Chapitre V. La régulation de la ferveur
p. 179-203
Texte intégral
1Cette violence doit être modérée et réglée, au risque de frustrer le zèle des plus pénitentes. Les modèles de sainteté et les Écritures constituaient déjà des moyens d’encadrer et de normer les pénitences, tout en laissant suffisamment de marges aux religieuses dans leur quête difficile de conformation au Christ. La constitution progressive du Carmel déchaussé, entre les années 1560 et les années 1590, suppose également une normalisation croissante de la pratique pénitentielle. L’enthousiasme pénitentiel ne s’accorde pas nécessairement avec l’encadrement de la foi mis en place par la réforme du Carmel et, plus largement, par le concile de Trente dont l’ordre naissant anticipe ou confirme les principales orientations. La rupture entre Thérèse d’Ávila et les religieuses de son ancien couvent de la Encarnación se fait autour de la question de l’adoucissement de la règle et des constitutions. Mi-XVIe siècle, l’ordre du Carmel suit la règle de saint Albert, mitigée par Eugène IV en 1432 par la bulle Romani Pontificis providentia, qui constituait la règle suivie à la Encarnación complétée par des constitutions1. Sans qu’elle ne le sache, la règle à laquelle revient Thérèse d’Ávila n’est pas véritablement la règle primitive, mais une règle amendée en 1247 par Innocent IV, pour adapter la vie érémitique que les premiers carmes menaient en Orient aux contraintes de la vie urbaine. La règle de 1432 poussait néanmoins nettement plus loin la mitigation, en relâchant notamment les rigueurs du jeûne. Les textes des deux règles diffèrent peu, mais la bulle de 1432 rattachait à celles-ci un certain nombre d’exemptions. Le rescrit obtenu par la réformatrice le 7 février 1562 l’autorisait à fonder un couvent en revenant à la règle de 1247. L’objectif était un renforcement de la dimension ascétique et érémitique de la vie religieuse, sans abandonner la vie communautaire. Malgré cela, la règle proprement dite ne donne aucune information précise et laisse aux constitutions le soin d’organiser les pénitences.
2Ce chapitre reprend cet encadrement de la pratique et analyse dans quelle mesure il est suivi dans les pratiques des religieuses. Entre ce que demande l’institution et les angoisses individuelles il existe des tensions manifestes qui rendent l’exercice de la pénitence assez problématique, puisque, au bout du compte, normer la pénitence revient à la restreindre. En un sens, le fait de canaliser la ferveur pénitentielle des religieuses en la théâtralisant ou en la concentrant sur les enjeux collectifs du salut permettait déjà de lutter contre les désordres dangereux qui peuvent naître des excès pénitentiels. Mais avec les constitutions et les recommandations des supérieurs, l’encadrement de la pénitence va plus loin. Cette volonté de contrôle n’est pas que la marque d’une mainmise ecclésiastique sur le zèle religieux tout à fait banale pour la période tridentine. Elle est également un signe de plus des dangers du corps, dont il faut maîtriser les excès dans tous les domaines. Elle est surtout l’indice d’une tension interne propre à l’institution conventuelle, qui désire produire des saintes, tout en cultivant l’uniformité. Cette situation soumet les religieuses à des injonctions contradictoires (double bind)2 qui portent au plus haut point les contradictions du travail du corps. Le double bind désigne des énoncés contradictoires dont chaque exigence ne peut pas être satisfaite tout en respectant les autres. Si le concept est d’abord développé pour avoir une application dans le registre de la psychologie, ce n’est pas pour analyser les religieuses à quatre siècles de distance qu’il a un intérêt. Il est fécond dès lorsqu’il permet d’éclairer leur rapport aux normes de comportement auxquelles elles sont supposées se soumettre. Il insiste explicitement sur l’impossible alternative dans laquelle les individus sont maintenus, qui impose des choix et des comportements qui cherchent à lever la contradiction sans y parvenir. Ce chapitre commencera donc par exposer les normes qui régulent la pratique pénitentielle avant de décrire leurs contradictions internes, en essayant de comprendre si elles parviennent, au bout du compte, à limiter la violence des religieuses.
I. — NORMER LE ZÈLE
L’ENCADREMENT CROISSANT DE LA PRATIQUE PÉNITENTIELLE
3Les carmes ont minutieusement comparé les différentes éditions des Constituciones pour en dégager le plus souvent un esprit un peu intemporel de la réforme thérésienne3. Seul un article d’Alison Weber4 a repris certaines de ses grandes ruptures sous l’angle des rapports de forces entre branche masculine et branche féminine de l’ordre. Le cas de la discipline laisse pourtant voir des évolutions profondes. Le texte des Constitutions a dû être rédigé tôt, peut-être dès août 1562 après l’érection du premier couvent, et la fondatrice y fait déjà référence dans le Libro de la vida et le Camino de perfección (1565 et 1566). On ne dispose que du texte proposé en 1567 et approuvé un an plus tard par le général Rossi par trois manuscrits plus tardifs. Pour estimer l’état des constitutions auparavant, on garde un brouillon de constitutions pour les carmes déchaux, daté lui aussi de 1567, copié de celles des religieuses. Le passage consacré aux disciplines, absent dans ce brouillon de 1567, est introduit dans la version proposée à Rossi :
Les disciplines à prendre sont fixées par le cérémonial. Certaines se prennent les jours de férie : en carême et pendant l’avent, on les prendra chaque fois que l’on fait l’office de la férie et durant les autres temps, on la prendra les lundis, mercredis et vendredis. En outre on la prendra tous les vendredis de l’année […] Chaque sœur se donnera cette discipline elle-même au chœur après chaque matines. Les autres disciplines seront données avec des verges comme l’indique le cérémonial. Qu’aucune ne prenne d’autres disciplines et ne fasse des pénitences sans permission5.
4Le passage est emprunté au cérémonial en vigueur, daté de 1544, qui réglait ce type de pratiques de manière sensiblement plus violente qu’à la Encarnación, dont les constitutions recommandaient de prendre les disciplines les lundis, mercredis et vendredis, toute l’année, sauf si ces jours étaient des jours de fêtes6. La réforme de l’ordre revient à augmenter les disciplines pendant l’avent et le carême, puisqu’il faut alors se discipliner tous les jours, pour peu qu’aucune fête ne tombe ce jour-là. Le passage lui-même est rattaché au texte à l’extrême fin des constitutions dans les manuscrits de Medina del Campo et Alcalá de Henares. Quand le texte des Constituciones est réécrit en 1581 et approuvé par le chapitre d’Alcalá, le passage dédié aux disciplines est rattaché au chapitre sur l’humilité et la pénitence et reste inchangé, à la précision près qu’on se flagelle avec des verges7. Il est repris dans la version latine donnée par Sixte V en 15908 et semble donc encadrer la pratique dans les trente premières années de l’ordre. En revanche, les constitutions de 1592 modifient la teneur du texte, puisque toute référence au cérémonial est supprimée. La seule discipline explicitement demandée est alors celle du vendredi :
Les religieuses prennent la discipline en communauté […]. La discipline durera le temps qu’on récite le psaume Miserere mei Deus et les autres prières pour les choses susdites et pour la sainte Église de Dieu. Cette discipline se prendra au chœur tous les vendredis de l’année après les matines. Et aucune religieuse ne prend une discipline extraordinaire ni ne fait aucune pénitence particulière sans une autorisation de la prieure9.
5Ce changement n’est pas simple à interpréter. Il semble à première vue qu’il soit le signe d’une volonté de modérer les flagellations. En supprimant la référence au cérémonial, on laissait de côté les disciplines quotidiennes de l’avent et du carême et celles des lundis et mercredis. La pratique de la discipline collective s’en trouve singulièrement diminuée et réduite à une discipline hebdomadaire.
6Cette diminution mérite qu’on s’y arrête. Il pourrait sembler douteux qu’on en revienne à une situation plus douce que celle qui était en vigueur avant la réforme proprement dite, moins de dix ans après la mort de la fondatrice. L’écart n’est d’ailleurs peut-être pas si grand puisque les très nombreuses fêtes du bréviaire du Carmel adoucissaient nécessairement beaucoup la rigueur du cérémonial de 1544. Nombre de lundis, mercredis et vendredis tombaient un jour de fête, et le reflux de la discipline dans les constitutions est d’abord lié aux évolutions de la liturgie. Le texte antérieur était fait pour s’accorder au cérémonial daté de 1544 et au bréviaire du Carmel, dont la dernière édition remontait à 1551. Mais l’ordre naissant doit alors s’adapter à la nouvelle liturgie promue par Rome avec la publication du nouveau Breviarum Romanum en 1568 et du missel en 1570. La disparition de la référence au cérémonial de 1544 dans les constitutions de 1592 ne traduit dans ce cas que le fait qu’il est caduc, dans la mesure où les carmes déchaux ont déjà publié un nouveau cérémonial en 159010. Ce dernier est adapté aux couvents masculins et rédigé en latin. Il peut légitimement justifier qu’on supprime toute référence à celui de 1544 sans être introduit explicitement dans les constitutions des moniales. Jean de la Croix s’en explique d’ailleurs à María de Jesús, alors prieure de Cordoue :
Il n’y a plus de disciplines de verges, même lorsqu’on fait l’office de férie, parce que cela a disparu avec le cérémonial du Carmel, qui avait très peu de jours sans fête, et qui les réservait à certaines périodes11.
7Cette remarque essentielle, formulée dans une lettre datée du 7 juin 1591, confirme le fait que les modifications de 1592 s’expliquent par la nécessité de s’adapter au rituel romain en abandonnant le bréviaire traditionnel du Carmel. La décision de faire un nouveau cérémonial avait été prise dès 1586 lors d’un conseil des supérieurs de l’ordre. Pour avoir un cérémonial destiné aux religieuses, il faut attendre 1622. Le changement dans les constitutions ne serait donc pas nécessairement animé par une volonté de diminuer les pénitences conventuelles, il est le fruit d’une adaptation à la réforme de la liturgie.
8Ces nuances sont-elles pour autant suffisantes pour justifier l’idée que la discipline collective recule ? Ce type de pratique étant tout autant régi par la coutume que par les textes, on pourrait en effet avancer que cette limitation a peut-être assez peu d’impact. Qu’une prieure comme María de Jesús demande des éclaircissements n’interdit pas de penser qu’elle se laissera guider par la tradition, d’autant que les prieures peuvent autoriser des disciplines supplémentaires. Le rythme ancien des disciplines pourrait donc perdurer malgré les modifications des constitutions, à la faveur du vide juridique relatif laissé par le rejet de la tradition représentée par le cérémonial de 1544.
9Il nous semble malgré tout qu’il faut insister davantage sur la limitation des disciplines. Tout d’abord, le cérémonial de 1590 est plus modéré que celui de 1544, et la discipline hebdomadaire est tout à fait en accord avec ses recommandations. Ensuite, si les textes normatifs ne permettent pas de préjuger de la pratique, les constitutions de 1592 sont prises dans un contexte particulier. On sait que l’autorité du provincial Nicolas Doria s’impose alors aux religieuses rebelles qui contestaient les changements apportés aux constitutions depuis 1588. Si les constitutions de 1590 ne portent pas la trace de la question du bréviaire romain, c’est parce qu’elles sont la confirmation de celles de 1581 par Sixte V, à la demande des prieures en rupture de ban auxquelles le bref Salvatoris (5 juin 1590) avait donné raison pour un temps. Dès 1592, la résistance rompue, le programme initial de Doria peut être traduit dans les textes avec la bénédiction de Rome. Certes, le conflit interne de l’ordre ne portait pas sur la question des disciplines communautaires, mais, pour ce qui est des religieuses, sur les pouvoirs de la prieure et sur la possibilité de choisir ses confesseurs. Cependant, une fois cet épisode terminé et les opposantes malheureuses déboutées par Rome12, Doria entreprend de raffermir le respect de la règle et se prononce pour une application très sourcilleuse des constitutions de l’ordre et un renforcement de l’austérité. Il s’oppose notamment aux religieuses par sa volonté de faire disparaître la récréation. Contestée ou non appliquée, l’obligation de se dispenser de viande doit, par exemple, être rappelée par Doria aux religieuses dans une lettre datée de janvier 159013, qui confirme la ligne austère qu’il s’était fixée en étant élu provincial en 158514 en interdisant les œufs les jours de jeûnes. Le relâchement condamné par Doria concerne en effet le retour à un jeûne rigoureux, plutôt que les pénitences personnelles. En visite dans un couvent, les religieuses lui auraient offert des perdrix, à sa grande colère15. Une Vie de Cecilia del Nacimiento, morte en 1646, la loue en effet pour se nourrir exclusivement d’œufs16, ce qui témoigne de ce que l’érémitisme austère des premiers temps a tendance à être oublié. Début XVIIe siècle, Ana de Jesús aurait repris avec une grande rigueur ses religieuses car elles lui accordaient pour la nourriture un traitement de faveur17. Pourtant, il est difficile de tirer de ce type d’exemple, assez commun, des conclusions sur le relâchement des mœurs qui aurait pu intervenir en la matière, puisqu’ils sont avant tout destinés à souligner la constance et la rectitude des supérieurs. Ce zèle austère n’est d’ailleurs pas né avec Doria. Dès 1581, au moment de la rédaction des constitutions, Thérèse d’Ávila avait accepté à contrecœur une exigence du visiteur apostolique Pedro Fernández qui interdisait le pain et les œufs dans les collations, alors que la fondatrice y voyait surtout un risque d’augmenter le scrupule de ses filles18. Le thème du relâchement des coutumes constitue un lieu commun de l’hagiographie, naturellement portée à louer le temps des fondations au fur et à mesure qu’il s’éloigne. Ces remarques reflètent donc sans doute la loi du genre plus que l’évolution des pratiques elles-mêmes.
10Il reste que Doria était lui-même un partisan de l’ascétisme, non de la douceur. La réduction du nombre de disciplines pourrait donc surprendre. Présentées comme un retour à l’esprit du désert et à la règle, ses mesures ne devraient-elles pas augmenter les pénitences ou au moins maintenir leur nombre, tout comme elles insistaient sur le jeûne dont le respect s’était relâché ? Est-ce le signe que la discipline s’était déjà à ce point perdue que d’insister sur une flagellation hebdomadaire constituait déjà un retour à la rigueur ? À l’inverse du jeûne, les sources ne se plaignent pourtant pas explicitement de ce que la pénitence n’est plus respectée. Pour comprendre ce paradoxe d’une modération menée au nom de l’austérité, il faut rappeler que, du point de vue de Doria, la régularité et l’obéissance priment sur la pénitence. Doria souhaite contrôler davantage les pénitences excessives et désordonnées, et limiter les excès. Ainsi, il semble que le port de semelles métalliques, destinées à mortifier la plante des pieds, ait été interdit dès les années 1590 et les disciplines de sang au début du XVIIe siècle par Alonso de Jesús María, général de 1607 à 1613 et partisan de la ligne initiée par Doria19. À cet égard, on peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles les constitutions de 1616 limitent à deux fois par semaine les confessions20. Si la justification qui vient naturellement à l’esprit est de limiter les rapports entre les religieuses et les confesseurs, cela revient également à limiter les pratiques pénitentielles. L’institutionnalisation progressive d’une confession régulière, outre qu’elle accroît la sensibilité de chacune à son péché, conduit probablement mécaniquement à augmenter la cadence des disciplines, puisque le confesseur peut donner des pénitences supplémentaires. Il faudrait donc se garder de revenir sur l’austérité, mais se discipliner mieux, c’est-à-dire plus régulièrement, au sens d’une conformité avec la règle. Puisque les premières années s’étaient caractérisées par une relative liberté des prieures, qui se distinguaient notamment par l’excès de leurs mortifications, la reprise en main de la branche féminine de l’ordre par le Carmel masculin se traduit par une réduction à la règle, qui implique une limitation de la pénitence. La modération misogyne de la pénitence est donc mise en place par un général, pourtant très ascétique, au nom d’une rigueur réglée qui réclame une lutte contre toutes les formes d’excès, y compris les excès pénitentiels. Si la disparition de la référence au cérémonial de 1544 est liée aux évolutions de la liturgie, elle rencontre donc un mouvement de fond qui limite en quelque sorte la discipline au nom de la discipline, de l’austérité et de la règle. Les constitutions suivantes, approuvées en 1604 et confirmées par Rome en 1616, poursuivent cette modération de la flagellation conventuelle sans apporter de changement véritable.
11Derrière cette limitation de la pénitence, il y a tout un discours qui prévient contre ses dangers. Ceux-ci sont palpables dans le cérémonial enfin écrit pour les religieuses en 1622, qui reprend dans le détail la manière de procéder :
On prend la discipline après les complies du vendredi, sauf les jours indiqués dans les constitutions, lumières éteintes, en laissant suffisamment de temps et d’espace pour que les religieuses se préparent. La présidente commencera alors le psaume Miserere mei et les religieuses le reprendront en chœur, et une fois terminé ceci, on dit l’antiphone Christus factus est pro nobis et celle qui préside dit alors la prière, Respice quaesumus, protege domine, et quaesumus omnipotens deus, pour le roi, et si on n’est pas pressé, on pourra ajouter une autre intention. La présidente conclura et après qu’on a dit amen, la discipline cesse. Après avoir attendu un peu, le temps que les religieuses se recomposent, la présidente fera un signe pour qu’on rallume les lumières, et jamais avant. De la même manière au début, on ne les éteindra pas avant que chacune ne soit à sa place et personne ne commencera à se discipliner avant qu’après le signe de la présidente, on commence à chanter le psaume. Pour se discipliner, toutes les religieuses seront debout, et disposées de telle manière qu’elles ne se blessent ni ne se gênent les unes les autres. On se flagelle avec la ceinture, sans y mettre jamais de chardons ou d’autres instruments pour se faire saigner. Après la discipline, la présidente et la religieuse en charge des tablillas[21] peuvent demander un Pater Noster ou un Ave Maria pour une intention commune, mais aucune autre religieuse ne demandera d’autres prières22.
12Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces règlements et de leurs évolutions. Le temps de la discipline proprement dit s’est déplacé des matines aux complies, ce qui ne fait que refléter la réorganisation de la journée au fur et à mesure que les constitutions ont été modifiées23. De même, le texte fait référence à la « presidente », qui désigne dans ce cas la religieuse en charge du chœur, changeant suivant la situation du couvent (la sous-prieure, le plus souvent) : un signe de la complexification et de la division des tâches dans l’ordre. Plus significative pour notre propos est l’inflation du texte. Elle met d’abord en évidence la différence entre les deux sources : des constitutions nécessairement succinctes et un cérémonial appelé à décrire dans les détails le déroulement des choses. À comparer les deux cérémoniaux, le texte de 1622 est à peine plus précis que celui de 1544. Mais son souci du détail montre à quel point la discipline est un exercice ayant lui-même besoin d’être réglé, qui châtie le corps par le corps tout en se méfiant de ses désordres. Dans le cérémonial que nous venons de citer, la discipline collective se prend dans le noir, en suivant le rythme sonore imposé par le claquement des coups que se donne la supérieure, eux-mêmes atténués par la psalmodie, en prenant toutes les garanties pour que le corps ne soit pas dévoilé au regard des autres. La chose mérite d’être notée puisque, originellement, dans la vie monastique, la discipline se prenait dénudé24, c’est-à-dire en chemise, pour pouvoir toucher plus de parties du corps, notamment les jambes et les cuisses inaccessibles autrement. Les religieuses étant déjà très découragées de regarder leur propre corps, il est impensable, en théorie, qu’elles voient celui des autres. Leur temps de préparation consiste donc à ajuster leur discipline et à dénuder leurs épaules. La discipline se prend avec la ceinture, alors que les premières constitutions invitaient à se discipliner avec des verges. En soi, c’est un signe de reflux de la pénitence : non seulement les verges étaient plus sanglantes, mais encore l’utilisation d’un élément du vêtement à des fins de mortification implique qu’on délaisse les objets qui pouvaient lui être spécifiquement dédiés. Elle est mesurée parce qu’elle cherche à ne pas faire couler le sang. Elle est l’image d’une pénitence domptée et, dans la précision de sa description, on lit tous les dangers qu’elle conjure : religieuses décomposées, excessives, sanglantes, corps trop ostensibles et trop dévoilés. La pénitence communautaire se fait pour le salut collectif, elle tire sa force de l’uniformité et de l’unanimité de la communauté dans le geste et non du zèle de chacune. Le geste tire ici sa vertu du fait qu’il suit la règle.
13Cette insistance sur le contrôle de la discipline collective est indissociable d’un discours sur la modération de la pénitence et de la mortification qu’on trouvait déjà chez Thérèse d’Ávila. L’excès pénitentiel invite à la vanité. Si les pénitences rigoureuses des religieuses sont toujours louées, l’hypocrisie guette celle qui s’imagine plus avancée que d’autres sur le chemin de la sainteté parce qu’elle s’inflige des peines plus grandes. La guerre que l’on fait à la chair doit être d’autant plus violente que celle-ci est rebelle, mais tout ce travail ne sert à rien si le contrôle du corps se corrompt dans un vice de l’âme. Par ailleurs, les excès des macérations corporelles peuvent être dommageables. La première raison de se modérer est d’abord le risque de maladie : il faut rester suffisamment saine et vigoureuse pour supporter les austérités de l’ordre et continuer à remplir les obligations de son état. De plus, les excès de la mortification du corps sont très néfastes pour l’esprit : un corps affaibli l’incommode, perturbe la prière par ses douleurs, gène et brouille le discernement25. Le manque de sang et de sommeil conduit à des fausses extases ou à des visions trompeuses, une question à propos de laquelle Thérèse d’Ávila se présente comme une prieure vigilante26. Enfin, la violence est une excitation sensuelle qu’il faut maîtriser. Il ne s’agit pas explicitement ou uniquement d’un plaisir sexuel que l’inquisition commence à réprimer chez certains confesseurs sollicitants trop enclins à demander à châtier par le fouet leurs pénitentes27. Dès les années 1530, les relations de causes inquisitoriales laissent percevoir ce type de sollicitation et, si la clôture est supposée remédier à ces problèmes pour les religieuses, il est clair pour les inquisiteurs que la distinction entre un usage sensuel et un usage pénitentiel de la flagellation n’est pas toujours aisée. Bartolomé Bennassar juge qu’au XVIIe siècle la confusion est assez nette dans les pratiques des disciplinants28. Mais, même en écartant ces cas-là, il y a dans l’esprit de la mortification, du point de vue des religieux, un risque de désordre qui montre qu’elle peut autant être un châtiment du corps qu’un signe des mouvements sensuels qui l’animent. Dans certains cas, la frénésie mortifiante est décrite comme une sorte de folie. Ana de San Bartolomé le rapporte notamment pour une religieuse madrilène :
Dans ce couvent de Madrid, il y avait une religieuse, lorsque j’y étais, très dévote et très incline à la pénitence, à laquelle on donnait des licences extraordinaires de les faire pour satisfaire ses désirs, si bien qu’elle en devint folle furieuse pendant sept mois29.
14Une autre chronique précise qu’elle s’appelle María de Jesús et que les pénitences qu’elle s’infligeait étaient si grandes, tant ses jeûnes que ses disciplines, qu’elle en perdit la tête et le jugement30, si bien qu’on fut obligé de l’attacher jusqu’à ce qu’elle soit guérie par des apparitions. Cette folie née d’une pénitence mal maîtrisée fait autant de dommages à l’âme qu’au corps. Très insidieusement, la mortification peut donner l’impression qu’elle réfrène le corps tout en cherchant, consciemment ou non, à le satisfaire. Le vocabulaire d’Ana de San Bartolomé n’est pas équivoque : la pénitence est une inclination, ce qui la renvoie directement aux inclinations du corps dont elle partage l’ambivalence. Si elle est toujours décrite comme une fièvre de plaire à Dieu, l’idée qu’elle puisse « satisfaire » un désir, comme le dit Ana, en dit long sur les ambiguïtés de ce mouvement. Jean de la Croix considère que l’excès de pénitence est un aiguillon et une nourriture pour les tentations de la chair. Il stigmatise les excès dans la lutte contre le corps et l’ignorance de ceux qui se chargent de pénitences extraordinaires et pensent que cela suffit pour parvenir à l’union divine31. Diego Pérez de Valdivia prévient également contre ces excès32. Il faut mortifier son désir de se mortifier et contenir les ferveurs de la mortification et de la pénitence dans les limites de la raison. Domingo de Soto, pour prendre un dernier exemple, ne dit pas autre chose :
Les œuvres extérieures qui naissent de cet amour, comme les jeûnes, les oraisons et les choses du même ordre doivent être faites d’une certaine manière et réglées sur la raison, car comme le dit saint Paul votre service doit être conforme à la raison33.
15Ces mises en garde dérivent d’ailleurs des critiques exprimées contre les confréries de disciplinants. Ainsi, en 1554, les constitutions synodales de Guadix, en Andalousie, les condamnent comme des pratiques superstitieuses et contraires à la doctrine de saint Paul qui montre que les offrandes des chrétiens doivent être fondées sur la charité réglée par la raison, selon la formule retenue34. Pour les flagellants du Moyen Âge, ces critiques ont été formulées par des figures aussi éminentes que Gerson et ont conduit à leur condamnation par l’Église. Cette mémoire de l’hérésie des flagellants n’est pas oubliée en Espagne alors que se multiplient les confréries de disciplinants et impose qu’on prenne ses distances avec les excès de jadis. Une Vie de Catalina Cardona, pourtant très experte en pénitences excessives, tente ainsi de conjurer par avance la réputation gênante d’ascète désordonnée qu’on pourrait lui attacher. L’hagiographe se penche sur la signification du mot « discipline » en écrivant :
Une discipline de sang n’est pas plus estimable et profitable que le martyr, comme le disent les hérétiques que pour cette raison on appelait les flagellants35.
16Le jeûne lui-même est plus profitable, ajoute-t-il. Mortifications et pénitences doivent être ordonnées et réglées pour plaire à Dieu. Cette violence maîtrisée et disciplinée n’est pourtant pas l’opposée des violences extraverties et publicisées des processions des confréries. Elle constitue au contraire leur prolongement routinisé qui prend acte de la nécessité de se prévenir du péché dans une période aussi sombre. Le contrôle de la mortification ne traduit pas son refoulement, mais la nécessité d’une violence réglée et continue, l’exigence d’un travail qui s’étale et fait ressentir ses effets dans la durée.
17Cette sobriété est d’un maniement délicat pour l’historien. Thérèse d’Ávila a la réputation d’être une religieuse plutôt modérée36 et pour qui la pénitence est surtout nécessaire à ceux qui commencent leur carrière spirituelle et doit être menée avec une grande délicatesse, en fonction de l’état de chacune37. Mais si son discours est clair, il ne permet pas d’apprécier ses pratiques dont toutes les religieuses notent l’austérité. Pas plus qu’on ne peut tirer de conclusions sur les pratiques à partir des normes, tant l’écart peut être grand, on ne peut déduire de ce type de discours des conclusions sur la moindre violence des pratiques. Lorsqu’il est mis dans la bouche de Thérèse d’Ávila, il doit être replacé dans un contexte particulièrement violent, y compris en ce qui concerne les pratiques de la fondatrice. Il est certain qu’il ne signifie pas que la mortification soit une pratique dédaignée et encore moins condamnée par l’illustre religieuse, qui n’est pas l’apôtre d’une piété douce envers le corps, mais, tant qu’on ne peut pas estimer les pratiques elles-mêmes, leur « modération » ne nous donne pas d’indication. Elle n’implique pas d’ailleurs une diminution de la mortification. Ce qui est stigmatisé dans ce discours ce n’est pas la violence, mais le fait qu’elle ne se maîtrise plus. Certes, plus on va loin dans la violence, plus elle est difficile à maîtriser, et, de ce point de vue, se modérer signifie bien diminuer les peines que l’on s’inflige. Mais la nuance reste d’importance parce qu’elle implique que les âmes les mieux mortifiées seront précisément celles qui arriveront à maîtriser la plus grande quantité de violence. La mortification modérée n’est donc pas nécessairement une mortification affaiblie.
LES GLISSEMENTS DES MODÈLES DE SAINTETÉ : UNE HAGIOGRAPHIE CONTRADICTOIRE
18Au-delà de l’encadrement explicite des pratiques pénitentielles qui invite à les limiter, la ferveur des religieuses est également régulée par les modèles de sainteté auxquels elles sont confrontées. Nous avons noté plus haut que certains des modèles de sainteté proposés aux religieuses constituaient un appel net à l’accroissement de leur peine, notamment les vierges martyrs et les Pères du désert. Néanmoins, l’hagiographie de l’ordre qui s’écrit à partir de la fin du siècle et dans laquelle nous puisons nos exemples, tout en restant truffée de références à ces modèles ascétiques, prône en même temps un respect aveugle des recommandations des supérieurs et de la règle, qui ne peut que heurter la liberté pénitentielle des religieuses.
19La culture de l’obéissance qui règne au couvent et que relaye la Vie des religieuses devrait inciter les pénitentes les plus exaltées à la prudence. Les Vies louent continuellement la sainte observance de la règle, selon une formule des constitutions de 158838. La ponctualité, également si souvent mise en avant, ne désigne pas uniquement la régularité de l’assistance aux offices, mais la capacité à suivre les normes du couvent dans leurs aspects les plus précis et les plus complexes — au point près — et avec un empressement diligent. Alonso de Jesús María, dont nous avons déjà noté qu’il était dans la ligne observante de Doria, ouvre la préface qu’il donne au livre des cérémonies des religieuses (1622) par cette référence à la ponctuelle observance de la règle :
[Il faut cultiver l’obéissance et l’observance] parce que ce sont les principales obligations de notre état. Comparées aux choses plus essentielles, elles pourraient paraître petites, mais elles sont en réalité très importantes pour la convenance, la gravité et le bon ordre extérieur. Elles sont comme un rempart pour la défense et l’aide des affaires plus importantes39.
20« Le Christ et sa mère [ajoute-il] ne se sont-ils pas soumis ponctuellement à toutes les cérémonies de l’ancienne loi ?40 ». Cette apologie du salut par le détail, typique de la littérature monastique, se retrouve dans les Vies des religieuses dont on loue toujours la ponctualité41. Une chronique du couvent de Valence signale que sœur Juana del Espíritu Santo, très pénitente, ne faisait cependant rien qui puisse l’empêcher de satisfaire aux exigences de la règle avec ponctualité42 et qu’elle connaît la règle par cœur, ainsi que le calendrier. Une chronique rappelle le « zèle dans l’observance de la règle43 » d’Ana de la Madre de Dios. La converse María de San Andrés fait preuve d’« une obéissance sincère et pure, en particulier pour ce qui touche à la règle et aux constitutions44 », autant qu’une aristocrate comme Catalina de Jesús45 ou que María de Jesús, très observante des obligations de la règle46. Le principe d’obéissance à la règle implique qu’on reproduise ces prescriptions « à la lettre47 » avant d’en comprendre nécessairement le contenu, voire qu’on les connaissent par cœur48. L’épisode connu des Fondations où Thérèse d’Ávila contraint une religieuse à planter une graine dans un terrain où manifestement elle ne poussera pas, à rebours du sens commun, est là pour rappeler que l’obéissance peut se passer d’un contenu légitime.
Un jour que nous étions au réfectoire, on nous servit des portions de concombres. Il m’en échut un tout petit et pourri en dedans. J’appelais, sans faire semblant de rien, une des religieuses qui avaient le plus de jugement et de capacité [Maria Bautista Ocampo], afin d’éprouver son obéissance. Je lui dis d’aller planter ce concombre dans un petit jardin que nous avions. Elle me demanda si elle devait le placer droit ou couché. Je lui répondis de le mettre couché. Elle partit, et fit ce que j’avais dit, sans qu’il lui vienne à l’esprit que ce concombre sécherait nécessairement. Le respect de l’obéissance aveugla en elle la raison naturelle, et lui fit croire que l’ordre donné était très raisonnable49.
21Ana de San Bartolomé loue encore cette obéissance inconditionnelle et « aveugle » qui implique de mourir à nous-mêmes et à notre propre jugement50, en reprenant l’exemple de sainte Euphrasie, forcée par ses supérieurs à déplacer des pierres d’un endroit à un autre51 : un exemple visiblement suivi à Beas où la converse Catalina de San Alberto aurait déplacé des pierres à la demande de la prieure52. À Pastrana, la mère Isabel aurait forcé Ana de la Trinidad à planter des pousses dans un sol pour le moins ingrat, en référence aux recommandations de Thérèse d’Ávila :
Il y avait des pousses d’œillets des Indes au sol, et la mère Isabel lui ordonna qu’elle se lève et qu’elle aille les planter sur un tas de chaux et de sable qui était destiné aux travaux du monastère, en précisant qu’elle fasse bien attention à les arroser tous les jours53.
22Il y a peut-être un sens caché à ces pratiques. La plante et la fleur étant parmi les images les plus communes des vertus, il pourrait s’agir de montrer que l’obéissance est la condition et le creuset de toutes les autres et qu’elle produit des effets miraculeux. De la même manière, le fait de porter de lourdes charges renvoie à l’une des images les plus communes de la vocation religieuse, celle d’un bétail portant le joug du Christ, à qui toute charge paraît légère. Mais, malgré cela, ce type de lieu commun, courant dans la littérature monastique, montre à l’évidence que la vertu d’obéissance, parce qu’elle encourage la soumission à une norme extérieure, est d’autant plus valorisée que la norme elle-même est une pure forme, ni questionnée ni comprise. Le plus enthousiasmant dans les deux exemples cités est que la raison naturelle ait été aveuglée au point qu’un ordre, manifestement abscons, pouvait passer pour justifié et légitime du simple fait qu’il émanait d’une autorité. Cela dénote un degré d’assentiment supérieur aux vertus de l’obéissance plus qu’un respect des commandements qui resterait conscient de leur insuffisance. Le respect de l’ordre, purement formel, implique qu’il soit juste. La question que posent la règle ou les commandements des supérieurs n’est donc pas celle de leur justice ou de leur utilité, mais celle de leur interprétation. La religieuse idéale est supposée se demander comment accomplir l’obéissance et non pas si les ordres qu’on lui donne sont justes. Le scrupule est une conséquence logique de cette interprétation rigoriste du commandement. Ainsi, une religieuse de Cuenca, parce qu’on lui a dit qu’elle ne devait jamais se découvrir, ne sortit plus jamais ses bras de son lit54. La même religieuse, parce que la supérieure lui aurait dit « Silence, ma sœur » dans un mouvement d’humeur, aurait refusé de parler jusqu’à ce qu’on lui donne formellement l’autorisation de le faire55, au point de rester deux mois en silence. Que ces histoires exemplaires puissent être des élucubrations hagiographiques ne changent rien au fait qu’elles sont des indications nettes de la culture de l’obéissance du couvent.
23Dans l’idée des autorités religieuses, ces deux sources de l’obéissance — la norme écrite et le supérieur — se complètent harmonieusement dans la mesure où le supérieur sert la règle et est supposé en donner l’interprétation la plus droite. Mais la règle écrite est une ressource interprétée diversement par les uns et par les autres. La prolifération des normes écrites que nous avons notées en étudiant les disciplines collectives s’explique par une volonté de contrôler les écarts à la règle, tolérés dans les communautés et couverts par les supérieures des couvents au nom du jeu autour de l’esprit et de la lettre des constitutions, qui permettait de justifier certains excès ou certains allègements de la rigueur. Lors de la préparation du chapitre d’Alcalá, en 1581, à l’heure d’imprimer pour la première fois les constitutions remaniées, Thérèse d’Ávila notait déjà dans une lettre à Jerónimo Gracián que l’impression du texte était une bonne chose, car, « sans penser à mal56 », les prieures avaient la fâcheuse habitude de recopier les constitutions en ajoutant ou en retranchant certains passages. De même, le cérémonial est explicitement publié en 1622 pour harmoniser des pratiques différentes d’un couvent à un autre57. La relative liberté des prieures, sur laquelle nous reviendrons, et les marges d’interprétation dont elles disposent ont pu protéger leurs excès et celles de leurs religieuses jusqu’au tournant des années 1590. Mais, à partir de la fin du siècle, alors qu’une obéissance sourcilleuse est mise en avant et que les pratiques pénitentielles sont plus étroitement réglementées, la liberté de la prieure se réduit et l’excuse que constitue le fait d’agir sous son obéissance se délégitime. Pourtant, dans le même temps, l’hagiographie continue de vanter les modèles les plus sanglants, en les présentant comme étroitement observants, ce qui pousse la contradiction entre le zèle et la modération à son maximum.
24Aux modèles sanglants des vierges martyres et des ermites, le temps superpose progressivement l’hagiographie de l’ordre. Puisque, pour une part, l’ascétisme du désert dicte le retour à la rigueur prôné par Doria, l’hagiographie officielle ne saurait être particulièrement modérée. C’est à cette époque que sont fondés, pour les hommes, des déserts destinés à accueillir une vie de mortification, à Las Batuecas en 1592, puis à Bolarque en 1599. Mais ce souffle érémitique n’est pas supposé franchir la clôture des moniales. Un désert féminin est fondé en 1599, malgré la réticence du général Francisco de la Madre de Dios58, mais avec l’aide de Gracián, dont l’inimité avec Doria lui avait valu d’être exclu de l’ordre de 1592 à 159659. Le projet, frappé par la peste, n’a pas fait long feu, mais ne représentait de toute façon vraisemblablement pas un modèle viable et durable pour les autorités de l’ordre. De la même manière, les modèles littéraires des vierges et des saintes du Moyen Âge, comme Catherine de Sienne ou Catherine de Gènes, tertiaires libérées des exigences de la clôture, jouissaient a priori d’une liberté beaucoup plus grande que les carmélites castillanes sous Philippe II et Philippe III. Bien que la règle recommande ces lectures pour stimuler le zèle et la dévotion des religieuses, leur image omniprésente est loin d’incarner la continuité ou l’aboutissement des exigences d’une vie réglée. Ces modèles de sainteté lointains s’étoffent au fur et à mesure que la réforme de l’ordre prend de l’ampleur en s’enrichissant des modèles beaucoup plus proches et appelés à être reproduits de manière plus précise, ceux des religieuses elles-mêmes. Le devoir d’édification qui incombe à chacune encourage les religieuses à prendre leurs consœurs pour modèle.
25Au début de la réforme, à lire les réactions admiratives — mais quasi obligatoires et très tardives — de ces filles lors des procès de béatification, Thérèse d’Ávila semble avoir joui d’une réputation suffisante pour paraître un modèle pour les autres. L’aura et le charisme du personnage, son statut de fondatrice, le fait qu’elle rédige les constitutions, son âge et son expérience du couvent par rapport à ses premières coreligionnaires — rappelons que Thérèse d’Ávila a presque cinquante ans au moment où sa réforme prend son essor, dont trente passés au couvent — assurent cette prééminence, jamais exclusive, comme le montre l’influence de Catalina Cardona sur les religieuses. Les nouvelles fondations sont pour Thérèse une occasion de placer ses proches à la tête des nouvelles communautés. Celles-ci et les fondatrices qu’elles amènent étaient supposées transmettre l’esprit de la réforme et des constitutions aux nouvelles venues. L’hagiographie mentionne systématiquement ce statut de fondatrice qui fait de la proximité avec la réforme initiale un gage de sainteté et un fondement du pouvoir. Dans cette entreprise de diffraction et de fragmentation de la réforme, certaines prieures s’installent durablement dans une communauté et constituent un modèle qu’on pourrait presque supposer — localement — concurrent à celui de la réformatrice. L’exemple de Catalina de Cristo est là encore très parlant. L’auteur de la Vie, Leonor de la Misericordia, a professé en 1583, un an après la mort de Thérèse d’Ávila et n’a eu pour modèle que la Madre Catalina. Thérèse n’est elle-même jamais passée au Carmel de Barcelone, fondé après sa mort par Catalina de Cristo, alors que le lieu, comme on l’a dit, est attaché à l’hagiographie de Catalina Cardona. Leonor se contente donc au début de sa chronique, rédigée en 1594, d’une référence à l’ouvrage de Ribera sur Thérèse d’Ávila. Sa rencontre avec Catalina de Cristo est l’occasion de souligner à quel point la réformatrice a été édifiée par la sainteté de la future fondatrice du Carmel de Barcelone60. Également fondatrice des couvents de Soria, Saragosse et Pampelune, celle-ci représente un modèle que les sources ne présentent jamais comme antagoniste avec celui de Thérèse d’Ávila, mais qui, pour beaucoup de religieuses aragonaises ou catalanes, a pu être plus prégnant. Les sources sont insuffisamment précises et ne permettent pas de savoir si le particularisme aragonais ou catalan peut jouer un rôle ici. En revanche, la proximité géographique et sa présence dans les couvents leur rend Catalina de Cristo indéniablement plus familière. D’une manière générale, les fondatrices de chaque couvent font l’objet d’une réputation de sainteté qui satisfait à la fidélité nécessaire à la fondatrice de l’ordre tout en construisant une mémoire propre à la communauté. Ainsi, outre Catalina de Cristo, on garde beaucoup de sources sur la mère Catalina de Jesús à Beas.
26Avec la mort de la première génération des religieuses, ces figures deviennent les fondements d’une mémoire communautaire. Le modèle ne passe plus par leur exemple et pas encore par l’écrit, mais par une tradition orale, interne au couvent, qui apparaît dans de nombreuses sources et qui est relayée par les plus anciennes. Ces modèles de sainteté pris directement chez les religieuses sont mis en avant par les supérieurs masculins de l’ordre. Outre qu’on demande à certaines de rédiger leur autobiographie spirituelle, comme Catalina de Cristo, ou Ana de San Agustín, fondatrice et prieure de Villanueva de la Jara puis de Valera, le projet hagiographique lancé par le définitoire en 1597 se présente comme une vaste mise en écrit de la mémoire des monastères, pour édifier les plus jeunes en accord avec les principes établis dans les années 1590. Les religieuses décrites par l’hagiographie sont donc présentées comme étant à la fois très observantes et très pénitentes, en partant du principe qu’aucune contradiction ne peut naître de ces deux exigences. L’idée selon laquelle ces religieuses offrent un modèle moins extrême que les deux précédents à leurs héritières est trompeuse. Les carmélites de l’hagiographie sont au contraire à la fois aussi héroïques que les saintes du désert, mais aussi modérées et soumises à l’autorité que le réclame l’ordre. Non contente d’être extrême, leur image est également contradictoire.
II. — LES CONTRADICTIONS DU TRAVAIL DU CORPS
INJONCTIONS CONTRADICTOIRES
27Les injonctions contradictoires qui pèsent sur les religieuses ne s’arrêtent pas à l’opposition entre zèle pénitent et obéissance, mais se déclinent sous d’autres formes.
28La contradiction entre le zèle et l’obéissance se double d’abord d’une tension autour de la question de la visibilité de la pénitence. Il n’est pas surprenant que la question du secret revienne sans cesse sous la plume des hagiographes et dans les interrogatoires des religieuses. Visible ou ostentatoire, la prière dégénère en vanité. Cela ne signifie pas qu’il faut se modérer pour ne pas être au-dessus des autres — émulation oblige —, mais que les excès de chacune doivent être cachés. Cette exigence est d’abord une contrainte pour le zèle de la religieuse qui aura d’autant plus de mal à cacher ses frasques qu’elles seront sanglantes et douloureuses. Il faut donc rechercher des lieux écartés ou des heures discrètes pour s’adonner en paix à ses disciplines. Ana de Jesús raconte à propos de Catalina de Jesús, qui fut sa prieure à Beas, qu’elle s’adonnait à la prière dans des lieux écartés61. Une autre religieuse, María de San Angelo62, précise qu’elle se levait à deux heures du matin pour prier seule. Une autre Vie rédigée par Magdalena del Espíritu Santo raconte :
Elle se débrouillait pour passer quelques heures seule en prière, particulièrement de nuit pour ne pas être vue. Elle vérifiait que les gens dormaient, particulièrement les sœurs avec lesquelles elle était, et se levait pour converser avec Notre Seigneur Jésus-Christ et le suppliait qu’il lui donne la grâce63.
29Juliana de la Madre de Dios, prieure de Séville, s’enferme quant à elle dans sa cellule :
Comme elle était enfermée dans sa cellule, les religieuses avaient l’habitude de l’appeler à la porte, et celle-ci, désireuse de rester seule [leur répondait] de ne faire entrer personne et qu’elle gardait le silence64.
30Si la modestie commande de prier en secret, la décence oblige à se cacher dès lors qu’il s’agit de faire pénitence. C’est d’ailleurs une humiliation que d’être obligée de se dénuder pour montrer aux autres ses pénitences, que sa prieure impose à notre religieuse, pendant la récréation :
[Elle lui demanda] qu’elle se dénude devant toutes les autres et bien qu’elle y répugne à cause de sa pudeur, de sa discrétion naturelle et de la crainte qu’on ne découvre ses pénitences, elle se vainquit ses résistances au nom de la vertu d’obéissance65.
31Mais si on peut véritablement parler de double contrainte c’est parce que, dans le même temps, ces pratiques doivent être vues pour édifier les autres, ce qui est sans doute l’un des objets de cette mortification humiliante. La mortification est en effet présentée comme le meilleur moyen d’édifier son prochain, et son omniprésence dans l’hagiographie est d’abord le signe qu’elle est vue et commentée. Société théoriquement fermée et tournée vers le salut de chacun de ses membres, le couvent fait de l’édification des autres le devoir de toutes. C’est ce qui justifie les mortifications collectives, les paroles d’humilité et les pieux discours échangés pendant la récréation. L’inconvénient est que cette sainteté appelée à être publique ne peut pas le devenir de sa propre initiative, puisqu’elle pourrait être interprétée comme une recherche vaniteuse de reconnaissance, ce qui la dénaturerait immanquablement. La violence qu’on exerce contre soi doit donc rester cachée pour être sainte et doit être vue si elle est sainte. Dans le langage de l’hagiographie elle doit être cachée, et Dieu trouvera des voies pour la dévoiler aux autres et les édifier d’autant plus qu’elles constateront les efforts qui ont été faits pour la dissimuler. Ce dévoilement sera alors présenté comme une mortification de plus pour la sainte en devenir.
32Cette tension entre visibilité et dissimulation a une histoire intimement liée à celle des bâtiments de l’ordre et à la promiscuité qu’ils impliquent, selon une double temporalité. À l’échelle de chaque fondation, le premier bâtiment ne satisfait pas nécessairement aux exigences de la vie monastique. Il y règne une proximité que les travaux menés petit à petit tentent de briser. De nombreuses communautés sont obligées de déménager au bout de quelques années pour s’installer dans un édifice plus propre à la vie religieuse et plus grand, le plus souvent, ne serait-ce que parce qu’il faut accueillir une communauté complète et non les seules premières fondatrices. Fondée en 1569, la communauté de Tolède se déplace une première fois dès 1570 et une seconde en 1583. Le couvent de Grenade, fondé en 1582, s’installe d’abord sept mois chez une notable de la ville, disciple de Jean de la Croix, doña Ana de Peñalosa, avant de s’installer véritablement et de changer deux ans plus tard. Le couvent de Sabiote fondé en 1585 se déplace deux ans plus tard. Le couvent fondé en juillet 1588 à Huete est transféré à Cuenca en 1603 et change à nouveau de maison en 1608. En 1588 également, les barcelonaises ne restent que cinq mois dans leur première maison. Fondée en 1595, la communauté de Talavera déménage deux ans plus tard. Le couvent d’Ubeda fondé la même année déménage une première fois en 1602 et une seconde en 1608. Le couvent de Tarazona, fondé en 1600 est obligé de rapatrier les religieuses dans le palais de l’évêque après avoir reçu six nouvelles religieuses, ce qui rend le bâtiment trop petit. Les communautés de Pampelune, Daymiel, Arenas de San Pedro ou Valera déménagent également quelques années après leur fondation.
33Ces translations de couvent ne sont pas uniquement liées à l’évolution de chaque communauté. L’ordre lui-même, une fois établi, apporte une plus grande attention à la qualité de ses bâtiments. Non pas que ceux-ci apparaissaient comme secondaires aux premières fondatrices, loin de là, mais les moyens financiers n’étant plus du même ordre, on peut entamer des travaux qui rendent ceux qui laissaient à désirer plus conformes aux exigences de la vie spirituelle66. Dans les premiers temps, beaucoup de couvents, installés dans des maisons urbaines à peines réaménagées, ne permettaient pas d’avoir des cellules individuelles clairement séparées. À Medina del Campo, le réfectoire et le dortoir (commun) sont dans la même salle67. À Saragosse, pour se constituer des ermitages individuels, les religieuses se mettent dans les coins et tapissent les murs de nattes si l’on en croit Lanuza68. Cette promiscuité explique pour une part la visibilité des flagellations et leur violence, qui ressurgit dans les sources. Il est également tout à fait possible que cela explique les flagellations réciproques. Au contraire, les nouveaux couvents laissent voir une segmentation assez nette des espaces. Ainsi, celui de Ciudad Real construit en 1614, outre des cellules individuelles, dispose notamment d’une salle baptisée De Profundis, explicitement dédiée aux disciplines conventuelles69. Ils sont bâtis sur un plan similaire et jugé conforme aux désirs supposés de la fondatrice. Cette réorganisation des espaces n’est ni systématique ni linéaire et peut varier selon les situations. Certains couvents sont dotés dès leur fondation de bâtiments suffisamment spacieux pour éviter la promiscuité. Mais pour d’autres, et notamment dans les débuts de la vie communautaire, quand les réputations des unes et des autres se forment dans le regard de chacune, la promiscuité semble avoir été courante : cellules partagées ou dortoirs, aucune distinction entre noviciat et le reste du couvent par exemple. Dans ces conditions, la question de la dissimulation prend toute son acuité, dans la mesure où il était probablement plus difficile de se cacher dans les premiers temps de la réforme.
34La question de la mesure de la douleur suppose également une tension entre la maîtrise de soi et la manifestation de la douleur, qui n’est pas sans lien avec la question de la visibilité de la peine et qui constitue un autre avatar de la tension entre zèle et modération. Face à la débauche de violence qui s’abat sur le corps, et pour montrer que celle-ci est proprement surnaturelle, l’hagiographie a besoin de tenir deux discours simultanés : mettre en évidence l’excès manifeste et évident de celle-ci tout en soulignant la parfaite maîtrise de soi de celle qui se l’inflige. La peine doit être violente mais contrôlée, et celui qui se rend à la douleur en criant, pleurant, en se décomposant rend inutile tout le travail opéré sur le corps lui-même. L’hagiographe ne peut que décrire dans le détail la violence dans toute son horreur tout en soulignant la « sérénité » de celle qu’il décrit. Ainsi, la gravure de Cornelis Galle déjà mentionnée offre l’exemple d’un visage dépassionné et serein en complète contradiction avec son action (fig. 1, p. 118). De la même manière, une Vie de Catalina Cardona par Tomás de Jesús décrit son visage toujours égal70 avant d’insister sur ses disciplines. Nous avons déjà croisé cette capacité de résistance dans les couronnes de louanges tressées aux malades et dans l’imitation des vierges martyres. On mesure ici l’ambiguïté de la surenchère dans la douleur que déploie l’hagiographie. Si les religieuses supportent leurs pénitences c’est, peut-être, tout simplement parce qu’elles sont peu douloureuses. La contradiction d’avoir à représenter ou décrire — dans une image ou dans un texte — une pratique à la fois violente et maîtrisée invite les témoins et les auteurs à surenchérir pour convaincre que l’absence de réaction visible de la douleur n’est pas le signe qu’elle est en réalité très supportable. L’abondance du sang dans les descriptions de la maladie ou de la pénitence, l’insistance sur la variété et l’inventivité des instruments sont là pour dire une douleur qui ne peut pas véritablement se montrer, et sont supposées être la preuve de souffrances intolérables. Mais cette rhétorique hyperbolique conjure aussi une méfiance plus trouble et souterraine, qui s’appuie sur l’incommunicabilité de la douleur et sur l’irréductibilité de chaque situation particulière. Et si l’épreuve n’était pas si insoutenable que cela ? Au fond, ce sont comme toujours des juges extérieurs qui créditent ces religieuses de souffrances hors normes pour y déceler la main de Dieu. Le ressentir de la douleur n’étant ni transmissible ni véritablement commensurable, comment être certain que les religieuses ont vraiment mal ? L’important pour nous est que ce problème, qui ramène les douleurs de la pénitence à une question de mise en scène des sources, n’est pas que de l’ordre de la représentation ou de la transmission par l’hagiographie des pratiques des religieuses. Il ne conduit pas uniquement à faire de l’hagiographie ou de l’iconographie un voile qui nous empêche de savoir précisément ce qu’il en était. Il se pose également dans la pratique elle-même.
35Dans l’estimation qu’elles doivent faire de leur propre souffrance, les religieuses zélées qui souhaiteraient pousser loin la recherche de la douleur, assorties d’un étalon faussé — la démesure des douleurs du Christ —, sont prises dans ces mêmes contradictions. Tant que la douleur est pleinement maîtrisable, n’est-ce pas le signe qu’elle est insuffisante ? Comment jauger de son avancement dans la mortification ? Comment savoir si les autres ne sont pas plus endurantes ? On imagine ici à la fois les doutes, les possibilités de manipulation, les inquiétudes et les accommodements avec soi-même qui en découlent. C’est une incitation à accroître les douleurs jusqu’à la recherche d’une limite où le corps se défait. Cela conduit également à survaloriser certaines situations où cette crainte qu’on n’en fasse pas assez peut trouver à s’apaiser. Ainsi, la flagellation par autrui permet de reporter sur quelqu’un d’autre la crainte que les coups ne soient pas assez forts, tout comme la punition qu’on reçoit lorsqu’on a fait une faute. Ainsi la maladie permet de mettre en scène une douleur maîtrisée mais visible dans sa matérialité (sang, viscères), ce qui n’est pas le cas de la pénitence, dissimulée.
L’IMPOSSIBLE MODÉRATION DES PEINES ?
36Nous sommes donc en présence d’injonctions contradictoires à plusieurs niveaux qui, toutes, invitent à la fois à accroître la charge de douleur et à canaliser les pratiques. Il faut bien se demander quelle tendance l’emporte et quand, et essayer d’estimer l’effet du tournant de la fin du siècle. À lire l’hagiographie, la reprise en main supposée de ce temps-là ne bouleverse pas radicalement les pratiques. Jusqu’au XXe siècle, on trouve mention de pénitences sanglantes et de cilices effrayants. Les appels à l’obéissance et à la modération suscitent des résistances et ne sont pas immédiatement respectés, ce qui n’a rien d’étonnant compte tenu de la valeur rédemptrice accordée à la douleur. La persistance d’un modèle et de pratiques sanglantes sur toute notre période et la nostalgie des origines laissent à penser que les prohibitions de Doria ont pourtant laissé des traces. Certains textes se souviennent des premiers temps comme une époque héroïque, comme cette chronique tolédane difficile à dater précisément, mais écrite bien après la mort de Thérèse d’Ávila :
De leur pénitence aux débuts de la réforme on dit de grandes choses et notamment qu’elles s’attachaient chacune en tout point à en faire plus que les autres. On dit de plusieurs d’entre elles qu’elles prenaient des disciplines de sang tous les jours, qu’elles portaient des haires en crin et des ronces, qu’elles étaient pleines de cilices, qu’elles avaient des draps entiers en crin […] [Elles rivalisaient] d’inventions et ne cherchaient qu’à maltraiter leur corps par des mortifications remarquables71.
37Dans l’hagiographie officielle de l’ordre, les premiers couvents sont des lieux où le dépassement de la règle semble être la règle. À Medina del Campo, les religieuses prenaient la discipline deux fois par jour, et certaines trois, selon Francisco de Santa María72. À Malagón, les religieuses « ajoutent fréquemment des disciplines extraordinaires [avec] des pointes et des orties73 ». Avec ce type de remarque, qui montre que les prieures pouvaient aller bien au-delà des recommandations des constitutions, il semble bien que la teneur et le rythme des mortifications et des pénitences aient changé : c’est un monde perdu que décrit la chroniqueuse de Tolède. La recherche des inventions en matière de mortification valorise la grande liberté qui aurait été laissée aux religieuses dans les premiers temps. La fascination pour les objets de mortification également, comme les draps en crin utilisés dans le passé, qui semblent moins communs (ou plus cachés) au moment où cette chronique est écrite, pourrait en être un signe. La chronique des carmels de Catalogne suppose également que les instruments de pénitence ont fait l’objet d’une forme de purge. En décrivant les pénitences que Mariana de Jesús s’infligeait dans les premiers temps du Carmel de Barcelone, ce texte tardif (1707) note des pénitences très fréquentes en ce temps-là74, comme le fait de porter des croix pointues sur les épaules et la poitrine, d’accrocher des rosetas (petites étoiles métalliques) aux disciplines, ou de porter des cilices renforcés avec des plaques métalliques. Si cette remarque n’indique pas quand ces excès auraient pu être modérés, une précision laisse à penser que l’obéissance implique de condamner les instruments trop dangereux, puisque, selon le texte, la caisse destinée aux disciplines dotées de rosetas fut vidée au nom de l’obéissance. Les recommandations des supérieurs semblent donc suivies d’effets.
38En particulier, la volonté de reproduire à la lettre les souffrances de la Passion ne pouvait que se heurter à l’obéissance, car cela réclamerait d’ajouter au fouet proprement dit l’infamie d’un châtiment public qui fait immanquablement rentrer dans la danse le reste du couvent. L’imitatio Christi personnelle est un pis-aller dont il faut se contenter, comme semble l’avoir appris dès les débuts de la réforme Isabel de Santo Domingo. Celle-ci aurait eu besoin d’être réfrénée dans ses ardeurs pénitentielles, comme beaucoup d’autres. Aux cilices, râpes, chaînes de fer, disciplines, fatigues, veilles et incommodités qu’elle imposait à son corps du temps de Thérèse d’Ávila, on dut mettre une limite au nom de la modération. Mais la manifestation la plus claire du fait qu’elle a franchi une ligne est d’un autre ordre. Alors qu’elle était prieure de Pastrana, au début des années 1570, elle aurait pris l’habitude, au nom de l’imitatio Christi, d’ordonner qu’on l’attache à un poteau et que les religieuses la fouettent jusqu’à ce qu’elle fût baignée de sang tout entière. Comme il fallait faire cet exercice dans le noir, pour des raisons de décence, les coups de fouets lui atteignaient fréquemment le visage et la blessaient. Thérèse d’Ávila finit par interdire cette pratique à la demande d’autres prieures, et parce que cela effrayait les sœurs75. Ce n’est pas pour autant un fait exceptionnel. À Valladolid et vers la même époque, Catalina Evangelista aurait demandé à avoir les mains attachées à une colonne pour être flagellée par ses consœurs avec une autorisation de la supérieure76. Audelà de ces excès particulièrement violents, une lettre de Thérèse d’Ávila, datée de novembre 1576, se plaignait de la mode prise au couvent de Malagón, à l’initiative de la prieure, de se gifler à tour de rôle, voire de se pincer77. La réformatrice y rappelait que la mortification ne devait servir qu’au perfectionnement de l’âme et recommandait qu’on interdise ces pratiques. Les pratiques de flagellations réciproques ne sont pas mentionnées après Juliana de la Madre de Dios, début XVIIe siècle, mais puisqu’il y a de toute façon peu de mentions, il serait délicat d’en conclure qu’elles ont disparu. Dans l’hagiographie, le fait d’avoir été modérée dans ses pénitences par ses supérieurs est toujours un signe de sainteté vanté chez les premières prieures, ce qui explicite bien la primauté de la pénitence sur l’obéissance dans l’esprit des religieuses, à l’inverse des supérieurs. Être réfrénée pour ses pénitences excessives n’est pas être punie pour avoir des pratiques déréglées, mais ajouter à des pénitences distinctives — si elles sont modérées, c’est bien qu’elles étaient exceptionnelles — le contentement de satisfaire, in fine, à l’obéissance. Mieux vaut avoir été réduite à l’obéissance que d’être restée dans la tiédeur. Cette modération forcée est rapportée pour la majorité de celles qui ont acquis dans leur communauté une réputation solide de sainteté : ainsi Ana de San Bartolomé qui demande que, faute de disciplines supplémentaires, on l’autorise à se pincer et confesse que, si elle en avait eu l’autorisation, elle aurait fait des « folies » (disparates)78. Alberta Bautista que ses excès rendaient indiscrète79 et qui fut deux fois prieure de Medina del Campo dans les années 1570 eut aussi besoin d’être ramenée à la raison. Mais on trouve également ce modèle après la réforme de Doria. Si Juliana de la Madre de Dios, chez qui on ne trouva jamais rien à réprimer, selon l’hagiographe, prenait des disciplines avec des aiguilles, au point qu’on dut la modérer, c’est parce qu’elle ne savait pas qu’en cela elle enfreignait l’obéissance80, signe que les temps ont changé mais que ces pratiques perdurent. La Vie de Francisca del Sacramento par Lanuza relate également un épisode significatif de ce dépassement de la norme. Dans une lettre écrite en 1622 à son provincial, cette religieuse très mortifiée aurait avoué avoir été persuadée que, à cause de l’énormité de son péché, elle pouvait faire ces choses-là sans autorisation81. Selon une prieure interrogée par l’hagiographe, ses pénitences n’auraient jamais été acceptées si les supérieurs de l’ordre l’avaient su, notamment ses disciplines épouvantables, pendant plusieurs heures, si bien que le sang coulait en abondance sur le sol82. L’exemple montre que des pénitences extrêmes peuvent perdurer avec l’approbation de la communauté et que le sentiment personnel du péché surpasse la modération imposée par les supérieurs au point de l’abolir. Mais il est aussi le signe que les sensibilités ont changé. Glorifiées pour le fait même qu’elles ont été excessives, ces religieuses, même après la réforme de Doria, sont autant le signe d’une résistance sourde, et peut-être à peine explicitée, au modèle de soumission mis en place à la fin du XVIe siècle, que la preuve qu’il porte des fruits. Le modèle de sainteté présenté par l’hagiographie écrite par les religieuses reste extrêmement sanglant, bien après les années 1590, d’autant plus que dans cette période, ces excès sont moins tolérés et moins banals. De ce point de vue-là, il y a un double décalage entre les modèles des religieuses et les modèles promus par leurs supérieurs. Cela laisse à penser que si des pratiques violentes perdurent elles sont moins communes et moins diffusées. Ce serait moins le degré de violence qui aurait reculé que la généralisation de la violence. L’insistance sur les excès de quelques-unes invite à penser que, pour la majorité des autres, le discours de modération n’est pas sans conséquence. Les pratiques perdurent, mais le poids de la double contrainte s’est accru et elles n’ont plus la faveur des autorités de l’ordre. Elles sont donc d’autant plus louées qu’elles sont moins communes. Cela produit un décalage de génération : les premières ont pu profiter d’un modèle de sainteté sanglant et reconnu, uniquement limité par la tempérance et les exigences de la vie spirituelle. La seconde génération est élevée entre deux eaux, mélangeant des religieuses très sanglantes vivant plus difficilement le modèle précédent et des religieuses plus modérées mais admiratives, conforme au modèle étroitement contrôlé mis en place à la fin du siècle. La réforme de la pénitence produit ses effets en décalage et accompagne la routinisation et la banalisation inévitable de la pratique pénitentielle, au fur et à mesure que la réforme de l’ordre se normalise.
39L’hagiographie montre qu’au sein des communautés religieuses l’excès de douleur et la surenchère restent des voies plus valorisées que la modération. Cela ne signifie pas nécessairement que la majorité des religieuses choisissent d’accroître leur pénitence. En revanche, trois choses apparaissent nettement. D’abord, chez certaines au moins, même minoritaires, ce choix d’une violence exacerbée prend largement le pas sur celui de la modération. Ensuite, dans l’hagiographie, après le tournant des années 1590, un modèle étroitement pénitent et sanglant reste mis en avant. Dans ces sources, qui reflètent pour une bonne part la mémoire des communautés et les grandes figures qui y gardent une prééminence, cela témoigne du fait que ce modèle est partagé par beaucoup. La pénitence infligée pour excès de zèle, les louanges qu’on récolte pour avoir été au-delà de ce qui est demandé, tout cela indique que les contradictions de la pénitence constituent l’un des moteurs de son exacerbation plutôt qu’un frein, comme si la violence permettait de sortir par le haut des injonctions contradictoires. Néanmoins, à partir de la fin du XVIe siècle, ces contraintes qui gagnent en importance contribuent à marginaliser la violence, d’autant que les angoisses collectives commencent à refluer tout en renforçant son exceptionnalité. Ses formes les plus extraverties et originales, désormais interdites, finissent par reculer.
40En immergeant les pratiques de la religieuse dans leur cadre normatif, nous avons également déplacé notre regard vers la communauté. Compte tenu des injonctions contradictoires qui pèsent sur la vie religieuse, la soumission du corps au jugement des autres pose des problèmes délicats aux religieuses, appelées non seulement à contrôler leur corps, mais également à maîtriser l’image de leur corps dans les yeux de leurs coreligionnaires. Le travail pénitentiel n’est donc pas dissociable d’un travail sur les apparences.
Notes de bas de page
1 Retranscrites par Silverio de Santa Teresa en annexe de son édition des œuvres complètes de Thérèse d’Ávila (« Constituciones del convento de la Encarnación de Ávila », pp. 481 sqq.).
2 La notion de double bind a été élaborée dès les années 1950 par l’école de Palo-Alto (C. E. Sluzki et E. Verón, « La double contrainte comme situation pathogène universelle »). Sur le carmel, voir A. Weber, « The Paradoxes of Humility ».
3 T. Álvarez, Constituciones de las Carmelitas descalzas ; F. Antolín, « Observaciones sobre las Constituciones de las Carmelitas Descalzas » ; Id., « Anotaciones sobre las constituciones de Carmelitas Descalzas » ; T. Sierra, « Inovaciones normativas ».
4 A. Weber, « Spiritual Administration ».
5 « Les disciplinas que se han de tomar manda el ordinario : algunas son cuando se reza feria, y en cuaresma y adviento cada dia que se rezare feria, y en el otro tiempo, lunes y miercoles y viernes, cuando en estos días se rezare fería. Más se toma cada viernes del año […] Estás se den cada una por sí también en el coro despuès de los maitines. Las otras con mimbres como le manda el ordinario : ninguna tome más sin licencia, ni haga cosas de penitencia sin ella » (Thérèse d’Ávila, Constituciones, p. 823).
6 T. Álvarez, Constituciones de las Carmelitas descalzas, p. 329.
7 Ibid., p. 85 (« varillas »). Le texte précédent évoquait plutôt des tiges d’osier (mimbres), même si l’objet est probablement le même.
8 Ibid., p. 133.
9 « Tomen disciplina las hermanas en comunidad. […] Será esta disciplina en el coro después de dichos maitines todos los viernes del año. Y ninguna monja tome disciplina extraordinaria ni haga particular penitencia sin licencia de la priora » (ibid., p. 178).
10 Fortunato de Jesús Sacramentado, « Observaciones ».
11 « Que no hay ya disciplinas de varillas, aunque se reza de feria, porque aquesto expiró con el rezo carmelitano, que solo era en ciertos tiempos y tenia pocas ferias » (cité par T. Serra, « Las Constituciones de las carmelitas descalças promulgadas en 1592 », p. 212).
12 « Quoniam non ignoramus », 25 avril 1591.
13 La lettre nous a été transmise par Manuel de Santa María, « Espicilegio Historial », fos 39r°-42r°. La décision a probablement été prise au chapitre général qui s’est clos en mai de la même année.
14 L’ordre n’était pas encore reconnu et avait été érigé en province autonome au sein du Carmel. Le provincial était donc la plus haute autorité. À ce poste, Doria remplaçait Jerónimo Gracián. On trouvera un récit de tous ces épisodes qui ne nous est pas nécessaire de reprendre dans le détail dans les histoires générales de l’ordre, notamment : J. Smet, Los carmelitas.
15 Francisco de Santa María, Reforma de los Descalzos, t. II, p. 49.
16 Petronila de San José, « Vida de Cecilia del Nacimiento », f° 25r°.
17 Relación sobre el convento de Alcalá, f° 380r°.
18 Thérèse d’Ávila, Epistolario, p. 1312, lettre à Jerónimo Gracián, 21 février 1581.
19 Brianda de San José, « Relaciones sobre el convento de Malagón », f° 412r°.
20 T. Sierra, « Constituciones de las carmelitas descalças promulgadas en 1616, 1701 y 1786 », p. 164.
21 Planchettes que le couvent utilise au même titre que les crécelles et les clochettes pour marquer certains actes de la communauté ou certaines dévotions.
22 « En la disciplina que despues de Completa siempre se tiene los Viernes, excepto en los dias que señala la Constitucion, auiendo apagado las luces, y dado lugar suficiente para que las religiosas se preparen, començara la Presidente el Psalmo Miserere mei, y le proseguiran las religiosas a Coros, y acabado se dize la antiphona Christus factus est pro nobis, luego dize la que preside la oracion, Respice quaesumus, protege domine, y quaesumus omnipotens deus, por el rey, y no más, si no es en alguna necesidad muy apretada, que se podra añadir otrra, y concluyra con media terminacion, y dicho Amen, cessa la disciplina, y de alli un poco, quando las religiosas se hayan buelto a componer, hara la Presidente señal para que saquen las luces, y no la sacaran antes, ni tampoco se mataran al principio, hasta que todas las religiosas esten repartidas en sus lugares, y la Presidente haga señal, y nadie se començara a disciplinar, hasta que se comience el salmo, y para disciplinarse estaran todas las religiosas en pie ; y en tal distancia, y disposición, que no se puedan herir, ni impedir vnas a otras y nadie se discipline con la correa, ni en la disciplina ponga abrojos, no otro instrumento para sacar sangre. Y despues de la disciplina podra la Presidente y la reliogiosa que tiene las tablillas, pedir un Pater Noster y Aue María por alguna de las necesidades comunes, y ninguna otra pedira alli mas oraciones » (Ordinario o ceremonial de las religiosas descalzas, chap. vi, § 2).
23 Sur ces changements progressifs des constitutions et pour comparer les textes, voir F. Antolín, « Observaciones sobre las Constituciones de las Carmelitas Descalzas » ; T. Álvarez, Constituciones de las Carmelitas descalzas ; T. Sierra, « Inovaciones normativas » et Id., « Las Constituciones de las carmelitas descalças promulgadas en 1592 ».
24 J.-Cl. Bologne, Histoire de la pudeur, p. 182.
25 Thérèse d ’Ávila, Libro de las fundaciones, pp. 694-696.
26 A. Weber, « Spiritual Administration », p. 140.
27 M. H. Sánchez Ortega, La mujer y la sexualidad, pp. 40-48.
28 B. Bennassar, L’homme espagnol, p. 36.
29 « En este convento de Madrid, había una religiosa estando yo allí, que era muy devota e inclinada a la penitencia ; dábanla algunas licencias trasordinarias de hacerlas por satisfacer a sus desseos, y vino a enloquecerse y estuvo siete meses muy furiosa » (Ana de San Bartolomé, Autobiografïa de Amberes (A), p. 366).
30 « Breve compendio de la vida de trece religiosas », f° 9v°.
31 Jean de la Croix, Subida del Monte Carmelo, p. 276. Voir aussi les personnes « gachées » par les pénitences dans Thérèse d’Ávila, El Libro de las fundaciones, p. 694.
32 D. Pérez de Valdivia, Aviso de gente recogida, p. 619.
33 « Las obras exteriores que nacen de este amor, como ayunos oraciones, y cosas semejantes, han de tener modo y regirse por la razón ; como dice san Pablo, vuestro servicio sea conforme a la razón » (D. de Soto, Tratado del amor de Dios, p. 130. La fin du passage est une allusion à Romains XII, 2).
34 Cité par M. L. López-Guadalupe Muñoz et I. Arias de Saavedra Alías, La represión de la religiosidad popular, p. 32.
35 « Lo qual no es porque sea de mayor estima y prouecho una diciplina de sangre, que el martyrio, como dixeron los hereges, que por esto los llamaron flagelantes » (Ángel de San Gabriel, « Relación de la buena muger Catalina Cardona », f° 30r°).
36 L’analyse de Joseph Pérez résume bien cette image (J. Pérez, Thérèse d’Ávila, pp. 266-269). Voir aussi l’article « ascèse » du dictionnaire de Thérèse d’Ávila qui oblitère les pénitences corporelles : T. Álvarez, Diccionario de Santa Teresa de Jesús, pp. 118-123.
37 Voir, par exemple, Thérèse d’Ávila, Libro de las fundaciones, pp. 722 et 736 et Ead., Camino de perfección, p. 279.
38 Regla primitiva y Constituciones, A-186, p. 78.
39 « Pues aunque son estas las principales obligaciones del estado, y comparadas con las cosas mas essenciales del podrian parecer pequeñas, son en vero muy importantes para el concierto, gravedad y buen orden exterior, y como un antemural para defensa y ayuda de las cosas mayores » (Ordinario o ceremonial de las religiosas descalzas, f° 1v°).
40 Ibid., f° 2v°.
41 María de San Pablo, « Noticias sobre algunas religiosas », fos 202v° et 205r°.
42 Catalina de San Jerónimo, « Vida de Juana del Espíritu Santo », f° 342v°.
43 « De la fundación del monasterio de la Encarnación », f° 91r°.
44 « Una obediencia sincera y pura y particularmente en lo que era rregla y constitución » (ibid., f° 97r°).
45 María de San Pablo, « Relación de las cosas », f° 219r°.
46 « Declaraciones sobre la Madre María de Jesús », f° 152r°.
47 Manuela de la Madre de Dios, Fundación de nuestro convento, f° 105r°.
48 « Información sobre la Madre María de San José », f° 13r°.
49 « Estando un día en refectorio, diéronnos raciones de cohombro. A mí cupo una muy delgada y por dentro podrida. Llamé con disimulación a una hermana de las de mejor entendimiento y talentos que allí había, para probar su obediencia, y díjela que fuese a sembrar aquel cohombro a un huertecillo que teníamos. Ella me preguntó si le había de poner alto o tendido. Yo le dije que tendido. Ella fue y púsole, sin venir a su pensamiento que era imposible dejarse de secar ; sino que el ser por obediencia le cegó la razón natural para creer era muy acertado » (Thérèse d’Ávila, Libro de las fundaciones, p. 676).
50 Ana de San Bartolomé, Conferencias espirituales, p. 598.
51 Ibid., p. 638.
52 Magdalena del Espíritu Santo, « Vida de Catalina de San Alberto », f° 122v°.
53 « Estaban unas ramas de claveles de las Indias en el suelo, mandole la madre Isabel que levantase y plantase en un monton de cal y arena que estaba prevenida para las obras del monasterio y cuidese cuidado de regarlos cada dia » (« Vidas ejemplares de algunas religiosas », p. 7).
54 Isabel de San José, « Fundación deste convento de San Josef », f° 140v°.
55 Ibid., f° 141r°.
56 « Sin pensar hacer nada » (Thérèse d’Ávila, Epistolario, p. 1312, lettre du 21 février 1581 à Gracián).
57 Ordinario o ceremonial de las religiosas descalzas, f° 4r°.
58 « Relación sobre el convento de Alcalá », f° 384r°. Son opposition était liée au fait que la fondatrice, la comtesse de Castellar, devait y professer avec ses filles, ce qu’il refusa.
59 L’exclusion avait été confirmée par Rome (Uberes fructus, 25 janvier 1593), mais Gracián avait été réintégré en 1596, après bien des péripéties (Apostolicae Sedis benignitas, 25 mars 1596).
60 Leonor de la Misericordia, Relación de la vida de la venerable Madre Catalina de Cristo, fos 77r° -77v°.
61 « Informaciones sobre Catalina de Jesús », f° 146r°.
62 Ibid., f° 155v°.
63 « Procuraba emplear algunas oras en el oracion particularmente de noche por no ser bista guardaba se durmissen la gente y particularmete sus hermanas con quien estaba lebantabase a tratar con nuestro señor jesuchristo y suplicabale la diese grazia » (« Noticias sobre Catalina de Jesús », f° 88v°).
64 « De suerte que estando encerrada en su celda solian las relijiosas llamar a la puerta della deseosa de conseruarse a solas aunque muy bien acompañada decia […] madres no me entre aca nadie que guardo silencio » (« Vida de la Madre Juliana de la Madre de Dios », f° 57r°).
65 « Y aunque el natural recogimiento y verguënza y el sentimiento de que descubriessen sus penitencias le hacian repugnancia, venciendolo todo començo a hacerlo exercitando la virtud de la obediencia » (« Relación de la vida de Madre Juliana de la Madre de Dios », pp. 5-6).
66 Voir J. M. Muñoz Jiménez, La arquitectura Carmelitana.
67 Francisco de Santa María, Reforma de los Descalzos, t. I, p. 225.
68 M. Batista de Lanuza, Vida de la bendita Madre Isabel de Santo Domingo, p. 314.
69 Le plan est conservé à l’Archivo Histórico Nacional, Consejos, MPD, 2396.
70 Tomás de Jesús, « Primera parte de la vida y milagros de la bienaventurada Catalina Cardona », f° 337r°.
71 « De la penitencia que a sido en sus principios dice tanto en general que se ejercitaron en cada una mui por menudo adelantarse a la otra no solo de una sino de algunas dice que tomavan disciplinas de sangre cada dia vestidas de cardas y de cerdas y llenas de cilicios savanas enteras de cerda y ese era su descanso de las pocas oras que le tomavan u debajo desta un corcho solo y este se le buscaban fuerzo para que mas las maltratase porque el amor que aser lo las movia no se satisfacia sin ynvenciones solo se trataba de cuidar como maltratar su cuerpo oi con tan notables mortificaciones que ai muchas no para esplicadas las mas antiguas y las que se podian llamar religiosas de mas consideracion ponian su blanco mas en ser despreciadas » (« Relación de algunas virtudes particulares », f° 222r°).
72 Francisco de Santa María, Reforma de los Descalzos, t. I, p. 225.
73 Ibid., p. 245.
74 « Annales de la Provincia de San José », p. 72.
75 Nous suivons M. Batista de Lanuza, Vida de la bendita Madre Isabel de Santo Domingo, p. 354.
76 Id., Virtudes de la V. M. Teresa de Jesús, f° 178r°.
77 Thérèse d’Ávila, Epistolario, p. 1037.
78 Ana de San Bartolomé, Autobiografïa de Amberes (A), p. 338.
79 Francisco de Santa María, Reforma de los Descalzos, t. II, p. 61.
80 « Vida de la Madre Juliana de la Madre de Dios », f° 57v°.
81 M. Batista de Lanuza, Vida de la sierva de Dios, p. 30.
82 Ibid.
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