Résumés
p. 461-468
Texte intégral
RÉSUMÉ
1L’histoire impériale de l’Espagne trouve ses origines dans le royaume asturo-léonais des IXe-XIe siècles, dont quelques souverains furent appelés imperatores. Parfois, c’est leur pouvoir qui fut qualifié d’imperium. Ce phénomène demeura indirect d’abord, les rois étant ainsi qualifiés soit de leur vivant dans des documents extérieurs à la cour, soit après leur mort dans les diplômes de leurs successeurs et dans des textes narratifs. Il déboucha par la suite sur une expérience originale, du règne d’Alphonse VI (1065-1109) à celui d’Alphonse VII (1126-1157). Les souverains castellano-léonais assumèrent alors le titre à la première personne et lui adjoignirent une projection péninsulaire en se déclarant imperatores totius Hispaniae.
2Ce particularisme de l’Histoire espagnole a, par le passé, suscité d’intenses polémiques au sein de l’historiographie espagnole. L’objet du présent ouvrage est donc, à partir d’une réflexion dépassionnée sur le sujet, de mettre à jour les enjeux liés à la notion d’imperium en termes d’idéologies monarchiques.
3Jusqu’au règne de Ferdinand Ier (1037-1065), le phénomène demeure marginal. Il n’est le fait que de quelques scribes léonais désireux de souligner dans leurs chartes le pouvoir supérieur — l’imperium — dont jouit leur souverain, qui lui-même n’emploie pas le titre d’imperator. Les pratiques recensées sont à mettre en rapport avec l’utilisation qui était faite jusqu’alors du champ lexical de l’imperium pour désigner l’autorité, et notamment celle, suprême et indiscutable, d’un roi, d’un magnat, ou même de Dieu. Un tel usage, essentiellement rhétorique, n’est d’ailleurs pas propre à la qualification des souverains léonais. Il donne cependant lieu à la fin de la période à une démarche originale avec l’introduction dans la datation des chartes privées émises dans la région léonaise de la formule regnum-imperium, qui permet de renforcer dans la redondance l’exclusivité du pouvoir royal.
4Le règne d’Alphonse VI de Castille-León (1065-1109) marque une évolution importante puisqu’est alors adopté le titre d’imperator totius Hispaniae au sein des diplômes forgés par la chancellerie royale naissante. Il est pour lors l’expression d’une hégémonie castellano-léonaise sur l’Hispania, certes encore idéale, mais autorisée par l’ampleur de l’influence exercée par Alphonse VI au-delà de son royaume. L’idée impériale n’est cependant pas univoque ni figée, et la diversité des titulatures employées dans les diplômes révèle une idéologie en gestation. À la faveur de la conquête de Tolède, elle s’est notamment orientée vers une assimilation avec l’idéologie néogothique. Cette réorientation signale toutefois les limites de l’idée impériale, car l’image de l’empereur Alphonse VI laisse place à celle du conquérant de Tolède, plus fédératrice, et la mémoire collective confirme cette évolution en ignorant la première au profit de la seconde.
5Les années de guerre civile qui suivent la mort d’Alphonse VI donnent lieu à un reflux du phénomène impérial. Dans les diplômes de sa fille la reine Urraca (1109-1126), l’idée d’empire ne se manifeste qu’à quelques rares reprises sous la forme féminisée du titre imperatrix. Elle est surtout liée à la rivalité qui l’oppose à son ancien époux Alphonse Ier d’Aragon « le Batailleur » (1104-1134) qui s’est, lui, approprié le titre en signe de revendication d’une autorité sur l’héritage de la reine. Ces luttes d’influence ont cependant induit la survie du phénomène. Par ailleurs, loin d’être anecdotique, la titulature impériale est omniprésente dans les actes du Batailleur, jusqu’à ce qu’il convienne de l’abandonner au profit d’Alphonse VII. Or, son emploi traduit aussi une idée impériale propre, dans laquelle la signification militaire contenue dans le terme imperator est, tout particulièrement, privilégiée.
6Vient enfin la dernière étape du phénomène, celle qui a donné lieu à la construction idéologique la plus aboutie. Dans la continuité de la rivalité qui avait opposé sa mère Urraca et son beau-père Alphonse Ier, Alphonse VII (1126-1157) récupère dès sa montée sur le trône le titre d’imperator totius Hispaniae. Son règne impérial débute toutefois véritablement en 1135, à la faveur d’un couronnement solennel qui fait de l’idéologie impériale la composante essentielle de son image monarchique. L’empire d’Alphonse VII se proclame hispanique, mais ne se limite pas stricto sensu à l’Hispania. S’il est étroitement lié à la fonction de combattant de son détenteur, son sens est également conditionné par une nouveauté: son fondement vassalique, qui fait de l’empereur un suzerain plus qu’un souverain. Surtout, les vecteurs dans lesquels est forgée et diffusée l’idée impériale se multiplient. Aux diplômes, dont le formulaire est intégralement « impérialisé », viennent s’ajouter le support monétaire et la narration historique, avec la Chronica Adefonsi Imperatoris. C’est donc à une véritable systématisation idéologique qu’on assiste. En conséquence, l’image de l’empereur Alphonse VII survit longtemps à sa mort, même si elle est déformée par la mémoire collective qui n’en retient que le surnom d’imperator.
7Le recours récurrent au concept d’imperium, dans le royaume léonais du IXe au XIIe siècle, pour qualifier l’autorité royale, dénote donc une capacité à construire des idéologies variées à partir de l’exploitation de la diversité de sens contenue dans une même notion.
RESUMEN
8La historia imperial de España se remonta al reino asturleonés de los siglos IX-XI. Se denominó entonces a algunos soberanos imperatores y su poder, en ocasiones, se calificó de imperium. Este fenómeno fue al principio indirecto: se designaba así a los reyes, tanto a lo largo de su vida, en documentos ajenos a la corte, como tras su fallecimiento, en los diplomas de sus sucesores y en textos narrativos. Más tarde, entre el reinado de Alfonso VI (1065-1109) y el de Alfonso VII (1126-1157) se transformaría en una experiencia original. Los soberanos castellano-aragoneses asumieron entonces el título en primera persona añadiéndole una proyección peninsular al declararse imperatores totius Hispaniae.
9Esta particularidad de la historia ibérica ha suscitado intensas polémicas en el seno de la historiografía española. El presente volumen tiene como objeto, a partir de una reflexión desapasionada sobre el tema, esclarecer los retos vinculados a la noción de imperium en términos de ideologías monárquicas.
10Hasta el reinado de Fernando I (1037-1065) se trata de un fenómeno marginal, obra de algunos escribas leoneses que deseaban subrayar en sus cartas el poder superior el imperium — que disfrutaba su soberano que, por su parte, nunca utilizaba el título de imperator. Las prácticas inventariadas están vinculadas con la utilización que se hacía entonces del campo léxico del imperium para designar la autoridad y, especialmente, la autoridad suprema e indiscutible de un rey, un prócer o incluso de Dios. Semejante uso, esencialmente retórico — que no es por otro lado exclusivo de los soberanos leoneses —, da lugar al final de este periodo a un proceder original cuando se introduce en la datación de cartas privadas emitidas en la región leonesa la fórmula regnum-imperium, que permite reforzar mediante la redundancia la exclusividad del poder real.
11El reinado de Alfonso VI de Castilla y León (1065-1109) marca una evolución importante ya que se adopta en ese momento el título de imperator totius Hispaniae en los diplomas elaborados por la recién creada cancillería real. Supone la expresión de la hegemonía castellano-leonesa sobre Hispania, aunque esta sea aún solo ideal, autorizada por la magnitud de la influencia ejercida por Alfonso VI más allá de su reino. La idea imperial no es, sin embargo, unívoca ni fija, y la diversidad de los títulos empleados en los diplomas revela una ideología en gestación. Gracias a la conquista de Toledo se orienta principalmente hacia una asimilación con la ideología neogótica. Esta reorientación señala, no obstante, los límites de la idea imperial, pues la imagen del emperador Alfonso VI cede el paso a la del conquistador de Toledo, más federadora, a la vez que la memoria colectiva confirma dicha evolución ignorando la primera en beneficio de la segunda.
12Los años de guerra civil que se suceden a la muerte de Alfonso VI suponen un retroceso del fenómeno imperial. En los diplomas de su hija la reina Urraca (1109-1126), la idea de imperio solo aparece en contadas ocasiones bajo la forma feminizada del título imperatrix. Está sobre todo ligada a la rivalidad que mantiene con su antiguo esposo Alfonso I de Aragón «el Batallador» (1104-1134) que se había apropiado del título como signo de reivindicación de su autoridad frente a la herencia de la reina. Estas luchas de poder motivaron, sin embargo, la persistencia del fenómeno. Por otro lado, lejos de ser anecdótico, el título imperial aparece de forma omnipresente en las actas del «Batallador», hasta su abandono en beneficio de Alfonso VII. Ahora bien, su uso implica también una idea imperial propia, donde prima, de forma particular, el significado militar contenido en el término imperator.
13Llegamos así a la última etapa de este fenómeno que dará lugar a su construcción ideológica más acabada. Alfonso VII (1126-1157), continuando la rivalidad que había enfrentado a su madre, Urraca, con su marido, Alfonso I, recupera en cuanto asciende al trono el título de imperator totius Hispaniae. Su reinado imperial comienza realmente, sin embargo, en 1135, gracias a una solemne coronación que hace de la ideología imperial la componente esencial de su imagen monárquica. El imperio de Alfonso VII se proclama hispánico, pero no se limita stricto sensu a Hispania. Aunque está estrechamente ligado a la función guerrera de su poseedor, su sentido se verá asimismo condicionado por una novedad: al fundamentarse en el vasallaje convierte al emperador en un suzerain más que en un soberano. Además, los vectores en los que se ha forjado y difundido la idea imperial se multiplican. A los diplomas, cuya formulación ya está íntegramente «imperializada», se añaden el soporte monetario y la narración histórica, con la Chronica Adefonsi Imperatoris. Asistimos pues a una verdadera sistematización ideológica. En consecuencia, la imagen del emperador Alfonso VII pervivirá de forma duradera tras su muerte, aunque quede deformada por la memoria colectiva que solo retendrá el apodo de imperator.
14El recurso recurrente al concepto de imperium en el reino leonés de los siglos IX y XII para calificar a la autoridad real denota pues una gran capacidad para construir diferentes ideologías a partir de la explotación de la diversidad semántica contenida en una misma noción.
SUMMARY
15Spain’s imperial history has its roots in the Astur-Leonés kingdom of the 9th-11th centuries, some of whose sovereigns were dubbed imperatores. In some cases the reference to imperium reflected their power. Initially this had no direct effects; while alive, kings were so titled in documents not issued by the court, or else in the diplomas of their successors and accounts of their lives once they were dead. It eventually produced a curious process, which lasted from the reign of Alfonso VI (1065-1109) to that of Alfonso VII (1126-1157). The monarchs of Castile-León then assumed the title in the first person and added a peninsular-wide dimension, declaring themselves imperatores totius Hispaniae.
16In the past this particularist tendency in Spanish history has provoked intense controversy among Spanish historiographers. The aim of this work is thus to take a dispassionate look at the subject and reassess the agendas linked to the notion of imperium in terms of monarchical ideology.
17Until the reign of Fernando I (1037-1065), this development was purely marginal. It was essentially a matter of some leonese scribes seeking in their charters to highlight the superior power — imperium — enjoyed by their sovereign, who himself never actually used the title imperator. The practices referred to must be viewed in the light of the way in which the lexical field of imperium was used until then to connote authority — particularly the supreme, indisputable authority of a king, a magnate, or of God himself. Such usage, which was essentially rhetorical, was not moreover an official element of the designation of Leonese sovereigns. Nonetheless, at the close of the period it prompted an original response in which the dating of private charters issued in the region of León introduced the formula regnum-imperium, in which the redundancy served to underline the exclusive nature of the royal power.
18The reign of Alfonso VI of Castile-León (1065-1109) marks a significant departure in that the title imperator totius Hispaniae began to appear in the diplomas issued by the nascent royal chancery. In this case it seeks to express Castile-Leonese hegemony over Hispania, which was then only an aspiration but was rendered credible by the considerable influence exerted by Alfonso VI beyond the borders of his kingdom. However, the imperial notion was not a precisely-defined one, and the variety of titles used in the royal diplomas reveals a set of ideas in the process of formation. In the context of the conquest of Toledo it was especially closely associated with neo-Gothic ideas. Nonetheless this change of orientation marks the limits of the imperial notion; the image of Alfonso VI as emperor was replaced by the more agglutinative one of the conqueror of Toledo, and that shift was confirmed in the collective memory, which ignored the first in favour of the second.
19The years of civil war which followed the death of Alfonso VI saw a resurgence of the imperial phenomenon. In the diplomas of his daughter Urraca (1109-1126), the idea of empire is only appreciable in rare instances in the feminine form of the title imperatrix. This is associated above all with the rivalry between her and her former husband Alfonso I “the Battler” of Aragon (1104-1134), who assumed the title as a token of his claim to authority over the queen’s inheritance. These struggles for influence nevertheless helped keep the phenomenon alive. Moreover, far from being anecdotic, the allusions to imperial title are omnipresent in the documents of the Battler until he eventually agreed to desist in favour of Alfonso VII. Be it said nonetheless, that his use of it also conveyed a particular imperial idea in which the military import was the foremost aspect of the term imperator.
20At last came the third phase of the phenomenon, the one at the root of the most widely-accepted ideological construct. Carrying on the rivalry that had marked relations between his mother Urraca and his father-in-law Alfonso I, as soon as he acceded to the throne Alfonso VII (1126-1157) reinstated the title of imperator totius Hispaniae. However, his imperial reign was really inaugurated in 1135, on the occasion of a solemn coronation ceremony in which the notion of empire was set at the heart of his monarchical image. Although avowedly Hispanic, Alfonso VII’s empire was not confined strictly speaking to Hispania. While closely related to the holder’s combative function, the signification of the title also contained a new element, namely the notion of vassalage whereby the emperor was conceived more as suzerain than sovereign. Above all, there was a multiplication of the vectors through which the imperial idea was forged and disseminated. After the diplomas, whose formalisms were thoroughly “imperialised”, came the coinage and historical narrative, with the Chronica Adefonsi Imperatoris. What we have, then, is a veritable systematising of the ideological basis. Consequently the imperial image of Alfonso VII remained long after his death, albeit deformed by the collective memory, where only the soubriquet imperator survived.
21Thus, the recurring use of the concept of imperium in the Leonese kingdom of the 9th to 12th centuries to qualify the royal authority indicates a capacity to build variegated ideological constructs by taking advantage of the diversity of meanings implicit in a single notion.
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