants africains.
3Les relations entre la France et l’Afrique à l’époque contemporaine ont souvent été tumultueuses. Les scandales7 qui les ont ponctuées ont contribué à conforter l’idée d’un « clientélisme d’État8 ». De multiples épisodes ont motivé l’émergence et la vulgarisation du néologisme « Françafrique9 ». Ce dernier désigne, selon son usage le plus courant, un ensemble de relations obscures et d’accointances inavouées des milieux politiques et économiques français et africains ; cet ensemble constituerait une survivance de la domination coloniale. Longtemps décriée, invoquée pour justifier la mise à jour de faits « scandaleux », convoquée pour plaider face au tribunal de l’opinion ou pour battre en brèche l’idée d’une emprise supposée de la France sur le continent noir, la « Françafrique » sert beaucoup, qu’il s’agisse d’accuser ou de se défendre d’en être10. S’y réfèrent fréquemment les accusations d’arrangements tacites et autres pratiques d’enrichissement illégal qui pèsent depuis quelques années sur des dirigeants africains au travers d’épisodiques dénonciations qui ont souvent été le fait de journalistes11. C’est dans ce contexte qu’a pris corps le scandale des BMA (bien mal acquis) ; celui-ci constitue une porte d’entrée dans cet espace de l’anticorruption non gouvernementale en construction.
4L’hypothèse générale du présent texte est que dénoncer les présumés détournements de fonds de dirigeants africains nécessite des compétences (juridiques) ; mais cette activité est également tributaire d’un certain nombre de facteurs explicatifs que l’on retrouve dans les trajectoires des pourfendeurs. Il y aurait ainsi un socle de « compétences » et des éléments de convergences qui permettraient aux uns et aux autres de « juger la politique ». Dans un va-et-vient analytique entre acteurs individuels et collectifs, il s’agira donc de définir certains profils. Ces derniers seront choisis à dessein12 pour donner à voir les dynamiques d’enrôlement dans cette cause, mais surtout pour faire apparaître les catégories d’acteurs aptes à mobiliser différents registres d’expérience pour faire valoir leur légitimité à prendre la parole en la matière. Qui sont ces dénonciateurs de la corruption transnationale ? Au-delà des organisations au sein desquelles ils agissent, l’intérêt est ici de mettre en lumière des parcours professionnels, militants, d’opérer quelques détours biographiques, déterminants pour une bonne part leur engagement dans le dossier des BMA.
5L’impulsion que les organisations internationales ont donnée à la lutte contre la corruption en tant que politique publique à l’échelle mondiale, participe de l’« institutionnalisation13 » de ces organisations. L’idée de « transparence » se retrouve à tous les niveaux, que ce soit avec le combat contre la « Françafrique » qui devient le « cadre d’injustice14 » de référence des relations franco-africaines pendant les années 1990, la lutte pour le respect des populations locales et la transparence dans les activités des grandes firmes multinationales ou dans les dépenses somptuaires des élites africaines. Il s’agit en dernier recours d’inscrire dans cette démarche la dénonciation de l’opacité comme un gage de démocratie et de respect des droits de l’homme, eux-mêmes condition du développement économique et du respect des droits fondamentaux. La dénonciation s’élabore dans le cadre de l’« action collective », mais nous optons ici pour un regard porté sur des parcours, des expériences, qui sont consubstantiels à l’issue de la mobilisation. On ne saurait comprendre non seulement l’initiative de l’action, les modalités, mais aussi les effets de la mobilisation (action judiciaire, scandale, etc.) sans faire remarquer le lien étroit existant entre parcours/expérience et mobilisation contre les BMA. Cela permet d’apporter des éléments explicatifs concernant la prise en charge de la dénonciation, à l’aune de ces « déterminations expérientielles15 ». On présentera d’abord le parcours d’un acteur issu du milieu de la solidarité internationale qui fut à l’initiative d’un rapport servant de base à l’action des BMA, en revenant sur des éléments importants qui ont déterminé son engagement. Puis la présentation de la figure centrale d’un avocat défenseur des droits de l’homme investi dans l’anticorruption permettra de montrer de quelle manière l’expérience de la défense des causes et l’exercice de la traduction dans les termes du droit ont été décisifs dans le succès de la mobilisation. La coalition qui se forme au gré des obstacles voit s’agréger à la lutte les professionnels de l’anticorruption non gouvernementale, dont les propriétés sociales leur permettent de s’impliquer dans la cause.
Genèse d’une mise en accusation : l’affaire des « biens mal acquis »
L’affaire des biens mal acquis à l’origine, c’est l’histoire d’un rapport de stage qui tourne à l’affaire d’État. En 2007, deux jeunes militants associatifs rédigent une étude sur la restitution des avoirs détournés par des régimes kleptocrates dans l’espoir de faire bouger les lignes. Et ils finissent, au-delà de toute espérance, par écrire une page de l’histoire franco-africaine. La saga des BMA qui fait intervenir de nombreux acteurs, déterminés à faire reculer la corruption, l’impunité et à assainir les relations entre Paris et le continent noir, continue de s’écrire au fil des mois16.
6Cet extrait de l’ouvrage éponyme rédigé par deux journalistes français donne la mesure de ce qui constitue à ce jour le plus récent scandale franco-africain. Revenons — avant d’entrer dans le vif du sujet, à savoir les acteurs de cette dénonciation — sur la genèse de l’affaire.
7Le Comité catholique de lutte contre la faim et pour le développement (CCFD-Terre solidaire) publie en mars 2007 un rapport17 qui regroupe les avoirs prétendument détournés de dirigeants d’un certain nombre de pays dits « en développement ». Cette publication s’inscrit dans la campagne que mène l’organisation contre la fuite des capitaux du Sud vers le Nord, notamment via les paradis fiscaux. Le document de travail sert par la suite de support à une action judiciaire intentée par une coalition d’organisations (Sherpa, Survie, la Fédération des Congolais de la diaspora18) à l’encontre de trois dirigeants principalement : Teodoro Obiang de la Guinée équatoriale, Denis Sassou Nguesso du Congo-Brazzaville, Omar Bongo du Gabon, ainsi que leurs entourages. Il leur est reproché l’acquisition injustifiée d’un important patrimoine mobilier et immobilier sur le territoire français, ce qui ne se justifierait pas au regard de leurs émoluments officiels. Cette plainte est classée sans suite en novembre de la même année au motif « d’infraction insuffisamment caractérisée », la justice ne trouvant aucun intérêt à agir du côté des plaignants, considérant que ces associations n’avaient pas pour mandat la lutte contre la corruption.
8En décembre 2008, les organisations reviennent à la charge avec le dépôt d’une seconde plainte visant les mêmes dirigeants, avec cette fois pour partie civile une organisation de lutte contre la corruption : Transparency international France (TIF). Entre le mois de mai de l’année 2009 et le mois de novembre 2010, la bataille judiciaire se concentre sur l’enjeu de la recevabilité de la plainte qui ouvrirait une instruction judiciaire, avec à terme l’éventualité d’un procès. C’est ce qui advient lorsque la Cour de cassation juge recevable la plainte déposée par TIF. Il s’ensuit une série d’épisodes médiatiques dont le retentissement agite le monde diplomatique et suscite une effervescence particulière dans l’opinion publique en France et en Afrique.
9En septembre 2011, puis en février 2012, les juges en charge de l’instruction du dossier ordonnent la saisie spectaculaire de certains biens acquis par le fils du dirigeant équato-guinéen en France. Un mandat d’arrêt international est d’ailleurs émis contre Teodorin Nguema Obiang à l’été 2012. Mais le dirigeant guinéen n’est pas le seul à voir ses biens saisis ; il en va de même pour des membres de la famille du président congolais Denis Sassou Nguesso entre juillet et août 2015 et pour des proches du désormais défunt Omar Bongo en avril 2016. Le point culminant de cette bataille judiciaire semble être l’imminence d’un procès en France impliquant la comparution du vice-président de la Guinée équatoriale19.
10La démarche est inédite. Jamais des organisations de la « société civile » se revendiquant de l’anticorruption n’ont mené une telle action avec succès en France. Cela est d’autant plus vrai qu’il s’agit d’un point sensible de la politique étrangère de l’État français, à savoir les relations tumultueuses qu’il entretient avec l’Afrique en général et ses anciennes colonies en particulier20.
Éléments de socialisation et déterminants de l’action dénonciatrice
11La dénonciation des BMA doit beaucoup à Jean Merckaert, coauteur des deux rapports du CCFD. On ne saurait saisir les tenants de son action si l’on ne se penche pas sur son parcours personnel. Au moment où il publie ce document de travail, il est salarié de l’organisation (CCFD) et s’occupe de la coordination de la plate-forme paradis fiscaux et judiciaires (PFJ21). C’est de là que lui vient l’idée de produire un document permettant de saisir de manière concrète la fuite des capitaux du Sud vers le Nord. Cependant, son orientation professionnelle au sein d’une organisation confessionnelle n’est pas anodine : elle est en adéquation avec les éléments qui ont forgé sa socialisation militante.
12Né en 1976 dans le Nord de la France, Jean est élevé dans le respect des principes de la religion catholique. Il s’intéresse très tôt aux questions de solidarité et d’aide aux pays pauvres. Il faut dire que son environnement familial est propice à l’émancipation de sa réflexion sur les enjeux et la nécessité d’agir en faveur des plus défavorisés. En effet, il baigne dans la dénonciation car plusieurs membres de sa famille, dont son oncle et sa mère, sont des militants actifs au sein de l’association Survie :
C’est-à-dire que je suis un peu tombé là-dedans quand j’étais petit, avec un tonton hyper investi là-dedans, ma maman était présidente de Survie Nord. Moi j’avais proposé quand j’avais 13-14 ans qu’on crée Survie jeunes22 (rire).
13L’association Survie — il faut le rappeler — se situe sur une ligne radicale dans le champ de la solidarité internationale. Depuis 1994, son objet évolue vers ce qui a été ensuite conceptualisé comme la partie immergée de la politique française en Afrique. L’instigateur de cette « radicalisation », François-Xavier Verschave (oncle de Jean Merckaert), est un ancien coopérant, déçu par l’inefficacité des politiques de développement et ce qu’il considère comme la « face cachée de l’iceberg ». Il devient, comme nous l’évoquions plus haut, la figure emblématique de l’association et un auteur prolifique en matière de « transparence » dans les rapports France-Afrique23. Héritier de cette dénonciation, Jean Merckaert s’engage dans l’association, d’abord en y effectuant des petites tâches auprès de son oncle, ensuite en y adhérant une fois devenu étudiant. Il occupe par la suite le poste de secrétaire de l’organisation. Cette position le place au cœur du fonctionnement de la structure, constituant ainsi le fondement de sa socialisation militante.
Dès les années 80 où j’étais pas très vieux, j’avais des affiches… et puis quand je suis devenu étudiant, j’ai adhéré officiellement, et puis je suis devenu même secrétaire euh… j’étais au bureau de Survie, j’étais secrétaire de l’association. En 1996, j’ai créé Survie Science Po à Paris24.
14Diplômé de Science Po, il part étudier le développement à l’université de Brighton. Son parcours universitaire et ses choix professionnels ultérieurs ne sont pas sans lien avec ces années passées au sein de l’association et avec un contexte familial propice à l’engagement. Il intègre d’ailleurs les « manières de faire » de son oncle, qui se démarque par son attrait pour l’interpellation ad hominem. Celle-ci constitue l’identité remarquable du discours de l’organisation et contribue à sa marginalisation relative au sein de l’espace de la solidarité internationale :
Sur ces préoccupations-là, citer les noms c’est hors de la culture de… au CCFD par exemple, on ne donne pas les noms en général, c’est un peu un hasard si on en est arrivé là. Ce n’est pas dans leur habitude du côté du CCFD, du Secours catholique, de Médecins du monde, de MSF [Médecins sans frontières]… dénoncer des mécanismes et pas des personnes physiques. Là-dessus je pense là-dessus j’ai été influencé par mon oncle ! dans ses bouquins, F.-X. Verschave il cite25 !
15C’est d’ailleurs dans cette logique que le rapport sur les BMA est produit. Il s’agit de donner des éléments concrets sur la fuite des capitaux si souvent décriée. Le rapport dresse une liste de dirigeants et des estimations d’avoir détenus dans les pays occidentaux.
Parcours professionnel et autres engagements
16L’aventure au sein du CCFD dure sept ans (2003-2010). Jean Merckaert s’insère à nouveau professionnellement au sein d’une organisation confessionnelle en tant que rédacteur en chef de la revue Projet. C’est en effet toujours au sein d’une organisation catholique (jésuite), le Centre de recherche et d’action sociale (CERAS) que se concrétise, en cohérence avec sa foi et ses choix militants, son intérêt pour les questions de justice. Après le lancement de l’affaire des BMA, il rejoint Sherpa, une petite association de juristes (nous y reviendrons) et se montre en outre actif au sein de réseaux transnationaux de promotion de la démocratie dans les pays d’Afrique, avec la campagne Tournons la page26.
17Si Jean Merckaert est un personnage central dans le dossier des BMA, il n’est cependant pas le seul. D’autres personnages qui ont la compétence juridique en partage viennent compléter le tableau de l’anticorruption non gouvernementale. Il y a, pour une part, des acteurs qui concilient activité professionnelle et engagement militant, et, de l’autre, des dénonciateurs dont le travail se confond avec l’expression d’un engagement anticorruption. Il est important de rappeler l’émergence au plan international de règles de plus en plus précises concernant la « transparence », d’abord dans le monde économique, ensuite dans l’espace politique international27. Ce mouvement participe de la fabrication et de la diffusion d’un système de normes et de valeurs orientant les choix des décideurs. C’est le résultat d’un processus qui reflète « la volonté de divers acteurs (au sein de gouvernements, d’organisations internationales ou encore d’associations transnationales) de diffuser des valeurs et croyances et d’élargir le réseau — « la communauté » — de ceux qui s’y réfèrent28 ». La lutte contre la corruption est de ce fait élevée au rang de nouveau paradigme des relations internationales29. Elle s’illustre à la fois par :
[…] la variété des formes et leur universalité. Rien n’est plus universel que l’ingérence ou le trafic d’influence ou le détournement de fonds. Pourtant, à partir de ces schémas relativement standardisés, la corruption fait preuve d’une incroyable capacité à s’épanouir dans tous les contextes30.
De la défense des droits de l’homme à l’anticorruption : parcours d’un « avocat de cause31 »
18William Bourdon est né en 1956 à Neuilly-sur-Seine. Issu de la bourgeoisie industrielle française, il est le fils de Philippe Bourdon, célèbre ingénieur et industriel français, petit-fils de Pierre Bourdon lui aussi ingénieur et chef de l’entreprise Michelin fondée par son arrière-grand-père, l’industriel Édouard Michelin. Une scolarité brillante dans des établissements prestigieux lui permet d’allier à son « capital économique » un « capital culturel » conséquent. William Bourdon fait des études de droit : licence de droit public à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en 1978, diplôme de l’Institut d’études politiques de Paris la même année ; il obtient une maîtrise de droit privé en 1979. Il est lauréat du concours de la conférence du stage de l’ordre des avocats de Paris en 1981. Il embrasse alors une carrière d’avocat au sein du barreau de Paris où il collabore entre autres avec Philippe Lemaire32. Il est proche d’associations d’aide aux étrangers irréguliers, notamment la CIMADE33, pour laquelle il intervient en qualité d’observateur en 1992. La question des droits de l’homme s’invite tôt dans son parcours, puisque très vite il se confronte aux questions relatives aux droits humains. Initié à la question par Me Lemaire, son intérêt se prolonge au-delà de son activité d’avocat, puisqu’il rejoint la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) en qualité de secrétaire général adjoint (1994-1995), puis secrétaire général de 1995 à l’an 2000. Il s’inscrit en défenseur des faibles contre les puissants, et son action qui associe militantisme et exercice de la profession juridique le classe dans la catégorie des cause lawyers34. Il est l’initiateur des premières procédures engagées en France contre certains responsables de crimes « contre l’humanité », notamment dans les cas serbe et rwandais. On le rencontre également dans la défense des familles franco-chiliennes victimes du régime d’Augusto Pinochet et dans celle de certains détenus français de la prison de Guantánamo. Son activité professionnelle est très clairement orientée vers la dénonciation des « puissants ». C’est précisément au contact de ces questions et fort d’une expérience conséquente qu’il s’engage dans la voie de la construction d’une jurisprudence internationale en matière de « crime économique ». En octobre 2001, il fonde l’association Sherpa, dont l’objet est de « défendre les victimes de crimes commis par des opérateurs économiques35 ». Il en est actuellement le président. L’association a été créée concomitamment à la mise en place de la Cour pénale internationale (CPI) qui a vocation à juger les « crimes pénaux les plus graves » :
Sa réflexion à ce moment-là a été qu’au niveau économique il n’y a aucune instance qui permettait d’appréhender les enjeux de la mondialisation, il y a eu toute une criminalité qui s’est développée dans le milieu économique avec les échanges, et que rien ne permet de traiter encore aujourd’hui… c’est très marginal, donc il a créé Sherpa pour pallier ce vide juridique, pour mettre un terme à ces nouvelles formes d’impunité36.
19La proximité qui existe entre l’univers des droits de l’homme et les questions de développement des pays du Sud, dont l’enjeu le plus récent est l’anticorruption internationale, offre une voie pertinente à l’action des défenseurs des droits de l’homme37. Il en va ainsi pour William Bourdon, dont l’action se situe à l’intersection entre ces deux domaines. Le tournant judiciaire de l’affaire des BMA est d’ailleurs le fait de cet avocat pénaliste. Il contribue grandement à la traduction en des termes juridiques du phénomène décrit dans le rapport du CCFD. Il est utile de remarquer que Bourdon, en cohérence avec ses engagements dans la justice internationale, s’intéressait déjà à la question des immunités des chefs d’État38 :
L’immunité d’un chef d’État, même s’il est encore en fonction, doit céder devant les plus grands crimes internationaux. L’article sept du statut du tribunal de Nuremberg ne disait d’ailleurs pas autre chose. Le procureur Robert Jackson avait écrit à l’époque : « Nous ne pouvons accepter le paradoxe que la responsabilité pénale devrait être la plus faible alors que le pouvoir est le plus grand ». La résistance de certains États sera très forte, mais vous verrez qu’on y viendra aussi. Car il y a aujourd’hui une grande vague porteuse contre l’impunité des bourreaux39.
20Ce spécialiste du droit des affaires, des médias et du droit pénal est aussi un personnage médiatique, intervenant dans les médias les plus variés en France et à l’étranger. William Bourdon est présenté comme un « avocat humaniste de gauche ».
Des professionnels de l’anticorruption non gouvernementale
21Chez certains acteurs, la lutte contre la corruption s’inscrit dans des trajectoires militantes et se lie intimement aux activités professionnelles. Nous souhaitons mettre en lumière ici la dimension du militantisme qui :
[…] se distingue de la simple adhésion, qui connote une pure passivité, et du travail rémunéré à titre professionnel. Cependant, chez le permanent recruté sur la base de ses affinités politiques la frontière entre l’activité salariée et l’activité proprement militante redevient indécise40.
22Nous avons rencontré un certain nombre d’acteurs de ces organisations afin de retracer leurs trajectoires et de comprendre quelles sont les compétences mobilisables et comment ils intègrent le secteur de l’anticorruption et partant, s’attaquent à la question des « biens mal acquis ». Deux catégories d’acteurs se côtoient, les membres du conseil d’administration et les salariés de l’organisation41. Observons quelques parcours.
Éric Alt, magistrat et engagé auprès de plusieurs organisations anticorruption
23Magistrat engagé dans la lutte contre la corruption, il est auteur de deux ouvrages sur le sujet42. Il est successivement substitut du procureur, magistrat à l’administration centrale de la justice, à la direction des affaires civiles et du sceau entre 1993-1998 et 2000-2003. En charge des questions d’environnement, d’urbanisme et de propriété comme conseiller au ministère de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire (1998-1999), il rejoint le tribunal de grande instance de Paris en tant que vice-président de la chambre spécialisée dans le droit pénal économique, et ensuite la Cour de cassation, où il travaille sur la procédure avant de se dédier aux questions sociales (2003-2007). Il intègre dans la foulée le syndicat de la magistrature dont il devient le vice-président (2003-2006), cumulant ainsi divers engagements dans des organisations de la société civile. Il est notamment délégué de MEDEL (Magistrats européens pour la démocratie et les libertés) et vice-président de l’organisation Anticor. Il siège en outre au conseil d’administration de l’association Sherpa. Son expérience ministérielle en tant que conseiller lui a permis de se consacrer à des dossiers concernant les questions environnementales et plus précisément celles relatives à la législation sur le nucléaire, toutes choses qui le familiarisent aux modes d’actions des ONG plus aguerries aux revendications dans ces domaines que leurs semblables en matière de lutte contre la corruption. Son engagement en faveur de l’anticorruption aura précédé cependant ses expériences ministérielles. Jugeant lacunaires les changements législatifs relatifs à la lutte contre la corruption qui sont survenus en France dans la décennie 1990, il rédige avec une collègue magistrat, dans un élan militant, un ouvrage sur le sujet en 199743. L’expérience de l’écriture de ce livre lui a permis d’asseoir sa connaissance à ce sujet, mais aussi d’intégrer des réseaux de lutte contre la corruption et de participer à la formation voire la consolidation de structures dans l’anticorruption :
Je faisais partie du comité de parrainage à l’époque, il a été décidé dans l’association de fondre les amis d’Anticor et la petite association d’élus qui étaient le noyau dur pour constituer Anticor44.
24C’est dans cet univers de l’anticorruption associatif qu’il rencontre William Bourdon, avocat et fondateur de l’association Sherpa, organisation au cœur du dossier des BMA.
Maud P., ancienne directrice de l’association Sherpa qu’elle quitte en mai 2013
25Juriste de formation, elle fait ses débuts auprès de Global Witness, une ONG britannique qui promeut la protection de l’environnement et la défense des droits de l’homme. S’intéressant au lien entre exploitation des ressources naturelles, corruption et conflits, elle y travaille sur des programmes opérationnels. Souhaitant mettre davantage à profit ses compétences juridiques, elle décide de rentrer à Paris où elle croise le chemin de l’association Sherpa par l’intermédiaire de Global Witness :
Je suis rentrée à Paris et j’ai commencé à collaborer avec Sherpa. C’est par l’intermédiaire de Global Witness que je suis rentrée en contact avec Sherpa. Ils avaient un dossier en commun à l’époque qui portait sur le bois de la guerre au Liberia, qui est une plainte portée par Sherpa. Au départ, je travaillais sur ce dossier du bois de la guerre au Liberia, et progressivement j’ai travaillé sur l’affaire des BMA au même moment où la plainte initiale a été déposée. Et je me suis intéressée au dossier et je me suis mise à bosser dessus45.
26Elle devient la personne ressource sur la question des BMA, puisqu’elle s’en occupe jusqu’à son départ de l’association en mai 2013. Aujourd’hui consultante internationale sur les questions de lutte contre la corruption et les avoirs illicites, elle collabore avec des organisations de la société civile en tant qu’indépendante.
Marina Y., en charge des flux financiers illicites chez Transparency international France
27Juriste spécialisée dans le droit international, elle débute dans l’univers des droits de l’homme en Europe, puis en Afrique. Après un bref passage à la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) aux Nations Unies et en Ouganda :
J’étais en stage à Genève et en Ouganda, c’était une forme de volontariat, disons que TIF c’était mon premier vrai CDI46.
28Elle intègre TIF, riche de cette expérience africaine dans le domaine des droits de l’homme ; son arrivée correspond à l’entrée de l’association dans le dossier des BMA. Ses compétences juridiques lui permettent de suivre la ratification des conventions internationales dans les domaines des flux illicites d’argent et de la lutte contre le blanchiment, ainsi que le programme contre les paradis fiscaux. L’essentiel de son travail repose sur le suivi de ces instruments internationaux et sur le dialogue avec les institutions publiques afin de rendre applicables et effectifs les engagements des pouvoirs publics en la matière. Cependant, il existe une division du travail au sein de l’organisation qui veut que l’expertise en matière de lutte contre la corruption et de flux financiers illicites se situe du côté de certains membres du conseil d’administration, dont les expériences en tant qu’avocats, magistrats ou hauts fonctionnaires justifient la légitimité à traiter certains dossiers :
Notre conseil d’administration est composé de personnes qui sont toutes expertes du sujet […] c’est-à-dire anciens avocats, magistrats… hauts fonctionnaires, que des gens qui connaissent très bien le fonctionnement des institutions, la lutte contre la corruption, les flux financiers illicites, qui ont une vraie expertise sur ce sujet ! Et qui du coup sont capables de faire des propositions précises, et nous du coup notre objectif c’est d’aller voir les dirigeants, les députés, les sénateurs, les ministres, et leur dire « voilà selon nous ce qu’il faudrait faire pour améliorer la situation », voilà concrètement, c’est pour ça qu’on travaille aussi beaucoup vis-à-vis du G8, vis-à-vis du G20, toutes les instances de décision en fait ; vis-à-vis de l’OCDE, vis-à-vis des Nations unies…
Sophia L., ancienne déléguée générale de l’association Sherpa
29Diplômée de droit et de science politique, elle travaille très tôt dans l’univers des droits fondamentaux, notamment sur les questions de droit des étrangers. Après avoir renoncé à des études de chinois, elle se dirige vers la science politique où elle côtoie en parallèle de ses études le monde professionnel. D’origine marocaine, elle y voit l’une des raisons principales de son attrait pour l’aide aux étrangers et le respect des libertés fondamentales :
Donc ça c’était assez intéressant, mais du coup moi je m’étais professionnalisée bien avant, pendant la fac, en travaillant en droit des étrangers parce que c’était ça qui m’intéressait, c’était les libertés fondamentales. L’applicabilité des textes, l’appréhension des textes en tout cas en droit administratif, en droit pénal, sur la protection des droits des étrangers munis d’un titre ou pas et des demandeurs d’asile47.
30Ce contact avec le monde du travail et précisément les administrations en charge des problèmes liés aux migrants s’avère salutaire, car elle peut faire valoir ses compétences juridiques et se constituer un réseau professionnel. Elle obtient des postes successifs dans des organisations en lien avec les droits humains et les droits fondamentaux, d’abord en tant que simple salariée, ensuite en tant que directrice48. Au bout de quatre années à la direction du Comité contre l’esclavage moderne (CCEM), elle le quitte et s’engage dans le monde du consulting. Elle travaille pour Lexis Nexis et participe à la création du site Droit contre la traite, ce qui la mène à être contactée pour rejoindre l’association Sherpa en tant que directrice :
Des directeurs qui ont une formation juridique, qui connaissent le droit, on est je crois dix en France et encore… Sherpa et le CCEM c’est deux types de structures assez proches. Sherpa, parce qu’elle a en son sein des juristes et des avocats, ça on n’est pas nombreux à le faire ! Donc j’ai pris ce poste et là j’en repars dans deux mois…
31La galerie de portraits ainsi esquissée a vocation à mettre en évidence les parcours et les propriétés sociales des acteurs qui ont permis de rendre effective la dénonciation des BMA. Le succès de cette entreprise doit donc beaucoup à l’ancrage profond de certains acteurs dans l’univers de la solidarité internationale, embrassant dès le plus jeune âge les problématiques liées aux relations Nord/Sud, à l’expérience des uns et des autres dans la défense des droits de l’homme, aussi et surtout dans l’usage de l’arme juridique qu’ils ont en partage comme élément de légitimation d’une action dénonciatrice. Détenteurs d’un capital culturel important (juristes de formation), ces partisans de la transparence évoluent dans l’univers associatif soit en tant qu’acteurs multi positionnés (ayant une profession par ailleurs), soit en intégrant à leur activité professionnelle la variable militante (avocat de cause), soit enfin en posant les jalons de la professionnalisation d’une anticorruption non gouvernementale en France.
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32La mise à jour de phénomènes de flux financiers et de détention de patrimoine de dirigeants africains sur le territoire français est une tâche périlleuse en raison des enjeux diplomatiques, de la capacité à mettre en marche l’action publique dont il faut faire preuve comme de celle, surtout, à supporter les coûts/coups. Le cas des BMA des dirigeants africains en France est révélateur de la prise en charge de la dénonciation par des acteurs issus des milieux de la solidarité internationale et des droits de l’homme, qui ont importé leurs manières de faire et leur usage offensif du droit dans la lutte. Ils ont en partage la compétence juridique qui permet d’asseoir leur légitimité individuelle et collective au sein du champ de l’anticorruption internationale, et de plus en plus au niveau national49. La perspective jurisprudentielle qu’offre dès lors l’action contre les BMA permet d’inscrire durablement dans leur « répertoire d’action » la plainte au nom d’un intérêt à agir contre des atteintes à la probité, quel que soit l’accusé. Les caractéristiques de ces acteurs nous renseignent ainsi sur ces artisans d’un « militantisme par conscience50 » insérés dans des parcours professionnels et artisans de l’institutionnalisation d’un secteur très peu investi par les acteurs non gouvernementaux en France.
Bibliographie
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Références bibliographiques
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Notes de bas de page
1 Luc Boltanski, 1993, p. 91.
2 Pour une histoire du développement, voir Gilbert Rist, 2007.
3 Concernant la question de la formation de l’État dans le Tiers-monde et son évolution, voir Robert H. Jackson, 1990 ; voir également, au sujet du patrimonialisme, les travaux de Shmuel Noah Eisenstadt, 1972 et l’apport de Jean-François Médard, 1991. On pense aussi aux travaux de Jean-François Bayart, 1989.
4 Voir à ce propos Jean-Louis Briquet et Frédéric Sawicki, 1998.
5 Jean-Louis Briquet, Philippe Garraud (dir.), 2001.
6 Pascal Dauvin, Johanna Siméant, 2002.
7 Deux des plus emblématiques sont l’affaire « Carrefour du développement » qui impliqua le ministre délégué à la Coopération français dans une affaire de détournement de fonds publics dans les années 1980 et l’affaire « Elf », dans les années 1990 ; cette entreprise, réputée être le « bras séculier » de l’État français, abritait un système complexe de clientélisme et de partage de revenus du pétrole entre les responsables politiques français et africains.
8 Idée développée par Jean-François Obiang dans son ouvrage France-Gabon. Pratiques clientélaires et logiques d’État dans les relations franco-africaines, 2007.
9 Forgé par François-Xavier Verschave, personnage emblématique de l’association Survie, qui lutte pour une réforme de la politique africaine de la France, nous y reviendrons.
10 En témoignent les déclarations de l’ancien président de la République française Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur en mai 2006, qui entendait « construire une relation nouvelle, assainie, décomplexée, équilibrée, débarrassée des scories du passé et des obsolescences qui perdurent de part et d’autre de la Méditerranée » (extrait de la « déclaration de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, sur la démocratie au Bénin et sur l’établissement de nouvelles relations entre la France et l’Afrique, Cotonou le 19 mai 2006 », voir le site Vie publique, section discours.vie-publique.fr).
11 Référence est faite ici au travail du journaliste français Pierre Péan qui publie, dès 1983, Affaires africaines.
12 Les acteurs retenus le sont en raison de leur proximité avec la dénonciation des BMA, soit en tant qu’instigateurs, soit pour avoir rejoint la cause par le biais d’alliances. Le matériau utilisé repose essentiellement sur un corpus d’entretiens réalisés entre le printemps 2012 et l’automne 2015.
13 Frédéric Sawicki, 2003.
14 C’est en effet l’idée que « la rébellion contre les autorités est en partie dépendante d’un sentiment d’injustice qui définit l’action d’un système d’autorité comme inique et justifie en même temps le recours à des modes d’action non conformes à ce système » (Olivier Fillieule, 1993, p. 38).
15 Luc Berlivet, Frédéric Sawicki, 1994.
16 Xavier Harel, Thomas Hofnung, 2011, p. 15
17 Rapport intitulé Biens mal acquis profitent trop souvent : la fortune des dictateurs et les complaisances occidentales ; une seconde version du rapport parut en juin 2009 avec pour titre Biens mal acquis. À qui profite le crime ?.
18 Organisations qui ont pour mandat respectivement la lutte contre la criminalité économique, la réforme de la politique étrangère de la France en Afrique, la lutte contre le pouvoir répressif de Brazzaville.
19 Initialement prévu début janvier 2017, le procès a été reporté au mois de juin 2017.
20 Sur ces questions, voir la controverse sur l’influence de la France en Afrique et notamment les écrits de Antoine Glaser et Stephen Smith (2005) en réponse à l’idée que la France continuerait d’étendre son emprise sur son ancien pré carré.
21 Il s’agit d’un regroupement d’organisations de la société civile française issues de différents univers (syndicats, ONG de développement, associations de lutte contre la corruption, organisations confessionnelles et environnementales). La PFJ a pour but de « réduire l’opacité financière, lutter efficacement contre l’évasion fiscale et financer durablement le développement ».
22 Propos recueillis lors d’un entretien réalisé avec Jean Merckaert en mars 2012.
23 Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont La Françafrique, le plus long scandale de la République (1999) et Noir Silence (2000). Ce dernier lui vaut un procès intenté par des chefs d’États africains au motif d’offense à chef d’État pour des passages jugés diffamatoires, procès dans lequel il a gain de cause.
24 Entretien avec Jean Merckaert, mars 2012.
25 François-Xavier Verschave, 1999 ; 2000.
26 C’est une campagne lancée par une coalition d’organisations africaines et européennes, qui a pour but de « promouvoir l’alternance » au pouvoir dans les pays africains. Elle est active dans sept pays africains à ce jour (Burundi, Cameroun, Congo, Gabon, Niger, RDC, Tchad).
27 Voir Pierre Lascoumes, Corruptions (1999) sur l’émergence des normes internationales en matière de lutte contre la corruption impulsées par les États-Unis au sein de l’OCDE.
28 Gilles Favarel-Garrigues et al., 2009, p. 10.
29 Pascal Boniface, 2016.
30 Jean-Louis Rocca, 1993.
31 Expression employée par Lucien Karpik et Terence Halliday, 2001.
32 Célèbre abolitionniste français décédé en juillet 2011, connu pour avoir été un artisan aux côtés de Robert Badinter de l’abolition de la peine de mort en défendant Roger Bontems, l’un des deux « assassins de Clairvaux ».
33 Le Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) est une association créée dans les années 1930 dont l’objet a évolué vers la protection des étrangers.
34 Cette expression — qui se traduit littéralement par « avocat des causes » — est inspirée des travaux d’Austin Sarat et Stuart Scheingold (1998). Elle manifeste la volonté d’articuler droit, mouvements sociaux et exercice de la profession juridique ; voir à ce sujet l’article de Liora Israël (2001).
35 Le premier fait d’armes de l’association est le combat remporté contre la multinationale Total en Birmanie, contrainte de créer des projets sociaux et d’indemniser des travailleurs locaux.
36 Propos recueillis lors d’un entretien réalisé au printemps 2012 avec Rachel Leenhart, à l’époque chargée de communication à l’association Sherpa.
37 Le dernier élément est la convention des Nations unies contre la corruption dite de Mérida (2003), ratifiée par la France, qui préconise la restitution des avoirs détournés.
38 Il est déjà présent dans le procès pour « offense à chef d’État » tenu en l’an 2000 en France à l’endroit de F. X. Verschave ainsi que dans celui d’Hissène Habré, ex-président du Tchad, en tant qu’avocat des victimes. Cela marque son engagement dans la lutte contre « l’impunité ».
39 Déclarations de William Bourdon à propos de la justice pénale internationale et plus précisément de la question de l’immunité des chefs d’État dans un article du journal La Croix daté du vendredi 3 août 1999.
40 Guy Hermet et al., 2000, p. 170.
41 Les comités d’administration de ces organisations (Sherpa et TIF) regorgent d’avocats, de juges en activité ou retraités, d’anciens hauts fonctionnaires ayant tous en commun d’avoir une expérience significative dans le domaine des droits humains ou de la lutte contre la délinquance. Ils ne sont pas des salariés de l’organisation mais apportent leur expertise dans la constitution des dossiers.
42 Voir Éric Alt, Irène Luc, 1997 ; Éric Alt, 2012.
43 Éric Alt, Irène Luc, 1997.
44 Entretien avec Éric Alt réalisé le 28 juin 2014.
45 Entretien réalisé le 2 juin 2014.
46 Entretien réalisé en juin 2012.
47 Entretien réalisé le 14 mai 2014.
48 C’est le cas pour l’Office français des réfugiés apatrides (OFPRA) où elle a travaillé en tant qu’officier de protection pendant trois ans.
49 En témoignent les multiples sollicitations dans le travail législatif en France ; cf. les textes sur la transparence de la vie publique adoptés en 2013 en France ainsi que la possibilité pour des organisations de lutte contre la corruption d’ester en justice (article 1er de la loi no 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière — article 2-23 du Code de procédure pénale autorisant toute association agréée déclarée depuis au moins cinq ans à exercer les droits reconnus à la partie civile en matière d’atteinte à la probité énumérés audit article. Il s’agit là de la jurisprudence dite des « biens mal acquis »).
50 Proche du « militantisme moral » dont parle Emmanuelle Raynaud (1980) ou encore de la mise au service d’une cause qui ne les concerne pas directement d’un « savoir-faire militant » et de « ressources personnelles », voir Érik Neveu, 1996.
Auteur
Doctorant en science politique à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et rattaché au Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP). Sa thèse porte sur les mobilisations en France autour de l’affaire des « biens mal acquis » des dirigeants africains.
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