Chapitre IV. La réinvention de la tradition
p. 151-178
Texte intégral
1Ce décalage entre la pratique des religieuses et ce qu’on attend d’elle est patent dès lors qu’on se penche sur les modèles de sainteté qui légitiment l’accroissement continu de la douleur. Cet écart ne doit pas être compris simplement comme le signe que ces modèles ne sont pas suivis, mais comme l’indice qu’ils ne peuvent pas l’être. Ce décalage prend une triple figure : les modèles de sainteté sont lointains mais fortement valorisés ; l’imitatio Christi propose une figure inaccessible ; la place que le corps prend dans la méditation des textes et de la tradition instaure un dialogue fécond mais sans fin avec la tradition. Ces trois strates constituent en elles-mêmes une manière de communiquer par le corps avec le passé, de lutter contre le temps et de freiner la chute du monde. Elles font surtout du corps le lieu d’une expérience des discours véhiculés par la prédication, l’iconographie, les lectures des religieuses et les discussions dévotes qu’elles sont supposées tenir lors de la récréation. Le discours y est mis à l’épreuve dans le sens où, comme nous l’avons vu à propos des pratiques de souillure des religieuses, le corps y est confronté à des modèles qu’on ne peut reproduire hic et nunc. Cette confrontation entre le corps et le texte est l’occasion de réfléchir à la place que prennent les pratiques corporelles dans la méditation. Pour la comprendre, il faut d’abord rappeler que la vocation d’adoration silencieuse des contemplatives s’appuie sur deux méthodes bien distinguées par la littérature spirituelle. La méditation est une pratique discursive qui s’aide d’un support (texte, image) pour ruminer le texte divin, alors que la contemplation, sur laquelle débouche en théorie une méditation bien menée, s’affranchit de ce cadre raisonnable pour jouir directement de Dieu. L’exercice du corps est un support de la méditation, non plus dans le sens où l’objet corps est une trace de Dieu, mais dans la mesure où ce que l’on fait de son corps peut servir à appréhender les textes. Se couvrir de cendres en signe de mortification, revêtir un sac ou une peau de bête, se prosterner sont des gestes traditionnels qui ont des échos dans la liturgie du temps, mais qui, comme nous l’avons déjà dit, réactualisent d’abord des gestes vétéro-testamentaires. Le corps est saturé de références scripturaires, il est un médiateur de la tradition, empilement désordonné de références bibliques, spirituelles, hagiographiques, proches ou lointaines. Étudier le rapport que le corps des religieuses entretient avec ces figures ce n’est pas seulement faire l’histoire d’une imitation frustrée. C’est engager une réflexion sur la prière et sur le statut de ces modèles et de ces injonctions dans la vie religieuse. L’enjeu n’est pas tant de reproduire leurs gestes, selon une conformité extérieure, que de se les approprier pour les faire siens, quitte à les adapter et à les réinventer, ce qui suppose une adhésion spirituelle intérieure. C’est la condition pour que la tradition ne soit pas une coquille vide, mais bien une forme de vie, réactualisé, réitéré.
I. — LA RÉITÉRATION TRONQUÉE DES SACRIFICES PASSÉS
MODÈLES SANGLANTS DE SAINTETÉ
2Les modèles littéraires de l’hagiographie des vierges martyrs et des Pères du désert constituent une première série d’images qui guident les dévotions des religieuses et qui est propre à accroître leurs souffrances.
3Pour les religieuses, les vierges martyres des premiers temps du christianisme constituent un point de référence dont l’impact sur les pratiques corporelles est évident. Celles-ci font partie de leur culture commune, nourrie de leurs lectures et des images édifiantes qui circulent dans l’Europe tridentine, dont on connaît l’importance au Siècle d’or1. Ce martyr frustré peut être considéré comme l’une des grandes incitations aux mortifications du début de l’époque moderne2. Vierges consacrées, pour une part d’entre elles, les religieuses se voient comme les héritières de ces saintes héroïques, au point de choisir régulièrement leur nom de religion parmi les martyres des premiers siècles, ou dans une histoire plus récente et plus ibérique. On retrouve ainsi une Dorothée à Valladolid, Dorotea de la Cruz, qui professe en 1569. Dans le même couvent, une dizaine d’années plus tard, professent deux Casilda, Casilda de la Concepción (1577) et Casilda de San Angelo (1579), en mémoire d’une martyre tolédane du XIe siècle, et une Cécile, Cecilia del Nacimiento. Une María de los Mártires professe à Tolède en 1571. Mais certains noms sont beaucoup plus communs. Parmi les religieuses que nous avons pu recenser on trouve dix Euphrasie, six Aguéda, sept Juliana et Lucia, huit Margarita, deux Anastasia, trois Polonia, quatre Ursula, cinq Petronila, mais surtout près d’une quarantaine d’Inès et près d’une centaine de Catalina, qui renvoient à Catherine de Sienne mais également à Catherine d’Alexandrie. C’est cette dernière qui apparaît à Bernardina de Jesús au début de sa vie spirituelle3, appuyée sur sa roue. Celle-ci est une lectrice de la Introducción del Símbolo de la fe dont le second volume reprend une lettre de Cyprien sur la gloire des martyrs et décrit les milliers d’hommes, de femmes, de vieux, de jeunes et de tendres demoiselles4 qui l’ont souffert, en précisant que les martyrs sont nécessairement aidés du bras de Dieu5, avant de détailler leurs épreuves. Les religieuses sont imprégnées du Flos Sanctorum, l’une des lectures recommandées pour le réfectoire par les constitutions6, un type de texte dont la violence n’est plus à démontrer7. Isabel de Jesús l’aurait lu tous les jours dans sa jeunesse8. Le même hagiographe compare une autre religieuse de Beas, María de Jesús à une autre Euphrasie9. La recherche frustrée du martyr est surtout un topos de l’hagiographie du Carmel, tiré du Libro de la vida de Thérèse d’Ávila dans lequel elle raconte avoir fui la ville avec son jeune frère pour aller chercher la mort chez les infidèles, mais qu’on retrouve jusque dans une Vie tardive de Josefa de San Felipe, début XVIIIe siècle10, ou chez Ana de San Bartolomé comme nous l’avons déjà évoqué.
4Les références à La fleur des saints ou l’onomastique ne sont pas les seuls indices du poids de l’image des vierges martyrs dans la vie des religieuses. Au couvent d’Ocaña, les anciens martyrs semblent mis en scène pour l’édification de toutes pendant les heures de récréation11. L’écoulement du sang renvoie autant à celui qu’ils ont versé, supposé féconder la terre, qu’à celui de la Passion. Certaines de leurs inventions trouvent probablement dans la grande variété des souffrances des martyrs des modèles alternatifs ou complémentaires. Surtout, certains passages de l’hagiographie mettent en évidence une résistance à la douleur très caractéristique. On peut en trouver un exemple dans les interrogatoires que l’on conserve sur Catalina de Jesús qui plonge ses mains dans de l’eau bouillante12, ou chez Ana de San Bartolomé dont le corps résiste aux flammes. Alors qu’elle dit à son confesseur qu’elle voudrait prendre la place des condamnés à mort qui passent devant le monastère, celui-ci lui répond que sa charité ne sera pas à la hauteur :
Il me dit alors : « Allez au feu et mettez un doigt au milieu de la braise le temps d’un Credo, et venez me dire ce que vous ressentez ». Je me fiais à l’obéissance et je fis comme il demandait et je revins au confesseur. Je ne sais comment cela se passa, mais je récitai le Credo pendant que j’avais le doigt dans la braise et je ne le sentis pas et cela ne me fit pas mal13.
5Dans cette insensibilité on retrouve une aide qui n’est pas naturelle et place le corps de la religieuse sous la protection divine, qui fait d’Ana une héritière de cette glorieuse tradition de résistance sereine à la souffrance. Décrivant sainte Martine, Fray Luis comparait son visage à celui de son tortionnaire. Celui de la sainte était si calme qu’il semblait qu’elle ne ressentait aucune douleur, alors que celui du bourreau semblait fatigué par son labeur14. À lire Fray Luis, le tyran qui l’a condamnée avait le visage entièrement changé, remuait sur sa chaise et ne pouvait se contenir de la rage et de la fureur dont il souffrait15. L’insensibilité de la religieuse, dont la vie de pénitence est un long martyre sublimé, permet directement de la comparer à ces illustres prédécesseurs. Une fois de plus, il ne faut pas être dupe de ces comparaisons avec l’hagiographie : si le but est bien de produire une chair impassible et infiniment résistante aux agressions, comme celle de la sainte, l’habitude de mettre sa main dans l’eau bouillante tient plus du concours de résistance. À Barcelone, Catalina de Cristo, capable de tenir des braises ardentes dans ses mains, fait essayer ses religieuses pour voir qui tient le plus longtemps16. Si la prieure peut donc passer pour l’égal des grandes saintes, l’expérience de la confrontation physique avec un modèle de sainteté est d’abord celle du décalage.
6Le poids d’une hagiographie plus récente ne doit pas être sous-estimé non plus : celle des saintes italiennes de la fin du Moyen Âge, notamment Catherine de Sienne17, dont nous avons déjà noté le poids pour les pratiques de souillure. Sa Vie, celle de Catherine de Gênes et les visions d’Angèle de Foligno ont été traduites en espagnol dans la première moitié du siècle à l’instigation de Cisneros et ont connu une large diffusion18. Aussi lointains dans le temps et dans l’espace qu’ils soient, ces modèles sont lourdement contraignants, à la fois parce qu’ils représentent la sainteté reconnue et officielle et parce que l’extrémité de leur comportement ne peut qu’accroître le poids de leurs exigences.
7Les Pères du désert, fondateurs mythiques de l’ordre, font également souffler un vent d’érémitisme incontrôlé sur les pratiques de mortification. Ils sont relayés en plein XVIe siècle par un certain nombre de figures marquées par un érémitisme radical qui constituent des modèles pour les premières carmélites, comme Pierre d’Alcántara, le réformateur des franciscains de l’observance, qui avait approuvé le projet thérésien, ou Catalina Cardona dont nous avons déjà noté les excès. Nous gardons plusieurs Vies de celle-ci19, qui se caractérisent par leur extrême violence. Autodidacte, trop incontrôlée et trop exubérante dans ses pénitences, cette sainte « Héliote20 » très proche du Carmel n’est jamais rentrée au couvent. Ses disciplines sont extrêmement sanglantes, elle porte des cilices nombreux et tranchants. Elle exerce une grande influence, notamment dans les régions qu’elle a fréquentées, la Catalogne, le sud de l’Aragon et la Manche où elle participe à la fondation du Carmel — masculin — de Pastrana. Certaines Vies semblent en faire une sorte de modèle inavoué, notamment celle de Catalina de Cristo, rédigée par Leonor de la Misericordia, selon laquelle c’est en apprenant la violence des pénitences de la « buena muger » Cardona que les désirs de Catalina se seraient éveillés et l’auraient poussée vers l’érémitisme avant d’entrer au Carmel21.
8Comme l’a bien noté Isabelle Poutrin, cet idéal érémitique est très vivant chez les premiers carmes déchaux. Ceux-ci ont souvent hésité entre une carrière d’ermite ou de chartreux et l’habit du Carmel. C’est le cas pour Jean de la Croix, Ambrosio Mariano ou Juan de la Miseria. Les premiers couvents du Carmel ne suivent pas de règle, mais tentent de s’inspirer directement de la vie des Pères du désert et des Évangiles. À Duruelo, le premier Carmel masculin, on ne mange que des herbes et du fromage, et les prouesses du Syrien Jean Climaque sont surpassées, si l’on en croit une Vie tardive de Jean de la Croix :
Et ainsi, en ce temps et dans ce couvent, on fit des exercices de mortification et de pénitence si rigoureux et extraordinaires qui laissaient loin derrière tout ce que saint Jean Climaque avait pu voir dans nos monastères de nos moines de Thébaïde et ce que Jean Damascène a pu éprouver dans le sien à Saint-Sabas22.
9L’allusion à Jean Climaque n’est pas innocente23. L’ascète syrien des VIe -VIIe siècles constitue une figure ascétique importante dans la péninsule au XVIe siècle, depuis la publication à Tolède, dès 1504, sous l’égide de Cisneros, de l’Escala spiritual qu’on lui attribue24. Luis de Granada, qui avait vécu dans les années 1530 au couvent de Scala Coeli, dans la Sierra de Cordoue, censé revenir aux exploits érémitiques des Pères du désert, en donne en 1562 une traduction25. Si cet horizon érémitique n’est donc pas propre au Carmel26, il prend dans cet ordre un accent particulier, puisque dans la mythologie collective qui lui sert alors d’histoire officielle, l’ordre prétend avoir été fondé par Élie, qui ouvre une histoire dont Albert, le fondateur réel de l’ordre, n’est qu’un maillon assez tardif. Cette histoire annexe au passé de l’ordre une généalogie héroïque qui rassemble tout ce que l’histoire du christianisme compte d’ermites et d’ascètes. Sous la plume de Francisco de Santa María, l’historiographe officiel de l’ordre dès les années 1620, le Christ lui-même n’est qu’un carme — certes tout à fait hors du commun — dans une histoire inaugurée par Élie, tout comme Jean-Baptiste, les Esséniens, les moines égyptiens ou saint Benoît27. Si cette insistance sur l’érémitisme dans un texte du XVIIe siècle est peut-être le signe que les premiers temps de la réforme ont déjà été relégués dans un passé héroïque, et que le présent est sans doute moins glorieux, il est évident que les Pères du désert constituent alors encore un modèle de sainteté qui surpasse les autres.
10Cette imprégnation ne concerne pas que des hommes et des béates incontrôlées. L’esprit érémitique est très visible dans les débuts de la réforme de l’ordre à travers la construction d’ermitages dans les jardins du couvent, lieu d’un recueillement personnel et d’un accroissement des mortifications dont nous gardons le règlement grâce à une transcription de Juan Bautista de Lanuza. Celui-ci décrit les exercices de pénitence des religieuses comme étant l’égal de ceux des hommes, en les comparant aux ermites des premiers temps :
Le châtiment de leurs corps était si rigoureux, que quiconque les aurait vu dans ces exercices de pénitences, aurait d’abord cru qu’il s’agissait d’hommes forts, imitateurs des anciens anachorètes, et non de faibles femmes, dépendantes de leur faiblesse et de leur délicatesse naturelle28.
11Les ermitages dispersés dans le jardin de San José sont dédiés aux saints du désert et aux anciens carmes. Les jours de fêtes, au cours desquels Thérèse donne une licence générale pour accroître les pénitences, les religieuses processionnent jusqu’à eux. Au couvent de Saragosse, fondé en 1588 et dont Isabel de Santo Domingo, l’une des proches de Thérèse d’Ávila, a longtemps été prieure, le droit de se retirer dans un ermitage est soumis à condition. Il faut demander l’autorisation de s’y rendre avec beaucoup d’insistance et de dévotion, et on ne peut y être envoyé contre son gré ou en guise de punition. Les retraites durent dix, dix-sept jours ou trois semaines et jamais plus. Les heures d’oraison individuelles y sont allongées et les exercices de pénitence accrus. La religieuse est supposée dormir habillée, prendre une discipline quotidienne et porter un cilice ou une chaîne continûment. Elle se nourrit de bouillons à l’huile et d’herbes cuites. Il est interdit de quitter l’ermitage, sauf pour les besoins naturels. On ne peut y écrire ou y recevoir de lettres. Enfin, la sortie de l’ermitage est suivie d’une mortification publique au réfectoire29.
12La tentation érémitique se laisse encore voir dans les régimes les plus austères. Ainsi, Catalina de San Francisco, une religieuse du petit Carmel andalou de Sabiote, dormait peu, en général sur le sol, et se nourrissait essentiellement de pain et d’herbes30. Les exercices de pénitence publique les plus spectaculaires du réfectoire sont directement empruntés aux exploits héroïques des premiers carmes, les inventions pénitentielles aussi, la virilisation du corps enfin sont des thèmes que nous avons déjà traités et qui sont étroitement associés à cet imaginaire.
13Le rapport à la tradition que supposent ces modèles hagiographiques n’est pas univoque. Il implique que les religieuses fassent une expérience du décollement ou du décalage, car le corps n’est pas un texte. Les contraintes sociales et physiques font qu’il est en théorie impossible de reproduire et de revivre le passé. Les textes qui décrivent la vie des religieuses sont eux-mêmes d’ordre hagiographique et mettent en scène la volonté de reproduire ces temps héroïques en revendiquant, malgré tout, que cette imitation nécessairement insatisfaisante est possible. Nous reviendrons plus loin sur tous les freins que l’ordre peut mettre à cette réactualisation des sacrifices du passé. Il importe pour l’instant de souligner que ces modèles littéraires violents mais inimitables ou indépassables, compte tenu de la grande liberté dont les ascètes et les saints médiévaux disposent dans l’exercice de leur pénitence, obligent à établir un rapport complexe à la tradition que les religieuses doivent s’approprier et réinventer. Le thème de l’inventivité dans la douleur, que nous avons déjà croisé, trouve ici un cadre licite pour s’épanouir tout en étant conforme à la tradition31. Dans leurs pénitences, les religieuses tentent d’être à la hauteur de leurs modèles, sans y parvenir.
UN MODÈLE INDÉPASSABLE
14Mais le signe le plus patent de ce retour déjà frustré aux origines est la volonté de communier à la Passion dont nous avons souligné les implications pour le salut. L’incertitude fondamentale qui amenait les religieuses à porter le poids insupportable des péchés de tous ne peut se résoudre que dans l’expérience sensible d’une communion au Christ, garantie éphémère que la conjonction entre l’individuel et le collectif est assurée dans la communion au corps mystique que constitue le Christ souffrant. Le christianisme est une religion fondée sur un corps perdu dont la grande spécificité est l’incarnation et son corollaire immédiat la rédemption de l’humanité par le sacrifice d’un corps. On sous-estimerait sans doute difficilement la portée de cet événement pour les religieuses, le plus important de l’histoire depuis la Création pour tous les historiens religieux des XVIe et XVIIe siècles, qui constitue l’origine des temps historiques. La théologie tridentine définit la messe comme la réitération de ce sacrifice initial qui assure la continuité du salut32. Il faut donc rechercher à tout prix la coïncidence avec cette rédemption originelle par le sang versé qui est la matrice de toutes les autres. Il faut ajouter que l’exigence d’imitatio Christi qui est au cœur de la spiritualité du début de l’époque moderne implique un accroissement notable mais frustrant de la violence exercée contre soi. Plus encore que les vierges martyrs et l’érémitisme, la Passion constitue un modèle inimitable. Les pages qui suivent sont consacrées à déployer les ambiguïtés, les difficultés et les contradictions de cette entreprise, car imiter la Passion n’est pas si simple.
15La volonté de participer à la Passion est patente dans la volonté de reproduire précisément ses gestes et ses étapes. Cette piété est connue et la parenté est évidente entre la Passion et les gestes de pénitence que nous avons croisés jusqu’ici. Il faut souligner que cette recherche d’une coïncidence se retrouve dans la temporalité des pratiques. Le temps de la Passion est le temps pénitentiel par excellence. Les disciplines conventuelles elles-mêmes se prennent le vendredi, jour de la mort du Christ, et sont accrues pendant le carême. Les constitutions de 1616, reprenant des constitutions des carmes déchaux, recommandent des disciplines le temps de trois Miserere les mercredis, jeudis et vendredis saints33. Les pratiques personnelles des religieuses renchérissent sur ce type d’identification, entre un moment déterminé et les souffrances de la prière, qui donne leur rythme à leurs pratiques pénitentielles. Ainsi, Isabel de Jesús, soumettait ses flagellations à un calendrier bien réglé :
[Elle] prenait la discipline tous les jours, et pendant une heure et demi le vendredi, et le reste du temps, la durée de 9 Pater et 9 Ave Maria, en mémoire des neufs mois où le Seigneur resta dans le ventre virginal de Notre-Dame34.
16Pour Isabel, il semble que la durée consacrée aux pénitences soit à la fois une manière de méditer l’Incarnation et la Passion, en associant étroitement la gestation du Christ dans le corps de la vierge et, plus classiquement, la communion à ses douleurs. Cette volonté de communier à la totalité de la vie du crucifié implique de travailler dans la durée mais aussi de rechercher l’instant de la délivrance, celui d’une communication dans la douleur, qui sera forcément une renaissance, puisque les fautes seront lavées. On peut prendre un autre exemple caractéristique de cette recherche d’une coïncidence pénitentielle dans la cellule de cette même religieuse, qui recherchait l’instant du salut, en début d’après-midi, heure théorique de la mort du Christ :
Elle avait [dans sa cellule] trois gros clous et chaque jour, de une à deux heures de l’après-midi, ou à une autre heure […], elle les mettait dans des trous qu’elle avait fait à cet effet dans le mur de sa cellule et elle se mettait sur eux, sans sandale, en croix, en ressentant les douleurs excessives que le Seigneur ressentait sur la Croix. Parfois, elle restait ainsi plus d’une heure35.
17À Lisbonne, María de San José avoue également être particulièrement dévote de l’heure de sexte, l’heure de la mort du Christ, parce qu’elle peut le soutenir dans son effort36, précisément à ce moment-là. La pénitence est un éternel recommencement, une tentative sans cesse réitérée pour rentrer en communication avec un événement passé et révolu avec lequel la douleur permet de coïncider. De ce point de vue, les pénitences du vendredi ne sont pas séparables des méditations sur la Passion proposées pour ce jour par la majorité des manuels de prières37.
18Cette coïncidence fait de la Passion un étalon problématique des douleurs pénitentielles puisque le modèle est, par principe, absolument indépassable. La norme est donc la frustration de voir que les douleurs que l’on connaît sont toujours en deçà des attentes. En ce sens, l’imitatio Christi a un effet très paradoxal sur la douleur elle-même, qui consiste à l’accroître tout en la minimisant. Ana de San Bartolomé montre bien à quel point la mesure des peines christiques réduit nécessairement les peines terrestres, tout en fournissant le modèle à suivre :
Et un jour, alors que j’étais à la messe, avec beaucoup de peine, j’en vins à me recueillir dans la prière, et le Seigneur m’apparût sous la forme de [en el paso de] l’Ecce Homo, comme lorsque Pilate le livra au peuple, couronné d’épines, les mains liées, une corde au cou et couvert de plaies. Tout ce vacarme des juifs qui criaient « crucifie-le ! » me rentrait dans le crâne. Alors, le Seigneur s’approcha de moi et me dit amoureusement : « Regarde, ma fille, dans quel état je suis. Te semble-t-il que tes tribulations sont pires que les miennes ? » Ces paroles me rentrèrent dans le cœur comme des flèches, et me laissèrent si embrasée que j’étais décidée à souffrir beaucoup plus que ce que l’on m’offrirait38.
19De la même manière, Cecilia del Nacimiento, écrivant en 1640 depuis son couvent de Valladolid sur sa sœur María de San Alberto, ex-prieure du couvent qui vient de décéder, la loue d’avoir fait de ses difficultés l’occasion de méditer sur la Passion :
Elle avait passé beaucoup de temps dans d’intenses douleurs, plus violentes que les précédentes, si bien qu’elle semblait clouée sur une croix sans que rien ne puisse la soulager. Sa gorge s’était tellement resserrée qu’il lui paraissait qu’à chaque fois qu’elle se comprimait, elle allait mourir d’étouffement. Elle était très dévote du moment où Notre Seigneur remonte la rue de l’amertume, avec la corde à la gorge, et pour l’accompagner je lui disais qu’elle offre ses douleurs en révérence pour cette station, et elle me répondit qu’elle l’avait déjà fait39.
20Outre les processions de la Semaine sainte, support logique des méditations sur la Passion pour les religieuses, on retrouve dans ces deux exemples la comparaison systématique entre tout type de difficultés, morales ou physiques, et les tribulations de la Croix, dont l’effet est l’acceptation de la douleur et dont la conclusion invariable est la minimisation des souffrances du présent. Certes, les deux exemples cités n’évoquent pas directement les douleurs de la pénitence, toujours suggérées (par la rigueur des coups ou par la quantité de sang), mais jamais précisément décrites dans le texte hagiographique. Pour autant, dans son principe, toute peine est rapportée à l’étalon démesuré de la Passion, revers de la démesure du péché, qui est un appel à augmenter les souffrances de manière indéfinie, et donc infinie, sans jamais égaler la performance divine.
21L’inflation du nombre de coups de fouet que le Christ aurait reçus est, de ce point de vue, tout à fait symptomatique. Alors que la tradition garde le compte de 40 coups en référence au Deutéronome40, record somme toute aisément surpassable par les religieuses les plus zélées, le Flos Sanctorum de Villegas, insistant sur le fait que les bourreaux, le sol et le Christ lui-même sont couverts de sang, prétend qu’il en aurait reçu 5 000 et non 40 comme le prévoyait la loi41, si bien qu’il serait mort si sa divinité ne l’avait pas aidé. Discutant cette même question, Cristobal de Fonseca rappelle que jamais quelqu’un n’a été fouetté comme lui depuis le commencement du monde. Parce qu’il a été fouetté par des païens et non par des juifs (qui se seraient arrêtés au trente-neuvième coup, comme Moïse, dit l’augustin), il en aurait reçu 5 00042. Encore ce chiffre est-il problématique selon lui. D’une part, certains passages des Écritures laissent penser que le châtiment, même infligé par les juifs, aurait pu être plus violent. D’autre part, certaines autorités se prononcent pour des chiffres supérieurs à 5 000, comme Ludolphe le Chartreux ou Bonaventure qui propose le chiffre de 6 676 coups. Le type d’instrument utilisé lui-même est incertain, selon Cristobal, qui penche malgré tout pour des disciplines de cuir aux extrémités métalliques. Cette inflation des douleurs du Christ date de la fin du Moyen Âge et a été abondamment reprise par la littérature spirituelle du début de l’époque moderne et du XVIIe siècle. Une relation de l’épisode du Niño de La Guardia, supposé avoir été tué rituellement à la fin des années 1480 par des juifs, fixe le nombre de coups à 5 20043. Le mercédaire Juan de Falconi, dont les Cartillas para la oración (1628) sont explicitement dédiées à l’édification des chrétiens les moins instruits, décrit sous forme d’abécédaire les chairs très honnêtes du Christ, dénudées et fouettées de plus de 5 000 coups très cruels44. Assurément cette comptabilité macabre est connue des religieuses. Il est moins certain qu’elles aient cherché à les reproduire. La très ascétique beata Catalina de Jesús, pourtant guère avare de pénitences, récitait pendant le carême 5 274 Ave Maria pour les coups de fouets et les plaies du Christ45, ce qui suppose qu’elle ne reproduisait pas le geste lui-même. Pourtant, les religieuses essaient de quantifier leurs mortifications. Le couvent est l’un des espaces de l’Europe moderne où le temps est mesuré et organisé et la mortification épouse ces exigences comptables. Une religieuse du monastère de las Descalzas Reales de Madrid prie avec des galets étalés devant elle pour compter ses Magnificat, et se mortifie en comptant les jours, mois et semaines de sa vie :
Elle offrait au Seigneur ses prières et ses mortifications selon le nombre des années, des mois, des semaines, des jours et des heures de sa vie. En plus de cela, elle en arriva à quarante-huit mille mortifications en hommage aux gouttes de sang que le Seigneur a répandues pour nous et de tous les autres coups qu’il avait reçus, car ses exercices cherchaient à faire rimer sa vie avec celle du Christ46.
22Le cas est intéressant car il montre que la quantification de la souffrance, loin de l’encadrer, la démultiplie. La fragmentation du temps n’est pas un instrument de séparation et de mesure, mais une manière de saisir encore plus complètement la totalité du temps et de l’espace de la douleur, en collectionnant et en additionnant les instants, les durées, superposés dans une accumulation qui n’a pas pour objet de reproduire les souffrances du Christ mais d’en prendre possession, d’occuper leur espace, de maintenir un contact régulier et permanent avec elles. À en croire la chronique catalane, une certaine Mariana de Jesús se serait donné 5 000 coups, répartis en dix jours, pour imiter, au moins par le nombre, ceux qu’aurait reçus le Christ47. Que ce haut fait, rapporté à un siècle de distance, soit véridique ou non importe au fond assez peu. Ce passage montre à la fois que ce modèle est supposé être suivi et que cette imitation est impossible, puisqu’il laisse entendre que, même si le nombre de coups pouvait être reproduit, la douleur ne serait pas la même.
23La chair du Christ est en effet la plus délicate qui soit48, de sorte qu’elle a une capacité à ressentir la douleur qui, quel que soit le nombre de coups, en amplifie les effets. La délicatesse féminine, autre lieu commun associée à la faiblesse du corps des femmes dans la littérature du temps, donne certes aux religieuses une sensibilité accrue à la douleur. Mais si on loue les religieuses délicates, il est certain que la compétition avec le Christ est encore faussée. On dira sans doute que tout modèle de sainteté est destiné à être admiré plus qu’imité. Assurément, les religieuses ne pensent pas pouvoir être l’égal du Christ. Mais il est en revanche certain, à regarder leur geste, qu’elles essaient de s’en approcher au plus près. L’imitatio Christi est l’expérience d’un décalage, sans qu’on dispose pour autant de règle pour mesurer l’écart au modèle.
EXTASES DOULOUREUSES
24Malgré cela, l’hagiographie prétend qu’une communion aux grâces de la Passion est possible, quoique éphémère. On sait que l’une des finalités de la mortification est la préparation à l’extase, union de la volonté de la religieuse à celle de Dieu, source de délices et de suavités spirituelles qui débordent sur le corps et qui manifestent l’efficience de la grâce. Au-delà de ce corps extatique — très commenté et hors de notre propos — l’expérience de la douleur est elle-même l’occasion d’une rencontre avec le crucifié. À l’extase suave qui fait les délices des spécialistes de la mystique, on doit superposer une communion douloureuse qui fait ressentir la présence divine dans la souffrance.
25Pour bien comprendre ce contact particulier, il faut revenir sur la capacité des religieuses à supporter la douleur, au-delà de la pénitence. Toute difficulté, toute tribulation personnelle est supposée être dépassée par une offrande à Dieu. Les récits de résistance aux douleurs de la maladie abondent dans l’hagiographie et insistent toujours sur la patience, voire la joie, que procurent ces douleurs extérieures, pour signifier une acceptation nécessaire afin que la douleur, une fois possédée, puisse être offerte dans des louanges. C’est l’une des conditions pour que les tribulations personnelles puissent servir le salut collectif, puisque la religieuse bien mortifiée peut les maîtriser pour en faire don. Ainsi, on peut lire dans une Vie de la religieuse sévillane Beatriz de la Madre de Dios :
Dans les dernières années de sa vie, elle souffrit beaucoup de douleurs et de maladies, qu’elle supportait avec une grande patience et pour lesquelles elle rendait grâce à notre Seigneur49.
26Selon Ana de Jesús, Thérèse d’Ávila supportait ses nombreuses maladies
avec tant de patience que nous faisions exprès d’aller la voir quand elle en souffrait le plus, afin d’apprendre comment nous devions supporter les nôtres50.
27De Catalina de Jesús, María de San José garde le souvenir suivant de ses souffrances, au moment de la fondation de Beas en février 1575 :
Le Seigneur lui donna tant de grandes et terribles maladies que ladite Mère María de San José entendit dire par un médecin qu’elle avait plus de soixante maladies très graves, dans le même temps. Quand notre sainte mère vint fonder ce couvent, on disait qu’elle avait été saignée plus de mille cinq cent fois, qu’on lui avait posé cinquante fois des ventouses, et qu’on avait jeté du sel sur ses plaies51.
28Catalina est supposée avoir supporté les douleurs de la maladie et de la médecine avec une telle patience, avec un tel amour et un si grand désir de souffrir qu’elle gardait ses cautères « comme d’autres gardent des fêtes et des noces52 ». Il semble évident que ce haut fait témoigne avant tout de l’admiration de la narratrice, María, et le temps a sans aucun doute contribué à exalter la constance de la malade pour en faire une persévérance surhumaine. Mais, derrière la rhétorique il y a une forme de nécessité spirituelle dans cet excès, non pas au sens où ces religieuses ont effectivement été héroïques, mais parce que cette exagération même est signifiante. La douleur a besoin d’être montrée et mesurée pour faire comprendre qu’elle n’est pas mesurable et qu’elle est véritablement hors du commun. Le décompte global des 1 500 saignées de Catalina de Jesús est la mesure d’une démesure. Ce que met en évidence la résistance à la maladie, ce n’est pas la force de la religieuse, mais la marque de Dieu sur elle. Comment supporter la douleur sans l’aide de Dieu si, comme le disait Villegas, le Christ lui-même n’a souffert la Passion qu’avec le secours de la grâce ? Interrogée à Soria en 1604, Ana de los Ángeles se souvient que les médecins disaient de Catalina de Cristo que la patience avec laquelle elle supportait ses maladies était surnaturelle53. Dans les conditions médicales et sanitaires du début de l’époque, celles-ci sont des moments privilégiés de rencontre avec Dieu54. La proximité avec la mort offre une occasion de se convertir, une opportunité de discerner les enjeux mondains des enjeux spirituels, elle fournit matière à de profondes méditations et pousse à son dernier point la vulnérabilité de la personne humaine. Si la maladie a une importance aussi stratégique, c’est parce que la vie — et donc le salut — y est mise directement entre les mains de Dieu.
29La capacité de résister aux maladies est donc la meilleure preuve qu’on est comblé de grâces, si bien qu’Isabel de Santo Domingo était envieuse des maladies des autres55. « Quelle grande grâce et quelle faveur reçoit celui à qui le Seigneur donne quelque dure maladie56 » remarque de la même manière Nicolas de San Cirilo en marge de sa Vie de María de Jesús. La vocation de sa protégée, éprouvée dans le « creuset » (crisol) de la maladie, n’en est que plus forte57. Ce sont les médecins qui, après avoir ausculté Catalina de Cristo, confirment que sa résistance à sa maladie est surnaturelle. Diego de Estella décrit les maladies du corps comme des signes de l’amour paternel58 et son analyse rend bien compte des différents enjeux spirituels qui se greffent sur son combat. Selon le franciscain, avec les maladies qui sont des « fouets » (azotes), le père châtie ses enfants et celui qui n’est pas châtié par Dieu icibas ne peut prétendre être son fils59. Le remède de tous les maux étant de revenir à leur origine, c’est l’extirpation du péché qui permet de sortir de la maladie et l’effet cessera avec la cause60. Nous retrouvons là l’idée que la mortification préservait la santé en protégeant du péché. La plaie elle-même n’est que la matérialisation sur le corps des plaies de l’âme. C’est parce qu’on ne voit pas les plaies de l’âme que Dieu les fait paraître sur le corps, pour qu’on puisse les soigner :
Ainsi, toi aussi, tu as tes plaies intérieures et cachées, là-bas, à l’intérieur de ton âme, et tu ne les vois pas. Et pour cette raison, le Seigneur les sort du corps pour qu’on les voit mieux et pour que les plaies de l’âme soient guéries61.
30La maladie est donc une épreuve pénitentielle qui débouche sur une grâce, une expérience purifiante qui permet de s’assurer de la présence divine.
31La pénitence est elle aussi la recherche d’un différentiel qui, par soustraction, permettrait de mettre en scène la grâce divine. On retrouve en effet dans les descriptions de la pénitence un émerveillement face à un corps manifestement et nécessairement porté par Dieu pour endurer ce qu’on lui inflige. Ainsi, Leonor de la Misericordia note de Catalina de Cristo, qui dormait à même le sol et portait un cilice continuellement, en feuilles de fer blanc et en cordes nouées62 :
Elle s’infligeait de grandes pénitences et il semblait impossible qu’un corps si tendre puisse souffrir les mauvais traitements qu’elle lui faisait63.
32La parenté avec le raisonnement tenu face à la maladie est ici évidente, d’autant que le corps accablé de pénitences en tombe souvent malade. Les flagellations extraordinaires de Catalina de Jesús lui ont ainsi tant abîmé la santé que les médecins la laissent pour incurable64. Comme la malade, enfiévrée, prise d’ardents désirs de pénitence, la religieuse trouve dans la violence de ses coups, et dans le fait qu’elle arrive à les supporter, un indice de la présence divine. C’est ce qu’induit par exemple la gravure déjà évoquée de Cornelis Galle dans laquelle le bras de Thérèse d’Ávila est dénudé, musclé, au moment où elle s’inflige la discipline (fig. 1, p. 118). Cette indécence ne va pas de soi. Commentant cette gravure dans une lettre du 26 juillet 1614, Ana de San Bartolomé s’en plaint65 et, dans la série des Ideae Vitae Teresianae, une Vie de Thérèse d’Ávila sous forme d’emblèmes publiée début XVIIe siècle à Anvers, la gravure consacrée à la haine de soi substitue Jean de la Croix à la fondatrice pour représenter les flagellations (fig. 4, p. 166).
33Le choix de représenter Thérèse ainsi ne se justifiait que par la volonté de mettre en évidence l’embrasement presque désordonné de la haine de soi qui anime la sainte, dans laquelle elle puise les ressources pour abattre la discipline avec une force disproportionnée. Le bras anormalement musclé, seule partie visible du corps, rappelle à la fois une pratique durable, régulière et appliquée (n’a-t-elle pas retroussé ses manches ?), et souligne que jamais les coups ne sont donnés à la légère. Il creuse un thème déjà présent dans l’hagiographie de Catalina Cardona, celui de la « force divine » du bras, qui soutient les actes du saint, les disciplines de la « buena muger » ne pouvant être supportées qu’avec l’aide de Dieu :
Elle prenait des disciplines très rudes avec des orties, et d’autres avec des fils de fer […] et d’autres choses si épineuses et dures que l’esprit de Dieu était bien nécessaire pour cela. Elle se jetait sur le corps des gouttes brûlantes de choses qui la laissaient couverte de plaies et de brûlures66.

FIG. 4. — Ideae Vitae Teresianae iconibus simbolicae expressa, gravure « Odium sui-ipsius », p. 23
(© University Library Utrecht)
34Si l’expérience de la douleur est celle du salut, ce n’est donc pas uniquement parce qu’elle constitue le signe d’une expiation, mais aussi parce qu’elle permet directement de faire l’expérience du soutien divin, dans son excès même, parce qu’il devrait précisément être insupportable. Derrière la déroute de la chair, ravagée par la maladie et la douleur, le corps de la religieuse manifeste le triomphe de l’esprit divin. En montrant l’impossible, en forçant le miracle dans la performativité de ses actes, la chair endolorie est une confirmation par le corps de l’existence d’un monde de l’esprit, distinct du corps, qui le soutient, et une preuve de la préférence divine. Nous retrouvons là, négativement, l’incommensurabilité problématique du péché qui appelle mécaniquement cette grâce divine, la seule pouvant être à la hauteur des fautes, venue soutenir les efforts de chacune. Placée dans les mains de Dieu parce qu’elle ressent la précarité de son existence, la religieuse fait l’expérience de son contact avec lui. Il est essentiel que cette expérience passe par la douleur. Parce qu’elle est en même temps la preuve qu’on côtoie la mort et qu’on est encore en vie, la douleur est une expérience miraculeuse.
35Paradoxalement, la recherche des douleurs de la Passion débouche pourtant parfois sur une forme d’abolition de la souffrance, sublimée par la rencontre avec le crucifié, qui constitue une seconde manière de ressentir la présence divine dans la pénitence. La pénitence aboutit alors à une forme d’insensibilité, bien différente — en théorie du moins — de celle du corps mortifié. Pour comprendre ce revirement des sensations, il faut opposer la recherche de douleur et l’écoulement du sang qui lui est lié. Comme le dit explicitement le témoignage d’Isabel de Figueroa sur Catalina de Jesús, les améliorations apportées à la discipline, en l’occurrence des aiguilles tordues, ont pour objectif d’expulser plus de sang67 tout autant que d’accroître les douleurs. La sensation du sang qui coule est le pendant nécessaire de la peine, il constitue même une preuve physique, pour l’œil extérieur, que la pénitence est bien douloureuse. Mais, au-delà d’un certain point, la sensation qui prédomine est plutôt l’ivresse de l’anémie, en vertu des étranges transfusions sanguines qui se jouent dans la pénitence des religieuses. Entre la flagellation et l’eucharistie s’instaure une circulation et un échange des sangs qui amènent la religieuse à répandre le sang du Christ et non plus le sien.
36Rappelons d’abord que la communion est le seul contact reconnu avec le sang divin, présent dans l’hostie autant que dans le calice68. Dans les Vies des religieuses, elle est une activité sanglante et charnelle, ce qui pourrait renforcer le lien que nous avons fait plus haut entre l’eucharistie et l’ingestion des chairs putréfiées ou malades. En témoignent les visions qui viennent à certaines au moment de prendre l’hostie en bouche. Catalina de Cristo, qui avait fait, lors de sa profession, le vœu d’être l’épouse de sang du Christ, avide de goûter son sang très précieux, s’en remplit si bien qu’elle en était toute baignée69. C’est cette même expression qu’on retrouve sous la plume de Juana Rodríguez, une tertiaire de Burgos : « parfois, il m’est arrivé de me trouver toute baignée de sang, les narines et la bouche70 ». Doña Beatriz de Mendoza, interrogée à Madrid en 1595, décrit les mêmes sensations qu’aurait ressenties Thérèse d’Ávila qui, alors qu’elle avait gardé l’hostie sur sa langue plus longtemps qu’à l’accoutumée, la sentit se défaire peu à peu « comme du sang qui bout71 », et la consomma de cette manière. La digestion, décrite par la médecine de l’époque comme une succession de cuissons purifiantes, produit une substance toujours plus subtile. La chair du Christ ainsi consommée ne peut que produire un sang infiniment vif et léger, de sorte que la communion allège et vivifie le sang. Dans les prières qu’elle formule au moment de communier, la beata Catalina de Jesús réclamait que le sang du Christ « se distille dans [ses] veines et [ses] sens72 », confirmant que la communion est bien vécue comme une transformation physiologique73. À l’inverse, le sang lourd et sombre du pécheur est rejeté par les pénitences, si bien qu’au terme de cette substitution, c’est le sang pur du Christ qui s’échappe des plaies de la religieuse dont l’enjeu va bien au-delà de la volonté de se laver de ses fautes. Pour la religieuse, la conformation au Christ passerait par une forme de substitution de sang, presque une transfusion, signe de sa parfaite conversion. Est-ce aller trop loin que d’imaginer que le sang qu’elle répand au terme de ce cycle flagellation-communion n’est plus celui du pécheur, mais celui du rédempteur ? Le fait que les constitutions évitent les disciplines les jours des fêtes et les dimanches n’est peut-être pas sans lien avec cette confusion des sangs, sans que les sources ne le mentionnent. Participer à la Passion, ce n’est plus répandre le sang de l’homme charnel mais le sang léger du saint et, in fine, du Christ. L’insistance de l’hagiographie sur la quantité de sang versé, au-delà du fait qu’elle est une indication de la durée de la douleur, serait alors un signe que ce sang répandu qui excède la capacité de la religieuse n’est plus vraiment le sien. La disparition de la douleur, par insensibilisation progressive du corps, serait alors en quelque sorte relayée par le sang lui-même, qui continue de couler.
37Ce changement trouve une justification dans l’euphorie de l’anémie, interprétée comme un signe de la présence divine. Un épisode de l’hagiographie de la religieuse lisboète María de San José, qui sent l’agneau palpiter dans sa bouche quand elle communie, décrit le contentement que cette anémie peut provoquer, ce qu’elle identifie à une grâce spéciale du Christ. María a toujours eu de grands désirs de faire pénitence, sans que jamais ses œuvres n’aient pu rejoindre ses désirs74, malgré les autorisations dont elle disposait. Alors qu’elle s’en plaint dans ses prières, elle fait l’expérience d’une vision de son âme, tout entière enchaînée, à la seule exception de son cœur qui renferme une croix embrasée, allusion transparente aux frustrations de son désir enflammé de verser le sang. Deux mois plus tard, à l’heure de sexte — celle de la Passion —, son esprit est enlevé et amené face au tribunal de justice, où le Christ lui-même lui annonce sa satisfaction de voir sa volonté de souffrir pour lui. Toutes ses chaînes tombent à ses pieds et elle verse beaucoup de sang, avec la permission divine. Au sortir de son extase, María se relève, comme si elle sortait d’une maladie où elle avait beaucoup saigné, marchant difficilement mais avec un grand contentement intérieur en sentant cette « faiblesse et manque de sang75 », et ce, pendant plusieurs jours, persuadée d’avoir versé son sang face au Christ, si bien qu’on lui demande pourquoi elle paraît si changée. Cette euphorie finit par détacher la recherche de l’écoulement du sang de celle de la douleur, jamais mentionnée dans ce passage, pour en faire le signe d’une communion suave à la substance divine. Du désir de María de San José ne reste que la satisfaction d’avoir répandu le sang, et le plaisir de ressentir dans son corps anémié une trace de la présence de Dieu. On constate à quel point cette expérience corporelle s’articule avec les exigences de la théologie du salut, dont nous avons dit qu’elle reposait sur un équilibre très instable et sur la capacité des religieuses d’offrir d’autres douleurs que celles qui rachètent leurs propres péchés, en participant à la Passion. Il n’est pas impossible que dans l’extase douloureuse, la conviction, aussi fugace soit-elle, que le sang versé est aussi celui du sacrifice constitue une confirmation physique du fait que ce basculement du personnel au collectif est possible. On mesure également avec ces exemples la plasticité des symboles attachés aux états du corps, signe de la douleur de la pénitence, de l’affaiblissement progressif du corps mortifié, sang pécheur ou sang divin. Cette polysémie des sensations est indissociable d’une dernière forme de communion avec la tradition, qui fait du corps un support de la rumination dévote.
II. — LE CORPS ET LA RUMINATION DES TEXTES
38Le corps est le lieu d’une expérience du texte qui, sans être nécessairement insatisfaisante, n’est pas de nature à apaiser la violence des carmélites. Rappelons que la vie d’une contemplative est supposée être une prière continue, quelle que soit son activité. Faire la vaisselle est par exemple l’occasion de réflexions édifiantes sur la propreté du contenant et du contenu, en guise de préparation à l’extase76. La couture offre des opportunités pour réfléchir au tissu de l’âme, du corps et du monde, qu’il faut sans cesse reprendre77. La mortification elle-même constitue un support pour la méditation comme le confirme l’analyse de deux lieux communs de la littérature spirituelle : la douleur des genoux et celle des pieds. Les sensations localisées sur ces parties du corps montrent que si les mortifications et pénitences des religieuses relèvent d’abord d’une problématique globale qui interroge dans son ensemble le rapport problématique entre la chair et l’esprit, elles sont aussi justiciables d’interprétations plus localisées et circonstanciées, dont le sens est éminemment plastique.
LA POLYSÉMIE DU GENOU
39Il est commun de dire que l’agenouillement est un signe de vénération78 et d’humilité, commandé par le poids de la faute qui fait ployer le corps et le courbe au point de le rabaisser. Le pénitent à genoux offre l’image d’un corps tordu, c’est-à-dire à la fois soumis, prêt à prendre le joug du Christ sur ses épaules, et pécheur, car tout ce qui est oblique, courbé est une image du péché. Mais pour comprendre la signification de cette posture humiliante, il faut se garder de la ramener à une grammaire du corps figée et immuable. Dans ce cadre très général, l’agenouillement fait l’objet, dans la littérature spirituelle, d’élaborations plus complexes qui enrichissent ce sens initial sans le trahir. C’est ce processus de densification du sens, cet étoffement des gestes et des postures, qui permet de comprendre la place du corps dans la méditation sur la tradition.
40Ana de San Bartolomé, rappelle que celui qui n’a pas de foi a peur de s’agenouiller de peur de salir ses riches vêtements79. Le libro llamado Monte Calvario (1548) d’Antonio de Guevara, l’un de ses derniers ouvrages et le plus ascétique, recommande de s’agenouiller devant le Christ, même s’il concède qu’il reste plus important de le louer par la parole. Poussant jusqu’à son terme la tradition d’une représentation de l’intériorité comme reflet de l’extériorité, il prétend qu’il y a des genoux de l’âme comme il y a des genoux du corps, ce qui autorise une lecture spirituelle des transformations du corps.
Dans tout l’ordonnancement du corps, il n’y a pas de chose plus dure, ni plus nerveuse que le lieu et la souche sur laquelle reposent les genoux, si bien que si la nature ne nous avait pas donné de pieds et de jambes, nous aurions très bien pu marcher sur les genoux. Je ne crois pas que nous nous tromperions en disant que les genoux durs ne sont rien d’autre que les consciences obstinées et mauvaises, desquelles on ne peut véritablement dire que nous les agenouillons sur le sol que quand nous les lavons d’un péché. La conscience mauvaise et obstinée n’est rien d’autre qu’une jambe froide et rigide qui ne sait pas plier son genou80.
41Le genou rigide est symbole d’endurcissement dans le péché, d’une âme incapable de s’agenouiller, en faisant jouer une correspondance très classique entre les états du corps et les états de l’âme dans la prière. La douleur de l’agenouillement durable sur un sol rude est donc le rappel constant qu’au-delà du geste du corps, l’âme doit s’agenouiller elle-même, une injonction à la conformité entre l’intérieur et l’extérieur. L’agenouillement dont Guevara repère méthodiquement les occurrences bibliques constitue la matière d’une méditation sur la douleur du péché. Quels genoux au monde sont aujourd’hui plus durs et rigides que le désamour que nous portons au prochain et l’amour que nous nous portons ? Le franciscain va jusqu’à distinguer l’agenouillement du genou droit et celui du genou gauche, pour rappeler qu’il vaut mieux s’agenouiller des deux.
Celui qui pose au sol le genou droit est d’un côté un homme de bonne vie, mais d’un autre côté, il est celui à qui personne ne peut faire pardonner une injure. Au contraire, celui qui pose le genou gauche devant le Christ est celui qui pardonne volontiers à qui l’a offensé, mais qui ne veut pas sortir du péché dans lequel il est enferré81.
42Il y a des agenouillements qui ne sont pas humbles et Guevara rappelle l’agenouillement des légionnaires romains devant le Christ, qui est le signe d’un cœur moqueur, car il détourne le sens établi du geste, mais surtout d’un cœur hypocrite, car, dit-il, beaucoup agenouillent le corps sans agenouiller l’âme. D’un autre côté, cette capacité à l’humiliation équivaut à une possibilité de rédemption. Domingo de Soto note que seul l’homme peut s’agenouiller. Il a été créé droit, sur deux pieds, sur des os fermes, pour pouvoir se tourner vers le ciel. Et, puisque tout le corps dispose l’homme à faire la volonté de Dieu, il faut louer les genoux, car ils incarnent notre capacité à adorer Dieu :
Et bien que les mammifères aient aussi des genoux, ils ne les peuvent pas fléchir et poser à terre, ni se tenir longtemps sur eux, comme peut le faire l’homme. C’est un signe de la religion que l’on doit à Dieu, lui que nous devons adorer à genoux, puisque, comme le dit saint Paul, « au Nom de Jésus tout genou se ploie, tant de ceux qui sont aux cieux, que de ceux qui sont en la terre, et aux enfers »82.
43Le sens que l’on peut accorder à l’agenouillement est donc très variable suivant la situation, et le danger d’un geste hypocrite est toujours présent. Au-delà du sens commun et général d’un geste — ici comme souvent l’humilité — d’autres significations sont susceptibles de l’enrichir, au risque de le rendre illisible et trompeur, faute de connaître la disposition intérieure du croyant.
44Il nous semble que ce type de méditation sur le sens d’une posture du corps est difficilement dissociable de l’état du corps dans la prière. On peut trouver au moins deux justifications à cette solidarité entre sensation et méditation. La première est que la sensation que chaque religieuse a de son propre corps ne peut qu’aider à approfondir à la fois le sens de leurs gestes et le sens des textes qui leur servent de guide, dans un dialogue constant. Pour méditer sur l’endurcissement du péché, il faut ressentir l’endurcissement de ses genoux. La seconde est que ressentir son propre corps empêche l’esprit de vagabonder et permet de fixer la méditation sur un objet, en se focalisant sur une sensation, exactement comme l’image invite à concentrer le regard en un point. L’expérience du corps est donc un garde-fou, un point d’ancrage. Contre l’idée que la prière se fait nécessairement dans l’abstraction du corps, certaines religieuses semblent d’ailleurs rechercher délibérément la douleur ou au moins le malaise. María de San Angelo rapporte ainsi de Catalina de Jesús que, pour être dans la prière avec difficulté, elle priait les genoux sur une toile de sparte à gros grains83. Mais c’est dans les méditations sur les pieds que cette solidarité entre expérience du corps et méditation spirituelle est la plus patente.
LA MORTIFICATION DES PIEDS
45Les pieds font en effet l’objet d’un traitement ascétique particulier. L’insistance des observants franciscains, des jésuites des premiers temps, ou des carmes sur les pieds nus n’est pas qu’un signe de pauvreté qui reprend l’image des apôtres partis pieds nus évangéliser le monde84, uniquement chaussés du zèle de leur foi85. Dans les premiers temps de la réforme de l’ordre, notamment pour le Carmel masculin, il semble que les religieux étaient tous pieds nus, mais cette pratique aurait cessé à la demande du chapitre d’Alcalá en 1581, qui réglemente la pratique religieuse de la congrégation86. On sait que par « déchaussées », il faut en réalité entendre que les religieuses portent des chausses ou des sandales à semelles de cordes appelées alpargates. Cela ne doit pas faire perdre de vue que, au-delà des chausses, le pied est un endroit du corps particulièrement maltraité. Sœur Mariana de Jesús, une religieuse de Cuerva, utilise des pois chiches, secs, qu’elle glisse entre sa semelle et sa plante des pieds87. Une technique plus aboutie consiste à glisser au même endroit de fines semelles de métal hérissées de pointes ou de bosses. Si l’on en croit la chronique de Malagón, on en utilisait beaucoup jusque vers 1590, dans les premiers temps de la réforme, une pratique qui a peut-être pris le relais de la descaldez (le fait d’être pieds nus) intégrale, après qu’elle a été interdite88. À côté de ces pratiques qui jouent sur la durée et l’usure, on peut mentionner des pratiques de mortifications ponctuelles, plus rares sur cette partie du corps. Comme nous l’avons déjà mentionné, la tertiaire Catalina de Jesús a des « fissures » sur la plante des pieds à force de les flageller. Les mortifications de Josefa de San Felipe, au début du XVIIIe siècle, synthétisent des pratiques qu’on retrouve régulièrement, sinon abondamment, dans les sources depuis le XVIe siècle :
Entre sa semelle de la chaussure et les tendres plantes de ses pieds, elle mettait des pois, des petites pierres, du sable, ou d’autres matériaux inconfortables, pour affliger ces endroits que le fouet n’atteint pas89.
46Outre qu’ils témoignent d’une recherche de douleur, puisque la plante des pieds est une zone du corps particulièrement sensible, ces gestes s’appuient sur la polysémie du pied. Parce qu’il est le point de contact le plus naturel avec le monde, il mérite d’abord d’être mortifié en signe de détachement. L’augustin Antonio Marqués, auteur en 1617 d’un ouvrage sur l’embellissement du corps, les décrit comme les parties les plus humbles du corps parce qu’ils sont nés pour traîner à terre90. En châtiant son pied, c’est tout un rapport au monde — en tant qu’il est terrestre, corrompu, royaume du démon — qu’on met à l’épreuve. La mortification rappelle continûment que ce contact est naturellement douloureux et pénible et que la séparation d’avec le monde est sans cesse à reprendre. La scène du lavement des pieds est le moment évangélique privilégié pour densifier le sens de ces pratiques douloureuses. Puisant dans la patristique et chez les autorités du Moyen Âge, Guevara rappelle que :
Quand le fils de Dieu demanda à ses disciples qu’ils s’enlèvent les uns des autres la poussière des pieds, il leur ordonnait et interdisait qu’il s’embarrassent des choses du monde91.
47Le franciscain précise que le Christ a insisté sur les deux pieds pour montrer qu’il faut non seulement ne plus posséder de choses terrestres, mais encore arrêter de les désirer. Parce que le pied touche le monde physiquement, il est logiquement décrit comme l’un des points d’entrée du péché dans le corps, ce qui en soi suppose déjà qu’on lui offre un traitement particulier. Plus précisément, les péchés véniels sont associés aux pieds, signes d’un attachement au monde dont l’homme ne peut se défaire avant la mort, mais dont il peut se laver, par opposition au péché mortel qui rentre par la tête, lieu de l’esprit. C’est cette distinction que reprend Alonso de Orozco dans ses soliloques sur la Passion (1543) en faisant le lien entre ce lavement des pieds et la nécessité de la confession avant la communion :
Vous avez lavé leurs pieds pour qu’ils communient, pour nous faire comprendre qu’il faut faire pénitence et nous confesser, même de nos péchés véniels avant de nous approcher d’une nourriture aussi pure92.
48On retrouve la même analyse chez le franciscain Diego de Estella, rappelant qu’il faut laver les pieds des affections de l’âme. Les bons comme Jacob prennent le vice par le pied et les mauvais par la tête93, écrit-il. Cette hiérarchie des péchés de pied, de tête et de main vient de la réponse de Pierre au Christ, au moment du lavement de pieds. Alors qu’il refuse de se faire laver les siens, le Christ lui annonce qu’il n’aura pas de part avec lui, ce à quoi Pierre répond qu’il veut se faire laver pieds, mains et tête. L’augustin Cristóbal de Fonseca en fait le commentaire dans son Tratado de la Vida de Cristo (1596) :
Il y a des péchés de tête, de main, et de pied. Par péchés de pied, de nombreux saints entendent les péchés les plus légers, d’autres les affects et les passions94.
49Les péchés véniels, les affections, les passions, qui sont la marque d’un attachement néfaste mais inévitable au monde, sont donc associés aux deux pieds. Avec une argumentation différente, Jerónimo Gracián en vient à comparer les passions à des « souliers » :
On appelle les passions souliers, parce que tout comme les souliers se font avec des animaux morts, ainsi les passions qui sont dans l’appétit, pour être ce qu’elles doivent être, doivent être mortifiées95.
50Le pied n’est de toute façon pas une partie noble du corps. C’est la décence, plus que le confort, qui pousse les carmélites déchaussées à porter des sandales. L’insistance à porter des sandales fermées96, que le chapitre de 1622 attribue à Thérèse d’Ávila, ne peut être motivée que par la volonté de cacher une partie du corps aussi inconvenante. Par ailleurs, on sait qu’au moins un péché véniel est précisément attaché aux pieds dans certaines sources : le scrupule. Les manuels de confesseurs ou les sommes de cas de conscience le décrivent en général grâce à la métaphore de « la petite pierre qui entre dans la chaussure et tourmente le pied97 » selon Enrique de Villalobos, dans son Manual de confessores. Qu’est le scrupule, sinon un caillou qui se met dans la chaussure et blesse le pied ? écrit le franciscain Manuel Rodríguez Lusitano, dans un ouvrage publié en 1604 à Salamanque98. Il est ici très tentant de faire le lien avec les pratiques de mortification que nous avons décrites plus haut, qui consistent à glisser des pois chiches entre la semelle et la plante des pieds. Si cette association des pieds et du péché reste assez libre et lâche, elle semble constante et se concentre sur des péchés légers ou véniels, par opposition aux péchés de tête auxquels l’esprit a donné son consentement, scellant sa propre damnation. À l’inverse de cette lecture du lavement des pieds, le pied propre est la marque du saint, animé par des désirs purs et non par les motions et inclinaisons dangereuses venues du monde.
51Ce contact avec le monde fait du pied le point liminal du corps où le renversement des hiérarchies opéré par la vertu d’humilité se montre de la manière la plus patente. Se jeter aux pieds du Seigneur et de ses représentants est un geste de soumission rapporté très régulièrement dans les Écritures. Le baiser des pieds est le signe de révérence le plus fort que l’on puisse donner et on en trouve quelques exemples dans les annales des couvents sur lesquels nous reviendrons. Se mettre sous les pieds c’est se mettre plus bas que terre, c’est même déchoir de sa condition d’homme, lui sous les pieds duquel Dieu a mis toute la Création, selon une formule des psaumes reprise dans l’épître aux Hébreux99. Parce qu’il pèche, l’homme se trouve inférieur à toutes les choses auxquelles il devrait être supérieur, avance le dominicain Alonso de Cabrera, prédicateur de Philippe II, dans un sermon sur le lavement des pieds100 : le péché bouleverse le monde, le met sens dessus dessous, et inverse la hiérarchie des pieds et du chef. Le péché d’orgueil notamment consiste à se voir plus haut qu’on ne l’est, si bien qu’on est d’autant plus bas qu’on croit être superbe. Si les orgueilleux, dans un récit de vision de l’enfer du début du siècle, la Revelación de San Pablo (1525), sont pendus par les pieds dans les cercles infernaux qui leur sont dédiés, et piétinés comme on bat les épis de blé101, c’est parce que, eux-mêmes, de leur vivant, inversaient les deux.
52L’humiliation consiste donc à s’abaisser aux pieds et, si possible, sous les pieds. Selon Leonor de la Misericordia, dans la Vie qu’elle a laissée de Catalina de Cristo :
Il n’y avait à ses yeux rien de plus vile qu’elle-même, ni quelque chose qui méritait autant de se trouver sous les pieds de toutes les autres102.
53Pour assurer la rédemption de l’humanité, le Christ doit donc se mettre sous les pieds du pécheur, jusqu’en enfer et même plus profond que l’enfer, car Judas était pire que l’enfer selon Cabrera. Son sermon rappelle que le Seigneur s’est abaissé et souillé à laver les immondices des pieds du pécheur, en se plaçant sous les pieds des apôtres, à genoux, pour nous rappeler que l’abaissement de l’humilité est le chemin le plus sûr pour s’élever. Une fois que cet abaissement rédempteur a fait son effet, le Christ continue à guider les hommes, selon Cabrera. Parce que le pied est l’élément moteur du corps, ce sur quoi et grâce à quoi l’homme chemine, il permet de rappeler qu’il faut toujours avancer sans trébucher, en ayant à l’esprit la fin pour laquelle nous faisons les choses. C’est, là encore, l’une des analyses constantes et communes du lavement des pieds depuis les premiers pères de l’Église. Le pied est occasion de chute, insiste Alonso de Cabrera en invoquant Isaïe, et le Christ doit guider les fidèles vers le chemin du ciel. Il fait plus que montrer le chemin juste, puisqu’il lave les pieds et les rend pareils à ceux du cerf, et donc à ceux du Christ, aux siens. C’est la différence, conclut le prédicateur, entre le chemin du ciel et les autres : il faut se laver les pieds avant de l’emprunter, mais les pieds ne se salissent pas une fois qu’on est bien guidé. La douleur infligée aux pieds est alors le rappel qu’en tant qu’ils nous font trébucher ils sont l’un des symboles les plus caractéristiques de nos chutes dans le péché.
54Mais naturellement la douleur infligée aux pieds est surtout une remémoration des douleurs de la Passion. Ainsi, la beata Catalina de Jesús s’évertuait à marcher avec des clous plantés dans le pied :
Elle marchait avec, et une fois qu’elle les avait retirés, poursuivait son chemin en prenant garde à ne pas le soigner103.
55Nous avons déjà rappelé à quel point la méditation sur la Passion était recommandée aux religieuses, une méditation banale et commune déclinée par tous les ouvrages dévots et par tous les hagiographes. Le Rosario devotissimo d’Antonio Rodrigo propose de méditer sur la plaie du pied gauche, en considérant la douleur qu’elle renferme et la patience avec laquelle elle est endurée, et sur la plaie du pied droit, en considérant le sang et la douleur que coûtent les mauvais pas104, pour mieux demander de suivre le chemin des commandements du Seigneur. Ana de San Bartolomé pousse très loin cette métaphore très commune du chemin à partir de la méditation sur les pieds du Christ. On sait qu’elle était très dévote des cinq plaies du Christ, et que cette dévotion passe par un contact charnel avec ses représentations, en embrassant les statues notamment. Elle voue à ces plaies du pied une grande dévotion depuis qu’alors qu’elle les adorait la Vierge lui serait apparue pour lui montrer le Christ dans ses entrailles, avec des gouttes de sang aux pieds, et lui faire comprendre qu’elle devait « toujours être à ses pieds blessés105 ». La figure de la religieuse agenouillée au pied du calvaire et embrassant les pieds du crucifié est du reste très commune dans l’iconographie et la peinture religieuses. Dans une de ses Meditaciones sobre el camino de Cristo, qui date de 1618, elle reprend sa dévotion aux pieds pour en donner une lecture un peu systématique. Ana parcourt le corps du crucifié comme un pays sacré. Elle marche, ou plutôt grimpe, le long de « l’arbre de vie », c’est-à-dire la Croix, pour trouver le repos dans les plaies précieuses, qui sont des nids de refuge pour ses enfants, comme les oiseaux en font dans les arbres106. Cette pérégrination sur la Croix est loin de correspondre à une spiritualité neuve. Le thème du refuge dans les plaies du Christ, décrites comme autant de nids perchés sur l’arbre de la Croix, est très commun depuis la fin du Moyen Âge. Cette spiritualité se focalise assez vite chez elle sur les plaies du pied, plus à même de supporter la métaphore du chemin vers Dieu. « Allons vers ce lieu des saints pieds où les clous nous ont ouvert des portes pour entrer dans le royaume de Dieu107 ». Le pied, point de passage entre le monde et l’homme et porte d’entrée du péché, est devenu la porte d’entrée la plus naturelle vers le Christ, dont la grâce s’est réfugiée dans l’intériorité du corps. Si ce rôle est souvent dévolu à la plaie du cœur, Ana, toute humilité, rencontre le Christ par les pieds. Ces portes sont ouvertes dit-elle, en rappelant la formule évangélique « frappez et l’on vous ouvrira108 », à ceux qui viennent avec une foi vive, réchauffée par la chaleur de la plaie, et non dure et froide comme le clou qui l’a ouverte. Dans la plaie, et dans le pied donc, on trouve le sang dans lequel le pécheur se baigne pour trouver la rédemption. Selon Ana, les plaies du Christ l’ont vidé de tout son sang109. Des plaies coulent les eaux vives qui étanchent la soif des amants et, avec cette eau, Il les arrose comme les fleurs de son jardin et Il fait leur délice110. Voilà les atours et les ornements que le Christ donne à son épouse en reconduisant sur la Croix les noces de l’Église et de l’agneau sacrifié : la douleur et l’humiliation. Voilà, dit-elle, les « pas » du Christ qu’il faut suivre sur le chemin de Croix, dont les plaies du pied sont l’entrée la plus sûre. Par ses propres souffrances, ajoute-t-elle, le Christ a éloigné les pierres du chemin et les risques, « en défaisant les montagnes de nos péchés111 ».
56On voit ici à quel point, dans la méditation, le cadre général de l’imitatio Christi est surchargé de significations, dans la mesure où la plaie du pied en vient à symboliser par métonymie tous les aspects de la vie du croyant : elle est symbole de ses fautes, de sa rédemption, de son parcours de conversion, de son sacrifice. Elle est un support à la fois pour méditer sur le Christ proprement dit, et donc sur les textes, et pour réfléchir à l’état de l’âme du fidèle. L’imitatio Christi et les pratiques de méditation s’appuyant sur le corps ne sont donc pas des reproductions de gestes dont le sens est connu, mais des réflexions sur une figure et sur une sensation, conjointement, au cours de laquelle le sens des gestes est produit par la rumination du corps. Plus qu’une production du sens du geste, postérieure à celui-ci, il s’agit plutôt d’une révélation du sens de ce que l’on fait au fur et à mesure de la méditation, la religieuse découvrant, dans la souffrance, le sens de la rédemption, et donc le sens de sa pratique. Non seulement le lien entre un geste, une sensation et les différents sens dont il peut être investi est très lâche, mais en plus, il nous semble que, dans la logique d’une méditation qui prend appui sur le corps, ce sens est progressivement dévoilé. On mesure ici la grande fluidité du sens des gestes. L’idée selon laquelle la méditation disloque le corps pour mieux le ruminer dans chacun de ses aspects invite à penser que le regard qu’on pose sur la chair est bien plus complexe que les jugements généraux, négatifs ou positifs, auxquels on le ramène en général. La chair n’est pas seulement appréciée dans sa globalité : elle est goûtée dans chacune de ses parties. On ne saurait pour cette raison trop souligner le rôle essentiel de la sensation, de l’expérience du corps comme cadre de la méditation et comme guide de celle-ci, comme lien entre l’image du corps et le discours intellectuel. Cette douleur est la manifestation physique de la rumination du texte et du corps, celle d’un corps qui se digère sous l’effet de la méditation sur le statut du péché et de la rédemption. La rumination du corps et la dispersion du sens qu’elle implique sont indissociables de la rumination des textes. Elles permettent de faire coller l’extérieur et l’intérieur de la vie religieuse dans un acte doublement fondateur, dans la mesure où c’est d’elle que part la réflexion et dans la mesure où l’immédiateté, la présence continue à soi qu’elle représente, fait de la méditation une découverte continue du texte, sans cesse reprise au présent, dans l’expérience du corps.
57Tout semble donc appeler à accroître la souffrance : elle est la voie pour apaiser les angoisses qui traversent la société et notamment les religieuses, elle plaît à Dieu et permet de participer au salut, de soulager la Passion du Christ, d’effacer les péchés passés, de sauver les âmes en perdition. Elle est valorisée par les plus grands saints proposés aux regards des carmélites, les vierges martyrs et les ermites. La douleur sanctifie, la ressentir semble essentiel, elle rapproche du Christ, tout comme l’écoulement du sang. Cette recherche même de l’excès, dont le modèle est le sacrifice du Christ, fait du travail corporel de la religieuse une manifestation de la puissance divine : le sacrifice de la sainte laisse voir le sacrifice de Dieu pour les hommes et confirme son pouvoir et sa présence dans son excès même, en offrant l’image d’un corps ravagé par la douleur mais résistant par la force de Dieu. Le corps est le médiat par lequel l’âme s’arrime à la tradition, aux textes, le guide de ses dévotions, l’instrument de son exploration spirituelle, le biais par lequel la religieuse établit un contact éphémère mais éprouvé avec les sacrifices du passé et le temps des origines. Mais cet accroissement de la douleur ne peut pas se déployer sereinement. Ces modèles ne fournissent pas d’étalon clair qui pourrait fixer une limite à la pénitence.
Notes de bas de page
1 C. Vincent-Cassy, Les saintes vierges et martyrs.
2 D. Crouzet, « Sainthood and Heroism », pp. 339-340 ; J. Le Brun, « Mutations de la notion de martyre ».
3 Isabel de la Encarnación, « Cuadernos de Bernardina de Jesús », f° 266r°.
4 Luis de Granada, Segunda parte del Símbolo de la fe, p. 140.
5 Ibid., p. 141.
6 Thérèse d’Ávila, Constituciones, p. 821.
7 M.-Chr. Pouchelle, « Représentation du corps dans la Légende dorée ».
8 Nicolás de San Cirilo, « Vida de las Venerables María de Jesús e Isabel de Jesús », f° 519v°.
9 Ibid., f° 492v°.
10 Antonio de San Joaquín, « Vida de Josefa de San Felipe », f° 180r°.
11 « Relación histórica de la fundación del convento de Ocaña », p. 67.
12 « Informaciones sobre Catalina de Jesús », fos 154v° et 167v°.
13 « Y entonces díjome : “Vaya al fuego y en medio de la brasa encendida meta un dedo espacio de un credo, y véngame a decir cómo es lo que siente”. Yo fié de la obediencia y lo hice como él me lo mandaba, y volví al confesor, y no sé cómo fue, que recé el credo en tanto que le tenía, y no sentí ni me dio pena » (Ana de San Bartolomé, Autobiografïa de Amberes (A), p. 339).
14 Luis de Granada, Segunda parte del Símbolo de la fe, p. 177.
15 Ibid.
16 Leonor de la Misericordia, Relación de la vida de la venerable Madre Catalina de Cristo, f° 173v°.
17 I. Poutrin, Le voile et la plume, pp. 71-76.
18 Proceso de la vida de Ángela de Fulginio ; Raymond de Capoue, La vida de la bien auenturada sancta Caterina de Sena ; Angèle de Foligno, Liber qui dicitur Angela de Fulginio ; Catherine de Sienne, Obra de las epistolas y oraciones.
19 Contrairement à ce que pensent A. Cortijo Ocaña et A. Cortijo Ocaña, « Vida de la Madre Catalina Cardona », p. 23, la BNE conserve d’autres Vies de Catalina que celles qu’ils ont pu consulter à la Bancroft Library, rassemblées à l’initiative du premier historiographe officiel du Carmel, Juan de Jesús María.
20 Ángel de San Gabriel, « Relación de la buena muger Catalina Cardona », f° 11v°.
21 Leonor de la Misericordia, Relación de la vida de la venerable Madre Catalina de Cristo, f° 49v°.
22 « Y asi hubo en este tiempo en aquel convento ejercicios de mortificacion y penitencia tan rigurosos y extraordinarios que dejaban muy atras a todo lo que San Juan Climaco vio en los monasterios de nuestros monjes de Tebaida y lo que experimento San Juan Damasceno en el suyo de San Saba » (Alonso de la Madre de Dios, Vida, virtudes y milagros del santo padre Fray Juan de la Cruz, pp. 132-133).
23 I. Poutrin, « Ascèse et désert », p. 148 ; A. Saint-Saëns, « Thérèse d’Ávila ou l’érémitisme sublimé ».
24 J. Climaque, Sant Juan Climaco que trata de las tablas y escalera.
25 Luis de Granada, Libro de san Ivan Climaco llamado escala espiritual.
26 A. Saint-Saëns, La nostalgie du désert.
27 Francisco de Santa María, « Historia Profetica ».
28 « Era el castigo de sus cuerpos tan riguroso, que quien las viera en estos exercicios de penitencia, primero las juzgara como varones fuertes, imitadores de los antiguos anachoretas, que por mugeres flacas, sugetas a su natural delicadeza y debilida » (M. Batista de Lanuza, Vida de la bendita Madre Isabel de Santo Domingo, p. 31).
29 Id., Fundacion y excelencias del Conuento de S. Ioseph, p. 115.
30 Francisco de Santa María, Reforma de los Descalzos, t. II, p. 162.
31 A. Roullet, « Pénitence et norme pénitente ».
32 Sur ce sacrifice initial sans cesse réitéré dans la liturgie, voir G. Agamben, Opus dei, archéologie de l’office.
33 T. Sierra, « Constituciones de las carmelitas descalças promulgadas en 1616, 1701 y 1786 », p. 261.
34 « Tomaua todos los dias disciplina y los viernes era une hora y los demas dias 9 pater noster y ave marias a los nueue meses que el senor estubo en el vientre virginal de nuestra señora » (Nicolás de San Cirilo, « Vida de las Venerables María de Jesús e Isabel de Jesús », f° 519v°).
35 « Tenia tres clavos gruesos y cada dia de una a dos de la tarde o a otra ora (cuando esta la occupauan) los ponia en agujeros que para esto tenia hechos en la pared de su celda y se ponia sobre ellos sin alpargatas en cruz sintiendo el dolor excesivo q el señor padecia en ella y alguna veces se estava desta manera mas de una ora » (ibid., f° 522r°).
36 María de San José (Sousa), « Mercedes y favores que Dios hizo a la Madre María de San José », f° 24v°.
37 Luis de Granada, Primer guía de peccadores, p. 140 ; Tratado llamado Cruz de Cristo, chap. iii, s. f° ; D. Pérez de Valdivia, Aviso de gente recogida, p. 228.
38 « Y un día estando en la misa, estaba con pena, y de la pena me recogí en oración, y estando así, se me apareció el Señor en el paso del Ecce Homo, como cuando Pilatos le sacó al pueblo coronado de espinas, atadas las manos y una soga a la garganta y todo llagado, y toda aquella gritería de judíos que me entraban en la cabeza diciendo : “Crucíficale”. Y llegóse el Señor y con habla amorosa me dijo : “Hija, mírame cual estoy. ¿ Parécete que son tus trabajos como los míos ?”, que estas palabras entraron en mi corazón como saetas y me dejaron tan inflamada, que quedé muy alentada a padecer mucho más que se me ofrecia » (Ana de San Bartolomé, Autobiografïa de Amberes (A), pp. 347-348).
39 « Habiendo pasado harto tiempo intensas dolores mas de los que antes, que parecia estaba clavada en una cruz sin poderse casi mover ni poderla alibiar en nada, y con un ahogo de la garganta tan grande que parecia cada momento quando la apretabase habia de aogar. Era ella muy debota de cuando nuestro Señor paso por la calle de la amargura con la soga a la garganta, y le acompañaba dijela se lo ofreciese en reverencia deste paso y me repondio despues ya lo habia hecho » (María del Nacimiento, « Apuntes sobre María de San Alberto », f° 581r°).
40 Deutéronome XXV, 3-4.
41 A. de Villegas, Flos sanctorum, f° 36v°.
42 C. de Fonseca, Tratado de la Vida de Cristo, f° 362r°.
43 S. de Orozco, Relaciones históricas toledanas, p. 36.
44 Juan de Falconi, Cartillas para la oración, p. 57.
45 « Vida de la Madre Catalina de Jesús », f° 408r°.
46 « Tenia ofrecido a nuestro Señor oraciones y mortificaciones segun el numero de los años, meses y semanas, dias y oras de su vida, y demas de esto con quarenta mil y ocho mil mortificaciones tenia saludadas las gotas de sangre que el señor derramo por nosotros y otros tantos açotes porque todo su exercicio era rrimar su vida a la de xpo y a su sacratissima muerte » (« Libro de la vida y muerte », f° 71r°).
47 « Annales de la Provincia de San José », p. 72.
48 P. Camporesi, L’enfer et le fantasme de l’hostie, p. 48.
49 « A los postreros años de su vida padecio mucho con dolores y enfermedades llevalas con gran paciencia y alabando por ella a nuestro señor » (« Vida de la Madre Beatriz de la Madre de Dios », f° 24v°).
50 Ana de Jesús, Écrits et documents, p. 150.
51 « Ytem que luego despues de su llamamiento le dio dios grandes y terribles enfermedades y tantas que la dicha madre María de San Joseph oyo decir a un medico que tenia sesenta enfermedades gravissimas juntas de las quales quando nuestra Santa madre fue a fundar aquel conuento se decia que estaba sangrada mill quinietas veces u quinientas ventojas y mucha dellas sacadas y echada sal » (« Informaciones sobre los religiosos y religiosas carmelitas », f° 44r°).
52 « Como otra podia aguardar fiestas y bodas » (ibid.).
53 Ana de los Ángeles, « Testimonio a propósito de Catalina de Cristo », f° 315r°.
54 Chr. Mouchel, Les femmes de douleur.
55 M. Batista de Lanuza, Vida de la bendita Madre Isabel de Santo Domingo, p. 245.
56 « Que gran merced y favor sea el que el señor haze a quien le da alguna recia enfermedad » (Nicolás de San Cirilo, « Vida de las Venerables María de Jesús e Isabel de Jesús », f° 493r°).
57 Ibid., f° 489v°.
58 D. de Estella, Primera parte del libro de la vanidad del mundo, f° 110r°.
59 Ibid.
60 Ibid., f° 111v°.
61 « Assi tu tambien tienes tus heridas interiores y occultas allà dentro de tu alma y no las vees, y por eso sacalos Dios afuera al cuerpo porque mejor se vean y se curen las llagas del alma » (ibid., f° 112r°).
62 Leonor de la Misericordia, Relación de la vida de la venerable Madre Catalina de Cristo, f° 18v°.
63 « Dio en hacer grande penitencias, que parrecía imposible poder sufrir un cuerpo tan tierno los malos tratamientos que le hacia » (ibid., fos 18r° -18v°).
64 « Apuntes sobre Catalina de Jesús », f° 133r°.
65 Ana de San Bartolomé, Cartas, p. 1011 (lettre à Elvira de San Angelo, 26 juillet 1614).
66 « Tomaba disciplinas muy asperas con hortigas y otras disciplinas de alambre y de otras cossas tan asperas y espinosas que auia bien menester para ello el espiritu que dios le daua. Algunas veces se hechaua sobre el cuerpo algunas gotas ardiendo de cossas que la dexauan braçadas y llena de llagas » (Tomás de Jesús, « Primera parte de la vida y milagros de la bienaventurada Catalina Cardona », f° 337r°).
67 Isabel de Figueroa, « Relación de las virtudes de la Madre Catalina de Jesús », f° 1v°.
68 Concile de Trente, Session XIII du 11 octobre 1551, décret sur l’Eucharistie, chap. iii.
69 « Relación breve y verdadera de la vida y muerte de la Venerable Inés de Jesús », f° 174v°.
70 « Algunas ueces me a sucedido allarme bañada en sangre, narices y boca, auque esta an sido pocas » (« Vida de la Madre Juana Rodríguez », fos 15r°-16v°).
71 « Como sangre que hervía » (Procesos de beatificación y de canonización, t. I, p. 396).
72 « Vida de la Madre Catalina de Jesús », f° 402r°.
73 Voir A. Roullet, « L’anatomie de la prière ».
74 María de San José (Sousa), « Mercedes y favores que Dios hizo a la Madre María de San José », f° 24r° : « aunque nunca llegaron mis obras amis deseos ».
75 « Flaqueza y falta de sangre » (ibid., f° 25r°).
76 C. Mazzonni, The Women in God’s Kitchen. Pour le cas du Carmel, voir par exemple Ana de San Bartolomé, Meditaciones sobre el camino de Cristo, p. 728.
77 Sur la place de ces travaux d’aiguille, voir N. Pellegrin, « Les vertus de “l’ouvrage” » et M. Albert-Llorca, « Les fils de la Vierge ». Sur les comparaisons entre l’extase et la couture, voir, par exemple, « Fragmentos autobiográficos de la Madre María de San Alberto », p. 27.
78 Il est en théorie dédié aux saints, alors que la prosternation est réservée à Dieu seul (V. Stoichita, L’œil mystique, pp. 233-290).
79 Ana de San Bartolomé, Meditaciones sobre el camino de Cristo, p. 717.
80 « No ay cosas mas dura, ni aun mas nerviosa, que es el lugar y chueca a do juega las rodillas, y de aqui es que si la naturaleza no nos diera como nos dio los pies y las piernas, pudieramos muy bien andar sobre solas las rodillas. No creo que desacertariamos en dezir que no son otra cosa las rodillas duras, sino las consciencias obstinadas y malas, de las cuales podemos con verdad dezir que entonces las arrodillamos por el suelo, quando las alimpiamos de algun peccado, y que otra cosa es la consciencia mala obstinada, sino una pierna fria y hierta, que no puede doblar la rodilla » (Antonio de Guevara, Primera parte del libro llamado Monte Calvario, f° xijv°).
81 « La rodilla derecha hinca en el suelo el que por una parte es hombre de buena vida, y por la otra no puede nadie con el a que perdone alguna injuria ; y por el conrario aquel hinca delante christo la rodilla yzquierda que facilmente perdona al que le ha ofendido, mas no quiere salir del pecado en que esta enlazado » (ibid., f° xiijr°).
82 « Y aunque los brutos también tienen rodillas, pero no las pueden hincar en tierra y sustentarse mucho en ellas, como el hombre. Lo cual también parece como aviso de religión que a Dios debe, al cual hemos de adorar de rodillas como dice San Pablo “que en el nombre de Jesús todos han de hincar los hinojos en el celo, y en la tierra, y en los infiernos” » (D. de Soto, Tratado del amor de Dios, p. 105. La référence à saint Paul est tirée de l’Épître aux Philippiens, 2, 10).
83 « Informaciones sobre Catalina de Jesús », f° 149v°.
84 Isaïe LII, 7, repris dans Romains X, 15.
85 Ephésiens VI, 5.
86 Alonso de la Madre de Dios, Vida, virtudes y milagros del santo padre Fray Juan de la Cruz, p. 99.
87 Manuela de la Madre de Dios, « Vida de nuestra santa Madre Mariana de Jesús », f° 121r°.
88 Brianda de San José, « Relaciones sobre el convento de Malagón », f° 412r°.
89 « Entre la suela del zapato y las tiernas plantas de sus pies mediaban garbanzos, piedrecitas, arena, y otros materiales escabrosos para afligir aquellas partes donde no llegan los açotes » (Antonio de San Joaquín, « Vida de Josefa de San Felipe », fos 99v° -100r°).
90 A. Marqués, Afeite y mundo mugeril, p. 114.
91 « Mandar el hijo de Dios a sus discipulos que sacudan entrambos los pies el polvo, es mandarles y prohibirles que se empachen en cosas deste mundo » (Antonio de Guevara, Primera parte del libro llamado Monte Calvario, f° liijv°).
92 « Lavásteisles los pies para los haber de comulgar, dándonos a entender que aun de las culpas veniales hagamos penitencia y nos confesemos primero, antes que llegemos a tán purísimo manjar » (A. de Orozco, Tratado de la Pasión de Jesucristo, p. 945).
93 D. de Estella, Primera parte del libro de la vanidad del mundo, f° 9v°.
94 « Hay pecados de cabeza, de manos y de pies. Por los pies entienden muchos santos los pecados mas ligeros, otros los afectos y passiones » (C. de Fonseca, Tratado de la Vida de Cristo, f° 300r°).
95 « Llámanse las pasiones zapatos, porque así como los zapatos se hacen de animales muertos, así los pasiones que están en el apetito, para ser las que deben, han de nacer de la mortificación » (Jerónimo Gracián de la Madre de Dios, Conceptos del divino amor, p. 204).
96 « Relación de los capítulos provinciales y generales », f° 34r°.
97 « La piedrezilla, que se entra en el zapato y atormenta el pie » (E. de Villalobos, Manual de confessores, p. 92). En latin, scrupulus signifie d’abord « petite pierre ».
98 M. Rodríguez Lusitano, Summa de casos de consciencia, p. 194.
99 Psaume, VIII, 8 et Hébreux, II, 8.
100 A. de Cabrera, Sermones, Jeudi saint.
101 La revelación de San Pablo, p. 153.
102 « No había en sus ojos cosa más vil que ella misma, ni que así mereciese andar debajo de los píes de todas » (Leonor de la Misericordia, Relación de la vida de la venerable Madre Catalina de Cristo, f° 33r°).
103 « Otro testigo depone que solia hincar se clavos en los pies yendo andando y sacando los proseguia su camino sin poner cura o remedio alguno » (« Vida de la Madre Catalina de Jesús », f° 379v°).
104 A. Rodrigo, Rosario devotissimo, s. f°.
105 « Siempre fuese a sus pies llagados » (Ana de San Bartolomé, Autobiografïa de Amberes (A), p. 426).
106 Ead., Meditaciones sobre el camino de Cristo, p. 718.
107 « Vamos a este lugar de los sagrados pies, donde los clavos nos abrieron las puertas para entrar en el reino de Dios » (ibid.).
108 Matthieu VII, 7.
109 Ana de San Bartolomé, Meditaciones sobre el camino de Cristo, p. 717.
110 Ibid.
111 « Deshaciendo las montañas de nuestros pecados » (ibid., p. 723).
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