Les bibliothèques virtuelles et réelles des franciscains en Inde au xviie siècle
p. 151-169
Texte intégral
1Pour les personnes nées à Goa dans le milieu catholique, l’influence franciscaine et son rôle dans la construction de l’identité des populations chrétiennes qui y vivent sont incontestables1. Dans le discours quotidien, on explique les différences de comportement, d’attitude ou de conception de la communauté entre les habitants des territoires de Bardez et, par exemple, ceux de Salcete, par la conversion, selon qu’elle est due aux franciscains, pour les premiers, ou aux jésuites, pour les seconds.
2Si l’on excepte les études d’Achilles Meersman2, Félix Lopes3 et quelques autres auteurs4, cette mémoire collective n’a pas rencontré d’écho dans l’historiographie des missions portugaises de ce territoire à l’époque moderne. Contrairement à ce qui s’est passé pour l’empire espagnol — où l’importance de la présence franciscaine est indéniable —, la plupart des interprétations sur les missions franciscaines en Asie ont été vues à travers le prisme des récits jésuites. La prépondérance de ces derniers, favorisée par la quantité et la qualité des sources disponibles, a contribué à raréfier les études sur les autres instituts religieux et à entretenir ainsi un discours historiographique dominé par l’hégémonie jésuite sur les pratiques missionnaires dans l’Estado da Índia.
3Cette influence, incontestable, fut cependant moins importante qu’on ne le pense. À la disparité des sources disponibles (cette pénurie est encore plus importante dans le cas des franciscains portugais) s’ajoute le fait que les jésuites avaient particulièrement bien réussi à divulguer leurs actions évangéliques. De cette manière, ils ont été avantagés dans le processus de construction/réception de la mémoire, comme ils le furent également dans les modalités de leur implantation locale, perçue comme de plus en plus légitime par les différents pouvoirs5.
4Bref, la carence de témoignages documentaires alternatifs dans une historiographie qui dépend, pour une large part, de la documentation écrite, y compris à l’époque moderne pour laquelle l’écrit et l’imprimé n’avaient pas encore acquis l’importance qu’ils devaient avoir ensuite6, a étayé la conviction que cette absence était due à l’inefficacité de l’action missionnaire des autres acteurs religieux. Quelle qu’en soit la cause, pénurie de sources ou d’analyses7, le résultat est presque toujours le même : les jésuites dominent statistiquement l’historiographie de l’évangélisation dans l’empire portugais. Ils sont ainsi devenus un modèle, ou une matrice à partir de laquelle on pense les autres expériences, conditionnant de cette manière les lectures du paysage historique des xvie et xviie siècles. Même l’historiographie la plus récente continue à reproduire ce déséquilibre dans les synthèses8.
5Comment contourner ce piège construit par les modalités du travail de l’historien et qui réduit au silence une grande partie des expériences, les rendant pratiquement inaccessibles ? Comment cette conscience peut-elle nous alerter sur les préjugés et les limites méthodologiques de la construction du savoir et la manière dont ils rendent invisibles les expériences autres ?
6Je crois qu’une des manières d’y parvenir est de constituer en objets d’étude les lieux les moins visibles, en parler, les doter d’une présence sur la scène historique, y compris lorsque, en raison de la qualité même de l’information disponible, ce à quoi on aboutit n’est ni très sophistiqué, ni très complexe, ni très approfondi. Il devient ainsi possible d’arracher à l’oubli des expériences qui deviendront, à leur manière, subalternes. Cette position de subordination peut d’ailleurs atteindre le centre même, et en faisant appel à cette analogie, j’ai pleinement conscience de ses implications politiques.
7C’est cette réflexion qui justifie que les savoirs que les franciscains de l’Estado da India partageaient et pouvaient mobiliser dans leurs pratiques missionnaires fassent l’objet de ce travail. Cette question n’a pas attiré l’attention des chercheurs malgré la vaste bibliographie qui existe sur les pratiques intellectuelles des ordres mendiants au Moyen Âge9. Même en tenant compte des controverses qui divisèrent l’ordre franciscain, creusant un fossé toujours plus grand entre conventuels et spirituels, et qui aboutirent à l’interdiction de la circulation de livres à l’intérieur même de l’ordre, l’importance du patrimoine intellectuel implicite dans les pratiques de prédication franciscaines est incontestable. Celles-ci, comme l’a démontré l’historiographie récente, ont inspiré l’art oratoire sacré post-tridentin et ont imprégné les documents du xvie siècle sur la prédication10 bien que ce constat, comme l’a souligné Corrie Norman11, n’ait pas débouché sur de grandes avancées en ce qui concerne ces pratiques dans le milieu franciscain à proprement parler.
8S’il en est ainsi dans l’historiographie internationale, dans le cas de l’expérience franciscaine dans le contexte asiatique de l’empire portugais, les recherches les plus importantes sur la présence de l’ordre franciscain en Inde ont privilégié la dimension institutionnelle. Les excellents travaux de Félix Lopes et d’Achilles Meersman se sont appuyés sur toute la documentation disponible — ce corpus inchangé continue d’être investi par les nouvelles recherches. Ils furent cependant produits dans un contexte académique dominé par d’autres problématiques et questionnements (auxquels ils tentèrent, avec succès, d’apporter une réponse).
9Ces mêmes sources, soumises à d’autres questionnements et méthodes d’analyse, peuvent-elles révéler des informations significatives pour la reconstruction de modèles et de pratiques d’apostolat de l’ordre franciscain ainsi que sur la culture intellectuelle des frères mineurs qui se rendaient en Inde ou y résidaient12 ?
10En ayant pour cadre cet horizon ainsi problématisé, je crois que la reconstruction des inventaires des bibliothèques franciscaines de l’empire portugais, des lectures des franciscains in loco, et des usages qu’ils faisaient de ces lectures peut fournir des pistes intéressantes. Il est vrai qu’une série de vicissitudes a provoqué la dispersion ou la perte des fonds complets d’une bonne partie des bibliothèques franciscaines : ils furent détruits ou éparpillés entre différentes collections publiques ou privées, ce qui rend leur reconstruction difficile. C’est ainsi que l’étude des bibliothèques des franciscains en Inde est de l’ordre de l’improbable et c’est pourquoi ce travail a certaines limites qui présupposent le développement d’une méthodologie créative.
11L’étude des bibliothèques franciscaines portugaises est conduite, depuis plusieurs années, par José Adriano de Carvalho, et c’est dans ce contexte que furent publiés, en dehors de travaux épars, les inventaires des bibliothèques des couvents de Ponte, de Lima et de Caminha, au nord du Portugal, réalisés au xixe siècle lors du processus de suppression des ordres religieux portugais13. Les inventaires des spoliations de l’importante bibliothèque du couvent d’Arrábida, chef-lieu de la Province du même nom, et d’une partie de la bibliothèque du couvent Saint-François de Xabregas, dans l’Algarve, sont par ailleurs bien connus14. Une recherche minutieuse dans les fonds anciens de la Bibliothèque nationale de Lisbonne permettra également de dresser l’inventaire de la spoliation du couvent Saint-François de Lisbonne, à la tête de la Province du Portugal. En outre, on oublie souvent qu’une grande partie de la bibliothèque de l’Académie des sciences de Lisbonne provient de la bibliothèque du couvent de Jésus des tertiaires franciscains.
12Notre analyse dialogue ainsi, en premier lieu, avec ce cercle historiographique qui a privilégié les bibliothèques des couvents portugais, et plus particulièrement les bibliothèques franciscaines. La reconstruction des bibliothèques franciscaines de l’empire asiatique — sur lesquelles il n’existe actuellement qu’une seule étude15 — nous permet de faire un parallèle intéressant avec l’historiographie existante. Dans la recherche que nous menons, nous aimerions cependant dépasser les frontières de l’espace culturel portugais (métropolitain et impérial) et dialoguer avec d’autres espaces culturels, comme ceux de la monarchie hispanique ou des réseaux franciscains dans le cadre de la vaste Respublica christiana16.
13Cette vision supranationale est d’autant plus importante que les liens qui unissaient les provinces engagées dans l’envoi de missionnaires dans leurs espaces impériaux étaient nombreux. Par exemple, la Province da Piedade, créée en 1516 dans le royaume du Portugal, à laquelle appartenaient beaucoup de franciscains qui s’établirent dans l’Estado da Índia, et la Custodia du Santo Evangelio, principale responsable de l’implantation des franciscains au Mexique, érigée en Province en 1536, partageaient les mêmes origines spirituelles car elles s’étaient toutes deux ralliées à la réforme de frère Juan de la Puebla au couvent de Santa María de los Ángeles17, dont plusieurs branches de l’ordre sont issues, désignées plus tard comme « Déchaux », « Capucins », « Frères de l’Évangile », « Frères de Notre-Dame de la Lumière », « Custodia d’Extrémadure », « Frères de la Pitié », « Arrábidos »18. De plus, onze des « douze Apôtres » qui partirent pour la Nouvelle-Espagne étaient originaires de la Province de Saint-Gabriel, à laquelle appartenait la Custodia du Santo Evangelio19. Par ailleurs, les instructions données par Quiñones aux « douze Apôtres » faisaient explicitement référence à la règle qu’ils devaient suivre et qui était celle des provinces de Los Ángeles, de Saint-Gabriel et de Piedade20. Le couvent de Trujillo dépendait, lui aussi, de la Province de Los Ángeles ; c’est là qu’ont résidé les frères Pedro Melgar et João de Guadalupe avant de s’établir, au début du xvie siècle, au Portugal, sur les terres du duc de Bragance où ils fondèrent la Custodia de Piedade. Malgré le dédoublement de ces provinces dans leur dimension impériale, il faudra prendre en compte, dans les recherches futures, ce code génétique commun, ainsi que la diversité des options privilégiées face à des défis religieux et socioculturels différents. Des analogies entre la structure des bibliothèques des couvents franciscains du Nouveau Monde et celles de l’Estado da Índia (en dehors de similitudes dans les usages de l’écrit)21 invitent à fouiller les liens noués entre ces deux espaces impériaux du point de vue de la circulation non seulement des religieux mais aussi des livres et des savoirs.
14Nous tenterons de faire la lumière sur certains de ces aspects à travers l’inventaire, établi en 1725, de la bibliothèque du couvent Saint-Antoine de Tana et celui des bibliothèques évoquées dans le récit de frère Paulo da Trinidade (1570-1651), Conquista Espiritual do Oriente, et celui de frère Miguel da Purificação, Vida evangélica de los frailes menores, rédigés entre 1630 et 1640. Si le premier point rejoint ce qui a déjà été fait dans une grande partie de l’historiographie sur ces questions, le second est plus sujet à controverse. Cependant, comme l’a récemment souligné Gabriela Vallejo, les religieux analysaient leurs expériences à travers le prisme des livres qui se trouvaient dans leur bibliothèque personnelle ou celle du couvent, par « une sorte de mécanique qui réactualisait d’autres écrits ». Souvent, c’est la lecture de textes servant de modèle qui suscitait le désir de coucher par écrit sa propre expérience22. Des traces de ces lectures et des bibliothèques où ces livres étaient conservés (Trindade et Purificação étaient nés et avaient vécu en Asie, où ils avaient lu les ouvrages qu’ils citaient ensuite dans leurs travaux) peuvent être repérées dans ce type de récits, qui deviennent ainsi un palier à partir duquel il est possible d’observer des bibliothèques disparues depuis.
15Avant d’aller plus avant, j’aimerais analyser la question de l’utilisation de documents produits dans des contextes franciscains institutionnellement et spirituellement différents : le couvent Saint-Antoine de Tana appartenait à l’ordre des récollets alors que les frères Paulo da Trinidade et Miguel da Purificação étaient des observants. Par ailleurs, l’inventaire utilisé ici date de 1725, alors que leurs récits ont été écrits entre 1630 et 1640. Cependant, malgré ces différences institutionnelles ou chronologiques, et les précautions méthodologiques qu’elles présupposent, le fait que le couvent de Tana était un établissement missionnaire (sa bibliothèque devait donc ressembler à une bibliothèque de prédicateur) et que nos deux auteurs étaient des franciscains cultivés (et devaient, par conséquent, avoir accès à des bibliothèques de maisons d’étude) ne peut que renforcer les résultats de l’analyse.
16Le parcours qui débute dans les pages qui suivent nécessite que soient d’abord évoqués les contours de la présence franciscaine dans l’Estado da Índia et à Goa. Cette approche contextualisée est essentielle pour mettre en relief les significations des documents analysés.
I. — CONTEXTES FRANCISCAINS DANS L’ESTADO DA ÍNDIA ET À GOA
17Les franciscains accompagnèrent les premières expéditions portugaises en Inde et leur établissement à Goa remonte à l’époque de la conquête de la ville, en 1510, qui fut suivie de la fondation du couvent Saint-François dans les années 1520. À partir de cette date et jusqu’à la fin de la première moitié du xvie siècle, des observants et des récollets en nombre significatif débarquèrent dans le port de la ville, se regroupant en résidences et se dispersant en différents lieux de l’Estado da Índia entre la côte de Malabar et le Gujarat ; ils devinrent, en 1543, la Custodia de São Tomé, dépendant de la Province du Portugal23.
18Au cours de la décennie suivante, les observants de Goa se consacrèrent à la conversion et à l’évangélisation de la population de Bardez, une des régions voisines de la ville de Goa, composée d’une cinquantaine de villages et peuplée de quelque quarante mille personnes. À la même époque, Gaspar de Leão devint archevêque de Goa. Je suis convaincue que son action constitutionnelle et institutionnelle en tant que prélat, puis comme fondateur du premier couvent récollet de Goa (le couvent de la Madre de Deus), et sa production littéraire24, révéleront, lorsqu’elles seront soumises à une étude systématique, que Goa était bien plus franciscaine que l’on a pu le croire. En 1619, sous la juridiction de ce qui était devenu la Province de São Tomé, il y avait quinze couvents, quatre écoles destinées aux enfants, le collège de São Boaventura, sept vicariats et plus d’une centaine de rectorats dans lesquels les franciscains observants exerçaient les fonctions de prêtres de paroisse. Deux ans plus tard, le rapport envoyé au roi par l’archevêque de Goa, Cristóvão de Sá e Lisboa, fait état de l’existence de dix églises paroissiales à Bardez, alors qu’à la même date une autre source révèle l’existence d’au moins treize temples25. Quelques années plus tard, les observants officiaient dans dix-sept paroisses de Bardez (qui correspondaient à quatre villages), dirigeaient un collège, un séminaire et deux hôpitaux26. Il est vrai que tout au long des xviie et xviiie siècles, les tentatives de la Couronne portugaise pour transférer les paroisses dirigées par les franciscains au clergé séculier furent nombreuses — mais elles n’eurent jamais le moindre succès. La Custodia da Madre de Deus, à laquelle était rattaché le couvent Saint-Antoine de Tana, regroupait les couvents et maisons de recueillement27.
19À ce panorama institutionnel correspondait, dans le dernier tiers du xviie siècle, un panorama humain significatif. On sait qu’en 1610 les franciscains demandèrent à la Couronne portugaise de leur verser une aumône plus importante en raison de l’augmentation de leurs effectifs en Inde, alors qu’une lettre du roi de cette même année fait état de près de quatre cents frères28. Vingt-cinq ans plus tard, dans son ouvrage sur les forteresses de l’Inde, Antonio Bocarro rapporte qu’en Asie les franciscains étaient aussi nombreux que les jésuites. Dans le territoire de Goa, le nombre des franciscains (220), observants et récollets, dépassait largement celui des membres de l’ordre d’Ignace de Loyola (149)29. Lorsqu’on regarde le nombre des conversions, le constat est similaire. Comme l’ont démontré Maria de Jesus dos Mártires Lopes et, plus récemment, Paulo Lopes Matos, à la fin de la première moitié du xviiie siècle — c’est-à-dire à peu près à l’époque de l’inventaire de la bibliothèque de Tana —, dans les régions de Bardez et de Salcete (aux mains des jésuites) le nombre des chrétiens et celui des habitants non convertis étaient pratiquement identiques30.
20Quelle formation ces religieux recevaient-ils ? Quels étaient les savoirs qu’ils partageaient ?
21Si, depuis la fin du xvie siècle, tous les établissements franciscains devaient être dotés d’études, en Inde, au xvie siècle, les principales maisons d’étude se trouvaient dans les couvents Santo António à Cochin et São Francisco à Goa. Dans le premier, on enseignait la grammaire et les arts (les traditionnels trivium et quadrivium) alors que dans le second on pouvait suivre un cursus de théologie. Plus tard, ces études passeront au collège des Rois Mages, fondé en 1575, fréquenté par les descendants des colons portugais (pensionnaires « blancs ») et par les Indiens convertis (étudiants « noirs ») dont beaucoup étaient des orphelins locaux. Les principales matières enseignées31, comme le remarquent frère Paulo da Trindade dans la Conquista Espiritual et Francisco Gonzaga dans son De Origine, étaient la grammaire, les arts et la philosophie. Le chant et l’apprentissage d’un instrument faisaient également partie du cursus. À partir du xviie siècle, les études supérieures se poursuivaient au collège de São Boaventura, ouvert officiellement en 1618. Après trois années d’art, les étudiants devaient passer un examen de logique, de physique et de métaphysique qui leur permettait d’accéder à un cursus de quatre années de théologie pendant lequel ils se consacraient essentiellement à l’étude des quatre livres de Duns Scot et de Pierre Lombard, le Maître des sentences, « sans avoir à lire d’autres auteurs ». Ce choix explicite du scotisme est une donnée importante pour comprendre l’ethos franciscain local, notamment du point de vue théologique. Il y avait également32, « pour ceux qui se consacreraient à l’évangélisation », des cours de « langue locale33 ».
22La formation franciscaine ne se réduisait cependant pas à ces établissements. D’après l’ouvrage de frère Paulo da Trindade, il y avait « beaucoup de ces collèges dans cette province, dont certains furent fondés immédiatement après la découverte de l’Inde34. » Depuis les années 1520, les franciscains faisaient part au roi de la nécessité d’implanter en Inde ce type d’établissements, et c’est à la fin des années 1530 et au début des années 1540 que fut fondé à Goa le collège et séminaire de Santa Fé par le père Miguel Vaz et le frère Diogo de Borba, deux ecclésiastiques proches de la spiritualité franciscaine (il est d’ailleurs probable que Borba fût un frère de la Province de Piedade). Le collège comme le séminaire — transféré plus tard aux jésuites qui changèrent son nom pour celui de São Paulo — avaient pour principaux objectifs l’instruction des chrétiens locaux et la formation de prêtres indiens35. Au cours de la même période, un collège similaire fut fondé, sous le patronage de l’évêque franciscain Juan de Zumárraga et du vice-roi Antonio de Mendoza, à Tlatelolco, à peu près en même temps que le magistrat Vasco de Quiroga concevait les hôpitaux de Sante Fé au même endroit36. Bien que les projets mexicains eussent beaucoup plus de retentissement que leurs équivalents indiens — rien de semblable à l’amplitude ethnographique des livres de frère Bernardino de Sahagún, par exemple37 —, nous ne pouvons ignorer la concordance des noms ni celle des chronologies. À Baçaim [Vasai-Virar], on ouvrit une maison de recueillement et un orphelinat destiné aux enfants originaires du lieu pour qu’ils deviennent plus tard auxiliaires des missionnaires ; on y fonda ensuite un collège où l’on enseignait les arts et la théologie38. Sur la côte de Malabar, en 1540, frère Vicente de Lagos créa un collège pour quatre-vingts jeunes d’origine indienne dont beaucoup, d’après le chroniqueur du xviie siècle, « étaient déjà prêtres et confesseurs39 ». Au xviie siècle, il eut à subir la concurrence féroce du séminaire jésuite de Vaipicota.
23Ainsi, du nord au sud, l’Estado da Índia disposait, depuis les années 1550, de plusieurs établissements franciscains d’enseignement, et, par conséquent, de leurs bibliothèques respectives. Il est vrai que, d’après les chroniques, il semblerait que, comme le prévoyaient les Estatutos generales, les étudiants du premier cycle n’abordaient pratiquement pas les « études de lettres40 ». Il n’y a pas non plus de données concrètes sur l’application locale d’une autre mesure : celle qui faisait référence aux dangers de l’utilisation de textes manuscrits. Rappelant les décisions du concile de Trente sur la censure des livres et l’importance de citer les auteurs (de manière à ce qu’ils fussent rendus responsables, si besoin était, de propositions suspectes), dans les Estatutos il était demandé aux prédicateurs de « ne pas utiliser de livres manuscrits pour composer leurs sermons ni pour d’autres exercices théologiques » car le texte pouvait avoir subi des manipulations41.
24Les bibliothèques de ces établissements possédaient-elles plus de livres imprimés et chaque fois moins de manuscrits, de façon à éviter des déviations à l’orthodoxie, plus susceptibles de survenir dans des espaces lointains ? Quels étaient donc les livres qui reposaient sur leurs étagères ?
II. — LIVRES, LECTURES ET BIBLIOTHÈQUES FRANCISCAINES EN INDE À L’ÉPOQUE MODERNE
25Bien que la documentation disponible soit moins abondante que celle dont nous disposons pour le Moyen Âge ou pour les expériences franciscaines des territoires coloniaux de la monarchie hispanique, nous savons que les premiers envois de livres destinés aux franciscains résidant en Inde datent des premières décennies du xvie siècle ; la plupart d’entre eux étaient des dons d’origine royale. En effet, pour répondre aux demandes des religieux établis en Inde, le roi du Portugal envoyait des livrets de catéchisme élémentaire et de doctrine chrétienne, mais aussi d’autres types d’ouvrages : la Vita Christi, le Bosco Deleytoso, l’Espejo de la Conciencia, la Vitae Patrum de saint Jérôme, les Sermões de São João Clímaco et d’autres recueils de sermons. Ces livres étaient utilisés pour la prédication, mais très probablement, également, pour l’enseignement puisque les premiers maîtres du premier collège de Goa, le collège de Santa Fé, ainsi que d’autres collèges et maisons d’étude fondés en Inde, étaient franciscains.
26Nous ne possédons pas encore, pour cette période, de données plus détaillées sur les commandes directement passées par les franciscains ni sur les contrats engagés auprès des libraires métropolitains. L’information sur d’autres aspects matériels concernant la constitution des bibliothèques de ces maisons est encore pratiquement inexistante ; nous ne savons presque rien non plus des éditions utilisées à Goa.
27Afin de combler cette absence d’informations, nous allons examiner les bibliothèques reconstituées, qui sont l’objet de ce travail, de façon à voir ce qu’elles nous permettent d’apprendre sur la culture intellectuelle des franciscains établis dans l’Estado da Índia.
28L’inventaire de la bibliothèque du couvent Saint-Antoine de Tana tranche sur les rares témoignages matériels qui nous sont parvenus. Il était situé à Tana, à environ quatre kilomètres de Baçaim, dans la Province du Nord de l’Estado da Índia. Il avait été fondé en 1546 par les frères de la Province de Piedade au Portugal et avait été abandonné peu après pour devenir un oratoire et un vicariat où vivaient dix à douze personnes à la fin du xvie siècle, époque à laquelle il retrouva son statut de couvent. Dès lors, et jusqu’à sa disparition en 1738-1739, lorsque la Confédération Maratha conquit la Province du Nord, le couvent conserva le même rôle : il supervisait l’activité d’un ensemble de rectorats de ce territoire. À l’inverse du couvent homonyme de la ville de Baçaim, auquel on avait ajouté un collège, le couvent Saint-Antoine n’était pas un studium, même si à partir de 1583 on y a enseigné les Saintes Écritures. Il est vrai que l’interprétation que les Estatutos faisaient du décret tridentin relatif à l’enseignement de la théologie permettait de substituer la théologie scolastique par la théologie morale, réduisant souvent celle-ci à des leçons de cas de conscience42.
29Le classement de Tana — que j’utiliserai également pour regrouper les références des livres de Trindade et de Purificação — est le suivant : Pères de l’Église et Exégèse ; Décrétales et Iuris ; Canonistes ; Moralistes ; Spirituels ; Humanistes ; Prédicateurs. À cette liste s’ajoutent, dans les deux cas, des documents relevant du domaine juridique (qui à Tana étaient inclus dans le Cartulaire), de l’histoire (qui n’existaient pas à Tana, mais qui ont une grande importance dans la Conquista Espiritual do Oriente), de différentes matières désignées par les termes Ordonnances pontificales et ecclésiastiques, Ordonnances royales, et Histoire.
30En 1725, le patrimoine de la bibliothèque faisait état de près de trois cents livres alors que l’inventaire n’en mentionne que deux cent cinquante-cinq, précisant que d’autres livres ont été détruits par les vers, ce qui permet de penser que le nombre total des livres devait approcher les trois cents. Le couvent abritait en moyenne douze occupants ; il y avait donc au moins une vingtaine de livres par frère. On peut remarquer que, dans cet inventaire, ne sont répertoriés aucun exemplaire de la Bible ou des Évangiles, ni aucun des textes fondateurs de l’ordre franciscain (les œuvres complètes de saint François, les Vies de Celano, les Fioretti à l’exception de la Legenda maior probablement incluse dans l’Opera de saint Bonaventure). S’il est évident que la Bible ou les Évangiles — s’ils n’apparaissent pas dans l’inventaire de la bibliothèque du couvent, c’est sans doute parce que chaque frère possédait son exemplaire — faisaient partie des lectures quotidiennes des religieux, on ne peut tirer la même conclusion pour les textes fondateurs de l’ordre de saint François. Il est possible que les mineurs, au lieu d’avoir un contact direct avec ces « sources », aient consulté plutôt leurs commentateurs. Malgré ces absences, la bibliothèque de Tana, petit couvent de la Province du Nord, reste importante.
31Le tableau 1 (ci-contre) permet de visualiser le ratio entre les catégories de livres qui composaient la bibliothèque : les quantités largement majoritaires, et quasiment équivalentes, de livres correspondent aux catégories Pères de l’Église et Exégèse, d’une part, et Prédicateurs, d’autre part. Parmi les premiers, on relève la présence de Nicolas de Lyre et de Francisco Titelman, de Juan de Pineda, d’Avendaño, importants commentateurs franciscains, en dehors des classiques, saint Augustin, saint Thomas, saint Jérôme, saint Bonaventure et saint Jean Chrysostome, et des contemporains, Diogo de Estela, frère Louis de Grenade, Domingo de Soto, Francisco Suárez, le cardinal Caetano ou encore Juan de Ovando. On aurait pu s’attendre à trouver également les œuvres d’Alexandre de Hales et surtout celles de Duns Scot, mais ces deux docteurs franciscains sont absents (leurs ouvrages pourraient cependant faire partie des livres mangés par les vers). Dans la seconde catégorie — les Prédicateurs — on trouve une profusion d’auteurs et de titres ; il s’agit en majorité de recueils de sermons, de compilations d’homélies ou de topoi destinés à la prédication. Les auteurs sont d’origines diverses : franciscains, jésuites, dominicains. Là encore, les absences sont significatives, notamment parce qu’ici elles concernent deux grands prédicateurs franciscains, Antoine de Padoue et Bernardin de Sienne43. Le fait est surprenant en ce qui concerne saint Antoine car il est né à Lisbonne et fait l’objet d’une grande dévotion dans le contexte portugais ; de plus, le couvent de Tana était justement placé sous son patronage.
Tableau 1. — Bibliothèque du couvent de Tana
Saints Pères | 88 | Décrétales | 11 | Canonistes | 15 |
Moralistes | 30 | Humanistes | 13 | Spirituels | 11 |
Théologiens et Philosophes | 6 | Prédicateurs | 74 |
32Malgré ces absences, la bibliothèque du couvent Saint-Antoine de Tana était proche, de facto, du modèle de la bibliothèque de prédicateur (Bible, exégèse, recueils de sermons), ce qui correspond à sa localisation en terre de mission, en territoire d’Infidèles, où la prédication occupait une place considérable44. La présence de nombreux livres dans les catégories Pères de l’Église et Exégèse permet d’étayer l’hypothèse selon laquelle des cours sur les Saintes Écritures devaient bien exister dans ce couvent comme le recommandaient les Estatutos Generales. Il est également permis de penser que cette présence renvoie au besoin de disposer de recours bibliques lorsqu’on avait besoin d’exemples utiles à la prédication.
33Il faut remarquer aussi que, bien que ce couvent ne soit jamais devenu une maison d’études, sa bibliothèque contenait treize livres d’humanistes parmi lesquels des auteurs latins comme Cicéron, Virgile, Ovide, Salluste, Quinte-Curce et des contemporains comme Calepino ou Nebrija. En outre, sa bibliothèque ressemblait à une bibliothèque de couvent portugais de mêmes dimensions (par exemple, celle de Saint-Antoine de Caminha, dans la Province de Conceição45). Seules les références humanistes différenciaient les deux établissements : dans le couvent de la métropole, ces lectures étaient pratiquement absentes. Leur présence rapprochait cependant le couvent de Tana de grands couvents comme ceux de Saint-François de Xabregas ou de l’Arrábida. Même si les analyses disponibles pour les bibliothèques franciscaines au Mexique semblent indiquer des choix similaires, seules des recherches futures permettront de définir s’il s’agit d’une simple coïncidence ou d’une spécificité de formation déterminée par l’activité sur le sol indien46.
34On relève en revanche l’absence quasi totale de textes « scientifiques » et des maîtres franciscains dans le domaine des sciences (Guillaume d’Ockham ou Roger Bacon), ce qui semble indiquer une certaine indifférence envers la richesse potentielle de l’expérience locale (dans des matières comme la botanique ou l’histoire naturelle) et renforce le caractère strictement religieux des cultures partagées par ces frères en terre de mission. C’est ce qui les différencie des jésuites et des franciscains espagnols, dont la curiosité envers le milieu naturel a été fréquemment signalée.
35Étant donné la nature de l’inventaire, dans lequel l’auteur ou les titres correspondant à un auteur ne sont parfois pas indiqués, il est difficile d’établir une liste des auteurs qui présentent le plus grand nombre d’occurrences, ce qui permettrait de les comparer avec celles de registres plus complets, de façon à analyser l’actualisation des savoirs. Les données disponibles signalent, toutefois, la présence d’auteurs tels que Nicolas de Lyre, Manuel Rodrigues ou Titelmann, exégètes de la Bible, ce qui renforce l’impression que la culture de ces religieux se rapportait à l’étude des Saintes Écritures, mais plutôt à partir d’une architecture du savoir essentiellement échafaudée d’après des lieux communs, résultant d’un contact plus indirect que direct avec les textes sacrés. Ainsi Lyre, le célèbre commentateur de la Bible des Hiéronymites, dont l’exemplaire enluminé du xvie siècle jouit en milieu portugais d’une grande notoriété, était le défenseur d’une exégèse biblique qui recherchait le sens littéral du texte, ce qui laisse présager quel usage du texte biblique ces franciscains pouvaient faire, surtout si on le met en relation avec le scotisme théologique. La grande quantité d’ouvrages écrits par le dominicain Louis de Grenade est également un fait à remarquer. Il eut une très forte influence sur la spiritualité portugaise, franchissant les frontières entre ordres religieux mais aussi les frontières métropolitaines, ce qui indique un alignement sur les sensibilités qui prédominaient au Portugal. C’est d’ailleurs là un fait très révélateur, surtout si on pense à quel point ce couvent était périphérique dans l’Estado da Índia47.
36Penchons-nous maintenant sur la question des bibliothèques virtuelles sur lesquelles reposent les récits de frère Miguel da Purificação et frère Paulo da Trindade. C’est à partir de celles-ci que l’on peut réfléchir à la façon dont livres et lectures étaient versés dans de nouveaux récits, renaissant ainsi sous de nouvelles formes. Dans un premier temps, nous examinerons les choix faits dans les ressources institutionnelles disponibles.
37Le manuscrit de frère Paulo da Trindade contient quelque mille pages réparties en trois volumes, le livre de Purificação fait plus de cinq cents pages dans sa version imprimée. L’un comme l’autre sont remplis de citations destinées à légitimer leur point de vue, le premier vis-à-vis d’un public extérieur à l’ordre franciscain, le second adoptant une position plus identitaire en s’insérant dans une tradition littéraire franciscaine de réflexion. Alors que dans le premier traité Trindade tente de légitimer la présence des frères mineurs en Inde dans le contexte des enjeux des pouvoirs impériaux, le second est consacré à l’idéal de vie évangélique franciscain, à la volonté divine qui a choisi les franciscains, au devoir d’apostolat qui en découlait et à la façon dont il s’était peu à peu matérialisé.
38Le premier livre a été écrit pour des personnes extérieures à l’ordre et son contenu est, par conséquent, empreint de ce que les franciscains de l’Inde voulaient que l’on sût d’eux à Rome et à la cour du Portugal, parmi les élites politiques de la monarchie (celles-là mêmes qui, depuis le Moyen Âge, étaient les interlocuteurs privilégiés des frères mineurs et — à partir du xve siècle — des observants, et qui ont souvent fondé des couvents et joué le rôle de protecteurs). Le second ouvrage semble, au contraire, vouloir cibler les franciscains eux-mêmes, non pas seulement les missionnaires de l’Inde, mais les membres de l’ordre en général. Sa finalité semble être l’intégration dans la grande famille franciscaine de ses agents en Inde, intégration d’autant plus importante que la Province de São Tomé était récemment devenue autonome. Démontrer la pleine intériorisation de l’ethos franciscain, quitte à le transformer en topoi, en concepts susceptibles de servir de base à la prédication (une des annexes du traité de Purificação) était ainsi une forme de légitimation de cette Province et de l’orthodoxie de ses membres.
39Commençons par frère Paulo da Trindade et son traité, Conquista Espiritual. Né à Macau dans une famille de Portugais installés en Inde, il était entré dans l’ordre franciscain et avait commencé ses études au collège Santo António de Baçaim, et les avait poursuivies à Goa auprès de frère Manuel de Monte Olivete, professeur de théologie et auteur d’ouvrages théologiques, notamment sur les cas de conscience, mais aussi d’une histoire de la Province du Portugal que Lucas Wadding intégra à son Scriptores Ordinis Minorum. Comme son maître, Trindade deviendra lui aussi professeur de théologie au couvent de São Bonaventura, et écrira quelques opuscules sur des questions théologiques allant de l’autorité des ordres mendiants en matière de confession aux problèmes liés à la pauvreté48. On sait que dans les années 1630 l’ordre étudia l’éventualité de son expulsion car il était considéré comme rebelle. C’est à cette époque qu’il rédigea cet important traité en trois volumes qu’est la Conquista Espiritual do Oriente, dans lequel il proposait une synthèse de l’action des franciscains, des observants et des récollets en Inde, pour contrecarrer la version de l’histoire de l’évangélisation de l’Inde véhiculée par le jésuite Giovanni Pietro Maffei49. C’est à la même époque qu’il fut nommé Commissaire général de l’Inde. Malgré cela, et bien qu’il eût obtenu l’autorisation du Saint-Office de publier et qu’il ait envoyé son ouvrage à Madrid pour demander leur imprimatur à son ordre et à la Couronne, la Conquista Espiritual ne circula que sous forme manuscrite jusqu’au xviiie siècle et ne fut publiée que dans les années 1970.
40Trindade résida toute sa vie en Asie : c’est la raison pour laquelle sa formation intellectuelle se fit à travers les ressources locales existantes. Le classement statistique des références bibliographiques (tableau 2, ci-dessous), d’après la classification précédemment analysée, contenues dans la Conquista Espirtual do Oriente constitue une première voie d’accès à son univers de lectures ainsi qu’aux bibliothèques qu’il avait consultées.
Tableau 2. — Bibliothèque virtuelle de la Conquista Espiritual do Oriente
Décrets | 152 | Bible | 135 | Histoire | 119 |
Saints Pères | 55 | Correspondance | 17 | Spirituels | 16 |
Règles | 14 | Droit royal | 8 | Humanistes | 5 |
Canonistes | 3 | Moralistes | 3 | Varia | 3 |
41La distribution des références dans le texte de Paulo da Trindade semble être assez cohérente avec le principal objectif de son récit, qui était de démontrer que les franciscains étaient les véritables apôtres de l’Orient, les héritiers directs des premiers apôtres, à l’inverse de ce que prétendaient ceux (il faut comprendre, les jésuites) qui voulaient usurper ce titre. Il n’est pas inutile de rappeler que les franciscains avaient été contemporains des premières générations de colons portugais dans l’Estado da Índia et qu’ils partageaient avec eux le sentiment, très vif, d’être partie prenante de ce territoire et des prérogatives juridictionnelles qui en découlaient50. Je crois, en fait, que les couvents franciscains en Inde avaient une double fonction : ils servaient de maisons de mission et de résidences pour les fils célibataires des élites locales. Au Portugal, ils partageaient cette dernière fonction avec d’autres ordres religieux. La rhétorique de la providence qui structure le texte s’exprime dans l’hégémonie de références bibliques — qui démontrent la volonté divine — et dans les dispositions papales et ecclésiastiques qui légitiment juridiquement et historiquement ce mandat. C’est la même finalité qui semble expliquer la présence importante de citations tirées de textes historiques. Elles constituaient sans aucun doute une autre forme de légitimation, par l’expérience, de ce qui était de droit divin ou humain.
42Lorsqu’on dédouble les références bibliques, les résultats sont intéressants. En premier lieu, les citations tirées de l’Ancien et du Nouveau Testament s’équilibrent à peu près, bien que ce dernier soit un peu plus présent. Lorsqu’on considère séparément les citations de l’Ancien Testament qui ont le plus de poids dans la construction du texte de Trindade, et que l’on fait de même pour le Nouveau Testament, les résultats sont également suggestifs.
43La Genèse, le Livre des rois et Isaïe permettent d’ouvrir la voie pour justifier l’expression de la volonté divine dans le mandat donné aux franciscains, mais aussi la place privilégiée accordée aux rois du Portugal dans la geste orientale. Réitérer cette similitude entre le destin de la monarchie portugaise et celui de l’ordre franciscain, entre l’histoire du Portugal et l’histoire des franciscains, ainsi que l’antiquité de leurs lignages, était d’autant plus important que les jésuites leur disputaient cet espace. Dans les citations de l’Ancien Testament, la prédominance des Paumes vient renforcer le prophétisme du discours de Trindade, alors que les nombreuses citations du Cantique des cantiques, le plus affectif des textes bibliques, et, pour cette raison, particulièrement cher à la spiritualité des franciscains, est un recours typique des écrits des frères mineurs.
44Que dire des citations du Nouveau Testament ? Les textes de saint Paul sont les plus largement cités par frère Paulo da Trindade, suivis par ceux de l’Évangile selon saint Matthieu, dans ce qui semble être un système combinatoire entre théologie de la grâce et théologie de l’action, problème crucial, comme on le sait, à l’époque moderne.
45Il faut examiner maintenant les sources historiques utilisées par Trindade. Les principales citations historiques viennent de textes officiels de l’histoire du Portugal (principalement de Damião de Góis, João de Barros, Garcia de Resende) et de l’histoire franciscaine (Marcos Jorge, Francisco Gonzaga, António Daça). Tous ces auteurs constituaient des autorités, et c’est sur ce principe d’autorité que reposait le pouvoir de leurs discours ; ils confirmaient et légitimaient, une fois encore, l’alliance établie entre les franciscains et la monarchie portugaise dans la conquête spirituelle de l’Orient. D’autant plus que, comme nous l’avons déjà souligné, ces textes historiques défendaient l’actualisation du mandat divin, à travers leur expérience concrète. Avant d’aller plus avant dans l’interprétation de ces données, soumettons au même examen frère Miguel da Purificação et sa Vida Evangélica de los frailes menores.
46Né à Terapor, une petite ville de la Province du Nord, en 1589, Purificação a probablement fréquenté lui aussi le studium de Baçaim et connu plus tard frère Paulo da Trindade à qui il dédie un de ses livres, la Relação Defensiva dos Filhos da Província Oriental. Purificação deviendra procureur général et custodio de la province de São Tomé ainsi que missionnaire pontifical auprès de l’empereur moghol ; c’est en tant que procureur qu’il se rend à Madrid, emportant avec lui ses propres manuscrits tout comme ceux de Paulo da Trindade. Ceux de ce dernier n’ont jamais été publiés, mais les ouvrages de Purificação ont été imprimés à Barcelone, la Relação Defensiva en 1640, la Vida Evangelica, dédiée à D. João IV, en 164151. Les dates et le lieu de publication laissent penser que Purificação était lié à des groupes dont les intérêts politiques divergeaient de ceux de Philippe IV ; il semble que son intention première (vers la fin de l’année 1640) était de rencontrer le tout nouveau roi du Portugal.
47À l’inverse de la Conquista Espiritual et de la Relação Defensiva, le texte de la Vida Evangelica est à la fois un discours de réflexion et d’exposition (tableau 3, ci-après). Il s’agit, ici encore, du mandat apostolique donné aux franciscains, mais placé dans le contexte plus général de l’histoire du salut. Le but de Miguel da Purificação était de renouveler la généalogie biblique du mandat franciscain en exaltant, en même temps, la morale pénitentielle dans laquelle les vices et les vertus, les châtiments et la gloire structuraient, depuis le début, l’ethos franciscain, topoi qui étaient inscrits dans les documents de fondation de l’ordre52. La Vida Evangélica peut ainsi être interprétée comme une justification de la Conquista Espiritual, les deux textes se complétant dans une argumentation favorable aux franciscains, à leur autorité apostolique, à leur utilité et à l’exemple que ceux-ci avaient constitué tout au long de l’histoire.
Tableau 3. — Bibliothèque virtuelle de la Vida Evangelica
Saints Pères | 526 | Bible | 178 | Spirituels | 25 |
Histoire | 22 | Canonistes | 20 | Prédicateurs | 18 |
Règles | 10 | Moralistes | 9 | Décrets | 9 |
Humanistes | 8 | Théologiens et philosophes | 3 |
48Considérons maintenant les deux catégories les plus citées : les Pères de l’Église et l’Exégèse, et la Bible. Il y a une différence significative avec le texte de Paulo da Trindade, dans lequel la présence de la Patristique et de l’Exégèse, bien qu’elle ne fût pas marginale, arrivait à peine à la quatrième place. Le fait que le récit de Purificação soit essentiellement identitaire permet d’expliquer cette prédominance biblique et patristique : c’était une donnée consensuelle de la spiritualité franciscaine qui trouvait dans les apôtres, les prophètes ou le Christ des exemples de comportement qui étaient souvent « franciscanisés53 ».
49D’après ce qui vient d’être dit à propos des principales citations tirées de la Patristique et de l’Exégèse (les auteurs ne sont pas seulement des scolastiques, mais aussi des contemporains de Purificação), on constate que les deux champs s’équilibrent. Les citations des docteurs de l’Église les plus célèbres (saint Augustin, saint Jérôme, saint Ambroise, saint Jean Chrysostome), qui sont les plus utilisées, des scolastiques médiévaux (saint Thomas, Grégoire le Grand, saint Bonaventure) et des exégètes de la fin du Moyen Âge, sont cependant un peu plus présentes. On note encore l’absence dans ce dernier groupe de Duns Scot. Comme on l’a dit, l’étude de cet auteur ne fut introduite en Inde qu’au début du xviie siècle, et il est probable que jusqu’alors les frères n’ont pas spontanément fait appel à ses œuvres. À l’inverse, et comme c’était déjà le cas pour Paulo da Trindade, Nicolas de Lyre occupe une place centrale comme voie d’accès au texte biblique.
50Que dire de la relation entre les citations tirées de l’Ancien et du Nouveau Testament, et de l’origine des citations tirées de chacun d’eux ?
51Dans le livre de frère Miguel da Purificação, le Nouveau Testament est nettement plus présent que l’Ancien, ce qui accentue une tendance déjà repérée dans celui de Paulo da Trindade. L’Ancien Testament est cependant encore très présent, confirmant ainsi le topos franciscain selon lequel la Bible devait être prise dans son ensemble, sans privilégier aucune de ses parties au détriment de son intégralité, car la parole divine se manifestait dans toutes.
52La Genèse et les Psaumes totalisent à eux seuls près des deux tiers des citations tirées de l’Ancien Testament alors que le reste des citations renvoie à une théologie pénitentielle et affective dans laquelle l’opposition entre les vices et les vertus est centrale et le libre arbitre de Dieu évoqué de façon répétitive. C’est en ce sens que sont utilisés l’Exode et le Livre de Job, qui remplacent dans la Vida Evangelica le Livre d’Isaïe et le Livre des rois, plus providentialistes, qui avaient la préférence de Trindade.
53Lorsqu’on examine la distribution des citations du Nouveau Testament, on constate que la distribution entre l’Évangile selon saint Matthieu et l’Évangile selon saint Luc est équivalente ; entre les textes de saint Paul et ceux des autres évangélistes la distribution est équilibrée, configurant ainsi un itinéraire théologique différent de celui qu’avait tracé Paulo da Trindade.
54Quand on compare les occurrences principales dans Paulo da Trindade et Miguel da Purificação, que peut-on vérifier ? Dans Paulo da Trindade prévaut l’idée que nous avions évoquée au début : l’objectif avant tout politique du texte détermine sa bibliothèque de référence. Alors que la cour du Portugal, c’est-à-dire l’élite politique de la monarchie, était son interlocuteur principal, il n’est pas étonnant que ses historiens officiels occupent les premières places de la liste. La même finalité de légitimation de l’expérience franciscaine en Inde justifie la présence de Francisco Gonzaga, le général, qui, dans son De origine, présente la Custodia de São Tomé comme une province avant même qu’elle ne le soit devenue officiellement ; il n’est pas non plus étrange que sur cette liste figure Francisco Negrão, auteur de la première chronique sur les franciscains en Inde, depuis disparue, mais qui a survécu dans nombre de pages écrites par Trindade. Les brefs pontificaux composent l’architecture juridique nécessaire et la présence des principales sources bibliques — Genèse, Cantique des cantiques et Psaumes — n’a rien de surprenant.
55Les citations les plus importantes de la Vie Évangélique de Miguel da Purificação sont tout à fait différentes, mais également cohérentes par rapport aux objectifs de l’auteur. Il s’agit de sources bibliques et d’exégèse, les plus à même de permettre d’expliquer l’ethos franciscain ainsi que la singularité de son apostolat et de son mandat. La préférence accordée au cardinal Hugo (ou Hugolino), protecteur de l’ordre, qui eut une grande influence sur la première règle — d’ailleurs appelée aussi Règle d’Hugolino — est à signaler. La voie sensitive, de l’exemple, du cœur, qui structure l’ethos franciscain avait déjà été systématisée dans cette règle.
56Bien que Paulo da Trindade et Miguel da Purificação aient en commun, tout au long de leurs textes, beaucoup de sources, leurs bibliothèques de référence sont différentes. Le texte biblique est central pour les deux car il est à la base de tout le discours théologique franciscain. Dans l’Ancien Testament, une place privilégiée est accordée à la Genèse ainsi qu’aux Psaumes et au Cantique des cantiques, les textes les plus affectifs. Et il n’est pas surprenant d’y trouver un « évangile pédagogique », celui dans lequel l’exemple du Christ prend le plus de relief et qui se termine par une formule invitant au prosélytisme, l’Évangile selon saint Matthieu, celui pour lequel le consensus est le plus grand entre les deux auteurs parmi les textes du Nouveau Testament, certainement parce que la règle de saint François trouve son inspiration dans le texte de saint Matthieu.
57Les différences sont elles aussi significatives. La première est relative aux bibliothèques des franciscains de nova tempora, des franciscains dans le monde, de l’histoire des hommes ; la seconde renvoie, très clairement, à ce qui caractérise l’ordre ab origine, avec une évidente insistance sur leur charisme prophétique. On ne peut nier que la finalité de la construction de chacun de ces deux traités explique cette différence qui ne relève cependant pas de la divergence, mais qui doit être comprise comme complémentaire des deux dimensions, toujours en tension, de l’expérience franciscaine : la voie active et la vie contemplative. En ce sens, les deux livres et leurs univers de références sont d’excellentes voies d’accès aux modèles de vie des franciscains en Inde.
58Cette différence dans les pratiques de citation est ici particulièrement utile. Frère Paulo da Trindade et frère Miguel da Purificação étaient tous deux des religieux cultivés, ils avaient tous deux fréquenté les maisons d’étude à Goa. Cette différence dans les citations n’indique pas seulement qu’ils avaient des pratiques de lecture distinctes, mais prouve aussi l’existence d’une diversité de livres, qui pouvaient être lus et utilisés à des fins variées, dans les bibliothèques de ces collèges. Cela veut-il dire que cette multiplicité de citations et d’auteurs doit être considérée dans sa globalité et que cet ensemble pourrait nous permettre de mieux comprendre l’univers matériel des bibliothèques des collèges des Rois mages et de São Boaventura, et même de Santo António de Baçaim ? Quelles étaient alors les caractéristiques de ces bibliothèques ?
59La comparaison de ces bibliothèques virtuelles avec une bibliothèque réelle, celle du couvent de Tana, peut nous aider à penser le modèle de ces bibliothèques disparues.
60Malgré les problèmes méthodologiques inhérents à la comparaison de la bibliothèque d’un couvent de franciscains récollets, dont l’inventaire date du xviiie siècle, et des bibliothèques de citations à partir des récits de franciscains observants du xviie, il semble possible d’entrevoir une relative parenté entre la bibliothèque virtuelle de la Vida Evangelica de frère Miguel da Purificação et la bibliothèque du couvent de Tana. Les ressemblances relèvent de la lecture des Pères de l’Église, prédominante dans les pratiques de lecture de cet auteur. Dans ce sens, comme à Tana, les bibliothèques des maisons d’étude — comme cela était d’ailleurs prévisible — étaient bien fournies en ouvrages utiles à la formation des prédicateurs.
61À l’inverse, la matrice de citations de la Conquista Espiritual do Oriente se sépare de l’économie livresque du couvent de Tana. Dans ce récit, mis à part les références au texte biblique, la documentation juridique (répertoriée, il est vrai, dans le cartulaire du couvent de Tana en quantité plutôt faible) est prédominante ainsi que les références historiques, un domaine très peu représenté dans ce couvent. L’utilisation de ces livres par Trindade poursuivait, comme nous l’avons vu, un objectif rhétorique. Elle indique cependant une présence significative de la littérature de ce genre et surtout la présence de textes qui, dans le royaume, véhiculaient une version officielle de la geste impériale. Il est d’ailleurs probable que les collèges des Rois mages et de São Boaventura aient possédé de nombreux ouvrages relevant de ce type de littérature. Leur localisation dans les territoires de Goa, le cœur de l’Estado da Índia, accentuait la dimension politique de la présence franciscaine dans ces lieux. Cette inscription politique requérait des instruments discursifs adéquats. Si les livres d’histoire ont une présence significative dans les bibliothèques des maisons d’étude, cette prédominance semble renvoyer à un réajustement dans la formation des franciscains en ce qui concerne les directives de la Couronne.
62Ces données doivent être soumises à des analyses plus complexes. Il n’est pas possible en l’état d’aller plus avant. Mais même ainsi, il semble pertinent de se demander dans quelle mesure cette interprétation justifie des préoccupations méthodologiques différentes de celles qui ont été privilégiées jusqu’ici. Il est clair, d’une part, que l’on peut échapper à l’hégémonie documentaire et historiographique jésuite lorsqu’on travaille sur l’histoire de l’évangélisation des territoires impériaux. Il est même possible de reconstituer quelques itinéraires de franciscains en Inde, incomplets mais riches d’un point de vue biographique et proposant de multiples possibilités interprétatives.
63D’autre part, cette fertilité interprétative, qui est d’autant plus grande qu’elle sera davantage contextualisée, est, me semble-t-il, une solution méthodologique qui permet de parcourir les sources produites dans différents contextes institutionnels, culturels et géographiques de façon à penser l’action des missionnaires en convoquant différentes sphères à partir desquelles on peut la comprendre. Cette lecture « contextualisée » permet l’utilisation des (rares) sources produites par les franciscains — ou de celles qui nous sont parvenues54 — pour examiner des problématiques qui dépassent de loin la stricte histoire des franciscains. Cette lecture normalise et situe l’histoire franciscaine, rendant visibles ses ressemblances avec d’autres histoires contemporaines.
64Il me semble aussi qu’à travers des travaux comme celui-ci — et c’est un choix qui doit être débattu —, dans des domaines méthodologiquement fragiles (en raison de la pénurie de documents et de recherches ?), il est possible que ces thématiques et ces domaines perdent progressivement de leur fragilité, faisant émerger des travaux et des connaissances plus solides qui enrichiront des constructions nouvelles sur des paysages historiques passés, permettant d’élucider les processus de construction de la mémoire de ces mêmes paysages.
Notes de bas de page
1 Je remercie Ines G. Županov et Marie-Lucie Copete pour leurs commentaires qui m’ont été très utiles. [NdE : Traduction du portuguais par Marie-Lucie Copete.]
2 A. Meersman, Annual reports of the Portuguese Franciscans ; Id., The ancient Franciscan provinces in India ; Id., The Friars Minor.
3 F. F. Lopes, Os franciscanos no Oriente Português ; Id., Colectânea de Estudos de História e Literatura.
4 Voir G. Catão, « The Reformed Franciscans », pp. 79-92 ; Id., O primeiro seminário de Goa ; G. Couto, « Acçao missionaria dos franciscanos na India » ; R. M. Telles, Os Franciscanos no Oriente e seus conventos ; F. X. Costa, Anais Franciscanos em Bardês ; et J. M. Correia, Os franciscanos em Cochim.
5 F. Bethencourt, « A Igreja », pp. 378-381.
6 Sur cette question, voir F. Bouza, « Comunicação, Memória e Conhecimento », ainsi que A. I. Buescu, « A Persistência da Cultura Manuscrita em Portugal nos séculos xvi e xvii ».
7 À l’inverse, les travaux d’histoire religieuse sur le royaume du Portugal pour la période antérieure offrent un bon exemple sur la façon de contourner la pénurie de sources afin de produire des descriptions et des interprétations approfondies. Voir, par exemple, S. A. Gomes, « A Religião dos Clérigos », et M. de L. Rosa, « A Religião no Século ».
8 C’est le cas de J. P. Oliveira de Costa, « A diáspora missionária », p. 274 ; L. F. Thomaz, « Missões » ; C. Boschi, « As missões na África e no Oriente », pp. 404 sqq.
9 Il Libro e le Biblioteche ; K. W. Humphreys, The Book Provisions ; Id., The Library of the Franciscans ; Id. (éd.) The Friars Libraries ; F. Costa, « Biblioteche Francescane Medievali » ; B. Roest, A History of Franciscan Education (c. 1210-1517) ; N. Senocak, « Book Acquisition » ; Id., « Circulation of Books », et la bibliographie citée.
10 J. O’Malley, S. J., « Form, Content and Influence of Works about Preaching », pp. 27-50 ; N. Senocak, « Book Acquisition », pp. 160-161.
11 C. Norman, « The franciscan preaching tradition », pp. 209-234.
12 Il faut souligner la réédition de la Chronica de Marcos Jorge, et la publication d’un ensemble d’articles sur les chroniques dans l’ouvrage édité par J. A. Freitas de Carvalho (éd.), Da Memória dos Livros aos Livros da Memória.
13 Voir J. A. Freitas de Carvalho (éd.), « Nobres Leteras » ; Id., Da Memória dos Livros às Bibliotecas da Memória, pp. I-XXVIII ; Fioretti de Sanct Francesco, J. A. Freitas de Carvalho (éd.) ; Fr. Marcos de Lisboa, Crónicas da Ordem dos Frades Menores, J. A. Freitas de Carvalho (éd.).
14 F. F. Lopes, « Lembranças avulsas », dans Id., Colectânea de Estudos de História e Literatura.
15 Ana Isabel Buescu consacre quelques pages à l’inventaire de Santo António de Tana dans un article récent ; ce ne sont cependant pas les mêmes problématiques que les nôtres qui y sont abordées (A. I. Buescu, « Livrarias conventuais no Oriente português »).
16 La bibliographie sur les bibliothèques franciscaines est vaste. Voir, par exemple, R. Avesani, « Cultura e istanze pastorali nella biblioteca di San Giovanni della Marca », pp. 391-405 ; M. H. Froeschlé-Chopard, « Les inventaires de bibliothèques ecclésiastiques » ; A. Bartoli Langeli, « Libraries, books, and writing » ; S. da Campagnola, Oratoria sacra.
17 A. Barreto Xavier, A Invenção de Goa.
18 M. Andrés Martin, « La espiritualidad franciscana en España ».
19 J. L. Phelan, The Millenial Kingdom, pp. 44 sqq. ; C. Duverger, La Conversion des Indiens de Nouvelle-Espagne, pp. 33 sqq., p. 154 ; C. Bernand et S. Gruzinski, Histoire du Nouveau Monde, vol. I, pp. 157 sqq., pp. 357 sqq.
20 M. Andrés Martin, « Primeros pasos comunes », p. 879 et n. 58.
21 A. Barreto Xavier, « Itinerários franciscanos na Índia seiscentista ». Voir, surtout, les inventaires bibliographiques produits aux xviie et xviiie siècles par N. Antonio, Bibliotheca Hispana (1672), D. Barbosa Machado, Bibliotheca Lusitana, Wadding, Scriptores Ordinis Minorum ou la Bibliotheca Universa Franciscana de J. de Santo Antonio.
22 G. Vallejo, « Bibliotecas franciscanas para el Nuevo Mundo ».
23 R. Lemoine, L’Époque moderne ; G. B. Penco, A. G. Matanic, G. D’Urso et G. Sommavilla, Gli Ordini Religiosi.
24 G. de Leão, Desengano de Perdidos ; J. de Santa Fé, Tratado.
25 Sur la « Relatio de Statu Ecclesiae Goanae ab Archiepiscopo Cristophoro de Sa e Lisboa, Goa, 1621 », voir F. Coutinho, Le Régime paroissial, p. 39 ; ASV, S. Congregatio Concilii ; A. Meersman, The ancient Franciscan provinces in India, pp. 95-96. D’après ces rapports, ces chiffres évoluèrent de la manière suivante : Francisco de Mártires, en 1640, indiquait l’existence de 79 églises paroissiales, c’est-à-dire 20 de plus que vingt ans auparavant, et c’est probablement le nombre de paroisses qui exista jusqu’au siècle suivant (F. Coutinho, Le Régime paroissial, pp. 40-41).
26 F. X. Costa, Anais Franciscanos de Bardez ; A. Meersman, The ancient Franciscan provinces in India.
27 P. Trindade, Conquista Espiritual do Oriente, t. I, p. 117.
28 A. Pato (éd.), Documentos Remettidos da Índia, t. I, pp. 296-305.
29 Malheureusement, Bocarro n’explique pas si cette catégorie ne comprend que les villes ou s’il y inclut les territoires environnants de Tiswadi, Salcete et Bardez.
30 M. de J. Lopes, Goa Setecentista, chap. « População » ; P. L. Matos, « O numeramento de Goa de 1720 », pp. 241-324.
31 Dans A. Meersman, The ancient Franciscan provinces in India, p. 99.
32 Estatutos generales, 1583, fos 16ro-vo.
33 P. Trindade, Conquista Espiritual do Oriente, t. I, pp. 263 sqq.
34 Ibid., p. 335.
35 Une comparaison avec le processus qui était expérimenté, à la même époque, au Mexique et au Pérou par les pouvoirs espagnols est absolument indispensable de façon à pouvoir prendre en compte l’expérience de Goa. Voir à ce sujet J. L. Phelan, The Millenial Kingdom ; N. Wachtel, La Vision des vaincus ; S. Gruzinski, La Colonisation de l’imaginaire ; C. Bernand et S. Gruzinski, Histoire du Nouveau Monde.
36 J. L. Phelan, The Millenial Kingdom, p. 47 ; C. Bernand et S. Gruzinski, Histoire du Nouveau Monde, t. I, pp. 392 sqq.
37 Après avoir comparé la production ethnographique des franciscains sur le Mexique, sur le Pérou et sur l’Inde, à partir de l’inventaire de la Bibliotheca universa Franciscana de Juan de Santo Antonio, 1732-1733, il est évident que les témoignages sur l’Amérique sont statistiquement et qualitativement plus importants.
38 A. D’Costa, The Christianisation of the Goan Islands, 1510-1567, p. 138 ; A. Meersman, The Franciscans in Bombay, pp. 221-222.
39 P. Trindade, Conquista Espiritual do Oriente, t. I, p. 332.
40 Estatutos generales para la província cismontana, 1593, p. 5.
41 Estatutos generales, 1583, fo 20.
42 Ibid., fos 16ro-vo.
43 Sur leur rôle paradigmatique dans la prédication franciscaine, voir C. Norman, « The franciscan preaching tradition », pp. 214-216.
44 D’autant plus que la présence de la scolastique ibérique est forte. Parmi les ouvrages juridiques, de droit civil et de droit canon, on trouve Suárez, Covarrubias, Azpicuelta Navarro, mais aussi Francisco de Vitoria et Domingo de Soto, et parmi les auteurs plus modestes, un franciscain, Manuel Rodrigues.
45 Voir J. A. Freitas de Carvalho (dir.), « Nobres leteras ».
46 G. Vallejo, « Bibliotecas franciscanas para el Nuevo Mundo » ; M. Mathes, Santa Cruz de Tlatelolco. La bibliothèque de Tana avait beaucoup plus de livres que celles qui ont été étudiées par M. Mathes dans « Bibliotecas de las misiones de la Baja Califórnia » ; voir également I. Osório Romero, Historia de las Bibliotecas Novohispanas ; E. Ramirez Leyva, El Libro y la Lectura.
47 M. I. R. Rodrigues, Fray Luis de Granada.
48 P. Trindade, Conquista Espiritual do Oriente ; opuscules intégrés dans Fr. B. das Chagas, Cazos Reservados.
49 G. P. Maffei, Historiarum Indicarum libri XVI.
50 Par exemple, voir A. Pagden, Spanish Imperialism ; A. Pagden et N. Canny (éd.), Colonial Identity ; également S. Gruzinski, La Colonisation de l’imaginaire.
51 Purificação, Relação defensiva dos filhos da Índia Oriental e da província do apóstolo S. Thome dos frades menores da regular observância da mesma Índia ; Id., Vida evangelica y apostolica de los frailes menores en Oriente, ilustrada con varias materias y anotaciones predicables.
52 C. Norman, « The franciscan preaching tradition », pp. 210-211.
53 Ibid., p. 216.
54 Depuis la disparition des principales archives des Frères mineurs des couvents d’Aracoeli à Rome et de Saint François à Madrid, ce à quoi s’ajoutent, dans le cas portugais, les naufrages des bateaux qui transportaient les documents de l’expropriation des couvents indiens, la destruction de nombreux documents lors du tremblement de terre de 1755, et les « desamortizaciones » des biens des ordres religieux et l’extinction des couvents au xixe siècle, les vicissitudes qui aboutirent à la perte de la documentation franciscaine des provinces du Portugal furent nombreuses.
Auteur
Instituto de Ciências Sociais - Universidade de Lisboa
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La gobernanza de los puertos atlánticos, siglos xiv-xx
Políticas y estructuras portuarias
Amélia Polónia et Ana María Rivera Medina (dir.)
2016
Orígenes y desarrollo de la guerra santa en la Península Ibérica
Palabras e imágenes para una legitimación (siglos x-xiv)
Carlos de Ayala Martínez, Patrick Henriet et J. Santiago Palacios Ontalva (dir.)
2016
Violencia y transiciones políticas a finales del siglo XX
Europa del Sur - América Latina
Sophie Baby, Olivier Compagnon et Eduardo González Calleja (dir.)
2009
Las monarquías española y francesa (siglos xvi-xviii)
¿Dos modelos políticos?
Anne Dubet et José Javier Ruiz Ibáñez (dir.)
2010
Les sociétés de frontière
De la Méditerranée à l'Atlantique (xvie-xviiie siècle)
Michel Bertrand et Natividad Planas (dir.)
2011
Guerras civiles
Una clave para entender la Europa de los siglos xix y xx
Jordi Canal et Eduardo González Calleja (dir.)
2012
Les esclavages en Méditerranée
Espaces et dynamiques économiques
Fabienne P. Guillén et Salah Trabelsi (dir.)
2012
Imaginarios y representaciones de España durante el franquismo
Stéphane Michonneau et Xosé M. Núñez-Seixas (dir.)
2014
L'État dans ses colonies
Les administrateurs de l'Empire espagnol au xixe siècle
Jean-Philippe Luis (dir.)
2015
À la place du roi
Vice-rois, gouverneurs et ambassadeurs dans les monarchies française et espagnole (xvie-xviiie siècles)
Daniel Aznar, Guillaume Hanotin et Niels F. May (dir.)
2015
Élites et ordres militaires au Moyen Âge
Rencontre autour d'Alain Demurger
Philippe Josserand, Luís Filipe Oliveira et Damien Carraz (dir.)
2015