Chapitre IV. Des populations audacieuses
p. 155-191
Texte intégral
1L’apparition, bien inattendue il faut dire, de populations métissées particulièrement offensives sur le plan juridique constitue en fait un des intérêts majeurs du corpus judiciaire, notamment sur le plan civil. En effet, un certain nombre de cas particuliers s’est distingué par une grande richesse thématique et narrative qui compense un certain éparpillement chronologique et un caractère très ponctuel qui interdisent toute démarche de type quantitatif. À l’inverse, la densité de ces procès fournit un terrain idéal pour un travail qualitatif d’analyse des discours et des stratégies mises en œuvre par les parties en présence. Ces procès couvrent un large spectre thématique (dispute autour de la propriété minière, conflits entre maîtres et esclaves, obtention de la garde d’enfants) et apparaissent à première vue trop hétérogènes pour pouvoir susciter une véritable étude. Néanmoins, à la lecture des dossiers, une forte tendance apparaît et révèle des populations réactives voire audacieuses, capables d’utiliser ou même d’instrumentaliser la justice coloniale pour parvenir à leurs fins. Cette capacité est la résultante d’une véritable connaissance du système et de ses ressorts judiciaires qui s’exprime non seulement par la solidité des dossiers présentés à la justice mais aussi par l’attitude que les plaignants savent adopter pour attirer un regard bienveillant de la part du juge. C’est en fait ce véritable dialogue instauré dans les premières décennies du XVIIIe siècle (tous les cas sont concentrés avant 1750) entre les populations métissées et une partie de l’administration locale qui permet de souligner avec le plus d’évidence les réelles possibilités d’intégration qui s’offrent dans le Centre-Nord à des populations traditionnellement considérées comme marginalisées et soumises à l’arbitraire colonial.
I. — DES CASTAS CONTRE DES ESPAGNOLS : DAVID ET GOLIATH DEVANT LA JUSTICE LOCALE
2Les premières décennies du XVIIIe siècle se distinguent donc par la répétition de procès opposant des plaignants castas montrant une grande capacité à utiliser au mieux la machine judiciaire à des Espagnols le plus souvent retranchés derrière une défense réduite à la réaffirmation de leur statut privilégié dans la société coloniale. Dans ces cas, peu fréquents mais significatifs tout de même, l’image de David et de Goliath s’impose avec évidence, tant le rapport de force initial semble disproportionné et conduit néanmoins à un résultat bien inattendu, au niveau de la justice locale en tout cas. C’est ainsi que la coyota Andrea Rodríguez parvient à conserver en première instance la garde des enfants abandonnés qu’elle a recueillis alors qu’ils n’étaient encore que des nourrissons malgré l’opposition véhémente de l’oncle espagnol de ces derniers1. À l’issue d’une longue procédure qui s’étend entre 1702 et 1710, la décision du juge zacatecano abonde sans ambiguïté dans le sens d’Andrea :
Il se trouve que je dois déclarer et déclare que la dite Andrea Rodríguez a bien et parfaitement prouvé sa cause, et que le dit Joseph Carrasco n’a ni vérifié ni justifié la sienne comme il devait le faire. En conséquence, j’ordonne que les deux enfants Antonio et Joseph soient remis à la dite Andrea Rodriguez pour qu’elle continue à les élever avec tout l’amour, soin et zèle qu’elle a démontrés jusqu’à maintenant. Et comme le dit Antonio a déjà dépassé l’âge de la puberté, et est capable de choisir un métier pour gagner sa vie, j’ordonne qu’il déclare, sans serment car ce n’est pas nécessaire, et dise pour lequel des deux états il penche. S’il se prononce pour l’état ecclésiastique, que l’on demande si la dite Andrea Rodríguez peut lui payer des études, dans lequel cas il restera sous sa responsabilité, et si elle ne peut pas, qu’elle cherche à le placer auprès d’un des prêtres de cette ville pour qu’il le recueille et le pousse dans ses études. Et si d’ici deux mois la dite Andrea Rodríguez n’obéit pas, le cas ira devant la Justice Royale, et à cet effet, je suis disposé à solliciter un ecclésiastique de cette ville pour qu’il le reçoive. Et dans le cas où le dit Antonio affirme vouloir demeurer dans l’état séculier, que l’on notifie à la dite Andrea Rodríguez de le placer chez un maître de sa convenance, dans le métier que le dit Antonio choisira, délivrant pour cela un document valide pendant cinq ans2.
3En dépit de sa qualité d’India coyota et de femme isolée, Andrea Rodríguez est considérée comme parfaitement apte pour mener à bien l’éducation des deux enfants espagnols dont elle a su s’occuper de manière satisfaisante jusque-là. C’est une décision qui semble en fait privilégier la réalité des faits — les enfants sont bien éduqués, c’est le plus important — aux nombreux préjugés des péninsulaires notamment qui attribuent aux nourrices Indiennes ou Africaines l’indolence propre aux créoles selon eux. Ici, dans la déclaration du juge, si le souci d’une digne place dans la société, soit par le travail artisanal, soit par la vocation ecclésiastique, est bien présent, nulle trace en revanche des préjugés évoqués : le fait d’être éduqués par une coyota, du moment que cette éducation est convenable, ne remet pas en cause la qualité d’Espagnols des deux enfants. De manière presque paradoxale, selon le juge, c’est donc Andrea Rodríguez qui est considérée la plus à même d’assurer un destin convenable aux enfants, bien plus que l’oncle espagnol qui réclame la garde.
4Plus surprenante encore est l’issue du procès pénal qui oppose en 1716 l’Indien Pedro García à Joseph de Santa Ana au sujet du denuncio de la mine de San Antonio3. Si le premier cas évoqué appartient au domaine des affaires familiales, ce qui peut expliquer un certain pragmatisme de la part de la justice locale, on se situe ici dans ce que l’on peut considérer comme une véritable chasse gardée espagnole : la propriété des mines. À l’issue d’une procédure acharnée, le juge « dit qu’il accordait et accorde [la mine] au dit Indien Pedro García, et ordonne que le témoin présent s’y rende [dans la mine] accompagné d’un lieutenant de l’alguacil mayor pour confier la mine au susdit pour qu’il puisse la travailler et l’exploiter selon les ordonnances royales4. » Malgré l’opposition véhémente de Santa Ana, qui appartient à la grande famille de la Campa, puissants dueños de minas de la région5, malgré la différence de capacités d’investissement pour l’exploitation de la mine de San Antonio, le juge suit l’argumentation de celui qui a le mieux respecté les conditions et les étapes d’un denuncio juridiquement acceptable et confie la propriété à Pedro García.
5Comment expliquer, dans les deux cas, une telle décision de la justice locale ? Il est vrai que ces exemples, aussi riches soient-ils, sont rares et pourraient presque être par conséquent relégués au rang d’anomalie statistique. Toutefois, le déroulement même des procès, les similitudes dans l’enchaînement des faits et la mise en place des différentes argumentations que l’on peut retrouver dans les deux procès ainsi que dans d’autres dossiers comparables sont suffisamment significatifs pour mériter une analyse attentive. La qualité de l’intégration sociale et culturelle d’Andrea Rodríguez d’une part et de Pedro García de l’autre peut alors fournir un modèle d’explication intéressant. C’est en effet leur maîtrise des mécanismes judiciaires qui s’exprime en premier lieu à travers le déroulement de l’argumentation et les réponses apportées aux critiques et contre-attaques de la partie adverse. Lorsqu’un Joseph Carrasco ne semble être capable que d’attaques personnelles visant à rabaisser Andrea Rodríguez en rappelant au juge qu’une Indienne ou « mulâtresse » ne peut en aucun cas s’occuper de l’éducation de deux jeunes Espagnols6, la plaignante oppose une argumentation structurée par une série de faits. C’est ainsi qu’elle montre la qualité de l’éducation des enfants qu’elle a envoyés à « à l’école tenue par Pedro Vizcarra, vecino qui vit en face de l’hacienda de Diego Carlos de Ledesma7. » Quand Carrasco convoque une impressionnante troupe de témoins à charge, appartenant tous à son réseau familial et présentant la même version maquillée des faits, Andrea s’attache à démontrer le manque de validité de ce type de témoignages, répondant par des arguments juridiques à une argumentation fondée sur la morale et la réputation8. Andrea Rodríguez montre ainsi tout au long du procès une plus grande maîtrise des mécanismes judiciaires. Il est vrai que contrairement à Joseph Carrasco, elle ne dispose pas d’un réseau familial prêt à témoigner en sa faveur. Il en est de même pour Pedro García attaqué rudement tout au long du procès qui l’oppose à Santa Ana, le représentant de ce dernier ne manquant pas de stigmatiser le manque de compétences et de capacités financières de l’Indien et de dénoncer l’« intention dépravée9 » d’un homme qui ne chercherait qu’à s’enrichir en détriment de la justice et du bien commun. En réponse, Pedro García reste quant à lui dans le domaine juridique pur et avance l’antériorité et donc la validité de sa propre démarche, parvenant même à trouver un garant en la personne du marchand Salvador de Inostrosa pour avancer les 1000 ducats demandés par l’administration10. Aussi bien Andrea Rodríguez que Pedro García présentent devant la justice locale une argumentation plus solide sur le plan purement juridique que leurs adversaires respectifs. Il faut dire que c’est bien là le seul atout dont ils disposent, ne pouvant pas, contrairement aux Espagnols, se prévaloir d’un avantage moral dû à la calidad ou d’un réseau familial prêt à témoigner aveuglément en leur faveur. La ténacité judiciaire et l’intériorisation des règles du jeu procédural constatées chez l’un et chez l’autre viendraient alors compenser la faiblesse de leur intégration sur le plan socio-économique. À l’inverse, leurs adversaires espagnols, trop sûrs des avantages que leur confère leur position sociale, ne se donnent pas la peine de produire une argumentation digne de ce nom, ce qui finit, du moins au début de la période, par se retourner contre eux.
6La capacité d’Andrea et de Pedro à utiliser judicieusement et efficacement la machine juridique possède ainsi une double signification : elle témoigne d’une part d’un réel degré d’intégration culturel et d’une réactivité prononcée, ce qui permet de dépasser le stéréotype du « métis dominé » par la société espagnole, et, d’autre part, peut être également considérée comme le fruit paradoxal des limites sociales et économiques imposées à ces populations par le monde colonial. Bien sûr, la grande majorité des plèbes urbaines demeurent dans une position de faiblesse sociale et juridique, se montrant incapables de s’opposer à la pression d’adversaires issus des rangs espagnols : c’est là le cas le plus fréquent et les archives regorgent de pareils exemples. Ainsi, en 1778, le mulâtre Antonio de Torres entend bien faire valoir ses droits sur une mine qu’il a dénoncée quelques mois auparavant, mais ne peut ni résister aux pressions exercées par son opposant espagnol ni même faire aboutir la plainte pour coups et blessure déposée contre ce dernier11. Toutefois les cas évoqués dévoilent certains castas capables de sublimer leur état et tenir tête à des adversaires qui ne s’attendent guère à une telle résistance : une fois encore, la vérité du groupe n’est pas celle de l’individu. Les caractéristiques du Centre-Nord paraissent jouer un rôle non négligeable dans la formation d’un univers favorable à de telles entreprises. Pour porter une affaire devant le juge comme le fait Andrea Rodríguez, il faut non seulement en avoir la capacité financière et culturelle mais aussi pouvoir envisager une issue favorable. Le décalage que l’on peut constater entre les décisions prises en première instance puis en appel semble indiquer un contexte propice à une certaine audace de la part des castas face à des Espagnols trop sûrs d’eux et de leur statut. Nous l’avons déjà précisé en introduction, il faut imaginer l’intégration comme un mouvement à double sens : la volonté de s’intégrer, ou de participer pleinement à la vie sociale selon les normes acceptées, ne suffit pas, il faut que cette volonté trouve un écho favorable en retour pour ne pas rester vaine. Les décisions prononcées en première instance en faveur d’Andrea Rodríguez ou de Pedro García paraissent de ce point de vue comme l’expression d’une certaine attitude bienveillante aux requêtes de ces derniers, du moment qu’elles restent juridiquement valables. C’est pourquoi il est possible de parler d’une « période dorée » (entre 1700 et 1750 environ) pendant laquelle certains castas, sur le plan individuel, ont fait preuve d’un degré d’intégration réel. De fait, comme le montre le non-lieu dans le procès qui oppose le mulero Pedro Campos au propriétaire Sánchez de Quijano, ce dernier n’ayant pas pu prouver les mauvaises intentions du premier à la suite de la disparition de quelques bêtes12, l’efficacité et la solidité d’une argumentation appuyée par des témoins fiables — Campos a sollicité l’avis d’un grand nombre de muleros pour démontrer au juge les aléas inévitables qui pèsent sur la surveillance d’un troupeau - paraît être privilégiée par une justice locale manifestement moins attachées aux apparences et aux préjugés. On peut y voir un effet « ricochet » de la bonne intégration de certains castas comme Hernando Briceño et d’autres : cette intégration produit une réalité bien éloignée des stéréotypes qui sont souvent attachés à cette partie de la population. L’expérience et le contact direct, de même que les effets conjugués de la frontière et du poids démographique métis, conduisent ainsi une partie de l’administration à traiter les individus castas qui se présentent devant elle tels qu’ils sont et non pas selon les images qu’on leur accole volontiers. En revanche, si l’on se situe à l’échelon supérieur, celui de l’Audience, le rapport de force attendu redevient patent et défavorable aux castas malgré la qualité du dossier. C’est ainsi que l’Audience de Guadalajara saisie en appel prend le contre-pied de la première décision et prononce un jugement plus prévisible en faveur de Joseph Carrasco, l’oncle espagnol, contraignant Andrea Rodríguez à céder la garde des enfants sous peine d’une amende, considérable, de cinq cents pesos13. L’absence de contact direct au quotidien constitue donc le terrain propice au développement et à l’enracinement de préjugés qui ne servent pas la cause de Carrasco en première instance mais lui permettent de reprendre la main en appel. Plus encore que ces procédures impliquant des castas libres et dotés d’une personnalité juridique, le cas des esclaves qui amènent leurs propres maîtres devant les tribunaux met en valeur ce particularisme de la justice locale dans le Centre-Nord dans la première moitié du XVIIIe siècle et l’audace de populations traditionnellement soumises qui en découle.
7Les esclaves apparaissent souvent dans les sources judiciaires et notariales, et, dans la grande majorité des cas, dans une position d’objet d’une plainte ou d’une transaction qui traduit bien leur place soumise dans la société. Toutefois, les dossiers qui montrent des esclaves traînant leur maître devant la justice ne sont pas rares dans la première moitié du XVIIIe siècle. À l’instar de l’ensemble des couches populaires et métissées, les esclaves semblent faire montre d’une audace certaine et d’une réelle capacité à utiliser la mécanique judiciaire à leur avantage. L’exemple du « blasphème instrumentalisé » dévoile certes déjà au XVIIe siècle une bonne connaissance des rouages de l’Inquisition et la volonté d’utiliser la justice comme tribune des griefs ou comme rempart contre les abus du maître. Mais l’efficacité de cette tactique est bien momentanée et limitée, se révèle à double tranchant — si l’esclave parvient à échapper pour un temps aux coups de son propriétaire, il n’échappera toutefois pas à la punition infligée par l’Inquisition et à un retour assuré et douloureux à plus ou moins long terme chez son maître — et relève davantage du réflexe ponctuel de survie que d’une véritable stratégie de défense de sa personne et de ses droits. En revanche, les cas identifiés dans les archives de la justice civile pour les premières décennies du XVIIIe siècle donnent à voir non seulement des esclaves mettant en œuvre ce type de stratégie mais aussi une justice prêtant une oreille bienveillante aux requêtes justifiées.
8L’existence même de pareils procès mérite une attention particulière tant les implications sur le statut de certains esclaves dans la région de Zacatecas à cette période bien précise paraissent bien déconcertantes à première vue. Sur le plan juridique, l’esclave est en effet un objet dépourvu de personnalité : les nombreuses transactions et disputes entre maîtres font ainsi peu de cas des intérêts familiaux ou sentimentaux de l’esclave impliqué. Or, le simple fait de porter plainte, d’argumenter et d’obtenir une action de la justice, positive ou négative, suppose une personnalité juridique reconnue par l’administration locale et par le propriétaire lui-même. Ce dernier, qui a pu tout au long du procès nier la capacité de son esclave à se retourner contre lui, est bien forcé de reconnaître son bon droit si la décision du juge abonde dans ce sens. C’est ce que l’on peut observer au cours du procès qui oppose Mateo de Covarrubias à son maître Joseph Beltrán Barnuevo en 173414. Le conflit entre les deux hommes trouve son origine dans les conditions de l’affranchissement de Mateo : l’esclave, qui s’est acquitté de la somme initialement convenue avec Beltrán, se considère comme libre15 tandis que le maître, en proie à de lourdes dettes, affirme que sans son accord, le paiement de la somme n’a aucune valeur et ne donne aucun droit à Mateo16. Deux logiques s’affrontent ici : celle de l’esclave qui s’appuie sur le peu de droits dont il dispose et les fait valoir sur le plan juridique d’une part, et, d’autre part, celle du maître pour qui ces droits ne sont pas absolus mais subordonnés avant tout à son bon plaisir, l’esclave demeurant à ses yeux une de ses possessions. Aux yeux de Beltrán, l’esclave n’a obtenu aucun droit, en dépit de la somme déjà versée. Seuls existent les maigres droits qu’il daigne lui accorder en tant que maître, et qu’il se sent libre de reprendre à sa guise. Il rejette la démarche de son esclave, « parce qu’il n’y avait ni raison ni cause particulière pour l’obliger à fournir une lettre de rachat au moment de recevoir l’argent, selon ce qui est établi par la loi, […] ce à quoi il ajoute que, comme le dit esclave n’a pas avancé d’autre argument pour obtenir sa liberté que le fait d’être marié et de ne pouvoir nourrir sa famille sans être libre, ce n’était pas un motif suffisant17 […] » Cette ferme position qui renvoie durement Mateo à sa condition d’esclave et nie son rôle de père de famille n’empêche pas néanmoins ce dernier de faire appel à la justice, une action en réponse qui montre à la fois la conscience aiguë de la validité de ses droits, du moins en ce qui concerne son affranchissement, et une certaine confiance dans la justice locale. Celle-ci lui donne d’ailleurs raison et somme finalement Beltrán de bien accepter le paiement de la carta de libertad et de reconnaître l’obtention de la liberté par son ancien esclave18. Aux yeux de la justice, l’affranchissement est donc un droit codifié que l’on ne peut pas aménager à sa guise, même si les esclaves concernés sont à la base dépourvus de personnalité juridique.
9C’est ce droit que Mateo a voulu défendre avec succès, épaulé à cette occasion par la justice locale. Comme le rappelle en effet l’alcalde ordinario de Zacatecas lors d’une autre affaire19, les conflits générés par la question d’affranchissement sont les seules occasions où les esclaves peuvent avoir recours à la justice coloniale. La justice royale, à travers cette disposition, crée ainsi un espace, un interstice même de manœuvre dans lequel les esclaves s’engouffrent volontiers dans la première moitié du XVIIIe siècle. Hormis le cas le plus marquant de Mateo de Covarrubias, les exemples ne manquent pas. On peut évoquer ainsi celui de María Josefa Sánchez, elle-même esclave, qui tente d’obtenir la liberté pour son époux en 174020, celui de Agustina de los Santos qui obtient en 1707 son affranchissement grâce à l’intervention d’un prêtre puis de la justice21 ou enfin, toujours en 1707, la manœuvre de Francisco Antonio Cumplido qui entend payer sa carta de libertad grâce à la boutique montée avec la bénédiction de son maître, selon la pratique intéressée qui voyait les propriétaires d’esclaves encourager de telles démarches pour profiter non seulement de l’argent remis pour l’affranchissement mais aussi des rentrées du commerce tenu par l’esclave en attendant que la somme soit réunie22. Ces procédures ont surtout pour but d’obtenir ou de confirmer l’affranchissement mais elles fournissent en même temps l’unique tribune qui permet aux esclaves qui font la démarche de traiter ne fût-ce qu’un instant d’égal à égal avec leur maître : c’est du moins ce que semble exprimer Mateo de Covarrubias lorsqu’il se présente comme un « mulato, vecino de esta ciudad23 » dans les premières lignes de la plainte qu’il dépose devant la justice locale. L’existence d’un tel interstice conduit même à de véritables paris, comme celui de María Antonia Bertola Calderón, qui, désirant se marier, cherche un « amo a su gusto » et pour cela demande à être libérée par son maître en 174624. La possibilité de se constituer partie civile dans le cadre d’une procédure d’affranchissement est perçue par certains esclaves comme l’occasion unique de peser sur leur destinée et de l’améliorer, notamment quand ils désirent se marier et fonder une famille. Il est à ce titre intéressant de noter que la plupart de ce type de procédures sont lancées par des esclaves mariés voire chefs de famille25 ou cherchant à le devenir26 : la constitution et la responsabilité d’une cellule familiale, véritable prise de conscience de l’individualité, joue un rôle important dans la sortie de l’objectification et donc dans la volonté de revendication de liberté et de droits personnels chez certains esclaves. C’est pourquoi María Antonia, bien qu’elle ne possède pas la somme pour pouvoir acheter sa liberté, ne tente pas moins d’utiliser cette étroite marge de manœuvre :
María Antonia, mulâtresse et esclave de don Ambrosio de Mier y Terán, et vecina de cette ville, je comparais devant Votre Grâce dans le plus grand respect du droit et je déclare : que, alors que j’avais demandé à mon dit maître une lettre pour pouvoir chercher un autre maître qui m’achèterait au juste prix de deux cents pesos, ce qui est ma valeur, et qu’il me l’avait donnée, celui-ci m’a confisqué la lettre, ayant appris que je voulais me marier, et il entend me forcer à rester dans sa maison et empêcher mon mariage, si je passe outre il me menace de lourds travaux. Pour cette raison, je supplie [Votre Grâce] pour qu’elle l’oblige avec toute la rigueur nécessaire à me donner la lettre pour que je puisse chercher un maître à mon goût si celui qui tentait de m’acheter ne le veut plus […]27
10Tout comme Mateo, María Antonia utilise l’argument de la parole reprise par le maître, acte qui les pousse à saisir le juge pour faire valoir leurs droits. De même, le désir de famille semble être également un catalyseur important dans ces décisions. Les points communs ne s’arrêtent pas là : les deux esclaves, ainsi que María Josefa Sánchez, Agustina de los Santos ou Francisco Antonio Cumplido, appartiennent tous au monde des « esclaves urbains et domestiques ». Aucun d’eux ne travaille dans une hacienda ou dans une mine. Attachés au service de la maison (c’est surtout le cas pour les femmes : Agustina est rachetée par un prêtre pour devenir sa servante et obtenir finalement son affranchissement28) ou chargés d’un commerce (le maître de Francisco Antonio lui confie un « boutique de menues marchandises » au centre de Zacatecas29), tous sont en contact étroit avec la société espagnole et citadine, et paraissent donc plus à même non seulement d’intérioriser par osmose les possibilités légales qui leur sont offertes et de prendre conscience de leur propre valeur. La place que parvient à occuper l’esclave Francisco Cumplido est à ce titre bien révélatrice : gérant d’une boutique octroyée par son maître, il se fait connaître petit à petit dans le milieu des marchands libres, à intégrer leur monde et à se comporter comme tel pendant ces années de relative autonomie30. Le tableau (fig. 34) montre ainsi non seulement les stocks qu’il a constitués pour sa boutique, signe des investissements réalisés, mais aussi les créances qu’il possède comme n’importe quel commerçant libre.
11Les marchandises que manipule Francisco sont modestes et diverses, depuis les fruits comme les oranges jusqu’aux outils les plus simples, mais le stock, accumulé et acheté par ses soins31, atteint une somme relativement importante de l’ordre de cent cinquante pesos. Comme tout marchand, aussi petit soit-il, l’esclave possède en outre des créances qui s’élèvent à un cinquième de la valeur de la boutique au moment de l’inventaire. Sur le plan purement socio-économique, Francisco est définitivement plus proche des plèbes relativement bien installées en ville que du monde de la marginalité : les témoins qu’il convoque pour appuyer ses propos appartiennent d’ailleurs au monde des marchands espagnols dont il se rapproche par une activité semblable.
12Tous les esclaves ne sont donc visiblement pas logés à la même enseigne et les interstices exploités par les femmes et les hommes précédemment cités semblent réservés non seulement aux individus les plus audacieux mais aussi à ceux qui ont pu, grâce à leur position, acquérir le plus de connaissance sur la société espagnole. Pour revenir au pari de María Antonia, la justice n’est toutefois pas dupe et ne donne pas suite à la plainte, démontrant que la jeune femme abuse du maigre droit des esclaves à porter plainte32. Malgré cet échec, le discours tenu mérite une attention particulière tant il s’avère un habile mélange de soumission et d’audace. María Antonia semble avoir conscience que l’affranchissement n’entre pas dans les plans de don Ambrosio et ne remet jamais en cause sa condition d’esclave. En revanche, elle ne se prive pas de souligner les mauvais traitements et les excès de son maître, se servant de sa plainte comme d’une véritable tribune, comme pouvaient le faire les esclaves blasphémateurs devant l’Inquisition au XVIIe siècle. Elle va plus loin encore en créant une opposition inattendue entre la figure du « mauvais maître » et celle du « bon esclave » : c’est elle qui fixe son prix de deux cents pesos, elle évoque un amo a su gusto qui mériterait de recevoir ses bons services et revendique ainsi son individualité et sa personnalité. En d’autres termes, elle ne nie pas sa condition mais réclame un maître à la hauteur de ses propres qualités : par le discours qu’elle tient, elle n’est plus une esclave simple objet d’échange, mais devient une personne capable, méritant une place décente, à défaut d’une véritable liberté. Les mots et la mise en scène prennent ici une lourde importance comme autant d’armes utilisées par les individus en position de faiblesse sociale (c’est-à-dire les plèbes urbaines en général, esclaves y compris) dans le but de renverser le rapport de force traditionnel et même certaines valeurs. De fait, la répétition de tels procès opposant David à Goliath donnent à voir tout un ensemble de discours croisés entre Créoles et castas permettant d’évaluer les stratégies mises en œuvre pour convaincre le juge — entre insulte et jeu de rôle attendu — comme d’apprécier la vision qu’ont ces individus d’eux-mêmes, de leur place dans la société coloniale et des autres groupes sociaux.
II. — DISCOURS CROISÉS : LA MANIPULATION DES STÉRÉOTYPES
13Un des grands intérêts du corpus rassemblé et étudié est qu’il permet de reconstituer les images associées aux populations métissées à travers l’analyse des discours croisés tenus par les Espagnols sur les castas et par ces derniers sur eux-mêmes. Au fil des déclarations, des accusations et des commentaires, c’est donc tout un kaléidoscope qui se déroule pour évoquer des populations véritables cibles des stéréotypes, des plus basiques aux plus élaborés. Ces différentes images et leur première genèse sont bien connues et ont été abondamment commentées dans l’historiographie du métissage. Aussi, le but des pages qui suivent n’est pas de compiler à nouveau ces stéréotypes mais plutôt d’analyser comment, dans quel contexte et dans quel but ils surgissent dans les discours élaborés dans le cadre d’une procédure civile, pénale ou inquisitoriale, ou encore dans la correspondance adressée à l’administration royale. Le conflit d’intérêts, notamment dans les litiges « mixtes », c’est-à-dire qui opposent Espagnols et castas, apparaît comme le principal moteur de la construction de ces discours : il s’agit de disqualifier l’adversaire par tous les moyens disponibles et le recours au stéréotype apparaît comme une arme efficace. Dans ces cas-là, le champ sémantique de la mala vida prégnant depuis les premiers temps de la colonie est invoqué massivement, comme si l’affrontement procédurier venait cristalliser l’ensemble des préjugés et fantasmes présents dans la culture créole. Toutefois, les stéréotypes négatifs ne sont pas les seuls invoqués par les élites espagnoles dans la documentation et l’on retrouve dans certaines lettres adressées à la Couronne des discours singulièrement et paradoxalement élogieux donnant à voir une forte volonté d’instrumentaliser ces populations pour servir des intérêts particuliers bien précis. Les Espagnols, péninsulaires comme créoles, ne sont pas les seuls à utiliser ces stéréotypes pour parvenir à leurs fins. L’image du « pobre miserable » est en effet récurrente dans les déclarations des castas, qu’ils soient plaignants ou défendeurs, et montre à la fois une certaine intériorisation d’un cliché tenace et la capacité à l’instrumentaliser de manière efficace. De fait, le but des pages qui suivent est d’analyser l’ensemble des stéréotypes, péjoratifs ou positifs, employés dans les différents discours pour évoquer les populations métissées et plus généralement les plèbes urbaines pour donner à voir l’imaginaire d’un certain ordre social qui se dissimule derrière ces clichés utilisés si fréquemment.
LES ESPAGNOLS PARLENT DES CASTAS : PERMANENCE ET INSTRUMENTALISATION DES CLICHÉS
14Nous l’avons vu dans la deuxième partie, le regard porté par les élites espagnoles, qu’il s’agisse des péninsulaires ou des créoles, sur les plèbes urbaines et les populations métissées en particulier exprime non seulement un profond mépris — à ce titre, l’étude que réalise Th. Calvo du discours tenu par les vice-rois de Nouvelle-Espagne et du Pérou sur ces populations est très révélatrice33 — mais aussi un certain sentiment de malaise. De fait, ce malaise traduit l’incompréhension des Espagnols face à un phénomène du métissage qu’ils perçoivent comme une menace de l’ordre social et même « naturel ». Dans le cas du Pérou étudié par Th. Bouysse Cassagne et Th. Saignes,
[les] tentatives infructueuses de la langue espagnole traduisent, bien évidemment, la difficulté que représentait pour la société coloniale le fait de penser un être nouveau au moyen de termes tous chargés d’histoire. C’est dans le registre exotique que l’on puisa en tout premier lieu. L’Orient et l’Afrique, qui avaient été en contact avec l’Espagne, fournirent tout un contingent d’images dont le décalage avec la réalité nous semble aujourd’hui si grand qu’on les croirait sortis du décor de quelque turquerie. Les premiers métis furent des janissaires (jenízaros), et c’est surtout vers la frontière chilienne que le terme fut employé, comme si les armées du Grand Turc étaient venues se perdre dans ces confins montagneux. Pendant les grandes révoltes métisses du Laicacota, c’est toujours un regard tourné vers l’Orient qui fit d’eux des mameluks (mamelucos)34.
15Si la plupart des pinturas de castas qui ont fleuri au XVIIIe siècle relèvent de la simple illustration encyclopédique et même taxinomique — dans une certaine mesure, cette volonté de donner à voir ces différentes « espèces exotiques » par le biais de la peinture peut se rapprocher de la logique qui a mené à réaliser des emprunts au vocabulaire animalier (mulato mais aussi coyote) lors de l’invention du vocabulaire du métissage —, certains exemples possèdent une volonté de mise en scène qui montre bien la permanence des clichés élaborés deux siècles plus tôt.
16Ainsi, si l’on considère le premier tableau intitulé De coyote, mestizo y mulata, ahí te estás (fig. 35), il apparaît très nettement que le peintre représente le métissage, ici un des degrés les plus complexes et fantaisistes de la taxinomie illustrée, comme une source de malheurs : la différence des calidades mènerait aux tensions et aux conflits. Pire encore, le métissage semble être également une source de bouleversement de l’ordre traditionnel, garant d’un certain équilibre social. D’une part, la femme incarne une véritable mégère et se rebelle contre son mari ou son amant au point de le frapper et d’oublier de s’occuper de son enfant qui est sur le point de basculer. De fait, « perturbée » par ses propres origines et par une union néfaste, elle oublie de remplir le rôle qui lui est assigné par son genre. Il en est de même pour l’homme qui est, quant à lui, bien « féminisé » : il est représenté incliné, soumis, se laissant tirer les cheveux dans un geste infâmant — le « crêpage de chignons » est traditionnellement associé au monde féminin. Le tableau d’andrés de islas (fig. 4, p. 57) montre une situation similaire, mais plus intolérable encore pour l’observateur espagnol : l’amant est ici un créole visiblement malmené dans sa propre maison, mais aussi entraîné dans un domaine typiquement féminin, la cuisine. Les passions qui mènent au métissage sont donc représentées comme dangereuses pour l’ordre social dans la mesure où l’amant créole est ridiculisé à la fois en tant qu’espagnol et maître — il est frappé par son esclave dans sa maison — et en tant qu’homme — il est frappé par une femme.
17De fait, le métissage en lui-même, en tant que simple phénomène démographique, apparaît comme une source de déstabilisation sociale et morale sans même prendre en compte les actions concrètes des individus concernés. De ce point de vue, la mala vida évoquée dans la partie précédente n’est que le prolongement logique, la concrétisation de la dangerosité potentielle du mélange des populations. Dès lors, il n’est pas étonnant de voir ressurgir régulièrement les stéréotypes du désordre illustrés par les tableaux (fig. 4, p. 57 et fig. 35) dans les discours des Espagnols lorsque ceux-ci se trouvent en conflit avec des castas : c’est ce registre qui alimente bon nombre d’injures, de descriptions partiales et de justifications de certaines décisions, en matière matrimoniale notamment. Lorsque, à la fin du XVIIIe siècle, Juan José Mercado, Espagnol originaire de Panuco, entend s’opposer au mariage de sa fille María Gertrudis avec Esteban Monsillos, il développe un discours particulièrement virulent destiné non seulement à disqualifier le fiancé mais aussi à souligner les désordres qui ne peuvent que menacer un tel mariage. Il souligne ainsi qu’Esteban est « un jeune homme oisif, sans application au travail et par conséquent incapable d’entretenir une épouse. C’est tout d’abord l’intention du souverain que les familles qui se trouvent, pour leur malheur, plongées dans les basses sphères [de la société] ne soient pas infestées par cette mauvaise race pour éviter ainsi les conséquences produites par un mélange si inégal ; en outre, les lamentables résultats auxquels mènent les mariages de sujets incapables d’assurer la subsistance quotidienne de leur famille sont bien visibles35. » Dans cette diatribe, deux grandes idées sont posées avec force. La plus facilement visible est la peur d’une certaine dilution du statut qui passerait par une véritable contamination : le vocabulaire utilisé est en effet celui de la maladie et le stéréotype invoqué celui de la mala raza. La famille est ainsi assimilée à un corps qui doit se prémunir de potentielles infections. C’est d’ailleurs dans ce but — le maintien de la limpieza de sangre — que le roi a adopté la Pragmatique Sanction, selon le père de famille. B. Lavallé écrit ainsi à partir de son étude de Quito entre 1778 et 1818 que les procès pareils à celui mené par Juan José Mercado sont « un bon observatoire de la perception de l’utilisation voire de la manipulation de l’argument ethnique dans la société coloniale36 ». Toutefois, l’argumentation de Juan José Mercado sous-entend une conception plus complexe encore de la limpieza de sangre. En effet, plus qu’un idéal de pureté, c’est l’idée d’un certain ordre social qui transparaît de ces quelques lignes : le fiancé Esteban Monsillos ne possède manifestement pas les qualités requises pour pouvoir prétendre au statut de chef de famille, du moins avec une épouse d’origine espagnole qui doit espérer le maintien d’un certain statut. De fait, aux yeux du père, il ne possède ni les qualités morales — le registre de l’oisiveté, mère de tous les vices avec le métissage est ici utilisé — ni les moyens socio-économiques — il est bien trop pauvre. Pour ces raisons, Esteban ne peut en aucun cas aspirer à épouser la fille de Juan José Mercado, alors que, assez curieusement, les familles sont pourtant liées par un autre mariage qui a vu un frère de Juan José épouser une sœur d’Esteban37. Les arguments proposés montrent ainsi que le principal souci n’est pas vraiment de préserver la pureté de la famille — déjà « entachée » par une première union mixte — mais de protéger une certaine idée des rôles familiaux : ce que l’on obtient d’une belle-sœur et ce que l’on attend d’un futur gendre n’appartiennent manifestement pas au même registre social, économique et symbolique, ce qui explique des réaction bien différentes, et permet également de mieux comprendre les stéréotypes invoqués par Juan José Mercado. De fait, ce n’est pas vraiment les fantasmes de la mala vida ou de la limpieza de sangre qui dominent dans ces clichés mais plutôt la conviction de l’inadéquation d’Esteban — pour des raisons mêlées de calidad et de statut socio-économique — comme futur chef de famille. Dans une certaine mesure, le discours tenu par Juan José Mercado peut être rapproché du modèle d’analyse élaboré par J. -P. Zuñiga à partir de ses travaux sur les Espagnols de Santiago du Chili au XVIIe siècle dans lesquels il articule le rejet socioculturel visant les populations métissées et l’obsession espagnole pour la limpieza de sangre38. Il distingue ainsi deux phénomènes longtemps confondus :
l’idéal des statuts de pureté de sang est celui d’extirper de l’ensemble du corps social, avec un appareil administratif imposant, le groupe considéré comme impur et de le mettre au ban de la société, alors que l’exclusion coloniale a pour but de justifier une hiérarchisation sociale où les « inférieurs » sont une partie essentielle de l’édifice social, et en ce sens entièrement intégrés39.
18De fait, l’ensemble des stéréotypes, des clichés mobilisés autour de l’expression récurrente de la mala raza dans les discours espagnols aurait davantage pour but de renvoyer l’adversaire casta à sa véritable place dans la société coloniale que de l’en exclure totalement. C’est pour cela que Juan José Mercado tolère une belle-sœur issue d’une famille de mulâtres — elle n’est pas amenée à occuper une place importante au sein de la famille Mercado et, en outre, n’entre pas dans la branche de Juan José mais dans celle, parallèle, de son frère — tandis qu’il refuse absolument l’idée d’un gendre issu de la même famille — ce dernier est en effet appelé, en tant qu’époux, à exercer une forme d’autorité, à hériter des biens familiaux, c’est-à-dire à jouer un rôle qui ne peut pas être le sien.
19Pour finir, au-delà de l’analyse des intentions plus ou moins explicites, la féroce diatribe de Juan José Mercado permet de mettre le doigt sur l’enchaînement logique de la généralisation bien souvent utilisée comme un argument d’autorité par les plaideurs espagnols. Il évoque ainsi son gendre potentiel en quelques mots avant de rapidement délaisser ce cas particulier et concret pour évoquer tout un groupe qu’il qualifie de mala raza et les dangers qui menacent la société dans son ensemble. En réalité, les véritables attaques ad hominem concrètes sont relativement rares et les adversaires castas sont souvent dénigrés non pas comme individus mais comme les représentants d’un groupe peu fiable, devenant en quelque sorte prisonniers de tenaces stéréotypes qui viennent nier leurs efforts personnels. T. Herzog souligne ainsi que
dans tous les cas, on retrouve à la fois l’argument que les individus pouvaient changer de nature et en acquérir une nouvelle et l’insistance que c’était chose impossible. La capacité de changer dépendait du comportement individuel. L’impossibilité était liée au fait que tous ces individus faisaient partie d’un groupe. C’était en tant que membres du groupe, pas en tant qu’individus qu’ils avaient perdu la capacité d’influer sur leur nature. Pour les contemporains, il était inutile d’examiner les comportements particuliers des gens qui appartenaient au groupe parce qu’ils étaient tous semblables. Tous les Gitans étaient des nomades et des criminels, tous les Chuetas étaient hérétiques et ineptes sur le plan social, et aucun Africain n’avait jamais souhaité se lier à l’Espagne en s’y faisant naturaliser40.
20Dans ces argumentations, les stéréotypes et les généralisations sont clairement exprimés dans des expressions comme : « un coyote conducteur de mules, ennemi de son maître comme ils le sont tous41 » ou encore « les indiens de la qualité de Joseph de la Cruz souffrent d’une incapacité naturelle42 ». Dans ces exemples, l’intention de la généralisation péjorative comme argument d’autorité est très claire. Joseph de la Cruz ne peut pas prétendre à exploiter une mine non pas parce qu’il n’en a pas les capacités techniques ou financières, ce que l’on ignore, mais tout simplement en raison de ses origines : d’après le défendeur, les Indiens n’ont pas à se mêler des affaires minières, si ce n’est comme simples peones. De même, lorsqu’il se trouve confronté à un ancien employé, José Antonio de Cardenas, lui réclamant trente pesos de salaire impayé, Mateo Biurcos se réfugie quant à lui derrière le stéréotype du vagabond et rappelle aux autorités que
le dit mulâtre est un vagabond, et qu’en plus de trente-quatre ans, il n’a rien réclamé comme il le fait aujourd’hui, et a passé son temps à se cacher de lieu en lieu ; et s’il obtient les dits trente pesos, il disparaîtra de la ville et il [le défendeur, Mateo Biurcos] ne pourra pas récupérer l’argent qu’on lui doit selon le résultat (du procès)43.
21De fait, Mateo Biurcos déplace l’objet du débat, passant de la question du salaire apparemment impayé à celle de la fiabilité morale du plaignant. L’ancien employé n’est qu’un vagabond qui risque de disparaître une fois l’argent empoché, ce qui interdit tout recours ultérieur au défendeur. En outre, lorsque ce dernier fait allusion à la trentaine d’années pendant lesquelles Cardenas serait demeuré d’une part totalement silencieux et d’autre part à l’écart de la « bonne société installée », il semble sous-entendre que par une inscription plus ou moins volontaire dans les couches les plus humbles et instables de la société coloniale, l’ancien employé a perdu son droit à réclamer son salaire. En accolant l’image du vagabond, c’est-à-dire de l’exclu volontaire, à la personnalité de Cardenas, Biurcos tente ainsi de montrer à la justice que le plaignant ne mérite pas que l’on perde du temps à le protéger et à défendre ses intérêts inexistants alors que ceux de l’artisan, intégré quant à lui, sont clairement menacés. Le discours de Biurcos se construit donc sur une opposition d’images qui laissent deviner sa propre vision d’une société coloniale hiérarchisée, dans laquelle les artisans installés — espagnols — sont méritants et les pardos libres comme Cardenas ne sont pas dignes de confiance, ne savent pas rester au même endroit et ne sont finalement que des errants. L’utilisation d’un cliché très courant doit enfin permettre de changer de dimension, de passer d’un conflit de droit du travail — la réclamation du salaire impayé — à un débat sur la moralité d’un individu et du groupe que ce dernier incarne. De cette manière, Mateo Biurcos entend bien contrer la stratégie développée par la défense de Cardenas, stratégie qui elle-même repose sur l’utilisation d’un autre stéréotype récurrent, celui du « pobre miserable ».
LES CASTAS PARLENT D’EUX-MÊMES : L’IMAGE DU « MISERABLE POBRE »
22Le procès qui oppose Joseph Antonio Cardenas à Mateo Biurcos en 1731 est effet extrêmement intéressant dans la mesure où il permet d’analyser des discours qui s’entrecroisent et se répondent au cours de la procédure, d’étudier un des nombreux stéréotypes utilisés par les Espagnols pour évoquer les castas — le vagabondage — mais aussi un cliché utilisé abondamment par les plèbes urbaines lorsqu’elles se retrouvent face à la justice, aussi bien en position de plaignant que de défendeur d’ailleurs. Dans l’affaire de 1731, Cardenas est ainsi présenté par sa défense comme un « plaignant démuni44 » et une « personne misérable45 ». Pour le plaignant pardo comme pour tant d’autres individus issus des plèbes, ce rappel d’une condition misérable constitue en fait une sorte de passage obligé, de rôle attendu auquel il se prête pour obtenir l’attention, le soutien ou la clémence de la justice. Il se glisse ainsi dans la peau du « pauvre universel » de la culture catholique, l’image du Christ qui doit attirer pitié et miséricorde46. C’est ainsi que la justice locale donne raison dans un premier temps à Joseph Antonio Cardenas, « plaignant qui a bien et largement justifié son intention et sa plainte », et rappelle qu’il est « exposé aux rigueurs des chemins47 », sous-entendant de cette manière que le plaignant a un besoin vital du soutien de la justice. Toutefois, incarner un tel rôle au XVIIIe siècle, période plutôt dominée par l’idée du « renfermement » et de la dangerosité des classes les plus humbles48 — alors que le Moyen Âge et le début de la période moderne sont davantage marqués par l’image christique49 — ne peut pas être suffisant pour attirer les bonnes grâces du juge. Aussi, la lecture des différents dossiers présentant des cas similaires révèle-t-elle la construction élaborée du rôle joué par les castas devant la justice coloniale : l’image du pauvre méritant (fig. 36).
23À la lueur des exemples ci-dessus, c’est l’Indien Pedro de la Cruz, agressé et volé en 1720 sur la route entre Zacatecas et l’hacienda de fuego de son maître, qui incarne le mieux cette image50. Il se présente ainsi devant la justice comme la victime d’un crime d’autant plus cruel qu’il a visé un individu déjà bien maltraité par le sort. Le stéréotype développé par l’Indien joue en fait sur deux registres bien précis : celui du « pauvre serviteur » qui a besoin du soutien, de la pitié de la justice, mais aussi celui de l’individu, père de famille et bon travailleur qui lutte pour subvenir aux besoins d’une famille nombreuse « au prix de sa sueur et de son travail51 » et mérite par conséquent l’attention du juge. Cette dernière expression permet à la défense de l’Indien d’inscrire ce dernier dans un imaginaire chrétien très fort en renvoyant à la phrase « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. » Juan Briceño joue sur un registre similaire lorsqu’il rappelle qu’il a charge d’enfants52 et que, de manière implicite, il n’est pas un pauvre oisif, mais un homme avec un métier, celui de conducteur de mules, un statut, celui de chef de famille, mais malheureusement frappé par un sort contraire, la pauvreté. Il est intéressant de noter que ce type de discours, mêlant humilité et fierté, se retrouve notamment chez les plaignants — les données rassemblées ne sont toutefois pas assez nombreuses pour tirer une conclusion définitive — dans un effort de se situer de manière avantageuse dans le rapport de force qu’est le procès en employant le bon stéréotype, en jouant le rôle attendu. Pedro de la Cruz, ou son représentant, introduit ainsi une forte opposition entre l’image qu’il donne de lui-même, celle du « pauvre méritant », et celle qu’il construit de manière implicite pour évoquer des agresseurs relégués parmi les bons à rien et qui menacent la survie des enfants en volant le père de famille qu’est l’Indien.
24En revanche, si l’on analyse les clichés employés par les castas lorsqu’ils se retrouvent en position de défendeur, on remarque que les images jouent sur un tout autre registre et visent davantage à apitoyer, à attirer l’indulgence en invoquant notamment l’état de disette dans lequel ils se trouvent, ou risquent de se trouver si la justice ne les épargne pas. Francisco de Salcedo rappelle ainsi qu’il n’a « même pas de quoi se nourrir53 » tandis que le représentant du métis surnommé Tumba la Muerte parle d’un « malheureux », et d’un « homme âgé et de santé chancelante54. » Ici, ce n’est plus le cliché du pauvre méritant qui est invoqué — ce qui serait bien difficile dans la mesure où le premier des deux hommes est couvert de dettes et le second est un marginal accusé de coups et blessures — mais celui de l’extrême pauvreté et de l’impuissance des individus. Jouer sur un tel registre est une manière d’attirer la pitié de la justice en sous-entendant que la vie elle-même n’a guère épargné ces hommes — l’expression de « desdichado » contient une certaine forme de fatalisme — et que, par conséquent, prononcer une peine trop sévère ne relèverait pas de la justice mais plutôt de l’injustice et même de l’acharnement. De fait, le passage devant la justice peut s’apparenter à un véritable exercice d’humilité, au cours duquel il s’agit de renvoyer une image convenue du casta, inférieur, dépourvu de véritables moyens économiques et attendant tout des bonnes grâces de la justice. C’est un véritable « jeu de rôle » qui s’appuie sur un stéréotype courant dans les esprits des élites. Il faut tout de même préciser à ce titre que le cliché du « pauvre méritant » ou du « pauvre malheureux » est souvent utilisé par les représentants — avocats des pauvres — qui parlent de leurs clients devant la justice : le cliché est en réalité généré par l’intermédiaire créole qu’est l’avocat des pauvres et non pas par le plaignant ou le défendeur lui-même. De ce point de vue, on se trouve encore dans les représentations élaborées par les élites créoles. Toutefois, on retrouve ce même type de discours clairement approprié et intériorisé, du moins en apparence, par certains castas comme Juan Briceño ou Pedro de la Cruz dont le discours ne semble pas passer par le filtre d’une autre personne : une telle appropriation montre ainsi la capacité de certains à comprendre le rôle que l’on attend d’eux au moment du litige et à renvoyer l’image attendue par les observateurs.
25Les stéréotypes employés par les castas ou leur défense lors des litiges ou procès criminels renvoient en effet fortement à certaines représentations que les élites utilisent occasionnellement pour évoquer les plèbes urbaines et plus particulièrement les castas. L’image du « pauvre méritant » apparaît ainsi dans la correspondance des élites minières qui entendent négocier avec la Couronne, notamment pour obtenir des avantages fiscaux — baisse du diezmo real ou de l’alcabala sur les matériaux nécessaires à l’exploitation minière, tarifs avantageux pour le mercure — et développent un discours visant à apitoyer l’administration royale. Lorsqu’il décrit son expérience à Taxco dans les années 1780, l’entrepreneur Joseph Conejo, qui désire obtenir des avantages pour développer l’utilisation des chevaux dans les haciendas de beneficio, parle des operarios, « malheureux dans leur travail55. » L’entrepreneur n’hésite donc pas à recourir au pathos à travers une description alliant les clichés de la misère, de la douleur et du travail utile, évoquant « les hommes qui, en raison de leur misère, se sacrifieraient dans un métier aussi dur que cruel56. » Dans son argumentaire, le choix de la modernisation serait donc un véritable acte de miséricorde pour ces populations. Un autre document adressé au Roi en 1790 par les grands mineurs de Sombrerete introduit quant à lui une image plus valorisée, celle de l’operario au travail, qui permet à la société de prospérer. Le comte de Fagoaga affirme ainsi :
que l’utilité était inégalable, parce que, une fois réhabilitées les (mines) de Veta Negra, le commerce augmenterait, les operarios trouveraient un travail profitable et le commun de ce real (Sombrerete) en éprouverait la commodité, ce qui aurait pour résultat une plus grande prospérité des comptes de la Real Hacienda57.
26Certes, bien d’autres clichés, beaucoup plus péjoratifs — thème du vagabond, de l’oisif, des masses tumultueuses — sont utilisés dans les discours élaborés par les élites58. Mais il est tout de même intéressant de noter que les images présentées par les castas, ou leur avocat, lors des litiges appartiennent au même registre : les représentants du corps de mineurs construisent ainsi un tableau fondé sur la pauvreté et l’effort, instrumentalisent cette image du « pauvre méritant », ici présenté comme une multitude, pour apitoyer l’administration coloniale. On se trouve donc dans un contexte où le recours à la nécessité chrétienne de soulager la base de la société faible et démunie paraît une stratégie rhétorique commune au sein des élites. En outre, ces discours donnent à voir quels sont, aux yeux des élites créoles et péninsulaires, le rôle et la place « convenables », « acceptables » pour les castas et les plèbes urbaines au sein de la société coloniale. Dans un tel contexte mental, il semble bien naturel de voir certains castas jouer pour ainsi dire un rôle attendu, celui du « pauvre méritant » qui a besoin d’aide ou de clémence, lorsqu’ils se présentent devant la justice, qu’ils soient plaignants ou défendeurs. En jouant ce rôle, ils permettent également aux membres de l’administration et à leurs adversaires espagnols de se placer dans leur rôle idéal, celui du puissant qui peut se montrer miséricordieux si la situation le permet. La reproduction d’un tel cliché, emprunté au discours des élites, permet ainsi de rester dans un certain respect de l’ordre social symbolique. Toutefois, malgré ce jeu rhétorique fondé sur l’utilisation du stéréotype, le fait même d’attaquer un Espagnol en justice, de réclamer le paiement d’une dette, dans le cas de Juan Briceño, ou de quelques mois de salaire dans le cas de Juan Antonio Cardenas, est bien souvent perçu par le défendeur espagnol comme une remise en cause honteuse de cet ordre symbolique.
III. — LE DISCOURS COMME CONSTRUCTION ET DÉCONSTRUCTION DE LA HIÉRARCHIE SOCIALE SYMBOLIQUE
27Nous avons vu que le recours au procès dans la première moitié du XVIIIe siècle constituait un outil de choix dans l’élaboration de stratégies de défense des intérêts et même d’ascension sociale pour les plèbes urbaines capables individuellement de se lancer dans pareille entreprise. De fait, de telles procédures peuvent être considérées comme la mise en œuvre pratique du degré d’intégration de certains individus. La capacité à assumer les frais de justice révèlent une position relativement confortable sur le plan économique tandis que le simple fait de posséder des intérêts à défendre traduit une véritable intégration sociale : si un individu ne possède ni acquis ni espoirs, il n’a guère besoin d’avoir recours à la justice pour faire valoir ses droits. Enfin, sur le plan culturel, l’appel au juge est très important et montre un rapport relativement confiant avec les autorités locales en particulier ainsi qu’une relative intériorisation des normes sociales dominantes en matière de justice : les individus qui portent plainte acceptent le rôle de médiation du tribunal et renoncent, du moins dans ce premier temps, à la tentation d’une justice personnelle, primaire. Toutefois, comme le souligne B. Garnot pour le cas français, ces plaintes n’aboutissent pas forcément toutes à un jugement en bonne et due forme, notamment pour les affaires civiles59. Elles participent néanmoins à un processus de conciliation et d’arbitrage extrajudiciaire qui a pour but d’éviter le recours coûteux à la justice officielle. Dans ce contexte, la plainte agit comme un moyen de pression supplémentaire pour pousser la partie adverse à la conciliation recherchée (l’attitude d’Hernando Briceño père lorsqu’il propose de rembourser le coût des bêtes volées participe de ce type de comportements60). Dans ce type d’approche, l’institution judiciaire est perçue comme un outil utilisé avec plus ou moins d’efficacité par les plèbes urbaines sur le plan individuel — le cas le plus fréquent — ou collectif — la plainte déposée par les cargadores de Zacatecas est à ce titre exemplaire.
28Toutefois, au-delà des cas individuels, la documentation judiciaire couvre un large spectre thématique qui permet de prendre le pouls de la société coloniale. Si l’on sort de la dimension thématique, c’est-à-dire du contenu des procès, pour aborder la question des acteurs, une typologie différente apparaît et ouvre de nouvelles perspectives d’analyse. De ce point de vue, deux grandes catégories apparaissent : on peut en effet différencier les dossiers présentant des individus poursuivis par les autorités coloniales — le bigame jugé par l’Inquisition, le coupable d’homicide par la justice locale — et ceux opposant des particuliers selon une dynamique plaignant/défendeur — les conflits entre marchands ou propriétaires de mine, les conflits de voisinage, le problème de la dette, les démarches des esclaves entrent dans cette catégorie, que l’on se situe au civil ou au pénal. C’est ce dernier groupe qui attire ici l’attention dans la mesure où il présente bien souvent une franche opposition entre deux camps incarnés par les plaideurs et leurs représentants respectifs. Dans ces documents, l’espace judiciaire apparaît clairement comme un espace d’affrontement dans lequel les discours élaborés par les parties opposées prennent une importance cruciale. Ainsi, dans son ouvrage Rendre la justice à Quito, T. Herzog insiste notamment sur la théâtralité de la justice en général et du procès en particulier. L’exemple du conflit opposant en 1737 le président de l’Audience de Quito Araujo y Río d’une part et Antonio de Ulloa et Jorge Juan d’autre part lui permet ainsi de souligner l’importance accordée au choix des termes, toujours lourds de sens et de symbolique, par les deux parties tout en montrant la complexité du jeu des rôles attendu qui se déroule devant un public qu’il faut convaincre et entraîner61. De ce point de vue, un cas de figure s’avère particulièrement fascinant, celui des procès qui confrontent des plaignants métis à des défenseurs espagnols. Ces derniers donnent à voir bien souvent une véritable théâtralisation des rapports sociaux traditionnels et même une déconstruction et reconstruction des hiérarchies coloniales à travers le discours.
LE LITIGE : UNE REMISE EN CAUSE SYMBOLIQUE DE LA HIÉRARCHIE SOCIALE
29De fait, si l’on change la perspective pour analyser la documentation selon le prisme des rapports sociaux, le recours au litige ou la saisie de la justice pénale peuvent alors apparaître comme des moyens d’affirmation par rapport à autrui. Sur un plan théorique, outre la dimension judiciaire évidente, le fait d’attaquer en justice possède de nombreuses implications symboliques. En premier lieu, le passage devant la justice place les adversaires sur un terrain commun, celui des justiciables, arbitré par le juge et la loi. C’est du moins vrai lorsque la justice agit de manière indépendante pour mener son enquête et rendre son verdict et ne constitue pas seulement un outil de défense des privilèges socio-économiques ou socio-culturels. Ainsi, le procès qui oppose le capitaine Joseph de Santa Ana au serviteur indien Pedro García pour le denuncio d’une mine abandonnée62 semble bien déséquilibré à première vue. Pourtant, le rapport de force est renversé au cours de la procédure et l’on assiste à une véritable victoire de David contre Goliath lorsque l’Indien prend possession des clés de la mine63. L’issue bien inattendue à première vue de ce procès a permis de considérer cette situation comme révélatrice des opportunités que savaient saisir certains individus audacieux comme Pedro García. Il est toutefois possible d’aller plus loin dans le travail d’analyse en renversant le point de vue et en se plaçant dorénavant du côté de la justice. Certes, la partie plaignante, c’est-à-dire l’avocat de Santa Ana, n’a de cesse de rappeler son statut prestigieux et de tenter de rabaisser le plus possible son adversaire en soulignant sa qualité d’Indien et en lui prêtant une « intention dépravée64 ». Il semble tout de même que la justice ou, du moins les officiers concernés — l’administrateur des mines, le corregidor — montrent une tendance à traiter les deux hommes en présence comme deux simples justiciables dont on écoute attentivement les arguments avant de prendre une décision. Tout comme Joseph de Santa Ana, Pedro García a le droit d’exposer son argumentation et d’être écouté par la justice. De fait, l’existence d’une justice locale relativement « impartiale » au cours de la première moitié du XVIIIe siècle apparaît comme la condition première de l’audace d’un Pedro García ou d’une Andrea Rodríguez : comme le souligne B. Garnot pour le cas français, on « ne se [porte] pas en justice aveuglément65 » car il faut pouvoir entrevoir une issue positive servant des intérêts propres. De fait, les cas étudiés dans la deuxième partie révèlent non seulement une véritable « acculturation juridique66 » chez certains individus mais aussi l’existence d’une justice locale qui, si elle ne contribue pas toujours à renverser les rapports sociaux en abondant dans le sens du plaideur casta, n’en fournit pas moins un cadre qui permet de les aplanir, de placer momentanément et symboliquement les individus en présence sur le même plan.
30Au-delà, la justice locale apparaît dans certains documents comme un instrument auquel ont recours les castas désireux de se faire entendre et d’obtenir justice, et partant, d’asseoir leur position dans la société. La « stratégie du blasphème » utilisée par certains esclaves au XVIIe siècle repose ainsi sur la volonté d’utiliser le moment du procès comme une véritable tribune selon un principe de renversement des rôles assez fascinant. Joan Cameron Bristol analyse ainsi les motivations d’un des blasphémateurs :
Comme nous l’avons vu avec le cas de Juan Cortés, il existait de petites fissures dans le système que les populations pouvaient essayer d’exploiter. Les dossiers de l’Inquisition dans lesquels les esclaves et les serviteurs reniaient Dieu représentaient des tentatives de la part des Afro-Mexicains pour utiliser les mêmes pratiques religieuses et formes de connaissances qui soutenaient le système officiel de l’autorité pour essayer de défier ce même système67.
31Dans le cadre de la procédure inquisitoriale, l’accusé est sommé d’expliquer son comportement devant les autorités ecclésiastiques : cette obligation fournit à l’esclave l’occasion de relater les événements qui l’ont poussé au blasphème, et donc d’exprimer ses griefs à l’encontre de son maître et des mauvais traitements infligés, ce qu’il ne peut pas faire dans la vie quotidienne, en-dehors du tribunal. Nous avons vu précédemment que cette stratégie s’avérait bien souvent à double tranchant, et débouchait sur des punitions plus sévères encore. Dans le même esprit, les démarches entreprises par les esclaves désireux d’obtenir leur liberté, ou de défendre un affranchissement chèrement acquis montrent une véritable « acculturation juridique » évoquée plus haut qui semble toucher les secteurs les plus humbles et les plus exclus de la population urbaine. D’ailleurs, au-delà des résultats obtenus et des stratégies élaborées dans les différentes démarches étudiées, ce sont les échanges parfois virulents entre les deux parties qui nous intéressent le plus ici dans la mesure où ils donnent à voir de manière très claire un renversement symbolique des rapports sociaux. Le temps du procès, les cartes peuvent être distribuées et dévoilent un véritable « bal carnavalesque ». Les esclaves à la recherche d’une meilleure situation proclament rechercher un « maître à leur goût68 », reprenant à leur compte une terminologie que l’on s’attend davantage à trouver sous la plume du possédant espagnol : c’est une expression très forte qui permet de bien souligner non seulement le renversement des rôles mais aussi le jugement de valeur implicite et sans concession que portent les esclaves sur le maître auquel ils veulent échapper. C’est probablement une telle possibilité de renverser momentanément l’ordre traditionnel qui explique la floraison des procès menés par des castas, esclaves comme libres, contre des Espagnols, au grand dam de ceux-ci d’ailleurs (fig. 37).
32Certes, si l’on reporte cette dizaine de cas à la masse considérable des sources judiciaires des archives de Zacatecas, force est de constater qu’ils ne représentent qu’une infime partie de la masse documentaire. De même, si l’on se recentre sur le corpus sélectionné au cours de notre recherche, les cas de telles plaintes sont minoritaires. De fait, sur le plan purement statistique, la situation décrite par B. Garnot pour la ville de Lyon au XVIIIe siècle à partir du registre des plaintes semble bien correspondre à la réalité zacatecana. Il montre ainsi « une sous-représentation du petit peuple par rapport à la composition sociale de la ville69 » et explique que
plus bas on est dans l’échelle sociale, plus on hésite à porter plainte au pénal ou à assigner un adversaire au civil, […] pour diverses raisons, notamment pécuniaires (la justice peut coûter cher) et mentales (la justice paraît d’autant moins accessible qu’on est peu instruit), finalement sociales70.
33Toutefois, à l’échelle individuelle, il est possible d’observer une véritable capacité à utiliser la justice locale à bon escient, à la fois comme outil dans le cadre d’une stratégie précise et comme tribune, lieu d’affirmation personnelle. Les cas identifiés dans la documentation zacatecana montrent ainsi de franches tentatives d’affirmation de la place de l’individu dans la société.
34À partir de l’échantillon présenté dans la figure 35, il est possible de dégager quelques pistes pour caractériser les procès qui permettent de tels renversements de l’ordre traditionnel. Les conflits économiques dominent qu’il s’agisse de problèmes de dette ou de propriété. Dans ce type de procédure, on observe des individus issus des couches métissées et populaires qui tentent de jouer dans la même cour que les milieux marchands ou miniers créoles. À ce titre, le cas le plus frappant est celui du commerçant mulâtre Francisco de Altamirano, poursuivi pour dettes par l’Espagnol Joseph Martínez71 : a priori pressé par son créancier qui souligne son manque de fiabilité et le présente comme un petit commerçant malhonnête incapable d’honorer ses dettes, le tendejonero présente un discours censé renverser la situation. Il rappelle ainsi que lui-même possède des créances, ce qui sous-entend que ses difficultés du moment sont la conséquence de la mauvaise volonté de ses propres débiteurs et non pas de sa mauvaise gestion.
Que ceux qui verront la présente sachent que, moi, Francisco Javier Altamirano, vecino et marchand de cette ville de Nuestra Señora de los Zacatecas j’accorde et donne tout le pouvoir nécessaire à don Manuel Barranco de Alarcón, vecino de cette dite ville, pour tout ce qui concerne en général mes procès, litiges et affaires civils et pénaux […] et pour qu’il collecte auprès de chacun tous les maravédis, reales, pesos et ducats que l’on me doit sous forme d’actes, bons de paiement, livres de comptes, cédules et ordres de paiement, mémoires, enveloppes, reconnaissances ou n’importe quelle autre forme et manière, donnant de ce qu’il recevra et fera payer les lettres des comptes soldés72.
35Il offre ainsi un visage radicalement différent, celui d’un marchand pleinement intégré dans la société locale, capable de mobiliser un réseau et d’avoir recours à la justice royale et ecclésiastique73. Dans ce cas précis, le procès est à la fois le moment où Altamirano défend ses intérêts matériels, c’est son but principal, mais aussi tente de l’emporter sur le plan symbolique en valorisant sa réputation. La volonté de défendre son honneur se retrouve de manière plus nette encore dans les deux procès de la fin de la période qui montrent deux individus issus des couches les plus humbles de la société — tous les deux sont des mineurs, l’un Indien, l’autre noir ou mulâtre — attachés à défendre une valeur typiquement hispanique. Il n’y a pas ici de véritable renversement de rôle — la justice de la fin du siècle montre une tendance à défendre les intérêts des élites comme le montre le résultat des deux procès — mais il intéressant de voir comment ces deux hommes tentent d’affirmer par le biais de la procédure civile que même les mineurs les plus modestes possèdent un sens de l’honneur marqué et qu’ils n’acceptent guère être piétinés par un cheval dans le cas d’Antonio Torres74 ou qu’on leur coupe les cheveux dans un geste infamant75.
36Toutefois, le cas le plus riche en enseignements est celui des esclaves (quatre dossiers sur treize). Pour ces derniers, l’instant de la déclaration est un moment rare et précieux d’expression. Même si la réussite de la démarche n’est pas assurée, le passage devant la justice permet aux esclaves qui demandent à changer de maître d’affirmer publiquement leurs qualités humaines et leurs compétences réelles ou fantasmées au point d’estimer eux-mêmes leur prix76. C’est ainsi que Juan Ventura, esclave hypothéqué par son maître endetté proteste contre une évaluation de sa valeur marchande qu’il juge trop faible et demande officiellement à être libéré
pour qu’il ne souffre pas du préjudice d’être vendu au prix de son évaluation [250 pesos] car il est un mulâtre qui grâce à son métier de fondeur, sa fidélité et ses bons services rendus doit être apprécié pour une quantité supérieure77.
37Juan Ventura a bien conscience de son caractère de simple marchandise aux yeux des deux Espagnols en conflit, mais désire tout de même que ses qualités humaines et techniques soient reconnues de la seule manière possible, par une évaluation plus élevée, une forte somme traduisant sa grande valeur. D’une manière inattendue, Juan Ventura, objet de transaction, tient à défendre son honneur, valeur typiquement hispanique, et évoque même le préjudice que lui ferait subir l’hypothèque telle qu’elle a été réalisée. À travers le recours à la justice, il s’agit enfin pour les esclaves de faire reconnaître publiquement l’accès à la liberté, de bien montrer l’acquisition d’un nouveau statut, de marquer la rupture avec le passé servile : l’ancienne esclave Josefa Gertrudis effectue ainsi une démarche juridique pour que « le notaire Manuel Antonio Chacón témoigne au sujet du testament de don Lucas de Malda y Andino dans lequel on lui accorde la liberté78. »
38Le jeu des déclarations soumises aux autorités, souvent par l’intermédiaire d’un avocat des pauvres comme Francisco Gorjón qui défend avec succès Joseph de la Cruz79 en 1724 ou encore Joseph López80, constitue donc un moment privilégié d’expression pour des populations essentiellement silencieuses dans le sens où elles sont bien souvent « privées de paroles » en raison de leur position subalterne et collectivement contraintes au recours à la rébellion pour faire entendre leurs griefs et opinions. L’action collective des cargadores pour protester juridiquement contre les mauvais traitements et abus dont ils sont l’objet revêt à ce titre un intérêt tout particulier : on voit ici un groupe populaire maltraité utilisant la justice locale de la manière la plus efficace qui soit — les cargadores obtiennent gain de cause — mais aussi profitant de l’occasion pour souligner et affirmer leur importance paradoxale dans le fonctionnement urbain. La métaphore chevaleresque utilisée dans le texte peut ainsi être aussi bien perçue comme un effet rhétorique que comme la manifestation d’une certaine fierté et de la volonté d’inverser les rôles par la force du discours. Dans le texte de la réclamation, les humbles portefaix sont dépeints comme indispensables à la bonne marche de la ville et à son expansion tandis que le monde des propriétaires de mines, qui se représente volontiers comme le cœur et le poumon de l’empire colonial81, est quant à lui dépeint comme un parasite égoïste qui perturbe le fonctionnement urbain au nom d’intérêts particuliers82.
39Que l’action soit individuelle ou collective, de telles manifestations d’affirmation de soi et tentatives de renverser symboliquement le rapport de force — ce qui peut être perçu comme une première étape vers une remise en cause concrète de ces relations — génèrent des réactions parfois violentes chez les adversaires espagnols qui ne tolèrent guère voir leur statut supposé supérieur ainsi fragilisé, même momentanément. Toutefois, le cas du procès mené par doña Nicolasa de Anda y Altamirano contre son ancien esclave Joseph López en 172583 donne ainsi à voir une situation des plus paradoxales. Ici, le renversement des rôles n’est pas seulement symbolique mais bien réel : le recours à la justice ne constitue pas véritablement une tribune, comme cela a pu être le cas dans les procès analysés dans les pages précédentes, mais agit plutôt comme le révélateur d’une situation bien défavorable pour la plaignante espagnole. De fait, l’objet de la plainte est très classique dans la mesure où il dévoile une femme espagnole qui réclame l’argent que son esclave lui doit à la suite de son affranchissement — une somme de 200 pesos dit-elle — et souligne avec emphase la malhonnêteté du mulâtre — les termes « méchant » et « tromperie » apparaissent en bonne place dans son discours84. Or, derrière une argumentation qui entend mettre en scène un rapport de force social, économique et moral, on perçoit une réalité bien différente. Doña Nicolasa est en effet une veuve qui ne possède pas les ressources suffisantes pour élever ses enfants et qui, par conséquent, dépend des revenus dégagés par le travail de son esclave85. À la suite de l’affranchissement de ce dernier, doña Nicolasa entend bien maintenir les liens de dépendance en réclamant le versement d’une somme mensuelle, censée traduire le maintien du rapport de sujétion entre la propriétaire et son esclave mais révélant surtout la situation de dépendance paradoxale dans laquelle se trouve doña Nicolasa86. Dans ce cas précis, le procès agit donc comme le révélateur d’un renversement des rôles total : dans la mesure où c’est le fruit de son travail qui permet à la famille de sa propriétaire espagnole de vivre, l’esclave mulâtre Joseph López occupe d’une certaine manière la fonction de chef de famille, du moins en ce qui concerne l’aspect matériel de celle-ci. C’est une situation bien inconfortable pour doña Nicolasa qui cherche à la fois à conserver sa principale source de revenus — c’est une question de survie — et à maintenir l’illusion d’un rapport de force social et moral traditionnellement favorable aux Espagnols.
40R. E. Boyer écrit à ce titre :
Mais, alors que l’état de subordination des esclaves s’aggravait, l’état de dépendance des maîtres vis-à-vis de cette subordination devenait de plus en plus complet. En conséquence, ils écrivaient le scénario des gestes et des signes de déférences de leurs serviteurs comme si leur subordination était absolue. Sinon, c’était l’identité des « maîtres » qui s’écroulait87.
41Si l’on sort de ce cas particulier, force est de constater que rétablir l’ordre social bouleversé symboliquement et même, de manière exceptionnelle, concrètement est en effet le grand souci des défendeurs créoles lorsqu’ils se retrouvent confrontés à des plaignants issus des couches populaires considérées comme subalternes, inférieures. R. D. Cope précise ainsi dans The Limits of Racial Domination que, en l’absence de forces armées suffisantes pour assurer l’ordre dans l’ensemble de la colonie, un des instruments de contrôle utilisés par la Couronne a été le maintien des plèbes urbaines dans un état d’infériorité « naturel », « intériorisé »88. Pour revenir au travail de R. E. Boyer, il analyse le procès qui oppose un riche Espagnol à la communauté indienne du Mesquitic, procès qui à la fois montre le développement « normal » attendu d’une telle confrontation et permet de souligner l’importance des cas étudiés pour la région de Zacatecas au début du XVIIIe siècle.
Prenons le cas de don Juan Rincón, un médecin espagnol qui a été attaqué en 1780 par des « Indiens » de la « région isolée dépendant de la ville de Mezquitic » (à une trentaine de kilomètres de sa destination et de San Luis Potosí). Donc, don Juan a porté plainte. Mais l’histoire, comme D. Frye le souligne, n’est pas une histoire unique, mais une séries de couches de plusieurs histoires et voix qui changent en fonction des identités, de l’expérience, des attentes, et des stratégies rhétoriques destinées à la cour qui a entendu l’affaire et a conservé la mémoire de l’incident. Pour notre propos, cependant, il est important que don Juan démontre toute son arrogance dans ses échanges avec ses hôtes, point qu’il ne fait aucun effort de masquer dans son témoignage — montrant qu’il considérait sa conduite comme normale et légitime. Face à sa démonstration de supériorité peu courtoise, sa requête impérieuse pour le gîte et le couvert et son idée injurieuse d’un droit de cuissage avec la femme de son hôte, don Juan s’attendait seulement à une humble acceptation. Est-ce que les bons habitants de la campagne de Mezquitic, des « pauvres décents, respectables et travailleurs » qui aurait pu être considérés comme des « honnêtes pauvres » avaient le droit de résister ? C’est ce qu’ils pensaient certainement. Mais dans ce cas-là, la cour n’avait aucun intérêt à limiter le droit de domination de don Juan. « Reproduire la signification de la notion d’Indien et renforcer les positions relatives des Espagnols et des Indiens dans la société coloniale » observe Frye, importait davantage que peser les mérites des argumentations individuelles comme si les parties en présence devaient recevoir un traitement équitable89.
RÉTABLIR L’ORDRE PAR LE DISCOURS
42De fait, si l’on adopte le point de vue des plaideurs espagnols, et plus particulièrement des défendeurs, les réactions sont globalement similaires d’un cas à l’autre : c’est la crispation qui prédomine et la constante mise en avant d’un statut considéré comme supérieur. Cette attitude conduit à une défense relativement « faible » en ce qui concerne l’argumentaire : l’accusé espagnol cherche davantage à discréditer l’adversaire qu’à prouver son innocence ou son bon droit, d’autant plus que l’adversaire appartient aux strates perçues comme « inférieures » de la société. À ce titre, le terme de « prétention » de l’adversaire revient souvent, comme pour mieux souligner l’incongruité de la démarche de populations métissées bien audacieuses. De fait, si l’on suit l’argumentaire des Espagnols, les plaignants appartenant aux castas sortent du cadre social et culturel qui leur est imparti, brouillent les lignes par leur dynamisme et leur réussite alors qu’en théorie, l’Espagnol se veut intouchable car situé au sommet de la pyramide sociale. Lorsqu’il décrit les sociétés américaines du début du XIXe siècle, Alexandre von Humboldt souligne ainsi les tendances pigmentocratiques du monde colonial :
Dans un pays gouverné par les Blancs, les familles qui sont censées être mêlées avec le moins de sang nègre ou mulâtre sont naturellement les plus honorées. En Espagne, c’est pout ainsi dire un titre de noblesse de ne descendre ni de Juifs ni de Maures. En Amérique, la peau plus ou moins blanche décide du rang qu’occupe l’homme dans la société. Un Blanc, qui monte pieds nus à cheval, s’imagine appartenir à la noblesse du pays. La couleur établit même une certain égalité entre des hommes qui, comme partout où la civilisation est ou peu avancée ou dans un mouvement rétrograde, se plaisent à raffiner sur les prérogatives de race et d’origine90.
43Or, un procès signifie par essence une remise en cause de cet état de fait : l’Espagnol peut être faillible et peut être dévalorisé par les castas par le biais de la justice, ce qui est considéré comme un phénomène inacceptable et une véritable déchéance, pour l’individu lui-même et aux yeux de la société. Plus largement, ces litiges semblent remettre en cause les définitions figées des identités et des positions sociales attachées à ces identités : c’est l’édifice mental de la société coloniale qui est alors mis à mal par le procès.
Espagnol | Casta |
Riche | Pauvre |
Dominant | Dominé |
Intouchable/Indépassable | Condamné à stagner |
Ne peut pas être pris en défaut | Porteur de tares multiples |
44Ce tableau (fig. 38) peut paraît bien manichéen à première vue, mais renvoie à une vision très schématique de la société coloniale par les élites. Un exemple précis permet d’illustrer ces réflexions : il s’agit du litige entre Joseph de la Cruz et Joseph de Luz Belza, copropriétaires de la mine Los Remedios (Vetagrande) en 172491. Le premier et principal propriétaire est Joseph de la Cruz, qui a fait don de huit barras de mine à l’Espagnol en 1721, tandis que lui-même en conservait seize. Au cours de la procédure, jamais Joseph de la Cruz n’est nommé par son adversaire mais est systématiquement désigné de manière péjorative comme « el Indio ». De toute évidence, Joseph de la Cruz est un ladino, originaire de San Luis Potosí92. Or Joseph de Luz Belza n’a de cesse de l’assimiler par le discours aux indigènes des réductions en rappelant l’impossibilité légale pour un Indien de posséder une mine. Il va plus loin encore en affirmant que ces mêmes Indiens doivent en outre garder leur place dans la société, celle de misérables et dominés : ils ne peuvent pas prétendre à un quelconque enrichissement car ils ne doivent jamais dépasser un Espagnol dans la hiérarchie sociale :
Les Indiens de la qualité de Joseph de la Cruz souffrent d’une incapacité naturelle pour exploiter [les mines] aussi bien parce que ce sont des personnes misérables que parce que le droit naturel que nous enseigne à tous la nature ne permet pas que certains, ou plutôt, qu’aucun puisse devenir riche dans l’injure et au détriment de l’autre, et il est certain que l’Indien pourrait le devenir aux dépends de mes intérêts financiers93.
45La lecture de son discours montre que cette éventualité n’est pas pensable et même insupportable. On peut y voir une peur (panique) du déclassement, voire une véritable peur identitaire : les hiérarchies économique et raciale semblent se confondre dans certains esprits si bien que bouleverser l’un conduit à bouleverser l’autre jusqu’à remettre en cause l’identité espagnole. C’est ainsi qu’un rejet très fort s’exprime dans un discours particulièrement agressif. Lorsque la décision de la justice locale va à l’encontre de ses attentes94, Joseph de Luz Belza réplique en faisant naturellement appel. Il développe alors un discours plus féroce encore convoquant une bonne partie des préjugés traditionnels attachés aux castas : son adversaire se trouve accusé non seulement d’escroquerie à l’encontre du royaume — lui laisser la mine plus longtemps se ferait au détriment du Trésor royal — mais aussi d’homicide — une gestion désastreuse aurait provoqué deux accidents mortels dans des mines anciennement possédées par Joseph de la Cruz95. De fait, l’Indien qui ne sait pas rester à sa place se voit rejeté du côté des « populations indignes » et se voit attribuer toutes leurs « tares » (malhonnêteté, vol, tromperie, voire meurtre) dans un dernier effort pour rétablir par la force discursive un ordre social perçu comme lourdement perturbé.
46Enfin, le discours tenu par le copropriétaire créole tout au long de la procédure permet de bien apprécier la complexité des enjeux du procès. Si pour Joseph de la Cruz, le dépôt d’une plainte a essentiellement pour but de faire valoir ses droits et défendre ses intérêts socio-économiques, les différentes déclarations de Joseph de Luz Belza montrent qu’aux yeux de l’Espagnol, le procès est révélateur d’une double dimension, socio-économique et socio-culturelle, la première paraissant même subordonnée à la seconde dans son esprit. L’argumentation qu’il développe au fil des pages semble en effet reposer sur un postulat très clair : c’est par la réaffirmation de son statut d’Espagnol et la disqualification de son adversaire indien que passe de toute évidence la reconnaissance de ses intérêts socio-économiques. Joseph de Luz Belza pousse même sa logique à son extrême dans la deuxième pièce de ce procès au long cours96. Si dans le premier document, la confrontation est directe entre les deux copropriétaires, dans le second, un intermédiaire apparaît en la personne du « défenseur des pauvres » don Juan Francisco Gorjón qui représente les intérêts de Joseph de la Cruz devant la justice. Si l’adversaire indien est naturellement la cible de la vindicte de Luz Belza, son représentant espagnol n’échappe pas à l’ire du copropriétaire créole qui va jusqu’à assimiler les différents procès menés par Gorjón comme « défenseur des pauvres » à autant d’actes de trahison : en acceptant de défendre les intérêts d’un Indien contre un Espagnol, Gorjón et ses semblables contribuent à perturber l’ordre social et trahissent le groupe créole dans son ensemble, ce qui est tout simplement impardonnable et doit être passible de punition97. Joseph de Luz Belza tient en fait un discours censé rappeler au juge quel doit être l’ordre colonial à rétablir et à préserver des fauteurs de troubles comme Joseph de la Cruz et de leurs protecteurs comme Juan Francisco Gorjón.
47Intérêts personnels et publics se mêlent donc dans les déclarations de certains Espagnols qui se posent en défenseur de l’idée d’une forme de société fortement hiérarchisée, organisée autour du pouvoir royal, à l’intérieur de laquelle chacun doit se conformer à la place qui lui est « par nature » dévolue afin de contribuer à la bonne marche de la monarchie. De ce point de vue, le cas de Joseph de Luz Belza est le plus marquant dans la mesure où son argumentaire est le plus développé et abouti dans cette logique de confusion des intérêts personnels et publics. Des exemples moins probants apparaissent toutefois régulièrement dans la documentation et traduisent une volonté implicite de faire valoir le « bon ordre » social perturbé par le litige et l’audace de populations qui ne savent pas rester à leur place. C’est ainsi que Antonio Murguia réfute la réclamation de dette formulée par le conducteur de mules Juan Briceño en rappelant qu’il est « un homme noble et bien connu dans le royaume pour sa conduite et sa qualité », raison pour laquelle « il faudrait prêter davantage foi à ses arguments qu’à la réclamation d’un coyote mulero, ennemi de son maître comme ils le sont tous98. » Dans le même esprit, Joseph Carrasco, opposé à la coyota Andrea Rodríguez pour l’obtention de la garde de deux enfants espagnols, tente de disqualifier cette dernière en soulignant ses origines « indignes », affirmant non seulement qu’elle n’est pas apte à élever des petits créoles en raison de son statut inférieur, qu’elle constitue une source de mauvaise influence pour de jeunes esprits mais aussi que ses déclarations ne doivent même pas être prises en compte par la justice99.
48Par conséquent, lorsqu’un casta emporte son procès en première instance, la situation est particulièrement mal vécue par l’Espagnol concerné. De fait, l’atteinte est double, à la fois matérielle et symbolique : les intérêts socio-économiques sont lésés et, pire encore aux yeux du plaideur défait, sa supériorité sociale supposée n’est visiblement pas reconnue par la justice locale. L’appel et le réexamen du litige par l’Audience de Guadalajara constituent alors un moyen de l’emporter au final — en dernière instance, être un Espagnol redevient visiblement un véritable avantage — et, dans le même temps, de remettre la société en ordre sur le plan symbolique. Déçus par la première décision, Antonio Murguia100 comme Joseph Carrasco101 font donc appel en espérant trouver une oreille plus attentive à leurs arguments et à leur réputation. De ce point de vue, la décision de l’Audience de Guadalajara dans le procès qui oppose Joseph Carrasco à Andrea Rodríguez est exemplaire : non seulement le jugement de première instance est cassé102 mais aussi Andrea est privée de tout recours lorsqu’elle se voit menacée d’une amende de cinq cents pesos103, somme considérable qu’elle ne peut pas payer, si elle ne cède pas la garde des enfants immédiatement104. À l’issue du second jugement, l’ordre social est rétabli, les jeunes espagnols seront dorénavant éduqués par un de leurs semblables et l’Indienne coyota est brutalement renvoyée à sa condition de soumission sociale et économique par la menace d’une amende dissuasive à l’extrême.
49Ainsi, à l’inverse, la justice d’appel, au niveau de l’Audience de Guadalajara semble agir comme un rempart pour les intérêts des élites. En effet, il est envisageable de se porter en justice à l’échelle locale, notamment lorsque l’on réside et travaille à proximité de Zacatecas, chef-lieu du corregimiento puis de l’intendance. En revanche, la distance qui sépare Guadalajara de Zacatecas induit un voyage long et coûteux, ou le recours à un représentant, ce qui favorise de facto les catégories les plus aisées. De ce point de vue, se pourvoir en appel est autant une manière de l’emporter sur le plan purement juridique que d’épuiser les ressources de son adversaire. Ce ne sont pas les arguments juridiques qui permettent de l’emporter au bout de la procédure mais plutôt les capacités financières. En outre, les officiers de l’Audience se recrutent essentiellement parmi des péninsulaires ou les familles créoles les plus en vue105 : il n’est alors guère étonnant de voir les juges de Guadalajara prendre des décisions tendant à défendre les intérêts de leur propre groupe et, au-delà, une certaine vision de l’ordre social dans lequel la position des élites espagnoles ne doit pas être menacée. En définitive, si la justice locale de la première moitié du XVIIIe siècle peut être considérée comme le théâtre d’un certain bouleversement de l’ordre social par le discours, la justice d’appel apparaît comme le lieu de la réaffirmation de la hiérarchie sociale, comme la place où les doléances ignorées des défendeurs espagnols sont enfin écoutées.
50Si les différents discours étudiés dans ce chapitre ne peuvent en aucun cas être considérés comme des reflets fidèles de la réalité quotidienne, il n’en demeure pas moins que l’ensemble des stéréotypes employés — qu’ils soient péjoratifs ou, plus rarement, positifs — et les effets rhétoriques déployés par les plaideurs et leurs représentants participent d’une certaine théâtralisation des rapports sociaux dans le cadre du litige. Plaignants et défendeurs se mettent littéralement en scène pour obtenir le meilleur résultat possible — versement de la dette réclamée, obtention d’un non-lieu, confirmation d’un affranchissement — et, agissant de la sorte, tendent à reproduire, renforcer ou, au contraire, remettre en cause les rapports sociaux de manière ponctuelle — le temps du litige — et symbolique — tout se joue au niveau des discours. De fait, reproduire l’image du « pobre miserable », c’est-à-dire du « pauvre méritant » est une manière de jouer un rôle, convenu et convenable, attendu par les élites coloniales. À l’inverse, le simple fait de vouloir attaquer un Espagnol en justice est parfois vécu comme une véritable offense, si ce n’est réelle, du moins symbolique, ce qui, pour certains individus, est insupportable dans une société où les hiérarchies réelles — socioéconomiques — et mentales — socio-raciales — sont intimement mêlées. Nous pouvons évoquer à nouveau R. E. Boyer :
Les esclaves dans le Brésil du XIXe siècle et les Indiens du Mexique du XVIIIe siècle défièrent et menacèrent l’identité d’élites surprenamment vulnérable en affirmant simplement des aspects de leur propre identité sortant du cadre uni-dimensionnel de leur rôle de subordonnés106.
51De ce fait, c’est toute une construction rêvée de la société coloniale qui transparaît au fil des discours, parfois instrumentalisée et retournée, souvent affirmée et renforcée par la parole. L’auteur américain poursuit :
Dans ce monde complexe, l’identité a évolué dans un environnement baroque qui tendait advantage à dramatiser la différence qu’à l’immerger. Les personnes établissaient des limites, elles incluaient et excluaient, elles se classaient les unes les autres. Pourquoi des classifications ? Parce que les évaluations sous-entendent des hiérarchies. Elles sous-entendent des degrés de consensus hégémonique, mais aussi, à travers les insultes, l’humour, les gestes et les rituels, des contre-hiérarchies mélangeant la protestation et l’affirmation. Néanmoins, la fabrication des évaluations était informée par un sens des valeurs dépendant d’autrui. Il est intéressant de remarquer, par conséquent, la manière dont les personnes se situaient elles-mêmes comme elles situaient autrui. Qu’il s’agisse de pairs ou d’inégaux, un individu peut les imaginer sur un axe hiérarchique, incliné entre des points supérieurs et inférieurs pour les inégaux, applani pour les pairs. Cependant, les positions restaient de l’ordre des déclarations, et non pas des faits. Il en résulte que [ces positions] étaient souvent contestées dans un processus qui reliait l’identité à une politique de la situation et de la région107.
52Ces phénomènes apparaissent avec le plus de force au cours du premier XVIIIe siècle, période qui fournit de fait un terrain favorable à l’élaboration de stratégies offensives par les plèbes urbaines. Dans ce contexte, l’usage de stéréotypes forts et récurrents présente non seulement une caricature des castas bien éloignée de la réalité, mais permet surtout de toucher du doigt les angoisses identitaires d’un groupe créole parfois déstabilisé par la progression démographique et surtout l’ascension socio-économique réelles de populations qui remettent en cause les premiers fondements de la société coloniale tels qu’ils ont été établis au XVIe siècle. De ce point de vue, la permanence de ces clichés au XVIIIe siècle peut être perçue comme le refus des évolutions socioéconomiques en cours par une partie du monde colonial, pour tout dire les élites, minorités favorisées, et marque de ce fait un fossé croissant entre représentations et réalité.
53À l’issue de ces deux premières parties, domine l’impression d’une grande hétérogénéité des individus et des comportements, selon les personnes, les espaces et les moments si bien qu’il paraît difficile de donner une vision globalisante des populations métissés. Les figures sont en effet multiples, depuis le comisario del campo jusqu’au brigand, en passant par l’esclave sûr de son bon droit. Dans cette grande diversité, il semble en outre que le Centre-Nord, loin d’être un simple cadre, joue un rôle essentiel et fournit à la fois un refuge pour les hommes et les femmes en rupture de ban et un terrain riche en possibilités pour qui sait les saisir : le portrait d’un groupe social s’est ainsi rapidement transformé en tableau d’une région riche d’opportunités dans la première moitié du XVIIIe siècle et frappée par un dur mouvement de fermeture sociale à partir de 1750. C’est à travers les procès — et plus particulièrement ceux qui opposent castas et Créoles devant la justice locale — que ces espaces de mobilité sont le plus perceptible. Par une utilisation judicieuse des discours, certains castas parviennent même à déstabiliser le rapport de force colonial le temps d’un procès, d’un témoignage même, audace qui explique la férocité du discours créole en réponse. Sur le plan social, la documentation judiciaire et notariale révèle donc une population mouvante, aux dynamiques bien complexes : si le groupe dans son ensemble apparaît relégué aux marges de la société coloniale, il est indéniable que le contexte propre aux sociétés minières du Centre-Nord dans la première moitié de la période fournit un terrain favorable aux entreprises individuelles. Une telle complexité des situations et des attitudes devient plus marquée encore lorsque l’on glisse du domaine social à la sphère culturelle, identitaire et religieuse.
Notes de bas de page
1 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 04, Exp. 04.
2 Ibid., fº 32r.
3 AHEZ, Ayuntamiento, Minería, Varios, Caja 1, 1716.
4 Ibid., fº 26r.
5 Fr. Langue, Mines, terres et société à Zacatecas (Mexique) de la fin du XVIIe siècle à l’indépendance.
6 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 04, fº 7r.
7 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 04, fº 9r.
8 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 04, f°s 27-29.
9 AHEZ, Ayuntamiento, Minería, Varios, Caja 1, 1716, fº 30.
10 AHEZ, Ayuntamiento, Minería, Varios, Caja 1, 1716, fº 35.
11 AHEZ, Poder judicial, Criminal, Caja 10, Exp. 33.
12 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 29, Exp. 12, fº 41r.
13 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 04, Exp. 04, f°s 43-45.
14 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 24, Exp. 14 ; AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 24, Exp. 20.
15 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 24, Exp. 14, f. 1r.
16 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 24, Exp. 14, f. 5r.
17 Ibid.
18 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 24, Exp. 20.
19 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 30, Exp. 02, fº 3r.
20 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 33, Exp. 10.
21 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 05, Exp. 19.
22 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 06, Exp. 04.
23 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 24, Exp. 14, fº 1r.
24 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 30, Exp. 02.
25 C’est le cas de Mateo de Covarrubias : il utilise le fait d’avoir fondé une famille comme argument pour légitimer son désir d’affranchissement, sous-entendant qu’un esclave ne peut être un chef de famille digne de ce nom, et même qu’il existe une sorte d’incompatibilité entre les deux états. Il affirme ainsi « no poder por no ser suelto mantener su familia » (AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 24, Exp. 14, fº 5r.).
26 María Antonia, qui désire changer de maître, cherche en effet à se marier (AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 30, Exp. 02, fº 1r).
27 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 30, Exp. 02, fº 1r.
28 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 05, Exp. 19, fº 1r.
29 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 06, Exp. 04, fº 1r.
30 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 06, Exp. 04, fº 2r.
31 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 06, Exp. 04, fº 13r.
32 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 30, Exp. 02, fº 3r.
33 Th. Calvo, « Les vices-rois et la plèbe », pp. 37-64.
34 Th. Bouysse Cassagne et Th. Saignes, « Le cholo, absent de l’histoire andine » p. 31 et V. Lavou Zoungbo et M. Viveros Vigoya, (2004) Mots pour Nègres. Maux de Noir(e)s.
35 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 50, Exp. 33 f°s 1v-2r.
36 B. Lavallé, « ¿Estrategia o coartada ?, el mestizaje según los disensos de matrimonios en Quito (1778-1818) », p. 97.
37 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 50, Exp. 33 fº 3v.
38 J.-P. Zuñiga, Espagnols d’outre-mer. Émigration, métissage et reproduction sociale à Santiago du Chili au XVIIe siècle.
39 J.-P. Zuñiga, « La voix du sang. Du métis à l’idée du métissage en Amérique Espagnole », p. 450.
40 T. Herzog, « Penser l’exclusion : les discours espagnols et hispano-américains sur l’Autre (autour de 1740-1811) », p. 194.
41 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 04, Exp. 30.
42 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 17, Exp. 21 fº 21v.
43 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 21, Exp. 24 fº 16r.
44 Ibid., fª 15r.
45 Ibid.
46 Geremek, La potence ou la pitié. L’Europe et les pauvres, du Moyen Âge à nos jours.
47 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 21, Exp. 24, fº 15r.
48 M. Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique.
49 La référence biblique que l’on retrouve dans le Deutéronome XV, 7-11 permet d’illustrer la construction mentale qui repose sur « l’idéal de la pauvreté » : « Tu n’endurciras pas ton cœur ni ne fermeras ta main à un frère pauvre, mais tu lui ouvriras la main et lui prêteras ce qui lui manque […] Quand tu lui donnes, tu dois lui donner de bon cœur, car pour cela Yahvé ton Dieu te bénira dans toutes actions et dans tous tes travaux. » Cette idée est renforcée dans le Nouveau Testament qui montre le Christ choisissant de naître pauvre. L’image du pauvre que l’on doit assister se trouve ainsi à la confluence des traditions de l’Ancien et du Nouveau Testament.
50 AHEZ, Poder judicial, Criminal, Caja 05, Exp. 08 fº 1r.
51 Ibid., fº 1v.
52 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 04, Exp. 30 fº 1r.
53 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 03, Exp. 22 fº 1r et fº 15r.
54 AHEZ, Poder judicial, Criminal, Caja 09, Exp. 02 fº 8v.
55 AGI, México, 2245 « Excelentisimo Señor... La progresiva experiencia con que VE ha dedicado el noble afán... », fº 1v.
56 Ibid., fº 3v.
57 AGI, México, 2242, « Testimonios relativos de los expedientes formados sobre las gracias de exención de derechos o baja en el precio de azogue y pólvora… 1790 » fº 2v.
58 AGI, México, 2240, « Lettre 7 octobre 1780 du Tribunal de Minería au vice-roi. »
59 B. Garnot, Histoire de la justice. France, XVIe-XXe siècle.
60 AHEZ, Poder judicial, Criminal, Caja 03, Exp. 24.
61 T. Herzog, Rendre la justice à Quito (1650-1750), pp. 207-226.
62 AHEZ, Ayuntamiento, Minería, Varios, Caja 1, 1716.
63 AHEZ, Ayuntamiento, Minería, Varios, Caja 1, 1716 fº 27r.
64 AHEZ, Ayuntamiento, Minería, Varios, Caja 1, 1716 fº 30r.
65 B. Garnot, Histoire de la justice. France, XVIe-XXe siècle.
66 Ibid.
67 J. C. Bristol, Christians, blasphemers and witches : afro-Mexican ritual practice in the 17th century, p. 121.
68 Voir AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 30, Exp. 02 et AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 35, Exp. 28.
69 B. Garnot, Histoire de la justice. France, XVIe-XXe siècle, p. 174.
70 Ibid.
71 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 23, Exp. 03.
72 Ibid., fº 6.
73 Ibid., f°s 6-8.
74 AHEZ, Poder judicial, Criminal, Caja 10, Exp. 33 fº 4.
75 AHEZ, Poder judicial, Criminal, Caja 15, Exp. 10 fº 3.
76 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 18, Exp. 01, f°s 11-13.
77 Ibid., fº 13r.
78 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 24, Exp. 17, fº 1.
79 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 17, Exp. 21.
80 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 18, Exp. 05
81 AGI, México, 2246 « Madrid, 18 de junio de 1803. El tribunal de Minería de Nueva España » fº 1r.
82 AHEZ, Ayuntamiento, Minería, Varios, Caja 2, 1741.
83 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 18, Exp. 05.
84 Ibid., fº 2r.
85 Ibid., fº 1v.
86 Ibid., fº 1v.
87 R. E. Boyer, « Respect and identity : horizontal and vertical reference points in speech acts », p. 504.
88 R. D. Cope, The Limits of Racial Domination. Plebeian Society in Colonial Mexico City, 1660-1720, p. 4.
89 R. E. Boyer, « Respect and identity : horizontal and vertical reference points in speech acts », pp. 500-501.
90 A. Von Humboldt, L’Amérique en 1800, récit d’un savant allemand, p. 242.
91 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 17, Exp. 21.
92 Ibid., fº 1r.
93 Ibid., fº 21r.
94 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 18, Exp. 02 fº 2v.
95 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 17, Exp. 21 fº 32.
96 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 18, Exp. 02 fº 1.
97 Ibid., fº 5v.
98 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 04, Exp. 30 fº 17r.
99 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 04, Exp. 04 fº 7.
100 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 04, Exp. 30 fº 36r.
101 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 04, Exp. 04 fº 34r.
102 Ibid., fº 44r.
103 Rappelons à ce titre que le salaire moyen des mineurs varie entre quelques reales et trois pesos au cours du XVIIIe siècle.
104 AHEZ, Poder judicial, Civil1, Caja 04, Exp. 04 fº 45v.
105 M. A. Burkholder et D. S. Chandler, From Impotence to Authority. The Spanish Crown and the American Audiencias, 1687-1808.
106 R. E. Boyer, « Respect and identity : horizontal and vertical reference points in speech acts », p. 509.
107 Ibid., p. 492.
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