Choix oratoires et formes de prédication dans les missions rurales des jésuites italiens (xvie-xviiie siècle)
p. 113-129
Texte intégral
1La prédication des missionnaires italiens de la Compagnie de Jésus en activité dans les campagnes s’inscrit dans la problématique du rapport entre oralité et écriture au début de l’époque moderne1. En effet, ils excluent délibérément la mise en écriture dans leurs pratiques oratoires. Ce choix est, d’une part, en adéquation avec une exigence de communication dont le critère est l’ignorance des destinataires, qui ne sont instruits ni dans la foi ni dans les lettres. Il correspond, d’autre part, au projet spirituel ignacien, qui se réalise dans l’excellence de la formation et de la pratique culturelles des jésuites profès (les seuls à pouvoir prêcher), ou plutôt à travers le parcours d’abnégation personnelle que ces membres de l’ordre doivent accomplir au regard de la conscience qu’ils ont de leur propre culture et du statut social qu’elle leur permet d’atteindre. Le renoncement au lien entre la prédication et l’écriture — toujours à l’œuvre chez ceux qui pratiquent l’art oratoire sacré à cette époque2 — n’est pas une simple solution technique ou pratique, mais correspond pleinement au dessein d’Ignace.
2Dans son versant oratoire, l’application missionnaire de l’intention du fondateur permet de mettre en adéquation, et même d’adapter, la prédication aux exigences d’une communication qui ne soit pas conditionnée par la version préliminaire ou par le succès postérieur du discours écrit3. Les prêches des missionnaires jésuites dans les campagnes ne sont pas soumis à la rationalisation de l’écriture ni aux procédés réflexifs — distincts de l’acte de prêcher — d’inventio, dispositio, elocutio, sous-jacents à l’opération de memoria et à l’actio. Les missionnaires, au contraire, n’écrivent aucun texte, ni avant ni après l’avoir prononcé. Leur parole est seulement une voix qui provient du corps.
3Ce procédé est exemplaire dans l’expérience des missionnaires formés dans la Province romaine de la Compagnie de Jésus. Ce n’est pas une nouveauté sur le plan technique : une bonne partie de la prédication médiévale n’était pas soutenue par la rédaction d’un texte préliminaire, ni destinée à être couchée par écrit après avoir été formulée4.
4Il s’agit cependant d’un fait nouveau et différent. Ce n’est pas uniquement un phénomène qui se situe dans une pratique de longue durée, ni l’héritage d’un savoir ancien qui se manifeste à nouveau, ni un choix anachronique en pleine époque du primat de l’écriture et du triomphe de la prédication imprimée. Il s’agit d’une spécificité de l’époque moderne qui fait de l’oralité une option rhétorique réformatrice, par rapport au passé ou aux pratiques contemporaines, dont la finalité, à l’instar de l’objectif missionnaire de la Compagnie de Jésus, est résolument moderne.
5Les jésuites envoyés en mission dans les zones rurales européennes ont pour tâche de reconquérir les pauvres des campagnes pour l’Église en consolidant leur foi à travers la connaissance élémentaire de la doctrine, la réforme des mœurs, la componction et la pénitence ainsi que la fréquentation des sacrements de la confession et de la communion. Le but est de susciter chez eux un zèle et une dévotion qui les rendent capables de persévérer dans la vertu et de vivre dans la paix et la justice. Il s’agit de répondre ainsi à l’ignorance religieuse mais également à l’émergence des hérésies ; on prétend également combler les insuffisances du clergé en charge d’âmes5.
6L’activité apostolique est organisée en étapes de quelques jours (de huit à quinze jours dans chaque lieu, mais jusqu’à un mois et plus dans les premières décennies), par cycles continus de deux à trois mois jusqu’à huit mois par an, toujours dans les périodes ordinaires, en dehors du Carême mais aussi, généralement, de l’Avent6.
7Chaque étape de la mission rurale jésuite est envisagée comme une intervention globale7. Tous les ministères — et tous les talents — y sont représentés, répartis parmi les membres du petit groupe de missionnaires (généralement trois personnes, ayant des fonctions différentes et complémentaires ; mais il n’est pas rare que, l’ordre manquant de religieux à envoyer en mission rurale, les jésuites voyagent seuls dans les campagnes). Et même si la Compagnie considère qu’il est nécessaire de répéter fréquemment les interventions, d’une année sur l’autre au moins, chaque mission est conçue comme une action autonome, qui doit faire face à tous les besoins spirituels du lieu dans le court laps de temps de son déroulement.
8L’unité pastorale, déjà mise en œuvre par les premiers membres de la Compagnie de Jésus, la cohérence et même les changements dans les ministeria verbi Dei qui caractérisent le déroulement de la mission (prêches, leçons sacrées, instruction catéchistique, exercices spirituels ignaciens et conversations dévotes8) deviennent pendant deux siècles, dans l’activité des missionnaires qui leur succèdent, des traits distinctifs et des critères concrets indispensables à la poursuite des objectifs des jésuites dans les campagnes. Dans chaque lieu de mission, la concentration des tâches pour satisfaire un objectif spirituel et moral complexe quant aux besoins des simples se traduit par un ajustement réciproque des ministères : sans perdre de vue leur spécificité, mais, au contraire, en la valorisant, il est nécessaire qu’il y ait entre les différents ministères de la parole une circulation équilibrée d’arguments, de techniques, de procédés. Dans l’expérience missionnaire rurale s’affirme ainsi une syntaxe capable de structurer les activités (privées ou publiques), dont la clef de voûte est l’adaptation du missionnaire à la situation, aux caractéristiques du lieu et aux fidèles. Une syntaxe qui dans les années 1630 et 1640 apparaît dans les sources sous le terme de « méthode »9.
9Chaque étape missionnaire comprend d’ordinaire deux prêches quotidiens, une instruction catéchistique, des processions pénitentielles avec sermon, des dévotions et des pratiques de piété. La capacité de compréhension et d’adhésion des simples est l’unité de mesure de l’intervention même lorsque des personnes plus cultivées sont présentes (par exemple des représentants du pouvoir civil et religieux), comme c’est souvent le cas.
10Ce système se nourrit de la prédication non seulement parce qu’elle représente la forme exemplaire par excellence de la communication sacrée — celle dans laquelle s’engagent Jésus et les apôtres — et par l’importance qu’elle revêt parmi tous les ministères des jésuites, mais aussi en raison de l’efficacité particulière que les missionnaires ruraux lui attribuent. En effet, ils travaillent sur les contenus et sur les formes oratoires avec une grande capacité d’invention et trouvent des solutions de communication remarquables : la prédication s’appuie sur l’implication corporelle et affective, pour solliciter — à travers les sens et l’imagination — la volonté et l’intellect des assistants.
11Le style oratoire qui se développe depuis Silvestro Landini (vers 1503-1554), au milieu du xvie siècle, jusqu’aux solutions proposées par Paolo Segneri l’Aîné (1624-1694), dans la seconde moitié du xviie siècle, garde sa cohérence même si les divers missionnaires de la Compagnie y introduisent des solutions spécifiques. Il se fonde sur ce que nous pourrions appeler l’improvisation et sur la mise en avant de la présence physique du prédicateur (son corps, sa voix, ses vêtements, ses gestes et ses actions, les instruments dont il se sert) et sur le recours aux images et aux objets qui s’affirme et se perfectionne pendant la seconde moitié du xviie siècle et la première moitié du xviiie siècle.
12L’improvisation est la condition technique de la capacité d’adaptation oratoire des jésuites envoyés comme missionnaires dans les campagnes. Prêcher sur la base de l’improvisation signifie travailler selon un procédé rigoureux. Il faut se créer, à travers l’étude et l’expérience, un répertoire mental de textes de nature et d’origines diverses, qu’il importe de bien maîtriser, afin de les avoir toujours à disposition dans la mémoire pour pouvoir les combiner et composer avec une liberté suffisante dans le cadre du schéma du discours. Les différents prêches se déroulent selon un plan argumentatif préétabli, dont le développement et les articulations sont très importants pour atteindre l’objectif des missionnaires, qui est la persuasion. Pendant la durée de leur séjour dans un lieu, ils doivent amener les fidèles à se confesser et à communier. Les thèmes de cette prédication sont généralement tirés de la première semaine des Exercices spirituels10 et portent sur le péché, la mort, le Jugement dernier, l’enfer, le repentir des offenses faites au Seigneur, la Passion, la miséricorde de Dieu.
13Chaque prêche se compose de paroles, de voix, de gestes, de regards, d’actions, qui peuvent être rapidement réorganisés en fonction de la réaction de l’auditoire, ce qui suppose de déterminer et d’affiner des compétences et des techniques qui puissent rendre la communication accessible à la compréhension des simples.
14Au début du xviiie siècle, Antonio Baldinucci (1665-1717) — le seul missionnaire à avoir rédigé un mode d’emploi pratique pour les autres missionnaires, dans lequel il recueille une expérience de cent cinquante ans — écrit :
Quelquefois, avec les mêmes prêches […], on réussit efficacement dans certains lieux mais on n’obtient aucun fruit dans d’autres, même si le peuple est disposé de la même manière. Et lorsqu’on pense n’avoir eu aucun succès, on constate au contraire de nombreuses conversions parmi les égarés […]. Par conséquent, sont dans l’erreur ceux qui, en pratiquant une méthode de mission qui a porté des fruits, blâment toute autre manière pratiquée par d’autres11.
15Contrairement à la prédication écrite et apprise par cœur, l’improvisation répond parfaitement à cette disponibilité pour l’accommodation invoquée par Baldinucci dans les missions rurales. Il importe par conséquent que la structure oratoire soit flexible pour pouvoir l’adapter à la variabilité des situations, et qu’elle soit légère et mobile de sorte qu’elle puisse être transférée d’un lieu à un autre rapidement : le missionnaire n’a recours ni à des livres, ni à des notes manuscrites, mais seulement à son patrimoine intérieur. Ainsi, improviser signifie faire de la présence vivante de celui qui parle et de ceux qui écoutent la seule condition de l’expérience.
16Voici ce que remarque, en 1712, l’illustre Lodovico Antonio Muratori à propos de Paolo Segneri le Jeune (1673-1713), qu’il accompagne dans une longue mission aux alentours de la ville de Modène :
Son éloquence consistait en arguments familiers, qui n’avaient rien d’académique, ni de médité, bien qu’il les eût très bien pensés et ordonnés à l’avance. C’est pourquoi, il semblait […] que les paroles et les sentiments naissaient dans sa bouche au moment même où il les proférait, tant ils étaient naturels et sans fard. […] Cette facilité, reconnue comme fort difficile par tous ceux qui s’entendent dans l’art de la parole, était un don merveilleux du père Segneri12.
17À la fin de ce passage, Muratori affirme également que l’improvisation aurait aussi dû faire partie de la prédication solennelle, mais qu’il s’agit d’une habileté rare, d’un but impossible à atteindre pour la majorité des prédicateurs pratiquant l’art oratoire sacré, qui ont acquis une telle habitude de la récitation par cœur, au sens strict, que la prédication ne peut que dépendre d’un texte écrit. Au contraire, la capacité d’improviser est toujours indiquée dans les sources, même dans une perspective édifiante, comme un don propre du prédicateur missionnaire. Comme le démontrent les termes de Muratori, ce qu’il a fallu reconstruire et clarifier du point de vue historiographique est en réalité tout à fait clair pour les contemporains. Pour eux, la distinction est évidente même sur le plan lexical — missionarius et concionator — et révèle une conscience de la différence entre deux techniques et habitudes de vie13. Dans le cadre de la Compagnie de Jésus, ces deux conditions non seulement ne sont pas équivalentes, malgré l’unicité de la formation et des ministères, mais ne sont pas non plus réciproques14 (un même jésuite peut être écrivain prolifique et auteur de sermons sans pour autant s’appuyer sur la ressource écrite pour ses activités oratoires missionnaires : à ce titre le cas de Segneri l’Aîné est exemplaire).
18Le missionarius a une compétence plus large que le concionator. On peut faire appel à lui pour prêcher dans les villes lors des grands cycles liturgiques ; il le fait cependant à reculons, entre autres raisons parce que cela le contraint à avoir recours à des techniques rhétoriques, fondées sur l’écriture du prêche et sur la récitation du texte par cœur15, différentes de celles dont il a l’habitude.
19En revanche, le prédicateur citadin n’est pas en mesure de devenir missionnaire de manière occasionnelle. L’apostolat des campagnes exige une spécialisation oratoire, acquise en se soumettant à une profonde transformation, à travers une expérience concrète et continue, nécessaire pour réguler le rapport entre le prédicateur et le contexte populaire et rural et pour faire d’un orateur sacré un missionnaire efficace. À ce sujet, Baldinucci écrit encore :
C’est parce que les missions ne font pas appel à un style de prédication élevé et conceptuel que certains pensent qu’il suffit d’un talent médiocre pour les missions.
20Et après les premières épreuves :
Ils se pavanent et se fient à eux-mêmes, pensant être déjà passés maîtres dans cet art, en s’y employant avec impudence, sans conseil et, ce qui compte le plus, sans esprit.
21Et plus loin :
Certains imaginent sottement que dans les missions on peut dire ce qu’on veut et comme on veut, mais soyons prudents, parce qu’ils se trompent gravement : ils ne comprennent pas que beaucoup d’étude et de prudence est nécessaire pour prêcher avec fruit, sans déplaire aux doctes et en se faisant comprendre des ignorants. Le missionnaire, par conséquent, doit faire en sorte de bien penser à ce qu’il doit dire ; et même s’il n’est pas nécessaire qu’il l’apprenne par cœur, il est opportun qu’il l’ait bien digéré avec l’esprit16.
22Comme Baldinucci le résume clairement, l’opposition entre un art oratoire que nous pourrions appeler de type citadin et un art oratoire de type rural coïncide avec la volonté explicite de faire du choix de ne pas écrire et du refus de la récitation par cœur un rempart de spiritualité et de communication, qui rejoint l’intention des missionnaires de fuir la vanité qui corrompt les objectifs caritatifs de la prédication lorsqu’on la soumet à de tels procédés rhétoriques et aux conditionnements sociaux et culturels afférents.
23Et si toutefois certains d’entre eux élaborent des sermons écrits (trois recueils en tout, deux imprimés et un manuscrit, parmi tous ceux qui nous sont parvenus du milieu missionnaire de la Province romaine), les auteurs ne les conçoivent pas comme la phase de conclusion d’un processus qui documenterait le tracé rhétorique des prêches effectivement prononcés, mais déclarent qu’il s’agit de simples instruments de travail, dont d’autres peuvent se servir pour improviser des prêches, des instructions, de brefs sermons de procession17.
24La question apparaît sous différentes formes dans les sources missionnaires, ne fait jamais l’objet d’un discours à part, d’une réflexion systématique sur les questions rhétoriques, mais elle est intégrée à la documentation sur les pratiques de terrain.
25Les rapports et les lettres, très abondants, envoyés régulièrement par les missionnaires aux supérieurs — selon l’usage jésuite —, modifient en fait les termes courants de la reconstruction rhétorique. Ils ne fournissent pas le texte du discours prononcé, ni sur le mode des anciennes reportationes (grâce à un auditeur qui prend des notes), ni en les formulant eux-mêmes sous une forme adaptée à la lecture. En revanche, les documents contenant des préceptes, les écrits destinés aux compagnons des missionnaires experts, comme celui déjà cité de Baldinucci18, sont très rares et plutôt tardifs, de même que les traités théoriques normatifs sont inexistants.
26Les sources missionnaires ne reproduisent pas ce qui a été dit, mais informent sur la façon dont cela a été dit et sur la réception19. Dans ces sources, on rend compte de certains aspects spécifiques de l’oralité, de la parole vivante, se rattachant à chaque missionnaire et au contexte dans lequel il agit. Il n’en émerge pas seulement ce qui concerne le prédicateur — selon le processus individuel et fermé dont le prêche écrit est, à cette époque, le témoignage traditionnel — mais aussi ce qui concerne l’expérience vécue par les fidèles, avec une claire et constante préoccupation pour les succès de la persuasion sur l’auditoire : on y trouve des éléments sur l’assemblée (sa composition et sa disposition physique), sur l’humeur de la foule et des individus, les éléments de distraction, les actions accomplies spontanément et celles qui sont induites et régulées par le missionnaire et ses collaborateurs.
27L’action de prêcher joue un rôle fondamental dans les stratégies qui, au cours de chacune des étapes de la mission, visent non seulement à susciter une nouvelle articulation du temps quotidien de la communauté mais aussi à occuper et à marquer différemment les espaces. De sorte que dans les sources on arrive généralement à identifier la situation dans laquelle se déroule l’expérience oratoire : le lieu, espace ouvert (une place, une vallée, une plaine) ou clos (une église, une chapelle), dispersé ou délimité ; l’heure (le sermon du matin, l’instruction catéchistique de l’après-midi, le prêche le plus important du soir, les processions nocturnes), l’intensité de la lumière, naturelle ou artificielle ; l’obscurité ; le degré de silence, les bruits et leurs caractéristiques ; les conditions météorologiques.
28Même cette réélaboration de l’expérience dans les rapports et dans les lettres aux supérieurs révèle l’intérêt évident des missionnaires à exalter la seule valeur qu’ils attribuent à l’éloquence : l’institution d’un rapport nécessaire entre celui qui parle et celui qui écoute. Une éloquence charitable : le choix oratoire du missionnaire dans les campagnes doit être compris comme la réponse la plus pertinente à la vocation fondamentale de la Compagnie.
29La bulle d’approbation de 1540 précise que ne peut être admis dans l’ordre que celui qui « se distingue par sa doctrine20 ». Ainsi, lorsqu’on se réfère explicitement à la pastorale des ignorants (les rudes), à leurs exigences spirituelles et morales, on recommande aux supérieurs d’être fort attentifs, parce que, lit-on :
… pour les Nôtres, le danger est que, dans la mesure où ils seront instruits, ils s’efforceront peut-être de se soustraire à ce ministère, moins séduisant à première vue, alors qu’aucun n’est en réalité plus fructueux, soit quand il s’agit du prochain pour son édification, soit quand il s’agit des Nôtres pour exercer des tâches qui sont à la fois de charité et d’humilité21.
30Les fondateurs ont présent à l’esprit le fait qu’un homme destiné à militer dans le siècle, doté d’un patrimoine intellectuel important, est davantage exposé aux assauts du monde, et risque de fuir les tâches que tous les jésuites doivent accomplir selon leur commune et radicale vocation missionnaire.
31Sans qu’il soit possible d’y renoncer, car il est nécessaire aux buts de la Compagnie, le savoir ne peut être une fin, mais seulement un instrument : la science s’entend comme service et l’étude se comprend uniquement pour la gloire de Dieu22.
32Le jésuite s’inscrit dans cette vision caritative du savoir à travers la promesse de se consacrer spécialement aux rudes et aux pueri (ceux-là mêmes à qui fait allusion en 1546 le concile de Trente dans sa session Ve super lectione et praedicatione, au paragraphe 11 : plebes et parvuli). La promesse est formulée par les profès et les coadjuteurs spirituels au moment des vœux définitifs23. En plus de garantir l’enseignement de la doctrine, cette promesse a un autre objectif, déjà signalé dans la Formula, comme on l’a vu : elle oblige à l’exercice de l’humilité. En fait, la declaratio de la promesse explique qu’il est nécessaire de se consacrer avec un soin dévot à cette tâche, parce qu’il serait facile de l’oublier ou de la négliger au profit d’autres tâches « plus brillantes ». Et pour expliquer quelles sont ces occupations plus glorieuses et attrayantes, la declaratio fait justement référence à la prédication24.
33Pour prêcher aux simples, il est donc nécessaire de pratiquer cet exercice d’humiliation, d’« abaissement » qui, selon les Constitutions, règle la pratique de la mortification de l’amour-propre en toutes circonstances. Dans les Regulae missionum (postérieures de peu aux Constitutions), il est recommandé de toujours commencer à travailler « ab humilioribus », en enseignant justement la doctrine aux pueri25.
34Par conséquent, le lien entre le savoir des prédicateurs et l’ignorance de leurs destinataires est le présupposé spirituel qui devrait être à la base de l’activité de tous les prédicateurs jésuites. C’est cependant aussi une des expériences les plus difficiles pour les prédicateurs, toujours choisis parmi les profès de quatre vœux26, c’est-à-dire ceux qui ont atteint le degré d’études le plus élevé et les membres les plus haut placés dans la hiérarchie de la Compagnie de Jésus. Dans la VIIe partie des Constitutions, au chapitre iv, il est écrit que l’aide au prochain doit aller de pair avec l’exemplarité édifiante de la vie et des œuvres dont la pratique personnelle des vertus chrétiennes témoigne davantage que les mots. Mais lorsque les Regulae concionatorum reprennent ce point, il n’est plus question simplement de parole (verbis) en général, mais de doctrina27 : à l’exemplarité vertueuse de sa conduite le prédicateur (le jésuite profès) doit subordonner son propre savoir, c’est-à-dire ce qui pour lui peut être un facteur de superbe.
35Le caractère concret de cette série d’injonctions est d’une évidence déconcertante si on l’examine en dehors de la simple discussion stylistique et normative et si on l’envisage, au contraire, dans le cadre de la pratique militante, dans la bataille menée par les missionnaires des campagnes au nom de la véritable sagesse oratoire telle qu’ils l’entendent dans la perspective ignacienne. Il s’agit d’une prédication totalement subordonnée à la nécessité de persuader au retour à la foi les plus ignorants des ignorants, ceux qui vivent dans les campagnes, le lieu justement de l’humiliation du savoir.
36Il faut alors renoncer à l’autosatisfaction issue de la pratique littéraire, d’une activité rhétorique qui détourne de cette cohérence entre la parole et la conduite qu’il importe de manifester dans la prédication, sans médiation ultérieure, et qui est mise à l’épreuve de la relation directe avec les fidèles.
37La technique oratoire de l’improvisation s’inscrit dans ce cadre. Elle est vécue par les missionnaires des campagnes qui la pratiquent comme une rente spirituelle.
38Il est nécessaire de parler ici de mission rurale au sens strict car, par rapport à la mission auprès des païens et des infidèles ou aux conflits avec les « schismatiques », la mission auprès des rudes des campagnes semble annuler toutes les composantes héroïques qui alimentent les aspirations de tant de jésuites, depuis le franchissement d’une distance spatiale et temporelle considérable jusqu’au voyage dangereux, à la confrontation physique avec les adversaires qui peut aller jusqu’au martyre. C’est pourquoi elle est perçue comme une tâche peu ambitieuse pour un soldat du Christ, comme l’attestent les écrits de nombreux rédacteurs d’indipetae. Ceux qui pratiquent les missions intérieures dans les campagnes tendent donc à exalter leur propre expérience aux yeux des autres jésuites, parce qu’ils les conçoivent comme fortement ancrées dans cette voie de l’abnégation de soi que le vrai jésuite doit toujours poursuivre ad majorem Dei gloriam28.
39Les missionnaires des campagnes ne sont pas les seuls à considérer leur activité comme la plus adéquate au charisme jésuite. Selon la notion spirituelle fondatrice qui consacre l’union entre le savoir et l’humilité, les préposés généraux posent périodiquement la question oratoire en fonction soit des contenus soit des modes de communication. Leurs rappels normatifs, envoyés aux provinciaux ou à l’ensemble de la Compagnie, démontrent clairement qu’une telle prédication ne s’est jamais réellement affirmée au sein de l’ordre. Dans le cadre de la diversification des activités et en raison du grand nombre de membres qui est peu à peu atteint, l’obligation principale de l’apostolat auprès des rudes — représentée par l’action en dehors des villes — demeure un problème irrésolu.
40Il est indéniable que les directives de Claudio Aquaviva (1581-1615) sont parmi les plus nombreuses et importantes en ce qui concerne les missions rurales. Il semble nécessaire de souligner que sa conception missionnaire et la Ratio Studiorum sont étroitement liées, sur les plans tant chronologique que méthodologique. C’est le fruit d’une seule conception, d’une unique perspective de gouvernement, qui vise précisément à consolider l’acquisition des compétences nécessaires à l’activité dans les campagnes grâce au perfectionnement du système des études. Aquaviva admoneste d’ailleurs les jésuites à propos du caractère inaliénable du principe qui articule la valeur caritative des talents personnels et de l’étude, l’édification du prochain à travers une vie pauvre et vertueuse et la prédication sans superbe. Par rapport aux autres ministères et aux autres aspects de l’apostolat, il considère toujours que la doctrine chrétienne et l’action auprès des rudes sont liées et cette dernière ordinairement délaissée. Les mêmes préoccupations occupent un autre général auteur de lettres sur les missions, Vincenzo Carafa (1646-1649)29.
41Au-delà des affirmations des missionnaires des campagnes, les rappels des pères généraux à la vocation originelle de l’ordre permettent d’entrevoir l’existence d’un conflit, au sujet des tâches essentielles du prédicateur, qui agite la Compagnie, dès sa création, depuis la base jusqu’à son sommet.
42Les témoignages directs des missionnaires rendent compte de leur totale réprobation de la vie confortable et protégée des prédicateurs de collège. Les missionnaires ne tolèrent pas que l’on s’occupe de sa santé corporelle, que l’on vive dans un lieu fixe entouré de livres et disposant de beaucoup de temps pour élaborer un sermon écrit. Ils ont une préférence inconditionnelle pour la vie itinérante, la pauvreté, le rapport avec les pauvres des campagnes. L’attitude critique des missionnaires est certainement un solide soutien apologétique de l’apostolat rural fondé sur l’improvisation, mais elle exprime aussi une gêne sincère vis-à-vis d’un art oratoire considéré comme plein de morgue et de faste, dénué de résultats pastoraux visibles et qui est souvent la cause de l’éloignement des gens les plus simples de la pratique religieuse30.
43Ainsi, les missionnaires n’élaborent pas de production écrite parce qu’ils rejettent intentionnellement la dialectique entre oralité et écriture qui domine l’art oratoire sacré de leur temps. Ce qui suppose de ne jamais concevoir le contenu verbal de la prédication en fonction d’un autre résultat que celui du rapport oral et direct avec les personnes présentes. C’est aussi nier la possibilité d’une transformation de ce qui est dit en texte écrit (et, à en juger par le manque d’images illustratives, on peut penser que les missionnaires ne favorisent pas non plus la production de documents visuels de leur activité, en phase avec le renoncement au prêche écrit).
44La mise en place d’un lien avec les fidèles pendant la mission est le premier but à atteindre, celui qui permet de conduire les rudes à se confesser et à communier avant le départ des missionnaires. L’objectif le plus ambitieux est cependant de prolonger les résultats de la prédication et de faire en sorte que la persuasion se transforme en adhésion et en forme d’existence, c’est-à-dire en conversion.
45Qu’est-ce qui, pour les missionnaires, est essentiel pour amener les rudes à la compréhension des éléments fondamentaux de la foi et à vivre chrétiennement ? Comment comptent-ils mettre en œuvre ce projet relationnel ?
46Le procédé empirique qui, après 1650, conduit à la définition de la forme la plus stable et la plus pleine du style oratoire missionnaire se dessine de manière cohérente dès les premières expériences réalisées cent ans auparavant par Silvestro Landini (ce disciple d’Ignace, en activité dans certaines zones de l’Italie centrale et en Corse, est considéré comme le premier missionnaire rural). Une telle cohérence s’explique par l’adhésion constante au principe de la prédication jésuite qui, dans les Constitutions (puis dans les Regulae concionatorum, comme on l’a vu) constitue le « premier » des moyens d’aider les âmes « en tâchant d’édifier […] non pas moins, mais même davantage, aussi bien par les bonnes œuvres que par les paroles31.»
47Témoigner à travers l’action signifie agir. Dans la mesure où, dans le contexte oratoire, les actions sont comparées aux paroles bien que distinctes de celles-ci (comme on peut le lire dans le texte cité), on ne fait pas référence à des actes verbaux mais à des actes corporels, c’est-à-dire visibles. Les deux termes sont placés sur le même plan, mais l’un ne va pas sans l’autre et on assigne au premier une valeur supérieure à celle du second. La dimension corporelle est donc comprise comme une gradation de la dimension verbale. Le prédicateur doit assumer directement cette dimension : la prédication en elle-même doit être un témoignage édifiant, le choix de la pauvreté et de l’humilité qu’ont fait les missionnaires doit apparaître totalement dans la prédication et devenir la condition de l’efficacité et de la crédibilité. Le prédicateur doit être l’image vivante de ce qu’il prêche en tant que missionnaire jésuite : un envoyé du pape, en vertu du quatrième vœu d’obéissance, qui lie les profès de la Compagnie au souverain pontife32, puis aux supérieurs, et, à travers eux, à la volonté de Dieu. Cet apostolat permet aussi au missionnaire de parcourir son propre chemin de perfection. Les pauvres et les ignorants ne « connaissent » pas à travers la parole, mais « savent » ce que les sens leur offrent ; la qualité de ce savoir dépend de ce qu’ils acquièrent de bon ou de mauvais dans l’acte de la perception.
48Voici ce que Baldinucci écrit à propos des capacités des « auditeurs frustes » auxquels s’adressent les missionnaires :
Je pense que, pour convertir les gens du peuple dans les missions, il vaut mieux s’adresser à l’imagination et à la volonté qu’à l’intellect […]. Une vérité, une maxime chrétienne, s’imprime mieux chez eux si on la répète sous diverses formes sensibles. Autrement, le peuple ne parvient pas à suivre ; dans un discours élaboré, il se perd et quitte la mission tel qu’il y est venu33.
49La prédication missionnaire doit donc être parole et action, écoute et vision. Dans la première moitié du xviie siècle, la question de la vision (et ici « visible » s’entend comme « sensible », la vue étant le paradigme des autres sens, comme le souligne Baldinucci) émerge des sources comme une recherche fébrile de solutions de communication efficaces : il est nécessaire de mettre au point des formes absolument évidentes, qui mobilisent toute la perception sensorielle des auditeurs analphabètes à travers la vue, dans le but de susciter les émotions et de solliciter la volonté. Cette orientation explique l’augmentation, pendant la même période, des manifestations de pénitence du missionnaire pendant le sermon. Ainsi la conscience que les effets persuasifs sont susceptibles de se multiplier s’accroît-elle à mesure que les actes du prédicateur sont rendus visibles, offerts à l’assistance comme des modèles capables de provoquer dans le peuple des démonstrations de componction analogues à celles du prédicateur lui-même34.
50Ainsi, après 1670, on arrive à un modèle de prédication qui comprend une action très étudiée, mise au point par Paolo Segneri l’Aîné. Jusqu’à son affectation définitive à l’activité missionnaire dans les campagnes, Segneri avait été un des concionatores les plus en vue de la Compagnie et un modèle éminent, même en dehors de l’ordre — il devait le rester longtemps, jusqu’au xxe siècle —, d’un art oratoire sacré aspirant à la pleine efficacité pastorale aussi bien dans les contenus que dans l’argumentation ou les articulations rhétoriques35. Prédicateur urbain, il avait l’habitude, selon l’usage en vigueur, de s’appuyer sur une longue préparation dans l’isolement et de réciter par cœur le texte, rédigé préalablement en entier et adapté aux auditeurs cultivés de la ville ; il se consacrait également à la rédaction littéraire pour l’édition. Missionnaire, Segneri recherche une efficacité différente et plus pressante, adaptée aux pauvres et aux ignorants, et tire de l’improvisation l’autonomie d’expression nécessaire, dont il fait l’expérience directement dans l’action en présence de l’assemblée des fidèles. Dans le contexte expérimental de la mission, le développement de la formule qu’il met en œuvre connaît des ajustements. D’abord, dans un sermon final, avec des paroles très vives et des larmes, Segneri s’accuse d’être lui-même un pécheur et demande aux fidèles d’implorer pour lui la miséricorde divine, incluant dans l’action l’effigie du Christ crucifié qu’il a dans une main : la cohérence entre le geste et l’image rend le discours plus clair et génère dans l’assistance un trouble sincère. Mais Segneri n’est toujours pas satisfait et il modifie ultérieurement sa pratique : au cours d’un même cycle de missions et toujours à la fin d’un sermon de clôture, après avoir invité les fidèles à chanter le Te Deum, le missionnaire dit qu’il fera pénitence pour ses péchés : il se dépouille rapidement de son étole et de sa cotte et apparaît de manière inattendue couvert d’un vêtement simple, le dos nu, et commence à se flageller jusqu’au sang avec une discipline de fer. Le chant se confond avec les cris et les plaintes des assistants. Cette action spectaculaire se répète dans les mois qui suivent durant d’autres prêches et à d’autres moments de la mission (de brefs sermons au cours des processions pénitentielles et quelques manifestations de dévotion) : elle suscite toujours chez les spectateurs de la pitié envers le missionnaire et les incite à reconnaître qu’ils sont pécheurs et à manifester leur désir de conversion en accomplissant des actes de mortification corporelle analogues. La prédication du missionnaire acquiert une valeur polysémique : l’exemplarité pénitente (signifiée par la manifestation émue du sentiment de sa propre culpabilité et par l’acte d’expiation publique), l’identification avec les pauvres abandonnés dans le péché et l’imitation de la passion du Christ, un acte de restitution et d’offrande dévote.
51À partir du dernier tiers du xviie siècle, la figure du prédicateur qui se flagelle devant le peuple devient un trait caractéristique de la prédication rurale jésuite et l’emblème des valeurs pénitentielles, réparatrices, exemplaires de la mission, mais aussi d’un art magistral, conduit à la perfection pour servir les stratégies de conversion des simples : un vêtement usé et court de manière à découvrir une partie des jambes et les pieds nus, ouvert par-derrière pour recevoir les coups sur le dos ; une grosse corde autour du cou, croisée sur la poitrine et serrée à la taille, parfois une couronne d’épines calée sur la tête, dans les mains des fouets faits de morceaux de fer, de chaînes ou de cordelettes. L’action est réalisée dans un mouvement étudié et soudain.
52La solution de Segneri clôt cent ans de réflexions et d’expériences et, en libérant tout le potentiel de la prédication lié à la visibilité, ouvre la voie au style missionnaire des jésuites des xviie et xviiie siècles, c’est-à-dire à une prédication qui détermine une structure oratoire caractérisée par la relation intrinsèque entre parole et action et qui se prête à des variations techniques qui intégreront plus tard d’autres éléments.
53Depuis lors, les missionnaires les plus audacieux et les plus passionnés de la Province romaine poussent la prédication vers une forme de représentation, jusqu’à inclure divers éléments figuratifs dans des actions d’une extrême complexité, pensées d’une manière largement théâtrale où les images (le crucifix, la croix, les statues et les peintures de Jésus ou de la Vierge, les symboles de la Passion, les têtes de mort, les visages de damnés) sont traitées comme des personnes, des interlocuteurs actifs et vivants du prédicateur. C’est une conception oratoire dont l’originalité ne réside pas uniquement dans l’utilisation des objets et dans l’intonation fortement pénitentielle et pathétique (présente également, sous des formes et dans des proportions différentes, dans la prédication à l’apostolique des capucins et particulièrement dans la dévotion des Quarante heures36), mais aussi dans la spécificité des inventions dramatiques, qui puisent dans l’expérience typiquement jésuite que constitue la pratique théâtrale dans les collèges. L’éloquence des collégiens, mise à l’épreuve sur scène, trouve dans ces ministères un accomplissement surprenant37.
54Ces inventions résument et formalisent dans la prédication tous les éléments qui caractérisent la conduite du jésuite missionnaire (et qui le différencient du jésuite sédentaire des résidences et des collèges urbains) : l’imitation du Christ dans la pauvreté et dans la recherche des pauvres, la dépense physique, le dévouement passionné à l’Église de Rome et au retour des fidèles à la foi et à la pratique dévote, la médiation entre les fidèles et Dieu (le fait d’être, pour le jésuite, « l’instrument » de la « main de Dieu » selon les Constitutions38) et le partage avec les pécheurs de la nécessité d’une conversion constante. Ces éléments sont signifiés par l’austérité du vêtement, le dépouillement des gestes et des mots, la capacité d’émouvoir pour pouvoir s’émouvoir de l’œuvre de rédemption voulue par Dieu à travers le sacrifice de Jésus. Dans la prédication — quel que soit le degré de complexité oratoire que chaque missionnaire se propose d’atteindre —, cette entreprise spirituelle doit toujours être reconnaissable : le missionnaire qui prêche n’est pas seulement un ambassadeur de l’Évangile, mais aussi celui en qui l’adhésion à l’Évangile s’incarne, se manifeste.
55Ainsi, pour ces jésuites, le signe fort de l’appartenance à Dieu se concentre dans l’action oratoire : dans les formes particulières de son élaboration, le charisme jésuite dans le prêche acquiert l’évidence d’un rapport personnel entre le missionnaire et Dieu. Puisque le prêche est une expérience éminemment relationnelle et sociale au profit des pauvres des campagnes, abandonnés dans des conditions religieuses primitives et irresponsables, il devient une révélation du sacré.
56Chacun sait que la nostalgie de la parole absente est la nostalgie de la voix et que la nostalgie de la personne absente est la nostalgie de son image : il importe alors d’inverser la perception que l’on a de cette articulation pour saisir ce que pouvait signifier, pour les missionnaires, le fait de construire le prêche de manière à établir une relation intense et garantir ainsi les conditions intérieures pour que les rudes puissent retourner à l’expérience accomplie à travers la mémoire. On peut dire que dans la perspective du bénéfice des rudes, le choix de l’oralité est un choix technique et rhétorique, un choix spirituel et une option nécessaire pour permettre une conversion du cœur capable de se constituer, au cours de la mission, comme la mesure de la vie future.
57Dans les préceptes missionnaires légués par Baldinucci, le manque de références à des textes écrits est évident, alors que l’action typique de l’improvisateur, fondée sur la dialectique entre la réflexion et l’immédiateté de l’élaboration verbale, y est exaltée : la mémoire comme une importante réserve de thèmes, la nécessité d’assimiler et de maîtriser tout ce qui a été appris, pour savoir l’exprimer en fonction de la situation précise et des besoins de l’assemblée. La pratique fatigante de la préméditation et de l’assimilation, évoquée dans les Avvertimenti, est, par conséquent, le présupposé de la seule prédication possible. Le raisonnement doit être rendu « toujours plus intelligible aux moins doués », écrit Segneri l’Aîné, c’est-à-dire expliqué, étendu, segmenté, de même qu’il est nécessaire de couper un pain en petits morceaux pour qu’il soit mangeable et donc nourrissant39. De la même manière, Segneri le Jeune ne voulait prononcer que des mots « prémédités et bien digérés », et passait son temps à « émietter avec un art admirable tous les sujets40 ». C’est la réponse des missionnaires jésuites dans les campagnes aux exigences de réforme de la prédication, indiquées dans la session V du concile de Trente, où la référence au passage des Écritures, « Parvuli petierunt panem et non erat qui frangeret eis » (Lam 4, 4)41 est le point cardinal de l’appel sévère à la nécessité de trouver d’autres ressources pastorales, fondées sur l’engagement à prêcher de tous les prêtres (de l’évêque au curé et aux religieux) et sur le renouvellement du style oratoire en faveur d’un objectif pleinement évangélique et d’une large et sincère compréhension de la parole prêchée de la part des pauvres et des simples. Par conséquent, l’improvisation est le mode explicitement structurant de la prédication populaire, souhaitée par le concile de Trente, et des capacités de ses spécialistes42.
Notes de bas de page
1 Article paru en version espagnole (Selecciones oratorias y modos de predicación en las misiones rurales de los jesuitas italianos [siglos xvi-xviii ]), dans P. Chinchilla Pawling et A. Romano (éd.), Escrituras de la modernidad, pp. 327-353. [NdE : Traduit ici de l’italien par Aliocha Maldavsky.]
2 À cette époque, comme l’affirme Giovanni Pozzi, « le prêche était constamment formulé par écrit », en tenant compte des « critères d’oralité écrite intégrale […] et conseillent une fidélité sans faille à l’écrit au moment de l’exécution, à travers l’apprentissage par cœur dont les effets étaient vérifiés par des répétitions privées » (G. Pozzi, « L’identità cappuccina e i suoi simboli », p. 65 ; cet article, bien que consacré aux capucins, contient un récapitulatif magistral des questions principales concernant la prédication à l’époque moderne et le rapport entre l’oralité, l’écriture et la publication imprimée, déjà traitées par le même auteur dans Grammatica e retorica dei santi, pp. 266-280, où, aux pages 3-46, il fait le point sur le développement de la mode du prêche imprimé).
3 Giovanni Pozzi écrit également que « si l’imprimerie se réfère à un texte oral […], le texte oral se réfère à un écrit préalable. Dans ce processus trois relations s’instaurent entre les deux éléments de base de l’oral et de l’écrit : écriture manuscrite - récitation ; récitation - retour au manuscrit initial ; manuscrit - impression postérieure à la récitation » (G. Pozzi, « L’identità cappuccina », p. 65).
4 C. Delcorno, La predicazione nell’età comunale ; R. Rusconi, Predicatori e predicazione (secoli ix-xviii ).
5 Dans les documents jésuites de l’époque, ce type de mission n’a pas un nom spécifique et constant : c’est une « mission » comme celle qui s’adresse aux protestants, aux païens ou aux infidèles d’Orient et d’Occident. L’historiographie utilise divers termes pour la désigner : en particulier « missions populaires » en Italie, « missions intérieures » en Espagne et en France. Sur l’importance capitale de la question de l’ignorance religieuse et des méthodes pour la combattre d’après la vision et l’action missionnaires de la Compagnie de Jésus, A. Prosperi, Tribunali della coscienza, pp. 607-638, ainsi que son article très suggestif « “Otras Indias” : missionari della Controriforma tra contadini e selvaggi », pp. 205-234, sa première étude sur les missions dans les campagnes, et « Il missionario », pp. 179-218, plus particulièrement les pp. 202-218. Pour une vision globale du phénomène missionnaire, L. Châtellier, La Religion des pauvres, pp. 17-121.
6 Ce n’est qu’aux xviie et xviiie siècles que les jésuites commencent à intégrer les villes au début ou à la fin d’un itinéraire missionnaire, tout en y important leur modèle d’apostolat rural caractéristique.
7 Dans les Regulae missionum, rédigées avant 1580 et destinées à ceux qui partent des maisons et des collèges pour travailler à l’apostolat dans les campagnes, sont mentionnés les « media spiritualia » qui, « iuxta Institutum Societatis », devront être utilisés : le prêche (doté de force affective et capable de provoquer des larmes et d’autres signes de commotion et de repentir), la doctrine chrétienne aux simples (enseignée à travers un style familier), l’administration des sacrements de la confession et de la communion, l’exhortation individuelle à mener une vie honnête et à la prière, les exercices spirituels, les pacifications et réconciliations, l’instruction au clergé (Regulae eorum, qui in missionibus versantur, § 11, p. 20). La liste des ministères de la Compagnie renvoie à celle qui est inscrite dans les première et seconde bulles d’approbation, la Regimi militantis de 1540 et la Exposcit debitum de 1550 (dans Societatis Iesu Constitutiones et Epitomae, pp. 8-20).
8 J. O’Malley, S. J., I primi gesuiti, pp. 101-147.
9 Cette transformation lexicale témoigne de l’« esprit de méthode » dont parle Michel de Certeau lorsqu’il souligne que, entre le xviie et le xviiie siècle, celui-ci fait aussi son chemin dans « les institutions et les fondations religieuses, avec une logique introduite par un souci d’efficacité, de rationalisation qui tend à un “ordre” », M. de Certeau, L’Écriture de l’histoire.
10 Le recours à cette partie des Exercices remonte aux origines de l’activité missionnaire de la Compagnie de Jésus. À ce propos, voir la lettre célèbre du jésuite Silvestro Landini, considéré comme le premier missionnaire ad rudes de l’ordre, à Juan Polanco depuis la Toscane en 1548, ainsi que celle à Ignace de Loyola, depuis Carregio, le 4 juillet 1549, Litterae quadrimestres, vol. I, p. 136 et p. 163 respectivement. La référence à la première semaine des Exercices spirituels en ce qui concerne les prêches se confirme dans le temps et se vérifie encore bien après Landini : voir, par exemple, Archivum Romanum Societatis Iesu (ci-après ARSI), Rom. 132/II, fos 605ro -614ro, F. Tegrimi, « Relatione della missione fatta nella diocesi d’Albano l’aprile e “1° maggio del 1654” », Rome, le 24 août 1654, ms., fo 608vo.
11 ARSI, Opp. Nn. 299, fos 1ro-66ro. Antonio Baldinucci, Avvertimenti a chi desidera impiegarsi nelle missioni, ms., fo 9vo. Au sujet de cet important manuscrit, B. Majorana, « La pauvreté visible ».
12 L. A. Muratori, La vita del padre Paolo Segneri, p. CXXIV.
13 Au cours du procès en béatification de Baldinucci, les informations sur son activité oratoire sont recueillies à travers deux questions différentes ; les réponses qui y sont apportées démontrent cette prise de conscience. L’une d’elles porte sur les caractéristiques de sa prédication missionnaire, en tant qu’expérience orale, reconstruite sur la base de témoignages directs ; l’autre, à l’inverse (formulée dans le but d’attester l’existence de textes écrits prouvant sa réputation de sainteté), porte sur la rédaction écrite de prêches intégraux, renvoyant à une preuve matérielle et à la diffusion de textes auprès d’un public de lecteurs. Dans les réponses, les deux formes rhétoriques ne sont jamais confondues. Un témoin interrogé sur la seconde forme, à propos du fait qu’il avait entendu Baldinucci prêcher au moment du Carême, affirme : « Je sais […] qu’il a écrit deux sermons de Carême dont il se servait pour les sermons de cette période liturgique. » Archivio della Postulazione generale della Compagnia di Gesù, Processus ordinarius in terra Popharum Verulanae diocesi constructus super sanctitae vitae, virtutibus et miraculis : 1720, vol. II, dépositions de C. Martocci, fos 296ro -316vo et G. M. Crivelli, fos 867vo-904vo. Baldinucci fut béatifié en 1893.
14 Le choix de l’improvisation à cette époque semble tellement improbable — surtout dans le cadre de la Compagnie de Jésus — que nombreux sont les auteurs qui, parmi ceux qui les premiers ont compris l’importance de la mission rurale italienne, n’ont pas relevé, malgré l’absence manifeste de prêches missionnaires tant écrits qu’imprimés, l’éventualité de l’improvisation. Il en a résulté, sur le plan historiographique, une unification et une confusion des diverses pratiques oratoires. La distinction entre missionarii et concionatores a une traduction institutionnelle précise dans les Catalogi, le système de classification jésuite des données biographiques, les caractéristiques personnelles et les tâches des membres de l’ordre (voir les § 32-35 de la Formula scribendi, in Institutum Societatis Iesu, p. 45) et B. Dompnier, « L’activité missionnaire des jésuites de la Province de Lyon ».
15 Antonio Tomassini (1632-1717) « prêchait chaque année le cycle quadragésimal dans une ville […]. Mais qu’on ne pense pas qu’il prêchait lors du Carême — parce qu’il était missionnaire — à l’apostolique, comme on dit, c’est-à-dire, selon l’opinion vulgaire, sans aucun art de l’éloquence : il avait, au contraire, composé soigneusement les sermons et les avait appris par cœur, ce qui demandait beaucoup de travail. » Une fois, dans une petite ville, « en descendant de la charrette, il se rendit compte qu’on lui avait volé le coffre dans lequel il conservait ses prêches [de l’Avent] car on avait coupé les cordes qui le retenaient. Le père Tommasini, sans perdre de sa douceur, dit : “Je veux aller prêcher quand même. Dieu m’aidera” » (G. A. Patrignani, Della vita del padre Antonio Tommasini [sic], pp. 23 et 81). On constate des expériences similaires pour Baldinucci. En revanche, Paolo Segneri l’Aîné, après une trentaine d’années de missions rurales et alors qu’il est encore très apprécié pour sa précédente activité de concionator, est appelé par le pape comme prédicateur et théologien au Vatican. La charge est plus que prestigieuse, mais Segneri voulait rester dans les campagnes. Contraint d’obéir, il retourne s’établir à Rome. Selon ses biographes, il n’aurait pas survécu à ce renoncement (G. Massei, Breve ragguaglio della vita). Les treize Prediche dette nel Palazzo Apostolico e dettate alla Santità di Nostro Signore Innocenzo XII sont publiées en 1694 : elles témoignent de l’importance pour Segneri de son activité dans les campagnes, dont il dresse dans ces textes un portrait tragique et en important décalage avec le gaspillage et la pompe de la vie romaine (E. Bolis, L’uomo tra peccato, grazia e libertà, p. 44). Dans les lieux de mission, les jésuites ne font pas des prêches ordinaires, dominicaux, pour des jours solennels ou de fête : ces formes d’art oratoire sacré sont laissées aux curés ou aux prédicateurs de passage ou invités pour l’occasion.
16 A. Baldinucci, Avvertimenti, fos 6vo-7ro, 26vo.
17 P. Segneri [l’Aîné], Il cristiano istruito nella sua legge, pp. 316-317 (« Dichiarazione ») ; ARSI, Opp. Nn. 211, fos 1ro-211vo, [A. Baldinucci ], Ragionamenti per la missione, ms. apographe, début du xviiie siècle : fo 5ro sqq. ; [F. Fontana ], Pratica delle missioni. Paolo Segneri le Jeune, en revanche, se refusa à rédiger et à publier ses prêches : L. A. Muratori, La vita del padre Paolo Segneri, pp. VII-VIII et CXXVIII.
18 Les seules compilations de préceptes à l’usage exclusif des missionnaires ruraux jésuites que je connaisse sont les Avvertimenti manuscrits d’Antonio Baldinucci (écrits entre 1705 et 1717, année de la mort de l’auteur) et la Pratica delle missioni de Fulvio Fontana (imprimée plusieurs fois après 1714), de facture plus descriptive que le texte précédent.
19 Les récits permettent cependant de rendre compte de paroles, de phrases ou de brèves parties de discours prononcés. Les fragments les plus étendus de sermons prononcés sont ceux qui ont été transcrits par Muratori pendant les missions de Segneri le Jeune. L. A. Muratori, Cronaca delle missioni.
20 « La Summa de 1539 et les Bulles pontificales », dans Ignace de Loyola, Écrits, p. 306.
21 Ibid., p. 300.
22 Constitutions, X, § 813-814, Ibid., pp. 598-599.
23 Les formules des vœux sont dans les Constitutions, V-iii, § 527-529, pour les profès de quatre vœux ; V-iii, § 532, pour les profès de trois vœux ; V-iv, § 535-536, pour les coadjuteurs spirituels.
24 Constitutions, V-iii, § 528, dans Ignace de Loyola, Écrits, p. 521.
25 Regulae missionum, § 13, dans Institutum Societatis Iesu, p. 20 (ces règles apparaissent probablement avant 1580 : A. Guidetti, Le missioni popolari, p. 56, note 2).
26 Constitutions, IV-xii, § 446-448, 450-451, dans Ignace de Loyola, Écrits, pp. 502-503. La formation académique et théologique constitue un critère indispensable pour la prédication, le plus élevé des consueta ministeria des jésuites (voir J. O’Malley, S. J., I primi gesuiti, pp. 101-102, 111, 238, 380-382).
27 « Enitantur cum Dei gratia esse caeteris exemplo ; ut non minus vita quam doctrina ad omnem virtutem proximos alliciant » : Regulae concionatorum, § 3, dans Institutum Societatis Iesu, p. 17. Constitutions, VII-iv, § 637, Ignace de Loyola, Écrits, p. 555.
28 Voir, par exemple, ARSI, Rom. 184/I, fos 4ro-9vo, F. M. Petruccioli et A. Tomassini, « Breve ragguaglio della missione fatta nella diocesi d’Arezzo […] nel 1665 », Florence, le 27 juin 1665, ms., fo 9vo : « Puisque je ne fus pas digne de livrer au grand Dieu du ciel, avec mes autres frères, le sang des veines tiré par la haine des japonais, je lui consacrerai la sueur de mon front pressuré par la charité. » Sur l’aspiration à partir ad infideles, voir G. Pizzorusso, « Le choix indifférent », pp. 881-894 ; G. C. Roscioni, Il desiderio delle Indie ; et maintenant les contributions de Ch. de Castelnau-L’Estoile, A. Maldavsky, P.-A. Fabre et A. R. Capoccia dans P.-A. Fabre et B. Vincent (éd.), Notre lieu est le monde.
29 Les lettres de ces deux préposés généraux, auxquelles je fais allusion, remontent à 1590, 1593-1594, 1594, 1599, 1609 pour celles d’Acquaviva, et à 1646 et 1647 pour celles de Carafa.
30 Par ailleurs, le même Acquaviva, dans une lettre de 1613 aux pères provinciaux, recommande que les concionatores renoncent aux sermons élaborés par écrit, appris par cœur et répétés sans cesse, dont on finit par ne suivre que les paroles sans saisir le sens et les buts du discours : « Epistola monita complectens de formandis contionatoribus [sic] accommoda », dans Epistolae praepositorum generalium ad patres et fratres Societatis Jesu, pp. 356-357.
31 Constitutions, VII-iv, § 637, dans Ignace de Loyola, Écrits, p. 555. Encore au début du xviiie siècle, A. Baldinucci, Avvertimenti, fo 13, fonde ses observations sur la sincérité des comportements et des actions extérieures des missionnaires en rappelant ce passage des Constitutions.
32 Sur la spécificité du quatrième vœu et sa nouveauté, voir les contributions de C. de Dalmases et J. Masson, « Jésuites » coll. 963-964, 1031-1032 (publié ensuite séparément : AAVV, Les Jésuites).
33 [A. Baldinucci], Ragionamenti per la missione, fo 5ro.
34 Ainsi l’atteste, dès le début du xviie siècle, l’introduction fréquente, de la part des missionnaires de la Province romaine, de processions qui mettent en scène la disponibilité à la componction des participants à travers une organisation formelle particulièrement élaborée. Elles rejoignent les pratiques ascétiques des congrégations mariales à la même époque (ARSI, Neap. 72, fos 108ro-123vo, Anonyme, Rapport sur l’état des congrégations de la Province napolitaine jusqu’en 1607, ms. ; ARSI, Rom. 129/I, fos 125ro-150vo, Salvatore Trotta, Rapport des missions des pères Marco Antonio Costanzo et Salvatore Trotta dans la diocèse de la Sabina (États pontificaux), du 11 novembre 1605 au 31 mars 1606, ms. ; fo 141vo et passim). D’autres phases sont perceptibles dans les années 1640, lorsque le modèle pénitentiel est explicitement adopté (à la demande du général Vincezo Carafa) et qu’il est réélaboré jusqu’à devenir caractéristique de l’activité missionnaire dans la Province napolitaine : G. B. Di Elia, Relatione di una missione ; ARSI, Neap. 74a, fasc. 2, fos 179ro-214vo, Modesto Curtopassi, « Relatione di una missione fatta da due reverendi padri della Compagnia di Giesù, nella città di Andria del Regno di Napoli, nell’anno MDCXLVI », ms., fos 188vo-189ro, 190vo-207vo ; Anonyme, Relatione della missione fatta, pp. 8-17, 43-63 et passim ; S. Paolucci, Missioni de’ padri, pp. 28-47 et passim.
35 Une seule monographie a été consacrée à Segneri orateur, très célèbre de son vivant et après sa mort. Elle ne signale cependant pas la spécificité de sa prédication missionnaire (G. Marzot, Un classico della Controriforma : Paolo Segneri). Une étude plus récente, d’ordre théologique, lui a également été consacrée (E. Bolis, L’uomo tra peccato, grazia e libertà).
36 S. Giombi, « Predicazione e missioni popolari » ; C. Cargnoni, I frati cappuccini, vol. IV/2, p. 2951, affirme que les missions des capucins en Italie s’identifient de fait avec les Quarante heures (voir Id., « Quarante heures »).
37 Les ajustements de type théâtral opérés par Segneri l’Aîné dans sa prédication missionnaire, entre les premiers essais de jeunesse et l’expérience de la maturité, émergent de plusieurs sources : ARSI, Rom. 132/II, fos 441ro-452vo, Anonyme, Rapport sur les missions des pères Segneri et Bonamoneta en Valdarno (Toscane) en 1653, ms. ; ARSI, Rom. 132/II, fos 503ro-510vo, Anonyme, « Breve avviso di quello è successo nella missione fatta da due padri del terz’anno della Compagnia di Giesù nella parte di Val d’Arno verso Monte Varchi nella Toscana », 1653, fo 507vo ; [G. P. Pinamonti], Breve relatione della missione, pp. 266-267 ; Ven. 106/II, fos 229ro-232vo, Antonio Rochetti, lettre sur la mission des pères Segneri et Pinamonti à Vignola, dans le diocèse de Modène, au mois de mai 1672, au père Giovanni Bonini depuis la Rocca Malatina, le 19 mai 1672, ms., fos 230vo-231ro ; [L. Bartolini], Relatione delle missioni, pp. 11-13. Ce style de prédication qui, d’après Segneri, a été imité par plusieurs missionnaires, provoque des discussions au sein de la Compagnie de Jésus et des polémiques à l’extérieur, à cause notamment du développement des actions pénitentielles et de l’usage des images : G. Orlandi (éd.), appendice à « L. A. Muratori e le missioni di P. Segneri jr » ; B. Majorana, « Immagini predicazione teatro ». Entre les xviie et xviiie siècles, d’autres méthodes missionnaires s’affirment, différentes de celle des jésuites. Elle constitue cependant un paradigme constant même lorsqu’il est critiqué : R. Rusconi, « Gli ordini religiosi maschili » ; G. Orlandi, La missione popolare, pp. 511-517, 520-527 ; Id., « La missione popolare in età moderna ».Voir sur ce point les observations pertinentes de S. Nanni, Réformistes et rigoristes.
38 Constitutions, X, § 813-814, pp. 598-599.
39 P. Segneri [l’Aîné], Il cristiano istruito nella sua legge, pp. 315-316 (« Dichiarazione »), et Id., Il parroco istruito, p. 851, sur la doctrine pour les enfants.
40 F. M. Galluzzi, Vita del p. Paolo Segneri juniore, pp. 224-225 ; et aussi les recommandations de Segneri le Jeune aux prêtres des paroisses pendant un prêche : L. A. Muratori, Cronaca delle missioni, p. 247.
41 « Decretum super lectione et praedicatione », sessio V, 17 juin 1546, dans Conciliorum ocumenicorum decreta, pp. 667-670.
42 En ce qui concerne la prédication citadine, Stefano Simiz propose de valoriser ce qui dans les sources évoque le « fonctionnement de la prédication », en relation avec les témoignages des observateurs. Il en résulte, pour la France (1550-1650) des indices significatifs de la capacité à respecter les injonctions conciliaires relatives au style de la prédication, à ses objectifs et à ses contenus. L’indication est utile dans la perspective d’une étude de l’art oratoire sacré citadin qui ne reste pas confiné à l’unique document du prêche écrit et imprimé. S. Simiz, « La prédication catholique en ville ».
Auteur
Università di Bergamo
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