III
Une formule de réassurance
Texte intégral
Cycles narratifs
1Les demandes de renvoi de privados auxquelles j’ai déjà fait référence sont le marqueur incontestable de l’entrée effective de ceux-ci sur la scène politique entre la fin du xiiie et le début du xive siècle. Il existe cependant un indice plus significatif encore de leur protagonisme croissant, voire de la place désormais centrale qu’acquiert la privanza dans la pratique du pouvoir et la façon dont les acteurs la conçoivent. Il s’agit, pour reprendre l’expression de Jocelyne Dakhlia à propos du sultan et de son vizir1, de la « cristallisation narrative » du couple que forment le roi et son (ses) privado(s) dans les chroniques royales castillanes2. Et les cycles narratifs produits par la consignation de l’ascension puis de la chute de certains privados contribuent à renforcer l’exemplarité souvent soulignée de ces chroniques3. Cette même exemplarité conduit néanmoins au constat d’un paradoxe. Car loin d’établir les états de service des privados au bénéfice du trône, ces cycles sont enclins à détailler leurs petites et grandes trahisons. En somme, leur fonctionnalité narrative paraît dénier aux privados leur fonctionnalité politique. Cette situation paradoxale est la conséquence des conditions de production des chroniques royales dans lesquelles prennent place ces premiers cycles narratifs de privados plutôt que de la privauté peut-être.
2À propos de ces chroniques royales du premier xive siècle, ainsi que pour celles de Pedro López de Ayala pour la seconde moitié de ce même siècle d’ailleurs, j’ai déjà indiqué qu’elles me semblaient relever d’un genre politiquement fusionnel4. Par cette caractérisation, j’entendais souligner à quel point elles étaient la traduction du consensus politique d’un moment, lequel les faisait à la fois porteuses d’une position monarchique et de valeurs ou de sentiments, voire d’une idéologie, aristocratiques. Le panorama que permet à présent d’établir la recherche rend aujourd’hui tout à fait caduque l’idée simple d’un vide dans la production historiographique castillane entre les Estorias alphonsines et la Crónica de tres reyes — chroniques d’Alphonse X, de Sanche IV et de Ferdinand IV5 — que le chevalier-letrado Fernán Sánchez de Valladolid se serait chargé de rédiger6, pour répondre à l’ordre de composition ou de compilation donné par Alphonse XI après sa prise d’Algésiras en 13447. Ainsi, le passage d’un format général, celui des Estorias, au format particulier des chroniques royales, n’interdit-il pas la production ou l’organisation d’une histoire se nourrissant toujours d’une perspective générale, comme le montrent la version sanchiste de la Estoria de España, la Gran conquista de Ultramar, la Crónica de Castilla, le manuscrit de la Primera Crónica General, ou encore le résumé de la Estoria de España que donne don Juan Manuel au travers de sa Crónica abreviada8. Pour ce qui est du genre même de la chronique royale, celui-ci paraît avoir été posé par la Crónica particular de San Fernando plutôt que par la Crónica de tres reyes9. Par ailleurs, au sujet de l’intervention de Fernán Sánchez de Valladolid, celle-ci pourrait se réduire à un rôle éventuellement directeur10. La « rédaction » des chroniques d’Alphonse X, de Sanche IV et de Ferdinand IV mobilisa probablement des équipes de rédacteurs ainsi qu’un matériel documentaire et chronistique dont l’élaboration fut peut-être préalable à l’ordre alphonsin de composition ou de compilation. Outre l’éventuel matériel ainsi déjà disponible, ces rédacteurs purent mettre à profit les productions d’autres foyers historiographiques, pour en suivre l’orientation ou bien tenter de les contrer. Pour la première option, il faut mentionner un produit du « molinisme » historiographique11, la Crónica de los reyes de Castilla rédigée par l’archidiacre de Tolède d’origine aragonaise Jofré de Loaisa autour de 1305, transmis grâce à la traduction latine commandée par l’auteur au notaire Armand de Crémone12. La seconde option est représentée par un texte, la Historia hasta 1288 dialogada, dont la date de rédaction n’est pas fixée, mais qui alimente l’idée d’un prompt investissement historiographique nobiliaire13. Si certaines des chroniques de la Crónica de tres reyes purent ainsi chercher à répondre ou à éteindre cette dissidence historiographique, l’idée que les œuvres d’un don Juan Manuel seraient elles aussi l’expression du molinisme, dont la source première n’est autre que les Castigos de Sanche IV14, désigne en définitive ce système de pensée ou cette idéologie comme un vecteur de convergence.
3En ce sens, le déni de la fonctionnalité politique des privados par la fonctionnalité narrative de leurs cycles dans les chroniques royales, ultimement dans la chronique d’Alphonse XI qui vient clore le système narratif ouvert par les chroniques (re)composées et ainsi ordonnées des trois règnes antérieurs15, pourrait signaler un aspect de cette convergence, comme si les privados étaient voués au fond à devenir les victimes expiatoires du triomphe enfin assuré d’un ordre monarchique nécessairement courtois dans son principe. Quoi qu’il en soit, les chroniques d’Alphonse X, de Sanche IV, de Ferdinand IV et, enfin, d’Alphonse XI forment donc un même système narratif. Dans ce système, les cycles narratifs concernant les privados dans chaque chronique prennent leur sens ultime en fonction de la liquidation narrative de ces personnages — nous verrons cependant qu’il s’agit plutôt d’une reconversion dans le cadre de la satellisation alphonsine — au début des années 1330, dans une chronique d’Alphonse XI marquée par la concordance des temps au présent, celui du récit et celui de sa rédaction. Dès lors, ces cycles construisent un seul et même cycle, dont le contexte est l’histoire des empêchements au triomphe monarchique, en particulier l’état d’alarme permanent provoqué par les remous de cette partie de la noblesse que mobilisent certains parents du roi et riches hommes depuis la fin du xiiie siècle. Or, entre ce groupe et le groupe des privados la communication est telle qu’elle peut produire parfois des confusions. Ainsi, l’un des supposés privados de la première moitié du xive siècle m’avait posé jusqu’à présent un problème de caractérisation. Il s’agit de don Lope Díaz de Haro, seigneur de Biscaye. Son profil de riche homme tranche par rapport à celui sans parage des autres privados dans les chroniques royales de cette époque. J’ai déjà indiqué qu’il n’était jamais désigné de la sorte dans la chronique d’Alphonse X, ni non plus dans celle de Sanche IV d’ailleurs. Tout au plus la chronique d’Alphonse X indique-t-elle son amitié avec le futur Sanche IV, une amitié que j’ai replacée dans le cadre de l’amitié vassalique. Reste cependant que le pouvoir exercé par ce personnage auprès de Sanche IV a été envisagé par les historiens comme une privanza.
4Si la trajectoire de don Lope Díaz de Haro a quelque actualité dans les années de composition ou de compilation des chroniques royales de la première moitié du xive siècle, c’est en raison de l’expérience tout juste refermée de la privanza de don Alvar Núñez de Osorio. De ce personnage, retenons pour le moment quelques faits simplement. Après sa majorité, Alphonse XI fait de ce chevalier l’un de ses principaux privados, voire le premier entre 1325 et 1327. Cette année-là, sa prééminence dans la faveur royale fait que Alvar Núñez obtient d’Alphonse XI d’être fait comte. Mais la promotion aristocratique du privado amorce le processus de sa disgrâce, qui se solde par son assassinat sur ordre du roi en 1328. Cette promotion aristocratique et cet assassinat sont les deux principales voies de contamination entre ces deux cas de fortune que constituent les trajectoires de don Alvar Núñez et de don Lope Díaz de Haro, pour sa part fait comte en 1287, puis tué par Sanche IV en 1288. Il n’est pas impossible que le rejeu que paraissent constituer l’ascension puis la chute de don Alvar ait contribué à faire que le pouvoir de don Lope ait été envisagé rétrospectivement telle une privanza, peut-être même dès le milieu du xive siècle. Mais, dans l’autre sens, il convient de penser que le pouvoir exercé par don Lope a pu servir de matrice à la privanza de don Alvar dans sa dimension gouvernementale. Autrement dit, la contamination entre ces deux cas de fortune eut peut-être pour principal vecteur une certaine communication entre deux formes de pouvoir, toutes deux fondées sur la médiatisation de la personne royale.
Les privados-prélats
5Si nous oublions un moment la figure de Lope Díaz de Haro, ainsi que la manière dont la chronique de Sanche IV accorde finalement à son épouse María de Molina le rôle de meilleure conseillère en temps de menace aristocratique, au point peut-être de profiler ainsi un modèle de privanza conjugale — préfiguration en somme de celle qui sera mise en œuvre sous les Rois Catholiques —, reconduite en régence sous le règne de son fils Ferdinand IV16, le trait marquant du règne de Sanche IV au regard de l’expérience de la privauté reste la préférence accordée à des ecclésiastiques pour jouer auprès du roi le rôle de « más privado »17. C’est en ces termes en effet que la chronique de Sanche IV caractérise au début du règne la position de l’abbé de Valladolid Gómez García de Toledo auprès du roi18. Après la disgrâce de ce « más privado » en 1286 et l’interlude représenté par le pouvoir de don Lope entre 1286 et 1288, les figures de l’archevêque de Tolède Gonzalo Pérez Gudiel19 et de l’évêque d’Astorga don Martín García ou González se détachent nettement ; et le renvoi des privados exigé aux Cortes de Valladolid après la mort du roi en 1295 a pu être interprété par certains comme une réaction anticléricale, laquelle fut probablement favorisée par une ligne de partage entre haut et bas clergé20. La préséance de ce groupe clérical, où dominent des origines tolédane et mozarabe21, n’empêche certes pas une présence nourrie dans la confiance du roi de laïcs appartenant aux rangs de la noblesse, surtout seconde et parfois d’origine étrangère22. Toutefois, ce n’est là qu’une cohorte de conseillers, la plupart du temps anonyme d’ailleurs, dont les avis divergents laissent entrevoir l’affrontement des factions, en général celles de certains parents et riches hommes (l’infant don Juan, don Lope Díaz de Haro, don Juan Núñez de Lara) contre celle de la reine, au sein du Conseil ou auprès du roi23.
6Au regard de cette factionalisation de l’entourage royal et du Conseil, l’avantage donné à des prélats et à des clercs ne s’explique pas seulement en raison de leur compétence scripturaire, et donc administrative et plus particulièrement comptable. De cette responsabilité financière témoigne, par exemple, l’examen des comptes de Gómez García rapporté par la chronique après sa disgrâce24, ou encore des livres de recettes dont l’exceptionnalité ne tient pas à leur production mais à leur conservation, permise paradoxalement par la déroute de ce groupe dirigeant à la mort de Sanche IV en 129525. Une raison supplémentaire du choix de ce groupe de prélats et de clercs fut sans doute sa capacité à produire une pensée, en particulier celle qu’il est désormais convenu d’appeler le « molinisme », avec la production de pièces contribuant à fixer un idéal (trop ?) haut en rapport avec le conseil et l’amitié (Castigos de Sanche IV, Libro del caballero Zifar, Libro del consejo e de los consejeros). Néanmoins, rapporté à la factionnalisation du Conseil et de l’entourage du roi, le choix de donner à des clercs et à des prélats un avantage dans la proximité pourrait indiquer une volonté d’équilibre, voire de neutralisation des effets que le leadership de cette proximité n’aurait pas manqué de produire dans les rangs nobiliaires si celui-ci avait été assumé par des riches hommes ou des personnages de moindre noblesse. Car l’état clérical de ces hommes, en particulier s’agissant de prélats, était de nature à leur conférer une préséance naturelle auprès du prince et, surtout, n’hypothéquait par leur leadership de la tentation d’une succession lignagère. Dans cette perspective, le pouvoir de don Lope constitue une rupture. Sa chronologie invite à la considérer, tout d’abord, comme une réaction nobiliaire au choix organisationnel qui paraît s’annoncer avec la privanza de l’abbé de Valladolid26 ; ensuite, comme l’accélérateur même de ce choix, rendu d’une certaine manière inévitable en raison de l’hybris démontrée par ce riche homme et parent du roi.
L’apoderamiento aristocratique
7La trajectoire individuelle de don Lope est dans la continuité d’une longue trajectoire lignagère. Son trait marquant dans la relation du lignage avec le trône est une politique de puissance, qui en passe par une stratégie de pression et de chantage, laquelle tend à se radicaliser à partir du milieu du xiiie siècle, sur la base notamment d’une implantation territoriale mieux assurée en Biscaye27. L’alliance ou l’amitié entre don Lope et Sanche IV remonte au temps de la question successorale ouverte à la fin du règne d’Alphonse X en raison de la mort de l’infant héritier don Fernando en 127528. Alors que la question semblait réglée depuis 1278 en faveur de l’infant Sanche plutôt que de son neveu, Alphonse de la Cerda, à partir de 1281, la volonté que manifeste Alphonse X de vouloir compenser les droits de ses petits-enfants provoque le soulèvement de son nouvel héritier — c’est d’ailleurs à l’occasion du récit de ce premier rebond de la crise successorale que la chronique d’Alphonse X indique la présence de Gómez García de Toledo auprès du futur Sanche IV en tant que privado29. Contre la vision patrimoniale du royaume qu’a son père, l’infant Sanche rallie une bonne part de l’aristocratie et de la noblesse, de l’épiscopat et des villes dans une grande alliance (hermandad general). Mis en accusation par une assemblée réunie par les ligueurs à Valladolid au printemps 1282, où sont notamment rappelées les exécutions sommaires qu’Alphonse X avait ordonnées de son frère don Fadrique et du riche homme don Simón Ruiz de los Cameros en 1277, le roi est démis de la réalité de ses pouvoirs. Ceux-ci, plus précisément le contrôle des forteresses, l’administration de la justice et les ressources financières, sont attribués à l’infant Sanche qui paraît cependant refuser d’assumer le titre royal30.
8À cette « déposition technique » (M. González Jiménez), Alphonse X répond en maudissant son fils, et il meurt en 1284 sans être revenu sur cette malédiction qui affecte ainsi la légitimité d’origine de la royauté sanchiste et de ses descendants31. Ce problème de légitimité d’origine est accru en raison de l’union de l’infant Sanche avec María de Molina en 1282, sans qu’il ait demandé au préalable aucune dispense pontificale. Deux raisons auraient dû le conduire à la demander pourtant : en premier lieu, son mariage verba de praesenti en 1270 avec la fille de Gaston VII de Béarn, Guillemette de Béarn-Moncade ; en deuxième lieu, son proche degré de parenté avec María de Molina, cousine germaine de son père Alphonse X32. La papauté ne reconnaîtra le mariage entre Sanche IV et María de Molina qu’en 1301, soit six ans après la mort du roi et une année avant la majorité de son successeur, Ferdinand IV. Le molinisme vise en premier lieu à lever l’hypothèque de cette légitimité d’origine défaillante au double titre de la malédiction d’Alphonse X et du mariage de 1282. Ce mariage paraît troubler un temps l’amitié de l’infant Sanche avec don Lope, qui est cousin germain de Guillemette de Béarn-Moncade, mais aussi beau-frère de María de Molina, du fait de son mariage en 1269 avec sa demi-sœur aînée Juana Alfonso de Molina. Don Lope revient cependant vite à son alliance, sans doute parce qu’il obtient de l’infant Sanche la main de sa sœur, l’infante doña Violante, pour son frère don Diego. Tant de liens et son soutien pendant cette crise successorale font que don Lope était en droit d’attendre de l’infant, une fois devenu roi, qu’il lui accorde une position privilégiée auprès de sa personne et dans son royaume. Sanche IV devait cependant ne pas mécontenter des soutiens éprouvés, faire de la place dans son entourage à d’anciens serviteurs de son père, rallier encore d’autres volontés et ne pas effrayer tout à fait les soutiens des infants de la Cerda, en particulier ce lignage des Lara auquel celui des Haro s’opposait depuis toujours. La confirmation de l’abbé de Valladolid, qui passe ainsi du statut de privado à celui de « más privado » — la chronique n’utilise pas le terme privanza — fut probablement une manière de maintenir un certain équilibre et de temporiser.
9Si le choix, la confirmation ou même la disgrâce de Gómez García expriment la pleine volonté du roi (mais encore de la reine), tel ne paraît pas être le cas du pouvoir de don Lope. Trois sources d’information permettent de caractériser ce pouvoir : la Historia hasta 1288 dialogada, la Crónica de los reyes de Castilla de Jofré de Loaisa et enfin la chronique de Sanche IV. Aucun de ces textes ne fait de don Lope un privado. Il y est principalement désigné en tant que seigneur de Biscaye ou bien, après 1287, par son titre de comte. La Historia hasta 1288 dialogada est certes prolixe sur les circonstances de sa mort à Alfaro en 1288, dont elle présente une version à charge contre Sanche IV33. Toutefois, hormis l’indication de la réclamation par le roi des forteresses du royaume dont il avait cédé le contrôle au comte, ce texte n’offre aucun autre élément de caractérisation du pouvoir de don Lope. Pour sa part, Jofré de Loaisa, après qu’il ait mentionné la concession du titre de comte à don Lope, précise que celui-ci régentait alors la maison du roi34, indiquant ainsi l’office de grand majordome que Sanche IV lui avait accordé après la mort de son titulaire à la fin de l’année 1286. Le contrôle des forteresses est abordé peu après, quand Jofré de Loaisa évoque la mort du comte, auquel il attribue au préalable une machination contre Sanche IV, dans laquelle il implique aussi le frère du roi, l’infant don Juan35, beau-fils de don Lope depuis 128736. La machination, dont Sanche IV est informé, sert bien entendu à justifier l’arrestation du comte et celle de l’infant, la réclamation des forteresses par le roi et in fine la mort de don Lope. Le traitement qu’accorde le chroniqueur à la trajectoire de don Lope est rapide, mais au moins pose-t-il deux dimensions essentielles de son pouvoir, l’une domestique et l’autre territoriale, au travers du contrôle de la maison pour la première et des forteresses pour la seconde.
10Par rapport à ces deux premières sources d’information, la chronique de Sanche IV présente la particularité de construire, entre son premier et quatrième chapitre, un véritable cycle narratif autour de don Lope37. Or, l’emploi croissant dans ce cycle du verbe (des)apoderar ou de l’adjectif (des)apoderado pour indiquer la croissance du pouvoir de don Lope et, en conséquence, la diminution de celui du roi, offre probablement la clé de compréhension du pouvoir du comte, qui fut donc de l’ordre d’une emprise ou d’une mainmise (apoderamiento)38. Au fondement de cette mainmise, la chronique pointe un principe tout à fait contraire à la volonté royale, car le texte laisse entendre plutôt son annulation, d’abord parce que le roi paraît si subjugué par le comte et ses hommes que sa faculté d’entendement paraît atteinte (emaginado)39, puis parce qu’il prend finalement peur (miedo) de don Lope40. Ces mentions concourent à déresponsabiliser et à disculper le roi tant de la mainmise du comte que du drame en définitive libérateur de Alfaro. Elles permettent par ailleurs de souligner la prompte clairvoyance de la reine et de certains des conseillers de Sanche IV. Partant, des logiques narratives au service d’une justification gouvernent la manière dont la chronique rend compte de l’annulation de la volonté royale. Néanmoins, l’idée de cette annulation établit une nette opposition entre apoderamiento et privauté. Cette opposition rejouera plus d’un siècle plus tard, sous le règne de Jean II, dans le contexte du balancier entre les successifs gouvernements lunistes et ceux des parents du roi. La privanza même de don Álvaro de Luna sera taxée d’apoderamiento par ses détracteurs, ou même par le roi quand il se décidera à lâcher son ancien privado et à ordonner son exécution41. Aussi peut-on douter d’une différence pratique entre ces deux régimes de proximité, l’un volontaire et l’autre contraint, dont la commune conséquence est de médiatiser le roi et son gouvernement. Toutefois, cette indifférence pratique est la conséquence de la mutation de la privauté en régime politique, laquelle est tributaire de ce modèle d’apoderamiento aristocratique radicalisé par le pouvoir de don Lope à la fin du xiiie siècle, et vivifié par les prétentions des parents du roi et des riches hommes de la première moitié du xive siècle à le restaurer à leur profit. Par ailleurs, le fonctionnement du rituel consistant à s’emparer du roi, dont la gestation se joue précisément au cours de cette première moitié du xive siècle, où le vrai coup d’État n’est pas tant ce séquestre que la libération du roi grâce à l’action de son (ses) privado(s), renforce l’idée d’une différence de principe entre ces deux régimes de médiatisation42, qui n’est autre donc que cette volonté royale dont la chronique de Sanche IV dresse le constat de l’annulation.
11Aucun séquestre physique du roi n’est à signaler dans le cas de Sanche IV (encore qu’il faudrait peut-être relire à la lueur d’une telle possibilité d’attentat la machination contre le roi que Jofré de Loaisa prête à don Lope et à l’infant don Juan)43, mais plutôt une stratégie de noyautage dont la conséquence est de faire primer la volonté de don Lope sur celle du roi44. Ce noyautage vise la parenté du roi, avec des alliances matrimoniales dont nous avons vu qu’elles faisaient de don Lope, par deux fois, le beau-frère de Sanche IV, éventuellement son cousin en cas de retour du roi à son mariage avec Guillemette de Béarn-Moncade, ou encore le beau-père de l’infant don Juan, frère du roi et candidat potentiel au trône de Castille en cas d’absence de règlement de l’épineuse question de la légitimité de l’union entre Sanche IV et María de Molina. Le noyautage vise le Conseil royal également. Au sein de ce Conseil, la disgrâce de l’abbé Gómez García et l’unité dès lors fracturée d’un groupe ecclésiastique d’orientation moliniste, font prendre l’avantage à la faction de don Lope en 1286-128745. Cette position renforcée ouvre la possibilité à d’autres noyautages, aux plans domestique (la maison du roi du fait de l’obtention de l’office de grand majordome46, voire la maison de la reine aussi, contrainte d’accepter la purge de son entourage47), territorial (la charge d’adelantado mayor de Castille pour son frère Diego) et militaire (l’office d’alférez que détient son frère et qu’il semble assumer en 128748). Aussi l’octroi du titre de comte à don Lope est moins l’expression du choix du roi que la reconnaissance d’un pouvoir qui s’impose à lui en raison du noyautage tous azimuts, pratiqué par don Lope, ou d’un coup d’État en définitive réussi.
12La sanction royale de ce coup d’État ne se contente pas de procéder à une assignation statutaire au travers de cet octroi du titre de comte. La chronique, et seulement elle, informe en effet que cet octroi s’intègre aux conditions d’un contrat d’alliance (pleitos y posturas) souscrit entre le roi et le comte sur proposition de ce dernier, dont le double scellement, la date et le lieu de souscription (Valladolid, le 1er janvier 1287) sont même mentionnés49. Il conditionne l’allégeance du comte et son soutien au prince héritier, l’infant Ferdinand, né en 1285, à la patrimonialisation du titre, des offices, possessions et gages obtenus, au contrôle des finances royales — que don Lope délègue peut-être dès ce moment même au juif Abraham Barchilón50 — et de la distribution des gages51, et encore à l’obtention d’une clé de la chancellerie. En cas de parjure, les clauses de garantie prévoient, pour le roi, la perte des forteresses mises en gage, lesquelles intégreraient les possessions du comte et, pour celui-ci, son exécution et la saisie de sa seigneurie de Biscaye et de ses autres possessions, lesquelles reviendraient à l’infant Ferdinand. La mention de ce supposé contrat d’alliance, en particulier de cette dernière clause de garantie, participe également d’une logique de justification du coup de sang royal de Alfaro. Mais peu importe en fait. Ce qui compte est la formalisation, voire la légalisation, de la mainmise ou de l’emprise du comte au travers d’un format contractuel, qui fait sens au regard de la pratique préalable, tant royale qu’aristocratique, de l’amitié52, et non pas de celle en cours d’invention de la privauté. Par ailleurs, si l’expérience d’un certain régime de privauté dominé par un groupe ecclésiastique put inspirer certaines des clauses de ce contrat (la clé de la chancellerie et le contrôle scripturaire qui en découle), d’autres clauses (finances, gages, forteresses) sont davantage redevables des conditions de la « déposition technique » ou de l’usurpation de 1282, qui avait fait de l’infant Sanche le régent ou le gouverneur effectif du royaume avant même de succéder à Alphonse X. À Alfaro, en 1288, la mort de don Lope et l’arrestation de l’infant don Juan — il reste emprisonné jusqu’en août 1291 — permettent en somme la restauration du roi dans sa fonction de gouverneur, de laquelle l’avait démis un apoderamiento poussé jusqu’au contrat à la faveur d’une croissante angoisse dynastique.
Le songe d’une monarchie sacerdotale
13Le coup de sang libérateur et restaurateur de Alfaro ne paraît pas être suivi d’une purge de l’ensemble des partisans de don Lope au Conseil. À propos du retour en grâce de Juan Núñez I de Lara en 1290, à qui l’infant don Ferdinand avait confié la défense des intérêts de ses fils, les infants de la Cerda, en 1275, la chronique en montre certains s’ingéniant à l’empêcher53. Et ils le font d’une manière assez paradoxale, car ils œuvrent à insuffler chez ce riche homme la peur (miedo) d’être à son tour la victime d’un coup funeste du roi. Cette peur, qui gouverne la composition de l’intégralité du chapitre vii de la chronique54, configure le rendu des accès postérieurs de cette émotion dans le système narratif des chroniques royales de la première moitié du xive siècle. Nous y reviendrons. Remarquons pour le moment que ce groupe de privados passés agents de l’épouvante royale est commandé par l’évêque d’Astorga55. Ce leadership pose dès lors la question du rôle réel du groupe ecclésiastique pendant le gouvernorat de don Lope (abstention ?, collaboration ?, dans ce dernier cas, sous quelle forme ? un duumvirat ?, résistance ?)56, ou encore de son pragmatisme dans son soutien à doña María de Molina, que la chronique pose dans le rôle pacificateur qui sera également le sien dans la chronique de Ferdinand IV à la faveur de cet accès de peur de 129057. Il est possible cependant que le « molinisme » attribué à ce groupe ecclésiastique, qui reprend l’avantage auprès du roi après Alfaro, ne soit pas antérieur à ce début des années 129058.
14Quoi qu’il en soit, ce contre-coup d’État de Alfaro, un contre-coup restaurateur du roi dans sa fonction gouvernementale, forme probablement le contexte latent de la production des Castigos en 1292-1293, traité qui apparaît comme le texte fondateur d’un sanchisme politique que certaines productions textuelles des règnes de Ferdinand IV et d’Alphonse XI actualiseront en molinisme. Tout comme les Enseignements de Louis IX, texte auquel les Castigos sont probablement redevables59, ceux de Sanche IV participent d’une « conscience monarchique » qui lie dans une même ambition le souci de bon gouvernement et celui de la transmission dynastique de cet impératif60. Cette ambition débouche dans les Castigos sur la revendication d’une sacralité de la royauté sanchiste, laquelle est légitimée par l’idée d’une élection divine61. Il y a probablement dans le sanchisme une forme de fuite en avant idéologique, laquelle est inséparable au fond d’une considérable inquiétude au sujet de sa perpétuation dynastique. De fait, cette fuite en avant, dont un premier jalon est peut-être dès 1284 le couronnement même de Sanche IV à Tolède, atteint son paroxysme dans les Castigos au travers de la vision d’un roi de majesté qu’il convient d’envisager tel un songe, une forme de rêve que, comme nous l’avons vu dans la première partie de cet ouvrage, l’histoire de Daniel ou de Joseph attache à un type de monarchie fondamentalement inquiète de son devenir. Toutefois, le songe sanchiste d’un roi de majesté n’est peut-être pas seulement celui d’un roi-père, qu’une mauvaise expérience récente de l’amitié conduit à systématiser la mise en garde sur ce lien. Le songe de majesté est sans doute aussi celui d’un groupe ecclésiastique qui trouve ainsi le moyen de faire la promotion de son accompagnement ou de sa privauté.
15Au chapitre xi de ses Castigos, Sanche IV dit à son fils avoir eu la vision d’un roi couronné, assis sur son trône et entouré des gens de son Conseil62. Suivons un peu le roi dans cette vision. La couronne attire d’abord le regard. Elle est d’or, fermée et sertie de pierres précieuses : trois rubis, deux émeraudes et deux saphirs. Au centre, le front, et un premier rubis qui symbolise la crainte de Dieu, le principe du savoir qui selon le conseil de Salomon commande les bonnes actions, qui doit s’enchâsser, comme la pierre dans le métal, dans l’âme du roi. À droite, la tempe et l’oreille, une émeraude et un saphir : pour la bonne croyance d’abord, c’est-à-dire la foi qui doit être ferme et véritable, enracinée dans le cœur du roi ; pour la bénignité ensuite, qui sert à bien faire et à bien entendre. À gauche, la tempe et l’oreille encore, de nouveau les mêmes pierres : l’émeraude pour les bonnes manières, qui servent à instruire le cœur du roi, à le calmer aussi, entendons à le maintenir dans la mesure ; le saphir pour la chasteté que le roi doit manifester dans son écoute, ses faits et ses paroles. À l’arrière, l’occiput : un deuxième rubis signale la bonne connaissance et la bonne mémoire que le roi doit avoir envers Dieu et les hommes, c’est-à-dire l’entendement qui lui sert à garder ce qu’il sait et ce qu’il comprend. De l’arrière, le regard remonte vers le sommet, vers la fermeture de la couronne que domine un autre rubis, celui de la charité, qui vient illuminer le reste de cette pièce comme une source de vive clarté, de laquelle procède toute vertu.
16Ainsi couronné, le roi des Castigos est vêtu d’or et de soie, symboles mêlés d’une prospérité qui lui sert à faire preuve de ses qualités. Ses vêtements, galonnés d’un semis de perles et de pierres, disent les dons que le roi doit accorder à ceux qui le servent bien. Leur doublure d’hermine signifie la pureté d’une âme que le roi doit veiller à ne pas maculer et à conserver. Aux bras du roi, des bracelets d’or et de perles rappellent les dix commandements, cinq pour chaque bras, pour dire que le roi est tenu par les lois et que son rôle est aussi d’y soumettre ses hommes, membres agissants de son autorité. Puis vient la chaise, un trône couvert d’or, d’argent et de perles, symbole de pouvoir et de domination. L’escabeau ensuite, aussi riche que la chaise, sur lequel le roi pose ses pieds, sous lequel il doit tenir ses ennemis, sous lequel aussi Dieu promit à David de placer ses ennemis. Des pieds, la description en revient aux membres supérieurs, aux mains. La droite, portant une épée, symbole de la justice qui doit gouverner le royaume, servant à départager et devant s’abattre également sur tous, impartiale et sans convoitise. Par l’épée, et la justice qu’elle représente, Sanche IV précise que le pouvoir du roi repose en trois choses : sa parole, sa plume par laquelle s’exprime son mandement, son épée par laquelle sont châtiés ses ennemis et jugés les siens. Comme il taille sa plume lorsqu’elle écrit mal, le roi doit user de son épée pour trancher les têtes de ceux qui agissent mal. Mais par-dessus tout, la parole du roi l’emporte. Il doit veiller à ne pas la corrompre, par le trop boire, par les mauvaises femmes ou les mauvais conseillers, et faire qu’elle agisse de concert avec son épée. La main gauche porte un globe d’or surmonté d’une croix, signe d’un royaume que le roi doit tenir dans sa main et maintenir dans la foi. Chacune des mains est couverte d’un gant : de force pour la droite, entendons cette vertu cardinale qui détourne de la peur et de la témérité, qui sert à frapper ; de protection pour la gauche parce qu’elle sert communément à se préserver des dangers.
17Face au roi, deux serviteurs se tiennent agenouillés. Le premier tient un livre de jugements, de lois et de droits, qu’il présente au roi pour qu’il sache distinguer le bien du mal et rendre à chacun son droit et ce qu’il mérite ; le second porte le sceptre qui sert à châtier les mauvais. Derrière le roi, et sur tous les murs de la salle dans laquelle il se tient, des tentures de damas vermeil sont tendues. Le roi peut y lire les noms de ses prédécesseurs, leurs bonnes et leurs mauvaises actions, leurs justes sentences qui, où qu’il regarde, l’invitent à faire œuvre de mémoire, à s’inscrire, à son tour et pour ces successeurs, dans cette continuité du pouvoir. Devant le roi, des tapis portent les noms des orgueilleux et des inconnus de son royaume, pour qu’ils soient foulés par ceux qui entrent dans la salle, et ainsi dépréciés. Autour de l’escabeau, des lettres d’or disent les noms des centurions de son royaume, entendons des seigneurs de plus de cent chevaliers, des barons donc, dont la force contient les ennemis du roi, et que celui-ci sait aussi tenir sous ses pieds, grâce à ses chausses d’or et de perles, fermeté pour la droite, calme pour la gauche. Des pieds, le regard remonte vers la poitrine, s’arrête sur la grande broche d’or qui porte inscrite la grâce des dons de Dieu. La description revient ensuite aux mains, insiste à présent sur les bagues serties du roi, d’un rubis pour celle qu’il porte à sa main droite, d’une émeraude pour la gauche, avec les lettres de clémence gravées sur l’anneau de la première et de mesure pour la seconde.
18Devant le roi se tiennent douze hommes d’honneur de son Conseil. La crainte de Dieu, et du roi aussi, ainsi que le souci qu’ils ont pour le salut de leur âme, les débarrassent de toute convoitise, orgueil, envie et malveillance, du mépris pour leurs inférieurs encore. Ils sont les gardiens d’un trésor de bonté, songeant davantage au futur qu’au présent. Quant aux officiers, absents de la salle, Sanche IV rappelle qu’ils accomplissent leur devoir dans les strictes limites de leur office, qu’ils sont, eux aussi étrangers à toute convoitise. Ainsi paré, de la sorte secondé par ses serviteurs, ses barons, ses conseillers et ses officiers, le roi du songe tient son royaume en bon ordre, régit en justice, en vérité et en droit, tant pour les petits que les grands et les moyens.
19Sur sa couronne, le roi porte donc charité au sommet, crainte de Dieu au front, foi et bénévolence à droite, bonnes manières et chasteté à gauche, entendement à l’arrière. Prospérité et récompenses disent, à l’extérieur, la pureté intérieure du prince et les grâces de Dieu qu’il porte inscrites sur sa poitrine. À ses bras pendent les lois de Moïse, de ses mains il tient la justice pour la droite et le royaume pour la gauche, la force et la clémence pour l’une, la prévention et la mesure pour l’autre. Sous ses pieds, calme et fermeté s’allient pour fortifier son trône, symbole du pouvoir qu’il détient, de la crainte qu’il inspire à ses hommes et les incite à bien œuvrer, de celle qu’il ressent lui-même face à Dieu, juge de ses propres actions. Sur les murs s’étale la mémoire du royaume, de la justice, du bien et du mal ; face à lui ses serviteurs, à genoux, et ses conseillers, debout, instruments et apôtres d’une autorité qui, depuis l’escarboucle vertueuse qu’il porte au sommet de sa couronne impériale, irradie le royaume, l’entraînant tout entier dans la grâce de Dieu.
20On pourrait disserter longtemps sur le rapport entre ce scintillement des vertus et l’usage sanchiste des regalia63. Toutefois, ce qui compte ici est l’association des vertus aux pierres précieuses, qui relève, dans les Castigos et de manière plus générale, de la connaissance des hommes, de leurs vertus et de leurs vices, que le prince doit acquérir pour savoir différencier ses proches et choisir les meilleurs. Ainsi, Sanche IV invite son fils, appelé à devenir roi et à posséder des pierres précieuses, à lire dans les hommes comme dans un lapidaire, à jauger les meilleures pierres et à reconnaître celles qui sont mauvaises ou contrefaites64. Par là, les enseignements de Sanche IV s’inscrivent dans la continuité des réflexions d’Alphonse X qui, en 1250, alors qu’il n’est encore qu’infant, commande la traduction des œuvres en arabe découvertes lors de sa campagne murcienne (1243)65. Elles servent notamment à constituer un Lapidario qui, bien que dominé par des considérations astrologiques, établit la conjonction entre la connaissance des minéraux et des hommes, en abordant vertus et propriétés66. L’éclat externe dit la pureté interne, à la façon de la science des conjonctions que véhicule la tradition aristotélicienne, en même temps qu’il signifie le pouvoir royal conformément aux dispositions alphonsines sur l’habit royal67. Néanmoins, parfaitement reconnaissable, le roi des Castigos n’en reste pas moins sans visage : il n’est qu’un roi-porteur, dont la corporéité s’efface, comme annulée par l’éclat de sa parure et la pureté de son âme. Un roi immobile et silencieux aussi, que le regard d’un roi vif se charge d’articuler pour assurer l’instruction de son successeur, et assurer ainsi sa propre inscription dans une lignée du pouvoir aux origines vétéro-testamentaires : Salomon et sa sagesse, Moïse et ses lois, David et ses victoires. Ces figures font partie du bagage commun que l’idéologie monarchique véhicule en Occident, sur la base impériale forgée à Constantinople à partir du ve siècle68.
21Entre toutes ces figures cependant, celle de Moïse indique plus sûrement l’enjeu du songe, qui est de poser l’idée d’une monarchie sacerdotale et de proposer ainsi un aggiornamento de la royauté alphonsine69. Si des sources diverses ont pu inspirer les rédacteurs du songe70, certains passages de l’Exode paraissent en effet plus structurants. Ainsi, le lourd mémorial de vertus que porte le roi du songe au travers de son habit peut indiquer le vêtement liturgique que Dieu mande à Moïse de faire confectionner pour Aaron (Exode, 28, 1-39)71, en particulier son pectoral dont les « lapidaires chrétiens » s’emploient à préciser la symbolique des pierres (Exode, 28, 15-30) depuis le xiie siècle72. D’autre part, la similitude est forte entre cet espace tapissé dans lequel trône le roi de majesté et la tente de la Rencontre que fait également fabriquer Moïse en suivant les instructions de Dieu (Exode, 26, 1-37)73. Un lieu sacré pour un roi-prêtre ? Moïse et Aaron74, le pouvoir et le sacerdoce : il y a peut-être dans ce songe la nostalgie d’un temps où leur partage n’était pas fait, et, plus sûrement, l’aspiration à en favoriser la proximité. Remarquons en effet que ce partage des rôles entre Moïse et Aaron est précisément évoqué dans les Castigos à l’occasion d’un chapitre où le roi exhorte son fils à s’entourer de prélats75. Ultimement, le songe de majesté des Castigos, ou celui d’une monarchie sacerdotale, revendique donc une prérogative d’accompagnement, laquelle pouvait être perçue par d’autres intégrants de la proximité royale, ou candidats à celle-ci, comme une ambition d’emprise. Le songe des Castigos, qui en est la traduction idéologique, revient à statufier le roi. Et force est de remarquer que cette effigie entretient avec une autre, dont la vision est transmise cette fois par la fiction chevaleresque, au travers de la reprise du Chevalier au cygne dans la Gran conquista de Ultramar, probablement à une date proche de la rédaction des Castigos76, un intrigant rapport. Il pourrait signaler, si le passage concerné est bien de l’ordre d’une amplification castillane du propos et non pas la traduction d’un texte perdu77, l’idéal probablement partagé par prélats et chevaliers d’un prince sans volonté propre, un roi automate en définitive78. Aussi, l’idée de majesté que véhiculent ces visions d’un rex sedens in solio n’est-elle peut-être pas si distante de celle du roi couché évoquée dans le deuxième chapitre de cet ouvrage.
Entre les villes et les oncles, l’enjeu partagé de la proximité
22À la mort de Sanche IV, en 1295, un troisième état fait officiellement acte de candidature à la proximité du roi. Il s’agit des villes du royaume. Le jeune âge de l’héritier du trône, Ferdinand IV79, né en 1285, sa légitimité contestable et de fait contestée, les risques de démembrement du royaume, en raison de l’ambition royale de l’oncle du roi, l’infant don Juan, qui s’ajoute à présent à celle toujours d’actualité de son cousin Alfonso de la Cerda, encore soutenu par un membre de la famille Lara, à présent le fils de don Juan Núñez I († 1294), don Juan Núñez II, l’intérêt à obtenir la tutelle de la part du grand-oncle du roi, l’infant don Enrique, tout juste rentré en Castille80, toutes ces raisons poussent María de Molina à se rapprocher des villes pour transformer sa garde de l'enfant-roi en régence effective. Le rapprochement se fait au prix du sacrifice des privados-prélats et d’une mainmise urbaine sur la maison du roi. Aux Cortes de Valladolid, l’ordonnance adoptée, après l’habituelle confirmation des privilèges, libertés, franchises et autres lettres, enjoint en effet aux archevêques, évêques, abbés et autres clercs, à l’exception de ceux de la chapelle du roi, de rentrer dans leurs évêchés, églises et communautés81. À la suite, le renvoi des privados et des officiers de la maison de Sanche IV est prononcé et assorti de l’apurement de leurs comptes, au terme duquel ceux qui auraient convenablement exercé leurs charges, mais parmi eux seulement les laïcs, pourraient réintégrer le service du roi. L’ordonnance prévoit ensuite que les offices de la maison soient donnés à des bons hommes des villes et qu’aucun Juif n’en obtienne ; que des bons hommes se chargent des levées fiscales afin que n’y participent aucun Juif ou des hommes turbulents, et qu’elles ne soient pas affermées ; ou encore, que les sceaux du roi et les clés de sa chancellerie soient remis à deux notaires laïcs, l’un pour le royaume de Castille et l’autre pour le royaume de León. L’ordonnance justifie certaines de ces mesures en évoquant quelques règnes précédents, celui de Ferdinand III pour le contrôle des levées fiscales et l’accès aux offices de la maison du roi, et, pour cet accès, ceux en outre d’Alphonse VIII de Castille et d’Alphonse IX de León, où des milices urbaines avaient participé à l’effort de conquête. À ce moment-là, la reine se souvient peut-être que pour récompenser cet effort le Libro de los doze sabios avait prévu une voie d’accès à la proximité du roi pour le peuple tout en ménageant le privilège de compagnonnage de la noblesse, au travers du rituel de l’audience publique82. Car, pour nouer son alliance avec les villes, que Joffré de Loaisa présentera dix ans plus tard telle une union sacrée83, la reine paraît aller bien au-delà de l’obligation de trois jours d’audience prévus par les Cortes de Valladolid en 1258 et celles de Zamora en 127484. Selon la chronique de Ferdinand IV, aux Cortes de 1295, la reine ouvre chaque jour, et du soir au matin, son audience aux bons hommes85. Elle parle encore avec chacun des conseils urbains aux Cortes de Cuéllar en 1297, en aparté (apartadamente) et en secret (en su poridad),86 un geste qu’elle répète aux Cortes de Valladolid en 1298 (apartadamente)87. Il est d’autant plus aisé alors que l’accès aux offices de la maison du roi que les villes avaient réclamé en 1295, leur avait permis d’obtenir aux Cortes de Cuéllar en 1298, que douze bons hommes siègent au Conseil, lesquels donnaient ainsi peut-être une première traduction aux douze hommes d’honneur du songe de majesté des Castigos88. Aux Cortes réunies à Valladolid en 1300, où les villes demandent au roi d’employer l’argent qu’elles lui accordent à combattre son oncle l’infant don Juan89, et que cet argent soit levé par des bons hommes90, les conseils urbains réclament et obtiennent que les portiers laissent toujours passer leurs procureurs qui sont auprès du roi quand ils souhaitent lui exposer leurs griefs91.
23Par la suite, l’alliance souscrite en 1295-1298 se délite progressivement. Aux Cortes de Castille à Burgos en 1301, l’année de la légitimation rétrospective de l’union entre Sanche IV et María de Molina, le roi ordonne ainsi qu’il n’y ait pas plus de deux clés de sa chancellerie92. À celles de León à Zamora, la même année, les villes réclament au roi que les juges de sa cour et les officiers de sa maison soient tels qu’ils n’accordent aucune protection aux hommes malfaisants93, et laissent entendre que des riches hommes, des chevaliers, des clercs et des Juifs se mêlent des levées fiscales94. Il est probable que les douze sièges prévus aux Cortes de Cuéllar pour les bons hommes des villes aient été occupés par d’autres. Car aux Cortes de la majorité, celles de Medina del Campo en 1302, les conseils urbains demandent au roi qu’il veuille bien prendre auprès de lui (anden conmigo) des chevaliers bons des villes (cavalleros buenos delas villas) qui traiteront eux aussi les affaires95. Aux Cortes de 1305, les concejos reprennent la demande formulée trois ans plus tôt dans la même ville, afin qu’une sauvegarde soit accordée à leurs représentants quand ils se rendent à l’assemblée puis en repartent96. Et, lors de ces mêmes Cortes, les villes demandent au roi qu’il veuille bien tenir audience un ou deux jours par semaine97, ou encore qu’il consente à examiner en particulier les demandes de chaque conseil urbain98. En 1307, aux Cortes de Valladolid, les villes réduisent leur demande d’audience à un jour par semaine, ce à quoi le roi ne se contente pas de répondre positivement, car il fixe en outre le jour du vendredi99. Toutefois, c’est aux Cortes de 1312, à Valladolid, que la chronique parlementaire du délitement du régime de proximité entre les villes et le trône qu’avait établi María de Molina s’interrompt véritablement, avec l’institution d’une participation gouvernementale qui noue la tenue de l’audience publique, dont le principe du vendredi est acté, ou le samedi en cas d’empêchement100, à l’organisation d’un tribunal de cour, qu’intègrent douze bons hommes laïcs de Castille, de León et des Extrémadures nommément désignés, qui siégeront par tours de six pendant six mois auprès du roi101. Ferdinand IV meurt cependant peu après, laissant pour héritier un enfant d’un an à peine.
24Par rapport à l’entrée supposée des bons hommes dans la maison et au Conseil entre 1295 et 1300, cette chronique parlementaire indique donc un report des villes sur l’audience publique et la justice de cour pour obtenir du roi une place dans sa proximité qui leur soit propre. Ce report — il contribue probablement à promouvoir l’extension à cinq lieues du rastro del rey, ce rayon juridictionnel du roi qui sert d’assise à sa supériorité judiciaire (mayoría de justicia)102 — se joua peu après la légitimation de l’union entre Sanche IV et María de Molina et la majorité du roi en 1301, qui ouvre une nouvelle période de mainmise aristocratique. Ses bénéficiaires en sont, selon Jofré de Loaisa, l’oncle du roi, l’infant don Juan, revenu en grâce peu après les Cortes de Valladolid de 1300, et son cousin par alliance don Juan Núñez II103. Le chroniqueur leur prête en effet la volonté de le séparer de sa mère, ainsi que de son grand-oncle l’infant don Enrique et de son oncle par alliance don Diego López V de Haro. Le chroniqueur précise qu’ils procèdent au remplacement de ses conseillers (consiliarios), officiers (oficiales), familiers (familiares) et secrétaires (secretarios). Pour ce qui est du grand-oncle cependant, qui tente de faire croire en la fausseté de la bulle pontificale, la chronique de Ferdinand IV lui attribue un certain concours dans l’établissement de cette mainmise, aux côtés de don Juan Núñez II. Le plan ourdi tient compte des passions du jeune âge du roi, que ne canalise sans doute pas tout à fait une fiction chevaleresque trop chargée de rappels doctrinaux (Libro del Caballero Zifar, 1301). Plutôt que la lecture, Juan Núñez II opte pour la chasse, ce « sport » où l’influence d’une mère, d’ecclésiastiques ou encore de bons hommes est tout à fait improbable104. Pour entraîner le roi dans cet aparté masculin et aristocratique, qu’il faut peut-être envisager comme une modalité du séquestre de sa volonté (la chronique emploie d’ailleurs à nouveau le terme emaginar)105, voire de sa personne, l’infant don Enrique et don Juan Núñez II choisissent un nourri de la reine devenu officier tranchant du roi et apprécié de lui, Gonzalo Gómez de Caldelas, à qui ils font miroiter la possibilité de devenir son « más privado » et de l’aider à devenir riche homme106. Selon la chronique du roi, une série de morts soudaines contribue cependant à ruiner cette mainmise aristocratique établie au travers de privados aux multiples allégeances, et rendue extrêmement instable du fait de la dispute autour de la possession de la seigneurie de Biscaye, entre l’infant don Juan, beau-fils du défunt don Lope, et le frère de celui-ci, don Diego López V, par ailleurs beau-père de don Juan Núñez II. Si la première de ces morts soudaines, en 1301, est interprétée tel un miracle107, les autres, en 1306, pointent le recours à l’assassinat pour dégager la proximité royale de la présence de privados en définitive peu sûrs108.
25Ce dégagement progressif ouvre la voie à de nouveaux privados. Entre 1301 et 1302, Ferdinand IV demande ainsi à Fernán Gómez de Toledo qu’il devienne son privado et membre de son Conseil109. Il fait équipe avec Diego García de Toledo à partir de 1302-1303110, encore que ces deux privados doivent faire avec la présence à leurs côtés d’un fidèle de don Juan Núñez II, le trésorier juif du roi don Simuel. Ils sont en tout cas d’accord pour provoquer la disgrâce d’une autre créature de don Juan Núñez II, Gonzalo Gómez de Caldelas, à qui la reine pardonne cependant de l’avoir écartée du roi. Après la mort de don Simuel en 1306, une équipe de trois privados se reforme du fait de l’admission de Sancho Sánchez de Velasco aux côtés de Fernán Gómez de Toledo et de Diego García de Toledo111. Contre cette équipe, la chronique de Ferdinand IV informe de la menace d’un rapprochement momentané entre l’opposition nobiliaire et les conseils urbains aux Cortes réunies à Valladolid en 1307, que la reine parvient cependant à déjouer112. Insatisfait du règlement de la question successorale relative à la seigneurie de Biscaye, l’infant don Juan monte une ligue au début de l’année 1308 dont la cible principale est ce groupe de privados. En témoigne plus particulièrement la lettre que le roi adresse le 22 mars 1308 au roi d’Aragon, après son entrevue avec les ligueurs à Grijota, pour l’informer qu’il a dû se résigner à accepter le renvoi de ses trois privados113. Mais tel qu’acté peu après aux Cortes assemblées à Burgos, ce renvoi s’accompagne d’une mutation des offices de plus grande envergure, qui concerne l’état de la maison, des conseillers, des officiers, des juges, des secrétaires ainsi que la chancellerie114.
26Les trois privados de 1307-1308 paraissent donc avoir provoqué une certaine insatisfaction des villes ainsi qu’une forte opposition nobiliaire, du moins d’une partie de la noblesse, plus spécialement celle groupée autour de l’oncle du roi l’infant don Juan. Certains éléments des profils de ces hommes peuvent fournir une explication structurelle à ce double mécontentement. Salvador de Moxó s’était longuement arrêté sur le parcours de Diego García de Toledo et Fernán Gómez de Toledo dans l’un de ses développements à propos de la rénovation nobiliaire au cours de la première moitié du xive siècle, qui l’avait amené à s’intéresser à quelques exemples d’ascension de représentants d’une noblesse urbaine115. Parmi les cas envisagés d’ailleurs, il faisait également état du parcours de Fernán Sánchez de Valladolid, dont nous avons évoqué le rôle dans la composition des chroniques royales, qu’il prenait comme exemple de la réussite d’un membre de la chevalerie urbaine de Valladolid, probablement lié au lignage Tovar, traditionnellement opposé au lignage Reoyo dans cette ville116. Les García de Toledo et les Gómez de Toledo, lignages apparentés d’ailleurs, ont ceci de commun que leur entrée au service du roi fait suite à une ascension sociale dans la ville, dont le moteur paraît avoir été une stratégie d’alliance avec les principaux lignages de l’oligarchie urbaine et l’exercice des charges municipales (alcaldía et alguazilazgo)117. Par rapport aux Gómez de Toledo, le saut en direction du service auprès du roi pour les García de Toledo présente néanmoins la particularité d’avoir utilisé aussi un tremplin ecclésiastique118 : Diego García de Toledo est en effet le neveu de l’abbé de Valladolid, Gómez García, auquel la chronique de Sanche IV attribue la position de « más privado » auprès de ce roi. La disgrâce de l’un des membres du lignage ne paraît donc pas avoir compromis la relation entre ce même lignage et le trône. Ainsi, Diego García de Toledo obtient-il dès 1302 l’office de grand amiral de Castille, charge à laquelle il ajoute par la suite l’office de chancelier du sceau du secret, puis de majordome de la reine Constance, l’épouse de Ferdinand IV. Dans l’équipe des trois privados, son rôle est dans la continuité de l’action hasardeuse de son oncle, car il se charge surtout des relations diplomatiques, en particulier avec l’Aragon. Par rapport à Diego García de Toledo, le profil de Fernán Gómez est moins militaire et diplomatique qu’administratif et domestique119. María de Molina lui fait obtenir en 1295 l’office tout juste créé de grand notaire du royaume de Tolède, une charge à laquelle il ajoutera celles de chancelier et de grand chambrier du roi. Si Diego García de Toledo et Fernán Gómez de Toledo sont bien issus du monde des villes en tant que rejetons de leurs oligarchies, ils ne sont aucunement les représentants de ce monde auprès du roi.
27Reste le cas de Sancho Sánchez de Velasco. Il est pour sa part le représentant d’une « nouvelle » noblesse qui a près d’un siècle de trajectoire lignagère, qui se trouve aux portes de la rica hombría au début du xive siècle et que l’avènement des Trastamare portera aux premiers rangs d’une noblesse titrée à partir de la seconde moitié du xve siècle120. Les réseaux clientélaires dans lesquels s’inscrit le lignage au xiiie siècle pointent une certaine proximité avec les Lara121, qui est sans doute suffisante pour expliquer le mécontentement de l’infant don Juan face au privado Sancho Sánchez de Velasco, pour sa part grand justicier de la maison du roi ainsi que son adelantado en Castille, solution qui ajoute au pouvoir domestique une projection territoriale. Ce « fondateur » du lignage des Velasco reste un parvenu aux yeux de l’oncle du roi. Autrement dit, l’équipe de 1307-1308 pointe le choix d’« hommes du milieu », dont l’allégeance au trône prime peut-être sur toute autre désormais. Ce que confirme, d’une part, le mécontementement passager des villes, à la recherche, comme nous l’avons vu, d’une voie propre d’intégration à la proximité du roi à défaut de pouvoir demeurer au Conseil en tant que telles, et, d’autre part, le mécontentement plus répété des parents du roi, que ce choix relègue par rapport à la place première et naturelle qu’ils estiment être la leur quelle que soit la configuration des amitiés qu’ils souscrivent pour la défendre ou la récupérer122.
28Le sentiment d’une menace explique probablement la revendication dans ces mêmes amitiés d’une responsabilité particulière de la part des parents du roi du fait de leur condition, qui pointe ce qui serait de l’ordre d’une responsabilité d’État. Ainsi, dans une des amitiés souscrites peu après l’entrevue de Grijota — entre, d’une part, le roi et la reine-mère, et, d’autre part, les deux oncles du roi, l’un frère de son père, l’infant don Juan, l’autre don Juan Manuel, son oncle à la mode de Bretagne —, les souscripteurs indiquent que leurs obligations de lignage et de parenté les ont portés à se lier au service de Dieu et du redressement (dereçamiento), ou de la réforme123, du royaume, et pour se protéger, ainsi que leurs patrimoines, contre ceux qui voudraient semer entre eux quelque trouble (bullicio)124. Le fonctionnement de la dynamique émotionnelle que j’ai caractérisée comme celle de l’épouvante et de la peur désigne plus particulièrement les privados comme agents de ce trouble125. Après Alfaro, en 1288, qui avait mis fin dans le sang à la mainmise de don Lope et avait conduit à l’arrestation de l’infant don Juan, des privados avaient fait, par deux fois, parvenir à don Juan Núñez I l’information de sombres préparatifs dans la maison du roi, afin que son soupçon (sospecha) et sa peur (miedo) le dissuadent de s’en approcher en 1290126. Si le choix de l’idée d’une monarchie sacerdotale avait incliné les prélats-privados à oublier cette voie alternative de sacralisation de l’autorité qu’est la terreur127, la possibilité d’un nouvel attentat émerge à nouveau à partir du début des années 1300.
29D’après les échanges de lettres entre le roi d’Aragon et don Juan Manuel en octobre 1303, Fernán Gómez paraît jouer un rôle important dans la supposée volonté de Ferdinand IV de tuer ou de faire arrêter son oncle à la mode de Bretagne don Juan Manuel128. La peur que ressentent riches hommes et parents du roi se retourne cependant contre le trône, car elle fait soupçonner son toujours jeune titulaire, selon son oncle l’infant don Juan, d’être à la merci d’un mauvais conseil129, susceptible de le faire céder à l’épouvante tyrannique130. Peut-être faut-il d’ailleurs attribuer ce retournement à cet oncle du roi, qui avait été lui aussi la victime de Alfaro en 1288. En effet, il est de tous leurs accès de peur entre 1307 et 1311131, c’est-à-dire au moment où l’expression de cette émotion paraît s’affermir comme une stratégie de pouvoir de la part de l’aristocratie. Car, si pour ses membres, la peur (miedo) s’éprouve dans la distance d’un déplacement ou de son éventualité, voire d’un risque d’élimination physique, son expression marque l’amorce d’une négociation destinée à permettre un retour légitime auprès du roi, et donc un retour à cette situation de calme (sosiego), d’accord (acuerdo) ou de conformité (avenencia) qu’avaient progressivement ruiné le soupçon (sospecha) et la méfiance (recelo). Au cœur de cette négociation, la condition du renvoi des privados s’intègre à un système de garanties que formalisent la sûreté jurée et la sauvegarde (seguro, segurança, aseguramiento…)132, ou la restauration de l’amitié brisée en somme. En septembre 1311, alors que se pose la question de la reconnaissance de l’infant héritier Alphonse, d’un mois à peine, et qu’est discutée celle de son éventuelle tutelle en raison des problèmes de santé de Ferdinand IV, la volonté de redressement du royaume (dreçamiento) est encore exprimée dans l’amitié jurée souscrite par les ligueurs sous la houlette, à nouveau, de l’oncle du roi l’infant don Juan, d’après le compte rendu qu’en fait parvenir l’archidiacre de Tarazona au roi d’Aragon133. L’archidiacre précise qu’il est convenu entre les ligueurs d’exiger le renvoi des privados, voire l’exécution de certains, en raison de leurs méfaits et de la charge fiscale qu’ils font peser sur le royaume (destrago de la tierra)134. À leur place, les ligueurs prévoient que le roi prenne pour privados et conseillers les évêques, riches hommes, chevaliers et bons hommes qu’ils lui indiqueront, et les noms avancés pointent un gouvernement de concentration135. Aux yeux de l’infant don Juan, cette mutation et cette formule sont en définitive la meilleure des garanties pour sauver sa tête (« tenía que esto era el mejor seguramiento que el podia aver de su cabeza »).
30La voie contractuelle pratiquée sous le coup de l’épouvante et de la peur à partir de 1308 garantit le triomphe des parents du roi et de certains riches hommes à la fin du règne de Ferdinand IV. Elle pointe aussi la place désormais centrale de la proximité du roi, de sa maison et de sa cour dans les stratégies de pouvoir de l’aristocratie. Quand un don Juan Núñez II dit quitter la cour pour échapper au pouvoir de la reine-mère et du privado Fernán Gómez de Toledo, c’est pour mieux y revenir et y demeurer136, en personne ou au travers d’autres privados. Car parents et riches hommes s’emploient tout autant à combattre certains privados qu’à placer les leurs dans les rouages domestiques, administratifs, financiers, territoriaux ou encore diplomatiques du gouvernement du roi et du royaume à l’occasion des successives mutations de personnel qu’impose leur instable mainmise. Et leur vœu de redressement (dreçamiento) du royaume exprime alors aussi leur conscience de la centralité d’un appareil. Les villes ont cette même conscience quand elles actent les mutations souhaitées par certains parents et riches hommes, qui savent les approcher sur la base d’un populisme fiscal137, ou qu’elles promeuvent l’institution de l’audience publique et d’un tribunal de cour. Le point névralgique de cet appareil reste cependant la proximité du roi, qui ne se laisse pas enfermer dans une définition institutionnelle, encore que s’affirment nettement la Maison ou encore le Conseil, voire peut-être la Chambre au travers de l’office de grand chambrier créé en 1286, qui tend à vider de ses attributions, en particulier financières, celui de grand majordome138. Nul n’a certes encore en tête le rapport de synonymie qu’établira, quelques décennies plus tard, Pedro López de Ayala en associant les termes privanza et gobernanza139, mais force est de constater que la proximité du roi s’est, de fait, gouvernementalisée entre les règnes de Sanche IV et de Ferdinand IV. Cette gouvernementalisation de fait se double d’une politisation. Sous le règne de Ferdinand IV en particulier, les privados sont hommes du milieu et laïcs, bien que letrados pour certains140, une option qui prend le contre-pied tant du gouvernement des prélats-privados que des parents, mais encore de certaines formules mixtes, par exemple le gouvernement de concentration avancé en 1311 par l’infant don Juan. Les villes n’en sont pas pour autant satisfaites, car elles cèdent parfois elles aussi à la critique des privados. Un jeu partagé de l’opinion paraît donc s’être mis en place autour des privados et de la proximité royale.
31En 1313, le partage des opinions donne lieu à deux assemblées concurrentes des Cortes dans la cité de Palencia. Elles ont néanmoins le même objectif : établir le dispositif de tutelle. Tandis qu’une de ces deux assemblées l’envisage sous l’autorité du grand-oncle d’Alphonse XI, l’infant don Juan, et de sa mère, la reine Constance141 ; l’autre assemblée place ce dispositif sous l’autorité de la grand-mère et de l’oncle du roi, doña María de Molina et son fils l’infant don Pedro142. Il n’est pas lieu ici de comparer ces deux dispositifs, qui tous deux ouvrent la participation à la tutelle à un Conseil élargi, de composition néanmoins variable. Cette participation est plus attentive à l’argument de la représentation territoriale du côté de l’infant don Juan et plus soucieuse d’équilibre entre les États du côté de l’infant don Pedro143. Dans les deux assemblées, les dispositions adoptées témoignent d’une sensibilité antijuive. Elle paraît cependant plus exacerbée dans celle convoquée par l’infant don Juan que dans celle organisée par l’infant don Pedro et doña María de Molina144. Dans les deux assemblées toutefois, l’accord se fait sur le fait d’exclure les Juifs des emplois de la maison et d’autres offices ou charges, en particulier à responsabilité financière145. La différence d’attitude est nette par ailleurs s’agissant des privados. Ceux de Ferdinand IV cette fois font l’objet d’une nouvelle décision de renvoi dans l’assemblée de l’infant don Juan146, qui les empêche ainsi de rester dans la maison d’Alphonse XI. Le renvoi est néanmoins atténué par une commission d’enquête dont dépendra l’éventuelle réintégration de certains. La mesure reprend ainsi le dispositif de 1295, en faveur duquel María de Molina avait plaidé à Grijota. Dans la maison147, certains officiers font l’objet d’une attention plus particulière. Pour les offices de chambrier, de portier et quelques offices de bouche, l’assemblée dispose en effet que l’infant devra y nommer des chevaliers et des bons hommes148. Les offices mineurs de la maison paraissent ainsi être réservés à des hommes « du milieu », mais sans doute s’agit-il seulement d’orienter l’infant dans son choix, car nul ne lui discute son pouvoir de nomination. La chancellerie est plus particulièrement visée également. Il est en effet prévu que les sceaux du roi soient remis à deux laïcs, bons hommes des villes, à l’exclusion de ceux qui étaient en place et des hommes qui étaient auprès du roi jusqu’à présent149. Des mesures complémentaires affectent encore la chancellerie et la justice de cour150.
32Dans le cahier de l’assemblée moliniste, aucune mesure de renvoi n’est à signaler à propos des privados, et ce terme n’est d’ailleurs pas employé. Pour autant, la compagnie du roi n’est pas oubliée, mais la réflexion est ici soumise à un impératif éducatif. Après l’accord relatif à la nomination d’un précepteur, quand le roi aura atteint l’âge de trois ans, qui devra être un chevalier, hidalgo de père et de mère, et de bonne conduite, afin que le roi puisse suivre son exemple151, une autre mesure prescrit que ceux qui seront appelés à vivre auprès du roi devront être des hommes de bonnes manières, se conduisant bien tant en actes qu’en paroles et dépourvus de tout esprit de médisance. Du choix de ces hommes dépend donc que le roi puisse à son tour exceller dans ces manières152. Pour ce qui est de la maison du roi153, le cahier prête attention à l’exercice de la justice, indiquant la nécessité d’y placer de bons juges et sans convoitise154. Si l’absence de convoitise se conjugue ici à celle de l’impartialité du juge (sin bandería), remarquons que ces deux qualités font écho au serment que prêtent tuteurs et membres du Conseil élargi, qui leur enjoint d’agir droitement, sans convoitise ni parti pris (bandería)155. L’absence de convoitise est également exigée de ceux qui seront nommés à la chancellerie156. Toutes ces considérations reviennent ainsi à poser une éthique du gouverneur par temps de tutelle. Absente du cahier produit par l’assemblée concurrente, cette dimension fait la particularité, voire la supériorité et la légitimité de l’option défendue par doña María de Molina et l’infant don Pedro. Elle s’affiche en outre comme une option plus ouverte à une réelle participation gouvernementale du Conseil assesseur à en juger par l’important usage du terme conseillers (consseieros) 157, totalement absent du cahier des Cortes concurrentes. Une telle insistance force à émettre une hypothèse : la rédaction du Libro del consejo e de los consejeros, qui témoigne d’un réarmement idéologique du molinisme, fut-elle une autre manière de promouvoir l’idée d’un gouvernement par le c[C]onseil présentée tel un programme devant l’assemblée de 1313158 ? Ce traité revenait en tout cas à systématiser une éthique du conseil et du conseiller, qui pouvait être, si les privados ou consejeros l’assumaient pleinement, une manière de rendre caduque la question périodique, et déjà quelque peu stéréotypée, de leur renvoi.
La prise de pouvoir d’Alphonse XI : la privanza de combat
33On peut s’étonner que la prise de pouvoir d’Alphonse XI n’ait pas encore donné lieu à une exploitation filmique — songeons à ce téléfilm, La prise de pouvoir de Louis XIV, que Roberto Rossellini avait réalisé en 1966. Car, dans la narration qu’en donne la chronique de ce règne, que redouble sa version rimée (Poema de Alfonso Onceno), produite après que le triomphe militaire d’Algésiras (1344) eut achevé de convertir ce roi en champion de la catholicité aux yeux de l’Europe159, elle forme une belle séquence. Si la victoire de ce roi sur l’infidèle motive la mise en chantier du récit de son triomphe politique, qui implique, comme nous l’avons vu, la reprise des chroniques des règnes antérieurs, c’est que cette victoire découle de la mise en ordre réussie d’une société sous la seule bannière royale. Mais en cela, et en bien d’autres choses, Alphonse XI est l’héritier de son père (Gibraltar en 1309, Alcaudete en 1312), qu’une mort prématurée avait empêché de mener à terme sa propre prise de pouvoir, déjà au travers de différentes équipes de privados. Sans ce rodage fernandin (ou moliniste), le succès de la première équipe alphonsine ne serait sans doute pas compréhensible. Ce rejeu réussi a pour conséquence de modéliser une forme de prise de pouvoir, qui en passe donc par l’action déterminée de créatures de la faveur royale. Aussi, la prise de pouvoir alphonsine n’est-elle en rien la conséquence de la décision du roi de gouverner par lui-même. Elle est le résultat de la prise en main par ses créatures des organes de commandement, domestiques, administratifs, judiciaires, clientélaires et territoriaux. Ces créatures sont principalement issues d’une noblesse seconde et chevaleresque. Certaines, outre leur ascendance oligarchique, se caractérisent par ailleurs par un profil accentué de letrados (la figure par exemple de Fernán Sánchez de Valladolid dont le rôle dans la rédaction des chroniques royales a été indiqué)160. Il leur revient de reconcentrer le supposé pouvoir du roi entre ses mains.
34La reconcentration terminée, Alphonse XI peut se passer de privados, et la privanza de combat se transformer en un régime de participation ou de capture sociopolitique au profit du trône. J’ai employé la formule de satellisation alphonsine pour désigner cette capture. Elle se fait selon trois directions principales, deux en direction de la noblesse et l’autre en direction des villes. La première direction est de type militaro-chevaleresque. D’inspiration alphonsine sans doute161, cette capture trouve une forme d’institution et de stabilisation avec la création de l’ordre royal de la Banda en 1332162. Le deuxième axe de capture est de type parentélaire. Il est mis en œuvre par le roi en marge de sa famille légitime, celle qu’il forme avec doña María de Portugal en 1328, laquelle tarde à enfanter — la première naissance se produit en 1332, avec l’infant don Fernando, qui meurt avant son premier anniversaire, et la seconde naissance en 1333, avec l’infant don Pedro, le futur Pierre Ier — et sera supplantée dans la faveur du roi par sa concubine, doña Leonor de Guzmán. Jeune veuve apparentée à plusieurs lignages de riches hommes de la frontière et descendante d’une bâtarde d’Alphonse IX de León, la concubine donnera au roi dix enfants entre 1330 et 1345. Sans droit au trône, chacun de ces bâtards est néanmoins susceptible de diffuser le sang du roi dans la noblesse et de mieux attacher ainsi au trône certains de ses lignages163. Enfin, le dernier axe de capture de la satellisation alphonsine s’attache à établir une relation privilégiée entre le roi et les villes. Divers aspects sont ici à évoquer : l’intensification de l’activité d’une audience menée ainsi au bord de l’institution164 ; la réforme des gouvernements des villes (regimientos) qui renforce leurs oligarchies tout en établissant un contrôle royal165 ; ou encore le placement des fueros municipaux après l’Ordenamiento de Alcalá (1348) mais avant les Siete Partidas dans l’ordre d’application de la loi, le mode de diffusion de celle-ci redoublant par le livre la présence du roi au travers de ses agents166. Sur ces sujets, outre la propre évolution de mon approche167, il faut mentionner les apports de quelques travaux plus récents : ceux de Carlos Estepa, avec un tableau particulièrement éclairant du renforcement du pouvoir royal sous Alphonse XI168; ceux de Jesús Rodríguez Velasco sur l’ordre de la Banda169, ou encore de Rosa María Rodríguez Porto sur la Crónica troyana, qui participent aussi de l’instrumentalisation de l’horizon chevaleresque au service du trône170 ; puis les travaux plus récents de Fernando Arias Guillén sur le règne d’Alphonse XI, qui ont plus particulièrement souligné la place centrale de l’entreprise de guerre et, partant, de la salarisation de la noblesse dans ce renforcement171, et confirmé l’importance de l’axe parentélaire dans l’organisation de la satellisation alphonsine172.
35Dans l’appréciation d’un avant et d’un après, deux images saisissantes transmises par la chronique d’Alphonse XI — dont il faut regretter qu’elle n’ait pas fait encore l’objet d’une édition critique, contrairement à celles de Sanche IV et de Ferdinand IV, voire d’Alphonse X — avaient plus particulièrement retenu mon attention173. La première est extraite du récit de la minorité du roi : l’invasion de la chambre royale au moment des Cortes de Carrión en 1317174. La chambre est si vaste qu’elle est en fait partagée par la grand-mère du roi, doña María de Molina, et son grand-oncle, l’infant don Juan. La question de la distribution des gages permise par la concession d’un service par les Cortes pour financer la campagne de Grenade donne lieu à une sévère empoignade entre hidalgos. Sans doute ne s’agissait-il que d’une démonstration de force de l’infant don Juan, qui montre ainsi sa capacité à déplacer une foule sur la simple rumeur de son assassinat. La scène provoque en tout cas l’émerveillement du chroniqueur qui constate qu’aucun homme ne meurt ni ne se blesse pendant l’empoignade. C’est sans doute là une preuve de l’esprit de corps d’une noblesse confrontée à la crise du revenu seigneurial et dépendante dès lors de cette distribution des gages, mais encore d’un patronage royal sous contrôle de quelques parents-tuteurs et au bénéfice de leurs partisans qui font bando (parti). La deuxième image correspond à l’organisation des tentes dans le camp royal pendant la campagne d’Algésiras175. La disposition des tentes répond certes à des objectifs stratégiques qui varient selon la nature des opérations envisagées par le roi. Mais elle signale aussi comme un système de gravitation réglée qui montre l’achèvement de la satellisation alphonsine : la tente du roi au centre, autour les tentes des chevaliers de sa mesnie, puis celles du reste des compagnies dans un deuxième anneau. L’arrivée de nouvelles compagnies force à retoucher quelque peu le dispositif mais sans en altérer l’esprit176. Ainsi, la mesnie militaire (mesnada) serre les rangs afin de faire de la place aux bâtards du roi177, les fils de Leonor de Guzmán, dans le premier anneau donc. Dans ces deux visions de la proximité, l’une dans la chambre de l’enfant-roi et l’autre autour de la tente du chef de guerre, il y a là comme le court-métrage d’une prise de pouvoir réussie.
36On me permettra, étant donné mes considérations préalables et les apports plus récents, de n’insister que sur quelques points. Le premier est l’achèvement du cycle des privados dans les chroniques royales castillanes de la première moitié du xive siècle. Cet achèvement, qui donne dès lors un sens paradoxal au cycle, est lié au destin de la première équipe de privados qui se forme autour du roi en 1325. Si ces privados reparaissent seulement alors dans la proximité du roi, ce n’est pas en raison du renvoi de ces personnages souhaité par l’infant don Juan en 1313, ou encore de leur reconversion professionnelle en conseillers sous la houlette du molinisme. Les privados font leur retour en 1325 car ils sont des créatures de la volonté royale, obligées dès lors d’attendre la majorité du roi. Sont-ils pour autant les créatures de sa seule volonté ? Le rodage fernandin commande probablement le format de cette équipe, que le chroniqueur fait entrer en scène après avoir dressé le sombre tableau du royaume à l’issue de la tutelle, contrebalancé cependant par un portrait royal posant le jeune prince, qui parle un castillan sans défaut de langue, en incarnation des qualités chevaleresques et en espérance des villes, tant il se plaît à les écouter en audience, suivant probablement en cela l’exemple de sa grand-mère178. Trois hommes en effet forment cette équipe de 1325. Il s’agit de deux chevaliers, Alvar Núñez de Osorio et Garcilaso de la Vega, et d’un Juif d’Écija, don Yuzaf179. Les deux premiers sont les « mas privados del rey »180. Ce duumvirat évoluera cependant en direction d’une privanza unipersonnelle au profit de don Alvar Núñez, fait comte en 1327. Entre 1325 et 1327, un personnage se tient cependant dans l’ombre, dont le rôle paraît essentiel. Il s’agit de l’oncle du roi, l’infant don Felipe, que la mort de son frère, l’infant don Pedro (1319), puis de sa mère, doña María de Molina (1321), ont laissé à la tête du parti moliniste et royal pendant la fin de la minorité du roi. Selon le chroniqueur, il inspire le choix de ces chevaliers entreprenants que sont Alvar Núñez de Osorio et Garcilaso de la Vega181. L’oncle du roi reste probablement à veiller sur l’action de ses créatures auprès du roi, en occupant lui-même l’office de grand majordome à partir de la majorité du roi en 1325 jusqu’à sa mort en 1327. À cette date, sa disparition est peut-être la clé de la promotion aristocratique de Alvar Núñez, que le titre de comte pose ainsi en chef du parti royal en remplacement de l’infant don Felipe182. C’est ce qu’invite à penser en tout cas le lien établi entre les deux événements dans le Poema de Alfonso Onceno, version abrégée et rimée de la chronique, dont la composition s’achève semble-t-il en 1348183. Remarquons que l’attitude de ce dernier oncle paternel du roi s’oppose radicalement à cette autre figure de l’oncle paternel qu’avait été l’infant don Juan pendant le règne de Ferdinand IV. Le décès de ce roi l’avait relégué dans la parenté d’Alphonse XI à la position plus distante de grand-oncle avant que la mort ne le fasse quitter la scène politique († 1319). Si quelques parents restent encore en 1325, principalement le fils de l’infant don Juan, don Juan el Tuerto, et l’arrière-grand-oncle à la mode de Bretagne du roi, don Juan Manuel, le paysage parentélaire en 1325 est sans commune mesure avec ce qu’il était à la majorité de Ferdinand IV. La réussite de la première équipe de privados d’Alphonse XI doit ainsi peut-être tout autant à la chance — ajoutons que l’infant don Pedro meurt sans descendance et que l’infant don Felipe n’a qu’une fille née d’une relation extraconjugale — qu’au sens tactique de l’infant don Felipe et de la première équipe de privados qu’il fait nommer.
37Entre 1325 et 1327 donc, la chronique narre la montée en puissance des privados. Le résultat est une concentration de pouvoir tant domestique ou courtisan que territorial de premier ordre. Garcilaso de la Vega cumulera finalement les offices de grand justicier de la maison du roi, chancelier, adelantado mayor et merino mayor de Castille, tandis que Alvar Núñez finira par cumuler les offices de grand majordome, de grand chambrier et de grand justicier de la maison, ainsi que les offices territoriaux de merino mayor de León et des Asturies, d’adelantado de la frontera ou encore de pertiguero de Saint-Jacques-de-Compostelle. Cette concentration indique une répartition des rôles sur le plan de l’appareil central ainsi qu’au plan territorial, la Castille pour Garcilaso et le León pour Alvar Núñez, ce qui correspond en définitive aux origines de ces chevaliers. Cette logique territoriale préside sans doute aussi à l’attribution de vassaux à ses deux privados, ainsi qu’à la distribution des gages qu’assurent ces chevaliers selon la chronique, encore qu’elle soit principalement destinée à renforcer l’assise cliéntélaire du parti royal contre don Juan el Tuerto et don Juan Manuel184. Ainsi, Alvar Núñez et Garcilaso de la Vega inaugurent une privanza de combat, par laquelle le roi s’immisce dans le jeu partisan pour briser les partis concurrents. Le Poema de Alfonso Onceno résumera cette stratégie au travers de l’expression « partir bandos »185. Les deux principales cibles réagissent très tôt à cette stratégie en exprimant leur soupçon puis leur crainte d’être les victimes d’un attentat186, mais la voie d’eau ouverte dans leurs propres clientèles par un patronage royal plus offensif les empêche de pratiquer la politique de la peur comme le faisait l’infant don Juan — ajoutons que le projet de mariage entre Constanza Manuel et le roi vise surtout à empêcher l’union dans la peur entre don Juan Manuel et don Juan el Tuerto187, ce projet est d’ailleurs abandonné dès l’élimination de ce dernier en 1327. Comme déjà indiqué dans mon étude sur la peur du roi, le moment alphonsin de cette peur aristocratique se caractérise ainsi par le blocage progressif des procédures contractuelles destinées à restaurer un état de confiance, tant celles horizontales qui permettent aux nobles de renforcer leurs positions et de négocier, que celles verticales entre ceux-ci et le roi qui marquent le retour à la paix, mais se traduisaient en général par le renvoi des privados et l’établissement d’une mainmise. Il faut ajouter à ce double blocage, la vulnération de la foi jurée (sauvegarde), la manipulation judiciaire de la trahison (procès post-mortem en particulier) ou encore le blocage de la difidatio, différents aspects d’un même pari pour le pouvoir royal, qui consiste à explorer ses propres limites juridiques.
38L’arte de sotileça, auquel Alvar Núñez engage Alphonse XI afin de « partir bandos » selon la chronique rimée, débouche ainsi sur l’invention d’une machinerie juridico-politique188. Si la première victime en est don Juan el Tuerto en 1326189, son élimination permettant à la Couronne de procéder à la confiscation de la seigneurie de Biscaye, la machinerie se retourne contre l’un de ses créateurs, don Alvar Núñez, en 1329190. Quelques années plus tard, la machinerie peut fonctionner à deux vitesses. Une vitesse supérieure tout d’abord, avec des procès préalables aux exécutions cette fois. Témoignent de cette vitesse supérieure, mais judiciairement mieux réglée, les cas du seigneur de Los Cameros don Juan Alfonso de Haro, en 1334191, et du chevalier et ancien dépensier royal Gonzalo Martínez de Oviedo, en 1339, que la faveur du roi avait fait passer de sa privanza à la maîtrise de l’ordre militaire d’Alcántara en 1337192. Contre don Juan Manuel et don Núñez III de Lara cependant, la machinerie juridico-politique tourne à moindre régime, se contentant de bloquer la procédure de difidatio. Ainsi, en 1336, don Juan Manuel se voit-il obligé de faire acte de dénaturalisation auprès du roi d’Aragon à défaut de pouvoir la communiquer à Alphonse XI au travers de ses messagers, lesquels se font arrêter ou menacer de mort, sort déjà subi selon lui par ceux de don Juan Núñez III193. Sans cette machinerie juridico-politique en tout cas, dont la mise en service précède l’établissement de l’ordre de la Banda (1332) et se poursuit donc pendant la montée en puissance de la mesnada, ce modèle de satellisation militaro-chevaleresque et la paix nobiliaire que scelle l’amnistie accordée aux Cortes de Burgos en 1338194 — en même temps d’ailleurs qu’un règlement du service armé posant les bases d’une proportionnalité entre celui-ci et les gages obtenus195 — resteraient inconcevables. Serait inconcevable également le renoncement à reprendre dans l’Ordenamiento de Alcalá (1348) la synonymie entre trahison et lèse-majesté qu’avaient posées les Siete Partidas d’Alphonse X, promulguées comme droit supplétoire par cette ordonnance196. La limite avait été si bien éprouvée au fond qu’il n’était nul besoin de la rappeler à présent que tous savaient, y compris don Juan Manuel et don Juan Núñez III, qui échappent cependant à la machine à étêter en 1336-1337 et sont finalement réadmis dans la grâce du roi, que la seule garantie encore valable restait l’obéissance et l’adhésion au bando royal.
39Dans la chronique d’Alphonse XI, loin d’engager une stratégie gagnante, la peur qu’expriment parents et riches hommes se transforme ainsi en fabrique d’intégration à la procédure en cours d’invention de leur liquidation ou de leur soumission. Toutefois, cette chronique, voire d’autres productions textuelles alphonsines sur lesquelles nous reviendrons, sont à considérer comme une réponse à cette forme de dissidence de compensation qu’invente don Juan Manuel à partir du milieu des années 1320 (Crónica abreviada), au travers d’une auteurité emplie de la conscience d’appartenir, contrairement au roi, à un lignage porteur de la bénédiction de Ferdinand III (Libro de las armas)197. Sa morgue aristocratique est telle qu’il distingue plusieurs niveaux entre riches hommes198. Il se situe lui-même au niveau supérieur bien entendu, et il place au plus bas de cette échelle les chevaliers et infanzones passés riches hommes en raison de leur privanza avec le roi, mais incapables de faire que leurs fils soient considérés comme tels. La condition du prince écrivain n’a nul besoin de la privanza du roi. Mais cette situation même exige qu’il s’entoure lui aussi d’hommes appelés à devenir ses privados s’ils font preuve d’entendement, de loyauté, de discrétion, et de bonnes mœurs, en particulier son chancelier199, son médecin200, son chambrier201 et son portier202. Toutefois, le meilleur des privados n’a pas d’autre réalité que littéraire chez don Juan Manuel. Il s’agit de Patronio, qui prodigue ses conseils au comte Lucanor, au travers d’exemples, dont celui de l’ami véritable déjà exploité dans les Castigos203. L’auteurité de don Juan Manuel tient ainsi de l’usurpation d’un héritage idéologique auquel il affiche ses droits en se présentant comme l’ultime interlocuteur de Sanche IV204.
40Quand il évoque le cas de ces infanzones passés riches hommes en raison de leur privanza auprès du roi, don Juan Manuel a sans doute à l’esprit ce cas tout récent de privado passé riche homme que représente Alvar Núñez de Osorio. Il évoque de fait ce personnage, ainsi que son acolyte Garcilaso de la Vega, dans son Conde Lucanor, pour indiquer le goût de ces deux privados pour les pratiques divinatoires205. C’est la première fois à ma connaissance que ce type de pratiques est mis en relation avec des privados. Sont-elles déjà un élément d’un discours anti-privados qui chercherait ainsi à dénoncer l’incompréhensible captation de la volonté du roi par ceux-ci ? Ces pratiques ne font pourtant pas échapper ces privados à leur destin funeste. Avant ou après la promotion de Alvar Núñez, en 1326 ou en 1328, Garcilaso de la Vega est victime d’un coup de main à Soria, où il s’était rendu pour y recruter des partisans contre don Juan Manuel malgré des augures défavorables206. En évoquant cet impardonnable meurtre juste après le récit de l’élévation de Alvar Núñez de Osorio en 1327207, qui pose quelques problèmes cérémoniels du fait de la tombée en désuétude du titre de comte208, le chroniqueur peut ainsi opposer deux figures de privados, la créature fidèle, qu’une mort annoncée ne dissuade pourtant pas de servir le roi jusqu’au bout, et le privado ambitieux, dont la chute est en définitive la conséquence de son hybris. De manière plus prosaïque cependant, la chute de Alvar Núñez est la conséquence d’un complot dont le promoteur est un ancien partisan de l’infant don Juan puis de don Juan el Tuerto, en lien avec don Juan Manuel, Fernán Rodríguez de Valbuena, prieur de l’Hôpital en Castille, qui cherche surtout à défendre l’immunité fiscale de son ordre menacée par la couronne au travers de la politique du chevalier-privado devenu comte209.
41Le chroniqueur a cependant quelque mal à reprendre le scénario d’un mouvement destiné à imposer une nouvelle mainmise210. Car la promotion aristocratique de don Alvar a pour résultat de brouiller les catégories entre privado et riche homme, entre privanza et mainmise. Le soulèvement se fait dès lors à front renversé, d’autant plus qu’il compte des relais parmi les privados du roi, en particulier le chef de la garde Juan Martínez de Leyva. Après le renvoi de Alvar Núñez en 1328 et sa nomination à la tête de la Chambre, Juan Martínez de Leyva prend également les commandes de la merindad de Castille. Il fait d’abord équipe avec Fernán Ródriguez de Valbuena, nommé grand majordome, et don Yuzaf211, puis avec l’amiral don Jofré Tenorio, qui remplace Juan Martínez de Leyva en tant que grand garde212. Le renversement constaté transforme ainsi la privanza du comte en mainmise et la mainmise de la nouvelle équipe en privanza. Et le vocabulaire employé pour décrire l’emprise du comte (poder, apoderamiento, apoderado), certaines de ses prérogatives (contrôle des forteresses, distribution des gages) et la menace qu’il représente (noyautage de la parenté royale en raison d’un projet de mariage avec la sœur du roi, voire un séquestre ou l’assassinat du roi) calquent en définitive l’apoderamiento du précédent comte, don Lope Díaz de Haro. Selon la chronique, le chef d’accusation principal retenu pour le procès post-mortem en trahison de don Alvar est celui qui avait également conduit à l’élimination de don Lope, le signe le plus tangible peut-être de l’apoderamiento : le contrôle des forteresses du royaume. Le cadavre que juge le roi, au cours d’une cérémonie de justice qui retourne en somme le déploiement cérémoniel de 1327 et régularise le coup de sang en coup de majesté, est donc comme celui d’un mutant politique : ancien privado et nouveau riche homme, passé de la privanza à l’apoderamiento, de la confiance à la trahison, de la fortune à l’infortune. La mutation de la créature n’est cependant que le choc en retour d’une privanza de combat, où le privado se voit assigner la mission de faire bando pour le roi afin de « partir bandos », avec le risque dès lors qu’il veuille détourner à son seul profit l’assise vassalique et clientélaire construite pour soutenir le roi dans sa prise de pouvoir, ce que tendent à confirmer les raisons avancées, selon la chronique, par Alvar Núñez pour obtenir sa promotion aristocratique213. Sous couvert d’une accusation de trahison, c’est ce risque avéré d’autonomie menaçante du privado que prévient l’exécution de 1329.
La satellisation alphonsine : la privanza sans privados
42À l’exécution de don Alvar Núñez fait suite une réunion des Cortes à Madrid. Les villes réclament quelques ajustements et Alphonse XI convient de leur nécessité. Ainsi, le roi exprime-t-il sa volonté de redresser (endereçar) l’état de sa maison et de son royaume, pour que justice soit faite et que d’autres choses qui n’étaient pas bien ordonnées le soient mieux (mejor) qu’au temps passé, en particulier celui où le traître Alvar Núñez commandait sa maison (el traidor Aluar Nunes auie poder enla mi casa)214. Par deux fois encore dans le cahier, le jeune roi — il n’a que dix-huit ans — fait référence dans les mêmes termes au temps du pouvoir de ce traître, comme s’il venait de se libérer d’une emprise215. Dans le cahier où sont consignées quatre-vingt-dix pétitions et leurs réponses, un cahier volumineux donc, les sujets abordés sont fort nombreux216 : l’audience publique et la justice de cour, les gouvernements territoriaux, la chancellerie, la maison du roi, les droits et privilèges des villes, le notariat urbain, les relations entre villes et puissants, la sécurité, les relations entre juifs et chrétiens, la fiscalité, certaines amnisties ou encore la confirmation de privilèges. L’ambition est générale, conforme à l’idée de l’amorce d’un nouveau cours du gouvernement du roi et du royaume. Les villes ne sont sans doute pas seules à pousser en ce sens. Certains aspects laissent penser en effet qu’elles ont le soutien d’une frange de la noblesse que la privauté ou l’emprise de Alvar Núñez avaient finalement mécontenté : par exemple la spécialisation des journées d’une audience bihebdomadaire (lundi et vendredi), l’une d’elles prévoyant l’audition des défis217 ; l’entrée d’hijosdalgos parmi les juges de cour218 ; enfin la volonté d’équilibrer la distribution des gages entre leurs bénéficiaires219. Leur accord ne donne pourtant lieu à aucune demande de renvoi des privados, ce qui paraît logique étant donné qu’il est déjà réalisé, au moins pour les principaux offices. À défaut de pouvoir exiger un renvoi, les villes formulent dès lors des exigences relatives aux critères de nomination et conditions d’exercice des offices des différents appareils de gouvernement, du tribunal de cour à l’administration territoriale, de la maison du roi aux offices urbains, de la chancellerie au notariat des villes. Les exigences sont celles de la suffisance pour ces offices, d’un bon exercice et personnel, et d’une mutation si ces conditions ne sont pas remplies. En somme, ces exigences sont dans la continuité du programme de gouvernement présenté par le parti moliniste en 1313, où la question du renvoi avait fait place à la définition d’une certaine éthique de gouvernement. Tout comme ces Cortes de 1313, celles de 1329 forment un contexte de rédaction du Libro del consejo e de los consejeros tout à fait envisageable.
43Car cette éthique s’applique également ici à la proximité du roi, à ses conseillers, privados et officiers (consseiros e priuados e offiçiales), que les villes accusent d’avoir vulnéré leurs privilèges et tiennent pour responsables de l’appauvrissement et de la dépopulation du royaume220. Il est dès lors demandé au roi de choisir des personnes qui craignent Dieu, qui aiment le service du roi et aient à cœur tant de défendre son état que d’agir au bénéfice de son royaume, et soient aimés des régnicoles. En faisant cela, le roi rendra ainsi service à Dieu, lequel le fera vivre plus longtemps, et l’amour et les volontés de ses sujets lui seront acquis, et il sera ainsi plus riche et comblé. Il est difficile d’établir les sources exactes de cette promesse de longévité et de félicité que les villes font au roi s’il choisit bien ses conseillers, lui proposant peut-être ainsi un pacte de confiance. Au moins peut-on indiquer une probable lecture des psaumes (21, 21), ou même du livre d’Ézéchiel (18, 5-9 et 33, 13-16), voire de certaines pièces d’une littérature politique, celles du corpus moliniste ou d’autres encore221. L’expérience de la privanza de combat commande aussi sans doute, car les villes demandent à nouveau au roi qu’aucun officier de sa maison n’exerce pas plus d’un office à la fois, ce qui lui permettra de bien mieux l’assumer et fera ainsi entrer plus de monde dans la grâce (merced) du roi222. Cette demande de déconcentration et d’ouverture, à laquelle fait écho l’ambition déjà indiquée d’une distribution plus équilibrée des gages223, est cependant assortie d’une demande d’exclusion. Car les villes ajoutent une condition de naturalité pour les gardiens de ses châteaux, ses officiers et ceux qui seraient ses conseillers et ses privados224. Si la naturalité peut être comprise ici sur un plan local, originaire du lieu en somme, pour la garde des forteresses, cette condition peut également être destinée à exclure certains étrangers pour ce qui est des offices de la maison et de la présence au Conseil, par exemple ceux que le mariage d’Alphonse XI avec María de Portugal a fait entrer à la cour l’année précédente. Quoi qu’il en soit, cette condition de naturalité est prolongée par une demande plus classique d’exclusion des Juifs et des Maures des offices des maisons du roi et de la reine, et des charges de fermiers, de collecteurs, de receveurs et d’enquêteurs225. Car leurs privanzas auprès du roi et leurs levées sont à l’origine de l’appauvrissement du royaume. Troisième membre de l’équipe de 1325, don Yuzaf reste cependant auprès du roi jusqu’au début des années 1330, et il est ensuite remplacé par un autre Juif, médecin et financier, don Simuel Abenhuacar226.
44Après 1329, les villes ne formulent plus aucune demande relative à la maison du roi ou sa proximité. Il faut peut-être en déduire la satisfaction réelle des pétitions formulées aux Cortes de Madrid, lesquelles invitent le roi à choisir des hommes appréciés, à éviter les situations de cumul et à ouvrir ainsi sa grâce à un plus grand nombre de personnes, autrement dit, à pousser la privanza de combat en direction d’un régime de participation. Toutefois, entre 1329 et 1338, moment dernier où les Cortes de Burgos actent la paix nobiliaire et établissent la règle de proportionnalité du service armé, aucune assemblée n’est réunie. Il est difficile par conséquent de juger d’un éventuel train de mesures suite à l’assemblée de Madrid. Après Burgos, les villes reviendront sur certains points évoqués à Madrid, tels que la question des gouvernements territoriaux, la justice de cour ou encore la tenue de l’audience publique, dont la fréquence est réduite à une fois par semaine au cours des autres assemblées du règne, mais la maison et la proximité du roi resteront absentes de l’échange entre le roi et les conseils urbains. Du côté de la chronique, dont la rédaction après 1344 est probablement supervisée par Fernán Sánchez de Valladolid, qui paraît arriver une première fois à la tête de la chancellerie en 1329 — il en reprend ensuite le contrôle en 1332, jusqu’en 1344227 —, le changement n’est sensible qu’après la séquence cérémonielle qui commence à Saint-Jacques-de-Compostelle, avec l’investiture chevaleresque du roi, et se poursuit à Burgos, avec son couronnement au monastère de Las Huelgas de Burgos puis l’investiture des chevaliers de la Banda228. Car, jusqu’à cette date, le duumvirat formé par Juan Martínez de Leyva et Juan Fernández de Valbuena paraît simplement reconduire dans sa pratique gouvernementale celui qu’avaient formé Alvar Núñez et Garcilaso de la Vega229. L’entrée au Conseil de Martín Fernández Portocarrero et d’Alonso Fernández Coronel, lesquels supplantent finalement les précédents dans la proximité du roi230, avec le soutien peut-être de la concubine royale dont le chroniqueur évoque, peu avant, son rôle dans la confiance du roi231, introduit cependant une nouveauté. Le chroniqueur indique en effet leurs conditions de criados du roi, sortis de leur éducation dans la maison du roi dotés des qualités requises de raison et d’entendement232. Les privados se trouvent ainsi remplacés par des criados, solution de désignation qui prend par la suite plus d’ampleur dans le récit, comme le montre par exemple la présentation que fait le chroniqueur de don Juan Alfonso de Benavides en 1339233. Par ailleurs, le chroniqueur fait émerger à partir de 1332 également la mesnie royale (mesnada)234, que seuls quelques chevaliers intègrent, les meilleurs de leur ordre, pour lesquels le roi organisera des tournois235, ou qu’il enverra déloger ses ennemis des places fortes où ils s’enfermeront à défaut de pouvoir s’exiler236. De sorte qu’après le couronnement et la création de l’ordre de la Banda, le chroniqueur n’emploie plus le vocabulaire de la privanza qu’en de rares occasions : en 1339 d’abord, pour indiquer la position dont bénéficiait jusque-là Gonzalo Martínez de Oviedo237, dont l’élimination inaugure une série d’exécutions de grands maîtres, liquidations destinées à assurer le contrôle monarchique des ordres militaires238 ; en 1343 ensuite, pour rendre compte de la tentative du comte de Foix d’accéder à la privanza du roi239. Au total, depuis l’épiphanie du roi chevalier couronné à Burgos, sa proximité se passe désormais de privados, et c’est sans leur compagnie, mais avec celle de ses fidèles compagnies d’écuyers, chevaliers, riches hommes et autres vassaux, que le chroniqueur le place sur le chemin de son triomphe militaire.
45La proximité sans privados que met en avant le chroniqueur paraît cohérente au regard du processus de satellisation alphonsine, encore que celui-ci, au moins pour son axe militaro-chevaleresque, peut être tenu pour un effet de cette construction narrative. En ce sens, il faut rappeler les analyses de Jesús Rodríguez Velasco à propos de la production manuscrite en lien avec l’ordre de la Banda, tardive par rapport à la création de 1332. Elle présente des caractéristiques codicologiques si inquiétantes (mutilations, inachèvement, liste de chevaliers en attente d’être complétée) qu’elles amènent l’auteur à évoquer une ruine240. Par ailleurs, davantage que la chronique, le Poema de Alfonso Onceno a pu chercher à répondre plus efficacement à un certain état de l’opinion au sujet de la relation du roi avec Leonor de Guzmán et de sa seconde famille241. Enfin, pour ce qui est du dernier axe de la satellisation alphonsine, en direction des villes celui-là, l’opération de diffusion programmée en 1348 de l’Ordenamiento de Alcalá, qui pose l’ordre d’application de la loi, ne fut peut-être pas complètement exécutée, ou alors dans des conditions qui obligèrent à la reprendre en 1351242. La satellisation alphonsine ne serait-elle qu’un mirage ? Quoi qu’il en soit, il faut considérer l’entreprise historiographique comme un aspect de sa procédure de stabilisation après la prise d’Algésiras. Dès lors l’option narrative qui consiste à faire disparaître les privados de la proximité du roi après 1332 répond elle aussi à cette exigence. Davantage que la voie légale de stabilisation qui prend également plus d’ampleur après Algésiras, jusqu’à cet Ordenamiento de Alcalá de 1348, la voie doctrinale de fixation ou de normalisation de l’ordre alphonsin a pu peser fortement sur la conception narrative mise en œuvre dans la chronique à propos de la privanza. Si nous avons vu que les contextes de rédaction du Libro del consejo e de los consejeros pouvaient correspondre à plusieurs moments, l’antériorité de ce traité par rapport à l’amorce de l’entreprise historiographique alphonsine ne fait pas de doute. Destiné à établir l’éthique du conseiller et du conseil, le traité procède classiquement de manière négative, ce qui tend à grossir l’image du mauvais conseiller et du mauvais conseil et du risque à se livrer à eux. La pente ainsi ouverte par le Libro del consejo se trouve accentuée par la traduction du De regimine principum vers 1345, pour servir peut-être à l’éducation de l’héritier du trône, l’infant Pierre243. Car le frère franciscain Juan García de Castrojeriz (?) grossit cette traduction d’une glose (Glosa castellana al Regimiento de Príncipes) fortement tributaire du Communiloquium de Jean de Galles244 — sa traduction partielle interviendra dans les années 1370 sous le titre Tratado de la Comunidad245 —, lequel n’ignorait pas le Policraticus de Jean de Salisbury246. Ce réarmement doctrinal des années 1340 concourt ainsi à repolir un miroir aux princes particulièrement inquiétant, où les privados s’adonnent principalement à la convoitise et à la flatterie247. Toutefois, l’élimination de ces suppôts du vice dans la chronique doit peut-être davantage à une pièce qui participe certes de ce réarmement mais se situe en indépendance par rapport à lui, le Speculum regum, rédigé entre la bataille du Salado (1340) et le siège d’Algésiras (1344), par l’évêque portugais d’origine galicienne, fils peut-être d’un privado de Sanche IV, l’amiral Pay Gómez Cherino, et élevé un temps à sa cour248, Álvaro Pais, qui dédie son miroir à Alphonse XI.
46Si la matière travaillée dans cette participation spontanée n’est pas originale, le geste lui l’est bien en revanche. Car si Álvaro País salue le triomphe du roi croisé, le miroir qu’il lui tend l’accuse en même temps, pour qu’il s’amende et aille jusqu’au bout de sa mission, de certains pêchés dans lesquels tombent plus particulièrement selon lui les rois de l’Espagne, tels que donner à des Juifs un pouvoir sur les chrétiens, ne pas œuvrer à extirper l’hérésie et tolérer les pratiques magiques et divinatoires, s’entourer de mauvais conseillers qui s’adonnent à la flatterie, promouvoir l’extorsion fiscale, transformer leurs palais en bordels, tirer profit de la pratique des jeux, ne pas jeûner les jours de carême grâce aux excuses que leur fournissent leurs médecins, ruiner leurs royaumes en raison des dépenses somptuaires qu’ils font pour leurs femmes et leurs enfants249. Dans les soixante et onze péchés que forment la « peccatologie » pélagienne du gouvernant250, les royautés ibériques souffrent donc plus que d’autres de certains maux251, auxquels n’échappe pas la royauté alphonsine. Ces royautés sont-elles plus que d’autres en situation de péril au regard du spectre de la tyrannie qui gouverne la pensée d’Álvaro Pais ? Le traité s’attache en tout cas à fabriquer, à partir des vertus chrétiennes, un véritable arsenal éthique pour maintenir le roi dans la voie du bon gouvernement252. Pour se tenir à l’écart d’une dégénérescence toujours facile253, le roi doit cultiver la sagesse254, se garder des mauvais conseillers255, des adulateurs256, bref, des faux amis257. La principale difficulté reste cette mauvaise habitude qu’ont les rois de prendre seuls leurs décisions, ou avec quelques assesseurs seulement, alors que les affaires du royaume requièrent la participation de tous258. Ce faisant, ils sont à la merci de ces quelques personnes — des conseillers (consiliarios)259, des assesseurs (assessores)260 et des serviteurs (famulantium, famulum)261 — toujours disposés à les entraîner vers la tyrannie, à provoquer leur colère ou à les maintenir dans l’erreur. Avec son miroir tendu au roi, Álvaro Pais conseille alors de ne juger que selon sa propre vérité et non selon l’opinion d’autrui262. Un roi sans privados en somme, tel est la voie qu’il propose en définitive à Alphonse XI s’il veut se convertir tout à la fois en champion véritablement royal de la catholicité par rapport à d’autres princes d’Occident263.
47La proximité sans privados que met en avant la chronique a pu encore regarder un autre miroir ibérique et tirer les leçons de cette observation. Alors que le chroniqueur s’emploie à construire la vision d’un monde parfait, il développe en parallèle celle d’un enfer contemporain au regard de l’ambition de restauration d’un ordre monarchique. Il s’agit du royaume de Grenade, qui s’installe à partir de 1326 dans une expérience politique dominée par le régicide264. La peur engendre alors un système de gouvernement qui confine le roi dans son palais, l’obligeant à déléguer son autorité en la personne d’un chef de guerre tout puissant, Ozmín, auquel les hommes obéissent comme s’il s’agissait du roi265. Par peur de mourir, le roi se fait invisible contraint de s’en remettre à un autre pour gouverner, et qui s’aventure, à sa place, à l’extérieur d’un palais devenu comme un ultime refuge. L’écart alimente les plus sombres accusations, en particulier celles que lancent les rares personnes qui peuvent encore approcher le roi, et dire aux autres quel est cet homme pour lequel ils combattent, mais qu’ils ne voient pas. En 1333, les fils d’Ozmín, témoins des pourparlers que Muḥammad IV engage pour obtenir une trêve d’Alphonse XI, accusent leur roi d’avoir trahi la foi musulmane, en mangeant avec le roi de Castille, en revêtant les vêtements qu’il lui offre266. La diffamation justifie un nouveau régicide. Autrement dit, la privanza d’Ozmín et de son clan, loin de servir à réassurer l’autorité monarchique se referme sur le roi comme un nouveau piège, un système duquel Alphonse XI a su sortir à temps, à en croire son chroniqueur, en remplaçant ses privados par des criados qui font désormais consensus parmi l’aristocratie et la noblesse, en sachant ordonner ses compagnies, et en ne craignant pas de s’exposer régulièrement au regard de ses sujets267. Au fond, Grenade est un miroir. Mais il est loin de réfléchir la même chose que ce miroir troyen dont le scriptorium royal amorce ou poursuit alors la production d’un riche manuscrit268, en s’inspirant peut-être parfois de certaines architectures andalouses269. Dans Grenade, ce n’est pas l’aventure chevaleresque que contemplent le roi et sa cour, mais bien l’image du pire270, et peut-être cherchent-ils ainsi à se rassurer un peu.
La récidive pétriste
48Le principal écueil de la satellisation alphonsine est l’axe de capture parentélaire que constitue l’autre famille du roi entre 1330 et 1350. La préférence royale l’a placée pendant ces vingt années au cœur de la structure de pouvoir alphonsine, avec une position patrimoniale et clientélaire de tout premier ordre quand le roi décède en 1350271. Parmi les nombreux témoignages permettant de juger de l’importance de cette seconde famille à la fin du règne, celui des pétitions présentées par les Cortes lors de leur réunion à Alcalá de Henares en 1348 indique plus particulièrement la forte incidence de cet axe parentélaire dans la distribution des gages272, rouage essentiel de l’organisation d’un suivi nobiliaire au bénéfice de l’héritier légitime de la Couronne273, ou encore dans le contrôle de ce territoire stratégique qu’est la frontière andalouse274. En 1350, outre les possessions de doña Leonor de Guzmán en Andalousie et en Castille, les aînés de ses fils occupent une position de choix dans la noblesse du royaume : Henri est comte de Trastamare, largement possessionné aux Asturies en raison de son adoption par Rodrigo Álvarez de Asturias, seigneur de Noreña, et aspire à capter l’héritage des Manuel ; don Fadrique est grand maître de l’ordre de Santiago ; et don Tello est grand chancelier, seigneur d’Aguilar et convoite l’héritage des Lara auquel est désormais attachée la seigneurie de Biscaye275. Dès lors, si l’autre famille du roi avait contribué à asseoir la satellisation alphonsine, elle constitue une considérable hypothèque politique pour son successeur, ainsi confronté à un nouveau piège parentélaire et partisan.
49Pour lever cette hypothèque, Pierre Ier suit la méthode appliquée avec succès par son père, celle de la privanza de combat. Mais l’impossibilité dans laquelle va se trouver le roi d’asseoir sur ce type de privanza un régime de participation large rend la récidive de cette formule contre-productive. Car, loin de contribuer à raffermir l’autorité du roi, la privanza accentue le dévoiement tyrannique de son pouvoir, contre lequel Henri de Trastamare, fils d’Alphonse XI et de Leonor de Guzmán, parviendra à soulever d’amples secteurs nobiliaires, ecclésiastiques et urbains. Le tyran meurt à Montiel en 1369, tué par son frère Henri, qui fonde ainsi sur ce fratricide et régicide, mais converti en tyrannicide par sa propagande, une nouvelle dynastie régnante276. Un représentant d’une noblesse de service triomphante, Pedro López de Ayala (1332-1407), se charge de donner une traduction historiographique à cette propagande au cours des années 1380, justifiant ainsi de manière rétrospective le soulèvement henricien et le coup d’État de 1369277. Dans sa chronique conjointe des règnes de Pierre Ier et d’Henri II278, ce nouvel estoriador prend soin d’entourer le roi finalement déchu de privados dès le début de son règne279, comme si ces créatures étaient le signe annonciateur et infaillible de sa tyrannie à venir.
50Le promoteur de leur retour aux affaires est cependant moins le roi Pierre que sa mère, la reine doña María de Portugal, que la soif de vengeance poussera à ordonner l’exécution sommaire de sa rivale en 1351280. Son choix se porte sur don Juan Alfonso de Alburquerque281. Il s’agit de son cousin germain, fils de son oncle Alfonso Sánchez, lui-même fils bâtard puis légitimé de son grand-père, Denis Ier de Portugal. Cette ascendance paternelle fait de don Juan Alfonso un plus lointain cousin d’Alphonse XI également. Mais ce cousinage est par ailleurs redoublé par l’ascendance maternelle du seigneur de Alburquerque, qui en fait l’arrière-petit-fils de Sanche IV en ligne illégitime. À cette parenté du sang avec les trônes portugais et castillan, Alburquerque ajoute celle de l’alliance, en raison de son mariage avec sa cousine, Isabel Téllez de Meneses, parente de doña María de Molina. Portugais et Castillan, riche homme transfrontalier, la place de don Juan Alfonso dans la parenté d’Alphonse XI n’est certes pas de premier plan, mais elle est suffisante pour le faire figurer en tête des riches hommes de la première promotion des chevaliers de l’ordre de la Banda en 1332, et en deuxième position dans le groupe des quatre riches hommes autorisés par Alphonse XI à armer à leur tour des chevaliers. Majordome de la reine au début des années 1330, don Juan Alfonso prendra ensuite la tête des maisons de ses fils, les infants don Fernando et don Pedro, puis assumera la fonction de précepteur auprès de ce dernier, seul survivant, pendant les années 1340. En 1350, Alburquerque est donc lié à l’alphonsisme, mais davantage encore à la famille légitime du roi. Devenu grand chancelier à cette date282, il entreprend de « partir bandos » lui aussi, le bando que pourraient former l’autre famille d’Alphonse XI et ses soutiens, parmi lesquels se trouve don Juan Núñez III de Lara283, vite mécontent de ce qu’il tient pour un parti de l’étranger284.
51Le haut parage de Alburquerque en fait davantage un candidat à la mainmise qu’à la privanza, et l’âge du roi, qui n’a même pas seize ans quand décède Alphonse XI, invite à considérer son gouvernement telle la tutelle prolongée d’un oncle maternel à la mode de Bretagne. Néanmoins, à propos du pouvoir de Alburquerque, dont la puissance foncière paraît menacer l’équilibre en terres de seigneurie collective après la mort de don Juan Núñez III285, López de Ayala use d’un rapport de synonymie jusque-là inédit entre privanza et gouvernance (gobernanza). Ce n’est peut-être là qu’une conception des années 1380 rétroprojetée sur ce début des années 1350. Toutefois, même en admettant l’éventualité de cet effet, cette caractérisation paraît faire la synthèse des expériences de médiatisation du roi et de son gouvernement, réalisées depuis la fin du xiiie siècle, sous une forme ou une autre. Ainsi, Alburquerque gouverne-t-il le roi et le royaume (gobernaba al rey e al regno286). Il tient en son pouvoir la privanza et la gobernanza (tenía en su poder la privanza del rey, la gobernanza del regno287). Il prend les décisions concernant les affaires du royaume et de la maison288. Il place ses parents et ses partisans en sa qualité de très grand privado (muy grand privado)289. À ses côtés Ayala indique néanmoins une équipe encore de trois privados, que forment deux fils de Fernán Gómez de Toledo, l’ancien privado de Ferdinand IV et probablement parent du premier privado de Sanche IV l’abbé Gómez García, le chambrier Pero Suárez de Toledo et le chef de la garde Gutier Fernández, auxquels prête main-forte le trésorier Simuel el Levi290. Le grand-privado relance la politique de l’épouvante contre ses ennemis, que la peur oblige à se présenter armés devant le roi291. Il veille à défendre son gouvernorat en maintenant le roi dans l’aparté cynégétique292, ou bien en l’occupant avec une maîtresse castillane, doña María de Padilla, pendant qu’il lui cherche une épouse française, Blanche de Bourbon293. Dans sa pratique de la privanza/mainmise Alburquerque affiche ainsi un fort continuisme. Ce même continuisme caractérise aussi l’ambition politique de son gouvernorat qui atteint son point d’orgue aux Cortes de Valladolid en 1351-1352. La refonte de l’Ordenamiento de Alcalá, dont la diffusion paraît se plier au programme arrêté en 1348294, l’ordonnance sur les prix et salaires, ou encore l’enquête sur les droits du roi et des seigneurs en terres de seigneuries collectives (behetrías)295, indiquent alors comme la tentative de perpétuer un ordre que menace l’incertitude des temps de crise296. Alburquerque est peut-être le premier privado dont une politique propre paraît identifiable.
52Est-il à l’origine de la refonte des Castigos en 1353, caractérisée notamment par la réécriture de l’exemple de l’ami véritable et du débat des concubines autour de la vérité auprès de la couche royale, lesquelles sont alors remplacées par des gardes du corps ? Ou bien cette refonte fut-elle impulsée par l’équipe de privados mettant un terme à ce gouvernorat alburquerquien, qui ne fut peut-être qu’un piège parentélaire supplémentaire pour le roi ? Quoi qu’il en soit, Alburquerque commet une erreur considérable en occupant le roi avec une concubine. María de Padilla est de bien moindre relief social que Leonor de Guzmán. Cependant, ses parents, en particulier son oncle maternel don Juan Fernández de Henestrosa, et leurs alliés parviennent à affranchir Pierre Ier de la privanza de Alburquerque297. Prince de l’épouvante, don Juan Alfonso se voit ainsi contraint de rejoindre le camp de la peur298, où les ennemis de la veille l’accueillent cependant en chef. Il le restera même après sa mort — par empoisonnement sur ordre de Pierre Ier selon Pedro López de Ayala299 — sous la forme d’un cadavre que les membres de cette étrange ligue jurent de n’enterrer qu’une fois satisfaites leurs revendications300. Celles-ci sont amplement relayées par Pedro López de Ayala dans son récit de l’année 1354. Quand ils écrivent au roi pour lui signifier leur position, les rebelles rappellent d’abord qu’ils ne cherchent qu’à le servir et qu’ils n’ont quitté sa cour que parce qu’il a abandonné sa femme, Blanche de Bourbon301. Puis viennent les raisons plus profondes, qui enrichissent d’arguments la traditionnelle exigence de renvoi des privados302. Car ceux-ci gouvernent mal le royaume et la maison du roi ; ils déshonorent les seigneurs et les chevaliers lorsqu’ils viennent à la cour ; cette cour qu’ils ne peuvent donc plus fréquenter parce qu’ils craignent pour leurs vies. Aussi, les rebelles demandent-ils au roi de bien vouloir y remédier, de leur permettre de revenir auprès de lui, à sa cour et à son service. Au cœur de l’argumentaire se trouve la question de l’honneur du roi dont les ligueurs se veulent les défenseurs, un honneur qui ne saurait exister sans un digne accompagnement aristocratique et que ruinent en définitive les privados.
53Surmontant leur peur grâce à leur soulèvement armé, les ligueurs vont à la rencontre du roi en novembre 1354 à Tejadillo. Là, ils chargent Fernán Pérez de Ayala — qui n’est autre que le père du chroniqueur, auteur pour sa part d’une généalogie des seigneurs de Ayala et promoteur d’une rédaction du Fuero de la Tierra de Ayala303 — d’exprimer des revendications qu’ils se contentaient jusqu’alors de formuler par écrit304. Mais, face à cette troupe, par la bouche de son officier Gutier Fernández de Toledo, le roi réaffirme au préalable une conception de l’honneur quelque peu différente305. Certes le roi partage le principe d’un accompagnement aristocratique comme le montre la tristesse qu’il dit éprouver en voyant d’aussi bons seigneurs et d’aussi bons chevaliers se tenir loin de lui et de sa cour. Mais il sait que leurs revendications concernant son épouse ne sont qu’un prétexte, que le vrai problème est leur mécontentement des parents de doña María de Padilla et de ses privados. Leur trouble est de trop cependant, car depuis toujours les rois et les princes prennent pour privados ceux qu’ils souhaitent. Ce principe avait été énoncé par María de Molina à Grijota (1308) pour sauver les privados de son fils de la vindicte nobiliaire. Rappelons également que parmi ces privados de Ferdinand IV se trouvait Fernán Gómez de Toledo, père de ce Gutier Fernández qui parle au nom du roi306. Cette prérogative rappelée, le roi promet néanmoins d’honorer ses nobles, de les garder auprès de lui et de leur donner les grands offices de son royaume et de sa maison. Mais il leur demande aussi de disperser leurs compagnies, dont il n’est pas convenable qu’ils s’entourent aussi près de sa personne, et qui provoquent la ruine de son royaume.
54Fin décembre, Pierre Ier rejoint sa mère à Toro pour une nouvelle entrevue avec les ligueurs toujours assemblés et qu’elle soutient307. En leur nom, sa tante paternelle Éléonore, veuve d’Alphonse IV d’Aragon et réfugiée en Castille avec ses fils depuis l’avènement de son beau-fils Pierre IV308, l’exhorte à s’entourer des Grands de son royaume, plutôt que de continuer à agir comme il le fait, en délaissant son épouse et en se tenant en aparté dans ses forteresses. Mais ce ne peut être là que la faute des privados, car le roi est trop jeune. La reine Éléonore réclame leur renvoi, en particulier du grand chambrier Juan Fernández de Henestrosa et du trésorier Simuel el Levi, et leur remplacement par des personnes plus à même de le servir et de lui faire honneur309. Les ligueurs s’emparent ensuite du roi et de sa suite, nomment de nouveaux officiers, jettent y compris leur dévolu sur des offices jusque-là tenus par des chevaliers de moindre relief social (caualleros llanos), par exemple celui de grand chambrier que se réserve don Fadrique, frère du roi et maître de l’ordre de Santiago310. Le coup d’État perpétré, les ligueurs enterrent enfin le cadavre de don Juan Alfonso311. Peut-être suivent-ils ses conseils d’ailleurs en faisant chasser le roi tous les jours pour qu’il ne se sente pas prisonnier. En chassant, le roi parle, négocie et fait des promesses, en particulier à l’un de ses autres frères, don Tello. Et un matin plus brumeux des premiers jours de janvier 1355, Pierre Ier s’éloigne puis s’échappe. Avec son trésorier Simuel el Levi et une compagnie déjà conséquente, le roi prend le chemin de Ségovie312, d’où il réclame son sceau qu’il dit pouvoir refaire sinon313, et procède à des destitutions314. Le roi entame peut-être une campagne d’information également, car il reçoit une des toutes premières marques de ce que nous pourrions appeler une solidarité monarchique en temps d’adversité aristocratique, de la part de Pierre IV d’Aragon, dont l’accès au trône avait été menacé par la volonté de sa belle-mère, Éléonore d’Aragon, de favoriser ses demi-frères du vivant de son père Alphonse IV315.
55La ligue de 1354 marque donc le début d’un conflit qui ne s’achève qu’en 1369316. Si, telles que rapportées par Ayala, les revendications des ligueurs font la synthèse de celles avancées par les parents et riches hommes depuis le début du xive siècle, tout en l’enrichissant de problématiques circonstancielles, cette même synthèse révèle la prégnance dans le discours d’opposition du modèle idéologique et royal forgé dans les années 1340. Au fond, quand ils réclament de pouvoir demeurer auprès du roi, de lui faire honneur par leur présence, les parents et les riches hommes des années 1350 réclament un retour au temps de leur crianza, à ce monde parfait seulement peuplé de seigneurs et de chevaliers reconstruit par les artifices d’un chroniqueur. Pour ces hommes, pétris de l’idéal monarchique et chevaleresque promu par Alphonse XI — et le chroniqueur des années 1380 appartient bien à leur génération —, les privados représentent une mise à l’écart intolérable, un dérèglement du compromis courtois produit par la satellisation alphonsine. Autrement dit, le discours aristocratique des années 1350, tel qu’il est rapporté au cours des années 1380, se nourrit des faux-semblants du discours monarchique des années 1340, en particulier de cette idée d’un accompagnement aristocratique et nobiliaire auquel l’ordre de la Banda avait donné une forme d’institution, improbable peut-être. Mais si les parents et certains riches hommes s’en prennent aux privados, ce n’est pas tant pour remettre en cause le modèle gouvernemental qu’ils incarnent que pour dénoncer l’accaparement pratiqué par d’autres membres de l’aristocratie et de la noblesse. Le pragmatisme triomphe, et il permet aux opposants d’accueillir parmi eux le privado de la veille et de dénoncer sous sa houlette les excès des privados du moment. Si la critique se cristallise autour des privados, c’est parce qu’ils sont des stéréotypes commodes d’un discours d’opposition, une manière de gonfler un scandale pour y remédier, et donc de légitimer une prise de pouvoir. C’est là une mécanique discursive que la conversion d’un discours d’opposition en discours monarchique accentue, car la chronique de Pedro López Ayala reste la traduction historiographique d’un coup d’État conduit jusqu’à son ultime limite. Si le roi échappe bien aux ligueurs, il tombe dans le piège historiographique que lui tend Pedro López de Ayala dans son récit des années 1356-1358317. Avec lui, tombent aussi ses privados. Car ils excitent la convoitise du roi, tout particulièrement Simuel el Levi, auquel Ayala prête un rôle décisif dans la constitution de l’important trésor de Pierre Ier318, son évocation contribuant à nouer l’idée de sa judéophilie avec celle d’un certain tournant, ou tourment, fiscal319. Ou encore parce que ces méchantes créatures le poussent à la guerre contre l’Aragon quand ils sentent leur position dans la privanza devenir plus fragile320. Certains même n’hésitent pas à instrumentaliser à nouveau son appétit sexuel pour prendre l’avantage sur le nouveau plus privé, Henestrosa, que la manœuvre ne menace que très brièvement cependant321. L’argent, la guerre, le sexe ! C’est comme une machinerie de scène que Ayala met en branle. Et tel un lâcher de toile, le crime laisse à découvert le roi et ses privados dans l’enfer tyrannique. Encore que Ayala s’y prend à plusieurs fois pour obtenir son effet ; tout comme le roi pour éliminer ses parents les plus gênants.
Le dérèglement assassin
56En 1356, la première tentative en reste au stade d’un souhait, car trop ambitieuse322. À Palenzuela en effet, Pierre Ier ne voulait pas moins que tuer d’un coup ses cousins germains les infants d’Aragon, don Fernando et don Juan, le premier étant alors déjà vu du côté d’Avignon comme un possible remplaçant de Pierre sur le trône de Castille323, mais aussi ses demi-frères, don Fadrique et don Tello, ainsi qu’un cousin plus lointain, Juan de la Cerda, marié à María Coronel. La position d’Henestrosa à propos de ce projet royal n’est pas très claire. Conformément à l’attitude temporisatrice que Ayala paraît lui prêter324, le privado ne semble pas goûter le projet assassin du roi. Il lui indique toutefois un modus operandi qui le compromet également : il prétendra en effet être malade, et le roi se rendra chez lui pour une partie de dés, mais avec ses victimes. Un peu plus tard au cours de cette même année 1356, le roi nourrit un autre projet assassin, seulement contre son frère don Fadrique cette fois, qu’il envisage de faire éliminer lors d’un tournoi325, ce jeu qu’Alphonse XI organisait pour les chevaliers de sa mesnada. Inabouti, ce projet laisse entendre en tout cas la disposition du roi à subvertir un code chevaleresque dont il se posait encore comme garant en 1353, en interdisant à ceux qui ne seraient par ses vassaux de porter l’insigne de l’ordre de la Banda326. Ayala en rajoute ensuite à propos de la duplicité de Pierre Ier, quand celui-ci autorise son frère don Enrique à partir en France, lui accordant en conséquence sa sauvegarde, et ordonne au même moment à ses officiers de l’intercepter en chemin et de l’exécuter327. Mais Pierre Ier n’est peut-être ici que le fils de son père, dont la sauvegarde était parfois d’une valeur très incertaine. Prévenu du parjure royal, don Enrique quitte la Galice pour rejoindre les Asturies, où le contre-ordre royal n’est pas encore parvenu. Il se rend ensuite en Biscaye, dont son frère don Tello était devenu seigneur à la suite de la mort de son beau-frère don Nuño de Lara en 1352. Il embarque ensuite pour La Rochelle. Ces projets avortés de 1356 installent en tout cas dans le récit une lourde menace, celle d’un retournement de l’ordre curial et plus largement politique, voire de leur destruction enchaînée328. Elle s’engage le mardi 29 mai 1358. Le récit de cette journée n’occupe pas moins de deux chapitres d’une chronique qui vire ainsi au roman crépusculaire329. Entre l’histoire et le roman, un serment fait lien d’ailleurs, lequel fait du roi le maître d’un contre-ordre criminel330. Suivons le récit un moment.
57Tout juste après l’épisode du complot manqué contre Henestrosa, dont le contre-coup d’État est peut-être son ralliement à la politique d’élimination systématique qui se dessine depuis 1356 — à moins qu’il n’en soit le concepteur après tout331 —, Ayala rapporte en effet une autre conjuration. Le matin du 29 mai 1358, le roi convoque dans sa chambre à Séville son cousin l’infant don Juan et l’adelantado de Castille Diego Pérez Sarmiento332. Pierre Ier leur fait d’abord jurer sur la croix et les Évangiles qu’ils ne diront rien de ce qu’il va leur apprendre. Puis, il leur révèle qu’il veut tuer son frère don Fadrique, dont le retour de Jumilla, qu’il vient de reprendre à l’infant don Fernando tout juste dénaturé et passé dans le camp aragonais, est annoncé pour le jour même. Car certaines choses lui font penser qu’il agit contre lui, et il leur demande leur aide. Le roi leur dit encore qu’il veut ensuite se rendre en Biscaye pour y tuer son frère don Tello, puis donner ses seigneuries à l’infant don Juan, marié à une cadette de don Juan Núñez III de Lara. En réponse, l’infant remercie le roi de la confiance qu’il lui fait en lui révélant son secret. Don Juan lui confirme aussi quelle haine il éprouve pour les frères Trastamare, les jumeaux plus particulièrement, don Enrique et don Fadrique, lesquels nourrissent le même sentiment contre lui ; que la mort de don Fadrique lui agrée, et qu’il veut bien se charger de le tuer. Le roi l’en remercie et lui ordonne de bien vouloir le faire. Diego Pérez Sarmiento dit néanmoins à don Juan qu’il peut bien se contenter d’approuver le geste du roi car il y aura bien assez d’arbalétriers pour tuer don Fadrique. Le roi, qui trouvait plaisante l’idée du meurtre de don Fadrique par don Juan, se montre mécontent.
58À midi, don Fadrique entre avec ses chevaliers dans l’alcazar de Séville333. Il s’en va aussitôt faire le baisemain au roi qu’il trouve occupé à un jeu de tables. Celui-ci lui fait bonne chère, s’informe de son logis, lui demande d’y pourvoir puis de revenir à ses côtés. Le maître de Santiago quitte son frère et s’en va saluer doña María de Padilla et ses filles, ses nièces, dans l’appartement du Colimaçon (Apartamiento del Caracol). Incapable de dissimuler sa tristesse, María de Padilla ne révèle cependant rien du projet du roi. Don Fadrique revient dans la cour où il avait laissé ses mules. La cour est vide. Il hésite à revenir vers le roi tandis qu’un de ses chevaliers, Suer Gutiérrez de Navales, lui dit de s’échapper par une poterne restée ouverte. Les chevaliers Fernán Sánchez de Tovar et Juan Fernández de Tovar arrivent et font savoir à don Fadrique que le roi l’appelle — selon Ayala, ils ne savent rien des intentions royales. Méfiant, épouvanté, le maître de Santiago s’exécute néanmoins. À mesure qu’il franchit les portes des palais et des chambres, les portiers du roi font le vide dans sa suite334. Quand il arrive devant la porte close de l’appartement du roi, le palais du Yeso, seul don Diego García de Padilla, maître de Calatrava, est encore auprès de lui. Une petite porte s’ouvre. Le roi parle. Il ordonne au grand arbalétrier Pedro López de Padilla de s’emparer de don Fadrique et à ses arbalétriers de l’exécuter. Nul ne bouge cependant. Le grand palefrenier du roi, un homme de la chambre, Rui González de Atienza, crie au traître et répète l’ordre royal. Les arbalétriers — Nuño Fernández de Roa, Juan Diente, Garçi Díaz de Albarracín et Rodrigo Pérez de Castro — réagissent enfin335. Mais don Fadrique leur échappe. Il sort dans une cour mais ne parvient pas à dégainer son épée. Les arbalétriers le rattrapent. Nuño Fernández de Roa l’assomme tandis que les autres lui tombent dessus.
59Don Fadrique à terre, le roi court à travers l’alcazar pour tuer quelques-uns des chevaliers de son frère. Le roi en a surtout après Pedro Ruiz de Sandoval, surnommé Tête de Porc, commandeur de Montiel, qu’il ne trouve cependant pas. Mais il en trouve un autre, le grand palefrenier du maître de Santiago, Sancho Ruiz de Villegas, surnommé Sancho Portin, chez doña María de Padilla. Il se saisit de l’une de ses filles pour se protéger de leur père. Mais le roi la délivre aussitôt et lui plante son poignard. Un des frères Tovar, ennemi de la victime selon le chroniqueur, se charge de l’achever. De retour auprès de don Fadrique, resté à demi-mort, le roi donne son poignard à un de ses valets pour qu’il l’achève336. Devant son cadavre, dans la chambre dite aux carreaux de faïence (« una quadra que dicen de los Azulejos »), le roi s’attable et mange. Il fait appeler son cousin l’infant don Juan, lui répète le reste de la manœuvre contre don Tello, dont il obtiendra ainsi les seigneuries. L’infant lui baise la main. Sûr de devenir seigneur de Biscaye, don Juan renonce à son adelantamiento de la frontière d’Andalousie, et le roi l’accorde à son grand alguazil de Séville. Ensuite, Pierre Ier ordonne quelques exécutions, à Cordoue, près de Madrid, à Salamanque, à Toro et près de Tolède, dont celle du grand commandeur de l’ordre de Santiago, don Lope Sánchez de Bendaña.
60Plus tard dans l’après-midi, Pierre Ier prend le chemin d’Aguilar de Campoo où se trouve don Tello, à plus de sept cents kilomètres de Séville337. Il y parvient en seulement sept jours. Averti de l’arrivée du roi en pleine chasse, don Tello prend aussitôt le chemin de la Biscaye. Le 7 juin à Bermeo, il s’embarque à bord d’une pinasse. Le roi le suit de près. Mais tandis que don Tello arrive à Saint-Jean-de-Luz puis rejoint Bayonne, une forte mer contraint Pierre Ier à débarquer à Lequeitio. Le roi doit se contenter de se saisir de sa belle-sœur, l’aînée des filles de don Juan Núñez III de Lara, l’héritière de la Biscaye. L’infant don Juan rappelle alors la promesse faite à Séville338. Le roi dit vouloir la tenir et convoque à Guernica l’assemblée à qui revient de désigner le seigneur de Biscaye. En secret, il en convainc toutefois les principaux membres pour qu’ils la poussent à ne vouloir prendre pour seigneur que le roi et ses descendants. Après cette assemblée du refus, Pierre Ier promet à don Juan de reparler aux Biscayens à Bilbao. L’infant qui comprend la manœuvre se montre mécontent339.
61Arrivé à Bilbao, le roi convoque don Juan pour le lendemain dans son palais340. Le mardi 12 juin, l’infant s’y rend sans autre compagnie que celle de deux ou trois hommes. Mais ils restent à la porte de la chambre quand l’infant y pénètre. À l’intérieur, quelques hommes font la blague de le désarmer. Et tandis que le chambrier Martín López de Córdoba le retient de rejoindre le roi en l’étreignant un peu, l’arbalétrier Juan Diente se charge de l’assommer avec sa masse d’arme. D’autres arbalétriers continuent la tâche. À peine conscient mais encore debout, l’infant se dirige vers don Juan Fernández de Henestrosa, lequel se saisit d’un estoc et l’attire à lui en criant quelques mots. Mais un autre arbalétrier, Gonzalo Rezio, porte un nouveau coup de masse. Cette fois l’infant s’écroule. Le roi ordonne de jeter son cadavre par la fenêtre, et aux Biscayens assemblés sur la place, il leur présente l’homme qui pensait pouvoir devenir leur seigneur. Son cadavre sera ensuite transporté à Burgos, mis au château, puis jeté dans une rivière quelque temps plus tard. Au chapitre suivant341, Ayala indique le voyage à Roa de Henestrosa où il procède à la détention de la femme et de la fille de l’infant, ordonnée par le roi juste après son meurtre ; tandis qu’à Burgos, le roi revenu de Roa où il s’était également rendu, réceptionne les têtes des chevaliers dont il avait ordonné l’exécution à Séville juste après le meurtre de don Fadrique.
Une frontière politico-narrative
62Cette séquence criminelle de 1358 — plutôt même de 1356-1358, car son début est la première tentative contre don Fadrique — tient dans la chronique de Pierre Ier le rôle de la séquence de 1326-1329 dans la chronique d’Alphonse XI : celui d’un tournant. Mais tout juste trente ans plus tard — en temps narratif, non pas en temps de rédaction — sa portée est exactement inverse. Car si les morts de don Juan el Tuerto et de Alvar Núñez posaient dans la chronique d’Alphonse XI les bases narratives de la satellisation alphonsine, celles de don Fadrique et de don Juan dans la chronique de López de Ayala font tourner la réassurance pétriste au jeu de massacre342. Il est peu probable que le continuateur affiché de Sánchez de Valladolid n’ait pas souhaité produire cette opposition, et qu’il ait avec elle fait comprendre quelque chose d’essentiel à son lecteur ou à son auditoire. Rappelons-nous : la chronique d’Alphonse XI avait installé Grenade dans l’expérience de l’autodestruction à partir de 1326. Et malgré ce repoussoir, voici que trente ans plus tard la Castille la vivait à son tour. Mais tandis qu’à Grenade, le régicide avait ouvert ce temps du pire, celui finalement commis en Castille en 1369 l’avait refermé. Un régicide destructeur d’un côté, un régicide salvateur de l’autre : ce n’est ni plus ni moins que cette différence de nature qui commence à être posée au moyen de la séquence criminelle de 1356-1358. Dès lors, elle fonctionne comme une frontière politico-narrative, fondée comme telle par la convergence de ces deux modalités de l’élimination politique que sont l’assassinat et la diffamation.
63Rapportée à la séquence de 1326-1329, cette frontière est triplement marquée : dans son tracé par la publicité faite aux meurtres, dans son contrôle par l’intervention d’un corps spécialisé et, enfin, dans sa profondeur par une inscription dans un certain dispositif palatial. Dans la séquence de 1326-1329, le meurtre était à peine mentionné dans un récit qui articulait essentiellement ses phases préalables (les efforts déployés par le privado pour convaincre la victime de se rendre auprès du roi) et postérieures (la régularisation du meurtre par un procès post-mortem permettant d’établir la trahison de la victime et donc sa culpabilité). Ces phases sont certes significatives dans la séquence de 1356-1358, car elles permettent d’établir l’intention criminelle (projet et conjuration royale) et l’absence de miséricorde (défenestration du cadavre de don Juan à Bilbao) d’un tyran à la limite de l’anthropophagie (repas devant le cadavre de don Fadrique à Séville)343. Mais ces phases n’ont plus qu’une place résiduelle dans une séquence où domine le récit des meurtres eux-mêmes, selon un scénario où la perversion de la récréation royale, des paisibles jeux de dés ou de tables de la chambre à la terrible chasse à l’homme organisée dans le palais puis dans le royaume344, confirme à quel point la cruauté est devenue en Castille aussi un principe de gouvernement345. Une logique de publicité gouverne donc le récit, qui vise à dévoiler la monstruosité du roi et, ainsi, à assurer la notoriété du dévoiement de sa royauté en tyrannie. Autrement dit, les meurtres perpétrés ou ordonnés par le roi recèlent une autre mort, la sienne à sa royauté, que ses opposants ne rendront néanmoins effective qu’en 1369. Lorsqu’il écrit sa chronique de Pierre Ier, López de Ayala n’a certes pas encore commencé ses traductions des Décades de Tite Live, à partir de la traduction française de Pierre Bersuire, et du De casibus de Boccace346. Mais ces œuvres qui donnent aux hommes du xive siècle les moyens de reconnaître et de nommer plus sûrement ce mal qui menace leurs sociétés politiques347, et ainsi déjà de s’en défendre348, sont-elles totalement étrangères à cet homme sur le point de se convertir en passeur de l’humanisme politique en Castille, du fait de sa participation au tournant diplomatique que le schisme précipite à la fin du xive siècle349 ? Dans son Rimado de Palacio, López de Ayala n’avouera que l’influence du De regimine principum dans une strophe traditionnellement tenue pour une justification du tyrannicide350. Cependant, cette logique de publicité à l’œuvre dans la séquence de 1356-1358, une logique au cœur également des réflexions contemporaines sur la tyrannie, invite en tout cas à établir un parallèle entre ce montage narratif et d’autres montages, y compris plus rhétoriques et théoriques, qui posent les bases d’un tyrannicide légitime351.
64La publicité donnée aux meurtres, l’est logiquement à leur violence également. Elle s’inscrit ultimement dans les corps même des victimes, non sans une certaine logique judiciaire352, tout à fait voilée cependant par l’accumulation même de ce marquage avilissant puis destructeur qui sert à afficher aussi la trahison du roi envers sa communauté353. Contre ces corps et sur ces corps, un autre corps se construit, absolument dissemblable, le corps monstrueux du tyran bien entendu. Mais dans cet écart où le place une violence dont nous avons vu qu’elle pouvait être une option de sacralisation, un autre corps s’est formé autour du roi, dont ne disait rien la séquence de 1326-1329, celui des hommes de la Chambre. Quels que soient par ailleurs leurs offices et leurs fonctions, la séquence de 1356-1358 les montre devenus spécialistes de l’épée, du couteau et de la masse d’armes. Ils forment à proprement parler une chambre assassine, sur la base d’une communauté d’existence dans la privanza.
65Au sein de cette communauté, un groupe plus restreint se détache, par qui le roi a repris le contrôle de sa Chambre et donc d’un appareil monarchique dont elle tient lieu de centre de commandement : les parents de doña María de Padilla. Des personnes impliquées dans les meurtres du frère et du cousin du roi en 1358, Pedro López de Ayala donne douze noms. Sept de ces douze personnes ont un lien de parenté avec María de Padilla (son frère don Diego García de Padilla, leur oncle maternel don Juan Fernández de Henestrosa354 et Pedro López de Padilla, mais à un degré inconnu355) ou des membres des branches paternelles (les frères Tovar avec Pedro López de Padilla356) et maternelles de sa famille (Martín López de Cordóba357 et Gonzalo Gómez de Lucio [ou Rezio]358 avec don Juan Fernández de Henestrosa). Ces liens de parenté, par le sang ou par l’alliance, ne sont sans doute qu’une part seulement de l’écheveau de liens et d’intérêts personnels unissant ces hommes dans la proximité royale, comme probablement la parenté spirituelle et l’alliance jurée. Remarquons en outre leur voisinage seigneurial, plus particulièrement dans ces terres de Behetrías au cœur de l’ancien affrontement entre don Juan Núñez III de Lara et don Juan Alfonso de Alburquerque, des hommes par rapport auxquels le choix des Padilla-Henestrosa est donc proprement alternatif359. Une connaissance plus fine de ces liens et de ces intérêts permettrait de confirmer ce qui pourrait être le motif ultime de ces meurtres : constituer autour de ces parents de María de Padilla un nouveau pôle de satellisation nobiliaire, en leur donnant les moyens de celle-ci, c’est-à-dire en assurant leur rehaussement seigneurial et clientélaire, à partir du contrôle déjà engagé des ordres militaires, d’où le meurtre de don Fadrique et d’autres responsables de l’ordre de Santiago, et la neutralisation de l’héritage des Lara en Biscaye et dans les terres de Behetrías, voire peut-être même sa captation dans cette dernière région, d’où la chasse lancée contre don Tello, marié à Juana de Lara, le meurtre de l’infant don Juan et la détention de son épouse, Isabel de Lara. Sous l’ordre en apparence seulement vengeur du roi, qui s’accommode d’ailleurs de certaines des petites vengeances de ses hommes360, se dissimule donc peut-être un dessein — une politique Henestrosa ? — qui donne un certain sens à cette explosion de violence.
66Cinq autres personnes y prennent part selon Pedro López de Ayala : le grand palefrenier Rui González de Atienza361, les arbalétriers Rodrigo Pérez de Castro362, Garçi Díaz de Albarracín363, Nuño Fernández de Roa et Juan Diente. Mais l’information disponible ne permet pas de savoir si, en plus d’être dans la proximité royale, ces personnes entretenaient des liens avec les parents de doña María et/ou entre elles. Au moins peut-on estimer que dans leur cas, à l’exception du grand palefrenier sans doute, leur entrée dans la Chambre fut probablement la conséquence d’une démonstration préalable de loyauté, de force et de dextérité. Pour l’un de ces hommes, un autre critère a pu être plus déterminant encore. Le surnom ou le nom Diente renvoie peut-être à une difformité physique. Ainsi, entre le tyran et ses créatures, une parenté phantasmatique se met subrepticement en place, par le monstrueux, qui achève de rendre leur chambre assassine tout à fait épouvantable.
67De Séville à Bilbao, dans un temps record, le déplacement de cette Chambre et, à partir d’elle, la transmission de l’ordre royal posent les bases de l’extension à l’ensemble du royaume du régime de l’épouvante ainsi que de sa généralisation364. Mais loin de fonctionner comme une fabrique émotionnelle de la soumission politique, ce qui était le cas avec la peur alphonsine, la peur du roi exprimée dans la chronique de Pedro López de Ayala, une peur que l’emploi plus fréquent du terme temor à côté du terme miedo rapproche cependant de cette peur positive qu’est la peur de Dieu, comme si un transfert se faisait ainsi, cette peur donc, fonctionne plutôt comme une fabrique émotionnelle, individuelle et collective, de la résistance à l’oppression ; d’où naît, mais sans ce roi-là, une communauté politique régénérée365. Or, un dernier élément de cette séquence de 1356-1358 légitime ce rejet fondateur, en lui donnant la valeur d’une réponse au reniement préalable du tyran lui-même : l’inscription de la chambre assassine dans un certain dispositif palatial.
68Quand il rédige puis corrige sa chronique, López de Ayala a une assez bonne connaissance de certains des dispositifs palatiaux d’Europe. Car ses ambassades en Aragon, en France, auprès de la papauté ou du duc de Lancastre au cours des années 1380, lui ont donné accès aux palais de Pierre IV à Saragosse (Aljafería) et à Barcelone (le Palau Reial Major et peut-être aussi le Palau Reial Menor), des anciens rois de Majorque à Perpignan366, de Charles V et de Charles VI à Paris (l’île de la Cité, le Louvre et l’hôtel Saint-Pol)367 et à Vincennes368, des papes à Avignon et dans le Comtat Venaissin,369 et peut-être a-t-il même entendu parler des aménagements d’Edouard II à Windsor en passant à Bayonne370. Or, dans tous ces palais, pour la plupart récemment réaménagés ou tout juste construits, le classique dispositif capella/sala/camera a cédé le pas à des organisations plus complexes371, où la différenciation, l’extension et une plus nette séparation des espaces privés profilent partout la structure de l’appartement372. Au cœur de cet appartement, au terme d’un parcours en général rallongé, horizontalement et parfois même verticalement, afin toujours d’en raréfier l’accès373, la chambre ravit à la salle son rôle de point névralgique du dispositif palatial. Mais ce basculement est loin de n’être que de nature architecturale. L’étymologie même du terme « appartement » ramène tant en espagnol qu’en français à la Castille, bien que par le détour italien d’appartamento semble-t-il, et peut-être même à Pedro López de Ayala après tout, un des premiers à l’employer dans son sens palatial (Apartamiento del Caracol)374. Cette étymologie montre que cet élément du dispositif intérieur spatialise une attitude et un mode de communication déjà évoqué, l’aparté (apartamiento/apartar). Aussi, entre la salle et la chambre, la distance se fait-elle très politique : tandis que dans la première se déploie le gouvernement par le c[C]onseil, dans la seconde s’occulte le régime de la privauté. Une gamme se met ainsi en place, qui sera souvent jouée par la suite375.
69Tirant avantage des spécificités du réseau palatial castillan, dont certains éléments sont hérités376, Pedro López de Ayala la joue en outre dans une tonalité singulière. Non pas tant à Bilbao. Ici, la chambre assassine s’installe en ville, dans un logis d’emprunt, où la probable étroitesse commande une distribution réduite au minimum, mais étagée néanmoins377. C’est bien plutôt à Séville que le jeu de Pedro López de Ayala trouve son véritable espace de résonance378, ce que confirme l’emploi pour le désigner d’un vocabulaire plus étendu379. À cette extension contribue la désignation de certaines parties de l’alcazar par leurs noms propres (Apartamiento del Caracol, Palacio del Yeso et Quadra de los Azulejos), ce qui permet de localiser la chasse à l’homme de 1358 autour du Patio del Crucero (plan 1), c’est-à-dire le principal palais du complexe almohade, conservé dans sa fonction mais transformé par les Castillans après leur prise de Séville380. Un nouvel effet peut dès lors être produit, et la manière dont le chroniqueur disculpe María de Padilla du meurtre de don Fadrique — après le mariage en 1388 de sa petite-fille Catherine de Lancastre avec le petit-fils d’Henri de Trastamare, le futur Henri III de Castille ? — porte à croire qu’il est bien intentionnel381. Autour du Patio del Crucero, c’est bien une opposition politique, morale et même religieuse qui se met en place : au sud, le palais du Colimaçon, dont nous avons dit déjà qu’Alphonse X en avait ordonné la construction dans un style gothique conforme à son ambition germanique et impériale382, que la présence d’une María de Padilla triste et miséricordieuse charge de valeurs chrétiennes ; au nord, l’ancien palais almohade du Yeso, seulement modifié depuis la conquête chrétienne par la construction d’une qubba mudéjare sous le règne d’Alphonse XI, où Pierre Ier installe sa chambre assassine et s’y transforme en ce sultan furieux et féroce qui paraît tout droit revenu d’un conte oriental383. Le lieu aurait-il commandé cette transformation ? Pour clore sa chronique, Ayala précise que Pierre Ier zézayait un peu384. Trouble de l’élocution ou bien léger accent pris d’un trop long séjour à Séville ? Quoi qu’il en soit, il est peu probable que López de Ayala ait oublié quel bon parler castillan Ferrán Sánchez de Valladolid avait attribué à Alphonse XI. Aussi faut-il bien envisager ce défaut de langue du fils comme le signe d’une corruption politique385, et peut-être même de l’anti-castillanité originelle du tyran. C’est là une preuve autrement plus subtile que la rumeur de l’ascendance juive du roi que la propagande trastamare avait fait courir pendant la guerre civile et que López de Ayala préfère ne pas relayer386.
70Toutefois, alors même que l’idée de trahison posée dans le palais du Yeso par la conversion du prince à l’islam se trouve complétée dans le reste de la chronique — Ayala le montre en effet sourd aux voix chrétiennes le mettant en garde contre sa fin prochaine387, puis seulement attentif aux conseils prodigués par l’un des privados du roi de Grenade388, ou encore retranché à Séville et s’y disposant à faire alliance avec les Maures389, et leur permettant enfin d’asservir les chrétiennes de Cordoue et d’y reprendre leur ancienne mosquée390 —, le chroniqueur passe sous silence le réaménagement pétriste de l’alcazar dont il aurait pu aisément tirer profit depuis cette même perspective disons maurophile. Car, de l’ancien dispositif, ce réaménagement retenait un plan et une architecture mudéjare qui pouvaient tout aussi bien confirmer la trahison royale391. Mais, à l’évoquer, López de Ayala prenait le risque d’éventer des usages du palais moins criminels que justiciers, plus majestueux que tyranniques et, ainsi, par la possibilité d’une certaine indécidabilité sur la nature de ces différents pôles, de fragiliser peut-être l’ensemble de sa frontière politico-narrative. Or, il importait qu’aucun doute ne subsista sur l’impossibilité de la retraverser en sens inverse. Car la frontière ayalienne n’est pas seulement à saisir dans son opposition à la séquence de 1326-1329. Il convient de la rapporter en outre au moment de sa conception, et d’achever ainsi de préciser toute l’épaisseur du tuilage temporel dans lequel elle s’inscrit. Ce moment a parfaitement pu correspondre au renoncement trastamare à la politique de l’épouvante, auquel Pedro López de Ayala dédie quelques pages dans sa chronique de Jean Ier. Mais il faut distinguer ici deux temps encore. D’abord, le temps du renoncement même, c’est-à-dire l’année 1385, dans le cadre d’un Conseil convoqué par Jean Ier, à Séville précisément, pour y discuter du sort funeste qu’il réserve à son frère392. Ensuite, le temps d’écriture de ce sermon sur l’épouvante et la peur que Pedro López de Ayala prête à un conseiller du roi, qui forme l’essentiel du chapitre qu’il consacre au Conseil décisif de 1385393. Et ce temps-là nous mène au début du règne d’Henri III, au moins la première moitié des années 1390, celles d’un retour à une privanza de combat que nous aborderons à la fin de cet ouvrage. Dans ce contexte de rédaction, ce sermon pouvait résonner comme le rappel impératif de la différence trastamare, par rapport au tyran abattu certes, mais encore par rapport à toute cette « dynastie sévillane » et maudite dont les membres avaient joué à traverser et à retraverser une limite que cet épais tuilage temporel vise à rendre infranchissable désormais.
Le réaménagement pétriste
71Hormis une allusion qui n’est peut-être pas sans lien avec une éventuelle historiographie pétriste échappée aux destructions documentaires organisées par le pouvoir trastamare pendant et après la guerre civile394, aucun autre texte ni document contemporain ne vient rompre l’assourdissant silence ayalien sur le réaménagement pétriste de l’alcazar de Séville395. Engagée en 1356, la guerre civile interrompt son avancement à partir de 1366. Mais, tel que souligné avec force depuis peu, ce réaménagement reste le plus imposant vestige de l’éventuel projet politique mis en œuvre par Pierre Ier396. Comme observable sur le plan 2, ce réaménagement revient à doubler vers l’ouest le dispositif palatial utilisé en 1356-1358 (4, 6 et 7), au moyen d’interventions et de constructions qui s’alignent le long d’un axe qu’inaugure au nord la Puerta del León, le nouvel accès au complexe palatial (1), qu’interrompt au centre la porte (2) du nouveau Patio de la Montería (3) et que clôt au sud la façade du nouvel appartement royal construit en 1364-1366 (8). La jonction avec l’ancien dispositif situé autour du Patio del Crucero (6) se fait par le Patio de la Montería (3), qui ravit ainsi au précédent sa fonction distributrice, et par la communication ménagée de manière interne, au moyen d’une petite cour située entre le nouvel appartement royal (8) et le palais du Colimaçon (7).
72Cette organisation ouvre bien entendu la possibilité de différencier davantage encore des parcours et, plus spécialement, tel qu’indiqué sur ce même plan, des parcours plus ou moins longs d’accès à la chambre du roi dans son nouvel appartement (en pointillé), certains sans doute plus solennels et d’autres plus privés, selon que le départ se fait depuis le nouvel accès à l’alcazar (1) ou depuis les parties du dispositif déjà utilisées en 1356-1358, qui restent toujours en usage pendant les travaux (4, 5, 6 et 7). Au terme de ces parcours, deux éléments contribuent à rallonger encore l’itinéraire et à assurer quelques derniers filtrages, autrement dit à creuser encore un peu l’écart (plan 3).
73Le premier est l’emploi de cette structure d’entrée qu’est le zaguán397, qui est répétée en outre et impose un accès en chicane à l’appartement royal depuis ce nouvel espace de distribution et de représentation de l’alcazar qu’est le Patio de la Montería. Cette structure d’entrée éloigne de ce même patio la chambre, pourtant située juste derrière les deux zaguanes, en en déportant son accès vers le Patio de las Doncellas, la principale cour intérieure et de distribution de l’appartement royal. Le second élément est l’organisation étagée de la chambre398. Donnant sur le Patio de las Doncellas, son rez-de-chaussée est doté d’une alcôve, située juste derrière le premier zaguán. L’étage, auquel mènent deux escaliers droits, depuis le second zaguán (escalier public) et depuis la courette de connexion entre le nouvel appartement et le palais du Colimaçon (escalier privé)399, est principalement formé d’une qubba, située au-dessus de l’alcôve et du premier zaguán, dont les fenêtres donnent sur le Patio de la Montería. De l’alcôve du rez-de-chaussée à cette qubba de l’étage, en passant par l’un ou l’autre des deux escaliers, cette disposition ouvre à l’évidence des possibilités de ménager des parcours articulant subtilement distance et proximité, accessibilité et inaccessibilité. Ajoutons que cette qubba à l’étage de la chambre n’est pas la seule de l’appartement. Au rez-de-chaussée, celui-ci en compte en effet une autre, plus imposante et vraisemblablement nettement moins privative, le Salón de la Media Naranja, qui donne également sur le Patio de las Doncellas, selon une disposition reprise de l’ancien palais almohade du Yeso (plan 2, no 4).
74D’évidence, cette organisation plus systématique tire les leçons d’une expérience. Mais est-elle spécifique à la Castille ? De Grijota (1308) à Toro (1354) en passant par l’envahissement de la chambre de María de Molina lors des Cortes de Carrión en 1317, le putschisme nobiliaire castillan s’avère particulièrement vivace il est vrai, et sans doute a-t-il conduit à un usage de l’espace palatial plus attentif à la sécurité du roi. C’est là un signe de la réversibilité même de la peur du roi. Mais, comme nous l’avons vu, Sánchez de Valladolid avait montré dans sa chronique qu’il n’en allait pas différemment à Grenade, où la crainte du régicide avait finalement imposé un système de réassurance craintive qui faisait du confinement royal le pendant palatial du régime de privanza. Les travaux également évoqués pour l’Aragon (on ne peut d’ailleurs pas exclure qu’une part du réaménagement pétriste, en particulier le nouvel appartement royal, puisse en outre être une manière de prolonger sur un terrain politico-culturel l’affrontement engagé depuis 1356 avec ce royaume400), l’Angleterre ou bien même la France (n’oublions pas qu’avec le meurtre des maréchaux de 1358 le futur Charles V fait l’expérience d’un envahissement de la chambre royale particulièrement violent) montrent alors un certain partage en Europe de cette problématique politico-spatiale, avec des solutions architecturales et stylistiques certes différentes, mais profondément convergentes quant à leur dessein, car revenant toutes à une mise à distance du prince en même temps qu’elles ménagent des espaces réservés de proximité. Autrement dit, le réaménagement pétriste est dans l’air du temps, et il l’est y compris dans sa manière d’articuler par la représentation les espaces dévolus à la résidence et ceux où elle cède le pas à des fonctions plus politiques ; une articulation qu’il convient de ne pas enfermer dans un face-à-face entre Séville et Grenade en dépit de la communauté des formes architecturales et d’une épigraphie partagée du pouvoir supérieur401.
75L’originalité du réaménagement pétriste, voire toute son ambition, réside peut-être davantage dans la place qu’il paraît d’ailleurs accorder à ces espaces plus strictement gouvernementaux. Ainsi, entre la porte monumentale du nouvel appartement royal et le nouvel accès à l’alcazar (plan 2, nos 8 et 1), dans cette zone formée par le Patio de la Montería (3), le Cuarto de la Montería (9) et la Puerta de la Montería (2) ainsi que le Cuarto de los Cuatro Palacios (10), la fonction de résidence ne semble pas avoir été prévue. L’inachèvement du projet (Cuarto de la Montería) et le manque d’information disponible ne permettent pas vraiment de connaître la fonction attribuée à chacun de ces espaces (remploi du Cuarto de los Cuatro Palacios). Remarquons cependant que l’accès à cette zone se fait par la porte de la Montería (2), transformée en porche monumental dans le cadre du réaménagement, sous lequel la tradition rapporte l’installation du trône royal lors de la tenue des audiences publiques de Pierre Ier402, a priori chaque lundi et chaque vendredi depuis 1351403. Cette localisation de la fonction judiciaire aux portes du palais, qui n’est pas sans rappeler certains antécédents musulmans404, a-t-elle commandé une spécialisation en conséquence des espaces situés entre cette porte et le nouvel appartement royal ? Le réaménagement amorcé en 1356 prévoyait-il d’y fixer une part de la machinerie administrative de la monarchie castillane (dans le Cuarto de los Cuatro Palacios ?), en particulier ce tribunal de l’Audience dont les signes d’activité augmentent encore sous le règne de Pierre Ier405 ? S’agissait-il avec cette installation de convertir l’alcazar de Séville en un palais d’État406 ? C’est-à-dire d’en faire le siège de la monarchie castillane, selon une logique alors déjà bien perceptible aux palais de Westminster, à Londres, et de la Cité, à Paris407. La réunion des Cortes à Séville en 1362 pour y régler la succession royale fut-elle l’occasion d’inaugurer dans cette fonction un alcazar encore en travaux408 ? Faut-il dès lors considérer Séville comme une sorte de chapitre oublié de l’introuvable capitalité castillane à la fin du Moyen Âge409 ? Séville, sedes regia et caput regni ? Il y aurait là une manière d’expliquer d’un trait tant l’ampleur du réaménagement pétriste que la difficulté trastamare à réinvestir par la suite l’alcazar et Séville, et sans doute aussi de l’effort ayalien pour fixer là sa frontière politico-narrative.
76Mais revenons à la fonction judiciaire sise sous la porte de la Montería (2), dont nous avons dit qu’elle commandait probablement un espace d’administration, de gouvernement et de représentation (plan 2, Cuarto de la Montería [9] et Cuarto de los Cuatro Palacios [10]), mis en relation par le Patio de la Montería (3) avec l’ample espace de représentation et de résidence formé par le nouvel appartement royal (8) et l’ancien dispositif (4, 5 et 7) autour du Patio del Crucero (6). Car, tel un fil d’Ariane, elle peut nous permettre de retrouver dans ce majorat idéologique, qui paraît s’attacher au trône castillan depuis le xiiie siècle, en constante augmentation et actualisation depuis, quels textes purent influencer la conception même du réaménagement amorcé en 1356 et constituer ainsi ses éventuels fondements théoriques. Or, cette fonction judiciaire nous ramène à la définition même de la cour, dont le nom provient en « langage d’Espagne » du tranchant de l’épée de justice selon Alphonse X comme nous l’avons déjà vu410. Faut-il voir dans le Patio de la Montería (3) la traduction architecturale de cette mer ouverte à laquelle la définition alphonsine assimilait la cour411 ? Ou encore, dans la différenciation plus poussée des espaces obtenue dans le nouvel appartement royal (8), une application pratiquement littérale de la distinction entre les échanges privés, semi-privés et publics que cette définition situait au palais412 ? Et enfin, dans l’allongement des parcours, une manière de réaliser cette restriction d’accès au retrait royal que les dispositions alphonsines posaient comme un privilège de proximité413 ? Cette conception courtisane et palatiale avait néanmoins déjà donné lieu à une traduction architecturale dans l’alcazar même, avec le réaménagement du Patio del Crucero (6) et la construction du palais gothique du Colimaçon sous Alphonse X (7). Elle a certes pu rejouer dans le réaménagement pétriste, mais il est difficilement envisageable que ses concepteurs n’aient pas tenu compte aussi de l’aggiornamento sanchiste du projet alphonsin, ainsi reconduit en direction d’une monarchie sacerdotale.
77Le rêve de majesté des Castigos, déjà longuement commenté, faisait précisément d’une salle d’audience le cadre premier de cet aggiornamento414. Comme nous l’avons vu également, la refonte de certains passages du texte prouve quelle attention celui-ci suscite au tout début du règne de Pierre Ier, encore qu’il soit difficile d’établir si cet intérêt est commandé par le gouvernorat alburquerquien ou bien la volonté royale de s’en libérer. Toutefois, la qubba alphonsino-pétriste du Cuarto del Yeso (4) ainsi que les espaces de représentation, de gouvernement et d’administration autour du porche de la Montería (2, 3, 9 et 10) sont-ils les indices d’un projet poursuivi à Séville de pétrification de la reformulation des enseignements sanchistes ? Ajoutons que cette reformulation avait contribué à renforcer le système de prévention à l’égard de l’amitié en s’attachant à revoir plus particulièrement l’exemple de l’ami véritable et celui du débat autour de la vérité auprès de la couche royale415. Ce réarmement doctrinal a-t-il joué un rôle dans la systématisation organisationnelle à l’œuvre dans le nouvel appartement royal de la Montería (8) ? La coalescence entre le songe de majesté et l’idée d’une épreuve d’amitié renforcée détermina-t-elle la conception d’un certain parcours ? Le réaménagement pétriste revenait en tout cas à proposer au roi un parcours allongé entre son nouvel appartement et l’espace justicier (plan 2, no 8), depuis l’alcôve ou la qubba de sa nouvelle chambre (plan 3, no 4), à l’accès repoussé et réservé, jusqu’à son trône placé sous le porche de la Montería (plan 2, no 2), où il pourrait manifester sa majesté sur fond d’alcazar rénové, en y rendant la justice et inscrire ainsi à son tour les effets de son regimen dans le livre qui était tendu au roi rêvé par Sanche IV. Ce livre même pourrait expliquer l’exécution conjointe d’un livre de loi (l’Ordenamiento de Alcalá) et d’un livre de justice (la septième des Partidas) au moment de la diffusion de la version amendée de l’Ordenamiento de Alcalá (1351)416. Toutefois, l’exécution interrompue de cette paire codicologique, car l’important programme iconographique prévu pour le livre de justice ne fut jamais exécuté, et l’hypothèse d’une destination tolédane de ces deux manuscrits pointent peut-être l’essoufflement de ce premier investissement de la figure du roi justicier de la part de Pierre Ier417; voire également d’un temps de la raison juridique, dont la dernière manifestation, la version refondue du Fuero Viejo de Castilla ou Fuero de los hijosdalgo (1356)418, coïncide avec le moment du tournant criminel et l’amorce du projet de réaménagement palatial à Séville. Séville fut-elle le siège d’un autre rêve de majesté, si improbable qu’il pouvait être perçu par ses contemporains telle une forme de déraison d’État ?
Une voie de sacralisation ?
78Telle que soulignée dans le précédent chapitre, la version de 1353 des Castigos avait accentué l’articulation entre souveraineté et privanza dans sa réécriture du concours des gardes du corps de Darius, un récit primordial qui faisait toute l’originalité de la Septante du livre apocryphe d’Esdras. La voie d’une Septante cependant plus commune conduit à un autre texte du majorat idéologique qui pourrait plus particulièrement expliquer tant l’ampleur du réaménagement entrepris que l’alignement créé depuis la porte du nouvel appartement royal (8) jusqu’au nouvel accès de l’alcazar par la Puerta del León (1). Il s’agit de la traduction castillane et glosée du De regimine principum de Gilles de Rome, dont nous avons déjà dit qu’elle fut commandée vers 1345 pour servir à l’instruction du futur Pierre Ier. Par rapport à la définition alphonsine de la cour et du palais, les considérations de Gilles de Rome ici rapportées sur la façon de concevoir la demeure royale démontrent un plus grand souci du bâti, lequel doit répondre à trois objectifs comme déjà souligné dans la première partie, par son magnifique à la gloire du prince, par sa superbe à la crainte qu’il doit inspirer, par sa grandeur à la nécessité d’y loger ses gens419. Ces considérations inspirèrent peut-être le réaménagement du palais de la Cité par Philippe le Bel420. Inspirée du Livre des Rois et de la Historia ecclesiastica de Pierre le Mangeur421, la glose réalisée à la suite met principalement en avant la construction du temple, du palais royal et du cénacle par Salomon422. Le réaménagement pétriste de l’alcazar serait-il un chapitre supplémentaire dans l’exploitation de la figure salomonique par la monarchie castillane423 ? L’activation du modèle du roi constructeur plutôt que celui du roi sage à partir d’une figure de Salomon, qui bien entendu sert aussi de modèle au roi-juge424, doit-elle être comprise dans la perspective d’un éventuel projet d’ancrage et, au-delà, de stabilisation de la royauté sacerdotale promue par l’aggiornamento sanchiste ? Rappelons à quel point la salle d’audience qui en forme l’épicentre dans les Castigos se confond avec la tente de la Rencontre que Dieu avait ordonnée de construire à Moïse, laquelle est remplacée par le Temple de Salomon à Jérusalem. Pierre Ier serait-il donc un nouveau Salomon ? L’image de ce roi biblique au Moyen Âge est loin d’être seulement uniforme, et une certaine exégèse en fait le prototype du roi méchant425. Pierre Ier chercha-t-il à assumer l’intégralité de ce modèle ? Pour y songer vraiment, à Séville, il nous manque cependant un Temple. À moins de franchir la Puerta del León (plan 2, no 1), qui donne sur un espace relevant toujours de l’alcazar, que les Castillans ont considérablement transformé depuis leur prise de la ville en 1248 (plan 4), en y implantant, d’ouest en est, l’arsenal (Reales Atarazanas), la forge royale (Herrerías del Rey), l’atelier monétaire (Casa de la Moneda) et l’hôpital du roi (Hospital del Rey)426.
79Au nord, face à la Puerta del León, cet espace dominé par les fonctions militaire et productive est fermé par l’ancienne mosquée almohade, dont la salle de prière accueille à la fois la cathédrale et la chapelle royale, celle-ci en occupant peut-être toute la moitié orientale de l’édifice427. Dans cette immense chapelle de structure étagée, où reposent les dépouilles de Ferdinand III, de sa femme Béatrice de Souabe et de leur fils Alphonse X, dont les effigies assises en majesté contemplent une Vierge des Rois, peut-être donnée par Louis IX de France, une vénération dynastique s’organise depuis la fin du xiiie siècle autour de la figure de Ferdinand III, qui ne sera cependant canonisé qu’en 1671428. Et, dans la foulée du règlement de sa succession, Pierre Ier fonde, dans cette chapelle des rois, sa propre chapelle en 1362, le transfert d’objets religieux et précieux qu’il programme alors de l’une à l’autre, en particulier du triptyque-reliquaire d’Alphonse X et du Lignum Domini429, donnant à son geste la dimension d’une refondation. Ce geste eut-il pour ambition de prolonger dans l’espace de l’ancienne mosquée le réaménagement entrepris dans l’alcazar ? Hormis une certaine concomitance chronologique, les éléments de réponse manquent. Remarquons toutefois que le déplacement de l’entrée de l’alcazar a comme conséquence de la placer face à l’arrivée dans la cathédrale-chapelle de l’ancien passage (sabat) par lequel le calife rejoignait son espace réservé (maqsūra) devant le miḥrāb430. La redistribution des lieux après la conquête conserve à cet espace occupé par la Chapelle Saint-Pierre une certaine prééminence, ne serait-ce que parce qu’il commande toujours la travée centrale de l’ancienne salle de prière, qui sépare désormais la cathédrale de la chapelle royale, et ouvre, au nord, sur le Patio de los Naranjos et, de là, sur l’accès principal au complexe depuis la ville, la Puerta del Perdón. L’enjeu spatial est donc ici celui d’une traversée nord-sud, ou l’inverse, qui paraît toujours possible au travers d’une poterne malgré la création de chapelles privatives dans ce secteur de l’ancien sabat en 1338431. La conséquence logique de l’alignement pétriste entre l’entrée de l’alcazar et la cathédrale-chapelle aurait-elle pu être l’ouverture ici d’un nouvel accès plus solennel ?
80Dans ce secteur en tout cas, l’actuelle Puerta del Príncipe de la cathédrale gothique sera ouverte à partir du xve siècle. Dans la fabrique de cette ouverture méridionale seulement finalisée au xixe siècle, le parcours de l’entrée royale a probablement joué un rôle essentiel432. Mais la riche relation donnée par la chronique d’Alphonse XI de l’entrée de ce roi à Séville en 1327 est cependant plus sensible aux jeux organisés sur le fleuve qu’au détail du parcours de ce roi dans la ville, encore qu’elle précise qu’il le réalise sous un dais433, dispositif repris de la célébration du Corpus Christi définitivement instituée par Rome en 1317434. Ce n’est qu’à partir surtout du règne des Rois Catholiques que la documentation permet de se faire une idée plus précise du parcours, sans doute aussi parce qu’il est alors davantage arrêté435. Ainsi, après l’entrée dans la ville par la Puerta de la Macarena, ce parcours prévoyait un accueil du prince à la Puerta del Perdón, sa visite ensuite à la cathédrale puis à la chapelle royale, et de là, son entrée dans l’alcazar. L’alignement produit par le réaménagement pétriste visait-il à mieux organiser spatialement la dernière phase du rituel d’entrée pour laquelle l’information manque à la fin du Moyen Âge, une phase qui tendait donc à lier, à partir de la Puerta del Perdón436, la cathédrale-chapelle et l’alcazar dans un même espace palatin437 ? Par ailleurs, cet alignement a-t-il compté dans l’organisation de cette prolongation rituelle de l’entrée royale que constitue la tenue d’audiences publiques, dont témoigne la série narrative que forment les entrées d’Henri III, d’Henri IV et d’Isabelle la Catholique à Séville438 ? Quoi qu’il en soit, sous l’écrasante frontière ayalienne, mais réduite quand on la rapporte à son ancrage spatial, la possibilité d’un tout autre tracé émerge ainsi, auquel les portes, porches et autres parvis monumentaux du réaménagement pétriste donnent des allures de voie triomphale.
81Pierre Ier avait-il prévu de pouvoir l’emprunter un jour telle une voie de sacralisation ? Dès 1360 ? À cette date, l’atelier monétaire situé entre la Puerta del León et la cathédrale-chapelle frappa un grand double d’or (fig. 4) pour commémorer le coup d’arrêt donné à Nájera à la tentative d’invasion de la Castille financée par l’Aragon, dont Henri de Trastamare avait pris le commandement après que l’infant don Fernando, cousin germain du roi, ait abandonné l’entreprise439. Exceptionnelle par sa taille et son poids, cette monnaie fut sans doute distribuée par Pierre Ier à ses alliés pour les récompenser de leur soutien. À l’avers, autour d’un innovant portrait (réaliste ?) du roi de profil et couronné, un verset d’un psaume (Psaumes, 118 [117], 7) proclame l’assurance d’un triomphe qui ne pouvait pas manquer de rappeler implicitement la figure de David440. Et la reprise de cette même devise sur des réaux d’argents frappés aussi par l’atelier sévillan, mais où le portrait du roi était remplacé — autre innovation — par l’initiale couronnée de son nom, lui donna sans doute un plus large écho (fig. 5)441.
82Faut-il retarder encore un peu l’hypothétique emprunt d’une voie de sacralisation ? À 1362-1364 ? Quand la refondation de la chapelle royale (1362) puis l’ouverture du chantier du nouveau Cuarto Real de la Montería (1364) entraînent le réaménagement pétriste dans une sorte de vis-à-vis entre deux chambres étagées, la cámara santa et la cámara regia, tandis que le roi règle sa succession (1362-1363) et que la paix de Murviedro (1363) avec l’Aragon permet d’envisager une hégémonie castillane dans la Péninsule ? Ou bien faut-il encore retarder à 1366 l’emprunt de cette voie hypothétique ? En réponse à la proclamation royale d’un Henri de Trastamare dont le chemin au trône de Castille avait été définitivement ouvert après Murviedro, par le meurtre de l’infant don Fernando sur ordre de son demi-frère Pierre IV d’Aragon ?
83Sur la porte de la Grande Qubba (plan 3, Salón de la Media Naranja) du nouvel appartement royal n’est pas seulement inscrite une longue dédicace en arabe donnant la période 1365-1366442. Au revers, regardant vers l’intérieur de la qubba, sont également inscrits, mais en latin, sur ses battants, l’appel lancé par David au Dieu justicier (Psaumes, 54 [53], 3-8), et sur ses guichets, le début de l’Évangile de saint Jean qui vaut rappel de la puissance créatrice de Dieu (Jean, 1, 1-7)443. De telles inscriptions rapprochent cette porte d’autres portes mudéjares, en particulier de celles à inscriptions eucharistiques identifiées comme d’anciennes portes de tabernacles444. La Grande Qubba du nouveau Cuarto Real, traditionnellement considérée comme une salle du trône, fut-elle en conséquence conçue tel un sanctuaire ? Et les inscriptions latines sur sa porte formaient-elles une formule propitiatoire destinée à le protéger de toute atteinte445, ainsi que le corpus regis qu’il était appelé à renfermer en certaines circonstances ? Doit-on envisager cette éventuelle construction pétriste comme un jalon perdu dans l’élaboration de l’image eucharistique du prince qui caractérisera l’absolutisme le plus achevé446 ? En ce sens, une certaine confusion fut-elle recherchée dans le marquage des réaux tout juste évoqués d’une initiale couronnée du nom du roi (P), qui pouvait bien faire penser au chrisme (☧) ? Alphonse VI, l’empereur, en avait usé dans l’une de ses frappes monétaires après la conquête de Tolède en 1085447. Mais pour tous, le chrisme était ce signe que la chancellerie royale continuait à placer en tête de ses actes les plus solennels, les privilegios rodados448. Certes minces, ces indices donnent toutefois l’impression d’un pouvoir en quête d’une sémiotique susceptible d’afficher une forme de consécration souveraine plus systématique449 — peut-on d’ailleurs comprendre en quelle guerre des signes se transforme la guerre civile sans envisager au préalable cette recherche précisément ? Dans cette quête, les inscriptions latines de la porte de la Grande Qubba seraient-elles le signe d’un miracle royal ?
84Car une perspective seulement atropopaïque n’est peut-être pas suffisante pour expliquer la formule obtenue par la conjugaison sur les battants et les guichets des versets du psaume 54 [53] et du début de l’Évangile selon saint Jean, d’autant qu’elle n’est seulement lisible ou visible qu’à porte close, et dans toute son étendue depuis un point reculé. La formule fut-elle destinée à rappeler à un roi, assis en majesté face à cette porte, le secret de son propre pouvoir ? C’est contre le Diable que l’Évangile selon saint Jean et les psaumes sont employés450. Il n’est certes pas nommé dans les inscriptions latines de la porte de la Grande Qubba — qui regarde cependant dans la direction du royaume des Ténèbres —, mais cela doit-il nous interdire de songer à la formule d’un exorcisme que le roi aurait été le seul à pouvoir pratiquer ? Álvaro Pais avait rapporté dans son Speculum Regum avoir vu Sanche IV libérer autrefois une femme de la possession du démon, en posant son pied sur sa gorge et en lisant les formules d’un petit livre tandis qu’elle l’insultait451. Les inscriptions de Séville sont-elles la trace d’une revendication de ce même pouvoir en 1366 ? Pierre Ier songea-t-il à en prévoir l’exercice dans la Grande Qubba de son nouvel appartement ? Face à l’autoproclamation royale tout juste réalisée par Henri de Trastamare, cette éventuelle revendication thaumaturgique pourrait avoir été une manière d’afficher son incontestable légitimité ainsi que sa pleine orthodoxie, tant religieuse que politique. Toutefois, la relation entre ces événements se joua-t-elle seulement en ce sens ? On pourrait interpréter le croissant prophétisme trastamariste, qui propageait l’idée que le tyran à abattre n’était autre que l’Antéchrist452, comme une réponse directe à cette politique de sacralisation. Dans cette perspective, la revendication par le roi d’un certain pouvoir thaumaturgique aurait été comme un point de non-retour pour de plus amples secteurs de la noblesse et de la société politique, ainsi que la condition de possibilité de la dénonciation d’un pouvoir tombé dans une sorte de déraison d’État453. Il y aurait là, sans nier l’importance de la guerre contre l’Aragon puis de l’internationalisation accrue du conflit dans le tour que prirent les évènements, une manière d’expliquer de façon plus interne et plus profonde l’échec de l’éventuel projet pétriste. Car si Pedro López de Ayala et nombre des hommes de sa génération et de son rang rejoignent définitivement le camp trastamariste en 1366454, c’est moins par adhésion à Henri que par rejet de Pierre, lequel ne semble pas avoir été capable après la mort d’Henestrosa en 1359 de faire passer la privanza/gobernanza d’une formule d’expulsion à un régime de participation. L’important ralliement de 1366 porte en conséquence un considérable défi au nouveau pouvoir trastamare : celui de devoir répondre à leur aspiration à un tout autre type de royauté. La privanza et les privados, sur lesquels pèse une condamnation morale au moins aussi forte que celle qui rend Pierre Ier proprement innommable455, ne sauraient a priori faire partie de la réponse. Pourtant, les règnes des premiers Trastamare achèvent de convertir la privanza en un régime politique.
Notes de bas de page
1 Dakhlia, 2005, pp. 63-88.
2 Sur ces chroniques royales, dont le format particulier fait rupture par rapport à la perspective plus générale des Estorias alphonsines : Gómez Redondo, 2000a ; Funes, 2003 ; Fernández Gallardo, 2010b, pp. 281-307.
3 Gómez Redondo, 1996 et 2000a ; Orduna, 1996.
4 Foronda, 2007c, § 13.
5 Gómez Redondo, 1998-2007, t. I, pp. 964-979 et t. II, pp. 1248-1263.
6 Membre du lignage vallisolétain des Tovar, Fernán Sánchez deviendra chancelier en 1352 (Moxó, 1973, 1975, pp. 13-21, et 1981, pp. 432-442 ; Díaz Martín, 1975, pp. 66-68, et 1987 ; Rucquoi, 1993a, pp. 169-173).
7 Voir le prologue de la chronique d’Alphonse X (Crónica de Alfonso X, pp. 3-4).
8 Parmi ces trois œuvres, voir plus particulièrement l’édition critique de la première réalisée par Patricia Rochwert-Zuili (Crónica de Castilla).
9 Fernández Gallardo, 2009.
10 Sur cette intervention et la production de la Crónica de tres reyes, voir les commentaires introductifs de Pablo Enrique Saracino à son édition de la chronique de Sanche IV (Crónica de Sancho IV, t. I, pp. vi-xiv), où encore le panorama convergent dressé par Carmen Benitez Guerrero dans son édition de la chronique de Ferdinand IV (Crónica de Fernando IV, pp. 22-47 ; Benítez Guerrero, 2014 et 2015).
11 Le molinisme désigne une action politique au moyen d’un investissement culturel en défense d’une légitimité dynastique. Cette action est celle de María de Molina, épouse de Sanche IV puis régente de Castille pendant les minorités de son fils, Sanche IV, et de son petit-fils, Alphonse XI (Gaibrois de Ballesteros, 1967). Dès lors, le molinisme désigne un temps qui englobe les années 1285-1350. Du point de vue de l’investissement culturel, si le domaine artistique n’est pas ignoré, l’essentiel est néanmoins une production littéraire marquée par une forte religiosité (Gómez Redondo, 2009 et 2012).
12 Jofré de Loaisa, Crónica de los reyes de Castilla (a), pp. 325-333 ; Jofré de Loaisa, Crónica de los reyes de Castilla (b), pp. 13-69 ; Hernández, 1980 ; Martínez, 2005 ; Rochwert-Zuili, 2019.
13 Crónica de Sancho IV, t. I, pp. cxlv-clxxiii ; Saracino, 2014.
14 Gómez Redondo, 2000b.
15 Id., 1998-2007, t. II, pp. 1263-1284.
16 González Mínguez, 2012 ; Benítez Guerrero, 2013 ; Rochwert-Zuili, 2015.
17 Sur le règne de Sanche IV, outre Gaibrois de Ballesteros, 1922-1928, voir Nieto Soria, 1994.
18 Crónica de Sancho IV, t. II, p. 30. La privauté de ce personnage a donné lieu à une réappréciation récente, qui tient compte en particulier de sa fonction de iussor dans l’expédition des lettres royales (Hernández, 2016). Sur cette fonction au sein de la chancellerie royale sous les règnes d’Alphonse X et de Sanche IV : Kleine, 2015.
19 Hernández, Linehan, 2004.
20 Hernández, 1978, pp. 307-308, et 1993, pp. lxv-lxix ; Linehan, 1993, pp. 549-556 ; Hernández, Linehan, 2004, pp. 349-363.
21 Hernández, Linehan, 2004, pp. 3-30.
22 La chronique attribue ainsi la condition de privado à des personnages tels que les amiraux Fernán Pérez Maimón (Crónica de Sancho IV, t. II, pp. 21, 126 et 170) et Pay Gómez Cherino (ibid., p. 126), le grand justicier de la maison du roi Ruy Paez de Sotomayor (ibid., pp. 35 et 47), le portugais Alfonso Godínez (ibid., p. 48), l’adelantado Esteban Pérez Frolaz, l’ancien grand justicier d’Alphonse X Tello Gutiérrez, le chambrier Juan Mathe de Luna ou encore le chevalier Diego Gómez de Mendoza (ibid., p. 126).
23 Pour la divergence des avis ou des positions : Crónica de Sancho IV, t. II, pp. 47, 48, 51, 72 et 126.
24 Cet examen est confié à ses ennemis selon la chronique, à savoir don Lope mais encore l’archevêque don Gonzalo (Crónica de Sancho IV, t. II, pp. 40-41. Ce dernier agit probablement ici comme exécuteur de l’inimitié de la reine envers un privado qui avait imprudemment accepté, au cours des négociations avec la France en vue d’obtenir du Saint-Siège une dispense rétroactive destinée à légitimer l’union de Sanche IV avec María de Molina, le principe d’un mariage du roi avec une sœur de Philippe le Bel sans en avertir quiconque (Marcos Pous, 1956, pp. 49-53).
25 Libro de 1290, Libro de 1292 et Padrón de las aljamas (Hernández, 1993). Il convient d’ajouter le livre de dépenses couvrant la période 1292-1294 (Gaibrois de Ballesteros, 1922-1928, t. I, pp. iii-cii ; López Dapena, Cuentas y gastos). Pour une exploitation de ces comptes de dépenses en vue de préciser la structure des offices supérieurs et de la maison du roi : Vázquez Campos, 2004 ; Coussemacker, 2013.
26 Voir en ce sens comment la chronique présente don Lope inquiet de se voir exclu de la faveur du roi en raison de la privanza de l’abbé (Crónica de Sancho IV, t. II, pp. 32-33).
27 Baury, 2011.
28 González Jiménez, 2004, pp. 295-371.
29 Crónica de Alfonso X, pp. 215, 220 et 240.
30 Ibid., p. 223.
31 Funes, 1993, 1994 et 2016 ; Martin, 1994 ; Arias Guillén, 2012.
32 Marcos Pous, 1956.
33 Saracino, 2009, 2010 et 2014.
34 Jofré de Loaisa, Crónica de los reyes de Castilla (b), 39, pp. 130-131.
35 Ibid., 40, pp. 132-133. Sur l’infant don Juan : González Jímenez, 2009.
36 Si la chronique de Sanche IV insiste sur la crainte de María de Molina de voir le roi revenir à son union avec Guillemette de Béarn-Moncade sur les conseils de don Lope (Crónica de Sancho IV, t. II, p. 47), remarquons que le mariage entre sa fille et l’infant don Juan présente pour la reine et sa descendance, alors toujours illégitime aux yeux de Rome, un risque bien supérieur de déplacement dynastique en cas de mort prématurée de Sanche IV. La machination à laquelle fait référence Loaisa, si elle fut réelle, visait-elle à provoquer la mort du roi et à favoriser ainsi une succession adelphique en faveur de l’infant don Juan et des futurs petits enfants de don Lope ?
37 Pour une présentation de ce cycle : Crónica de Sancho IV, t. I, pp. cxcix-cciii ; Saracino, 2014.
38 La chronique présente quatorze occurrences du verbe ou de l’adjectif. Trois occurrences renvoient au sens militaire ou poliorcétique de l’emparement (Crónica de Sancho IV, t. II, chap. 6, p. 115, et chap. 7, p. 132). Les onze autres occurences sont liées à don Lope et désignent sa mainmise sur le pouvoir du roi ou la manière dont ce dernier s’en voit privé par don Lope (ibid., chap. 3, pp. 47 et 52 [trois occurrences], et chap. 4, pp. 62, 67, 68 et 77 [huit occurrences]).
39 Ibid., chap. 3, p. 53. Ce terme est à plusieurs reprises souligné par Pablo Saracino dans ses études précédemment citées sur la chronique de Sanche IV. Dans mon étude sur la peur du roi, à propos de la peur vaine, j’avais indiqué l’emploi du terme imaginación en lien avec les troubles de l’âme, voire mentaux (Foronda, 2007c, note 42).
40 Crónica de Sancho IV, t. II, p. 68.
41 Round, 1986, pp. 130-158 ; Foronda, inédit 2, t. I, pp. 295-319 et 2018b.
42 Foronda, 2005.
43 Jofré de Loaisa, Crónica de los reyes de Castilla (b), pp. 132-133.
44 J’emprunte ce terme de noyautage à Raymond Cazelles, qui caractérise ainsi la mainmise de Charles de Navarre sur le conseil royal de Jean II le Bon de France (Cazelles, 1982, pp. 147-150).
45 D’après la chronique, les principaux membres de cette faction parmi les privados/conseillers sont le justicier de la maison du roi Ruy Paez de Sotomayor, les adelantados ou merinos des royaumes de León, Galice et Asturies, Esteban Núñez Churruchano et Esteban Pérez Florían, et enfin Alfonso Godínez (Crónica de Sancho IV, t. II, pp. 47-48).
46 Ibid., t. II, p. 46.
47 Ibid., t. II, pp. 51-52.
48 Ibid., t. II, p. 46.
49 Ibid., t. II, pp. 46-50.
50 Comme le souligne Mercedes Gaibrois, le document d’affermage du 1er juin 1287 laisse entendre l’existence d’un contrat préalable, qui fut peut-être souscrit à la même date et en complément de ce contrat d’alliance du 1er janvier (Gaibrois de Ballesteros, t. I, p. 145 et pp. clxxxv-clxxxix). L’actualisation de ce contrat permet de compléter la liste des principaux membres de la faction de don Lope. Il est en effet souscrit sur le conseil du frère du roi, de don Lope, de Diego López Salcedo, de Pedro Díaz, de Nuño Díaz de Castañeda, tous trois parents de don Lope, de Ruy Paéz de Sotomayor et de Sancho Martínez de Lleyva, merino de Castille (ibid., t. I, p. clxxxv).
51 Il convient de rappeler ici le schéma de synthèse que propose Francisco J. Hernández à propos de cette distribution des gages à la fin du xiiie siècle, et plus particulièrement le rôle directeur qu’il attribue à l’infant héritier dès son enfance, l’objectif étant de lui assurer ainsi un suivi nobiliaire susceptible de faciliter sa succesion au trône (Hernández, 1993, p. xliv, et, plus amplement, pp. xxvii-xxxiv). En prenant le contrôle de cette distribution, don Lope paraît donc s’emparer d’un des rouages clientélaires destinés à lever d’éventuels obstacles lors de la transmission de la Couronne. Ce contrôle des gages semble d’ailleurs tendre les relations entre le frère du roi l’infant don Juan et don Lope, le premier prenant la tête d’un front de nobles de León et de Galice mécontents de devoir s’adresser au comte pour obtenir leurs gages et réclamant à Astorga, où le roi assiste à l’intronisation épiscopale de son privado don Martín González, un retour à une gestion plus directe du patronage royal (Crónica de Sancho IV, t. II, pp. 57-62).
52 Pascua Echegaray, 2002-2003.
53 Il s’agit d’Alfonso Godínez et d’Esteban Pérez Florián, auxquels Pay Gómez Cherino prête son concours. Parmi les partisans du retour en grâce de don Juan Núñez I de Lara, la chronique indique Diego Gómez de Mendoza, Tello Gutiérrez, Fernán Pérez Maimón et Juan Mate (Crónica de Sancho IV, t. II, pp. 126).
54 Ibid., t. II, chap. 7, pp. 121-138.
55 Ibid., t. II, p. 126.
56 Quoi qu’il en soit, la rupture définitive entre l’évêque d’Astorga et don Lope se produit à l’automne 1287, quand ils restent tous les deux à Burgos à la tête du gouvernement, tandis que le roi rejoint le roi de Portugal pour assiéger la place d’Arronches, où s’est retranché Alvar Núñez de Lara avec l’aide de l’infant Alphonse de Portugal. Le roi est accompagné par cette noblesse qui lui avait présenté à Astorga ses griefs à propos du contrôle exercé par don Lope sur la distribution des gages. Cette distribution et, plus amplement, l’accord financier établi en janvier puis revu en juin, sont probablement à l’origine du conflit entre le Juif du comte, Samuel de Bilforado, et Abrahem Barchilón, présenté ici par la chronique comme le Juif du roi, que l’évêque arbitre en faveur de ce dernier. Le violent échange qui s’en suit, entre l’évêque et don Lope, représente un point de non-retour dans leur relation (Crónica de Sancho IV, t. II, pp. 65-66).
57 Rochwert-Zuili, 2015.
58 La fausse bulle de dispense pontificale de 1292 marque peut-être un tournant (Marcos Pous, 1956, pp. 72-81).
59 Bizzarri, 2004, pp. 19-21.
60 Krynen, 1993, p. 227.
61 Haro Cortés, 1996, pp. 49-53.
62 Castigos del rey don Sancho IV, chap. xi, pp. 142-146. Pour une analyse récente de cette vision, ainsi que de sa transposition iconographique dans le manuscrit destiné à Jean II de Castille autour des années 1420, évoquée dans la première partie : Haro Cortés, 2014, pp. 88-98.
63 Pour un tableau complet de ces usages : Gutiérrez Baños, 1997, pp. 64-98. Sur la couronne dite de Sanche IV, avec laquelle le roi est enterré à Tolède, qui est un modèle ouvert, composé de huit plaques rectangulaires articulées, alternant saphirs et camés, surmonté du symbole héraldique répété du royaume de Castille, voir Bango Torviso, 2014-2015.
64 Castigos del rey don Sancho IV, chap. xvi, p. 168.
65 Sur l’assomption du roi dans la chaîne de transmission des savoirs mise en scène dans le prologue du Lapidario : Cano Aguilar, 1989-1990 ; Fournès, 2001 ; Lacomba, 2007.
66 Gómez Redondo, 1998-2007, t. I, pp. 365-387.
67 Las Siete Partidas, II, v, 5.
68 Dragon, 1996, pp. 69-70.
69 Dans le manuscrit des Partidas conservé à la British Library, que le scriptorium royal réalise probablement au moment de la rédaction des Castigos, la figure de Moïse commande souterrainement le dispositif iconographique adopté pour représenter la dictée et, surtout, la dédicace du code (Foronda, 2007d). L’hypothèse avancée plus récemment, sans réelle argumentation, de la figure d’un David repentant à propos de cette scène de dédicace ne me paraît pas convaincante (Ruiz García, 2009, p. 393). Si la figure représentée, celle du roi législateur, et la matière de cette Primera partida, qui légifère en matière ecclésiastique et religieuse, appellent bien une comparaison avec les représentations contenues dans les manuscrits juridiques, mais plus spécialement ceux du décret, les représentations dans ce cadre ne font jamais intervenir la figure de David et confirment bien la piste mosaïque pour la scène de dédicace (Melnikas, 1975, t. I, pp. 23-104 sur les miniatures de la Pars I).
70 Ainsi, les nombreuses vertus dont doit s’armer le roi sont en général rapportées au De preconiis hispanie que le précepteur de Sanche IV, frère Juan Gil de Zamora, acheva de rédiger en 1278 (Nieto Soria, 1994, pp. 160-163 ; Haro Cortés, 2014, pp. 96-98). Le détail du livre de jugements, de lois et de droits présenté au roi du songe pourrait indiquer la lecture du De regno de saint Thomas d’Aquin (I, 16), qui rappelle, lorsqu’il introduit la question des vertus que le roi doit posséder et savoir insuffler en ses sujets, l’obligation faite au futur roi d’Israël de détenir une copie de la Loi, afin qu’il puisse, une fois installé sur le trône, suivre et appliquer les commandements divins, et être ainsi prolongé dans sa royauté (Deutéronome, 17, 18-20). Enfin, la salle surchargée d’écriture dans laquelle trône le roi des Castigos peut faire écho à la sagesse que Çendubete inscrit sur les murs du palais qu’il fait édifier pour instruire le fils du roi du Sendebar (pp. 72-73).
71 Voir aussi Exode, 39, 1-32.
72 Pannier, 1882, pp. 209-217 ; Gontero, 2006 ; Pasero Díaz-Guerra, 2017.
73 Voir aussi Exode, 27, 9-19 ; 36, 8-38 ; 38, 9-20 ; et 40, 1-38.
74 À propos d’Aaron, rappelons simplement quelle place tient sa désignation dans le Coran comme wazīr de Moïse dans l’adoption de ce titre dans une cour abbasside soucieuse de rehausser la majesté du calife.
75 Castigos del rey don Sancho IV, chap. xvii, p. 172. Cette exhortation complète la précédente, qui consiste à engager le fils à bien choisir les hommes, comme il ne manquerait pas de le faire, en bon lapidaire, s’il s’agissait de pierres précieuses (ibid, chap. xvi, p. 168).
76 Gómez Redondo, 1998-2007, t. I, pp. 1029-1092, plus spécialement pp. 1055-1080 sur cette version du Chevalier au cygne.
77 Paris, 1890, pp. 320-321 ; Engelmann, 1974, pp. 105-106 ; Lliteras, 1995.
78 Le passage en question prend place après l’arrivée du chevalier au cygne à la cour de l’empereur à Nimègue, où il va prendre la défense des intérêts de la duchesse de Bouillon et de sa fille face au duc de Saxe. La salle de justice dans laquelle l’empereur réunit un conseil de vingt-quatre barons afin de régler les modalités du gage de bataille fait l’objet d’une description attentive. Sur les murs historiés s’inscrit la mémoire de la geste troyenne, d’Alexandre et d’autres hauts faits. Devant les chaises où prennent place les barons, un tabernacle d’ivoire renferme l’image ou l’effigie d’un roi assis sur son trône. L’image est d’argent, couverte d’une couronne d’or sertie de pierres précieuses, lesquelles recouvrent aussi les habits et le manteau du roi. Elle présente la particularité d’avoir un bras droit articulé, qui s’avance ou se contracte selon la décision prise par les vingt quatre membres du tribunal (Gran conquista de Ultramar, p. 43). Si la rédaction de ce passage date bien du début des années 1290, il convient de mentionner l’existence préalable d’une effigie de roi probablement articulée en Castille, celle de Ferdinand III dans la chapelle royale de Séville (Laguna Paúl, 2012, pp. 191-195). Par ailleurs, il est inconcevable de ne pas mentionner à présent un autre automate, étroitement lié lui aussi à une forme de célébration monarchique, celui de saint Jacques, conservé au monastère de Las Huelgas, mis en rapport, en général, avec l’adoubement d’Alphonse XI en 1332 (Martínez Martínez, 2014).
79 González Mínguez, 1976, 1995 et 2004.
80 Le tableau de cette situation dressé par Jofré de Loaisa, quelques années plus tard, est particulièrement éclairant (Jofré de Loaisa, Crónica de los reyes de Castilla (b), pp. 160-183).
81 CLC, t. I, pp. 130-133 (2, 3, 4 et 8).
82 Foronda, 2005-2006 et 2007b.
83 Joffré de Loaisa, Crónica de los reyes de Castilla (b), pp. 182-183.
84 CLC, t. I, pp. 56 et 93.
85 Crónica de Fernando IV, chap. i, p. 240, ligne 17.
86 Ibid., chap. iii, 2, p. 284.
87 Ibid., chap. v, 7, p. 303.
88 CLC, t. I, p. 435 (1).
89 O’Callaghan, 1986, doc. 1, p. 320 (2).
90 Ibid., p. 320 (3).
91 Ibid., p. 321 (13).
92 CLC, t. I, p. 146 (1).
93 Ibid., t. I, p. 152 (1).
94 Ibid., t. I, pp. 155-156 (14).
95 Ibid., t. I, p. 164 (9)
96 Ibid., t. I, pp. 163 (7), 171 (6), 175 (5), 180 (2). Cette demande de sauvegarde réitérée est sans doute la conséquence de l’emprisonnement des deux bons hommes de Santander décrété par le noble Juan de Haro (O’Callaghan, 1986, doc. 1, pp. 322-323 [25]).
97 CLC, t. I, p. 176 (15).
98 Ibid., t. I, pp. 176-177 (16).
99 Ibid., t. I, p. 185 (1).
100 Ibid. t. I, p. 198 (1).
101 Ibid., t. I, pp. 198-199 (2). Sur cette assemblée de 1312 : González Mínguez, 1995, pp. 237-245. Pour une contextualisation de cette assemblée depuis la perspective de l’implication des Cortes dans le gouvernement du royaume : O’Callaghan, 1989, pp. 169-189, plus particlièrement 175-178 sur le tribunal de cour. Enfin, sur le temps de la première moitié du xive siècle dans l’institutionnalisation de l’Audience, actée en 1371 : Garriga Acosta, 1994, pp. 33-58.
102 Le rayon du rastro passe d’une lieue — Cortes de Zamora en 1274, où est établie la définition des cas royaux — à cinq lieues — Cortes de Burgos en 1308 et de Valladolid en 1312 (Foronda, 2011c).
103 Jofré de Loaisa, Crónica de los reyes de Castilla (b), pp. 206-207. Juan Núñez II est par deux fois le cousin germain par alliance du roi, d’abord en raison de son mariage en 1295 avec María Díaz de Haro, fille de l’infant don Juan et de María Díaz de Haro, fille de don Lope. Et il l’est une seconde fois en raison de son remariage avec une autre María Díaz, fille cette fois du frère de don Lope, don Diego López V, et de l’infante doña Violante, sœur de Sanche IV.
104 Buc, 1994, pp. 118-120
105 À deux reprises dans le même passage (Crónica de Fernando IV, chap. ix, 9, p. 334).
106 Crónica de Fernando IV, chap. ix, 9-11, pp. 333-334 et 14-21, pp. 336-338.
107 Il s’agit de la mort du chevalier flatteur Lorenzo Yáñez de Liria, qui meurt sans avoir pu se confesser, car une attaque lui a fait perdre la raison et la voix (Crónica de Fernando IV, chap. ix, 25, pp. 339-340).
108 Il s’agit des morts du chambrier Sancho Ruiz de Escalante et du trésorier juif du roi don Simuel en 1306. Le premier meurt au cours de la nuit du Jeudi saint, tué par des inconnus à coup de masse, sans que ses deux autres compagnons de lit, et de beuverie, ne se réveillent (ibid., chap. xiv, 1, p. 397). Quatre jours après, le roi est informé de la mort de don Simuel, de maladie, mais qu’un inconnu avait tenté de tuer d’un coup de couteau quelques temps auparavant à Badajoz (ibid., chap. xii, 2, p. 372).
109 Ibid., chap. x, 4, pp. 343.
110 Ibid., chap. xi, 16, p. 357
111 Ibid., chap. xvi, 1, p. 444.
112 Ibid.
113 Lettre de Ferdinand IV au roi Jacques II d’Aragon du 22 mars 1308 (Giménez Soler, Don Juan Manuel, doc. clxxix, p. 354). Remarquons que lors de l’entrevue, selon la chronique de Ferdinand IV, María de Molina défend une option qui revient à appliquer la solution de 1295, soit un renvoi soumis à enquête préalable (Crónica de Fernando IV, chap. xvi, p. 473 [1]).
114 O’Callaghan, 1989, doc. 2, p. 324 (2).
115 Moxó, 1981.
116 Ibid., 1981, pp. 432-442.
117 Ibid., pp. 458 et 468.
118 Ibid., pp. 458-468.
119 Ibid., pp. 468-479.
120 González Crespo, 1981.
121 Jular Pérez-Alfaro, 2002, pp. 152-160.
122 L’analyse récente de l’intégration nobiliaire aux offices courtisans pendant le règne de Ferdinand IV ne me semble pas assez distinguer les différents niveaux de cette noblesse (Correa, 2016).
123 Ce vœu de redressement explique probablement que le roi, aux Cortes de Burgos, prenne le soin de justifier la mutation des offices qui lui est imposée en raison du conseil qui lui a été donné en ce sens, et parce qu’il estime que cela est mieux (mexor) ainsi (O’Callaghan, 1989, doc. 2, p. 324 [2]). La comparaison avec le préambule de l’ordonnance française de 1254 invite à envisager cette idée d’amélioration depuis la perspective de l’idée de réforme (« statum regni reformandum in melius », Ordonnances des roys de France de la troisième race, t. I, p. 67).
124 Alliance souscrite le 11 mai 1308 à Valencia de Campos et sa confirmation à Burgos le 30 mai (Masía de Ros, Relación castellano-aragonesa, doc. 113bis/325, p. 221, et doc. 114/326, pp. 224-225).
125 Foronda, 2007c et 2013a.
126 Crónica de Sancho IV, t. II, chap. 7, pp. 121-138.
127 Gauchet, 1981, pp. 143-144.
128 Lettre de Jacques II d’Aragon du 9 octobre 1303 à don Juan Manuel et la réponse de ce dernier du 22 octobre (Gímenez Soler, Don Juan Manuel, doc. lxxxiv et lxxxv, pp. 292-293).
129 Crónica de Fernando IV, chapitre xvi, 56-57, pp. 479-480.
130 Rappelons que cet argument de la jeunesse du roi (boyhood) sera employé pour dénoncer une masculinité (manhood) imparfaite dans le cas de Richard II d’Angleterre (Fletcher, 2005).
131 Ces accès se concentrent dans le chapitre xvi de la chronique de Ferdinand IV (ibid., pp. 444-501). L’information sur l’accès de peur de 1311 peut être complétée grâce aux échanges épistolaires entre le roi d’Aragon, ses informateurs et certains protagonistes de cette émotion. Voir la lettre adressée au roi d’Aragon par son informateur en Castille le 8 février 1311 (Giménez Soler, Don Juan Manuel, doc. ccxvi, p. 385), la demande d’information adressée par le roi d’Aragon à don Juan Manuel le 20 février (ibid, doc. ccxviii, pp. 386-387), la réponse de don Juan Manuel le 6 mars (ibid., doc. ccxix, pp. 387-388), et les lettres de mars et avril informant de la résolution de cette crise (ibid., doc. ccxx, ccxxi, ccxxii, pp. 389-391). Sur ce dossier : Foronda, 2007c, § 19 ; Crónica de Fernando IV, pp. 118-119.
132 Outre la chronique de Ferdinand IV et la concorde déjà évoquée du 11 mai 1308, voir la lettre de l’infant don Juan au roi d’Aragon du 17 juin 1311 ; celle de García López, grand maître de Calatrava, à Gonzalo García, conseiller du roi d’Aragon, du 13 septembre 1311 ; et celle de García de Echauri, archidiacre de Tarazona, au roi d’Aragon, du 25 septembre 1311 (Giménez Soler, Don Juan Manuel, doc. clxxxiii, ccxxvi, ccxxxi et ccxxxii, pp. 355-358, 393-394 et 397-400 ; Masía de Ros, Relación castellano-aragonesa, doc. 113 bis, 114, 115, 141 et 143 [1 et 2], pp. 221-227 et 265-272).
133 Lettre du 25 septembre 1311 (Gímenez Soler, Don Juan Manuel, doc. ccxxxii, pp. 398-400).
134 Sur l’association entre privados et ponction fiscale dans ce discours aristocratique, voir également la lettre du 13 septembre adressée par le grand maître de Calatrava à un conseiller du roi d’Aragon (ibid., doc. ccxxxi, pp. 397 : « el reino se astragava con pechas »).
135 Il s’agit de la reine-mère, du frère de Ferdinand IV, l’infant don Pedro, de don Juan Manuel, de don Juan Núñez II, et des évêques de Palencia, d’Astorga, d’Orense et de Zamora. L’identité des hommes des villes n’est pas précisée dans le courrier de l’archidiacre.
136 Crónica de Fernando IV, chap. xvi, 7, p. 448.
137 Dans la lettre du grand maître de Calatrava déjà mentionnée, celui-ci indique l’intention des ligueurs d’attirer les villes à leur alliance, au moyen de l’engagement d’une absence de levées pendant cinq ans (Gímenez Soler, Don Juan Manuel, doc. ccxxxi, pp. 397).
138 Salazar y Acha, 2000, pp. 245-254.
139 Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, p. 26.
140 La charge de notaire du royaume de Tolède et de chancelier assumées par Fernán Gómez de Toledo et celle de chancelier du sceau du secret exercée par Diego García de Toledo laissent penser pour tous deux une certaine formation en droit, mais acquise dans un cadre urbain, voire à la chancellerie même, plutôt qu’à l’université. L’absence d’information sur leur formation interdit en tout cas de voir dans ces hommes un groupe de légistes comparable à celui qui entoure le roi de France au même moment.
141 CLC, t. I, pp. 221-233.
142 Ibid., t. I, pp. 233-247.
143 Ibid., t. I, pp. 222-223 (2) et 235 (4).
144 Un simple indicateur statistique permet de vérifier cette différence : « Juif », au singulier, au pluriel, au masculin et au féminin, est employé quarante trois fois dans le cahier des Cortes assemblées par l’infant don Juan, contre sept fois seulement, au singulier et au pluriel, dans le cahier des Cortes concurrentes. Remarquons cependant que cette forte différence est pour partie produite par la reprise, dans le premier de ces deux cahiers, de dispositions légales antérieures. Pour une mise en perspective de l’antijudaïsme en Castille pour la période 1250-1350 : Monsalvo Antón, 1985, pp. 207-225.
145 CLC, t. I, pp. 230 (31) et 241 (25).
146 Ibid., t. I, p. 224 (6). Dans ce cahier, privados est empoyé à deux reprises.
147 Huit occurrences de la maison du roi dans le cahier.
148 CLC, t. I, p. 226 (20).
149 Ibid., t. I, p. 224 (10).
150 Ibid., t. I, p. 226 (19).
151 Ibid., t. I, p. 235 (2).
152 Ibid., t. I, p. 235 (3).
153 Deux occurrences seulement dans le cahier.
154 CLC, t. I, p. 236 (8).
155 Ibid., t. I, p. 235 (6).
156 Ibid., t. I, p. 239 (19).
157 Dix-sept emplois.
158 La nouvelle édition critique de l’œuvre propose une rédaction comprise après 1306 — en raison de l’identification comme source du traité du Manipulus florum de Thomas d’Irlande dont la circulation à Paris commence après cette date — et 1336 — cette deuxième date est moins argumentée cependant (Libro del consejo e de los consejeros, pp. 15 et 40-44).
159 Parmi les témoignages européens, voir l’édition récente du récit de l’Anonyme romain, Chronique, pp. 109-126.
160 Moxó, 1973, 1975 et 1981.
161 Martin, 2004.
162 Daumet, 1923 ; Boulton, 1987, pp. 46-95 ; García-Díaz, 1991 ; Ceballos-Escalera y Gila, 1993.
163 Cette pratique du concubinage compte un précédent important, d’origine léonaise, comme le montre tout spécialement le cas d’Alphonse IX (Calderón Medina, 2011, pp. 115-122 et 274-275 en particulier). Rééditée sous le règne de Pierre Ier, cette pratique sera également utilisée avec cette même ambition de satellisation nobiliaire en Navarre sous le règne de Charles III le Noble. Cet entrisme royal doit être mis en perspective par rapport à l’autre pratique de gestion des relations entre le lignage royal et les lignages nobiliaires qui est l’élimination (Genet, 2010).
164 Díaz Martín, 1997.
165 Monsalvo Antón, 1988, pp. 146-152.
166 Foronda, 2018a.
167 Id., inédit 2, t. I, pp. 185-195, 2006, pp. 84-88 et 2007c, § 20 en particulier.
168 Estepa Díez, 2004a.
169 Rodríguez Velasco, 2009.
170 Id., 2012.
171 Arias Guillén, 2012b.
172 Id., 2016.
173 Foronda, inédit 2, t. I, pp. 183-184 et 195.
174 Crónica de Alfonso XI, p. 181.
175 Ibid., p. 344.
176 Ibid., p. 345.
177 Ce rôle de la mesnie pointait déjà dans la chronique de Ferdinand IV (Crónica de Fernando IV, chap. xv, 3, p. 422 et chap. xvi, 26, p. 462, la mesnada est commandée ici par Sancho Sánchez de Velasco).
178 Crónica de Alfonso XI, pp. 197-198. Le tableau tant de la désolation du royaume que des qualités du prince est étroitement lié aux considérations urbaines sur l’état du royaume pendant les Cortes de la minorité, ou encore aux qualités requises et rappelées pour le précepteur du roi pendant ces mêmes assemblées.
179 Ibid., pp. 198-199.
180 Ibid., p. 199.
181 Alvar Núñez est sans doute lié au parti royal et moliniste dès 1315, date à laquelle il jure aux côtés de son oncle l’un des réglements de la tutelle (CLC, t. I, pp. 261-262 [25]). Sancho Sancho de Velasco, Fernán Gómez de Toledo et Diego García de Toledo se trouvent également parmi les jurataires.
182 Crónica de Alfonso XI, pp. 210-211.
183 Poema de Alfonso Onceno, strophe 292, p. 102.
184 Crónica de Alfonso XI, p. 210.
185 Poema de Alfonso Onceno, par exemple strophes 249 (« ya un bando es partido ») et 252 (« gran bando avedes partido »), p. 94, suite à l’élimination de don Juan el Tuerto. L’expression s’oppose à celle de « tomar bando ».
186 Crónica de Alfonso XI, pp. 198-199.
187 Poema de Alfonso Onceno, pp. 80-81.
188 Ibid., p. 80. Davantage que la chronique, le Poema de Alfonso Onceno fait porter aux privados la responsabilité de cette politique. Voir plus particulièrement les strophes relatives à l’élimination de don Juan el Tuerto (ibid., strophes 189-247, pp. 84-247).
189 Crónica de Alfonso XI, pp. 202-203. Craignant la mauvaise influence de Garcilaso de la Vega sur le roi, don Juan el Tuerto s’en remet en 1326 à l’autre más privado, Alvar Núñez, qui lui accorde sa foi et sa sauvegarde. Ainsi rassuré, don Juan se rend avec lui auprès du roi qui lui fait bonne chère et l’invite à venir déjeuner avec lui le lendemain. Mais ce jour de Toussaint, malgré la garantie accordée, le piège se referme : le roi ordonne son exécution et le fait condamner ensuite pour trahison.
190 Ibid., p. 219. Le procès pour trahison se tient là aussi post-mortem, devant le cadavre de don Alvar Núnez, que le roi ordonne ensuite de brûler.
191 Ibid., p. 263. La chronique du roi indique cette fois une procédure judiciaire suivie d’une exécution. Dans les années 1370, cette version est retouchée dans la Gran Crónica de Alfonso XI impulsée par les Trastamare, comme s’il s’agissait de régler un vieux débat qui mine son image. Il porte précisément sur la question de la sauvegarde et sa vulnération, dont la responsabilité est attribuée aux privados. Selon cette version en effet, ceux-ci conseillent au roi de convoquer don Juan Alfonso, de lui accorder une sauvegarde s’il venait à alléguer la peur pour ne pas répondre à la convocation royale, puis d’ordonner son exécution, car le parjure préalable de don Juan Alfonso, qui n’était pas venu prêter main forte à Gibraltar, exemptait de toute façon le roi de toute culpabilité dans cette rupture de sauvegarde (Gran Crónica de Alfonso XI, t. II, pp. 88-89).
192 Ibid., pp. 304-305.
193 Lettre de dénaturalisation adressée par don Juan Manuel au roi d’Aragon, le 30 juillet 1336 (Giménez Soler, Don Juan Manuel, doc. dxxxix, pp. 622-624) ; Gautier-Dalché, 1982 ; Carette, 2009. Sur la précédente dénaturalisation de don Juan Manuel, en 1327 : Cela Heffel, 2016. La pratique prend son sens au regard du concept de naturalité dont le sens tend à se territorialiser sur la période : Martin, 1995, 2008 et 2013 ; Estepa Díez, 2010b.
194 CLC, t. I, pp. 444-448 (1-8).
195 CLC, t. I, pp. 450- 452 (14-29).
196 Las Siete Partidas, VII, ii, 1 ; Ordenamiento de Alcalá, 32, 5 ; ces aspects sont discutés et mis en perspective dans mon article sur les procès politiques, Foronda, 2015a.
197 La conscience de l’excellence de son lignage est telle que don Juan Manuel engage son fils à ne se soumettre qu’à Dieu ou à son représentant sur terre, le roi (Juan Manuel, Libro enfenido, pp. 948-950). Sur l’auteurité manuéline, la plus récente approche monographique : Savo, 2014.
198 Juan Manuel, Libro de los estados, pp. 611-612.
199 Ibid., pp. 625-627.
200 Ibid., pp. 627-629.
201 Ibid., p. 629.
202 Juan Manuel, Libro enfenido, p. 960.
203 Id., Libro del conde lucanor, pp. 864-868. Dans le dernier chapitre du Libro enfenido, où don Juan Manuel distingue quinze formes d’amour et d’amitié, l’auteur dit n’avoir, après cinquante ans d’existence, qu’un seul ami, dont il préfère taire le nom (Id., Libro enfenido, p. 972).
204 Id., Libro de las armas, pp. 992-997.
205 Id., El conde Lucanor, p. 856.
206 Crónica de Alfonso XI, pp. 211-212.
207 Il est expressément exclu du pardon de 1338 (CLC, t. I, p 448 [8]).
208 Crónica de Alfonso XI, pp. 210-211.
209 Josserand, 1998.
210 Crónica de Alfonso XI, pp. 214-220.
211 Ibid., p. 217.
212 Ibid., p. 219.
213 Ibid., p. 210.
214 CLC, t. I, p. 401.
215 « por el grant poder que el dicho traydor auia comigo (ibid., t. I, p. 416 [38]) ; « al tiempo que Aluar Nunnes el traydor andaua enla mi casa » (ibid., t. I, p. 434 [81]).
216 Ibid., t. I, pp. 401-437.
217 Ibid., t. I, p. 402 (1).
218 Ibid., t. I, pp. 402-403 (2).
219 Ibid., t. I, pp. 410-411 (24).
220 Ibid., t. I, pp. 414-415 (34).
221 Le Flores de filosofía et le Cien capítulos (Bizzarri, 2000, p. 73 [entrée J.I.60.16]), ou encore une littérature romanesque attentive aux maximes et enseignements de la littérature doctrinale (Libro del caballero Zifar, p. 277), relaient en effet cette promesse d’éternité pour le roi justicier.
222 CLC, t. I, p. 415 (35).
223 Ibid., t. I, pp. 410-411 (24).
224 Ibid., t. I, p. 415 (36).
225 Ajoutons que les villes demandent en outre au roi d’interdire à ses privados et officiers de sa maison de se porter acquéreurs des rentes affermées, publiquement ou en secret (ibid., t. I, p. 411 [25]). L’interdiction souhaitée par les villes concerne les riches hommes, infanzones, chevaliers et écuyers puissants ainsi que les officiers aux Cortes de Burgos en 1339 (ibid., t. I, p. 469 [20]).
226 Crónica de Alfonso XI, p. 230.
227 González Crespo, 1986, p. 460.
228 Crónica de Alfonso XI, pp. 234-236. Cette séquence a fait l’objet de nombreuses études, plus particulèrement le couronnement, en raison d’un ordo enluminé, le Libro de la coronación (El Escorial, Real Biblioteca del Monasterio, Ms. &.III.3), traditionnellement mis en relation avec cette cérémonie. La fonction de cet ordo semble néanmoins être moins pratique que mémorielle, à la façon du manuscrit Bnf Latin 1246 qui avait fait l’objet d’une analyse multidisciplinaire sous la houlette de Jacques Le Goff. Cette fonction est atténuée en raison de l’inachèvement de l’enlumination de cet ordo, qui prévoyait, en outre, un couronnement à Saint-Jacques-de-Compostelle. Ce projet avorté aurait pu naître du temps de la minorité royale ou alors après le mariage d’Alphonse XI avec María de Portugal. Remarquons néanmoins que l’accessus sur les vertus royales qui ouvre l’ordo est dans la continuité des réflexions sanchistes sur ce roi armé de vertus que présente le songe de majesté des Castigos (Sánchez Albornoz, 1943 ; Linehan, 1993, pp. 603-626 ; Nieto Soria, 2008b ; Pérez Monzón, 2010 ; Carrero Santamaría, 2012 ; Rodríguez Porto, 2012, t. II, pp. 263-336, et 2014).
229 Crónica de Alfonso XI, p. 238.
230 Si le roi nourrit semble-t-il le projet de faire exécuter Juan Martínez de Leyva qui décide de rejoindre don Juan Núñez III de Lara, il y renonce finalement (ibid., p. 238). Si l’ancien privado échappe ainsi au sort de Alvar Núñez, il est cependant victime quelques années plus tard d’une forme de décapitation symbolique. Car courroucé par le refus d’un des lieutenants de Juan Martínez de Leyva de lui ouvrir la forteresse d’Iscar, le roi déshonore alors son ancien privado en s’en saisissant par les cheveux (ibid., p. 265).
231 Ibid., p. 227.
232 Ibid., p. 238.
233 « Et por esto el Rey fablón con Joan Alfonso de Benavides, que él avia criado desde niño en la su casa : et este Joan Alfonso avia piezas de omes fijos-dalgo que venian con él, et otros que lo aguardaban por la merced que el Rey le facía. […] Et aquel Joan Alfonso, catando la crianza et mucha merced que el Rey le avia fecho, respondió, que le placia de ir allí, o do quier que el Rey se quisiese servir dél » (ibid., p. 317).
234 Ibid., pp. 231, 268, 273, 274, 277, 286, 288, 344 et 345. Sur la mesnie, Arias Guillén, 2012b, pp. 119-122.
235 Crónica de Alfonso XI, pp. 266 et 292.
236 Voir les passages relatifs au siège de Lerma où s’enferme don Juan Núñez III en 1336 (ibid., pp. 274, 278 et 282). Il faut en effet établir un rapport entre cet enfermement aristocratique dans des places fortes et la fermeture progressive des routes de l’exil, en direction des royaumes chrétiens d’abord — en raison même de la consolidation au cours du xiie-xiii siècle du système des royaumes dans la péninsule Ibérique, au moyen de pactes et d’alliances où les rois s’engagent à ne plus concéder l’asile à leurs proscrits respectifs (Pascua Echegaray, 1996, pp. 184-185, 192-194, 217 et 354) —, puis vers les terres musulmanes — en raison d’abord de la rétraction de l’espace politique musulman dans la Péninsule puis de la vassalisation du royaume de Grenade.
237 Crónica de Alfonso XI, pp. 302 et 305. Sa disgrâce est imputée par le chroniqueur à la maîtresse du roi, qui entend faire élire son propre frère à la place du privado déchu.
238 Ibid., pp. 304-305. Sur l’exécution des grands maîtres comme volet de la politique de contrôle des ordres militaires, voir Josserand, 2004, pp. 539-543.
239 Crónica de Alfonso XI, p. 367.
240 Principalement le manuscrit BnF, Ms. Esp. 33 produit à la toute fin du règne (Rodríguez Velasco, pp. 144-146).
241 Poema de Alfonso Onceno, strophes 367-378 et 484-489, pp. 115-116 et 134-135.
242 Foronda, 2018a.
243 Díez Garretas, 2002 et 2003 ; Frajedas Rueda, Acero Durante, Díez Garretas, 2004.
244 Huélamo San José, 1997.
245 Guardiola,1991.
246 Lachaud, 2015, pp. 393-397.
247 Foronda, inédit 2, t. I, pp. 155-165.
248 De Sousa Costa, 1966 ; Morais Barbosa, 1972 ; De Souza, 2004.
249 Linehan, 1993, pp. 630-634 ; Tang, 2002, pp. 121-128 ; Gilli, 2015, pp. 100-123.
250 Álvaro Pais, Espelho dos reis, t. I, pp. 239-292.
251 De Souza, 2011.
252 Da Costa, 2001 et 2004.
253 Álvaro Pais, Espelho dos reis, t. I, pp. 106-107.
254 Ibid., t. I, pp. 100-103.
255 Ibid., t. I, pp. 112-113, 262-267.
256 Ibid., t. I, pp. 116-117, 348-351.
257 Ibid., t. I, pp. 328-331.
258 Ibid., t. I, pp. 260-261.
259 Ibid., t. I, p. 262.
260 Ibid., t. I, p. 260.
261 Ibid., t. I, pp. 352 et 414.
262 Ibid., t. I, pp. 438-439.
263 Tang, 2005.
264 Vidal Castro, 2004.
265 Crónica de Alfonso XI, p. 225.
266 Ibid., p. 258.
267 Outre la séquence cérémonielle de 1332, il faut signaler plus particulièrement en ce sens la propension à l’audience publique que le chroniqueur attribue au roi dès sa minorité (ibid., p. 198), son administration exemplaire de la justice à Ségovie (ibid., pp. 203-204), à Zamora (ibid., pp. 222-223) ou à Santa Olalla (ibid., p. 229), son entrée royale à Séville (ibid., p. 204), ou encore les Conseils qu’il préside en majesté (ibid., p. 318). Les procès « politiques » de don Juan el Tuerto, don Alvar Núñez et don Juan Alfonso de Haro sont probablement à inclure dans cette pratique de la visibilité royale. Sur l’investissement cérémoniel alphonsin et la politique de l’exhibition royale : Cañas Gálvez, 2014, pp. 55-80 ; Nieto Soria, 1992.
268 El Escorial, Real Biblioteca del Monasterio, Ms. h.I.16 ; Rodríguez Porto, 2008, 2009 et 2012.
269 Id., 2005.
270 Grosrichard, 1979 ; Vatin, Veinstein, 2003.
271 González Crespo, 1988 et 1991 ; García Fernández, 1993.
272 CLC, t. I, p. 597 (10). La pétition relative à cette distribution évoque les fils du roi alors qu’il n’a qu’un héritier légitime.
273 Hernández, 1993.
274 CLC, t. I, p. 619 (82). Sont concernés ici trois des bâtards d’Alphonse XI, don Fernando, don Tello et don Juan.
275 Díaz Martín, 1982.
276 Valdeón Baruque, 1966 ; Díaz Martín, 1995 ; Estow, 1995 ; Estepa Díez, 2004b.
277 Les travaux sur Pedro López de Ayala sont particulièrement nombreux. Outre les biographies classiques de Suárez Fernández, 1962 et Garcia, 1983, voir les travaux produits à l’occasion du VIe centenaire de sa mort, qui dressent un bilan sur la trajectoire de son lignage, du personnage, ou encore de son œuvre : Garcia, 2007a ; Id., 2007b ; Díaz de Durana, Dacosta Martínez, 2007 ; García Fernández, 2007 ; Mota Plasencia, 2007.
278 Pour une dernière approche monographique de ce texte : Valdaliso Casanova, 2010. Sur les dynamiques d’écriture et de réécriture et un panorama complet de l’activité chronistique ayalienne : Rodríguez, 2015 ; Garcia, 2015.
279 Sur ces privados du règne de Pierre Ier, outre mes premières considérations (Foronda, inédit 2, t. I, pp. 196-210 et 2006, pp. 89-97), voir Valdaliso Casanova, 2007.
280 Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, p. 34. Précisons cependant que Leonor de Guzmán n’avait pas cessé d’agir pendant sa détention afin de sauvegarder les intérêts de sa famille, en particulier de son fils Henri. Profitant de l’une des visites de celui-ci pendant sa détention à Séville en 1350, elle l’avait poussé à consommer son mariage avec doña Juana Manuel, qui était auprès d’elle, afin d’éviter que celle-ci n’épouse le roi ou bien son cousin germain l’infant don Fernando (ibid., p. 23).
281 Fernández Martín, 1959, pp. 218-224.
282 Díaz Martín, 1975, pp. 65-66.
283 Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, pp. 24-25. Don Juan Núñez III de Lara est en effet le beau-père de don Tello, l’un des fils de Leonor de Guzmán et d’Alphonse XI. Remarquons toutefois que don Juan Núñez fait cavalier seul en 1350. En effet, lors de la brève maladie du roi, qui fait craindre sa mort sans héritier et ouvre par conséquent la question de la succession au trône, don Juan Núñez se porte candidat, en tant que descendant d’Alphonse de la Cerda, lequel avait renoncé à ses droits. Il est notamment soutenu par Alfonso Fernández Coronel dont la révolte marque le début du règne (Cabrera, 2002). Face à cette candidature, Alburquerque défend celle de l’infant Ferdinand d’Aragon, neveu d’Alphonse XI. L’une ou l’autre des options passe cependant par le mariage du candidat avec doña María de Portugal, la mère de Pierre Ier, petite-fille de Sanche IV de Castille. Quant aux Trastamare, nul ne songe alors à les tenir pour d’éventuels candidats au trône.
284 Romero Portilla, 2002.
285 Cette crainte s’exprime aux Cortes de Valladolid de 1351, où il est question du partage des terres de behetrías (Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, p. 49 ; Fernández Martín, 1959 ; Estepa Díez, 1997).
286 Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, pp. 26, 38 et 64.
287 Ibid., t. I, p. 26.
288 Ibid., t. I, p. 66.
289 Ibid., t. I, p. 48.
290 Ibid., t. I, p. 26.
291 Ibid., t. I, pp. 8-9, 10, 38-39, 67, 71, 72, 89-90 et 95.
292 Ibid., t. I, p. 26.
293 Ibid., t. I, p. 88.
294 Foronda, 2018a. Ajoutons, afin de compléter l’idée de la piste tolédane avancée dans cet article, à propos de la production de certains manuscrits enluminés de l’Ordenamiento de Alcalá et du rapport entre ces manuscrits et les privilèges concédés à Tolède et aux mozarabes de la ville, que la présence dans la privanza de ce lignage tolédan depuis la fin du xiiie peut contribuer à renforcer la validité de ladite piste.
295 Libro becerro de las behetrías ; Estepa Díez, Jular Pérez-Alfaro, 2002 ; Estepa Díez, 2003 et 2010a.
296 Alvárez Borge, 2009.
297 Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, pp. 109, 119-120 et 121 sur le remplacement des hommes de Alburquerque par les parents de María de Padilla et leurs partisans.
298 Ibid., t. I, pp. 104-106, 116-117 et 123-124 sur le basculement émotionnel de don Juan Alfonso. Outre mes remarques dans de précédents travaux : Devia, 2010.
299 Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, p. 168. Cette première mention d’un empoisonnement dans la chronique fait intervenir un certain maître Paul dont il est précisé qu’il est un médecin romain (fisico romano). S’agit-il d’une réinjection d’un stéréotype de la fin du xive siècle qui fait des médecins d’origine ou de formation italienne des spécialistes de l’empoisonnement par herbes ? Ou simplement la volonté de situer ailleurs qu’en Espagne, région « vénénifère » également, l’origine d’une arme jusque-là inexploitée (Guenée, p. 146 ; Collard, 1999 et 2003). La chronique signale d’autres empoisonnements par la suite : celui de la mère du roi, ordonnée semble-t-il par son propre père, le roi Alphonse de Portugal (Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, p. 254) ; de la fille de don Juan Núñez III, femme de l’infant don Juan de Aragón que Pierre Ier fait tuer en 1358 (ibid., t. I, p. 306 et t. II, p. 40) ; de la reine Blanche de Bourbon (ibid., t. II, p. 39) ; du lieutenant d’Orihuela Juan Martínez de Eslava ou de Luna (ibid., t. II, p. 112) ; et enfin du fils de don Juan Alfonso de Alburquerque (ibid., t. II, p. 116).
300 Ibid., t. I, pp. 168, 174-175, 182 et 191.
301 Ibid., t. I, pp. 160-161.
302 Ibid., t. I, pp. 172-173.
303 García Fernández, 2007, pp. 116-169.
304 Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, pp. 179-180.
305 Ibid., t. I, p. 178.
306 Moxó, 1981, p. 476.
307 Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, pp. 181-186.
308 Recuero Lista, 2012.
309 Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, p. 187.
310 Ibid., t. I, pp. 188-190.
311 Ibid., t. I, p. 191.
312 Ibid., t. I, pp. 192-193. Dans un texte plus tardif, le rôle joué dans cette libération par Fernando de Castro, parfois considéré comme le successeur de don Juan Alfonso de Alburquerque dans la privanza de Pierre Ier, sera mis en avant (Gutierre Díez de Games, El Victorial, pp. 51-52).
313 Sur les sceaux du roi : Francisco Olmos, Novoa Portela, 2008, pp. 88-91 ; Cómez Ramos, 2006a, pp. 62-63 et 2007, § 5. Sur l’usage du sceau du secret en Castille, celui de Pierre Ier le représente portant capuche : Procter, 1940.
314 Par exemple celle de Juan Tenorio dont la charge de premier juge de la Mesta est confiée à Fernan Sánchez de Tovar que nous retrouverons lors de la séquence criminelle de Séville (Díaz Martín, Colección documental, t. III, doc. 914, p. 241). Sur l’attitude du patriciat vallisolétain pendant la guerre civile : Rucquoi, 1993a, pp. 241-248.
315 Le 19 janvier 1355, l’infant Pierre d’Aragon donne des instructions à Mateu Adriá qu’il envoie en Sardaigne afin d’informer son neveu le roi Pierre IV de la situation castillane. Celui-ci, depuis Caller, adresse deux lettres à Pierre de Castille au cours de la même journée du 22 janvier. En plus d’exprimer sa solidarité, Pierre IV conseille qu’un châtiment exemplaire soit appliqué aux responsables d’un tel acte contre son (leur) état royal. Non content de déplorer l’attitude des infants d’Aragon mêlés à cette affaire, il dit envoyer un messager porteur d’un pacte d’assistance contre ceux-ci. Ce même jour, et toujours en relation avec cette affaire castillane, Pierre IV répond à l’infant Pierre et écrit au Conseil royal de Valence (Ferrer i Mallol, 2005, doc. 13, 14, 15, 16 et 17, pp. 574-582). Huit ans plus tard, quand Pierre le Cérémonieux souscrit un pacte d’assistance autographe en faveur d’Henri de Trastamare, contre la promesse de cession d’un sixième du royaume de Castille quand il sera conquis, la solidarité monarchique exprimée après le coup de Toro n’est plus qu’un très lointain souvenir (Gimeno Blay, 2006, doc. 5, pp. 200-201).
316 Díaz Martín, 1991.
317 Ce piège renvoie plus globalement à la question de l’image royale. Quelques jalons permettent d’envisager quel a été le traitement accordé à Pierre Ier du xive jusqu’au xixe siècle : Gimeno Casalduero, 1972, qui aborde également l’image des deux premiers Trastamare, en grande partie dépendante du repoussoir pétriste ; Sánchez Sánchez, 1994 ; Sanmartín Bastida, 2001 ; Rodríguez, 2017.
318 La décisive contribution de Simuel el Levi à la constitution du trésor (Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, pp. 217-219) ne le sauve cependant pas de la disgrâce, qui intervient en 1360 (ibid., t. II, p. 33), ou vers le milieu de 1361 si nous admettons une erreur de datation de la part de Ayala (Roth, 1948, pp. 11-12). Le « trésor » de Pierre Ier tombe finalement entre les mains d’Henri de Trastamare en 1366 (Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. II, pp. 133-134 ; Grassotti, 1988).
319 Estow, 1995, pp. 106-124 et 155-179. Les sources juives ne sont cependant pas concordantes sur la judéophilie royale, du moins faut-il peut-être distinguer entre le début du règne et la guerre civile. Car si la dédicace des Proverbios morales du rabbin de Carrión véhicule bien une image positive du souverain (Sem Tob de Carrión, Sermón de Glosas de Sabios, pp. 45-47), tel n’est plus le cas dans le tableau que dresse Shemuel Ibn Zarza des exactions commises contre les Juifs par les deux camps pendant la guerre civile (Valle Rodríguez, 1987).
320 Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, p. 243. Sur cette guerre des Deux Pierre : Masiá de Ros, 1994, t. I, pp. 241-328 ; Ferrer i Mallol, 2005, pp. 329-500).
321 Il convient de rappeler ici l’enlèvement bien connu d’Aldonza Coronel. Il s’agit de la fille de ce don Alfonso Fernández Coronel qui avait soutenu la candidature de Juan Núñez III de Lara au trône de Castille pendant la maladie du roi, au début de son règne. Le roi, qui paraît vouloir en faire sa maîtresse, la fait enlever dans son monastère en 1358. Toutefois, l’enlèvement constitue un moment fort d’un complot infructueux visant Juan Fernández de Henestrosa, l’oncle de María de Padilla (Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, pp. 263-265 ; Sitges y Grifoll, 1910, pp. 413-425 ; Rodríguez Liáñez, Anasagasti Valderrama, 2004).
322 Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, pp. 235-236.
323 Sans doute convaincu par Gil de Albornoz et Pedro Gómez Barroso, qui forment un parti castillan à la curie avignonaise, Jean de Roquetaille voit en effet dans l’infant don Fernando d’Aragon la chauve-souris annoncée par le Vae mundo d’Arnaud de Villeneuve. Sur l’important emploi de la figure de Pierre Ier dans le Liber Ostentor de Roquetaille, qui voit en lui un nouveau cochon néronien : Aurell, 1990, pp. 340-361 ; Rousseau, 2004, pp. 74-86.
324 Voir plus particulièrement comment au siège de Toro, au début de 1356, Henestrosa parvient à convaincre don Fadrique de déposer les armes et de se rendre à la merci du roi, lequel lui accorde son pardon, ainsi qu’à ses hommes (Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, pp. 227-230).
325 Ibid., t. I, p. 237.
326 Ce rôle, Pierre Ier l’assumait encore pleinement en 1353, comme le montre ce chapitre le décrivant soucieux de limiter à ses seuls vassaux le port de l’insigne de la Banda (ibid., t. I, p. 93 ; Rodríguez Velasco, 1996, pp. 181-183). Dans cet épisode, le page chargé de signifier à Pero Carrillo l’interdiction de porter l’écharpe pourrait être López de Ayala lui même, dont le père, Fernán Pérez de Ayala, destiné à l’Église jusqu’à la mort de son frère aîné, avait été promu chevalier à Burgos en 1332. Dans cette hypothèse, l’épisode rendrait compte des premiers pas dans la proximité royale du chroniqueur, dont l’éducation avait été supervisée, tout comme celle de son père, par l’oncle maternel de celui-ci, le cardinal don Pedro Barroso, auquel était traditionnellement attribué le Libro del consejo e de los consejeros.
327 Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, pp. 238-239.
328 La lettre qu’Ibn al-Ḫaṭīb adresse au nom du sultan de Grenade à celui de Fez en 1356 probablement, alors que don Enrique se trouve encore en Galice, oblige à nuancer cette menace mise en place par Ayala. Car Ibn al-Ḫaṭīb précise que les frères du roi ne disputent en rien à Pierre Ier sa royauté, mais réclament seulement que leurs possessions et dignités leur soient rendues (Correspondencia diplomática entre Granada y Fez, pp. 258-259).
329 Dans son Rimado de palacio, Ayala avouera en effet avoir perdu beaucoup de temps à écouter dans sa jeunesse les histoires d’Amadis et de Lancelot (Pedro López de Ayala, Rimado de palacio (c), strophe 163, p. 29). Que doit sa mise en scène du tournant criminel de 1356-1358 à ces romans, ou encore au Libro del caballero Zifar par lequel le molinisme s’était aventuré sur le terrain de la fiction chevaleresque ? Remarquons en tout cas quelle convergence semble s’établir entre les ajustements de la trame amadisienne sous les premiers Trastamare (Gómez Redondo, 1998-2007, t. II, pp. 1540-1576), qui en revient ainsi à la logique fondamentalement autodestructrice qui clôt le cycle arthurien, et l’art narratif déployé par Ayala au même moment ou quelques temps plus tard dans sa chronique (Orduna, 1998).
330 Sur ce rôle fondateur du serment dans les ordres et l’aventure chevaleresque : Rodríguez Velasco, 1996.
331 Toutes les conjectures sont permises en effet. Luis Vicente Díaz Martín souligne à quel point ce mois de mai 1358 et les raisons du meurtre de don Fadrique restent une zone d’ombre pour l’historien, qui doit pratiquement se contenter des informations données par Ayala, lequel ne dit rien des raisons du roi (Díaz Martín, 1995, pp. 198-202). Díaz Martín se range toutefois à l’avis de Zurita qu’il tient pour admissible car vraisemblable : les offres faites par l’Aragon à don Fadrique ont pu convaincre le roi de son imminente trahison (Id., 1975, pp. 162-163). Mais la logique de la narration, qui fait succéder au complot contre Henestrosa la conjuration royale contre don Fadrique, oblige au moins à se demander si ce dernier ne fut pas un peu mêlé à l’action contre le privado, ou s’il n’en eut pas quelque connaissance, ce qui était déjà une faute. Cela n’est pas contradictoire avec la piste aragonaise. Car la conspiration contre Henestrosa fut peut-être une opération de destabilisation trastamaro-aragonaise. C’est certes une pure conjecture. Mais si tel fut le cas, son échec convainquit peut-être Henestrosa et le roi de la nécessité d’un coup d’éclat destiné à briser cet étau intérieur et extérieur, et don Fadrique restait un Trastamare. Enfin, peut-être faut-il envisager encore une piste plus structurelle. Car l’élimination de don Fadrique ajoute un cas à la série des maîtres des ordres militaires dont le roi ordonne l’élimination dans le cadre d’une politique destinée à assurer le contrôle monarchique de ces ordres, dont le rôle dans la guerre civile a été souligné (Mitre Fernández, 2000 ; Ayala Martínez, 2002 ; Josserand, 2004, pp. 461-574). L’exécution du maître de Santiago et certaines des autres morts ordonnées dans la foulée — en particulier du grand commandeur de Castille Lope Sánchez de Baldaña — furent-elles envisagées comme un moyen de reprendre définitivement l’ordre en main, d’autant plus que la guerre contre l’Aragon augmentait la valeur stratégique de ses domaines orientaux, d’Uclès à Murcie ? Mais aussi de laisser sans concurrence le foyer de satellisation nobiliaire en train de se constituer autour d’Henestrosa, de ses parents et de ses alliés, sur la base du contrôle des ordres précisément ? (Josserand, 2004, p. 520). Remarquons que la maîtrise de Santiago resta vacante jusqu’après la défaite castillane d’Araviana, le 22 septembre 1359, où Henestrosa figurait parmi les morts. N’en déplaise à Ayala, qui s’évertue à faire du roi le responsable de tout, il y eut peut-être une politique Henestrosa entre 1355 et 1359, avec un programme certes radical dans ses méthodes, mais assez continuiste, cohérent et précis dans ses objectifs, tant à l’intérieur du royaume que dans la guerre contre l’Aragon.
332 Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, pp. 266-267.
333 Ibid., t. I, pp. 268-272. L’écho de ce meutre est très fort dans le Romancero (Sánchez Sánchez, 1994, pp. 97-125 ; Martínez Sopena, 2010b).
334 Rappelons ici la version que donne la Historia hasta 1288 dialogada d’Alfaro en 1287, où les portiers de Sanche IV s’étaient déjà chargés de transformer un dispositif palatial en piège assassin (Saracino, 2014, § 28).
335 Dans la version abrégée ou plutôt primitive de la chronique figure en outre Gonzalo Lucio (ou Rezio). Quinze jours plus tard, il tue le cousin du roi, l’infant d’Aragon don Juan à Bilbao (Zurita, Enmiendas y advertencias, p. 134, repris dans Pedro López de Ayala, Crónica del rey don Pedro, p. 482).
336 Ou à un Maure de sa chambre selon la version primitive (Zurita, Enmiendas y advertencias, p. 134, repris dans Pedro López de Ayala, Crónica del rey don Pedro, p. 483). Remarquons que l’intervention ici d’un Maure en rajoute à l’opposition construite par Ayala à partir du dispositif palatial, entre le refuge chrétien de María de Padilla et l’enfer musulman de Pierre Ier. Nous y reviendrons plus avant.
337 Id., Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique., t. I, p. 273.
338 Ibid., t. I, p. 274.
339 À la suite, la version primitive signale la naissance de don Juan, le fils du comte Henri de Trastamare, le futur Jean Ier de Castille, le 2 août 1358 à Tamarit de Litera (Jerónimo Zurita, Enmiendas y advertencias, p. 138, repris dans Pedro López de Ayala, Crónica del rey don Pedro, p. 484). Dans la version vulgaire, l’information sur la naissance n’est donnée qu’à la fin du dernier chapitre de cette année 1358, mais avec indication d’une date et d’un lieu distincts, le 24 août à Epila (Id., Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, p. 283).
340 Ibid., t. I, p. 275.
341 Ibid., t. I, pp. 276-277.
342 Pour une tentative de bilan sur ce massacre : González Mínguez, 2002.
343 C’est en effet la lecture ultime que l’on peut faire de la scène rapportée par López de Ayala dans son récit du meurtre de don Fadrique, celle d’un roi attablé devant le cadavre de son frère. La scène est assez proche de certains des exemples rapportés par la littérature sapientiale, en genéral des cas orientaux, pour illustrer l’excès tyrannique. Voir plus particulièrement le cas du roi perse qui, d’après Sénèque, fait tuer par ses privados les fils d’un prince ennemi et lui sert leur chair quand il l’invite à dîner (Glosa castellana, pp. 270-271). Sur le tyran à table : Mühlethaler, 1995.
344 La lecture cynégétique de cette séquence criminelle est suggérée par Jerónimo Zurita, qui compare les arbalétriers du roi à des rabatteurs dans sa relation du meurtre de don Fadrique (Zurita, Anales de Aragón, t. IV, p. 353). Deux ouvrages témoignent plus particulièrement de l’importance accordée aux jeux — par deux fois évoqués dans cette séquence — et à la chasse dans la récréation royale en Castille, le Libro de axedrez, dados e tablas rédigé à la fin du règne d’Alphonse X et le Libro de la Montería dont la rédaction commence probablement sous le règne d’Alphonse X, se poursuit sous celui d’Alphonse XI et s’achève sous celui de Pierre Ier (Gómez Redondo, 1998-2007, t. I, pp. 817-852 et t. II, pp. 1692-1696). Avec l’association des jeux, de la chasse et de la blague à la séquence criminelle de 1356-1358, le retournement de l’ordre curial indiqué à propos du tournoi paraît donc à présent complet.
345 Boucheron, 1994 et 2010. Remarquons que dans les cruautés rapportées par Matteo Villani, dans le dessein de décrire les « périls que l’on subit sous le joug de la tyrannie », celles de Pierre Ier donnent lieu à deux chapitres, où cette séquence de 1356-1358 est évoquée (Cronica di Matteo e Filippo Villani, Livre VIII, chap. lxxxi-lxxxii, pp. 265-266).
346 Las Décadas de Tito Livio ; Pedro López de Ayala, Caýda de prínçipes. Dans sa galerie de portraits rédigée sous le règne de Jean II, Fernán Pérez de Guzmán attribuera à son oncle Ayala la traduction en outre des Moralia in Job de saint Grégoire, des Sentenciae de saint Isidore, du De Consolatione de Boèce et d’une histoire de Troie. La critique textuelle tend aujourd’hui à proposer une liste assez différente, en excluant Boèce et l’histoire de Troie, mais en ajoutant le Libro de la caça de las aues qui doit beaucoup au Livro de Falcoaria du portugais Pero Menino (Gómez Redondo, 1998-2007, t. III, pp. 2131-2172).
347 Rappelons en effet que Pierre Bersuire accompagne sa traduction de Tite Live d’un glossaire, lequel est intégralement traduit par Pedro López de Ayala (Duval, 2005). Par ailleurs, il convient de souligner la stricte contemporanéité de l’amorce du dévoiement criminel pétriste avec certaines expériences françaises du règne de Jean II le Bon qui alimentent un certain doute sur le roi dans la noblesse du royaume, en particulier celle liée à Charles d’Evreux-Navarre, telles que l’exécution sommaire du connétable d’Eu ou celle des seigneurs normands en 1356 (Foronda, 2010c). Rappelons en outre que, contre le parti navarrais, Jean le Bon fait également le choix d’une privauté de combat au travers de son cousin le connétable Charles d’Espagne, mais dont la mission de dénoyautage est cependant interrompue par son assassinat à L’Aigle en 1354.
348 Nieto Soria, 2006a.
349 Ce faisant, Ayala pose un modèle d’ambassadeur lettré appelé à se répéter au cours du xve siècle, en particulier avec Alfonso de Cartagena en Castille (Fernández Gallardo, 2002). L’humanisme de Pedro López de Ayala est cependant controversé. Pour Robert Tate, ses goûts littéraires sont plutôt dans la continuité des pratiques culturelles de la noblesse courtisane et cultivée de la seconde moitié du xive siècle (Tate, 1970, pp. 33-54). La position d’Eric Naylor est moins tranchée en posant l’hypothèse d’un pré-humanisme (Naylor, 1995). Sur les ambassades de López de Ayala : Serrano de Haro, 2001.
350 Pedro López de Ayala, Rimado de palacio (c), strophe 236, p. 41 ; Nieto Soria, 2005, pp. 80-82.
351 Quillet, 1984 ; Turchetti, 2001, pp. 291-308.
352 Dans les cas de trahison, les coupables s’exposent à des peines corporelles d’autant plus fortes qu’ils se situent en haut de la hiérarchie sociale. Pour les riches hommes, le traitement prévu, parfois jusqu’à obtenir la complète disparition de leur cadavre en le jetant aux bêtes ou aux poissons, les rabaisse à la condition la plus vile (Alfonso Antón, 2008, pp. 403-404). Le traitement réservé au corps de l’infant don Juan — défenestré à Bilbao et transporté à Burgos, il est finalement jeté dans une rivière — paraît satisfaire à cette logique.
353 Je pense plus spécialement ici aux têtes rapportées au roi à Burgos comme preuves de l’accomplissement de son ordre meurtrier. Le roi semble ici adopter une pratique musulmane (Puente, 2008 ; Rodríguez García, 2008). Remarquons que l’une des exécutions ordonnées par le roi renforce cette idée de trahison du prince à sa communauté. Il s’agit de celle du fils de l’alguazil de Tolède Gonzalo Mélendez, dernier descendant d’un lignage mozarabe, les Beni Lampader, dont la tête est également rapportée à Burgos (Molénat, 1997, pp. 162-163).
354 Ces deux lignages, Padilla et Henestrosa, ne sont pas au même niveau. Carlos Estepa distingue trois niveaux pour la noblesse chevaleresque des behetrías : un niveau régional, un niveau intermédiaire (« comarcal ») et un niveau local. Les Padilla se situent au bas du niveau supérieur et les Henestrosa au niveau intermédiaire (Estepa Díez, 2003, t. I, pp. 402-404 et t. II, pp. 11-12). Pour une autre classification de la noblesse de cette zone : Álvarez Borge, 1998, pp. 83-84 et 94 sur les Padilla et Henestrosa.
355 Carlos Estepa pointe la possibilié d’une division du lignage des Padilla en deux branches. Ce grand arbalétrier, qui porte le même nom que son grand-père, grand justicier de Ferdinand IV, épouse une fille de Juan Martínez de Leiva, l’ancien privé d’Alphonse XI (Estepa Díez, 2003, t. I, pp. 404).
356 Fernán Sánchez, ancien vassal de don Juan Alfonso de Alburquerque (Díaz Martín, 1975, p. 46) épouse en effet une fille de Pedro López de Padilla, le grand justicier (Salazar y Acha, 2000, p. 548). Par cette union, il est l’oncle du grand arbalétrier Pedro López de Padilla. Carlos Estepa situe ce lignage des Tovar au niveau de la noblesse chevaleresque régionale (Estepa Díez, 2003, t. I, pp. 414-416). Ce Fernán Sánchez est-il le neveu du chroniqueur d’Alphonse XI, fils de sa sœur María Fernandes de Tovar et de Garci Díaz de Medina ? (Rucquoi, 1993a, pp. 372-373, 656 et n. 986 ; Díaz Martín, 1987, p. 356). Carlos Estepa, qui n’évoque aucune parenté avec le chroniqueur, indique pour sa part qu’il est le fils de Ruy Fernández de Tovar et d’Elvira Fernández Cabeza de Vaca (Estepa Díez, 2003, t. I, pp. 415-416).
357 Par le mariage de sa fille Leonor avec le fils du privé, Ruy Gutiérrez de Henestrosa (Cabrera Sánchez, 2001). En 1358, Martín López de Córdoba n’est encore que l’assistant de Juan Fernández de Henestrosa. Il le remplacera après sa mort, en 1359, à son office de grand chambrier. Pour l’année 1364, López de Ayala mentionne son envoi en ambassade, et précise au passage les offices qu’il détient et sa condition de privado (Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. II, pp. 105-106 ; Díaz Martín, 1975, pp. 62-63 ; Molina Molina, 1978 ; Salazar y Acha, 2000, p. 389).
358 Ayala n’indique cependant pas à quel degré de parenté (Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, p. 261). Le lignage des Lucio appartient également à la noblesse chevaleresque régionale (Estepa Díaz, 2003, t. I, pp. 412-413).
359 Les lignages Padilla, Henestrosa, Tovar et Lucio sont conjointement implantés dans la merindad de Castrojeriz (ibid., t. II, pp. 131-132). C’est à Castrojeriz dont il contrôle la forteresse que Juan Fernández de Henestrosa fait enfermer Isabel de Lara, la femme de l’infant don Juan (Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. I, p. 276). Faut-il établir un lien entre le choix de ces lignages et la question de l’héritage des Lara, dont Ayala indiquait en 1351 une tentative de captation de la part de don Juan Alfonso de Alburquerque ? Et ainsi envisager une solution de continuité entre les intérêts particuliers de ces lignages et la politique royale ?
360 Remarquons que la vengeance royale couvre parfois les petites vengeances des hommes de sa Chambre, ainsi celle de Juan Fernández de Tovar, le frère de Fernán Sánchez de Tovar, contre son « ennemi » Sancho Ruiz de Villegas, le grand palefrenier de don Fadrique. L’inimitié entre ces hommes avait-elle pour origine un désaccord relatif à des droits seigneuriaux ? Faut-il envisager un double niveau de nettoyage de la Chambre ? Un niveau supérieur, qui touche les parents du roi, et un niveau inférieur, qui touche leurs afins, en fonction de leurs inimitiées avec les membres de la clientèle du nouveau privé ? Carlos Estepa signale pour certains membres du lignage des Villegas, de niveau intermédiaire, un rehaussement à un niveau régional, ainsi qu’une alliance avec les Lucio (Estepa Díez, 2003, t. I, pp. 411-414). Pour sa part, Ignacio Álvarez Borge indiquait que Gonzalo de Lucio et Juan Rodríguez de Villegas étaient frères (Álvarez Borge, 1998, p. 86).
361 Díaz Martín, 1975, p. 58.
362 Ibid., p. 56.
363 Ibid., p. 57. Il est sans doute frère de Martín Díaz de Albarracín, grand arbalétrier du roi en 1354 (ibid., p. 56).
364 Ferro, 1991.
365 Foronda, 2007c, § 3, 4, 12, 21 et n. 36.
366 Araguas, 2001 et 2009.
367 Bove, 2003 ; Witheley, 1990, 1996 et 2001.
368 Chapelot, Lalou, 1996.
369 Carru, 2004 ; Theis, 2004.
370 Wilson, 2002.
371 Renoux, 1996 et 2001.
372 Guillaume, 1994.
373 Raeymaekers, Derks, 2016.
374 Si le chroniqueur emploie trois fois le terme apartamiento dans sa chronique, il ne le fait qu’une seule fois en ce sens palatial.
375 Foronda, 2003.
376 Dans ce réseau palatial (Domínguez Casas, 1993, pp. 253-498), les alcazars tiennent une place essentielle (Ladero Quesada, 2001).
377 Le vocabulaire renvoyant à ce dispositif est le suivant : cámara/chambre (3 occurrences), calle/rue (1), palaçio/palais (1), plaça/place (1), posada/hébergement (1), puerta/porte (1), ventana/fenêtre (1).
378 Cómez Ramos, 1996a, 1996b et 2004 ; Pérez Higuera, 2001 ; Tabales Rodríguez, 2004.
379 Ce vocabulaire est le suivant : alcázar (10 occurrences), corral/cour (10), palaçio(s)/palais (6), puertas/portes (5), postigo/poterne (2), cámara/chambre (2) — mais il faut ajouter deux occurrences renvoyant à la chambre comme structure institutionnelle, par exemple dans l’expression « homme de sa chambre » —, apartamiento/appartement (1), quadra/pièce (1). Le logis où don Fadrique doit s’installer avec ses hommes à l’extérieur de l’alcazar donne lieu à trois emplois de posadas/hébergement.
380 Sur cette partie de l’alcazar de Séville : Almagro Gorbea, 1999 ; Tabales Rodríguez, 2010, pp. 271-282.
381 Mota Placencia, 2007, pp. 188-190.
382 Cómez Ramos, 1974, pp. 138-140.
383 En ce sens, il convient de rappeler l’épigraphie trilingue (latin, castillan et arabe) qui sera mise en œuvre dans le nouvel appartement royal, où l’arabe est nettement prépondérant. Dans cette langue, le titre de sultan est accordé au roi (Amador de los Ríos, 1875 ; Cano Ávila, Mohamed Essawi, 2004 ; Marquer, 2012).
384 Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. II, p. 291.
385 Comme rappelé par Jacques Derrida dans ses commentaires à l’Essai sur l’origine des langues de Jean-Jacques Rousseau, ce lien entre altération de la langue et corruption politique sera surtout fréquent au cours de la seconde moitié du xviiie siècle (Derrida, 1967, pp. 240-242).
386 Dans sa chronique, Pedro López de Ayala ne dit rien en effet de la supposée ascendance juive du roi. C’est là une évolution importante du système de justification mis en œuvre par les Trastamare, où cette improbable rumeur tenait une bonne place, pour tenter de faire croire à l’illégitimité d’origine du roi, mais peut-être davantage ailleurs qu’en Castille. Ainsi, au cours de la seconde moitié des années 1360, Jean de Venette se montre particulièrement attentif à cette rumeur. Une autre chronique française, la Chronique des quatre derniers Valois, rédigée avant la fin des années 1390, rapporte, elle aussi, cette rumeur faisant de Pierre Ier le fils du Juif Pero Gil, mais pour indiquer qu’elle est plutôt dure à croire (Foronda, 2010d). Tout laisse penser que l’état de l’opinion a changé aussi en Castille lorsque Pedro López de Ayala rédige sa chronique. Cette situation paraît d’ailleurs perdurer. Ainsi, le Victorial, que le secrétaire royal Gutierre Díez de Games rédige vers le milieu des années 1430 pour y narrer les aventures du chevalier don Pero Niño fait comte de Buelna en 1431, ne porte-t-il aucune trace de cette rumeur alors même qu’il reprend une thématique qui lui était liée, celle de l’influence du privado juif sur le roi au travers de la figure de Simuel el Levi. Cette thématique s’enrichit ici de l’association entre le privado juif et les arts de la divination et des sortilèges (Gutierre Díez de Games, El Victorial, pp. 48-49). Un témoignage plus précoce en ce sens se trouve dans la première vie d’Innocent VI, qui attribue au trésorier le sortilège de la ceinture responsable de l’aversion du roi pour Jeanne de Bourbon (Aurell, 1990). Un autre privado juif, Abraham Ibn Zarzal, se verra attribué une responsabilité dans le goût de Pierre Ier pour l’astrologie dans la version majoritaire de la Suma de Reyes au tout début du xve siècle (Suma de Reyes, chap. 34).
387 Parmi ces voix chrétiennes, il convient de mentionner les avertissements que reçoit le roi entre 1360 et 1361 : par l’intermédiaire d’un moine de Santo Domingo de la Calzada (Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. II, p. 13) ; par une lettre que lui adresse son ancien privado Gutier Fernández (ibid., t. II, p. 24) ; ou encore par la visite miraculeuse suscitée par les prières de Blanche de Bourbon (ibid., t. II, pp. 39-40). L’ultime avertissement est donné par le prince de Galles, en 1367, au cours d’une conversation où il enjoint Pierre Ier de cesser ses meurtres (ibid., t. II, p. 196). Fondamentalement justifié par une position disons légitimiste (il s’exprime notamment dans la Vie du prince Noir du héraut Chandos, texte que reprend largement Jean Froissart pour raconter les événements castillans dans ses Chroniques), le soutien anglais est loin de virer au pétrisme, hormis chez Geoffrey Chaucer qui voit dans Pierre Ier la « gloire de l’Espagne » dans les vers qu’il lui consacre dans le conte du moine de ses Canterbury Tales (Foronda, 2010d).
388 Encore que l’effet des lettres d’Ibn al-Ḫaṭīb semble nul. Dans sa première lettre, de 1367, Ibn al-Ḫaṭīb recommande au roi de se faire aimer de ses sujets et de ses nobles, preuve supplémentaire que du côté chrétien comme du côté musulman, les recommandations doctrinales tendent à se rejoindre. L’usage des prophéties semble également commun, comme le montre la deuxième lettre d’Ibn al-Ḫaṭīb, de 1369, où ce privado de Grenade dévoile au roi les secrets d’une prophétie qui annonce sa mort (Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. II, pp. 201-215 et 270-276 ; Garcia, 1999 ; Cartelet, 2015). Remarquons que le monde musulman s’émeut plus particulièrement des pratiques de Pierre Ier en raison de l’exécution qu’il ordonne en 1362, à Séville, de Muḥammad VI, pourtant sous sa sauvegarde, à la demande certes de son prédécesseur et successeur sur le trône de Grenade, Muḥammad V (Correspondencia diplomática entre Granada y Fez, lettres de Muḥammad V V au fils du tuteur et vizir du sultan de Tunis et au sultan d’Égypte, pp. 347-351 et 356-359 ; Vidal Castro, 2004, pp. 381-386 ; Marquer, 2014, pp. 58-59). Rapporté avec luxe de détails par Pedro López de Ayala (Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. II, pp. 55-61), ce dernier est probablement la source d’information de Philippe de Mézières qui narre également l’événement dans son Songe du Vieil Pelerin (Foronda, 2017a).
389 Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. II, p. 253.
390 Ibid., t. II, pp. 254-256.
391 Cómez, 2008 ; Almagro Gorbea, 2009.
392 Ferro, 2010, pp. 45-48.
393 Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Juan Primero, pp. 148-158. Nous reviendrons sur ce passage dans le prochain chapitre. Dans son compte rendu de cette édition critique, Michel Garcia émet d’ailleurs l’hypothèse d’une refonte du passage par Ayala (Garcia, 2010, pp. 291-292).
394 Sur cet aspect de la damnatio memoriae à laquelle est soumise Pierre Ier, voir principalement Díaz Martín, Colección documental, t. I, pp. 16-21.
395 Ce silence pose la question du destin d’une éventuelle historiographie pétriste (Gómez Redondo, 1998-2007, t. II, pp. 1777-1783), dont cette Corónica verdadera à laquelle s’opposerait la chronique fengida de Ayala, qui alimenta peut-être la refonte de la Suma de Reyes au milieu des années 1450 (propos de Jean-Pierre Jardin dans son édition de la Suma de Reyes, [Présentation], §§ 110-121) ou encore la rédaction de la Relación de la vida del rey don Pedro sous l’impulsion de certains des descendants de Pierre Ier, les Castille, au début du xvie siècle (Pedro Gracia Dei, Relación de la vida del rey D. Pedro ; González de Fauve, Las Heras, Forteza, 2006). C’est dans la refonte de la Suma de reyes, à propos de l’exécution de Muhammad VI, que quelque information est donnée sur le réaménagement pétriste. Le texte distingue entre un palais neuf, où Muhammad VI s’installe, et un palais vieux où reste Pierre Ier. L’appartement du Colimaçon est rattaché dans cette évocation au palais neuf. C’est peut-être la conséquence d’une décoration intérieure dont Pierre Ier aurait pu ordonner la réfection, qui donne lieu ici à une description émerveillée, mais peut-être aussi du maintien du fonctionnement comme salle de cette partie du dispositif palatial contre laquelle s’accole le nouvel appartement royal (Suma de Reyes [Textes. Texte de la refonte], § 158). Ce même passage signale en outre la plantation et la clôture de la Huerta de la Alcoba par Pierre Ier, au sud du nouvel appartement royal. En comparaison, la géographie donnée par Ayala est assez différente. Il signale en effet l’hébergement de Muhammad VI dans la juiverie, son arrestation dans l’hébergement du maître de Santiago, son emprisonnement à l’arsenal puis son exécution dans le champ de Tablada près d’un alcazar qu’il semble ainsi vouloir à tout prix éviter de devoir décrire (Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. II, pp. 57-61).
396 Almagro Gorbea, 2006, 2007a, 2007b et 2009. Pour une comparaison avec d’autres réalisations pétristes (par exemple Tordesillas et Astudillo) et contemporaines, en particulier le complexe palatial de l’Alhambra à Grenade : Id., 2005a, 2007c et 2008. Pour une discussion de certains points des analyses de cet auteur : Cómez Ramos, 2006b et 2008.
397 Voir en particulier la coupe transversale (ouest) réalisée par A. Almagro et J. I. Zúñiga Urbano (Almagro Gorbea, 2000, p. 30).
398 Almagro Gorbea, 2015.
399 Ce sont les dénominations employées par Antonio Almagro dans son analyse de ce sytème d’escaliers (Almagro Gorbea, 2009, pp. 349-354).
400 Sur l’inscription de la dédicace en arabe à l’avers de la porte du Salón de la Media Naranja, l’une des deux désignations de Pierre Ier par le titre de sultan s’accompagne du surnom al-barǧīlūnī, c’est-à-dire « le barcelonais » (Cano Ávila, Mohamed Essawi, 2004, p. 11). S’agit-il de commémorer ainsi l’attaque navale de Barcelone en 1359 ? Quoi qu’il en soit, il convient de souligner la stricte concomittance entre le réaménagement pétriste à Séville et la construction d’un palais neuf par Pierre IV d’Aragon dans l’Aljafería de Saragosse (Madurell Marimón, 1961 ; Borrás Gualís, 2001 ; Campo Gutiérrez, 2005).
401 Ruiz Souza, 2013 ; Marquer, 2014.
402 La tradition est rapportée par le docteur Rodrigo Caro dans son ouvrage Antiguëdades y principado de la ilustrísima ciudad de Sevilla publié en 1634 (Cómez, 1989, p. 8). Voir la reconstruction isométrique proposée par Tabales Rodríguez, 2006, fig. 8, p. 25.
403 CLC, t. II, p. 28. C’est là une périodicité en hausse par rapport à l’obligation d’une audience par semaine fixée aux Cortes d’Alcalá de Henares de 1348 et de Léon de 1349 (ibid., t. II, pp. 601 et 634).
404 Cressier, 2006 ; Barrucand, 2007.
405 Pascual Martínez, 1980, pp. 209-217 ; Garriga Acosta, 1994, pp. 44-58 ; Díaz Martín, 1997.
406 Gérard Sabatier réserve néanmoins ce concept à l’époque moderne (Sabatier, 2003).
407 Genet, 2006 et 2007, pp. 94-102.
408 Le roi y légitime les enfants de María de Padilla, décédée en 1361, avec laquelle il déclare avoir été secrètement marié. En conséquence, leur fils Alphonse est déclaré et juré héritier de la Couronne. Le sermon probablement d’ouverture que Ayala prête à l’archevêque de Tolède fut-il prononcé dans la cathédrale ou bien dans l’alcazar ? (Pedro López de Ayala, Crónica del rey Don Pedro y del rey Don Enrique, t. II, pp. 62-63). La mort d’Alphonse entraîne un règlement successoral en faveur de ses sœurs en 1363.
409 Boucheron, Menjot, Monnet, 2006, pp. 29-31 ; Foronda, 2019a.
410 Las Siete Partidas, II, ix, 27.
411 Ibid., II, ix, 28.
412 Ibid., II, ix, 29.
413 Ibid., II, ix, 30.
414 Castigos de Sancho IV, chap. xi, pp. 142-151.
415 Ibid., chap. xxxiii et xxxv, pp. 245-247 et 257-259.
416 BNE, Ms. Vitr. 15/7 (Ordenamiento de Alcalá) ; RAH, Ms. 9/5633 (Séptima Partida) ; Rodríguez Porto, 2012, pp. 643-648, 654-671 et 693-716 ; Foronda, 2018a, pp. 353-360.
417 Rappelons que la figure du Pierre Ier en roi justicier est celle qui est mise en avant pour réhabiliter ce prince dans la galerie des rois au xve-xvie siècle. En ce sens, il faut souligner la détermination des Castille au travers de la Relación de la vida del rey don Pedro. Le point d’orgue de cette entreprise des Castille en est l’autorisation donnée, en 1446, par Jean II à Constance de Castille, de transférer la dépouille de son grand-père Pierre Ier au couvent Santo Domingo el Real de Madrid, dont elle était la prieure (Pedro Gracia Dei, Relación de la vida del rey D. Pedro [I], pp. 245-251 ; Rábade Obrado, 2003). En parallèle, le rebond sous le règne d’Henri IV d’une éventuelle historiographie pétriste dans la refonte de la Suma de Reyes a été également pointé. Dans la perspective de l’image très justicière véhiculée par cette refonte, il convient de mentionner aussi certaines traditions locales, en particulier le souvenir laissé par le roi chez les gens de Séville. Gonzalo Fernández de Oviedo s’en fait le rapporteur dans le Catálogo Real de Castilla qu’il offre à son retour des Indes à l’impératrice Isabelle en 1532 (Transcripción y edición del «Catálogo Real», pp. 790-795 ; Carrasco Manchado, 2010).
418 El Fuero Viejo de Castilla, pp. 1-3 ; Pérez-Prendes Muñoz Arraco, 2004. Aucun manuscrit pétriste de cette version n’est conservé à ma connaissance.
419 Gilles de Rome, De regimine principum, III, ii, 3, pp. 353-356 ; Glosa castellana, pp. 558-559.
420 Erlande Brandenburg, 2007.
421 Glosa castellana, pp. 559-561.
422 Sont indiqués dans cette glose les sixième et septième chapitres du troisième Livre des Rois (La Sainte Bible, pp. 181-190, ce qui correspond à I Rois, 6-7) pour la construction du temple et du palais de Jérusalem par Salomon et une référence au Maître des histoires pour l’évocation de la Cène dans un Cénacle également attribué à Salomon.
423 Rucquoi, 1993b, pp. 80-81 ; Rucquoi, 2000 ; Boudet, 2008, pp. 545-552.
424 Castigos, chap. xi, pp. 122-123 pour le jugement de Salomon.
425 Chave-Mahir, 2011, pp. 73-79.
426 Ortiz de Zúñiga, Anales eclesiásticos, t. I, p. 37 ; Espiau Eizaguirre, 1991, pp. 27-45, et plus particulièrement fig. 7, 10 et 11, pp. 31, 36 et 37 ; Ladero Quesada, 2001, pp. 26-27. Sur l’urbanisme sévillan à la fin du Moyen Âge : Collantes de Terán Sánchez, 1977, pp. 61-106.
427 Jiménez Martín, Pérez Peñaranda, 1997, pp. 11-31 et fig. 3, p. 147 sur la cathédrale mudéjare ; Laguna Paúl, 1999, 2001 et 2012 ; Almagro Gorbea, 2007c ; Nogales Rincón, 2009, t. II, pp. 1029-1265. Cette chapelle de Séville fixe un type de chapelle funéraire, dans la cathédrale, repris au xive siècle à Tolède et à Cordoue, et à Grenade à l’extrême fin du xve siècle (Ruiz Souza, 2006)
428 Sanz Serrano, 1998.
429 Ruiz Souza, 2006, p. 14.
430 Jiménez Martín, 2007.
431 Id., 2006, pp. 32-33, et note 136.
432 Andrès Díaz, 1984 ; Nieto Soria, 1993a, pp. 120-133 ; Carrasco Manchado, 2006b, 2007 et 2014.
433 Crónica de Alfonso XI, p. 204 ; Ruiz, 2009.
434 Rubin, 1991.
435 Gestoso y Pérez, 1891 ; Romeo Abao, 1991, pp. 115-140 ; Carrasco Manchado, 2006c, pp. 296-301.
436 Cómez Ramos, 2012. Diego Ortiz de Zúñiga pensait que cette porte avait été construite, à la manière d’un arc triomphal, grâce au butin remporté par Alphonse XI lors de la bataille du Salado en 1338 (Ortiz de Zúñiga, Anales eclesiásticos, t. II, p. 105). L’attribution fut réfutée au début du xxe siècle (Amador de los Ríos, 1911).
437 Il conviendrait de se demander dès lors si la véritable chapelle palatine ne fut pas cette chapelle royale entre la fin du règne d’Alphonse X et le règne de Pierre Ier plutôt que les différentes chapelles identifiées par tel ou tel auteur et de manière plus ou moins convaincante dans le palais du Colimaçon ou le nouvel appartement royal de la Montería, ce qui n’interdirait pas la présence de chapelles secondaires ou d’oratoires dans ces mêmes palais et autres dépendances de l’alcazar — chapelle Sainte-Élisabeth, chapelle de la Torre del Oro, chapelle de l’Arenal, chapelle San Clemente (Diplomatario andaluz, 1991, doc. 387, pp. 407-408). La discussion sur les différentes chapelles de ce complexe est ample par conséquent (Nogales Rincón, 2009, t. I, pp. 354-356). La chapelle du nouveau Cuarto Real a été localisée dans le Salón del Techo de Carlos V en raison de l’inscription de la prière Anima christi… au-dessus de sa porte, du côté du Patio de las Doncellas (Marín Fidalgo, 1990, t. I, p. 84 ; Cómez Ramos, 1996b, p. 67 ; Almagro Gorbea, 2009, p. 347). Cette chapelle mudéjare serait le résultat d’un réaménagement de l’ancienne chapelle San Clemente autrefois utilisée par Ferdinand III et Alphonse X, mais elle pourrait avoir été construite sous le règne d’Alphonse XI (Fernández Aguilera, 2015). Les têtes, masculine et féminine, au-dessus de sa porte, sous la frise armoriée, seraient celles de Pierre Ier et de María de Padilla (Cómez Ramos, 2007, §§ 6-7). Mais le point de départ, c’est-à-dire l’inscription de la prière Anima christi… date-t-il bien de l’époque de Pierre Ier ? L’inscription de cette même prière fut remarquée en 1948 dans la salle de la Galera de l’alcazar de Ségovie, dont le réaménagement avait été ordonné en 1412 par Catherine de Lancastre, la petite-fille de Pierre Ier (Leturia, 1948, pp. 41-42). Faut-il en conséquence retarder d’autant la date de l’inscription de Séville et, partant, de l’aménagement d’une chapelle dans ce qui est aujourd’hui appelé le Salón del Techo de Carlos V ? Les têtes représenteraient-elles Henri III et Catherine de Lancastre plutôt que Pierre Ier et María de Padilla ? Et faut-il dès lors les tenir pour une image de la réconciliation dynastique obtenue par leur mariage ? Ajoutons que dans l’hypothèse d’un même et seul ensemble palatin, il convient de considérer Séville, en plus d’autres réalisations pétristes, en particulier Tordesillas, comme un jalon d’autres types de complexes palatiaux, du palais-monastère de l’Escorial bien entendu, mais aussi du palais royal de Madrid dans sa configuration actuelle, face à l’Almudena seulement consacrée comme cathédrale de la capitale espagnole en 1993 par Jean-Paul II.
438 Foronda, 2009c.
439 Sur les émissions monétaires réalisées sous son règne, voir Domingo Figuerola, Balaguer, 1978, pp. 423-437 ; Castillo Caceres, 1991 ; Francicso Olmos, 2003, pp. 302-310.
440 Les Trastamare contribueront d’ailleurs à faire le succès de ce choix dans le monde hispanique jusqu’à l’époque moderne (Vandervorst, 1946, pp. 149-151).
441 Outre la reprise du même verset des Psaumes, les premières frappes d’Henri de Trastamare adoptent également l’initiale couronnée, encore que sont figurées les trois premières lettres du prénom royal (Fuentes Ganzo, 2015, pp. 232-233).
442 Cano Ávila, Mohamed Essawi, pp. 67.
443 Pérez Ferrer, Fernández Aguilera, 2004, pp. 9 et 33 ; Fernández Aguilera, 2012, fig. 102 et 104, pp. 153 et 155.
444 Dans ces inscriptions, la citation de Jean 6 domine, et plus particulièrement celle des versets 51-52/53. Sur ces portes : Amador de los Ríos, 1878 ; Camps Cazorla, 1927 ; Franco Mata, 2005, ce dernier article établissant un lien éventuel entre ces portes de tabernacles et la diffusion en Andalousie de la fête du Corpus Christi.
445 Le début de l’Évangile selon saint Jean devient de plus en plus fréquent dans les formules d’exorcisme à partir du xiie siècle (A. Franz, Die kirchlichen Benediktionen im Mittelalter, Fribourg, 1909, t. II, p. 52, cité dans Franchini, 1991, p. 88). Dans ce début, les mots à plus fort contenu apotropaïque sont ceux du premier verset, In prinipio erat verbum. Le quatorzième verset jouit également d’une forte popularité, mais la citation de la porte de la Qubba s’arrête au septième (Skemer, 2006, pp. 88 et 216).
446 Le supposé mode de distribution des grands doubles d’or de Pierre Ier en fait pratiquement des médailles, un support de l’image du prince appelé à un bel avenir et pour lequel Louis Marin employa l’expression d’« hostie royale » ou « hostie politique » (Marin, 1981, pp. 147-168). Sur la monnaie au regard de la sémiotique eucharistique, voir par ailleurs Kumler, pp. 188-190. Ajoutons que le type monétaire représenté par l’agnel ou le monton d’or, inspire la frappe de blancs d’argent ou de billon riche de l’agnus dei sous Jean Ier de Castille (Francisco Olmos, 2003, pp. 314-316).
447 Francisco Olmos, 2002, pp. 313-316 ; Mozo Monroy, García Montes, 2009 ; Mozo Monroy, 2017. Hélène Sirantoine évacue peut-être rapidement la question de la monnaie dans sa thèse sur l’idée impériale, estimant que les frappes d’Alphonse VI ne font usage ni d’une symbolique ni du titre impérial. Rappelons cependant que le premier emploi monétaire du chrisme date de l’époque romaine, après la conversion de Constantin. Ce chrisme pouvait donc être perçu d’emblée comme un symbole impérial (Sirantoine, 2012, pp. 251-252).
448 Dans le système de validation de ces documents solennels expédiés par la chancellerie, l’héraldique des royaumes de Castille et de León supplante la croix dans la roue sous le règne de Sanche IV tandis que le chrisme coexiste avec l’initiale E[n el nombre de Dios…] puis lui cède le pas, ainsi que parfois au portrait du roi, au cours de la seconde moitié du xive siècle. Au cours de cette période, le nom même du roi gagne visuellement en importance dans la mise en page du document (Villar Romero, 1964, t. I, pp. 459-483, pour le règne de Pierre Ier, jusqu’en 1362 ; Ostos Salcedo, Pardo Rodríguez, 1995 pour une présentation de l’ensemble du système de validation et de son évolution).
449 Cette question de la sémiotique de l’État a fait l’objet des derniers projets de recherches dirigés par Jean-Philippe Genet, Les vecteurs de l’idéel. Le pouvoir symbolique entre Moyen Âge et Renaissance (v. 1200 – v. 1640) tout d’abord, puis Signs and States. Semiotics of the Modern State. La première livraison de ces programmes porte précisément sur la politisation des messages religieux : Ventrone, Gaffuri, 2010.
450 Chave-Mahir, 2011, pp. 93-132. Le début de l’Évangile de saint Jean et le psaume 53 seront retenus dans le grand exorcisme du rituale romanun publié en 1614. Sur cette étape moderne, Dondelinger, 1990 et inédite.
451 Álvaro Pais, Espelho dos reis, t. I, pp. 54-55. Ce petit livre fut-il un livre d’exorcisme ? Nous serions là dans une chronologie très avancée par rapport à la date que donne Florence Chave-Mahir, autour de 1400, à partir d’un manuscrit conservé à Munich dont la deuxième partie est un véritable ordo d’exorcisme (Chave-Mahir, 2011, pp. 324-327 sur ce manuscrit et pp. 313-334 sur la genèse du livre des exorcismes). Quoi qu’il en soit, c’est avec la mention de ce supposé exorcisme pratiqué par Sanche IV que Marc Bloch ouvrit les quelques pages consacrées à l’Espagne dans son évaluation des tentatives d’imitation du toucher français et anglais des écrouelles (Bloch, 1983, pp. 151-155). Et cet exorcisme conduisit José Manuel Nieto Soria à attribuer un certain pouvoir thaumaturgique aux rois castillans (Nieto Soria, 1986 ; 1988, pp. 60-78 et 1989), contre la position d’une monarchie non-sacrée auparavant affirmée par Teofilo Ruiz, et réaffirmée par Peter Linehan et Adeline Rucquoi, sur la base de l’absence de sacre en Castille (Ruiz, 1984 ; Linehan, 1985 et 1992 ; Rucquoi, 1992). En lien étroit avec cette discussion, il convient de citer également les travaux de Denis Menjot sur l’aspect plus particulier des funérailles royales (Menjot, 1982 et 1988). Parmi les nombreux autres auteurs et travaux qui se sont fait l’écho et ont prolongé cette discussion, Franck Tang revient longuement sur l’œuvre d’Álvaro Pais (Tang, 2005). Le débat sur le cas hispanique rejoignait celui plus général sur la monarchie sacrée (Boureau, Ingerflom, 1992), la question de la validité d’un modèle et le téléologisme de certaines approches, en particulier celle de l’école cérémonialiste américaine (Boureau, 1988, 1991, 1992 et 1996). Pas plus qu’un autre roi d’Occident, même lorsqu’ils sont sacrés, les rois de Castille n’ont été intouchables. Et si la Castille est fort éloignée d’un supposé modèle français, on ne peut nier cependant certains aspects témoignant de tentatives ponctuelles de sacralisation, probablement plus rhétoriques que pratiques, encore que notre période soit marquée par deux couronnements (Sanche IV et Alphonse XI), avec une recherche d’effets tant sur le plan interne qu’externe. La voie empruntée par Pierre Ier à partir de 1360 peut être versée au dossier de l’improbable sacralité des rois en Castille, mais peut-être aussi en Occident, malgré les importants montages cérémoniels de certaines monarchies.
452 Rousseau, 2004, pp. 87-95.
453 Selon une logique en définitive assez comparable à celle dont témoigne le procès de Boniface VIII, où les accusations prenaient pour base l’intérêt de ce pape pour les savoirs et les pratiques de l’occultisme (Coste, 1995 ; Boucheron, 2007). Comme indiqué précédemment à propos du Victorial, dans le cas de Pierre Ier l’accusation d’occultisme est liée à la dénonciation de l’influence de ses conseillers juifs.
454 Ajoutons que la tentative pétriste de réinvestir sur le tard la fiction chevaleresque au travers de la production d’un nouveau manuscrit enluminé de la Historia troyana n’y fait rien (Santander, Biblioteca Menéndez Pelayo, Ms. 558). Le projet est probablement abandonné dès le début de 1366 (Rodríguez Porto, 2012, t. II, pp. 725-746 ; Pichel Gotérrez, inédite et 2016).
455 Outre l’exemple de grattage du nom du roi qu’offre le Becerro de la behetrías (AGS, Patronato Real, leg. 13, doc. 18, fo Iro), où il est remplacé par celui de son père, cet aspect de la damnatio memoriae organisée par le pouvoir henricien présente un caractère systématique dans la convocation et les actes des premières Cortes trastamare réunies à Burgos en 1367. Pierre Ier n’y est désigné que par des formules indiquant le dévoiement tyrannique de sa royauté (« aquel tirano malo enemigo de Dios e de la su Santa Madre Eglesia », lettre du 13 avril 1366 adressée au Conseil de Covarrubias (Cartulario del Infantado de Covarrubias, doc. clxxxix, p. 217 ; « aquel malo tirano que se llamaua Rey », « dicho tirano malo », « aquel tirano que se llamaua Rey », CLC, t. II, Burgos, 1367, pp. 146 [2], 147 [4], 154 [18], 158 [9], 159 [13] et 161 [17]) et quelle peur il inspirait (« por miedo e rreçelo que auien del », « por grand miedo del dicho tirano malo », ibid., pp. 147-148 [4 et 5]). Sur ces documents et ce premier déploiement d’une propagande trastamare désormais royale : Valdeón Baruque, 1966, pp. 96-98 et 1992. Sur le rôle directeur remplit dans ce déploiement par la chancellerie henricienne, sur laquelle nous allons revenir dès le début du chapitre suivant, voir ces quelques jalons : Ostolaza Elizondo, 1993 ; Rábade Obradó, 1995 ; Valdaliso Casanova, 2009.
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