Résumés
p. 393-400
Texte intégral
RÉSUMÉ
1L’ambition de ce livre est de proposer un regard nouveau sur le Guzmán de Alfarache, sur le Quichotte, et, plus généralement, sur ce qu’il est convenu d’appeler la naissance du roman moderne en Espagne. Pour mener à bien ce programme, cet ouvrage adopte un angle d’attaque singulier qui consiste à étudier ces deux chefs-d’œuvre de la prose de fiction du Siècle d’or en relation avec leurs continuations dites « apocryphes ».
2Les Premières parties du Guzmán alémanien et du Quichotte cervantin ont en effet en commun d’avoir donné lieu à des continuations dues à d’autres auteurs, parues alors qu’Alemán et Cervantès préparaient eux-mêmes des suites de leurs romans. Publiés sous des pseudonymes, respectivement à Valence en 1602 et à Tarragone en 1614, le Guzmán de Luján et le Quichotte d’Avellaneda ont suscité depuis longtemps la défiance de nombreux lecteurs, notamment parce qu’Alemán et Cervantès critiquèrent vigoureusement ces œuvres rivales. Dans leurs propres Secondes parties, en 1604 et en 1615, ils accusent ces écrivains masqués de tromper le public en se livrant à une appropriation abusive de leurs textes, qui dénature leurs projets d’écriture. L’entreprise des continuateurs peut donc apparaître, à certains égards, comme une imposture.
3La démarche de Luján et d’Avellaneda comporte pourtant une part remarquable de création. Tout d’abord, parce que ces « imposteurs » mettent en œuvre une pratique très libre de l’emprunt : ils se permettent l’un et l’autre des écarts importants par rapport à leurs modèles et introduisent des innovations qui ne sont pas des maladresses ou des « erreurs », mais relèvent, bien au contraire, d’initiatives délibérées. Ces gestes créateurs nourrissent et stimulent, par ailleurs, la créativité des auteurs originaux, qui sont incités de la sorte à porter un regard rétrospectif sur leurs Premières parties, puis à remanier — voire à réécrire — leurs propres suites, chaque groupe de romanciers (apocryphe et authentique) méditant et s’appropriant ainsi tour à tour les réussites et les audaces de la fiction concurrente. C’est la fécondité et la richesse de ces différentes interactions romanesques, sans doute jusqu’ici sous-estimées, que ce livre aimerait mettre en lumière.
4La première partie de cet ouvrage étudie les romans de Luján et d’Avellaneda en regard des textes originaux d’Alemán et de Cervantès. L’objectif est d’abord de comprendre ce qui, dans les Premières parties authentiques, a pu susciter une continuation apocryphe. Cette question est traitée d’un point de vue strictement littéraire et passe par un examen successif des pistes — plus ou moins explicites — laissées en suspens par les premiers auteurs. Cela conduit ensuite à analyser la lecture que les continuateurs font des œuvres initiales : comment les orientations narratives alémaniennes et cervantines ont-elles été utilisées par leurs émules ? Le matériau de départ est-il enrichi, détourné ou, au contraire, appauvri ? Cette étude invite à porter, enfin, un regard différent sur les narrations apocryphes, envisagées de façon autonome, afin de déterminer dans quelle mesure Luján et Avellaneda avaient un véritable projet romanesque.
5La deuxième partie de ce livre est consacrée à l’étude des relations entre les romans apocryphes et les suites d’Alemán et de Cervantès. Il s’agit cette fois d’évaluer l’influence des fictions de Luján et d’Avellaneda sur le Guzmán de 1604 et le Quichotte de 1615. Les deux auteurs authentiques mettent en effet en place, dans leurs propres suites, une riposte littéraire face aux récits concurrents, dont nous cherchons à définir la nature et passons en revue les différentes modalités. Cet examen approfondi permet de montrer qu’en dépit du rejet affiché par les auteurs primitifs, les apocryphes finissent paradoxalement par devenir pour eux des sources d’inspiration. Au-delà des échos ponctuels ou même des phénomènes d’emprunt textuel les plus visibles, les romanciers initiaux se nourrissent parfois de techniques d’écriture ou de ressorts narratifs présents dans les continuations rivales, qui contribuent de ce fait à renouveler leur poétique. Cette analyse des ripostes révèle, par conséquent, la profonde ambivalence d’Alemán et de Cervantès à l’égard des textes de leurs compétiteurs.
6À partir de plusieurs indices issus des deux parties précédentes, la troisième et dernière partie de cet ouvrage examine l’opportunité d’un rapprochement entre, d’une part, les écritures de Luján et de Cervantès, et, de l’autre, celles d’Alemán et d’Avellaneda. Cette double approche croisée dévoile ainsi l’existence de deux grands paradigmes romanesques (le modèle prismatique et le modèle axial) : tandis que les écritures lujanienne et cervantine ressemblent à un prisme diffractant ses rayons dans plusieurs directions à la fois et accordent une grande place à l’agrément des lecteurs, les pratiques romanesques d’Alemán et d’Avellaneda s’apparentent davantage, quant à elles, à un axe suivant une pente démonstrative rigoureuse et visant à l’édification des récepteurs de l’œuvre. La dernière étape de ce parcours met donc en lumière un paradoxe absolu qui invalide plusieurs des notions utilisées habituellement pour analyser les fictions de Luján et d’Avellaneda. En effet, les textes des deux continuateurs s’avèrent en réalité plus proches d’écrits qu’ils n’ont ni « plagiés » ni « imités » que de ceux dont ils sont le prolongement romanesque.
7Ce constat est la pierre d’angle d’une nouvelle théorisation des pratiques d’écriture des émules d’Alemán et de Cervantès — ou « théorie des deux moitiés » —, qui sert à conceptualiser la notion d’apocryphe littéraire dans la prose de fiction espagnole de cette époque. En s’appuyant sur cette proposition théorique, qui définit la pratique de l’apocryphe comme l’écriture de la « moitié manquante » de l’œuvre originale, le présent ouvrage essaie d’offrir finalement un regard nouveau sur la naissance et le développement du genre romanesque en Espagne, dans la première moitié du XVIIe siècle.
RESUMEN
8La ambición de este libro es proponer una mirada nueva sobre el Guzmán de Alfarache, sobre el Quijote, y, más generalmente, sobre lo que suele llamarse el nacimiento de la novela moderna en España. Para llevar a cabo dicho programa, este trabajo adopta un enfoque singular que consiste en estudiar estas dos obras maestras de la prosa de ficción del Siglo de Oro en relación con sus dos continuaciones «apócrifas».
9Las Primeras partes del Guzmán alemaniano y del Quijote cervantino tienen en común el haber dado lugar a unas continuaciones escritas por otros autores, aparecidas mientras el mismo Alemán y el mismo Cervantes preparaban unas Segundas partes de sus novelas. Publicados bajo seudónimos, respectivamente en Valencia en 1602 y en Tarragona en 1614, el Guzmán de Luján y el Quijote de Avellaneda han suscitado desde hace mucho tiempo el recelo de numerosos lectores, especialmente porque Alemán y Cervantes criticaron duramente dichas obras rivales. En sus propias Segundas partes, en 1604 y 1615, acusan a estos escritores embozados de engañar al público apropiándose de manera abusiva de sus textos y desvirtuando sus proyectos de escritura. La empresa de los continuadores se asemeja, pues, en ciertos aspectos, a una impostura.
10El empeño de Luján y de Avellaneda conlleva, empero, un grado no desdeñable de creación. En primer lugar, estos «impostores» se inspiran muy libremente en las obras originales: ambos se alejan de sus modelos y se atreven a introducir innovaciones que nada tienen que ver con torpezas o «errores», sino más bien, al contrario, con iniciativas deliberadas. Estos gestos creadores merecen tanto más atención cuanto que nutren y estimulan, en segundo lugar, la creatividad de los autores primigenios, que se ven obligados a echar una mirada retrospectiva a las Primeras partes de sus obras y a reelaborar —e incluso a reescribir— sus propias continuaciones, de modo que ambos grupos de novelistas (apócrifos y auténticos) meditan los logros de las obras rivales y se apoderan de las novedades introducidas por las ficciones correspondientes. La fecundidad y la riqueza de estas interacciones novelescas, hasta la fecha en parte infravaloradas, son lo que este libro trata de poner de realce.
11La primera parte de este trabajo estudia las relaciones entre las novelas de Luján y de Avellaneda y los textos originales de Alemán y de Cervantes. Nos proponemos, en primer lugar, determinar lo que en las Primeras partes auténticas, pudo incentivar una continuación apócrifa. Esta cuestión se examina desde un punto de vista estrictamente literario prestando atención sucesivamente a las diferentes pistas —más o menos explícitas— que los escritores primigenios habían dejado abiertas. Analizamos luego la lectura que los dos continuadores hacen de las obras iniciales: ¿Cómo son utilizadas las orientaciones narrativas alemanianas y cervantinas por sus émulos? ¿Debe considerarse que la materia de la que parten estos últimos es enriquecida o que, al contrario, resulta adulterada y empobrecida? Nuestro estudio nos conduce finalmente a proponer una mirada diferente sobre las narraciones apócrifas, enfocadas de forma autónoma, para establecer en qué medida Luján y Avellaneda trataron de llevar a cabo un auténtico proyecto novelesco.
12La segunda parte de este libro se dedica al estudio de las relaciones entre las novelas apócrifas y las Segundas partes de Alemán y de Cervantes. Tratamos esencialmente de evaluar la influencia de las ficciones de Luján y de Avellaneda sobre el Guzmán de 1604 y el Quijote de 1615. Los dos autores auténticos elaboran e introducen, en sus propias Segundas partes, una «respuesta» literaria frente a los escritos de sus competidores, que proponemos analizar de forma pormenorizada estudiando las diferentes modalidades de la misma. Este examen en profundidad permite demostrar que, a pesar del rechazo expresado por los autores primitivos, los apócrifos acaban convirtiéndose paradójicamente en fuentes de inspiración. Más allá de las reminiscencias puntuales y de las pistas narrativas que a todas luces toman prestadas de las obras rivales, los escritores iniciales se nutren por momentos de técnicas de escritura o de recursos narrativos presentes en los textos de sus émulos para renovar su poética. Este análisis de las respuestas alemaniana y cervantina desvela por consiguiente la profunda ambivalencia de Alemán y de Cervantes respecto de las novelas de sus contrincantes.
13Partiendo de varios indicios presentes en las dos etapas anteriores, la tercera y última parte de nuestro estudio contempla la posibilidad de un acercamiento entre, por un lado, las escrituras de Luján y Cervantes, y, por otro, las de Alemán y Avellaneda. Este doble estudio cruzado permite sacar a la luz la existencia de dos grandes paradigmas novelescos (el modelo prismático y el modelo axial): mientras las escrituras lujaniana y cervantina se parecen a un prisma que difracta sus rayos en varias direcciones a la vez y aspiran a dar gusto a los lectores, las obras de Alemán y Avellaneda, en cambio, se parecen más a un eje, que sigue una vertiente demostrativa rigurosa y apunta ante todo a la edificación de los receptores de dichos escritos. Esta última etapa de nuestro estudio pone de realce por lo tanto una paradoja absoluta que desautoriza varias de las nociones utilizadas habitualmente para analizar las narraciones de Luján y Avellaneda. En efecto, los textos de los dos continuadores resultan más parecidos, al fin y al cabo, a unas obras que no han pretendido «plagiar» o «imitar» que a las que supuestamente continúan.
14Esta constatación es la piedra angular que permite exponer una nueva teorización de las prácticas de escritura de los émulos de Alemán y de Cervantes —o «teoría de las dos mitades»— y sirve para proponer una conceptualización de la noción de apócrifo literario en la prosa de ficción española de este periodo. Basándose en dicha propuesta teórica, que define la práctica del apócrifo como la escritura de la «mitad faltante» de la obra original, este libro trata de ofrecer en definitiva una mirada nueva sobre el nacimiento y el desarrollo del género novelesco en España en la primera mitad del siglo XVII.
SUMMARY
15What this book proposes is a fresh look at Guzmán de Alfarache, Don Quixote, and more generally at what is commonly known as the birth of the modern novel in Spain. To achieve that end, the book adopts an unconventional approach, consisting in a study of these two masterpieces of Golden Age prose fiction with reference to their «apocryphal» sequels.
16The first parts of Alemán’s Guzmán and of Cervantes’ Quixote both inspired sequels written by other authors, which appeared while Alemán and Cervantes were actually preparing the second parts of their own novels. Published pseudonymously, respectively in Valencia in 1602 and in Tarragona in 1614, for a long time many readers were wary of Luján’s Guzmán and Avellaneda’s Quixote, particularly as Alemán and Cervantes were both strongly critical of these rival works. In their own second parts, in 1604 and 1615, they accused these pseudonymous writers of defrauding the public by misappropriating their works and thus devaluing their literary work. Viewed in a certain light, the endeavours of the sequel-writers could thus be perceived as imposture.
17And yet the initiatives of Luján and Avellaneda involved a considerable amount of creative work. In the first place, the novels of these «impostors» were free in their borrowing—both felt able to depart quite substantially from their models and introduced new elements which were neither blunders nor «errors» but actually broke new literary ground. Moreover, these ventures stimulated the creativity of the original authors, who in this way were spurred to review their first parts and rework—or even rewrite—their own sequels, in a process whereby either pair of writers (apocryphal and authentic) absorbed and appropriated the successful new features of the competing fiction. And it is precisely on the fecundity and wealth of these various novelistic interactions—which have undoubtedly been undervalued hitherto—that this book seeks to throw some light.
18The first part of the book examines the novels of Luján and Avellaneda as they relate to the original works by Alemán and Cervantes, the aim being first of all to understand what it was in the authentic first parts that could have prompted an apocryphal sequel. This question is addressed from a strictly literary standpoint, consisting of a step-by-step examination of the (more or less explicit) storylines left open-ended by the original authors. The next step is to analyse the sequel-writers’ reading of the original works—i.e. how Alemán’s and Cervantes’ narrative pointers were taken up by their imitators; and whether they enriched the source material, corrupted it or, to the contrary, impoverished it. In short, this study proposes a fresh look at the apocryphal narratives, without preconditions, in order to determine the extent to which Luján and Avellaneda worked as genuine novel-writers.
19The second part of the book looks at the relationships between the apocryphal novels and Alemán’s and Cervantes’ own second parts. The intent here is to assess the influence of Luján’s and Avellaneda’s fictions on the Guzmán of 1604 and the Quixote of 1615. In fact in their own sequels the two authentic authors inserted a literary riposte to the competing narratives; so here the book seeks to define the nature of these ripostes and reviews the different forms that they take. This in-depth examination serves to show that despite the original authors’ declared rejection, in the event the apocryphal writers actually proved to be sources of inspiration. Leaving aside occasional echoes, or the most obvious cases of straight borrowing, the original writers on occasions drew on techniques of penmanship or narrative devices used in their rivals’ sequels, which thus actually helped to refresh their literary technique. This analysis of the ripostes thus reveals a deep ambivalence on the part of Alemán and Cervantes with regard to their competitors’ productions.
20Following up a number of pointers raised in the two preceding parts, the third and last part of the book examines possible parallels, on the one hand between the writings of Luján and Cervantes, and on the other hand between the writings of Alemán and Avellaneda. This double cross-linking reveals the existence of two broad novelistic paradigms (the prismatic model and the axial model)—whereas Luján’s and Cervantes’ writings resemble a prism, in which narrative lines are diffracted in various directions at once and much attention is devoted to pleasing the reader, the novelistic practices of Alemán and Avellaneda seem rather to pursue a strictly demonstrative line aimed at the edification of the reader. The last part, then, highlights an absolute paradox that undermines several of the notions habitually underlying analyses of the novels of Luján and Avellaneda. In fact the works of the two sequel writers really appear neither plagiaristic nor imitative of the works of which they are a literary continuation.
21This observation is the cornerstone of a new theoretical approach to the literary practices of Alemán’ and Cervantes’ emulators—or «theory of the two halves»—which serves to conceptualise the notion of literary apocrypha in Spanish prose fiction of this period. On the basis of a theoretical postulate whereby the practice of apocryphal writing is defined as producing the «missing half» of the original work, this book ultimately seeks to offer a fresh look at the birth and development of the novel as a genre in Spain in the first half of the 17th century.
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