Chapitre V
De nouvelles logiques de structuration des réseaux (xiiie-xve siècle)
p. 161-217
Texte intégral
1Les transformations survenues au cours du xie-xiie siècle modifient radicalement les réseaux d’échanges au sein desquels s’insère le Maghreb, et placent définitivement les ports au cœur des relations commerciales, mais aussi des compétitions politiques et économiques, à l’échelle aussi bien maghrébine que méditerranéenne. Un des paradoxes de cette période est que l’ouverture de la région à des réseaux étendus très largement permet un développement des ports, mais s’accompagne en même temps d’un déplacement des pôles d’impulsion du commerce vers le nord et d’une marginalisation des acteurs issus du monde musulman, qui avaient été les principaux animateurs des réseaux durant la période précédente. Ce changement a des conséquences importantes, à partir du moment où les impulsions viennent désormais d’ailleurs, et que l’activité des ports et donc leur hiérarchie au sein de l’espace maghrébin dépendent en grande partie des besoins des marchands latins, et notamment de leur demande en produits exportés. Il en résulte une compétition entre les ports, mais aussi pour le contrôle de ces débouchés maritimes qui sont devenus des pôles essentiels de l’espace maghrébin.
I. — La perte du contrôle des réseaux d’échanges maritimes par les acteurs maghrébins
2Confirmant une évolution du xie-xiie siècle, l’espace de relations des ports maghrébins est donc désormais centré principalement sur la Méditerranée occidentale, avec des réseaux dont les pôles sont clairement situés au nord, dans les grands ports d’Italie et de la couronne d’Aragon surtout. Un des changements majeurs, qui avant le xiie siècle s’esquisse seulement, est le remplacement des acteurs du monde musulman par ceux du monde chrétien dans les échanges maritimes en Méditerranée. C’est un fait bien connu, et même si le constat demande à être nuancé1 il s’agit d’une tendance fondamentale qui explique en grande partie la reconfiguration des réseaux d’échanges à cette époque, et leurs évolutions ultérieures.
3La première raison de ce changement réside bien sûr d’abord dans le développement de la puissance commerciale et navale des Latins, à partir du xie siècle, qui permet à ces derniers de maîtriser des réseaux d’échanges vastes et articulés, couvrant l’Europe chrétienne, la Méditerranée jusqu’en Orient et les côtes atlantiques. Cette expansion a été suffisamment étudiée, pour les principaux ports de l’Europe méridionale, pour qu’il ne soit nécessaire d’y revenir ici. Les causes du recul des acteurs du monde musulman2 dans les échanges maritimes en Méditerranée sont plus difficiles à évaluer3. L’existence d’un milieu marchand prospère est attestée dans les ports du Maghreb, même s’il est peu visible dans les sources arabes qui mentionnent surtout les hommes de pouvoir et de religion4. C’est donc souvent de manière incidente qu’apparaissent des individus impliqués dans le commerce. Le premier indice de leur importance est le rôle que l’on devine être le leur dans certains mouvements d’autonomisme urbain dans les ports5. L’étude des élites urbaines de Ceuta menée par Halima Ferhat montre par ailleurs, au moins jusqu’au xiiie siècle, leur puissance et leur place dans la société6. Quelques exemples, certes peu nombreux, signalent également des affaires florissantes ayant permis de bâtir de grosses fortunes. Le réseau marchand mis en place par les frères Maqqarī au milieu du xiiie siècle, s’il est surtout orienté vers le commerce saharien et ne présente apparemment pas de dimension méditerranéenne, dénote d’une puissance financière réelle7. Enfin, c’est un peu une évidence, si les Italiens ou les Catalans venaient en si grand nombre dans les ports maghrébins, c’est qu’ils y trouvaient des partenaires commerciaux susceptibles de leur acheter leurs biens et de leur vendre ce qu’ils venaient chercher. Cela suppose donc l’existence d’un milieu marchand et de réseaux d’acheminement de ces produits vers les ports. Les lettres de marchands tunisois, envoyées vers 1200 à leurs partenaires pisans après un incident survenu dans le port de la capitale hafside qui les a fait fuir8, mentionnent ainsi des transactions pour des montants qui sont loin d’être négligeables et suggèrent des opérateurs économiques d’une réelle envergure9. Pourtant, les Maghrébins ont laissé les Latins prendre en charge une grande partie du commerce maritime, et les mêmes lettres insistent fortement pour voir revenir les Pisans, vantant les grandes qualités du marché de Tunis, ce qui souligne une forte dépendance vis-à-vis des navires chrétiens pour écouler leurs marchandises, principalement des cuirs. L’effacement de la flotte de commerce maghrébine est en effet frappant. Des navires musulmans sont toujours signalés, souvent à l’occasion de faits de piraterie ou dans des cas plus rares de copropriété avec des chrétiens10, et les constructions navales comme les ventes de navires chrétiens dans les ports du Maghreb sont bien attestées11. Leur rayon d’action reste cependant limité pour l’essentiel à la Méditerranée occidentale, ce qui ne veut pas dire qu’il se résume à un petit commerce de cabotage à faible distance : il n’est pas rare de voir des navires reliant les principaux ports de la région, notamment entre les sultanats abdelwadide et hafside. En revanche, la présence de navires maghrébins en Méditerranée orientale est exceptionnelle dans la documentation, et il n’est pas douteux que si elle avait été plus importante cela se verrait dans la correspondance diplomatique liée aux faits de piraterie12.
4Si les marchands et les navires maghrébins n’ont donc pas disparu de Méditerranée, il n’en demeure pas moins qu’apparaît une différence de niveau et surtout une forte dissymétrie entre les acteurs maghrébins et européens. Autant il est relativement courant de voir des musulmans ou leurs marchandises sur des navires chrétiens, autant l’inverse est exceptionnel13. Surtout, les Maghrébins sont très rares dans les ports du sud de l’Europe. Ils sont présents à Majorque et Valence, ainsi qu’au Portugal ou en Sicile au xve siècle14, mais presque jamais ailleurs15. Ceux qui sont impliqués dans le commerce appartiennent le plus souvent à des groupes intermédiaires qui ont constitué des réseaux marchands liés à des diasporas, ou à des hommes de pouvoir qui tirent avantage de leur position politique pour investir dans le commerce international. Les juifs, qui ont traditionnellement joué un rôle important dans les échanges en Méditerranée et dans le monde musulman, voient leur place reculer par rapport à l’époque de la Geniza, mais sont toujours très actifs malgré les persécutions qui les frappent périodiquement en Europe et plus rarement au Maghreb. Les juifs marseillais sont ainsi très présents au xiiie siècle dans le commerce maghrébin, sans que l’on sache très bien s’ils nouent des relations d’affaires avec leurs coreligionnaires du sud16. On peut le supposer, mais les liens religieux ne sont pas forcément une raison suffisante pour motiver des affaires commerciales. En revanche les sources montrent davantage des réseaux liés à des migrations, parfois contraintes, de juifs européens vers le Maghreb. À partir de la fin du xive siècle notamment se constituent d’actives communautés juives andalouses dans les principaux ports africains, notamment dans le Maghreb central. Elles sont plus ou moins bien intégrées aux communautés locales, et les frictions ne manquent pas avec les nouveaux arrivants, qui semblent plus entreprenants comme le suggèrent les plaintes qui apparaissent dans les responsa rabbiniques17. Elles conservent des liens avec leurs coreligionnaires restés en Europe, ou avec les convers passés au christianisme avec plus ou moins de conviction, disposant par conséquent d’infrastructures sur les deux rives. Plus que l’appartenance à une même communauté religieuse, ce sont donc les liens (notamment familiaux) au sein de cette diaspora andalouse qui permettent la constitution de réseaux d’échanges. À cet égard, il faut éviter de parler d’un réseau juif mettant en relation les membres d’une communauté juive en Méditerranée. Il faudrait une enquête plus poussée pour mesurer la place qu’occupent dans ce grand commerce maritime les juifs « locaux » et analyser la configuration de ces réseaux en fonction des acteurs qui interviennent. Il n’est pas sûr, par exemple, que le réseau mis en place par les juifs entre la Sicile et l’Ifrīqiya orientale soit le même que celui des juifs andalous installés dans le Maghreb central, dans un espace orienté vers Majorque et Valence18, ni que les deux soient fortement connectés19. Le premier a une dimension régionale avec des échanges à courte distance, et est animé par des marchands d’envergure assez modeste, sauf dans le domaine du trafic d’esclaves20. Le second se déploie largement dans l’ensemble des ports du Maghreb, et implique de puissantes familles andalouses, juives mais aussi converties, dont l’importance économique est suffisante pour pousser les rois d’Aragon à prendre des mesures visant à favoriser leur immigration ou leur retour en terre chrétienne21. Viennent s’ajouter à cette dimension diasporique de leurs réseaux certaines compétences propres qui facilitent leur rôle d’intermédiaires entre chrétiens et musulmans. La connaissance des langues romanes et de l’arabe, dans le cas des juifs andalous et siciliens22, constitue à cet égard un atout important, comme leur familiarité avec les pratiques commerciales et les normes en usage de part et d’autre facilite leur insertion dans des réseaux à la fois maghrébins et européens. Enfin, alors que les Latins ne s’aventurent guère dans l’intérieur des terres au Maghreb et que les musulmans fréquentent peu les ports chrétiens, les juifs ont la possibilité de se déplacer dans tous ces espaces et sont moins contraints par la frontière que constitue le port pour les autres marchands.
5Une configuration semblable se retrouve avec la diaspora andalouse, qui joue un rôle essentiel dans les réseaux d’échanges, comme intermédiaire mais aussi comme opérateur économique majeur23. Le rôle des Andalous dans le grand commerce n’est pas lui non plus nouveau, et il avait même été essentiel dans la formation des premiers réseaux internes au monde musulman dès le ixe siècle24. L’avancée chrétienne poussa nombre d’entre eux sur la route de l’exil, à la fois dans ce qui restait des possessions musulmanes en péninsule Ibérique, au Maghreb, mais aussi en Orient25, formant un puissant réseau marchand26. Celui-ci partage certains caractères des réseaux juifs : liens, notamment familiaux, entre communautés dispersées ; présence à la fois dans le monde musulman et dans les royaumes chrétiens (mudéjars)27 ; connaissances des langues et des usages de part et d’autre. S’y ajoute une forte pénétration des milieux du pouvoir dans les villes maghrébines28, où leur savoir est reconnu notamment dans le domaine financier et fiscal, ce qui leur donne une place prépondérante dans les douanes, en contact direct avec les marchands chrétiens29. Cela leur permet de développer leurs affaires et d’occuper une place parfois prépondérante parmi les élites marchandes : lors de son passage à Tunis en 1462 ʿAbd al-Bāsiṭ est ainsi accueilli par le ḫawāǧā30 Abū l-Qāsim al-Bunyūlī al-Ġarnāṭī al-Andalusī, qui est le chef des commerçants de la ville31.
6En dehors de ces deux groupes, les principaux acteurs du commerce qui apparaissent dans les sources sont les hommes liés au pouvoir32. Là encore ce n’est pas un phénomène nouveau33 : sous les Fatimides l’ustāḏ Ǧawḏar possède ses propres navires avec lesquels il commerce notamment en Sicile, et des membres de la famille califale semblent également très engagés dans les affaires34. De même les documents de la Geniza mentionnent des navires appartenant à des émirs zirides ou des gouverneurs de villes maritimes et qui commercent avec l’Égypte ou la Sicile35. Il semble même que certains émirs aient cherché à se réserver un monopole des échanges maritimes36. Cette importance des hommes de pouvoir se maintient après le xiie siècle lorsque les Latins dominent le commerce maritime. Sans doute sont-ils plus visibles que d’autres dans les sources, notamment celles rapportant les plaintes pour faits de piraterie, qui prennent un relief particulier quand les intérêts du souverain ou de ses proches sont en jeu. Il n’en demeure pas moins que la fréquence des allusions à leur participation aux affaires commerciales, sur leurs propres navires ou sur des navires chrétiens, ne laisse pas de doute sur leur rôle. En 1250 le sultan de Tlemcen Yaġmurasān envoie ainsi dans la capitale catalane un ambassadeur, Abū ʿImrān, qui y vend 500 quintaux d’alun pour 3 500 besants au Barcelonais Ramón de Banyeres et achète des agrès (armamenta)37. En 1356 c’est un navire du Mérinide Abū ʿInān qui est pris par des pirates majorquins avec une cargaison de céréales (pour un montant de 15 000 dinars) et de fer38. Enfin en 1363 le sultan hafside possède la moitié d’une nave majorquine qui vient régulièrement commercer dans l’île39. On pourrait multiplier ainsi les exemples mettant en scène soit les souverains, soit de très hauts dignitaires, notamment les directeurs des douanes40.
7Cette place des hommes de pouvoir pose la question de la politique des souverains maghrébins vis-à-vis de ce commerce maritime, qui a suscité et continue susciter de nombreux débats41. Elle est liée à celle, plus discutée encore, du « déclin » du monde musulman42. Tout d’abord il ne semble pas que des monopoles aient été mis en place, du moins de manière durable, dans les ports maghrébins — rien de comparable en tout cas à la politique égyptienne pour l’alun43 ou plus tard les épices44. Les souverains agissent cependant comme acteurs économiques, notamment à travers la douane, qui est un organisme de prélèvement des taxes, mais qui intervient également comme agent des affaires commerciales du souverain. Ce que certains documents latins désignent sous le nom de curia, et qui n’est pas distingué de la douane45, effectue des opérations commerciales avec les marchands latins, comme en 1272 ces Génois qui achètent de l’alun à Bougie « a curia Buzee seu a nuncio regis seu curie Tunexi46 ». Le souverain jouit incontestablement d’une position privilégiée, qui a pu se traduire par une concurrence déloyale avec ses sujets. C’est d’ailleurs ce que dénonce Ibn Ḫaldūn, qui s’inspire sans doute de ce qu’il a connu dans les nombreuses cours maghrébines qu’il a fréquentées47. Mais le caractère relativement interchangeable de l’offre des différents marchés maghrébins48 rendait difficile toute tentative d’imposer un monopole sur le modèle égyptien.
8Là où en revanche les deux situations égyptienne et maghrébine se rejoignent, c’est dans la politique visant à faciliter la venue des marchands européens, notamment par les traités de paix qui garantissent leur sécurité, la liberté de leur commerce et la stabilité des taxes. Claude Cahen, à partir du cas de l’Égypte à l’époque d’al-Maḫzūmī, y a vu la manifestation d’une « économie de spéculation et d’acquisition » qui favorisait les importations des produits dont l’État et l’aristocratie avaient besoin, au détriment des exportations et de la production, politique qui était facilitée par les besoins des Italiens en alun et en épices qui permettaient d’équilibrer la balance commerciale49. Ses conclusions ont été reprises notamment par Mohamed Kably pour le Maghreb, où l’or a pu jouer le même rôle que les épices en Égypte50. Cette hypothèse peut aider à comprendre le recul de certaines productions (notamment artisanales) dans les pays d’Islam, où elles n’étaient pas stimulées par les exportations. Mais elle n’explique pas pourquoi les opérateurs musulmans ne sont pas allés eux-mêmes en Europe chercher ces produits. Les raisons fiscales sont à rejeter. Il ne semble pas qu’il y ait eu dans les ports musulmans des différences de taxes douanières entre chrétiens et musulmans51, contrairement à ce qu’impose en principe le droit musulman — et si cela avait été le cas il y aurait eu inévitablement des tentatives de contournement par des prête-noms, qui auraient donné lieu à des plaintes et des procès visibles dans la correspondance diplomatique. Dans les ports chrétiens il peut y avoir des mesures fiscales protégeant les acteurs locaux, mais elles ne sont pas dirigées spécifiquement contre les musulmans. L’explication souvent avancée de la faiblesse de la marine musulmane en raison d’un retard technique52 ou de manque de bois53 ne tient pas devant l’évidence des flottes pirates, et des musulmans disposent de suffisamment de capitaux pour être copropriétaires de navires avec des chrétiens54. La menace des pirates n’est pas non plus un facteur déterminant à partir du moment où la légalité des prises ne dépend plus d’un critère religieux mais de l’absence d’accord de paix, les navires musulmans n’étant ni plus, ni moins ciblés que les autres55. Il reste le problème de l’absence ou de l’extrême rareté de la présence marchande musulmane dans les ports chrétiens. Elle n’est pas due à des mesures d’interdiction de la part des pouvoirs chrétiens, qui n’apparaissent nulle part56. Elle est en revanche vigoureusement combattue par les oulémas du Maghreb, comme le soulignent notamment les fatwas d’al-Māzarī et al-Wanšarīsī57. Mais outre que leur position est plus nuancée qu’il n’y paraît au premier abord58, les cas de marchands musulmans se rendant régulièrement dans les ports de Valence et de Majorque prouvent que ces interdits étaient diversement respectés. En revanche cette opposition des hommes de religion rendait plus difficile toute politique de soutien actif à ce commerce en terre chrétienne de la part des sultans, alors qu’au même moment les États européens envoyaient leurs consuls et obtenaient des fondouks dans les principaux ports du Maghreb. Dès lors, à part dans les ports de Sicile ou de péninsule Ibérique où vivaient des mudéjars, les marchands musulmans ne pouvaient trouver ni infrastructures ni communautés organisées pour les accueillir, ce qui était un handicap réel et un frein à leurs affaires. Ce choix politique tient autant aux propres intérêts des sultans, qui se satisfont des revenus qu’ils tirent de la venue des négociants chrétiens dans leurs ports, qu’au faible poids des élites marchandes dans la vie politique des États maghrébins, notamment face au milieu des oulémas — différence fondamentale avec la situation qui prévaut dans les cités italiennes, mais aussi dans la monarchie catalano-aragonaise59.
9Sans sous-estimer d’autres facteurs, notamment la forte croissance économique de l’Europe et la puissance de son milieu marchand, c’est là une cause fondamentale de déséquilibre qui contribue au remplacement des acteurs du monde musulman par ceux du monde chrétien dans la prise en charge des échanges maritimes. Les premiers se ferment l’accès à une partie des marchés méditerranéens, les plus dynamiques qui plus est, alors que les seconds sont en mesure d’être présents dans l’ensemble des ports de la Méditerranée, ce qui leur donne un avantage incontestable pour jouer un rôle moteur et contrôler ces réseaux. Cette situation est aggravée encore par la confirmation d’une évolution déjà perceptible au xie-xiie siècle, l’affaiblissement des liens directs avec l’Orient et notamment l’Égypte. Les relations diplomatiques se maintiennent un peu avec les Mamelouks, mais la politique de ces derniers en direction du Maghreb, au-delà de quelques interventions ponctuelles et sans lendemain dans les affaires hafsides qui ne dépassent guère les déclarations d’intention60, a surtout une dimension de prestige plus que d’affirmation d’un pouvoir réel ou d’une volonté impériale61. Concrètement, ces relations concernent surtout le traitement de la question de la caravane du pèlerinage62, qui continue à emprunter la voie terrestre par la Tripolitaine et nécessite désormais une lourde organisation, notamment pour en assurer la protection63. Les échanges commerciaux par cette voie semblent en revanche des plus limités, et les rares marchands ou voyageurs qui continuent d’emprunter cette route doivent compter avec les risques du brigandage64. Le fait qu’au début du xive siècle une ambassade mamelouke envoyée au Maroc profite du départ de la caravane du pèlerinage de retour des Lieux Saints pour traverser la Tripolitaine, comme trois ans plus tard l’ambassade mérinide envoyée au Caire65, laisse penser qu’en dehors de ce moment du pèlerinage les voyages étaient rares et dangereux66. Les relations avec l’Orient se font donc principalement par voie maritime, et sur des navires chrétiens67. Jusqu’à l’entrée en scène des Ottomans à l’extrême fin du xve et surtout au xvie siècle, le Maghreb s’insère donc dans un espace de relations centré avant tout sur la Méditerranée occidentale, sur le plan aussi bien politique qu’économique.
10La conséquence principale de ces évolutions est que les acteurs maghrébins du commerce, s’ils restent maîtres des échanges terrestres internes au Maghreb, ne contrôlent plus ceux qui se font par voie maritime et entrent dans une situation de dépendance qu’expriment bien les lettres envoyées par les marchands de Tunis à Pise vers 1200, mais aussi la politique de sultans visant à favoriser la venue des navires et le séjour des négociants latins. Dès lors, les grandes cités marchandes du nord deviennent les seuls pôles d’impulsion de réseaux qui s’organisent en fonction principalement de leurs besoins et des profits que leurs marchands peuvent espérer réaliser dans les ports du Maghreb.
II. — Géographie des productions et hiérarchie des ports
11La disparition de l’empire almohade marque la fin de l’unité de l’Occident musulman, malgré quelques tentatives éphémères pour la reconstituer, avec les premiers Hafsides et surtout les conquêtes mérinides d’Abū l-Ḥasan et Abū ʿInān au milieu du xive siècle. La tripartition du Maghreb qui avait commencé à se dessiner aux siècles précédents se retrouve donc et se consolide : le Maroc mérinide à l’ouest de la Moulouya, l’Ifrīqiya hafside à l’est de Bougie et de sa région, et, entre les deux, les domaines abdelwadides centrés sur Tlemcen, avec une extension vers l’est plus ou moins large selon les époques.
12Dans cet espace les axes méridiens connectés à la route littorale structurent désormais les échanges68 et les ports sont devenus les principaux pôles d’impulsion des réseaux terrestres, suivant en cela l’évolution de la géographie politique du Maghreb. C’est à cette époque qu’ils connaissent leur plus grand développement démographique, économique, mais aussi culturel et religieux. Au-delà des trois grands ports de Ceuta, Bougie et Tunis qui sont maintenant bien connus69, de nombreuses villes littorales de rang plus modeste connaissent un essor notable, dont les principales sont Tripoli, Sfax, Mahdia, Sousse, Tabarka, Bône, Collo, Jijel, Dellys, Alger, Ténès, Oran et Hunayn. Tous attendent encore une étude complète de leur activité économique et portuaire, qui prenne en compte l’abondante documentation d’archive qui les concerne dans les ports italiens, provençaux et catalans70.
13Les travaux menés sur l’expansion des principales puissances chrétiennes permettent tout de même d’avoir une idée assez précise de la place des différents ports maghrébins dans ce commerce, et en particulier des produits exportés — du moins ceux qui le sont en direction de l’Europe, c’est-à-dire faisant l’objet d’un commerce à longue distance. La structuration globale des échanges a sensiblement changé par rapport à l’époque précédente. Le poids désormais prépondérant des Latins pousse ces derniers à organiser le commerce en fonction de leurs besoins, créant les conditions d’un échange inégal : le Maghreb est pour eux une source d’approvisionnement en matières premières et alimentaires, auxquelles s’ajoutent l’or et, au xve siècle, les esclaves en provenance d’Afrique noire, et un marché pour la production textile européenne. L’importance des différents ports résulte à la fois de leur position géographique par rapport aux réseaux d’échanges en Méditerranée et au Maghreb, et de leur capacité à drainer et à exporter certains produits demandés sur les marchés, notamment européens. Il en résulte une hiérarchie des ports qui peut varier en fonction de l’évolution des routes et de l’orientation des réseaux, mais qui présente quelques traits structurels liés à la fois à la position stratégique de certains et à la répartition des productions.
14Plusieurs ports occupent en effet une position privilégiée qui leur donne une importance particulière — même si les changements dans la structuration des réseaux d’échanges peuvent, selon les époques, favoriser certains d’entre eux au détriment d’autres. La configuration de la côte maghrébine, relativement rectiligne, n’est pas propice à une forte différenciation des établissements portuaires. Deux points ont néanmoins une importance stratégique particulière, aux deux extrémités du bassin occidental, le détroit de Gibraltar et le canal de Sicile, auxquels s’ajoutent les îles qui restent encore aux mains des musulmans et notamment Djerba. À l’ouest, Ceuta profite incontestablement de sa position au sud du Détroit, à la fois pour les relations entre le Maghreb et la péninsule Ibérique et pour le passage de la Méditerranée vers l’Atlantique, qui prend au cours de la période une importance grandissante71. À l’est, Tunis, désormais capitale incontestée de l’Ifrīqiya, est devenue un point essentiel de passage et de contrôle du canal de Sicile. Enfin les îles tunisiennes des Kerkennah et surtout de Djerba, face au littoral ifrīqiyen et sur la route de l’Égypte, font l’objet d’une longue compétition, notamment avec la couronne d’Aragon qui les occupe pendant plusieurs décennies à la fin du xiiie et au xive siècle. Ces points stratégiques imposés par le tracé des côtes sont néanmoins relativement peu nombreux, et c’est donc principalement la répartition des productions exportées72 qui explique la hiérarchie des ports et la structuration des réseaux (carte 11).
15Les sources pour l’étude des exportations depuis le Maghreb sont plus hétérogènes (et moins abondantes) que pour les importations, pour lesquelles les contrats de commerce offrent des données relativement homogènes. Ces contrats indiquent certes, bien qu’assez rarement, les marchandises qui doivent être acquises avec le produit de la vente (ou parfois par troc), montrant ainsi quelles sont les demandes prioritaires. Les manuels de commerce, écrits à l’usage des marchands à partir de la fin du xiiie siècle, fournissent des listes de produits pour chaque port, avec notamment les équivalences de mesures utilisées, mais ne donnent aucune indication quantitative. Il en va de même des tarifs douaniers. Dans tous les cas ces sources ne font figurer que les produits destinés à l’Europe. Pour ceux qui circulent entre les ports musulmans, à part quelques mentions éparses, notamment pour les navires génois ou vénitiens longeant les côtes et reliant ces ports entre eux (mais surtout pour le xve siècle), il faut recourir aux données fournies par les documents liés à la piraterie, qui précisent parfois la nature des cargaisons saisies. L’ensemble, bien qu’un peu disparate et mal réparti dans le temps, montre cependant ce que les ports maghrébins avaient à offrir73. Il existe une forme de spécialisation régionale pour certains produits, mais pour beaucoup d’autres, et notamment les principaux d’entre eux, les produits de l’élevage, les marchés sont relativement interchangeables, permettant à la fois une mise en concurrence des ports et une certaine souplesse des réseaux pour faire face aux changements de conjoncture au niveau local74.
Une spécialisation régionale limitée
16Parmi les marchandises exportés, cinq se détachent et montrent une certaine spécialisation régionale : les esclaves noirs, les céréales et notamment le blé, le corail, l’huile et le sel. Ils contribuent à eux seuls à donner à certains ports un rôle prépondérant et parfois exclusif.
a) Les esclaves noirs
17La traite des esclaves africains a commencé très tôt au Maghreb75, mais leur exportation vers l’Europe est tardive, et se concentre en Tripolitaine et surtout en Cyrénaïque, dans les monts de Barqa76. Ailleurs au Maghreb les esclaves noirs ne manquent pas77, mais ne font pas l’objet d’une réexportation par mer, sauf ponctuellement78. Il en va tout autrement dans la région de Tripoli et des monts de Barqa, qui fut un marché spécialisé dans ce commerce, surtout à partir du milieu du xve siècle, avec des esclaves provenant de la région du Kanem-Bornou, autour du lac Tchad, soit au sud de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque auxquelles la reliaient des routes anciennes passant par le Fezzan et Zawīla79. Auparavant on trouve parfois, par exemple à Gênes au xiiie ou au début du xive siècle, des esclaves noirs dont l’origine des monts de Barqa est précisée80. Mais les esclaves sont encore très largement des « sarrasins » maghrébins ou andalous pris dans des opérations de course ou de guerre, et surtout au xive siècle des Orientaux venant des régions pontiques81. À partir des années 1440 en Sicile, le commerce des esclaves se réoriente vers la Tripolitaine et les monts de Barqa, notamment à partir de Syracuse qui devient la plaque tournante d’un trafic basé sur l’échange de blé sicilien contre des esclaves noirs82. De là, ils sont réexpédiés sur d’autres marchés méditerranéens, notamment par les négociants catalans qui approvisionnent Barcelone, Valence ou Majorque83. Les difficultés rencontrées au xve siècle en Romanie, avec l’avancée ottomane, poussent à accroître encore l’importance de cette source d’approvisionnement, qui devient alors fondamentale84. C’est le cas par exemple à Naples, où dans la seconde moitié du xve siècle la grande majorité des esclaves est composée de Noirs achetés en Tripolitaine ou dans les monts de Barqa85. À la fin du siècle cependant leur importance décline sur un marché comme celui de Valence, en raison de la concurrence de la traite portugaise le long des côtes de l’Afrique86. Du reste, les chrétiens ne sont pas les seuls à s’approvisionner dans cette région : au début du xve siècle Emmanuel Piloti parle de l’arrivée, chaque année en Égypte, de mille à deux mille jeunes esclaves noirs du « pays du roy de Tune et de la Barbarie, Tripoli87 ». Il s’agit donc là d’un marché hautement spécialisé, dont la période d’activité, surtout dans la seconde moitié du xve siècle, correspond d’une part à un contexte de dépression démographique liée à la peste noire, et donc à un appel de main-d’œuvre aussi bien dans le monde chrétien que dans le monde musulman, et d’autre part, à partir du xve siècle et avant l’essor de la traite atlantique, aux difficultés d’approvisionnement en Romanie. Les raisons de cette singularité régionale, et notamment de la vente d’esclaves à des chrétiens ailleurs interdite, sont liées à la fois à l’évolution des axes du commerce transsaharien des esclaves et à un contexte spécifique, dans une région où l’autorité politique du Caire (pour la Cyrénaïque) et de Tunis (pour la Tripolitaine) ne s’exerce que de manière très incomplète88.
b) Le blé
18La deuxième marchandise importante marquée par une certaine spécialisation régionale est le blé, qui faisait l’objet au Moyen Âge d’un commerce à longue distance couvrant l’ensemble de la Méditerranée. Il manque là encore une étude globale des échanges de blé en Méditerranée, qui dépendent de facteurs très nombreux, à la fois économiques, mais aussi géographiques, climatiques, politiques et démographiques89. C’est un des produits stratégiques étroitement contrôlés par le pouvoir et dont le commerce ne répond pas de manière mécanique aux règles du marché. En outre, les flux dépendent de l’état de la production, et donc des récoltes qui peuvent connaître des variations ponctuelles très fortes, provoquant une inversion des flux parfois rapide. Certaines constantes émergent pourtant au Maghreb, avec des régions qui sont potentiellement excédentaires et exportatrices de céréales90.
19La situation en Ifrīqiya orientale est contrastée, et variable selon les époques, mais globalement elle n’est pas une grande région exportatrice de céréales. Elle possède bien des zones productrices de blé, comme les plaines de la Medjerda autour de Béja, et des indices d’exportations se rencontrent ici ou là. Ainsi les traités signés avec les Hafsides par les cités italiennes prévoient parfois la possibilité pour les marchands d’acheter des céréales en cas de disette en Europe. Le prix de vente dans le port musulman ne doit pas alors dépasser un certain niveau, ce qui doit éviter en principe des exportations en période de cherté et donc d’insuffisance du marché maghrébin91. Mais il n’est pas sûr que ces dispositions, prévues dans les traités dès le xiiie siècle, aient été toujours suivies d’effet92. Elles montrent en tout cas un contrôle étroit par le pouvoir hafside de ce commerce stratégique. Les principales zones d’approvisionnement des républiques italiennes sont cependant ailleurs, et notamment en Sicile et en Romanie. Des ventes en direction des pays de la couronne d’Aragon existent également, mais sont tout à fait exceptionnelles93. Le courant est donc plutôt, à l’inverse, marqué par des importations, notamment depuis la Campanie et la Sicile. Cette dernière, sous domination musulmane puis chrétienne, est devenue un exportateur majeur de blé, qui devient une arme diplomatique aux mains de ses différents maîtres. Au début du xive siècle encore, Pegolotti montre que ce trafic se maintient depuis l’Italie du sud et la Sicile vers l’Ifrīqiya 94. La situation change au milieu du xve siècle95, et Tunis exporte alors des céréales en direction notamment de Gênes, qui connaît des difficultés pour ses approvisionnements orientaux en raison de l’avancée ottomane. C’est même, selon Jacques Heers, la principale marchandise achetée par les Génois dans le sultanat hafside, avant les cuirs ou l’huile, mobilisant parfois les plus gros navires de la flotte génoise96.
20Le Maghreb central et surtout occidental présente en revanche plusieurs régions exportatrices de céréales, correspondant aux grands bassins de production : la plaine de Bône et les plateaux du Constantinois, l’arrière-pays d’Alger, de Ténès, et surtout l’Oranais — ainsi que, plus à l’ouest, les plaines atlantiques du Maroc97. Déjà aux époques plus anciennes al-Andalus s’y approvisionnait en céréales, et le courant est assez constant98. Il se développe par la suite, notamment à partir du début du xive siècle, dans un contexte de disette en Europe et en particulier dans les pays de la couronne d’Aragon99. Charles-Emmanuel Dufourcq souligne ainsi l’importance des céréales dans ce que l’on appelle la « route maghrébine » du commerce catalan100. Il note des achats fréquents de blé dans les régions centrales et occidentales du Maghreb, où il est meilleur marché qu’en Ifrīqiya et surtout que dans les pays de la couronne, et ce dès la fin du xiiie siècle101. Ce différentiel de prix permet de larges bénéfices et stimule les achats, qui s’effectuent soit dans les ports des plaines marocaines (Salé, Larache), soit dans ceux du Maghreb central (Oran, Hunayn, Ténès, Cherchell principalement). Le nombre de documents est insuffisant cependant pour dessiner une évolution claire de ces achats au xiiie siècle. Ils semblent avoir augmenté au début du xive siècle, en même temps que les prix du blé sur les marchés catalans102. C’est alors surtout Valence et Majorque qui en importent, depuis les ports d’Oran, Mostaganem et Ténès, mais aussi (pour Majorque) Dellys, Cherchell, Alger, Hunayn, voire plus exceptionnellement Bougie et Tunis103. Dans la seconde moitié du xve siècle les Génois viennent également dans ces ports pour charger du blé à destination de l’Italie mais aussi dans ceux de l’émirat de Grenade où ils sont bien implantés104.
21L’intérêt des autorités catalanes pour cet approvisionnement apparaît en tout cas clairement dans les relations diplomatiques avec les sultanats mérinide et abdelwadide, et dans les accords de paix. La présence de clauses céréalières est déjà attestée, nous l’avons vu, dans les traités signés avec l’Ifrīqiya au xiiie siècle. Elles prennent néanmoins une importance particulière dans ceux passés par la couronne d’Aragon ou le royaume indépendant de Majorque. Déjà le traité conclu en 1286 entre Barcelone et Tlemcen prévoit que le roi d’Aragon, s’il en a besoin, pourra acheter des vivres dans les États du sultan et les exporter en franchise105. Cette clause figure dans le deuxième article, et est la seule de nature économique, tout le reste du document portant sur le statut de la milice catalane en terre musulmane qui est le principal objet de l’accord. Dans le traité signé avec Fès en 1309, dirigé conte la ville rebelle de Ceuta, le sultan s’engage à verser gracieusement au roi d’Aragon plusieurs milliers de mesures de grains et à permettre aux sujets du roi d’exporter eux-mêmes ces grains106. La Catalogne traverse alors une période difficile, et une ordonnance municipale de Barcelone interdit en 1301 toute exportation de blé107. Le Conseil de la ville profite des bonnes relations diplomatiques avec les Mérinides pour demander au sultan d’autoriser les marchands à acheter du blé dans ses terres, au prix habituel de trois dinars le cafiz, et déploie une intense activité auprès de personnes d’influence, notamment l’ambassadeur Bernat de Sarria, habilité à traiter de la question du blé108.
22Ce commerce des céréales répond à des besoins du marché, notamment en période de disette, mais son caractère stratégique rend ses mécanismes plus complexes, liés étroitement à des considérations politiques. L’exportation de céréales est en effet l’affaire du pouvoir qui intervient fortement, voire exerce un monopole sur leur commercialisation — bien que la preuve d’un tel monopole n’apparaisse pas pour le Maghreb. Le souverain se livre parfois lui-même à ce trafic, comme en 1315 lorsque le sultan de Tlemcen expédie du blé d’Oran ou de Hunayn à Dellys, sur un navire majorquin109. Ce rôle s’explique en partie par les capacités propres des souverains, qui prélèvent une partie de l’impôt en nature110, mais aussi par le caractère politiquement sensible de ce commerce. Considéré comme un produit stratégique, le blé fait l’objet de prohibitions de part et d’autre, et son exportation présente un risque politique pour le pouvoir : en 1360 le sultan de Tlemcen écrit au roi d’Aragon pour lui rappeler que ses sujets ont toujours été bien traités dans ses États et qu’il a permis les exportations de grains, « à cause desquelles nous nous exposons à de graves problèmes vis-à-vis de notre religion111 ». Ces exportations sont encadrées par les accords de paix, qui fixent des conditions, particulièrement en cas de disette, voire les interdisent, comme celui de 1339 entre Majorque et le Mérinide Abū l-Ḥasan qui prohibe l’exportation de céréales, d’armes, de chevaux — mais aussi, plus curieusement, de peaux salées et tannées de bovins et caprins112. Mais d’autres éléments entrent en considération, parmi lesquels les intérêts économiques et surtout politiques des souverains, qui en font une arme de négociation avec les puissances chrétiennes, non sans résistance parfois de leurs sujets. En 1336 par exemple, les habitants de Collo empêchent des marchands catalans d’acheter du blé (alors que le gouverneur de Constantine avait donné son autorisation d’exporter) car celui-ci manque dans la région113.
23Parmi les régions méditerranéennes exportatrices de céréales, le Maghreb occupe donc une place importante, mais pas exclusive, pour la couronne d’Aragon (principalement Valence et Majorque, et assez peu Barcelone), et représente davantage un appoint pour les villes italiennes, qui se fournissent plutôt en Sicile ou en Romanie. Il en résulte que ce sont surtout les régions occidentales qui sont exportatrices à destination de l’Europe. De même, il existe un commerce intra-maghrébin, que décrivent les géographes pour les siècles précédents, et qui est surtout connu pour les périodes plus tardives par les mentions de transports sur des navires chrétiens ou d’actes de piraterie. Ainsi vers 1320, deux linhs catalans qui ont chargé à Bizerte 1 100 salmes de blé pour Tunis sont pris par des pirates castillans114. Ce commerce se fait parfois entre les sultanats, le plus souvent pour exporter la production de la région oranaise vers l’Ifrīqiya déficitaire : en 1344 Abū Tašfīn négocie avec un Majorquin pour l’envoi de blé de Hunayn à Bougie115, et en 1382 le patron de coca majorquin Pere Pedro embarque à Oran un marchand musulman avec sa cargaison de blé pour les transporter à Bougie116.
c) L’huile
24L’huile d’olive, sans avoir l’importance des céréales, fait également l’objet d’un commerce à longue distance, aussi bien au sein du monde musulman qu’avec les pays chrétiens. La principale région exportatrice au Maghreb est le Sahel tunisien, dont la production d’olives est dès avant la conquête musulmane une des richesses principales et est depuis longtemps exportée, en direction de l’Égypte mais aussi dans le reste du Maghreb117. C’est bien sûr une culture largement répandue en Méditerranée, et la production d’Andalousie ou d’Italie du sud faisait également l’objet d’un commerce à longue distance118. Le Maghreb occidental et central est plutôt importateur, notamment de productions andalouses119, mais aussi en provenance de Majorque120. C’est donc surtout en Ifrīqiya orientale, et plus précisément dans la région du Sahel autour de Sfax, Sousse et Gabès, et dans l’île de Djerba, que la culture de l’olivier permet d’exporter des surplus121. Déjà à la fin du xie siècle, al-Bakrī rapporte qu’on en expédie depuis Sfax jusqu’en Égypte, au Maghreb (occidental), en Sicile et dans le pays des Rūm-s122, information reprise par le Kitāb al-istibṣār à la fin du xiie siècle, dont l’auteur précise qu’on la consomme en Sicile, Italie, Lombardie, Calabre et sur tout le littoral de la Grande Terre123. Cela est confirmé par la découverte de jarres de type djerbien en Sicile, dans le Latium septentrional, à Naples, Gênes, Marseille, en Espagne et en Libye (Leptis Magna, Tripoli), dans des contextes archéologiques situés entre les xie et xiiie siècles124. À la même époque, le traité fiscal égyptien d’al-Maḫzūmī la compte parmi les produits maghrébins arrivant à Alexandrie et Tinnis, et elle est souvent mentionnée dans les documents de la Geniza125. Le rôle de la région de Sfax semble cependant décliner à partir du xiiie siècle : les voyageurs al-ʿAbdarī et al-Tiǧānī décrivent les oliveraies ruinées et le premier rapporte qu’on y importe l’huile de Djerba126, ce qui doit sans doute autant à la présence des Hilaliens qu’aux dégâts causés par l’aventure des Banū Ġāniya, qui furent particulièrement importants dans cette région. Par ailleurs les documents attestant de l’exportation d’huile à partir de Sfax vers l’Europe sont exceptionnels pour la période qui suit127 ; la grande majorité de ces mentions concernent en effet soit la capitale hafside, soit Djerba — qui est pendant de longues années sous domination catalane. Léon l’Africain décrit les oliveraies de la banlieue horticole de Tunis, dont la production est tellement abondante qu’elle est en partie exportée vers l’Égypte128. Mais il est probable que la ville concentrait également la production venant du Sahel, pour la réexporter ensuite par mer. Il n’est pas exclu non plus que Djerba ait vendu, en plus de sa propre production, celle des régions proches sur le continent, en particulier autour de Gabès129.
25L’Europe constitue très tôt un marché important, malgré la concurrence des huiles d’Italie du sud130 ou d’Andalousie. À la fin du xiiie siècle les actes du notaire génois de Tunis Pietro Battifoglio montrent ainsi des transactions importantes, notamment une dette de la douane de Tunis liée à une taxe d’exportation sur 2 000 jarres d’huile131. Au xve siècle les données sont plus abondantes, et font apparaître là encore le rôle des Génois (qui la transportent notamment vers la Sicile132), mais surtout des Vénitiens, actifs dans ce commerce à Djerba133, Tunis et peut-être à Tripoli134. Les Majorquins, pourtant peu présents sur ces marchés d’Ifrīqiya orientale et plus proches des zones de production ibériques, participent également à ce commerce de l’huile, principalement pour la réexporter. L’île est en effet une plaque tournante du commerce en direction du littoral africain, et certaines cargaisons d’huiles vendues dans le Maghreb central ou occidental proviennent d’Ifrīqiya135. Mais elle sert également de pôle de redistribution vers l’Atlantique, et notamment les Flandres136.
26Au xve siècle apparaît un autre courant majeur, en direction de l’Orient. Il est lié à l’essor des relations entre le Maghreb et le Mashreq à cette époque, mais s’inscrit également dans une tradition ancienne d’importation d’huile ifrīqiyenne, par l’Égypte notamment. Il est cependant difficile de dire dans quelle mesure il s’est maintenu entre le xiie et le xive siècle. Ce commerce est pris en charge en partie au moins par des navires musulmans, comme le montre l’attaque en 1384 par des pirates messinois d’une nave sarrasine chargée d’huile, de miel et de cire, se rendant à Alexandrie137. Une grande part de ce commerce se fait néanmoins à bord des navires chrétiens, mais parfois avec des marchands musulmans. Les Vénitiens sont en particulier très actifs sur la ligne d’Alexandrie, surtout après la mise en place de la muda du Trafego. Le manuel de commerce d’Antonio da Uzzano (1442) mentionne ainsi l’huile de Tunis vendue à Alexandrie, à un prix à peu près équivalent à celle de Majorque, Lombardie ou Séville138. De même, lors de son voyage de retour en 1463, l’Égyptien ʿAbd al-Bāsiṭ embarque de Tunis sur une galée vénitienne qui fait escale à Djerba où les marchands font un gros chargement d’huile et d’étoffes139. Cette importance du transport de l’huile djerbienne est confirmée par les textes et documents vénitiens, liés notamment à la ligne du Trafego mais aussi aux navires désarmés140. Les Génois et les Catalans, comme leurs concurrents vénitiens, transportent l’huile et les marchands ifrīqiyens vers l’Orient : c’est sur un navire génois qu’Anselme Adorno embarque de Tunis pour Alexandrie, accompagné d’une centaine de musulmans, dont « les uns étaient des négociants qui avaient sur le bateau une cargaison d’huile, d’autres des pèlerins qui se rendaient à La Mecque141 ». En 1496 enfin, la nave du Génois Dominici de Camilla transporte 497 jarres d’huile dans un voyage joignant Tunis, Djerba et Alexandrie, et celle de Carolo de Furnario 902 jarres entre Tunis et Chio142. En 1496 le seigneur de Modon fait confisquer une cargaison d’huile qui voyageait sur une nave catalane pour le compte de marchands des sultanats de Tunis et de Bougie143, ce qui montre que l’aire de diffusion de cette huile déborde l’espace mamelouk et s’étend à la Romanie.
d) Le sel
27Autant l’huile est un commerce largement partagé entre les grandes nations marchandes européennes, autant le sel ifrīqiyen fait l’objet de monopoles ou de tentatives de monopoles de la part de Venise. Ce produit, dont il n’est pas nécessaire de rappeler l’importance au Moyen Âge, aussi bien en Méditerranée que dans les échanges sahariens, était exploité notamment dans des salines littorales et constituait une des richesses de ces régions. S’il y eut sans doute des exploitations de faible ampleur dans plusieurs régions du Maghreb, notamment là où les chotts étaient proches de la mer, c’est dans le sud de l’Ifrīqiya que la production est suffisante pour permettre des exportations. Ailleurs, les ports semblent plutôt importateurs : le sel d’Ibiza et secondairement de la Mata (au sud du royaume de Valence) était ainsi vendu aux xive et xve siècles dans tous les ports du Maghreb central et même jusqu’à Tunis144. C’est donc principalement le sud de la Tunisie et la Tripolitaine qui constituent des zones d’exportation du sel, notamment à Zarzis, Raʾs al-Maḫbaz et Tripoli145.
e) Le corail
28Produit également très recherché, relevant du commerce de luxe, le corail a très tôt fait l’objet d’un trafic à longue distance. Les premiers géographes le signalent en divers points de la côte maghrébine (Ceuta, Ténès, Bône, Marsā l-Ḫaraz et Tabarka) et montrent une exploitation sous le contrôle parfois étroit de l’État, et un commerce à longue distance146. Il figure parmi les produits transportés par les juifs de la Geniza vers l’Égypte et, de là, vers l’océan Indien147. Avec l’essor de l’économie européenne il est progressivement exploité en Catalogne, en Provence et surtout en Sardaigne (à partir du milieu du xive siècle) et en Sicile148, pour les besoins des marchés européens mais surtout orientaux et notamment mamelouks149. Une partie prend ensuite la route de l’océan Indien par la mer Rouge et Aden150. C’est un article de luxe, qui mobilise des capitaux importants pour son exploitation, du moins dans les derniers siècles du Moyen Âge, et dont la vente génère des profits substantiels151. Son commerce au xiiie-xive siècle est mal connu, et il n’est pas sûr qu’il ait été très actif152. Le gisement de Ceuta, exploité au large de Belyounesh dès le xe siècle, semble s’épuiser153, et à l’inverse les Marseillais exportent au xiiie siècle du corail, sans doute de Provence, en direction de Tunis ou de Bougie, ainsi qu’en Orient et en Sicile154. Au xve siècle, et surtout dans sa seconde moitié, l’exploitation semble reprendre à grande échelle. C’est en tout cas à cette époque que les Européens s’y intéressent et prennent à ferme son exploitation dans le domaine hafside. À partir de 1429 les Catalans obtiennent un droit de pêche sur le littoral hafside155, et en 1446 le sultan ʿUṯmān concède la ferme du corail sur les côtes de l’Ifrīqiya au marchand catalan Rafael Vives qui commence l’exploitation des bancs de Tabarka, mais doit l’interrompre dès 1448156. Plus durable est l’entreprise génoise à Marsā l-Ḫaraz à partir de 1451, qui dure jusqu’en 1506 et se traduit par l’installation d’une communauté de pêcheurs ligures et une exploitation méthodique du corail dans le cadre de fermes accordées par les sultans de Tunis157. C’est donc principalement sur la côte septentrionale de l’Ifrīqiya hafside que le produit est exploité158. Il est ensuite expédié à Gênes, mais les Vénitiens viennent également l’acheter à Marsā l-Ḫaraz159 ou à Tunis, où ils le chargent sur les galées du Trafego à destination de l’Égypte160.
29À l’exception des céréales, les productions faisant l’objet d’une spécialisation régionale se trouvent donc principalement en Ifrīqiya hafside, et leur exploitation à grande échelle par les marchands latins date du xve siècle, à un moment de fort investissement sur les marchés maghrébins, notamment de la part des Italiens161.
Les produits d’exportation dominants : une répartition homogène
30Pour les autres marchandises exportées, qu’il s’agisse de productions maghrébines ou de réexportations provenant du commerce transsaharien, les ports sont relativement interchangeables. C’est le cas pour les produits de l’élevage (cuirs et laines), une des principales exportations maghrébines, mais aussi de la cire et de l’or.
a) La laine
31Le produit d’exportation de loin le plus fréquemment cité dans les contrats de commerce italiens est la laine. L’élevage ovin, activité traditionnelle en Méditerranée, s’était sans doute développé avec les Hilaliens et l’arrivée de nouvelles tribus pastorales, mais la forte demande européenne stimule également, à partir du début du xiiie siècle au moins, la production et les exportations de laines162. Celles-ci constituent, avec les cuirs, le gros des cargaisons chargées à destination de l’Europe au xiiie siècle. La concurrence des laines espagnoles et anglaises provoque cependant au xive siècle une raréfaction de la demande163, les productions maghrébines étant alors considérées comme de qualité moindre et faisant même parfois l’objet d’interdictions pour des raisons de protectionnisme mais aussi de défense de la qualité des draps164. Mais elles continuent à être exportées, et s’il ne faut pas voir dans toutes les laines « barbaresques » ou « de Garbo » présentes sur les marchés européens des productions provenant réellement du Maghreb, ces noms finissant parfois par désigner une qualité spécifique de laine, il n’en demeure pas moins que les ports africains continuent de fournir l’Europe et son industrie textile165. Il existait à cet effet, dans les principaux ports, des souks ou des funduq-s de la laine qui concentraient les productions de l’arrière-pays et permettaient aux marchands latins de venir s’approvisionner166.
32C’est d’abord dans les Flandres puis en Angleterre que l’industrie textile se développe, dès le xie-xiie siècle, mais il ne semble pas que celles-ci aient eu recours à des importations de laines maghrébines167. En revanche les centres italiens, qui prennent leur essor un peu plus tard168, ont d’autant plus besoin de ces importations que, dans la Péninsule, l’élevage recule au profit des cultures. Roberto Sabatino Lopez pense qu’au xiiie siècle les laines maghrébines sont considérées comme de qualité supérieure169, ce que ne confirment en revanche pas les analyses de toisons170 et ne vaut que pour les marchés méditerranéens, tant que les laines anglaises n’y pénètrent pas. À cette époque en tout cas Italiens et Provençaux font des achats massifs de laines « barbaresques » ou « africaines »171. Elles figurent en bonne place dans les tarifs douaniers, comme par exemple dans les Statuts de Marseille de 1228172, dans quelques documents concernant Pise173 et surtout dans les contrats de vente sur le marché génois dans la seconde moitié du xiiie siècle qui montrent que, depuis le port ligure, elles sont réexpédiées vers les grands centres textiles de Toscane et surtout de Lombardie174. Il n’est cependant pas toujours possible de voir quels sont les ports d’embarquement de ces laines, qualifiées souvent de « barbaresques », africaines, ou « de Garbo ». Les seules origines à être distinguées dans les contrats de vente à Gênes sont Bougie et Tunis, qui sont à cette époque les principaux ports maghrébins touchés par les Génois — les laines de Ceuta, qui en exporte également175, ne font pas l’objet d’une désignation spécifique. Avec l’insertion des ports du Maghreb central et occidental dans les réseaux marchands latins et notamment catalans au xive siècle, d’autres zones d’approvisionnement en laine apparaissent, qui suggèrent une répartition assez homogène le long des côtes. Les marchands continuent à venir en chercher à Tunis, où Pisans176 et Florentins177 sont particulièrement actifs, ainsi qu’à Bougie178. Mais tous les ports sont potentiellement exportateurs, et un tarif pisan de 1362 mentionne ainsi les laines de Ténès, Alger, Bougie, Mazagran179, Piaggia ( ?), Collo, Bône, Tunis, Sousse, Africa (Mahdia) et de « tucti li paesi di Barbaria et Garbo »180, auxquels il faudrait ajouter Tripoli181, Djerba182, Sfax183, Jijel184, Cherchell185, Hunayn186, Ceuta187 et pour la fin du siècle Alcudia du Maghreb188, qui fut un centre majeur d’approvisionnement pour Majorque, qui redistribuait ensuite les laines africaines ou « barbaresques » vers d’autres marchés, notamment italiens189. Les volumes d’exportation sont bien sûr très inégaux d’un port à l’autre, mais tiennent moins aux ressources de leurs arrière-pays qu’à leur place dans les réseaux de commerce, et globalement les marchands peuvent trouver des laines partout sur les côtes du Maghreb.
b) Les cuirs
33Assez logiquement, la même dispersion se retrouve pour les ports d’exportation des cuirs et des peaux, qui constituent le deuxième poste d’exportation en direction de l’Europe, avec des quantités parfois considérables. Vers 1200, à la suite d’une affaire de piraterie dans le port de Tunis, les marchands pisans doivent fuir précipitamment, laissant derrière eux leurs affaires et leurs créances avec leurs partenaires musulmans, et les lettres envoyées par ces derniers et exceptionnellement conservées aux archives de Pise montrent l’ampleur de ce commerce : 1636 peaux pour une valeur totale de 255 dinars 7 dirhams, vendues par Hilāl b. Ḫalīfa al-Ǧamunsī, 1485 peaux d’agneau vendues par le ḥaǧǧ Sadaqa, qui se qualifie de marchand de cuir, pour une valeur de 251 dinars 6 dirhams, et 500 par le šayḫ Yūsuf, lui aussi marchand de cuir, pour 80 dinars190. Contrairement aux laines, ces peaux continuent d’être achetées abondamment par les Européens jusqu’à la fin de la période, sans qu’il y ait trace de restrictions191. Aux xive et xve siècles les mentions de ce commerce sont abondantes, et les cuirs maghrébins constituent souvent une part importante du marché192. Par ailleurs leur aire de diffusion s’étendait plus largement vers le nord de l’Europe, où les cuirs maghrébins étaient appréciés193. Ils peuvent être vendus à l’état brut, avec leur toison194, ou plus ou moins travaillés, et provenaient pour l’essentiel des troupeaux de moutons et d’agneaux, même si sont exportés également des cuirs de bœufs et de veaux, de chèvres, voire d’animaux plus rares en Europe ou exotiques comme les chameaux195, les renards des sables ou fennecs196, ou les lions197. En revanche il est rare que les documents distinguent les productions en fonction de leur origine, et le plus souvent ils se limitent à parler de cuirs « barbaresques », sans plus de précision198. Cette uniformité est confirmée par l’analyse des ports d’exportations, répartis sur tout le littoral. Ainsi les cuirs achetés par la compagnie Datini, principalement à Majorque, proviennent d’Alcudia, Mostaganem, Ténès, Cherchell, Alger, Bougie, Jijel, Collo ou Bône199, et les importations majorquines dans la première moitié du xve siècle montrent des chargements venant d’Alcudia, Hunayn, Oran, Mostaganem, Ténès, Alger, Bougie, Collo, Bône et Tunis200. On pourrait y ajouter des marchés moins liés à Majorque, comme Sfax201. Comme pour les laines, les zones d’exportations de cuirs sont donc relativement interchangeables. Le même constat peut être fait pour la cire, autre produit très fréquemment cité dans les documents commerciaux et qui est exportée depuis tous les ports du Maghreb202.
c) Les produits du commerce transsaharien
34Sans présenter une pareille dispersion, les débouchés du commerce saharien se sont sensiblement diversifiés par rapport aux époques précédentes. Déjà la conquête almohade avait permis une répartition plus équilibrée des débouchés de l’or soudanais dans les ports de l’empire203, qui se confirme avec la formation des trois sultanats mérinide, abdelwadide et hafside. Par ailleurs l’arrivée d’un nouvel acteur, avec les marchands de la couronne d’Aragon, contribue à diversifier les débouchés européens du commerce de l’or204. Jusqu’au xiie siècle les exportations d’or vers l’Europe ne sont pas nécessairement un moteur important du commerce et de l’animation portuaire, dans la mesure où elles passaient le plus souvent par l’intermédiaire des musulmans d’al-Andalus, mais sous des formes qui débordent largement du commerce, notamment par le système des parias. Cette circulation non commerciale de l’or se poursuit pour la période suivante, que ce soit par les versements effectués pour la solde des mercenaires chrétiens, pour la location de navires, ou par les « tributs » accordés aux puissances chrétiennes pour prix de leur soutien ou de leur neutralité205. Mais un commerce de l’or existe également, qui répond à une demande croissante de l’Europe, pour les besoins de la frappe monétaire206 et du grand commerce oriental207. Bien que ces flux n’apparaissent guère dans les contrats notariés, sans doute parce que l’or n’est pas considéré nécessairement comme une marchandise208, l’intérêt des marchands européens est manifeste. À la fin du xive siècle le rabbin d’Alger Simon Duran écrit ainsi dans une de ses responsa :
Il est notoirement connu que l’or est cher au pays d’Edom [Europe] et bon marché dans ce pays [Maghreb central] car c’est de cette contrée que le pays d’Edom reçoit son or209.
35À la même époque et pour la même région le sultan abdelwadide Abū Ḥammū aurait déclaré :
Si je ne craignais de faire une chose odieuse, je ne laisserais s’installer dans mon pays que des marchands trafiquant avec le Sahara ; car ils emportent des marchandises de vil prix et ils rapportent de la poudre d’or, métal auquel tout est assujetti en ce monde ; les autres marchands exportent notre or et nous donnent en échange des objets dont les uns ont tôt fait de s’user et de disparaître et les autres transforment nos habitudes et entraînent les sots dans la corruption210.
36Cet intérêt ne se dément pas au xve siècle, où des marchands s’aventurent même jusqu’aux villes de l’intérieur connues pour être des relais importants des caravanes de l’or. Le Génois Antonio Malfante s’enfonce depuis Hunayn jusqu’au Touat en 1447211, et en 1480 son compatriote Giovanni Gregorio Stella achète un cheval au « roi » de Ouargla, montrant des relations avec cette autre oasis essentielle au commerce de l’or212. C’est également à cette époque que commence véritablement l’exploration des routes atlantiques pour aller chercher directement le métal précieux en contournant l’intermédiaire maghrébin, ce qui a pu contribuer, dans une proportion difficile à évaluer, à réduire les flux d’or vers les ports du Maghreb213. L’origine africaine de l’or circulant dans le sud de l’Europe est d’ailleurs attestée, par exemple par le Bailli général de Valence Juan Mercader, qui écrit en 1413 au roi Ferdinand que « tout l’or qui vient dans ce royaume vient des terres des Maures214 ». Les ports les plus importants pour les marchands — catalans mais aussi génois comme le montre le périple d’Antonio Malfante — se situent dans le sultanat de Tlemcen, et en particulier Hunayn et Oran, au débouché d’une route caravanière transitant par Siǧilmāsa215. Mais tous les grands ports du Maghreb en sont exportateurs216, notamment Alger217, Bougie218 et Tunis, et à l’ouest les ports mérinides avec sans doute, jusqu’en 1415 du moins, Ceuta219.
37Ce rapide tableau des produits exportés depuis le Maghreb, en dépit de ses lacunes, permet de voir d’une part quelle est la place de la région dans les courants d’échanges en Méditerranée, et d’autre part la hiérarchie qui se dégage entre les différents ports.
38La première spécificité du Maghreb, surtout en comparaison avec l’Orient musulman, est la place réduite qu’y occupent les produits de luxe. L’or, bien sûr, peut être rangé dans cette catégorie, et les Européens vont le chercher principalement dans les ports du Maghreb, mais sa double nature de produit de commerce et d’instrument d’échanges en fait un cas à part. Il apparaît parfois de manière explicite comme une marchandise que les Latins vont chercher, mais le plus souvent son exportation n’est que le résultat d’une balance des échanges déficitaire que l’on devine mais qu’il est bien difficile d’étudier avec précision220. En dehors des marchandises exotiques, en particulier certains cuirs ou les textiles, qui semblent répondre au xve siècle à une mode orientalisante en Europe mais ne représentent pas des volumes significatifs, seul le corail peut être considéré comme un produit de luxe donnant lieu à des échanges importants, mais seulement à partir du milieu du xve siècle et en concurrence avec d’autres sources d’approvisionnement sur les côtes chrétiennes. Une des conséquences est que ce commerce repose sur des exportations de marchandises qui ne génèrent des profits qu’avec de gros volumes, pour lesquels le coût du transport est une donnée importante. C’est donc un commerce régional limité pour l’essentiel à la Méditerranée occidentale. Les seuls produits exportés en quantités significatives vers l’Orient sont l’huile et les deux articles de haute valeur que sont l’or et le corail. L’autre conséquence est qu’il mobilise en Europe principalement des investisseurs d’envergure moyenne, voire très réduite, mais qui peuvent concerner des pans entiers des sociétés urbaines dans les ports de départ. En revanche l’aristocratie marchande est moins concernée par les marchés maghrébins, même si elle ne dédaigne pas y investir, mais des sommes peu importantes au regard de leurs autres affaires et notamment en Orient221.
39L’essentiel est donc constitué d’une part par les denrées alimentaires, principalement les céréales et dans une moindre mesure l’huile ou certains fruits, et d’autre part de produits utilisés par les industries européennes, qu’il s’agisse de matières premières (laines et cuirs) ou de produits tinctoriaux ou liés aux opérations de teinture comme l’alun. Aucun n’est spécifiquement maghrébin, en dehors des dattes qui restent très marginales dans les échanges. Dans le cas de la cire et des cuirs le Maghreb représente cependant, sur toute la période, une zone d’approvisionnement privilégiée (mais non exclusive) pour l’Europe. Ce sont d’ailleurs aussi les produits qui se retrouvent sur les marchés du nord du continent, en particulier les Flandres, et qui font donc l’objet d’un commerce à longue distance par l’intermédiaire des ports méditerranéens. Pour toutes les autres exportations, et notamment la laine et les céréales, le Maghreb n’est qu’une zone d’approvisionnement parmi d’autres et doit compter avec la concurrence européenne mais aussi, dans le cas des céréales, orientale.
40Dans cette économie-monde centrée sur la Méditerranée, la place du Maghreb est donc loin d’être négligeable, et même s’il n’est plus une zone d’approvisionnement en épices orientales, il exporte des produits essentiels à la fois pour la consommation alimentaire et pour les industries, et constitue un marché important pour le secteur textile. En ce sens il est inexact de ne voir dans le Maghreb qu’une zone de transit pour un produit (l’or) venu d’ailleurs. L’activité de ses ports dépend par conséquent d’une conjoncture qui déborde largement du Maghreb, liée à la fois à l’évolution de la demande en Europe (et notamment de la vitalité de son secteur secondaire) et à la concurrence d’autres zones d’approvisionnement et d’investissement, en Europe mais aussi en Orient. À l’échelle du Maghreb, les zones d’exportations pour les produits les plus importants sont faiblement différenciées. Laines, cuirs et cire s’achètent partout sans qu’aucun port ne se détache en particulier. Les céréales ne se trouvent pas dans toutes les régions, mais leurs débouchés maritimes se répartissent tout de même sur de nombreux points du littoral, depuis le nord de la Tunisie jusqu’aux plaines atlantiques du Maroc. L’or et les produits sahariens arrivent désormais dans les principaux ports, même s’il faut reconnaître que ces flux sont difficiles à suivre. L’Ifrīqiya, dans ce tableau, présente cependant une configuration particulière, en raison de sa position charnière entre les deux bassins de la Méditerranée, mais aussi de certaines productions spécialisées, en particulier l’huile, le corail, le sel et le thon222 et, plus à l’est, de la zone d’exportation des esclaves noirs. La principale conséquence de cette relative homogénéité est que la structuration et la hiérarchie des réseaux portuaires dépendent moins des ressources propres des arrière-pays que des politiques mises en œuvre par les pouvoirs politiques pour, d’une part, contrôler les ports et, d’autre part, y attirer les navires marchands latins. Les zones littorales deviennent donc plus que jamais des espaces privilégiés de la compétition politique mais aussi économique entre les différents pouvoirs qui se partagent le Maghreb. Elles sont également un enjeu de la concurrence que se livrent les grandes puissances européennes pour le contrôle des marchés méditerranéens.
III. — La compétition pour la maîtrise des réseaux et des ports
41Dans l’histoire compliquée des conflits internes au Maghreb post-almohade émergent deux traits complémentaires : d’une part la compétition entre les pouvoirs centraux et les tribus pour le contrôle des espaces et des itinéraires de l’intérieur, et d’autre part une rivalité entre les trois sultanats, qui débouche à certaines époques sur des entreprises de conquête de grande ampleur. À cela s’ajoute le poids de plus en plus grand des puissances chrétiennes en Méditerranée qui se lancent dans une politique d’expansion qui peut prendre des formes militaires, mais où les motivations économiques et commerciales sont déterminantes. Dans tous les cas les ports, leur contrôle et celui des routes qui y mènent, sont devenus un des enjeux majeurs des conflits régionaux. Une des conséquences de l’importance prise par les villes littorales est en effet qu’elles deviennent l’objet de rivalités et de compétitions, à la fois entre les forces politiques qui s’affrontent pour le contrôle du Maghreb, mais aussi avec les puissances chrétiennes qui cherchent à y renforcer leur présence commerciale, voire à y installer d’autres formes d’hégémonie de nature plus politique.
Un contrôle de l’intérieur lié aux débouchés portuaires
42L’arrivée des Hilaliens avait eu des conséquences importantes sur la reconfiguration des réseaux au xie-xiie siècle. Avec les successeurs des Almohades la question des tribus (arabes, mais aussi berbères) reste au cœur des équilibres politiques et des problèmes de contrôle du territoire223. Elle joue à plusieurs niveaux sur les réseaux d’échanges et la vie des ports. Tout d’abord, alors qu’en Ifrīqiya le pouvoir hafside a de nouveau imposé son autorité sur les ports, dans lesquels certains pouvoirs tribaux s’étaient installés à la faveur de la désintégration du pouvoir ziride et des troubles causés par l’aventure des Banū Ġāniya, des villes portuaires du Maghreb central continuent d’être l’objet de compétitions entre les tribus et les Abdelwadides. Ténès, à plusieurs reprises entre la fin du xiiie et le milieu du xive siècle avec les Berbères Maġrāwa224, mais aussi Alger avec les Arabes Ṯaʿāliba dans la seconde moitié du xive siècle, voient s’installer provisoirement un pouvoir tribal225. Cela est lié à un phénomène de sédentarisation et citadinisation de certaines tribus226, mais aussi à l’intérêt que représentent pour elles ces débouchés maritimes de leurs territoires. D’une manière générale cependant, les pouvoirs sultaniens parviennent à conserver leur souveraineté sur les villes portuaires, laquelle est d’autant plus nécessaire qu’ils perdent souvent le contrôle, sinon politique du moins fiscal, sur les régions intérieures. Il ne faudrait certes pas exagérer la perte d’influence des pouvoirs centraux sur les régions intérieures, et les sultans mènent régulièrement des expéditions de levée d’impôt dans les provinces227, ou chargent de leur collecte des tribus alliées ou soumises228. Mais à partir de l’époque almohade229, et surtout après, les souverains multiplient les iqṭāʿ-s concédés aux tribus ou à leurs chefs, qui sont souvent le fruit de la reconnaissance par le pouvoir d’une domination de fait de ces tribus sur des territoires parfois très vastes230. Il en résulte, notamment dans les périodes de faiblesse du pouvoir ou de conflits régionaux poussant à une plus grande indépendance des tribus de l’intérieur, une perte sensible des ressources fiscales recueillies par l’État, ce qui donne toute leur importance aux taxes douanières prélevées dans les ports231.
43Enfin les tribus sont largement tenues pour responsables d’un état d’insécurité sur les routes, qui perturbe grandement le commerce. Le témoignage des voyageurs comme les efforts des juristes pour tenter de réprimer ces méfaits232 montrent un phénomène qu’il est difficile de nier. Al-Balawī décrit ainsi, dans les années 1330, la route côtière entre Hunayn et Tunis comme très peu sûre, soulignant en particulier l’insécurité qui règne entre Bougie et Alger, mais aussi entre Bougie et Constantine — et sa caravane est d’ailleurs dépouillée alors qu’il se rend de Bône à Tunis233. Le problème devient une des préoccupations majeures du pouvoir, comme le suggèrent les conseils du sultan hafside Abū Zakariyāʾ à son fils et héritier : il lui recommande en particulier de combattre pour la défense des musulmans et de veiller à la sécurité des routes234. Le rôle des tribus dans les échanges intérieurs est néanmoins plus complexe, et ne se résume pas à des activités de rapines qui auraient empêché tout commerce. Ce n’était d’ailleurs pas dans leur intérêt, car ce commerce était pour elles une source de revenus, que ce soit par les sommes qu’elles pouvaient percevoir pour prix de leur protection (ou de leur renoncement à agresser les voyageurs)235, ou de manière plus régulière en tant que droits de passage236, ou que ce soit par leur participation directe à ces échanges. Certaines tribus nomadisaient en effet entre la lisière du désert et les régions littorales237, qu’elles rejoignaient au printemps ou à l’été, c’est-à-dire au moment de la saison de navigation, lorsque la demande était forte en produits de l’intérieur. En dépit de l’insécurité chronique des routes, il était donc de l’intérêt des tribus de maintenir les flux commerciaux, voire de les encourager, pour en tirer le maximum de profit.
44Les villes de l’intérieur du Maghreb central, qui avaient été les principaux appuis du pouvoir durant les premiers siècles de l’Islam, sont désormais le plus souvent négligées, à part quelques places stratégiques comme Constantine238. Le pouvoir en a moins besoin, notamment sur le plan fiscal, et concentre sa domination sur les régions littorales. En revanche, les débouchés des itinéraires sahariens font l’objet de l’attention constante des pouvoirs centraux, tout comme les axes qui les relient aux capitales du nord et aux ports. La diversification des ports où les marchands européens viennent chercher l’or, mais aussi la politique du royaume de Mali, puis de l’empire Songhaï, visant la diversification des débouchés de leur production239, poussent à une plus grande compétition pour le contrôle des routes de l’or240. Deux « portes du désert » ont ainsi fait l’objet d’une âpre compétition241 : le Zāb et sa capitale Biskra, et Siǧilmāsa, signe de l’intérêt du commerce de l’or pour les sultans et les marchands242. Le Zāb est en effet devenu à cette époque le principal débouché de la route saharienne de Ouargla et est le théâtre de conflits interminables entre les émirs de Bougie et les tribus locales, mais aussi entre Bougie et Tunis pour en contrôler le trafic243. Siǧilmāsa fait quant à elle l’objet d’une compétition entre les Mérinides et les Abdelwadides pour capter les flux d’or soit vers Tlemcen et ses ports244, soit vers Fès et de là Ceuta245. Tlemcen, forte de son alliance avec les tribus Maʿqil et au prix de nombreuses expéditions vers le sud, contrôle une branche de ces routes de l’or246. Après une première tentative en 1257, elle parvient à contrôler Siǧilmāsa entre 1264 et 1274, la reprenant en 1331, mais elle la perd définitivement au profit des Mérinides en 1333-1334247. Cela ne conduit cependant pas à un arrêt de l’arrivée de l’or soudanais dans les ports abdelwadides, comme le montrent les documents majorquins et valenciens. Les marchands de Tlemcen continuent de fréquenter Siǧilmāsa248 et peuvent tirer également profit d’une autre route, plus orientale, par le Touat et de là Figuig249 ou encore plus à l’ouest par les oasis du Mzab au sud d’Alger (carte 11)250.
45Le contrôle des réseaux intérieurs s’est donc sensiblement modifié par rapport à la période précédente. La route des piémonts du Tell, si importante durant les premiers siècles de la domination musulmane, n’est plus un enjeu des compétitions régionales, et les pouvoirs se contentent le plus souvent de l’affirmation d’une souveraineté plus lâche et indirecte, notamment par le biais des iqṭāʿ-s accordés aux tribus, ou quand ils en ont la force par des expéditions ponctuelles. Les seules régions qui font l’objet d’une attention constante, et de conflits entre puissances, sont les points d’arrivée des routes sahariennes de l’or, et les couloirs méridiens qui les relient aux côtes. Ce choix peut s’interpréter comme un signe d’affaiblissement de l’État face au pouvoir incontrôlable des tribus, ce qui vaut en partie pour certaines périodes. Mais ce désintérêt reflète aussi les nouvelles priorités des souverains maghrébins, qui se réorientent vers la Méditerranée et ont moins besoin de ces régions intérieures, notamment sur le plan fiscal, grâce aux revenus importants qu’ils peuvent tirer des taxes douanières sur le commerce maritime251. Dans ce schéma le Maroc fait pourtant exception, du moins en partie : Marrakech et Fès conservent leur rôle de pôles politiques et économiques, malgré l’animation de la façade maritime. Ceuta, en dépit de son importance et de sa prospérité, ne devient jamais la capitale. Plusieurs explications peuvent être apportées à cette singularité. Peut-être y a-t-il eu un meilleur contrôle des tribus de l’intérieur par le pouvoir252 — mais cela est davantage la conséquence de la concentration du pouvoir dans ces régions intérieures, ce qui ne fait que déplacer le problème. Il y a surtout une orientation différente de l’espace marocain, formant une large bande parallèle à la côte atlantique, et pour laquelle la façade méditerranéenne est relativement réduite. Enfin il faut tenir compte de la pression chrétienne, bien plus sérieuse dans la zone du Détroit que dans le reste du Maghreb, et qui a pu pousser le pouvoir à renoncer à se fixer dans une position littorale trop menacée — et de fait Ceuta fut la première conquête durable des chrétiens sur la côte africaine, dès 1415253.
L’investissement des pouvoirs dans les ports et régions littorales
46Le premier signe du rôle joué désormais par les ports dans l’espace maghrébin est leur place dans la hiérarchie administrative et politique telle qu’elle apparaît dans les nominations de gouverneurs254. Dans le domaine hafside, Bougie accueille souvent l’héritier du trône, ou des membres éminents de la famille régnante, et il en est de même pour Bône255, alors que d’autres ports moins développés et plus proches de la capitale sont tout de même les sièges de gouverneurs (Bizerte, Sousse, Mahdia, Gabès, Tripoli). Seule Constantine peut prétendre à une importance égale, en raison de sa position stratégique, mais assez tardivement256. Les Abdelwadides, qui ont choisi de prendre pour capitale Tlemcen, attachent également une grande attention aux villes maritimes : Ténès, Taount, Brechk/Gouraya257 ou Dellys ont leurs propres gouverneurs et abritent des garnisons, mais les plus dynamiques sont les deux avant-ports de la capitale, Hunayn et surtout Oran, qui la protègent des attaques venues de la mer et lui offrent un approvisionnement nécessaire258, ainsi qu’Alger qui prend véritablement son essor à cette époque. Dans la compétition qui oppose les fils d’Abū Ḥammū II à la fin de son règne, l’héritier présomptif Abū Tašfīn, le plus expérimenté de ses fils, reçoit ainsi en 1374 Alger comme apanage. Contraint de revenir à Tlemcen auprès de son père, il réclame et finit par obtenir Oran, gouvernée jusqu’alors par son frère Abū Zayyān259, puis demande qu’on lui confie également Alger, où il place un de ses frères et allié comme lieutenant, renforçant alors considérablement son pouvoir. Le conflit qui suit entre le fils et le père confirme l’importance d’Alger, dont Abū Ḥammū songe un temps à faire sa capitale260. Enfin à l’ouest, lorsque les Mérinides parviennent après une longue lutte à se rendre maîtres de Ceuta, ils y installent des officiers de confiance et retirent tout pouvoir à la šūrā qui jusque-là avait joué un rôle politique notable dans la vie de la cité261. Ils accordent également une grande importance à sa voisine Bādis, qui prend véritablement son essor à cette époque262.
47Cet investissement du pouvoir dans les ports se traduit par un effort particulier porté aux fortifications et plus globalement aux constructions urbaines et, avec un succès plus inégal, à la constitution de flottes de guerre. Les chroniqueurs aiment à attribuer aux princes qu’ils veulent louer un vaste programme de constructions qui comprend dans un même ensemble des édifices religieux (mosquées, madrasas) et des ouvrages de défense, et c’est souvent à leur seul règne qu’on attribue des campagnes de fortifications qui sont peut-être plus diffuses dans le temps. Elles sont présentées comme un effort pour la défense des frontières de l’Islam face aux menaces chrétiennes, et servent en effet à repousser certaines attaques, notamment des pirates, mais elles doivent aussi être vues comme un élément de la politique, interne au Maghreb, de contrôle des territoires263. C’est ainsi le cas d’Abū Fāris, qui est considéré comme le restaurateur de la grandeur hafside264, et surtout du Mérinide Abū l-Ḥasan. Celui-ci, aux dires d’Ibn Marzūq, aurait fait construire des ribāṭ-s et des tours-vigies tout le long de la côte entre les limites occidentales de l’Ifrīqiya et le Maroc atlantique265. Les archéologues datent parfois de son règne certains travaux effectués à cette époque sur le littoral du Maghreb central, comme à Hunayn et sa région266, mais l’investissement dans les fortifications couvre toute la période almohade et mérinide, avec seulement des moments plus intenses, notamment durant les guerres du xive siècle267. L’effort en faveur de la constitution de flottes de guerre correspond aussi, assez logiquement, à ces règnes marqués par les conflits, à la fois intra-maghrébins et contre les puissances chrétiennes ibériques. L’activité des chantiers navals est moins bien documentée que pour la période almohade, mais des indices épars montrent qu’elle se poursuit, sous le règne de certains souverains au moins. Les Hafsides268 ont ainsi pu à plusieurs reprises mobiliser une flotte importante, à partir principalement des bases navales et des arsenaux de Tunis269 et Bougie270, mais aussi Mahdia271, Collo, Bône272, Djerba et Tripoli273. Celle-ci permet d’appuyer leurs politiques de conquêtes, de défendre leurs côtes, mais aussi d’aider des souverains alliés, soit dans le cadre des conflits entre puissances maghrébines, soit plus épisodiquement pour aider à la lutte contre les chrétiens274. Elle contribue en outre, surtout dans la seconde moitié du xive et au début du xve siècle, à l’activité pirate à partir des côtes hafsides. Les Mérinides, qui entendent jouer un rôle majeur dans le djihad andalou et ont des ambitions à l’échelle du Maghreb, se lancent également dans une grande politique de constructions navales, dont Ibn Ḫaldūn se fait l’écho275. Leurs arsenaux à Ceuta276 et Bādis277, ainsi que ceux de l’Atlantique278, leur permettent d’être en mesure d’aligner des flottes imposantes, notamment au moment de la guerre du Détroit279. En revanche les Abdelwadides ont eu plus de difficultés à se constituer une flotte, malgré la présence d’un arsenal à Hunayn280, et doivent constamment louer à prix d’or des navires aux Catalans ou aux Majorquins pour faire face aux menaces hafsides ou mérinides281.
Les ports objets de conflits et de rivalités
48La conséquence de cette importance accrue des ports est leur place centrale dans les conflits régionaux. Ils sont tout d’abord des lieux où parviennent à s’affirmer des autonomies urbaines en période d’affaiblissement des pouvoirs sultaniens, qui doivent parfois lutter pendant de longues années pour réimposer leur autorité. Ils sont ensuite des points d’appui essentiels des grands mouvements de conquête par les trois dynasties post-almohades. Enfin, et de plus en plus, ils sont l’objet d’une compétition à la fois militaire et commerciale avec les puissances chrétiennes, mais aussi entre les différents États européens. Dans tous ces conflits se conjuguent des intérêts stratégiques et politiques, ainsi que des considérations d’ordre économique et commercial pouvant contribuer à modifier de manière plus ou moins durable les réseaux d’échanges.
49Les ports sont tout d’abord des lieux privilégiés pour l’émergence de pouvoirs locaux autonomes par rapport au centre, voire totalement indépendants. Ils ne sont certes pas les seuls dans un Maghreb soumis à de forts mouvements centrifuges, notamment en période de faiblesse des pouvoirs centraux, et de telles tendances se rencontrent également dans le Zāb ou à Siǧilmāsa par exemple. Il n’en demeure pas moins que, depuis l’époque ziride qui avait vu plusieurs villes portuaires échapper au pouvoir des émirs, les ports sont régulièrement le cadre de mouvements sécessionnistes, en particulier les plus importants d’entre eux : Tripoli, Gabès, Djerba, Bougie, Alger ou Ceuta. Il peut s’agir de la prise du pouvoir par un prince dissident de la famille régnante, de l’indépendance d’un pouvoir tribal local, ou de l’affirmation d’une oligarchie urbaine — ces trois configurations pouvant à l’occasion se combiner.
50Le cas le plus simple a priori, parce qu’il est mieux éclairé par les sources, est la rupture d’allégeance d’un prince-gouverneur qui s’appuie sur un port et ses ressources pour affirmer un pouvoir personnel. Bougie sert ainsi à plusieurs reprises les ambitions d’un émir hafside. L’éloignement par rapport à Tunis, le rang des gouverneurs de la ville dans la hiérarchie familiale (souvent les fils aînés du sultan et ses héritiers présomptifs), l’affirmation de formes d’identités urbaines et régionales fortes, les nécessités aussi de défense face à des menaces régionales, notamment les attaques abdelwadides, tout concourt à favoriser l’autonomie ou l’indépendance de la ville282. Mais cette configuration pourrait se retrouver pour des villes de l’intérieur comme Constantine, qui jouit également d’une forte autonomie souvent concédée par le pouvoir de Tunis et connaît parfois des périodes d’indépendance. En outre, ces émirs visent le plus souvent à refaire l’unité politique hafside à leur profit, et l’indépendance de Bougie n’est jamais qu’une étape pour la conquête du pouvoir à Tunis. Les conflits autour du contrôle du port se soldent donc toujours par la réunification de l’espace hafside, que ce soit par une reconquête de la part du sultan de Tunis ou par une prise de pouvoir à Tunis de l’émir de Bougie.
51Ce n’est pas le cas pour les ports qui prennent leur indépendance sous la conduite d’une tribu, phénomène qui semble assez rare, mais que l’on rencontre dans le cas d’Alger avec les Ṯaʿāliba à partir de la fin du xive siècle283. Cette tribu arabe de la branche des Maʿqil tenait la région de la Mitidja dans l’arrière-pays d’Alger et payait l’impôt aux Malikīš, puis aux gouverneurs d’Alger284. Les conflits qui marquent la fin du règne d’Abū Ḥammū II leur permettent cependant de s’affranchir de plus en plus de cette tutelle, en soutenant le plus souvent Abū Zayyān contre le sultan, et semble-t-il en s’appuyant également sur le rejet par la population du port de la domination trop pesante des Abdelwadides et notamment des percepteurs de taxes285. Ils parviennent ainsi à jouer un rôle croissant dans la ville même d’Alger sous la conduite de leur šayḫ Sālim b. Ibrāhīm qui finit par s’emparer du pouvoir au nom d’Abū Zayyān 286. Abū Ḥammū réussit à venir à bout de leur résistance en 1377-1378, et Ibn Ḫaldūn conclut à l’anéantissement de la tribu après la mise à mort de son chef287. Bien que la période qui suit nous soit très mal connue, il est manifeste que les Ṯaʿāliba maintiennent leur influence à Alger, qui passe à nouveau sous la domination des Hafsides de Bougie. C’est un membre de leur tribu, ʿAbd al-Raḥmān al-Ṯaʿālibī, né peut-être à Alger en 1383 et mort en 1470, qui en devient le saint-patron, ce qui suggère qu’ils conservent une certaine influence locale288. Léon l’Africain rapporte surtout qu’à l’arrivée de Barberousse la ville était dirigée par un émir des Arabes de la tribu Ṯaʿāliba qui vivaient dans la plaine de la Mitidja, Sālim al-Tūmī, qui s’était proclamé seigneur d’Alger après la prise de Bougie par les Espagnols289. Mais il est difficile d’analyser avec précision le rôle de la tribu dans l’histoire d’Alger au xve siècle, qui est particulièrement mal documentée. En outre, cet exemple de tribu de l’arrière-pays prenant possession d’un port reste plutôt isolé — alors que le cas est plus fréquent pour les villes de l’intérieur290 —, et montre surtout un échec global de ces tentatives, sauf pour de très courtes périodes et à des moments de faiblesse des pouvoirs centraux.
52En revanche, ce qui est plus fréquent est le cas de villes portuaires dans lesquelles une oligarchie urbaine ou une famille importante s’emparent du pouvoir, parfois en collaboration plus ou moins étroite avec un conseil de notables. Le cas le mieux connu et étudié est celui de Ceuta, qui parvint à maintenir son autonomie pendant de longues années en jouant habilement de sa position stratégique et des rivalités entre Almohades, Mérinides, Hafsides et princes andalous291. Sous Abū l-ʿAbbās al-Yanaštī, entre 1233 et 1236, puis avec les Banū l-ʿAzafī qui tiennent la ville de manière discontinue entre 1250 et 1328, le pouvoir revient à des membres de l’oligarchie marchande qui deviennent les seigneurs de Ceuta. Mais si cette ville a reçu un éclairage particulier par les sources en raison à la fois de son rôle stratégique et de la conservation d’une production historiographique propre, elle n’est pas un cas isolé et Gabès comme Tripoli présentent de grandes similitudes avec la ville du Détroit.
53L’histoire de Gabès est assez bien documentée, en raison du long conflit dont elle fut le centre, entre les Hafsides et la famille des Banū Makkī292. Celle-ci apparaît dans le paysage politique du sud tunisien avec l’arrivée au pouvoir des Hafsides, et prend la place des Banū Ǧāmiʿ, tribu arabe de la branche des Riyāḥ qui avait dominé la région à l’époque ziride, avant de décliner sous les Almohades293. Ils composent alors, avec les Banū Muslim, le conseil des šayḫ-s (mašyaḫa) de Gabès294, et appartiennent donc à l’oligarchie urbaine — les sources ne mentionnent pas de lien lignager avec les tribus de l’arrière-pays, même si Ibn Ḫaldūn les rattache aux Berbères Lawāta. À ce titre, ils soutiennent dans un premier temps les Hafsides, parvenant à éliminer les Banū Muslim lors de la crise des Banū Ġāniya. À la fin du xiiie et au début du xive siècle les Banū Makkī apportent leur secours de manière récurrente à divers compétiteurs du pouvoir à Tunis et étendent leur domination dans la région, notamment sur Djerba qui leur est concédée en 1345-1346 par le sultan Abū Bakr. Mais c’est avec les conquêtes mérinides, et l’affaiblissement du pouvoir hafside qui en découle, qu’ils peuvent pleinement déployer leur puissance dans la région, en s’alliant avec Abū l-Ḥasan puis son fils Abū ʿInān (ainsi qu’avec le Hafside de Constantine). Ils se constituent alors une principauté indépendante clairement orientée vers le contrôle des villes portuaires : en 1355 ils rachètent pour 50 000 pièces (ou cinq charges) d’or le port de Tripoli à l’amiral génois Filippo Doria qui l’avait pris et tenu pendant quelques mois295, et l’année suivante ils s’emparent de Sfax. Ils tiennent ces possessions jusque dans les années 1370, se repliant ensuite sur Gabès qu’ils finissent par perdre définitivement en 1393-1394. Ils contrôlent ainsi un espace littoral stratégique et cohérent sur la route de l’Orient, allant de Sfax à Tripoli, en tenant les positions-clés de Djerba et des îles Kerkennah296. Cela leur permet de développer leur propre diplomatie avec les puissances chrétiennes, notamment les Vénitiens avec lesquels ils signent en 1356 un traité perpétuel portant notamment sur l’exploitation du sel de Raʾs al-Maḫbaz et l’importation de fer et de bois297.
54Le cas de Tripoli présente beaucoup d’analogies avec Gabès, et montre également une autonomie acquise sous la conduite des élites urbaines298. Elle fut à l’époque ziride la première d’une longue liste de villes portuaires qui prirent leur indépendance vis-à-vis du pouvoir de Kairouan, dès l’an 1000 environ299, et fit l’objet par la suite d’une âpre compétition entre le pouvoir central de Tunis, les tribus (notamment arabes) de l’arrière-pays, mais aussi les Ayyūbides (par l’intermédiaire de Qarāqūš qui la gouverna un temps au nom de Saladin)300, les Banū Makkī de Gabès et les puissances latines. Sa position clé sur la route entre l’Ifrīqiya et l’Égypte, à la fois terrestre (notamment pour le pèlerinage) et maritime301, en faisait un port d’importance stratégique. Mais son éloignement par rapport à la capitale rendait aussi son contrôle plus difficile en période de défaillance du pouvoir. Au cours de la crise du xive siècle, deux familles émergent, des Banū Ṭāhir et les Banū Ṯābit, la seconde parvenant vers 1324 à marginaliser la première avec Muḥammad b. Ṯābit, qui prend les attributs du pouvoir princier. Michael Brett suppose qu’il appartenait à l’élite marchande, sans doute à juste titre. Après la prise de la ville par les Génois302 et son passage sous le contrôle des Banū Makkī, Ṯābit, fils et successeur de Muḥammad, doit fuir Tripoli et se rend en Égypte. Ce choix — alors qu’en général les princes déchus désireux de reconstituer leurs forces pour une reconquête du pouvoir se réfugient plus volontiers dans les tribus de l’intérieur — peut laisser penser à des liens privilégiés, qui pourraient être de nature commerciale, avec l’Égypte. Quoi qu’il en soit, à Alexandrie les Banū Ṯābit s’adonnent au commerce et leur exil forcé leur permet de s’enrichir suffisamment pour être en mesure de financer leur retour au pouvoir en nolisant des navires chrétiens et en louant les services d’Arabes de la région de Tripoli303. Ils parviennent ainsi en 1369 à se rendre maîtres de la ville en l’attaquant à la fois par terre et par mer, et la gouvernent officiellement au nom des Hafsides, levant pour eux-mêmes les taxes dans la région et versant (de plus ou moins bonne grâce) un tribut à Tunis. Ils parviennent à se prémunir des attaques hafsides qui entendent rétablir leur pleine autorité à la fin du siècle, recherchant pour cela l’aide du roi de Sicile304, et ce n’est qu’en 1400-1401 qu’Abū Fāris parvient à les chasser du pouvoir.
55Ce processus d’autonomisation des villes, avec des degrés variables de reconnaissance du pouvoir central pouvant aller jusqu’à une totale indépendance, n’est pas propre aux ports, et il se rencontre également pour des villes de l’intérieur. L’affaiblissement du pouvoir sultanien facilite ces tendances sécessionnistes et pousse les populations urbaines à se donner à un pouvoir local capable d’assurer leur défense et leur sécurité. Le mouvement d’autonomisation est cependant récurrent pour les ports, en particulier les plus importants sur lesquels nous sommes mieux informés parce que les sultans ont déployé des moyens importants pour y rétablir leur autorité. Il présente par ailleurs des spécificités liées à la position littorale de ces villes. Tout d’abord, la prospérité des ports et les revenus tirés des douanes offrent des moyens financiers pour lutter contre le pouvoir central. La richesse acquise par la gestion des douanes ou la pratique du commerce est plusieurs fois évoquée comme une des causes de l’accession au pouvoir d’un notable local : outre les Banū Ṯābit à Tripoli305, à Ceuta al-Yanaštī et Ibn Ḫalāṣ s’emparent successivement du pouvoir, après avoir été directeurs de la douane et amassé une fortune considérable dans le négoce, leur permettant de recruter des partisans306. De même c’est grâce à l’aide financière apportée par des marchands bougiotes présents à Tlemcen que l’émir Abū Zakariyāʾ peut lever une armée et s’emparer de Bougie en 1285-1286307. La position littorale des ports constitue un autre atout pour résister aux tentatives de reconquête du pouvoir central. Le plus souvent ces villes sont fortement défendues côté terre308, et peuvent recevoir de l’aide extérieure par mer, rendant les sièges inopérants faute d’un secours naval309. À la fin du xive siècle il faut ainsi près de dix ans à Abū Fāris pour se rendre véritablement maître de Tripoli, alors qu’il est un des princes les plus puissants de la dynastie et domine tout l’arrière-pays. Enfin une dernière raison explique ces forces centrifuges dans les villes littorales, liée à la nouvelle configuration des réseaux d’échanges. Le port dépend principalement de son arrière-pays et de la mer, orientant son espace de relations selon des directions nord-sud et rendant par là même moins nécessaires les liens avec le reste de la côte. L’espace dominé par le port dans l’arrière-pays peut donc être relativement réduit, au moins dans sa largeur, ce qui contribue à favoriser un émiettement politique lorsque le pouvoir central est faible. Les efforts des maîtres de Tripoli pour passer des accords avec les tribus de l’intérieur visent ainsi à protéger la ville contre les assauts des armées de Tunis, mais surtout à garantir au port les débouchés nécessaires à sa prospérité.
56Quelles que soient les ressources de ces ports, ils ne parviennent cependant jamais à conserver leur indépendance pendant de très longues périodes, et finissent toujours par devoir reconnaître le pouvoir d’un État plus puissant. Ils sont en effet l’objet de l’attention des différents souverains qui se disputent le Maghreb, mais aussi dans certains cas des puissances européennes. Sans entrer dans le détail de ces longs conflits entre Hafsides, Abdelwadides et Mérinides, il faut remarquer tout d’abord qu’ils ont eu pour principal théâtre les ports, qui constituent désormais l’armature principale de contrôle du territoire réellement dominé. L’histoire complexe des grandes campagnes militaires montre que — mis à part les points d’accès de l’or dans le sud du Maghreb — ce sont les ports qui ont fait l’objet des compétitions les plus dures. Les armées suivent le plus souvent des routes proches du littoral310, et quand elles s’enfoncent davantage vers l’intérieur, c’est principalement pour couper les ports de leurs bases-arrière et les priver du secours des tribus de l’arrière-pays311. Sans surprise, les villes qui émergent sont les ports les plus importants : Ceuta (avec une forte dimension andalouse des conflits autour du Détroit), les ports du littoral tlemcennien et notamment Oran, enfin Alger et Bougie. Le choix de ces villes comme points d’appui principaux des conquêtes est lié à leur rôle dans le contrôle de l’espace, mais aussi sans doute à des considérations d’ordre économique et commercial. C’est en particulier la thèse de Mohamed Kably, qui estime à juste titre que l’expansion mérinide à l’est visait à un contrôle des débouchés et des réseaux en constituant une « zone consolidée d’accueil et de réexportation vers l’Europe » centrée sur la côte entre Ceuta et Bougie312. Enfin ces conflits rappellent encore la nécessité de disposer d’une flotte pour mettre en œuvre toute politique d’expansion au Maghreb. Les Hafsides et les Mérinides surent, à certaines époques, développer des flottes puissantes313, mais bien souvent elles furent insuffisantes pour maintenir de manière durable leur domination. Le recours fréquent, notamment au xive siècle, à la location coûteuse de navires catalans ou plus rarement italiens fut un des éléments majeurs de la diplomatie maghrébine et une source d’affaiblissement financier et de dépendance politique314. La compétition entre ports ne prend cependant pas que des formes militaires. L’objectif est également d’attirer les marchands, et pour cela les privilèges accordés aux différentes nations peuvent être un moyen de renforcer le poids d’un port ou d’une région dans les réseaux d’échanges. Cela passe par les mesures fiscales, mais aussi par les conditions générales d’accueil offertes aux Latins, notamment en termes de sécurité et de liberté de commerce. Cette rivalité apparaît de manière incidente dans une affaire survenue en 1372 à Hunayn, où des marchands majorquins sont arrêtés et leurs marchandises saisies malgré les garanties qui leur avaient été offertes. L’affaire en soi est assez banale, mais ce qui est intéressant sont les motifs de cette arrestation, tels qu’ils sont rapportés dans un document de la Chancellerie de la couronne d’Aragon : les autorités de Hunayn affirment qu’elles ont agi en raison de faits de piraterie, mais selon les Majorquins elles étaient en réalité mécontentes que le linh ait débarqué à trois reprises à Alcudia et une fois seulement à Hunayn des draps et des épices venant de Majorque, ce qui lésait l’intérêt personnel des fermiers des douanes au profit des officiers d’Alcudia315. Au-delà de son caractère anecdotique, cet incident montre que certains ports peuvent chercher à étouffer le commerce de leurs concurrents, ce qui peut se produire notamment pour ceux qui abritent des capitales politiques. À l’inverse, la perte d’autorité du pouvoir central sur des régions littorales peut se traduire par un essor de leur commerce, moins entravé par le poids de la capitale.
57Dans cette Méditerranée largement dominée par les chrétiens, la compétition régionale pour le contrôle des ports ne se limite pas aux puissances musulmanes, et les États chrétiens, principalement ibériques, tentèrent d’imposer leur souveraineté, sous des formes très diverses, ou d’assurer la prééminence de leurs sujets sur certains marchés importants. Les conflits, de nature politique ou commerciale, mettant en jeu les puissances du nord — qu’ils opposent chrétiens et musulmans ou les chrétiens entre eux — ont été en effet un des facteurs importants de formation et de modification des réseaux d’échanges en Méditerranée et au Maghreb. Cette question est certainement de celles qui ont le plus attiré l’attention des historiens, à travers des études sur l’expansion des ports majeurs du sud de l’Europe ou sur les relations entre Islam et chrétienté. Pour autant, l’accent est rarement mis sur le choc politique et religieux entre les deux rives, sauf pour quelques événements ponctuels ou les règnes de certains souverains ibériques (dont les Rois Catholiques à la fin de la période)316. Au contraire, ce qui domine est une tradition historiographique durable, héritée en grande partie de l’œuvre de Louis de Mas Latrie, et qui a cherché à minimiser la dimension conflictuelle de ces relations, préférant mettre l’accent sur les accords de paix et le commerce317. L’Orient, marqué par la croisade, est volontiers opposé à l’Occident, où dominent les échanges pacifiques, ce qui est — dans un cas comme dans l’autre d’ailleurs — une vision schématique. L’existence de courants commerciaux n’empêche pas en effet la Méditerranée d’être fondamentalement un espace de conflits, qu’ils prennent une forme militaire ou non, et au Maghreb les ports ont été le principal théâtre de ces compétitions. La dimension religieuse n’est pas absente, dans les discours comme les motivations, pas plus que les ambitions de domination politique. Cependant elles finissent toujours par passer après la volonté de contrôler, voire de monopoliser les réseaux d’échanges et de navigation. Tardivement, après la chute de Grenade quand la poussée de la Reconquista déborde sur les côtes africaines, la perspective change. Mais l’échec des présides et de la politique d’occupation restreinte318 vient en définitive confirmer que le Maghreb est un terrain d’expansion avant tout économique et très secondairement politique. Cela ne signifie pas qu’il n’y eut aucune entreprise de conquête, mais celles-ci visaient avant tout le contrôle ou la protection des routes maritimes et de leurs points d’articulation et non une occupation territoriale en profondeur.
58Certes les expéditions présentées comme des croisades, et parfois soutenues par la papauté, ne manquent pas. La plus connue, parce qu’elle est considérée comme la dernière des grandes croisades visant la libération des Lieux Saints, est celle de Louis IX, qui en 1270 parvient à s’emparer de Carthage mais échoue assez rapidement. Ses motivations sont complexes, et les historiens se sont longuement interrogés sur cette attaque d’une terre si éloignée de Jérusalem319. Les rêves de conversion du Maghreb, dans le contexte des missions du xiiie siècle, sont incontestables320, mais l’objectif est bien ailleurs, contre les Mamelouks que les croisés voulaient ainsi prendre à revers. Quoi qu’il en soit, à peine le roi de France mort, son frère Charles d’Anjou reprend une politique plus traditionnelle faite d’accords commerciaux et d’imposition de tributs321. Dans un contexte un peu différent, davantage lié à la Reconquista, un projet de croisade associant la papauté au roi de Castille Alphonse X et au roi d’Angleterre avait déjà visé le Maroc au milieu du xiiie siècle, avec un plan de partage des territoires à conquérir, mais avait tourné court322. En 1282 le roi d’Aragon lance à son tour une croisade, affichant semble-t-il un ample projet de peuplement et de conversion323, mais les Vêpres Siciliennes le font rapidement abandonner la ville de Collo dont il s’était rendu maître, pour s’occuper de la Sicile324. Par la suite d’autres expéditions prennent des allures de croisade, et se présentent comme telles avec une mobilisation conjointe de plusieurs forces chrétiennes et un appui de la papauté, mais elles sont surtout des opérations de représailles visant à lutter contre la piraterie musulmane. C’est le cas par exemple de l’attaque franco-génoise de 1390 contre Mahdia, pour laquelle le pape Clément VII accorde des indulgences, et qui se solde en 1391, après un siège aussi long que vain de la ville, par un traité et le versement à Gênes d’une forte indemnité325, ou de celle menée par Valence et Majorque en 1398-1399 consécutives au sac du village de Torreblanca par les musulmans, qui bénéficia également de bulles de croisades de la part de Benoît XIII et visa Dellys et Bône, mais sans dépasser le stade de la simple razzia326. Ces expéditions, et d’autres de moindre envergure qui ne reçurent pas l’aval de la papauté, avaient pour objectif principal soit de faire du butin, soit d’exercer une pression sur les souverains musulmans, notamment pour mettre fin à la piraterie, mais aussi dans le cadre des conflits internes au Maghreb dans lesquels les Catalans s’immiscèrent régulièrement327.
59Les seuls cas d’occupation durable concernent de manière révélatrice des ports situés en des points stratégiques pour le commerce et la navigation. C’est le cas des îles de Djerba et des Kerkennah, et de Ceuta sur le détroit de Gibraltar. La conquête des îles au large de l’Ifrīqiya s’inscrit à la fois dans la revendication par la couronne d’Aragon de droits sur des terres qu’avaient possédées les Normands avec Roger II, et dont elle estimait avoir hérité avec la Sicile après 1282, mais surtout dans une stratégie de contrôle des îles de Méditerranée occidentale. Outre les Baléares, la Sicile et la Sardaigne, les rois d’Aragon imposent leur domination également sur Malte et Pantelleria, contrôlant ainsi la « route des îles » et le passage du canal de Sicile. Dans la ligne de cette politique, Djerba est conquise en 1284 par l’amiral Roger de Lauria, à titre privé mais avec l’accord de Jacques d’Aragon qui gouverne alors la Sicile, et reste occupée par les chrétiens jusqu’en 1335, avec en complément les îles Kerkennah voisines328. Ramon Muntaner, qui en fut le maître à partir de 1306 au nom de Frédéric de Sicile, la décrit de manière significative comme étant « au milieu de la Barbarie, à égale distance entre Ceuta et Alexandrie », ce qui ne saurait mieux exprimer le rôle de l’île sur les routes de navigation329. La conquête de Ceuta par les Portugais est autrement plus durable, mais répond en partie aux mêmes objectifs économiques. Si les dimensions religieuses, politiques, voire « nationales » ne sont pas étrangères à l’entreprise de Jean Ier, la compétition pour le contrôle de la navigation dans le détroit est essentielle dans le choix du roi portugais330. Dans les deux cas ces occupations prennent place dans les conflits entre chrétiens et musulmans autant que dans la compétition entre puissances chrétiennes pour la domination de la Méditerranée. Elles visent d’ailleurs moins à s’installer au Maghreb qu’à tenir les routes de navigation à l’échelle de la Méditerranée et de l’Atlantique. Comme souvent avec les présides, le résultat pour ces ports est en effet de les couper de leur hinterland et de provoquer le déplacement des flux commerciaux en direction d’autres ports toujours tenus par les musulmans. Ceuta en particulier cesse, après 1415, d’être le principal débouché des routes marocaines sur la Méditerranée, ce qui a pu profiter à d’autres ports comme Bādis ou, plus à l’est, Oran. Avant le début du xvie siècle et la politique espagnole d’occupation des présides, les puissances européennes ne cherchent pas véritablement à s’implanter au Maghreb. Les pressions politiques ne manquent pas, notamment de la part de la couronne d’Aragon, mais elles prennent le plus souvent d’autres formes, comme l’intervention dans les conflits internes aux sultanats musulmans, en vue d’en retirer des avantages commerciaux ou financiers.
60Le Maghreb est en effet avant tout pour les États chrétiens un espace d’échanges économiques. Les républiques italiennes, fidèles à leur politique traditionnelle vis-à-vis de l’Islam, ne cherchent pas à s’immiscer dans les affaires intérieures des sultanats, et visent surtout à garantir à leurs marchands de bonnes conditions pour leurs affaires. La politique de la couronne d’Aragon est plus complexe et ambiguë, à la fois en raison de ses ambitions en Méditerranée occidentale et du contexte ibérique de lutte entre l’Islam et la chrétienté. Charles-Emmanuel Dufourcq distingue ainsi ce qu’il appelle la « politique de 1230 », marquée par une attitude belliqueuse dans le prolongement de la conquête de Majorque, et la « politique de 1250 », en référence à l’interdiction cette année-là par Jacques II de la course contre les pays musulmans en paix, et caractérisée au contraire par une volonté d’apaisement favorisant le commerce331. De fait, l’histoire compliquée des relations entre la couronne d’Aragon et le Maghreb, minutieusement reconstituée par Charles-Emmanuel Dufourcq et María Dolores López Pérez, est émaillée de nombreux et parfois longs conflits, marqués par des expéditions militaires. La volonté des souverains catalano-aragonais d’imposer une forme de domination, notamment par l’exigence répétée d’un tribut ou le contrôle revendiqué sur les milices chrétiennes au service des sultans332, est incontestable — les visées religieuses sont plus incertaines et ne dépassent sans doute pas un discours à usage interne. Mais jamais ils ne parviennent vraiment à leurs fins, sauf pour de très courtes périodes lorsqu’un souverain musulman est provisoirement dans une situation particulièrement difficile. Ces conflits ont des conséquences importantes pour le commerce, la rupture de la paix n’empêchant pas les marchands de venir dans les ports musulmans (sauf dans les cas de boycott officiellement déclaré) mais les plaçant dans une situation d’insécurité juridique qui rend les voyages et les investissements plus risqués. Ce qui finit toujours par triompher cependant, même après de longues périodes de rupture, sont les exigences du commerce, appuyées par les milieux du négoce, notamment de Barcelone et de Majorque333. Ces marchands ont deux exigences fondamentales : pouvoir naviguer librement et avec un minimum de risques (ce qui suppose de lutter contre la piraterie334) et pouvoir venir dans les ports musulmans pour y mener librement et en toute sécurité leurs affaires. C’est sur ces deux points que porte l’essentiel des clauses des traités de paix.
61La compétition commerciale autour des ports maghrébins est plus difficile à mettre en lumière car elle n’est pas exprimée comme telle dans les textes ou les documents. Elle revêt malgré tout en partie une dimension politique, et parfois militaire, qui montre l’implication des États dans cette rivalité pour les marchés méditerranéens335. À partir du xiiie siècle les nations marchandes présentes au Maghreb se sont diversifiées, et ne concernent plus seulement les Italiens336. Cela se traduit par la formation de communautés marchandes parfois pérennes dans les ports maghrébins, organisées par nations autour de leurs fondouks337, et par une multiplication des liens commerciaux entre les deux rives. Il n’existe pas d’aire exclusive d’activité, mais des zones sont privilégiées par certains marchands : en raison de leur proximité géographique, les Italiens investissent plutôt l’Ifrīqiya, alors que les marchands catalano-aragonais sont très présents dans le Maghreb central et occidental338. Mais les distances, si elles jouent un rôle, ne sont pas le facteur d’explication principal des réseaux de navigation. Ce qui compte est à la fois l’attractivité des marchés et les conditions du commerce et de sécurité sur mer et dans les ports. C’est sur ce terrain que se déploie la rivalité entre les grandes nations marchandes, avec le soutien des États.
62Cette compétition peut prendre des formes militaires, dans un contexte méditerranéen marqué par des guerres nombreuses : entre Génois et Pisans ou Vénitiens, entre Génois et Catalans, entre Angevins et Catalans, etc. Certaines campagnes s’inscrivent ainsi dans la lutte globale pour la domination de la Méditerranée, mais aussi de manière plus spécifique pour le contrôle des marchés maghrébins. Déjà l’expédition pisano-génoise contre Mahdia en 1087 avait certes pour objectif de lutter contre la piraterie, mais aussi sans doute de concurrencer les marchands du royaume normand de Sicile, et la résolution de la crise, par un accord commercial et financier, prouve sans ambiguïté que les intérêts économiques représentaient une motivation majeure339. Il en est de même pour l’attaque génoise contre Ceuta en 1234, rapportée à la fois par des sources arabes et latines340 : le texte d’Ibn ʿIḏārī présente l’événement comme un épisode du djihad contre les chrétiens, aboutissant à une victoire sur les Génois qui avaient tenté de prendre la ville de vive force341. Les textes et documents génois éclairent une réalité plus complexe. Ils parlent d’une attaque contre les marchands italiens présents dans le port de Ceuta par des Calcurini, qui auraient poussé leur avantage et menacé la ville même. Al-Yanaštī, seigneur de Ceuta, fait alors appel à l’aide de la République, avec laquelle un traité venait d’être signé l’année précédente. Avec 18 galères et 4 bateaux de ravitaillement, les Génois mettent en fuite les Calcurini, et c’est lorsqu’ils demandent à être payés pour leur aide militaire que la situation semble-t-il dégénère, pour des raisons obscures, et que les Génois attaquent la ville. Contrairement à ce qu’écrit Ibn ʿIḏārī, ils ne sont pas écrasés mais ne repartent que lorsqu’ils ont obtenu une forte indemnité pour rembourser leurs pertes matérielles et humaines342. L’identité de ces Calcurini a donné lieu à diverses interprétations343, mais la plus convaincante est celle proposée par Charles-Emmanuel Dufourcq qui voit en eux des Catalans. Ces événements se déroulent quelques années après la conquête de Majorque par la couronne d’Aragon (1229-1230), alors engagée dans une politique d’expansion qui peut expliquer cette attaque contre un port essentiel sur le plan à la fois économique et militaire. Dès lors, l’intervention génoise aurait été motivée à la fois par l’application du traité signé avec Ceuta, qui comportait peut-être une clause d’aide militaire344, et par les intérêts propres des Italiens dans le port. Dans les années 1220, le Maghreb sert en effet de marché de substitution : les Génois sont exclus de Romanie et rencontrent des difficultés en Égypte345, et avant la prise du pouvoir par les Hafsides à Tunis Ceuta est leur principale destination maghrébine346. Une conquête du port du Détroit par les Catalans aurait donc eu pour la République de graves conséquences commerciales, d’autant qu’elle risquait aussi de couper la route de l’Atlantique sur laquelle les Génois commençaient à s’aventurer. Plus qu’un épisode de la lutte entre chrétiens et musulmans, l’affaire de Ceuta doit donc être interprétée davantage comme un élément de la guerre commerciale qui commence entre Catalans et Génois pour le contrôle des marchés maghrébins. Celle-ci se poursuit tout au long du Moyen Âge, notamment à travers la piraterie, les Catalans cherchant à exclure leurs concurrents des côtes centrales et occidentales du Maghreb347. Une semblable compétition se retrouve entre Gênes et Pise, qui culmine avec la bataille de la Meloria et la défaite de la cité toscane, laquelle se voit imposer en 1288 un traité qui interdit à ses navires de dépasser Naples et la Sardaigne au sud, et Aigues-Mortes à l’ouest, ce qui leur ferme en théorie les marchés maghrébins348.
63Cette compétition prend cependant des formes plus pacifiques, à travers le jeu des acteurs économiques et l’action diplomatique. La négociation des traités de paix avec les souverains musulmans est en effet l’occasion de revendiquer des conditions plus favorables ou au moins égales à celles des concurrents, notamment en matière de taxes mais aussi d’infrastructures (fondouks) ou de relations avec les autorités locales. Certains de ces traités font apparaître, sous une forme qui prête parfois à sourire, cette rivalité entre les nations chrétiennes : celui de 1234, signé entre Pisans et Hafsides précise ainsi que les premiers pourront « agrandir leur fondouk comme celui des génois »349, et celui de 1264 stipule qu’ils doivent avoir les mêmes droits que les autres chrétiens qui sont en paix avec les Hafsides350, alors que le traité de 1353 affirme qu’ils « seront protégés, honorés et favorisés […] comme les Génois, ni plus ni moins351 ». Cette compétition entre chrétiens est également une arme économique et diplomatique aux mains des sultans, qui savent en jouer : lorsque le roi Jacques II d’Aragon envisage d’interdire le commerce des Catalans dans les terres abdelwadides, Sanche de Majorque le lui déconseille :
Chaque fois que nous interdisons à nos sujets de commercer avec l’État abdelwadide, les marchands d’autres nations s’empressent de s’y rendre ; et ils encaissent outre leurs gains habituels, les vôtres et les nôtres et ceux de nos sujets, tandis que ceux du sultan ne diminuent en rien352.
64Ces compétitions autour des ports sont la conséquence de leur place dans les réseaux d’échanges, mais ont en retour des effets sur la configuration de ces réseaux et la hiérarchie des ports. Elles montrent que les sultans, loin d’attendre passivement la venue des navires chrétiens, mènent une politique de contrôle des réseaux intérieurs liés aux ports et de compétition pour la souveraineté sur ces débouchés maritimes, qui prend des formes à la fois militaires et diplomatiques, par les accords de paix visant à faire venir les marchands étrangers. En ce sens leur politique vise à se positionner par rapport à l’évolution des réseaux d’échanges et à en faire profiter au mieux leurs ports.
65Le caractère relativement interchangeable des marchés maghrébins, hormis pour quelques produits, est une des causes de ces compétitions et surtout conduit à une moins grande stabilité des itinéraires marchands que dans d’autres régions (notamment en Orient) où certains ports sont des débouchés presque exclusifs de produits très recherchés. Ces flux sont dès lors particulièrement sensibles aux conflits locaux ou régionaux et aux changements de la conjoncture globale, d’autant que la plupart des produits exportés par le Maghreb peuvent être achetés ailleurs en Méditerranée ou en Europe. Il en résulte que ces réseaux peuvent subir des modifications brutales et rapides, en relation avec les aléas de la conjoncture politique, et ce d’autant plus que l’information circule rapidement. Les marchands s’adaptent ainsi très vite, parfois au cours d’un même voyage, les escales permettant de prendre des nouvelles et d’ajuster l’itinéraire en fonction de l’état des marchés et de la sécurité des routes et des ports. Les contrats notariés, notamment les nolis, mentionnent ainsi souvent la possibilité pour le marchand commandité d’aller là où il lui semblera intéressant de se rendre, en fonction des possibilités. Pour autant, au-delà de ces soubresauts dont parfois les sources n’ont même pas conservé le souvenir, il est possible de dégager des tendances à long terme qui montrent que globalement la configuration des réseaux d’échanges s’adapte aux grandes évolutions de la conjoncture économique et politique en Méditerranée et au-delà.
Notes de bas de page
1 Valérian, 1999b.
2 Les musulmans ne sont du reste pas les seuls à être marginalisés comme acteurs du grand commerce maritime. Le même constat peut être fait pour les marchands byzantins, d’Italie du sud voire, dans une certaine mesure, de l’Espagne chrétienne méridionale. Voir notamment Abulafia, 1977 ; Bresc, 1975 ; Menjot, 1986.
3 J’ai déjà eu l’occasion de traiter de cette question à propos de Bougie. Je me permets donc de renvoyer aux développements que j’y avais alors consacrés (Valérian, 2006a, pp. 503-554).
4 Brunschvig, 1940-1947, vol. 2, p. 167. Les élites religieuses, quoi qu’en disent leurs biographies, ne dédaignent pas toujours de se livrer au commerce et à la navigation : en 1452 une plainte hafside adressée à Gênes montre aussi que le capitaine d’un navire appartenant au seigneur de Bône est le faqīh Yūnis. Amari (éd. et trad.), « Nuovi ricordi arabici », texte arabe p. 27, trad. italienne p. 73 (14 muḥarram 856 / 5 février 1452).
5 Voir ci-dessous.
6 Ferhat, 1993, pp. 305-345.
7 Voir ci-dessous.
8 Sur cet épisode, voir Bruce, 2015.
9 I Diplomi arabi, éd. et trad. de Amari, vol. 1, partie arabe pp. 50-54 : 1031, 605 et 500 peaux pour respectivement 165, 90 et 80 dinars. Voir ci-dessous.
10 Voir ci-dessous n. 39 de ce chapitre.
11 Valérian, 1999b, pp. 56-58 ; Dufourcq, 1979, pp. 180-184.
12 En 1387 le Sénat de Venise écrit au sultan hafside que des navires de ses sujets détournés par la tempête ont été accueillis dans les ports de Modon et Coron (Archivio di Stato di Venezia, Senato, Misti, Rg. 40, fo 61vo [15/2/1387], cité par Cessi, 1911, p. 340). Mais c’est un cas assez rare et rien ne dit quel était l’itinéraire prévu initialement. Au xve siècle cependant cette navigation se fait plus importante.
13 En 1270 un navire marseillais attaque le bateau d’un musulman nommé « Mesleati », sur lequel se trouvent de nombreuses marchandises du Génois Domenico Rosso pour une valeur de 14 840 besants (Boldorini, 1967, doc. no 21). Il est à noter que les marchandises transportées, notamment des toiles d’Allemagne et du poivre, sont en général des produits importés par les ports maghrébins, ce qui laisse supposer que ce navire vient d’Europe, peut-être de Gênes.
14 López Pérez, 1995, pp. 318-345 ; Lopes de Barros, 2007, pp. 345-346 ; Trasselli, 1977, pp. 127-31.
15 Valérian, 1999b, pp. 50-54 ; Jehel, 1995a, pp. 125-130. En 1222 par exemple un Macometus Benelma Halem de Ceuta effectue des ventes à Gênes (Liber Magistri Salmonis, éd. par Ferretto, no 283, p. 100 [28/5/1222]. Sur les causes possibles de cette absence, voir Valérian, 2014b.
16 Id., 2001, pp. 12-13 ; Iancu-Agou, 1984.
17 Hirschberg, 1974, pp. 386-387, qui note que les deux communautés, locale et andalouse, s’organisent séparément.
18 Houssaye Michienzi, 2014.
19 Dans un article sur « les Juifs et le commerce méditerranéen au xve siècle » Eliyahu Ashtor ne parle ainsi que des relations entre les juifs de Sicile et l’Ifrīqiya ou l’Orient, ignorant totalement les réseaux de juifs andalous, qui ne semblent pas apparaître dans la documentation qu’il a utilisée (Ashtor, 1978).
20 Bresc, 2001, pp. 255-262.
21 En 1343 Pierre le Cérémonieux concède à tous les juifs vivant dans les pays musulmans la possibilité de venir commercer librement à Majorque (Dufourcq, 1970-1971, pp. 59-60). Ces appels sont renouvelés après les pogroms de 1391, et encore en 1482 les Rois Catholiques doivent revenir sur l’interdiction faite aux juifs de Majorque de commercer avec le Maghreb, pour ne pas nuire aux recettes de l’île et de la Couronne (Macaire, inédite 1, p. 285).
22 Bresc, 2001, notamment pp. 39-40 ; Burns, 1996, p. 15.
23 Valérian, 2002, et 2014d.
24 Voir ci-dessus.
25 Voir Ávila, 1990.
26 Voir par exemple le réseau du marchand valencien Galip Ripoll dans Ruzafa García, 1988-1989 ; Apellániz Ruiz de Galarreta, 2008.
27 Ils sont en particulier présents dans les deux principaux ports commerçant avec le Maghreb, à Majorque (Lourie, 1970) et surtout à Valence (Burns, 1984).
28 Talbi, 1975, qui juge sévèrement leur influence sur la stabilité du système politique.
29 Voir par exemple la carrière de l’Andalou Ibn Ġamr, originaire de Jativa : élevé à la cour de l’émir gouverneur de Constantine, il reçoit la charge des impôts à Bougie, puis la direction des finances, avant d’accéder à la fonction de chambellan de l’émir Abū l-Baqāʾ, qu’il conserve lorsque celui-ci s’empare du sultanat à Tunis. Ibn Ḫaldūn signale par ailleurs sa participation à des voyages commerciaux vers al-Andalus ou Tunis. Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-ʿibar, éd. par Šiḥāda et Zakkār, 2000, t. VI, pp. 463-465 ; trad. de Mac Guckin de Slane, 1925-1956, t. II, pp. 421-423.
30 Ce terme désigne, dans l’Égypte du xve siècle, de grands marchands (Apellániz Ruiz de Galarreta, 2009, pp. 106-107).
31 ʿAbd al-Bāsiṯ b. Ḫalīl, al-Rawḍ al-bāsim, éd. et trad. de Brunschvig, 1932, texte arabe pp. 19-20 ; trad. pp. 73-74.
32 Valérian, 2007b.
33 Picard, 1997a, pp. 168-170.
34 Al-Manṣūr al-ʿAzīzī, Sīrat Ustāḏ Ǧawḏar, p. 209. Le calife lui-même semble cependant s’interdire toute activité commerciale (ibid., pp. 89-90 ; Brett, 2000, pp. 261-262).
35 Goitein, 1962, p. 575.
36 En 1117, alors que le seigneur de Gabès a fait construire un navire de commerce, l’émir ziride ʿAlī lui répond : « nul habitant d’Ifrīqiya ne peut me faire concurrence pour la mise en circulation des navires marchands ». Ibn al-Aṯīr, Kitāb al-kāmil fī l-taʾrīḫ, t. IX, p. 169 ; trad. de Fagnan, 1901, p. 523.
37 Miret y Sans, 1918.
38 López Pérez, 1995, p. 795.
39 Archivo de la Corona de Aragón, Cancillería, Rg. 1422, fo 87ro-88ro (13/3/1363).
40 Par exemple en 1289 le faqīh Ibn Marwān, dit Ben Mechino, mušrif de la douane de Tunis, déclare avoir reçu d’un marchand génois 3 000 doubles d’or et une « borsa » de perles, qu’il lui avait laissés en dépôt (Notai genovesi in Oltremare. Atti rogati a Tunisi, éd. par Pistarino, 1986, no 124, pp. 174-175 [14/6/1289]).
41 Voir Shatzmiller, 2007, qui critique les positions notamment de Claude Cahen et Eliyahu Ashtor, mais dont la démarche diachronique et peu contextualisée affaiblit souvent la démonstration.
42 Brunschvig, Grunebaum, 1977.
43 Cahen, 1964, pp. 260-261.
44 Apellániz Ruiz de Galarreta, 2009.
45 Un contrat enregistré par le notaire génois de Tunis en 1289 évoque une dette « a curia regis Tunexis seu a duganna Tunexis » (Notai genovesi in Oltremare. Atti rogati a Tunisi, éd. par Pistarino, 1986, no 27, pp. 42-43 [15/3/1289]).
46 Archivio di Stato di Genova, Notai antichi, min. 109, fo 4vo (8/11/1272). Voir également ibid., fo 46ro (17/6/1273).
47 « Il acquiert des marchandises et s’expose aux fluctuations du marché. Il espère ainsi accroître ses revenus et augmenter ses gains. Ce faisant, il commet une grave erreur. Car il nuit, de plusieurs manières, à son peuple. D’abord, il rend (plus) difficile aux cultivateurs et aux négociants d’acheter des denrées sur pied ou en nature et de se procurer ce dont ils ont besoin. En effet, les gens ont à peu près les mêmes disponibilités financières. Déjà la concurrence qu’ils se font normalement épuise à peu près leurs ressources. Mais quand c’est le souverain lui-même — beaucoup plus riche qu’eux — qui leur fait concurrence, presque aucun d’entre eux ne peut obtenir ce qu’il désire. Il en résulte malaise et mécontentement. » (Ibn Ḫaldūn, al-Muqaddima, éd. par Šiḥāda et Zakkār, 2000, t. I, p. 347 ; trad. de Monteil, 1967-1968, vol. 2, pp. 574-576).
48 Voir ci-dessous.
49 Cahen, 1967, pp. 31-36, et 1964, pp. 255, 264-265.
50 Kably, 1986, pp. 96-97.
51 Claude Cahen fait le même constat pour l’Égypte (Cahen, 1964, p. 270), et Éric Vallet pour Aden à l’époque rasulide (Vallet, 2010, p. 196).
52 Robert Brunschvig parle de « technique retardataire » : « Les progrès techniques si remarquables réalisés par les Européens des derniers siècles du Moyen Âge dans la construction navale et la conduite du navire n’étaient certainement suivis que d’assez loin, et d’une manière très imparfaite, par les gens de Berbérie. » (Brunschvig, 1940-1947, vol. 2, p. 97). Mais les études de John H. Pryor ont montré qu’il n’en était rien (Pryor, 1988, pp. 46, 162). Sur ce point au moins Xavier de Planhol reconnaît que le retard de l’Islam est inexistant (Planhol, 2000, p. 41).
53 Lombard, 1958. Le bois est en effet abondant dans plusieurs régions du Maghreb, comme la Khroumirie, la Kabylie ou le Rif.
54 Outre l’exemple du sultan hafside vu plus haut, on peut citer le cas d’un Tunisois qui, en 1277, achète à un Pisan les 3/8e d’un navire qu’ils possédaient alors en indivis, avec tout son matériel (Los documentos árabes diplomáticos, éd. et trad. Alarcón y Santón et García de Linares, pp. 245-246).
55 Valérian, 2014c, pp. 122-124.
56 Des documents, à Majorque mais aussi à Marseille, montrent au contraire qu’ils étaient accueillis et leur sécurité garantie s’ils venaient en terre chrétienne (Valérian, 2006a, pp. 510-512).
57 Voir, parmi les nombreux travaux sur cette question, Maíllo Salgado, 1985, et Udovitch, 1994, pp. 191-192. Il faut remarquer que ces fatwas ont été émises dans des contextes de menaces particulièrement fortes pour l’Islam maghrébin, lors de la grande offensive du xiie siècle dans le cas d’al-Māzarī, et à la fin du xve siècle pour al-Wanšarīsī, au moment de la poussée chrétienne face à l’émirat de Grenade puis au Maghreb, et qu’en dehors de ces périodes le problème semble s’être posé avec moins d’acuité.
58 Nef, inédite, pp. 550-552 (cette partie n’a pas été reprise dans la version éditée de la thèse) ; Davis-Secord, inédite, pp. 164-167.
59 Valérian, 2014b.
60 Sur ces relations diplomatiques, voir Ben Miled, 2011, pp. 124-131. Baybars promet des renforts aux Hafsides lors de la croisade de Louis IX, mais qui tardent à arriver (Brunschvig, 1940-1947, vol. 1, p. 63). En 1425 Barsbay aurait promis aux Hafsides une aide navale de trente galères, dont dix pour le transport des chevaux pour soutenir une attaque contre la Sicile — ce sont du moins les informations qui parviennent de Tunis à Palerme. Un débarquement musulman eut bien lieu à Mazara, et Carmello Trasselli, faisant le parallèle avec l’attaque la même année de Famagouste par la flotte mamelouke, pense qu’il y eut un plan concerté de « contre-croisade », un vaste dessein dont même les auteurs musulmans n’auraient pas eu conscience (Trasselli, 1977, pp. 133-159). Le raisonnement est cependant fragile, et s’il y eut promesse d’aide navale par les Mamelouks, elle ne se concrétisa pas. Voir également Canard, 1939-1941 : à une demande mérinide d’aide militaire après la défaite de la guerre du Détroit, le sultan mamelouk répond qu’il ressent beaucoup de douleur mais que ce sont là les hasards de la guerre et qu’il ne peut lui prêter assistance autrement que par ses prières (ibid., p. 67).
61 Chapoutot-Remadi, 1979, p. 154. Inversement, l’affirmation d’une solidarité islamique des pouvoirs maghrébins devant les croisades orientales du xiiie siècle ne dépasse guère l’envoi de messagers et des déclarations de soutien (ibid., pp. 141-143). Du reste, le terrain du djihad se situe pour eux en al-Andalus.
62 En 1468 ʿUṯmān écrit à Qāytbāy pour l’informer de la venue de la caravane du pèlerinage accompagnée d’un ambassadeur hafside muni de cadeaux pour le sultan mamelouk (Colin, 1935-1940, pp. 205-206).
63 Une fatwa postérieure au règne d’Abū ʿInān raconte un événement survenu peu de temps auparavant : une caravane de pèlerins forte de plus de 20 000 hommes et chevaux avait été laissée tranquille par les tribus trop faibles, mais fut attaquée par des tribus plus puissantes et dut payer, après les combats, une somme considérable pour s’échapper. Le mufti reconnaît alors que beaucoup de savants et de dévots n’ont pas accompli le pèlerinage, et que seuls ceux qui ne possèdent rien peuvent s’aventurer sur cette route (al-Wanṣarīsī, al-Miʿyār al-muʿrib, éd. par Haǧǧī, 1981-1983, t. I, pp. 441-442 ; analyse de Lagardère, 1995, p. 38).
64 Au xiiie siècle al-ʿAbdarī, qui prend également la voie terrestre, ne décrit que ruines en Tripolitaine et Cyrénaïque (al-ʿAbdarī, Riḥla al-ʿAbdarī, pp. 184-185, 201-202 [Tripoli et Surt] ; voir Thiry, 1995, pp. 277, 304, 310). Il en est de même d’al-Tiǧānī au début du xive siècle, qui signale tout de même une caravane de 900 personnes venant de Barqa à Tripoli, décimée mais par la famine qui règne alors dans les régions (al-Tiǧānī, Riḥla, pp. 191-192 ; trad. de Rousseau, 1853, pp. 114-115). Voir Brett, 1981, p. 548, qui note cependant l’existence de marchés, notamment autour de zaouïas fondées par des hommes pieux appartenant parfois aux tribus arabes et qui tentent d’apporter leur aide aux voyageurs par leur baraka (ibid., p. 552).
65 Chapoutot-Remadi, 1979, pp. 156-157. C’est également le cas d’Ibn Baṭṭūṭa, qui se joint à une caravane accompagnée de cent cavaliers ou plus, escortée par un détachement d’archers qui permit de garder les nomades à l’écart (Ibn Baṯṯūṯa, Riḥla, t. I, pp. 25-26 ; trad. de Charles-Dominique, 1995, p. 381).
66 Subhi Y. Labib constate également une correspondance entre l’époque du pèlerinage et celle du commerce par voie terrestre entre le Maghreb et l’Égypte, les sultans mamelouks assurant la sécurité sur la route de Barqa par des expéditions régulières (Labib, 1965, p. 99).
67 Les pèlerins voyageant de manière individuelle prennent en général la voie maritime, le plus souvent sur des navires chrétiens (M’ghirbi, 1996, pp. 37-45). Cela est admis par certains juristes, comme al-Burzulī en raison des dangers de la route terrestre (al-Wanṣarīsī, al-Miʿyār al-muʿrib, éd. par Haǧǧī, 1981-1983, t. I, pp. 434-435 ; analyse de Lagardère, 1995, p. 38).
68 Les principales routes de direction est-ouest suivent désormais le littoral ou ne s’en éloignent guère. C’est ce que montrent en particulier les itinéraires des principales riḥla-s (Forstner, 1979, pp. 106-111 ; Valérian, 2006a, pp. 182-184).
69 Pour Ceuta voir principalement Ferhat, 1993 ; Cherif, 1996 ; pour Bougie Valérian, 2006a ; Baïzig, 2006 ; pour Tunis l’étude fondamentale reste celle de Brunschvig, 1940-1947, la monographie de Daoulatli, 1976, n’apportant du nouveau que sur le plan de l’archéologie et de l’histoire de l’art.
70 Seule Tabarka, pour la fin du xve siècle, a fait l’objet d’une telle étude : Gourdin, 2008.
71 Voir Ferhat, 1993, Cherif, 1996 ; Rosenberger, 1995 ; Callegarin et alii (dir.), à paraître.
72 L’analyse des importations maghrébines ne montre pas de différentiation significative entre les ports, sauf avec les céréales pour les régions déficitaires, mais avec de fortes variations d’une année à l’autre qui rendent les déductions fragiles. Globalement ce qui domine partout sont les textiles européens, et il est difficile de dégager des marchés plus importants que d’autres, sinon par le critère de taille de la ville portuaire et la présence d’une cour princière qui peut concentrer les flux de certains produits de luxe. Ce sont alors, sans surprise, les pôles de pouvoir qui constituent les marchés les plus importants.
73 Je me limiterai ici aux produits les plus souvent cités, qui peuvent expliquer et justifier des voyages commerciaux. Il en existe beaucoup d’autres, dont l’identification n’est d’ailleurs pas toujours facile, mais qui ne jouent que de manière marginale sur le choix des destinations par les marchands.
74 Les marchands, comme l’indique leur correspondance, sont très attentifs aux fluctuations des prix, et adaptent leurs investissements en fonction des informations qu’ils reçoivent. Cela est particulièrement important pour les céréales, dont les prix sont très sensibles à l’état de la récolte. Par ailleurs les conditions, notamment politiques, des marchés, peuvent jouer dans le choix ou à l’inverse l’abandon d’une destination.
75 Savage, 1992.
76 Valérian, à paraître 2.
77 Voir leur rôle dans l’économie ifrīqiyenne à l’époque aghlabide où ils furent abondamment utilisés dans l’agriculture : Talbi, 1981. C’est moins le cas sous les Hafsides et l’esclavage est surtout domestique ou, de manière plus limitée, militaire (Brunschvig, 1940-1947, vol. 2, p. 166).
78 On trouve bien dans la documentation des mentions d’esclaves/captifs noirs provenant des autres ports maghrébins, mais en nombre limité, et ils peuvent tout aussi bien provenir de prises par des pirates. Pour Valence de la fin du xive et du début du xve siècle Francisco Javier Marzal Palacios note que les mentions d’esclaves noirs provenant du Maghreb central et occidental, où les Valenciens sont pourtant très présents à cette époque, sont très rares, et que ce trafic était sans doute mal vu (Marzal Palacios, inédite, pp. 296-299). Il pourrait même avoir été totalement interdit par les pouvoirs musulmans, surtout dans un contexte démographique difficile où le problème de la main d’œuvre était essentiel.
79 Prevost, 2008a, pp. 381-382.
80 Balard, 1968, p. 646 : 10 % seulement des esclaves sur le marché génois sont Noirs, certains venant de Cyrénaïque, mais aussi de « Berbérie » ou de Minorque. Cela suppose d’autres courants d’approvisionnement, plus occidentaux, encore que pour Minorque il s’agisse plus vraisemblablement d’esclaves provenant de la course ou de la guerre, et pas nécessairement de la traite (Verlinden, 1982, p. 131 : en 1320 un Majorquin achète à Gênes une esclave noire des monts de Barqa).
81 Delort, 1966 ; Gioffrè, 1971, p. 28.
82 À partir de 1440 les esclaves noirs représentent 43,7 % de la population servile, alors que les Grecs et Albanais disparaissent et que le nombre d’esclaves sarrasins (liés à la course) diminue sensiblement (Bresc, 1986, pp. 446-450 ; Verlinden, 1963, pp. 68-79).
83 López Pérez, 2000, p. 40 ; Armenteros Martínez, inédite, pp. 409, 413-415. Le commerce des monts de Barqa est d’ailleurs largement pris en main par des marchands de la colonie catalane de Syracuse (Del Treppo, 1972, pp. 178-180).
84 À Valence c’est à la fin des années 1430 que les esclaves des monts de Barqa deviennent prédominants (Marzal Palacios, inédite, p. 500).
85 Verlinden, 1968, pp. 378, 385.
86 Marzal Palacios, inédite, pp. 156, 204. À Barcelone ils sont en partie remplacés à partir de 1483 par des esclaves achetés sur les côtes du golfe de Guinée, tout en restant majoritaires jusqu’à la fin du siècle (Armenteros Martínez, inédite, pp. 409-412).
87 Piloti, Traité d’Emmanuel Piloti, p. 135. Certains sont d’ailleurs apportés par les Vénitiens en provenance de Tripolitaine et Cyrénaïque. Ashtor, 1974, p. 29 : vers 1480 un marchand vénitien apporte 188 Noirs et d’autres femmes esclaves noires de Tripoli de Libye à Alexandrie, et un capitaine d’une galée du Trafego transporte 13 esclaves de Tunis à Beyrouth.
88 Thiry, 1995, pp. 503 sqq., qui l’étudie dans le seul cadre des relations avec l’Afrique subsaharienne ; Valérian, à paraître 2.
89 Pour une synthèse récente, voir Balard, 2004, pp. 278-283.
90 Vernet, 1976, et 1979, à partir des géographes et de quelques chroniques.
91 Voir par exemple le traité entre Gênes et Tunis de 1236 (Traités de paix et de commerce, éd. par Mas Latrie, pp. 116-118 [art. 17]) : en cas de disette à Gênes, la Commune pourra charger cinq naves de victuailles, si le grain en Afrique vaut entre 3 besants et 3 besants et demi le cafiz. De telles dispositions se rencontrent pour Gênes et Venise, mais pas pour Pise, qui dispose du grain sarde (Gourdin, 2000a, pp. 158-161).
92 Ces clauses sont régulièrement renouvelées dans les traités (voir par exemple Petti Balbi, 1978, pp. 297-322, art. 24), mais rien n’indique que Gênes ou Venise faisaient vraiment valoir ce droit. Les contrats commerciaux ne signalent pas en tout cas d’exportations significatives de céréales par l’Ifrīqiya vers l’Italie du nord, du moins jusqu’au xive siècle.
93 En 1314 un ambassadeur hafside auprès du roi d’Aragon profite de son voyage pour vendre du blé d’Ifrīqiya (Dufourcq, 1966b, p. 500).
94 Pegolotti, La pratica della mercatura, pp. 113, 167. Le texte n’indique pas le sens de ce commerce, mais ces régions sont connues pour être exportatrices de céréales et il ne fait guère de doute que le transport se faisait de l’Italie méridionale et de la Sicile vers le Maghreb (Romano, 1953).
95 Voir ci-dessous.
96 Heers, 1961, p. 340.
97 Vernet, 1979, pp. 256-257 ; Romano, 1953, pp. 151-155.
98 Lagardère, 1995. Entre le xiiie et le xve siècle l’émirat de Grenade continue d’importer des céréales du Maroc et des ports abdelwadides (Vernet 1979, p. 324).
99 Voir Bourin, Drendel, Menant, 2011 et, notamment, Valérian, 2011a. Sur le commerce du blé entre les pays de la couronne d’Aragon et le Maghreb, voir en particulier López Pérez, 1996.
100 Dufourcq, 1978, pp. 276-277.
101 Id., 1966b, pp. 544, 551, 567-569, et 1965, pp. 496-497.
102 Ibid., p. 497.
103 López Pérez, 1996, pp. 172-174.
104 Heers, 1961, p. 341.
105 Klüpfel, 1911-1912, p. 171 (avril 1286).
106 Dufourcq, 1966b, p. 397.
107 Ibid., p. 358.
108 Ibid. ; Traités de paix et de commerce, éd. par Mas Latrie, pp. 291-292 (1er juin 1302).
109 Dufourcq, 1979, pp. 168, 175-176.
110 Gourdin, 2000a, p. 161.
111 Los documentos árabes diplomáticos, éd. et trad. de Alarcón y Santón et García de Linares, no 111, texte arabe p. 227 ; trad. espagnole p. 229.
112 Bresc, Rāġib, 2011, texte arabe p. 72 ; trad. p. 74. Cette prohibition pourrait être cependant le résultat de pressions exercées par le roi d’Aragon sur le souverain marocain en vue d’affaiblir Majorque.
113 López Pérez, 1995, p. 543. De même, au début du xive siècle, al-Tiǧānī rapporte que dans la région de Tripoli celui qui exporte des produits alimentaires s’expose à des peines sévères, ce qui suggère que cela pouvait se produire à l’occasion (al-Tiǧānī, Riḥla, p. 258 ; trad. de Rousseau, 1853, p. 155).
114 Recueil de documents, éd. par Dufourcq, doc. no 1387. Il faut noter ici l’usage de la voie maritime pour un transport, pourtant d’assez faible distance, entre Bizerte, débouché de la plaine céréalière de la Médjerda, et Tunis.
115 López Pérez, 1995, p. 386.
116 Archivo de la Corona de Aragón, Cancillería, Rg. 1444, fo 113ro-vo (29/5/1382).
117 Voir ci-dessus.
118 Balard, 2004, p. 284.
119 Constable, 1994, p. 183 ; Picard, 1997b, p. 294.
120 Dufourcq, 1966b, pp. 421, 522 ; López Pérez, 1995, p. 442. Macaire, inédite 2, pp. 602, 607 (exportations vers Bougie et Hunayn). L’origine de cette huile exportée de Majorque n’est pas toujours claire. Il peut s’agir de productions de la région valencienne (Dufourcq, 1966b, p. 547).
121 Il existe au xiie siècle un souk de l’huile à Mahdia (ou Zawīla). Idris, 1973, p. 85.
122 Al-Bakrī, Kitāb al-masālik wa-l-mamālik, éd. par Van Leeuwen et Ferré, 1992, p. 669 ; trad. de Mac Guckin de Slane, 1913, p. 46.
123 Kitāb al-istibṣār fī ʿaǧāʾīb al-amṣār, éd. par ʿAbd al-Ḥamīd, 1986, p. 118 ; trad. de Fagnan, 1899, p. 13.
124 Cirelli, 2000, p. 440.
125 Goitein, 1967, pp. 120, 154 (qui cite également des exportations de savon produit à partir de cette huile) ; Stillman, 1973, p. 66.
126 Al-ʿAbdarī, Riḥla al-ʿAbdarī, pp. 485-486 ; al-Tiǧānī, Riḥla, p. 67 ; trad. de Rousseau, 1852, p. 128 (mais plus loin, à propos de Gabès, il rapporte les propos d’un auteur de l’époque d’al-Mustanṣir qui décrit l’abondance des oliviers et des figuiers — ibid., éd. p. 90, trad. p. 142). Au début du xvie siècle Léon l’Africain ne mentionne pas la production d’huile dans sa description de Sfax, dont il dit que ses habitants sont surtout pêcheurs, marins ou tisserands (Léon l’Africain, Descripción general del África, trad. de Fanjul, 1995, pp. 247-250).
127 En 1446 la cour royale de Sicile importe de Sfax 22 cantares d’huile, soit une assez faible quantité, ainsi que de la laine et de la cire (Bresc, 1986, p. 510).
128 Léon l’Africain, Descripción general del África, trad. de Fanjul, 1995, p. 243.
129 Un commerce local d’huile par de petits bateaux musulmans est attesté entre Gabès, Djerba et Tripoli (Dufourcq, 1979, p. 182).
130 Les manuels de marchands comme celui de Pegolotti donnent des équivalences de mesures pour l’huile entre les Pouilles ou la Campanie et des ports comme Bougie ou Tunis. Autant pour Bougie, dont la région ne produit pas d’huile en quantités significatives, c’est l’indice d’un mouvement d’exportation depuis l’Italie du sud, autant pour Tunis, qui dispose de ressources importantes, les données des manuels traduisent plutôt une complémentarité des marchés d’approvisionnement en huile, mais dont on ne saisit pas bien les logiques. Voir Balletto, 1982, p. 92.
131 Notai genovesi in Oltremare. Atti rogati a Tunisi, éd. par Pistarino, 1986, no 27 (15/3/1289), no 97 (3/5/1289). Voir Mansouri, 1993, p. 51.
132 Gourdin, 1997a, p. 434.
133 Voir les instructions de Vielmo Querini au capitaine de ses navires, pour un voyage effectué en 1458 : « À Syracuse tu chargeras une bonne cargaison de blé, le meilleur que tu trouveras […] et tu iras à Djerba. Là tu le vendras et tu achèteras de l’huile et puis tu te rendras à Venise. Si bon te semble tu pourras aller à Sfax et à Mahdia. » (cité par Doumerc, 1986a, p. 46).
134 Ducellier, 1981, p. 568 : achat d’huile de Tripoli en 1457. L’huile figure parmi les produits exportés par les Vénitiens dans le traité signé en 1356 à Tripoli avec les Banū Makkī — mais il peut s’agir aussi d’huile de Sfax ou de Djerba, qui relevaient alors également des Banū Makkī (Traités de paix et de commerce, éd. par Mas Latrie, p. 226).
135 Voir ci-dessus.
136 En 1403 une cargaison composée de 299 matas d’huile de Tunis, 51 jarres du type de Djerba et 2 jarres valenciennes est transportée depuis Majorque vers les Flandres (23/5/1403) [Macaire, inédite 2, p. 860].
137 Ventura, 1979, p. 61.
138 Di Antonio da Uzzano, La pratica della mercatura, éd. par Pagnini del Ventura, p. 111.
139 ʿAbd al-Bāsiṯ b. Ḫalīl, al-Rawḍ al-bāsim, éd. et trad. de Brunschvig, 1932, texte arabe p. 36, trad. pp. 95-96.
140 Ashtor, 1983, pp. 160, 395, et 1974, p. 46. Sanudo, I Diarii di Marino Sanudo, t. I, col. 327-328 (année 1496).
141 Adorno, Itinerarium, p. 190.
142 Gioffrè, 1962, p. 202. Sur le commerce d’huile ifrīqiyenne en Orient par les Génois, voir également Heers, 1961, pp. 374, 475.
143 Sacerdoti, 1966, p. 329.
144 Guiral Hadziiossif, 1981, p. 99 ; Hocquet, 1978a, p. 497 ; López Pérez, 1995, pp. 211-215, 476-478.
145 Hocquet, 1978b, pp. 98-99, 217-218. Le traité de 1356 entre Venise et Aḥmad b. Makkī, seigneur de Tripoli et de Gabès, accorde une place de premier plan à l’exploitation et l’exportation du sel par les Vénitiens, détaillant les salaires des Arabes qui travaillent dans les salines, portent le sel jusqu’à la côte puis le transportent par barques sur les navires (Traités de paix et de commerce, éd. par Mas Latrie, p. 224).
146 Voir ci-dessus n. 169 du chap. iii.
147 Goitein, « From the Mediterranean to India », p. 192 : en 1135 un marchand vient en Ifrīqiya et embarque du corail, pour lui-même et au nom du dayyan de Mahdia, pour le porter en Inde.
148 Sur l’évolution des lieux de production, voir Bresc, 2000, pp. 41-43.
149 Coulon, 1996-1997, qui montre l’importance de ce courant commercial à partir de la fin du xive siècle, principalement à partir des ressources sardes. Alexandrie est à cette époque un centre majeur de transformation du corail (Id., 2004, p. 380).
150 Vallet, 2007, pp. 210, 235.
151 Coulon, 1996-1997, pp. 109-115.
152 Gourdin, 2008, pp. 109-110, qui considère que sa pêche est arrêtée au Maghreb à partir du xiiie siècle. Mais à vrai dire rien ne permet de le prouver : la seule certitude est qu’il n’est pas exporté vers l’Europe.
153 Al-Anṣārī, pourtant très précis dans sa description de la ville, n’en parle pas, et le corail de Ceuta ne figure pas dans le Kitāb al-afkār, traité de minéralogie du xiiie siècle écrit par Abū al-ʿAbbās al-Tifašī qui a pourtant séjourné dans la ville (Ferhat, 1993, p. 278).
154 Documents inédits, éd. par Blancard, 1978, t. I (actes des Manduel), no 69, pp. 103-104 (26/8/1235) ; t. II (notules d’Amalric), no 591, p. 111 (24/4/1248).
155 Gourdin, 1986, p. 545.
156 Id., 2008, pp. 113-118 ; 1997b ; 2000b, p. 56 (sur la rivalité entre Génois et Catalans autour du corail).
157 Id., 2008, pp. 118-129 ; 1986 ; 1990. L’exploitation génoise s’interrompt dans les années 1473-1478, peut-être en raison de la concurrence des Vénitiens qui pourraient avoir repris à leur compte ce monopole. Voir Doumerc, 1983, p. 481 (qui parle également d’une ferme vénitienne du corail à Marsā l-Ḫaraz en 1484 et encore quelques années plus tard).
158 En 1434 une importation de corail d’Alcudia du Maghreb est signalée à Barcelone, pour une valeur de 200 livres (Del Treppo, 1972, p. 281). Mais cela semble assez ponctuel.
159 En 1494 l’incanto des galées de Berbérie prévoit d’aller à Marsā l-Ḫaraz ou Tabarka, au choix des marchands, pour y charger du corail (Archivio di Stato di Venezia, Senato, Mar, Rg. 14, fo 45ro [11/10/1494]).
160 Sanudo, I Diarii di Marino Sanudo, t. I, col. 328 (a. 1496). En 1489 un Vénitien venu à Tunis sur les galées du Trafego descend à terre muni d’un sauf-conduit du sultan pour y acheter du corail. Mais les Génois refusent de lui en livrer, et le retiennent contre son gré. Le Sénat décide alors qu’il ne faudra plus traiter avec ces Génois (Archivio di Stato di Venezia, Senato, Mar, Rg. 12, fo 185vo-186ro [31/10/1489]).
161 Voir ci-dessous.
162 Sur l’industrie textile européenne les travaux sont nombreux. Voir en particulier les travaux de la première Semaine d’histoire économique de Prato, Spallanzani (dir.), 1974 ; Carus Wilson, 1952.
163 Cardon, 1999, p. 72 ; Hoshino, 1980, pp. 209-211.
164 Cardon, 1999, pp. 69-70 ; Ducellier, 1981, p. 568.
165 Elle était notamment utilisée pour fabriquer des tissus de moindre valeur (Melis, 1974, p. 244).
166 Le traité de 1343 entre Gênes et les Hafsides évoque ces funduq-s où l’on peut trouver « laines, boudrons, peaux d’agneaux, cuirs et autres marchandises qu’on a coutume de vendre » (Petti Balbi, 1978, pp. 297-322 [art. 31]). Cette clause se retrouve dans d’autres traités plus tardifs. Un « sūq al-Ṣūf » existait ainsi à Bougie (al-Ġubrīnī, ʿUnwān al-dirāya, p. 165).
167 Les zones d’approvisionnement sont plutôt l’Angleterre et, à partir du milieu du xiiie siècle, la péninsule Ibérique (Carus Wilson, 1952, pp. 626-627, 633-634).
168 La mode des textiles de laine ne s’y diffuse qu’au xiiie siècle, d’abord avec des importations de productions d’outre-monts (Heers, 1971, p. 1095).
169 Lopez, 1975, pp. 271-272. En 1268, le Florentin Filippo de Venizo achète à Gênes de la laine sarde, à raison de 1 livre 6 sous le cantare, et de la laine sottile de Bougie, à raison de 4 livres 10 sous le cantare, soit plus de trois fois plus cher (Archivio di Stato di Genova, Notai antichi, min. 16/II, fo 180vo-181ro [17/11/1268]).
170 Cardon, 1999, p. 50.
171 On n’en a pas de trace pour les pays de la couronne d’Aragon, pour lesquels la documentation est, il est vrai, plus limitée pour le xiiie siècle. Mais cela peut être dû également à un moindre développement de l’industrie textile ou aux productions propres à la péninsule Ibérique.
172 Histoire analytique et chronologique, éd. par Méry et Guindon, 1841, vol. 1, texte p. 343 ; trad. p. 373.
173 En 1285 la nave du Vénitien Marino Sanudo, revenant de Bougie et Jijel où il est allé cherché des laines et boudrons, est capturée par le Génois Benedetto Zaccaria qui l’a confondue avec un bateau pisan, « quia Pisani in partibus Zizari exercent inter ceteros precipue mercationes lane et bodronorum et in ipso loco super facto lane et bodronorum ceteris preeminentiam noscuntur habere » (Lopez, 1933, p. 261).
174 Voir pour les laines de Bougie Valérian, 2006a, pp. 379-387.
175 Jehel, 1995b, p. 111.
176 Il Bilancio di una azienda laniera, éd. par Antoni, qui montre des importations de laines d’Africa et de Tunis.
177 Les grandes compagnies florentines comme les Bardi, Peruzzi ou Acciaiuoli y sont en particulier présentes et y ont des représentants pour acheter des laines et des cuirs (Hoshino, 1980, p. 209 ; Abulafia, 1987b, p. 72 ; Davidsohn, 1956-1968, vol. 6, pp. 119, 434).
178 Valérian, 2006a, pp. 379-392.
179 La « laine de Mazagran » est une qualité reconnue à Majorque au xive siècle, et est exportée par ses avant-ports, notamment Mostaganem (Dufourcq, 1966b, p. 545).
180 Casini, 1979, p. 390. Il distingue deux qualités de laines : « sucida » (c’est-à-dire sans préparation) et « lavata et guadata et pelata ».
181 Brunschvig, 1940-1947, vol. 2, p. 262, cite des exportations de laines depuis Tripoli, mais sans donner de référence. Au xve siècle on trouve un cas d’achat par des Génois dans ce port (Heers, 1961, p. 462), qui ne semble pas cependant avoir joué un rôle important dans ce commerce.
182 Contrat de nolis du 4/8/1373 entre des marchands pisans et un patron génois pour aller chercher de la laine à Djerba (Traités de paix et de commerce, éd. par Mas Latrie, p. 128).
183 Bresc, 1986, p. 510.
184 Zibaldone da Canal, éd. par Stussi, 1967, p. 48 ; Dufourcq, 1966b, p. 545.
185 Ibid., à partir de documents des archives de Majorque.
186 López Pérez, 1995, p. 549 ; Hoshino, 1980, p. 122 ; I «Partitari» maiorchini del «Lou dels Pisans», éd. par Antoni, passim.
187 Dufourcq, 1966b, p. 545.
188 Alcudia, qui fut un port très fréquenté par les Catalans, parfois davantage que Ceuta selon Charles-Emmanuel Dufourcq (ibid., pp. 158-159), est identifiée à Ġassāsa, située sur le côté occidental de la péninsule de Tres Forcas (près de Melilla). À partir de l’époque almohade la ville est souvent nommée « Kudiat al-Bayda », notamment dans les sources catalanes (Cressier, 1998, p. 32). C’est là que débarque un ambassadeur hafside auprès du sultan du Maroc en 1329 (al-Zarkašī, Taʾrīḫ al-dawlatayn, éd. par Yaʿqūbī, 1998, p. 141 ; trad. de Fagnan, 1895, pp. 101-102).
189 Melis, 1974, pp. 243-244 ; Houssaye Michienzi, 2013, pp. 196-202.
190 I Diplomi arabi, éd. et trad. de Amari, vol. 1, partie arabe pp. 50-54.
191 Le commerce des cuirs a moins attiré l’attention des chercheurs que la laine, malgré son importance (Valérian, 2006a, pp. 392-399 ; Gourdin, 1991 ; Houssaye Michienzi, 2013, pp. 208-215).
192 Par exemple sur le marché de Savone au xve siècle ils représentent plus de 44 % des ventes (Varaldo, 1980, p. 103). À la même époque ils constituent 38 % du montant des importations de cuirs dans les actes du notaire génois Nicolò Raggi, entre 1469 et 1483, venant cependant en valeur après les cuirs ibériques avec 43 % (Gourdin, 1991, p. 588), et en 1488 39 % des cuirs importés à Valence (Guiral Hadziiossif, 1974, p. 112).
193 Dans une liste des marchandises étrangères parvenant au port de Bruges à la fin du xiiie siècle figurent des cuirs des royaumes de Fès, Marrakech, Bougie et Tunis (Traités de paix et de commerce, éd. par Mas Latrie, p. 99). Les travaux de Robert Delort ont montré par ailleurs la large diffusion des peaux et cuirs provenant du Maghreb, au point que certaines origines finissent par désigner de manière générique des types de cuirs tels les garbini ou les bogett, peaux d’agneaux fines, exportées d’abord depuis Bougie (Delort, 1975, pp. 22, 88-89).
194 On parle alors en général de boudrons.
195 Dufourcq, 1966b, p. 545. Les cuirs de chameaux sont cités dans le traité de 1356 entre Venise et les Banū Makkī de Tripoli et Gabès (Traités de paix et de commerce, éd. par Mas Latrie, p. 226).
196 Delort, 1975, p. 166, qui en trouve à Venise.
197 Au début du xve siècle une peau de lion est apportée à Marseille pour le roi René (ibid., p. 169).
198 Gourdin, 1991, p. 589. Seuls les ports de Tunis et Stora sont cités, mais de manière presque accidentelle (à propos d’un litige dans le cas de Stora).
199 Houssaye Michienzi, 2013, p. 214.
200 Macaire, inédite 2, pp. 943-963.
201 Gourdin, inédite, p. 227 ; Urbani, 1976, p. 190.
202 Voir par exemple Dufourcq, 1966b, p. 545 ; López Pérez, 1995, pp. 556-558 ; Houssaye Michienzi, 2013, p. 215 ; Valérian, 2006a, pp. 407-409.
203 Voir ci-dessus sur la réorientation des réseaux d’échanges sous les Almohades et Devisse, 1972, p. 72.
204 Ibid., p. 357.
205 Sur ces sommes, qui résultent le plus souvent des traités de paix signés avec les rois d’Aragon ou de Majorque, voir Dufourcq, 1966b, pp. 556-562 ; López Pérez, 1995, passim, et Devisse, Labib, 1985, pp. 707-708, qui rassemblent certaines données recueillies par Charles-Emmanuel Dufourcq.
206 La frappe de l’or avait repris de manière précoce dans les zones de frontière, en Sicile et dans les pays de la couronne d’Aragon, mais c’est dans la seconde moitié du xiiie siècle seulement qu’elle se développe, notamment en Italie du nord : en 1252 Gênes et Florence, en 1259 Pérouse, à Lucques peu avant 1273, à Milan à la fin du xiiie siècle et à Venise en 1284. Avec moins de succès, elle reprend également en Angleterre et dans le royaume de France. Parmi l’abondante bibliographie sur la question, dont les conclusions sont loin d’être concordantes, voir en particulier Bloch, 1933, pp. 4-5 ; Lopez, 1953 et 1956 ; Watson, 1967, p. 14 (qui considère que l’or était échangé contre de l’argent exporté d’Europe, sans poser vraiment la question de la balance commerciale).
207 « Le Moghreb est, dès le xiiie siècle, de façon évidente, la mine d’or sans quoi l’activité méditerranéenne, et notamment le riche et puissant commerce du Levant, serait stoppé ou pour le moins compromis. » (Braudel, 1946, p. 11). L’opinion de Fernand Braudel est sans doute un peu excessive, et il exagère l’ampleur du déficit du commerce du Levant. Celui-ci passait en grande partie par l’exportation de textiles européens, mais il est incontestable qu’il y eut un flux d’or africain en direction de l’Orient par l’intermédiaire des marchands latins (Ashtor, 1975b, pp. 573-612).
208 Exceptionnellement, les contrats précisent qu’il faut investir le produit des ventes en or.
209 Cité par Abitbol, 1982, p. 230.
210 Al-Maqqarī al-Tilimsānī, Nafḥ al-ṭīb, texte arabe vol. 5, p. 206 ; trad. Pérès, 1937, pp. 413-414. Il s’agit soit de Abū Ḥammū Mūsā I (1308-1318) soit de Abū Ḥammū Mūsā II (1359-1389).
211 La Roncière, 1918, p. 23.
212 Giuffrida (éd.), « Frammenti di corrispondenza », p. 36 (lettre du 19/7/1480).
213 Voir ci-dessous.
214 Cité par Unali, 1986, p. 158. En 1445 les Majorquins sont autorisés à exporter de l’argent non monnayé vers le Maghreb, « d’où l’on porte de grandes quantités d’or que l’on frappe ensuite à la zecca de ce royaume » (Llibre den Abelló, cap. xxix, no 25 (11/4/1445), dans Privilegios y franquicias de Mallorca, éd. par Quadrado, 1895, p. 131).
215 Léon l’Africain, décrivant Tlemcen, écrit que le principal commerce de ses marchands se fait avec le pays des Noirs, et que la ville, qui a peu de productions propres, est « une escale entre l’Europe et l’Éthiopie » (c’est-à-dire ici l’Afrique occidentale) [Léon l’Africain, Descripción general del África, trad. de Fanjul, 1995, pp. 214-215].
216 Voir la carte des itinéraires de l’or au xive-xve siècle dans Devisse, 1972, p. 370.
217 Voir ci-dessus le texte du rabbin Duran. Le développement du Mzab, à partir du xiie siècle, a pu jouer un rôle dans le drainage d’une partie de l’or saharien par les ibadites vers Alger.
218 Valérian, 2006a, pp. 418-420.
219 Ce port ne semble pas un lieu important d’exportation de l’or, contrairement à une idée reçue. Mais il est vrai que ces exportations ne laissent pas toujours de trace dans la documentation commerciale.
220 Sur cette question, voir Valérian, 2006a, pp. 413-420.
221 Voir l’analyse des acteurs du commerce génois à Bougie dans Valérian, 2006a, pp. 571-587.
222 Voir ci-dessous sur le thon.
223 Voir l’analyse de leur rôle dans le cas de la région de Bougie dans Valérian, 2006a, pp. 153-172.
224 Les Maġrāwa agissent souvent en tant qu’alliés des Mérinides, en lutte contre Tlemcen. Voir en particulier Hadjiat, 2009, pp. 97, 101, 105, 132, 166.
225 La tribu domine la Mitidja, et à plusieurs reprises son šayḫ Sālim b. Ibrāhīm s’empare d’Alger, cette fois dans le cadre des luttes internes au sultanat abdelwadide, y exerçant un pouvoir indépendant, parfois en association avec les notables locaux (Hadjiat, 2009, pp. 301, 506-507. Voir ci-dessous).
226 Dans le recueil de biographies des savants bougiotes d’al-Ġubrīnī figurent de nombreux savants portant des nisba-s renvoyant à des tribus berbères de l’intérieur (al-Ġubrīnī, ʿUnwān al-dirāya).
227 La maḥalla n’est pas inconnue à l’époque médiévale, en particulier au xve siècle, mais n’a pas la régularité qu’elle acquiert aux siècles suivants (Brunschvig, 1940-1947, vol. 2, p. 70). Pour l’époque moderne, voir Dakhlia, 1988 ; Hénia, 2000.
228 Ainsi dans les régions occidentales de la province de Bougie les Banū Yazīd, principale branche des Zuġba, « prêtaient leur service à l’État quand il fallait faire payer les impôts à leurs sujets parmi les Ṣanhāǧa et les Zawāwa. Et, chaque fois que les armées de Bougie se trouvaient trop faibles pour entreprendre le recouvrement des impôts dans ce pays, les Banū Yazīd s’en chargeaient et très bien. » (Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-ʿibar, éd. par Šiḥāda et Zakkār, 2000, t. VI, p. 55 ; trad. de Mac Guckin de Slane, 1925-1956, t. I, p. 88, traduction ici modifiée). Mais après la crise abdelwadide du xive siècle la même tribu y préleva les impôts pour elle-même (ibid., éd. p. 55, trad. p. 89).
229 Les Fatimides, puis les Hammadides et les Almohades avaient déjà procédé à des concessions d’iqṭāʿ-s mais l’ampleur du phénomène restait alors limitée (voir Guichard, 2000, pp. 89, 103 ; Benhima, 2009).
230 Voir, pour le domaine mérinide, Kably, 1986, p. 175.
231 Lorsqu’il dresse le bilan de l’action du chambellan Ibn Tāfrāǧīn à Tunis, au milieu du xive siècle, Ibn al-Qunfuḏ loue la politique de ce dernier, déplorant seulement qu’il n’ait pas été capable d’imposer la puissance de l’État aux tribus. Mais dans la même phrase il souligne l’importance des rentrées fiscales obtenues grâce à l’activité maritime, comme si les deux se compensaient (Ibn al-Qunfuḏ, al-Fārisiyya, p. 174).
232 Berque, 1970, p. 1330. Voir également Voguet, 2014, pp. 316-319.
233 Kably, 1986, p. 138.
234 Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-ʿibar, éd. par Šiḥāda et Zakkār, 2000, t. VI, p. 399 ; trad. de Mac Guckin de Slane, 1925-1956, t. II, pp. 330-331.
235 Une fatwa de Qāsim al-ʿUqbānī de Tlemcen (m. 1427) dit ainsi que l’escorteur d’une caravane peut se faire rembourser par les marchands des sommes qu’il a versées aux pillards pour qu’ils laissent passer les voyageurs (al-Wanṣarīsī, al-Miʿyār al-muʿrib, éd. par Haǧǧī, 1981-1983, t. VI, pp. 504-505 ; analyse de Lagardère, 1995, p. 145).
236 Une tribu Maʿqil avait ainsi obtenu des iqṭāʿ-s du sultan de Tlemcen, au point que lorsque les Abdelwadides furent affaiblis ils purent lever des droits de passage (ḍarībat al-iǧāza) sur les voyageurs se rendant de Hunayn à Tlemcen (Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-ʿibar, éd. par Šiḥāda et Zakkār, 2000, t. VI, p. 81 ; trad. de Mac Guckin de Slane, 1925-1956, t. I, p. 120).
237 Voir ci-dessus. Ainsi cette même tribu des Ḏwī ʿUbayd Allāh a son territoire entre Oujda et Tlemcen, et pousse vers le sud jusqu’au Touat et autres lieux « qui servent de point de départ aux caravanes qui se rendent au Soudan » (ibid., t. VI, p. 80, trad. t. I, p. 120).
238 On peut objecter à ce schéma que Tlemcen est également une ville de l’intérieur, et qu’elle n’est pas moins éloignée de la mer que Kairouan. Une quarantaine de kilomètres la sépare en effet de la côte, à travers les monts Traras qui sont peu élevés. Mais l’espace de domination abdelwadide est très clairement orienté vers les régions littorales, et Tlemcen entretient des relations étroites avec ses avant-ports qui jouent un rôle politique important. Aucun de ceux-ci n’est pourtant choisi pour devenir la capitale (Alger faillit l’être sous le règne d’Abū Ḥammū II, mais ne le devient vraiment qu’avec les Ottomans, dans un contexte très différent). À cet égard l’espace abdelwadide présente un cas intermédiaire de littoralisation réelle, mais pas totalement achevée, le pouvoir se rapprochant de la mer sans s’installer dans un port.
239 Devisse, Labib, 1985, p. 700 ; Kably, 1986, p. 97, qui fait remarquer que les marchands soudanais effectuent de plus en plus la traversée eux-mêmes, imposant leurs routes et influant sur les débouchés septentrionaux de l’or.
240 À partir du milieu du xive siècle une nouvelle route, diagonale, relie les sources de l’or à l’Égypte, par l’intermédiaire du Fezzan. Elle a pu contribuer, dans une proportion difficile à estimer, à réduire les quantités d’or parvenant dans les ports maghrébins. Voir Devisse, 1972, pp. 380-382, qui estime, mais sans apporter de preuve, que ce mouvement commercial fut de faible ampleur et que cette voie fut surtout une route de pèlerinage. Quoi qu’il en soit elle est hors de portée de l’intervention des souverains du nord, et n’entre pas en compte dans les compétitions politiques et territoriales.
241 Mohamed Kably pense que la conquête de l’Ifrīqiya par le Mérinide Abū l-Ḥasan a pu être motivée par la volonté de s’assurer du contrôle de la route orientale de l’or (Kably, 1986, p. 98). Mais c’est peut-être pousser un peu loin le rôle de l’or comme moteur des grandes compétitions politiques au Maghreb.
242 C’est également le cas, mais avec des enjeux plus régionaux, du Mzab, où s’est constituée une communauté ibadite, du Touat, et à l’est du Djérid et de la Tripolitaine.
243 Pour de plus amples développements, voir Valérian, 2006a, pp. 137-141.
244 Nehemia Levtzion pense que les marchands préféraient prendre depuis Siǧilmāsa la route de Tlemcen plutôt que celle de Fès, en raison de son débouché maritime à Hunayn et d’une route qui évitait d’avoir à franchir l’Atlas (Levtzion, 1977, p. 356). Mais la possession de la ville par l’un des deux sultanats jouait un rôle essentiel dans l’orientation des flux.
245 Elle est également une ville importante dans les conflits internes au Maroc, entre Almohades et Mérinides, puis entre princes mérinides.
246 Rosenberger, 1977, p. 218.
247 Devisse, 1972, p. 372 ; El Mellouki, inédite, p. 265.
248 Sous le règne d’Abū Ḥammū II, au milieu du xiiie siècle, les frères Maqqarī parviennent ainsi à développer une puissante entreprise commerciale à partir de Tlemcen, l’aîné s’installant à Siǧilmāsa et deux autres frères à Walāta, au sud du Sahara, amassant une fortune considérable (al-Maqqarī al-Tilimsānī, Nafḥ al-ṭīb, texte arabe vol. 5, p. 205 ; trad. Pérès, 1937, pp. 412-413). Les juifs de Tlemcen et Alger se rendent également régulièrement au Tafilalt au xive siècle (Abitbol, 1982, p. 246).
249 Devisse, 1972, p. 389. La communauté juive du Touat est en particulier très active et en relation avec Tlemcen et Oran (Abitbol, 1982, pp. 241, 245-246).
250 Ghardaïa, fondée en 1053, bénéficie de la migration de populations ibadites fuyant Ouargla gagnée par le malikisme au xiie siècle. Léon l’Africain évoque la richesse des habitants du Mzab, en relation à la fois avec le pays des Noirs et les marchands de Bougie et d’Alger (Léon l’Africain, Descripción general del África, trad. de Fanjul, 1995, p. 275).
251 Le même phénomène se constate en Égypte, mais pour une période plus tardive, dans la seconde moitié du xive siècle : l’espace se réorganise autour d’un « croissant utile », d’Alexandrie à Tripoli de Syrie et Alep (voir Garcin, 1980, p. 446 ; 1973-1974).
252 Ce contrôle est cependant très inégal selon les périodes et les régions. Voir pour l’époque mérinide Kably, 1986, notamment pp. 230-233.
253 On pourrait ajouter que Fès revêt pour les Mérinides une importance particulière en raison du culte d’Idrīs II qu’ils contribuent à développer et joue un rôle majeur dans leur légitimité (Beck, 1989). Mais, là encore, il faut se demander si le développement du culte d’ Idrīs II est la cause ou la conséquence du choix de Fès comme capitale.
254 Cela apparaissait déjà dans l’organisation administrative de l’empire almohade (voir ci-dessus).
255 Valérian, 2006a, pp. 78-101.
256 Son importance croît notamment avec Abū Fāris qui en était originaire, annonçant la place dominante qu’elle occupe dans la région à l’époque ottomane.
257 Brechk est identifiée au site de Sīdī Brāhīm, à 2 km à l’ouest de l’actuelle Gouraya.
258 Lors du siège de Tlemcen par les Mérinides en 1335, Abū l-Ḥasan s’empare d’Oran et Hunayn pour couper la capitale abdelwadide des secours éventuels et des approvisionnements venant par mer (Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-ʿibar, éd. par Šiḥāda et Zakkār, 2000, t. VII, p. 339 ; trad. de Mac Guckin de Slane, 1925-1956, t. IV, p. 220). Plus tard, l’installation des présides espagnols sur la côte, à la fin du xve et au début du xvie siècle, précipite la chute de la dynastie abdelwadide, il est vrai déjà très affaiblie.
259 Celui-ci est alors envoyé comme gouverneur à Médéa, au sud d’Alger, qui apparaît comme un lot de consolation de bien moins grande valeur.
260 Sur ces événements, voir Hadjiat, 2009, pp. 337-363 (à partir d’Ibn Ḫaldūn).
261 Ferhat, 1993, pp. 258-259.
262 Ibid., p. 248, 259 ; Cressier, Naïmi, Touri, 1992, pp. 400-403.
263 La construction de la forteresse de ʿAzaffūn (ou ʿAṣaffūn) par le sultan abdelwadide Abū Ḥammū vise ainsi à servir de base pour la conquête de Bougie, située 77 km à l’est (Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-ʿibar, éd. par Šiḥāda et Zakkār, 2000, t. VII, p. 139 ; trad. de Mac Guckin de Slane, 1925-1956, t. III, pp. 394-395).
264 Brunschvig, 1940-1947, vol. 1, p. 216.
265 « Le Maître — Allāh l’agrée ! — créa un nombre d’enceintes et de vigies tel qu’on n’en avait jamais compté à nulle époque. Qu’on en juge : de la ville d’Asfī, limite extrême du littoral habité, jusqu’au pays d’Alger, terme du Maġrib moyen et limite du pays d’Ifrīkīya, il y a tant d’enceintes et de vigies [maḥāris wa manāẓir] que si l’on allume un feu au sommet de l’une d’elles, le signal est répété sur toutes dans une seule nuit ou même une partie de nuit, et cela sur une distance que les caravanes mettent environ deux mois à parcourir. Il y a dans chacune des enceintes de ce front des gens qui perçoivent une solde : ils sont chargés de regarder et de guetter et scrutent la mer. Une galère n’apparaît pas sur mer en direction du littoral musulman sans que des feux ne soient allumés au sommet des enceintes, pour avertir les gens de toute la côte de se tenir sur leurs gardes. » (Ibn Marzūq, Musnad, texte arabe p. 31, trad. pp. 61-62).
266 Khelifa, 2008, pp. 286, 296 ; Marçais, 1928, pp. 348-349, qui, à partir de critères stylistiques, date de l’occupation mérinide la porte de la Mer, mais aussi une grande partie de l’enceinte et de la casbah (voir également Lethielleux, 1974, p. 145, sur l’attribution par la tradition locale de certaines tours du littoral à Abū l-Ḥasan, notamment à Taount).
267 Ainsi à Bādis des travaux de fortification sont attestés en 1204 (par l’Almohade Abū Muḥammad al-Nāṣir) et vers 1275 sur ordre du Mérinide Abū Yūsuf (Cressier, Naïmi, Touri, 1992, p. 400).
268 Sur la flotte Hafside, voir Brunschvig, 1940-1947, vol. 2, pp. 94-97.
269 Il est attesté pour Tunis, à l’extérieur de Bāb al-Baḥr, par Adorno (Adorno, Itinerarium, p. 107).
270 Voir Valérian, 2006a, pp. 537-538.
271 L’arsenal fatimide continue à fonctionner sous les Hafsides (Djelloul, 1993, p. 79), et la ville développe une course active au xive siècle, justifiant l’expédition de représailles de 1390 (voir ci-dessous).
272 En 1392 une lettre d’un correspondant de Datini nous apprend qu’une flotte majorquine a attaqué Bône, brûlé un navire et quatorze embarcations, incendié l’arsenal et pris deux autres villes par force (lettre de F. Benini à Gênes, 2/11/1392, dans Brun [éd.], 1936, p. 140).
273 En 1400 des informations parviennent à Majorque par un marchand présent à Collo à propos d’une aide de 20 à 25 navires de guerre que le sultan aurait promise au corsaire Pere Fuster, les galères étant construites à Collo, Bougie, Tunis, Djerba et Tripoli à raison de deux par arsenal et les galiotes dans d’autres ports (López Pérez, 1995, pp. 712-713).
274 C’est le cas au début de la dynastie hafside, alors que les sultans s’affirment comme les successeurs des Almohades et interviennent, avec un succès du reste limité, pour aider les Andalous (Brunschvig, 1940-1947, vol. 1, pp. 32-33), mais aussi lors de la guerre dite du Détroit au milieu du xive siècle (ibid., p. 163) et après la prise de Ceuta par les Portugais (ibid., p. 227).
275 Ibn Ḫaldūn, al-Muqaddima, éd. par Šiḥāda et Zakkār, 2000, t. I, p. 317 ; trad. de Monteil, 1967-1968, vol. 2, p. 525.
276 Cherif, 1996, pp. 99-100 ; al-Anṣārī, Iḫtiṣār al-aḫbār, éd. par Lévi-Provençal, 1931, p. 169 ; trad. de Turki, 1982-1983, p. 153.
277 Picard, 1997a, p. 144 ; Cressier, Naïmi, Touri, 1992, pp. 404-405.
278 Vers 1340 les Mérinides rassemblent des navires venus de Ceuta (34), Hunayn (6), Cherchell, Salé (5), Alger, Tīgīssās, Tanger (3), Oran, Asilah et Bādīs (2) [Archivo de la Corona de Aragón, Cartas Reales Diplomáticas, caja 87, no 533, cité par Dufourcq (éd.), « Nouveaux documents », pp. 297 et 322]. Cela ne signifie pas pour autant qu’il y avait des chantiers navals dans tous ces ports.
279 À la veille de la bataille de Tarifa en 1340 ils peuvent ainsi aligner 140 navires (dont 16 seulement leur ont été apportés par les Hafsides), et Mohamed Kably pense que la flotte a été reconstituée après cette défaite, ce qui explique les succès remportés par la suite contre les Hafsides (Kably, 1986, pp. 134-135).
280 Il est encore cité au xive siècle par al-Balawī lors de son passage dans le port (Bouayed, 1988, p. 336 ; Khelifa, inédite, p. 387). Il n’y en a pas de trace à ma connaissance à Oran, alors qu’il est signalé à l’époque almohade — mais c’est peut-être une lacune des sources.
281 En 1327 les Abdelwadides demandent à Jacques II des coques pour les utiliser contre Bougie (Archivo de la Corona de Aragón, Cancillería, Rg. 410, fo 208ro-210ro, 23/9/1327). En 1360 encore, le sultan Abū Ḥammū II négocie avec l’ambassadeur du roi d’Aragon la location de quatre galères, pour un prix élevé, afin de défendre ses côtes — mais cette petite flottille est détruite à son arrivée à Hunayn par des navires castillans alliés des Mérinides (López Pérez, 1995, p. 124). Ce recours aux navires chrétiens existe aussi chez les Hafsides, notamment de Bougie, mais il est moins fréquent (Valérian, 2006a, pp. 68-69).
282 Voir ibid., pp. 78-87.
283 La ville s’était déjà affranchie de la souveraineté hafside en 1265-1266, restant indépendante pendant une dizaine d’années (Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-ʿibar, éd. par Šiḥāda et Zakkār, 2000, t. VII, p. 134 ; trad. de Mac Guckin de Slane, 1925-1956, t. III, p. 388). Lors de la reprise de la ville par les Hafsides, il est question de la mašyaḫa, donc d’un conseil de šayḫ-s (voir ci-dessous n. 294 du chap. v), dont un des membres, Ibn ʿAllān, prend le pouvoir par la suite (Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-ʿibar, éd. par Šiḥāda et Zakkār, 2000, t. VII, p. 135 ; trad. de Mac Guckin de Slane, 1925-1956, t. III, p. 389). Mais à cette époque les Ṯaʿāliba ne semblent pas intervenir dans l’histoire de la ville.
284 Ibid., éd. t. VI, p. 85, trad. t. I, pp. 123-124.
285 Ibid., éd. t. VII, pp. 173, 183-184, trad. t. III, pp. 454, 469.
286 Ibid., éd. t. VII, pp. 183-184, trad. t. III, p. 469. En 1368 Pierre d’Aragon écrit au « roi d’Alger » Mouleya BuSayen (Abū Zayyān) à propos de la prise dans son port, au nom du droit de naufrage, des biens de marchands valenciens qui allaient à Oran mais furent détournés de leur route par une tempête (Dufourcq [éd.], « Catalogue chronologique et analytique du registre 1389 », no 121, p. 96 [13/7/1368]).
287 Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-ʿibar, éd. par Šiḥāda et Zakkār, 2000, t. VI, p. 85 ; trad. de Mac Guckin de Slane, 1925-1956, t. I, p. 125. La chronologie donnée par Ibn Ḫaldūn est cependant incertaine, comme souvent : en 1372 Pierre d’Aragon écrit au sultan mérinide pour se plaindre d’une affaire de navire naufragé dans ses États près d’Alger, ce qui laisse penser qu’à cette époque la ville est repassée au pouvoir des Mérinides (Dufourcq [éd.], « Catalogue chronologique et analytique du registre 1389 », no 164, p. 109 [15/7/1372]).
288 Marçais, 1957b.
289 Léon l’Africain, Descripción general del África, trad. de Fanjul, 1995, p. 222.
290 Voir notamment les cas des Banū Muznī à Biskra et dans le Zāb, ou des Banū Yamlūl à Tozeur et dans le Djérid (Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-ʿibar, éd. par Šiḥāda et Zakkār, 2000, t. VI, pp. 585-594 ; trad. de Mac Guckin de Slane, 1925-1956, t. III, pp. 124-141).
291 Voir Ferhat, 1993, pp. 205-259 (« L’impossible indépendance ») et Cherif, 1996, pp. 31-62.
292 Jadla, 1986. Ibn Ḫaldūn leur consacre une longue notice dans sa partie sur les Hafsides (Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-ʿibar, éd. par Šiḥāda et Zakkār, 2000, t. VI, pp. 606-613 ; trad. de Mac Guckin de Slane, 1925-1956, t. III, pp. 157-169).
293 Sur l’origine de cette tribu, voir Jadla, 1986, pp. 29-30.
294 Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-ʿibar, éd. par Šiḥāda et Zakkār, 2000, t. VI, p. 606 ; trad. de Mac Guckin de Slane, 1925-1956, t. III, p. 158, où Mac Guckin de Slane traduit par « conseil administratif de Cabes ». Cette institution, qui se rencontre dans d’autres villes, n’est pas très claire, mais montre une participation des élites locales — il ne s’agit pas ici des šayḫ-s almohades — aux affaires de la cité. Plus loin il parle, sans doute pour désigner la même réalité, de šūrā dont ils se rendent seuls maîtres après l’élimination des Banū Muslim (ibid., p. 607). Sur ce terme, voir Valérian, 2006a, pp. 99-100.
295 Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-ʿibar, éd. par Šiḥāda et Zakkār, 2000, t. VI, p. 616 ; trad. de Mac Guckin de Slane, 1925-1956, t. III, p. 174 ; Rossi, 1968, pp. 90-91. Ibn Baṭṭūṭa en attribue le mérite à Abū ʿInān, qui pourtant à cette date ne domine pas encore l’Ifrīqiya orientale. Ibn Baṯṯūṯa, Riḥla, éd. par Defrémery et Sanguinetti, 1853-1859, t. IV, pp. 350-351 ; trad. de Charles-Dominique, 1995, p. 1011.
296 Le traité de 1356 avec Venise présente ainsi Aḥmad b. Makkī comme « seigneur de Gabès et de Sfax, des îles de Djerba et Kerkennah et de Tripoli », et délimite ses terres comme allant de Sfax à Misrata, à l’est de Labda (Traités de paix et de commerce, éd. par Mas Latrie, pp. 222-223). Cette construction territoriale n’est pas sans rappeler la taifa de Denia (voir Bruce, 2010 et 2013).
297 Traités de paix et de commerce, éd. par Mas Latrie, p. 224.
298 Brett, 1986 ; Rossi, 1968, pp. 89-92. Le récit se trouve principalement dans Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-ʿibar, éd. par Šiḥāda et Zakkār, 2000, t. VI, pp. 613-617 ; trad. de Mac Guckin de Slane, 1925-1956, t. III, pp. 169-176.
299 Voir ci-dessus.
300 Baadj, 2013.
301 Lors de la prise de la ville par les Génois en 1355 Ibn Ḫaldūn explique le succès de l’entreprise par la ruse des chrétiens venus sous couvert de navires de commerce, « sans que personne y fît attention, vu le grand mouvement commercial qui y régnait et la fréquence des arrivages et des départs. » (Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-ʿibar, éd. par Šiḥāda et Zakkār, 2000, t. VI, p. 616 ; trad. de Mac Guckin de Slane, 1925-1956, t. III, p. 173).
302 La chronique de Matteo Villani rapporte que la ville rejette alors la domination hafside et est dirigée par un « vile tirrannello » fils d’un forgeron, détesté de ses sujets et qui ne pourra espérer un secours de Tunis (Balletto, 2008, p. 220).
303 Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-ʿibar, éd. par Šiḥāda et Zakkār, 2000, t. VI, p. 616 ; trad. de Mac Guckin de Slane, 1925-1956, t. III, p. 174.
304 Cerone, 1909-1910, pp. 68-69. Une ambassade est envoyée par Tripoli pour solliciter une aide militaire, que Martin le Jeune conditionne à la cession de Djerba.
305 Ibn Ḫaldūn évoque leur commerce à Alexandrie, mais on peut supposer que cette activité en Égypte s’appuyait sur une fortune déjà accumulée à Tripoli et sur des réseaux d’affaires anciens. La chronique de Matteo Villani rapporte que le butin de l’expédition génoise de 1355 rapporta 1,8 millions de florins d’or (sans compter ce que les marins avaient pu voler et cacher) et 7 000 captifs (Balletto, 2008, p. 221). Au-delà de l’exagération probable de l’auteur, ce chiffre montre la richesse de ces ports, qui justifiait à elle seule de telles expéditions.
306 Ferhat, 1993, pp. 175, 214, 222.
307 Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-ʿibar, éd. par Šiḥāda et Zakkār, 2000, t. VI, p. 449 ; trad. de Mac Guckin de Slane, 1925-1956, t. II, p. 399.
308 Le caractère saisonnier des campagnes militaires rend impossibles des sièges qui se prolongent au-delà de l’hiver, les tribus regagnant alors leurs pâturages au sud et abandonnant l’armée.
309 En 1309 le roi d’Aragon Jacques II signe un traité avec le Hafside de Bougie lui promettant une aide navale pour reprendre Alger qui venait de se proclamer indépendante (Traités de paix et de commerce, éd. par Mas Latrie, p. 302 [art. 6]).
310 Forstner, 1979, pp. 102-106, et notamment la carte des itinéraires de conquêtes hafsides et abdelwadides p. 103.
311 Hadjiat, 2009, pp. 118-121 à propos du conflit entre Tlemcen et Bougie.
312 Kably, 1988, p. 34 ; 1986, p. 163.
313 Voir ci-dessus.
314 Même le sultan mérinide doit faire appel à l’aide navale de la couronne d’Aragon pour mener le siège de Ceuta au début du xive siècle (Dufourcq, 1966b, p. 380).
315 Dufourcq (éd.), « Catalogue chronologique et analytique du registre 1389 », no 166, pp. 109-110 (24/9/1372). Les deux ports dépendent pourtant à cette époque du même souverain, le Mérinide de Fès.
316 C’est le cas d’une partie des travaux espagnols jusqu’à la période franquiste, mais est également la perspective de l’historiographie coloniale italienne (Valérian, 2010b).
317 Valérian, à paraître 4 ; 2006b.
318 Ricard, 1936b ; Braudel, 1928.
319 Hélary, 2016, pp. 110-139 ; Lower, 2018, pp. 144-173.
320 Id., 2007, pp. 211-231 et 2018, pp. 154-167.
321 Mollat, 1972, qui analyse les motivations de l’expédition de Tunis dans le contexte des croisades et des ambitions orientales et byzantines de Charles d’Anjou. Sur la politique de ce dernier vis-à-vis des Hafsides, voir Lefevre, La crociata di Tunisi del 1270 ; Borghese, 2008, pp. 55-71. Très vite les autres États chrétiens signent également de nouveaux traités avec les Hafsides (en 1271 pour Venise et la couronne d’Aragon, et 1272 pour Gênes).
322 Dufourcq, 1966c.
323 C’est ce qui ressort du discours que doit prononcer son ambassadeur devant le pape, retranscrit par Muntaner : « J’ose vous assurer qu’avant trois mois il sera maître de la ville de Bône, où saint Augustin fut évêque, et ensuite de celle de Jijel. Ces deux villes, situées au bord de la mer, l’une au Levant et l’autre au Couchant, non loin de Collo, étant une fois conquises, il ne tardera pas à s’emparer de toutes celles qui se trouvent le long de la côte. Quiconque pourrait occuper ces côtes, serait maître de la Berbérie entière, et ces gens-là se trouvant si pressés, se feraient chrétiens pour la plupart. » (Muntaner, Crònica, éd. par Soldevila, 2011, chap. 52, p. 103 ; trad. de Buchon, 1827, vol. 1, p. 143 (traduction ici corrigée).
324 Sur cet épisode et le contexte politique international complexe dans lequel il s’insère, voir Solal, 1957.
325 Mirot, 1931 ; Brunschvig, 1940-1947, vol. 1, pp. 199-203 ; Ferrer i Mallol (éd.), « Documenti catalani ».
326 Ivars Cardona, 1921.
327 Sur cette politique, voir les développements consacrés par Dufourcq, 1966b, et López Pérez, 1995. L’expédition de Collo en 1282 peut d’ailleurs être aussi interprétée comme une intervention du roi d’Aragon en faveur de l’émir Ibn al-Wazīr de Constantine contre le sultan Abū Isḥāq de Tunis (Brunschvig, 1940-1947, vol. 1, pp. 81-83).
328 Dufourcq, 1966b, pp. 263-267, 430-432 ; Valérian, 2018.
329 Muntaner, Crònica, éd. par Soldevila, 2011, chap. 117, p. 211 ; trad. de Buchon, 1827, vol. 1, p. 348.
330 Unali, 2000, pp. 201-217.
331 Dufourcq, 1966b, pp. 88-91.
332 Ibid., pp. 101-104.
333 Valérian, 1999a.
334 Ils soutiennent la lutte armée contre la piraterie, mais à condition qu’elle n’entraîne pas un cycle de représailles qui nuirait en définitive à la navigation, et surtout mettrait en péril leurs marchands dans les villes musulmanes. Voir ci-dessous sur les conséquences de la piraterie du xive siècle.
335 Sur le contexte général de ces rivalités entre puissances chrétiennes en Méditerranée, voir Abulafia, 1997a.
336 Voir ci-dessous.
337 Seules les plus importantes de ces nations disposent d’un fondouk, dans les ports principaux. Mais les marchands d’autres origines peuvent en bénéficier, notamment lorsqu’ils arrivent sur des navires d’une nation bien implantée.
338 Une présence castillane et portugaise se devine aussi dans la zone marocaine, mais la rareté des données archivistiques rend l’étude difficile.
339 Voir ci-dessous.
340 Sur cet événement, voir principalement Dufourcq, 1955 ; Di Tucci (éd.), « Documenti inediti » ; Allouche, 1946.
341 Ibn ʿIḏārī al-Marrākušī, Kitāb al-Bayān al-muġrib, t. V (partie almohade), éd. par al-Kīttānī et alii, 1985, pp. 350-351, trad. espagnole de Huici-Miranda, 1954, pp. 127-129. C’est l’interprétation que retient Allouche, 1946.
342 Annali genovesi di Caffaro, vol. 3, pp. 72-76. La gestion de cette dette est confiée à une mahone créée pour l’occasion (Di Tucci [éd.], « Documenti inediti »).
343 Raffaele Di Tucci pense que ce sont des mercenaires chrétiens au service de l’Almohade al-Rašīd (Di Tucci [éd.], « Documenti inediti », p. 279), Louis de Mas Latrie y voit des membres d’un ordre religieux espagnols (Traités de paix et de commerce, éd. par Mas Latrie, « Introduction historique », p. 81). Voir la présentation des diverses hypothèses par Mosquera Merino, 1988 et Claverie, 2018, qui y voit des marins de Collioure.
344 Ceuta cherche alors à défendre ses intérêts dans le contexte troublé des lendemains de la défaite almohade de Las Navas de Tolosa (Ferhat, 1993, pp. 205-216).
345 Balletto, 2000, pp. 155-157 : entre 1222 et 1226, 164 contrats sont passés pour le Maghreb et un seul pour Alexandrie, pour une somme, qui plus est, dérisoire.
346 Ibid. : 93 contrats pour Ceuta, 41 pour Tunis et 30 pour Bougie, avec un capital moyen par contrat très supérieur pour Ceuta.
347 C’est le cas en particulier à la fin du xive siècle lorsque les marchands italiens sont empêchés d’aller au Maghreb depuis Majorque (voir ci-dessous).
348 Banti, 1984, p. 358.
349 Traités de paix et de commerce, éd. par Mas Latrie, p. 33.
350 Ibid., p. 47.
351 Ibid., p. 64.
352 Cité par Dufourcq, 1966b, p. 451.
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