L’empire hispanique médiéval, un mythe historiographique à revisiter
p. 11-48
Texte intégral
1S’adressant dans le prologue de ses Quarenta Libros del Compendio historial (1571) à Philippe II, « roi d’Espagne, de Naples et de Sicile, duc de Bourgogne, du Brabant et de Milan, comte de Flandre, roi et seigneur de nombreux autres royaumes et provinces, et très digne Empereur de la Monarchie du Nouveau Monde », Esteban de Garibay (1533-1599), chroniqueur officiel du roi, commente la glorieuse titulature de son roi et seigneur, et souligne l’importance du titre impérial qui le clôt :
Ce titre est différent de celui de Jules César et des divers autres Princes Romains, Constantinopolitains et Français, dont on relatera assurément la succession en temps et en lieu dans notre histoire, et bien différent encore de celui des Empereurs de Trébizonde, et surtout de celui des Turcs, ennemis de notre Sainte Foi, dont les Rois sont appelés à tort Empereurs dans quantité d’histoires qui leur donnent l’attribut de cette dignité, tout au moins en nom, davantage par arrogance que par une quelconque cause suffisante pour un jugement Catholique.
Ce titre Impérial, de nombreux Rois catholiques de l’Espagne, Princes puissants, prédécesseurs de Votre Majesté de mémoire immortelle, en usèrent avec grand mérite : parce qu’en laissant de côté le Roi don Sanche le Grand, excellent et très remarquable Prince, duquel certains Auteurs écrivent qu’il s’est intitulé Empereur des deux Espagnes Citérieure et Ultérieure, il est chose certaine que son fils le Roi don Ferdinand le Grand, que l’histoire Générale du Roi don Alonso le Sage, œuvre ancienne, et d’autres Chroniques appellent Pair d’Empereur, jouit du titre Impérial avec force Majesté et grandeur, et ensuite fit de même à plus forte raison son fils le Roi don Alonso le Sixième, surnommé le Brave, en s’intitulant Empereur des Espagnes, tout particulièrement après qu’en l’an mil quatre-vingt trois de la Naissance de notre Seigneur il gagna au pouvoir des Maures, ennemis de notre Sainte Foi Catholique, l’insigne ville de Tolède, appelée par excellence Impériale, avec son grand Royaume débordant d’importants villages, sa région des plus fertiles et si amène, qui grâce à sa Catholique diligence reçurent la Sainte Foi, délaissant la secte Mahométane. […] À sa mort, en l’an mil cent huit, son gendre et successeur immédiat don Alonso, septième du nom, surnommé le Batailleur, Roi de Castille et de León et en même temps d’Aragon et de Navarre, fit de même. Après son règne le même titre Impérial fut perpétué par don Alonso, huitième du nom, Roi de Castille et de León, petit-fils du sixième, qui par excellence est tout particulièrement appelé Empereur d’Espagne : lequel, au début de l’année mil cent trente-cinq, reçut la première couronne Impériale en l’Église Cathédrale de la ville de León avec grande solennité, en tant qu’Empereur des Espagnes, des mains de don Raymond, Primat des Espagnes et Archevêque de Tolède, comme cela paraît très notoire non seulement d’après ses Chroniques, mais aussi d’après les instruments originaux donnés et conçus par ces mêmes Empereurs à diverses localités, Églises et Monastères de leurs Royaumes, dont notre Chronique citera quelques uns dans les histoires de leurs temps et Empires, bien qu’après ait cessé le titre, s’étant divisés les Royaumes de Castille et León en l’an mil cent cinquante-sept après la mort de cet Empereur, revenant à l’aîné le Roi don Sanche le Désiré la Castille avec Tolède, et au puîné don Ferdinand le Second le León avec la Galice1.
2On le constate, l’attribution du titre d’imperator à certains souverains castellano-léonais est connue à l’époque moderne, transmise qu’elle a été dès le Moyen Âge par ces chroniques qui qualifient Ferdinand Ier de « par de emperador » et rappellent le couronnement impérial d’Alphonse VII en 1135, ou encore par les diplômes. Dans le même temps, l’intérêt pour le sujet est très relatif : s’il permet en l’occurrence de faire indirectement l’éloge de Philippe II, il ne constitue pas un objet d’étude en lui-même.
3Ce n’est en réalité qu’au XXe siècle, alors que l’on découvre que l’histoire impériale de l’Espagne ne débute pas au XIe siècle mais bien avant, lorsque les rois asturo-léonais prirent l’habitude d’être désignés par le titre d’imperator, que l’on commence à se soucier du phénomène au point de le théoriser. On parlera d’ailleurs d’un intérêt passionné car, entre 1925 et 1950, ce ne sont pas moins d’une quinzaine d’études qui sont consacrées au sujet. Passion encore au vu de l’intense débat que suscitent alors les interprétations divergentes que l’on donne du phénomène. Passion enfin dans la portée de ce débat qui, en s’insérant dans les polémiques historiographiques du moment, finit par élever le thème de l’imperium hispanique médiéval au rang de mythe.
I. — GENÈSE D’UN MYTHE : « L’IDÉE IMPÉRIALE LÉONAISE » ET LA THÈSE DE MENÉNDEZ PIDAL
4Ce sont d’abord les historiens du droit qui, durant le second quart du XXe siècle, se sont intéressés au phénomène impérial hispanique. Traité tout d’abord de manière allusive, le sujet — on parle dès lors de « l’idée d’empire », ou plus encore de « l’idée impériale léonaise » — est rapidement l’objet d’études plus denses. Il n’acquiert toutefois ses lettres de noblesse qu’à partir du moment où Ramón Menéndez Pidal s’en empare et propose pour expliquer le phénomène une thèse fondatrice, au regard de l’impact qu’elle a eu et qu’elle conserve encore dans une certaine mesure.
PREMIÈRES THÉORIES SUR L’EMPIRE HISPANIQUE
5On considère souvent que le premier historien à avoir mis en relief l’existence d’un empire hispanique médiéval est l’Allemand Ernst Mayer, qui y consacre quelques pages de son Historia de las instituciones sociales y políticas de España y Portugal durante los siglos v a xiv, dont les deux volumes ont été publiés en 1925-19262. Dans la section consacrée au pouvoir central, Mayer constate que « depuis le début du Xe siècle les rois de León et de Navarre sont désignés comme empereurs, et à la même époque le comte de Castille présente le même titre »3. Il distingue cependant deux étapes de développement de l’empire hispanique. L’attribution du qualificatif d’imperator au Xe siècle n’a d’autre sens que l’affirmation de l’indépendance princière face aux autres pouvoirs péninsulaires, et également face à la puissance carolingienne. En revanche, à partir du XIe siècle et avec l’entrée en scène des figures de Ferdinand Ier, Alphonse VI, Alphonse Ier d’Aragon et Alphonse VII, le titre impérial signifie la volonté de suprématie de ces monarques sur les autres puissances de la Péninsule. Avec ses vassaux et princes soumis, l’empire « castillan » d’Alphonse VII en est l’aboutissement institutionnel, comme le souligne le couronnement impérial du souverain en 1135. Quant à la disparition de l’empire après 1157, Mayer ne fait qu’émettre l’hypothèse que la perte des liens de vassalité avec la Castille et le Portugal pourrait l’avoir rendu invalide ou encore que la pénétration d’un « concept impérial » en provenance de l’Europe aurait rendu son principe inadéquat en Péninsule.
6Mayer n’était cependant pas l’unique historien à s’être penché aussi précocement sur la question, puisqu’en 1925 également Alfons Schunter publiait ses propres conclusions4. Celles-ci ont rarement été prises en compte par les chercheurs, pour des raisons d’accessibilité5. Les arguments apportés sont cependant de force et récurrents dans les polémiques postérieures. Schunter affirme en effet que le titre impérial, pour le Xe siècle et la première partie du XIe siècle, a pu signifier une situation de prééminence des souverains léonais sur d’autres rois péninsulaires. Cependant, il fait remarquer que ce titre, jusqu’à Alphonse VI, n’est jamais employé à la première personne, mais uniquement dans des expressions indirectes ou posthumes. Aussi pour lui ces traces ne doivent pas être assimilées à un quelconque impérialisme léonais, mais simplement à la volonté de mettre en valeur la royauté asturienne.
7À la suite de ces courtes remarques se sont succédés les premiers travaux de Ramón Menéndez Pidal, publiés entre 1926 et 19346. De manière certes dispersée mais amplement développée, le philologue espagnol y énonce déjà l’ensemble des conclusions qu’il allait plus tard regrouper dans un seul et même ouvrage. Menéndez Pidal s’applique en effet à réfuter la thèse de Mayer selon laquelle le titre impérial tel qu’il est utilisé au Xe siècle ne serait d’abord qu’une vague affirmation d’indépendance des souverains asturo-léonais face à l’empire carolingien. Il soutient au contraire l’effectivité continue, du Xe au XIIe siècle, de ce qu’il nomme « idée nationale hispanique », qui « avait même une expression politique imprécise […] dans le caractère d’empereur qu’on attribuait au roi léonais, en tant que supérieur hiérarchique des autres souverains d’Espagne »7. Il participait ainsi à la naissance de l’« idée impériale » hispanique et inaugurait un thème historiographique amené à avoir un grand succès dans les années immédiatement postérieures.
8La destinée de l’étude d’un autre Allemand, Hermann J. Hüffer, est symptomatique de la vogue dans laquelle se trouve le thème dans le deuxième quart du XXe siècle en Espagne. En 1931, cet historien publie à Münster une étude intitulée Das spanische Kaisertum der Könige von León-Kastilien. Cet ouvrage est immédiatement traduit en castillan sous le titre La idea imperial española et préfacé par Menéndez Pidal lui-même, qui lance à cette occasion l’affirmation maintes fois reprise par la suite selon laquelle « sans la connaissance de ce que fut l’idée impériale léonaise, l’histoire de l’Espagne du Xe au XIIe siècle devient chose vide, sans âme »8. Suivant le philologue espagnol dans la réfutation qu’il donnait de l’hypothèse de Mayer, le propos de Hüffer est de montrer que l’expansion des royaumes chrétiens péninsulaires dès le Xe siècle aux dépens des territoires musulmans est le résultat de la volonté énoncée d’une Espagne nationale, dont la fonction impériale est l’expression. L’« idée impériale » est donc le programme que les souverains hispaniques, d’Alphonse III à Alphonse VII, ont développé afin de rétablir une unité péninsulaire dont les monarques léonais seraient les meneurs.
9Viennent compléter les arguments de cet ouvrage deux articles du Père José López Ortiz. Les titres de ses travaux — « Notas para el estudio de la idea imperial leonesa » et « Las ideas imperiales en el medievo español » — sont là encore révélateurs. Comme l’ont fait Menéndez Pidal et Hüffer, López Ortiz insiste sur la conscience unitaire que partageaient selon lui les royaumes chrétiens péninsulaires, conscience qu’il nomme « hispanité » et qui réside dans la volonté de rétablir l’ordo gothorum que l’invasion musulmane en 711 a brisé. L’empire hispanique n’est donc pas tant la réalisation d’une politique impérialiste que l’idée même d’unité hispanique qui conduit à l’action. L’idée impériale léonaise ne cherche ainsi pas à reproduire l’empire des Romains ou des Carolingiens, à vocation universelle, mais se centre sur la restauration wisigothique. En ce sens, elle commence à péricliter à partir du règne de Ferdinand Ier et de l’ouverture de la Péninsule à des concepts politiques « européens » qui culmine avec le couronnement impérial d’Alphonse VII, imitation directe des pratiques germaniques.
10En parallèle à ces premiers travaux sont publiées entre 1936 et 1944 quatre études sur la notion et les destinées de l’idée d’empire en Espagne, envisagée cette fois de ses origines romaines jusqu’au moment de son expression moderne. Observant quelques décennies plus tard ces ouvrages d’un œil critique, l’Italien Armando Saitta affirme qu’on ne peut réellement leur reconnaître la qualité d’œuvres scientifiques9. Elles offrent cependant un double intérêt : le premier réside dans le fait qu’elles inscrivent l’idée impériale hispanique dans l’histoire générale des concepts impériaux. En somme, on cherche à comprendre globalement les origines de l’empire hispanique et ses particularités en rapport avec d’autres « idées impériales ». Seulement, Saitta précise que ces analyses manquent tout particulièrement de précision philologique. Il est vrai qu’elles relèvent parfois davantage du lyrisme que de la méthode historique10. C’est qu’un point commun de ces travaux — leur second intérêt — est qu’ils cherchent à démontrer la grandeur de l’Espagne, son destin impérial et sa spécificité au sein de l’Europe. On trouve déjà ici, de façon particulièrement exacerbée, les caractéristiques d’une historiographie nationalisante11 qui ont par la suite pesé sur les travaux les plus scientifiques. Les thèses développées par ces auteurs sont cependant relativement différentes.
11Antonio Tovar est surtout connu pour être le fondateur de la linguistique indo-européenne en Espagne. On pourra être surpris de lire qu’il a également traité de la thématique impériale en cherchant à montrer, dans un essai d’une soixantaine de pages, que l’Espagne a toujours eu « vocation à l’empire »12. Mais c’est alors qu’il est chef de la Presse et de la Propagande de la section de Valladolid de la Phalange espagnole qu’il élabore sa thèse, et dans le contexte de 1936 il attribue la réalisation de cette vocation impériale à la Phalange13. Pour l’auteur, qui aborde chronologiquement la « conscience impériale » de l’Espagne, depuis l’époque romaine jusqu’aux dynasties modernes, l’empire hispanique réside dans l’idée d’un nationalisme qui s’exprimerait face à la papauté et l’empire germanique, face à l’Europe en somme, et qui permettrait d’aboutir à une souveraineté propre à la péninsule Ibérique. Tovar consacre ainsi le quatrième chapitre de son essai au « premier empire espagnol », expression par laquelle il désigne le phénomène impérial durant la période médiévale.
12L’étude que Juan Beneyto Pérez, professeur d’Histoire du droit de l’université de Salamanque, publie en 1942 dénote une dimension bien plus scientifique que celle de Tovar, par son ampleur et sa problématisation. L’auteur, à partir d’une conception « européenne » de la notion d’empire, s’interroge sur les relations existant entre ce modèle et la construction impériale espagnole, de manière à mettre en relief l’attitude de l’Espagne face à l’Europe14. Dans les deux chapitres consacrés à la période médiévale, il affirme que le Moyen Âge hispanique est nostalgique de l’ancienne unité wisigothique, ce qui entraîne l’entreprise de Reconquête et le développement d’une dignité impériale qui se définit par son opposition à l’Europe et à « l’archétype impérial romano-germanique ».
13C’est encore la défense du particularisme espagnol qui amène Ricardo del Arco y Garay, renommé pour ses travaux sur l’Aragon médiéval, à donner en 1944 son interprétation de la « vocation impériale » espagnole15. Quant à la période médiévale, il y observe une progression de l’effectivité de l’idée impériale. Ainsi, il considère que le titre impérial octroyé aux premiers souverains asturiens exprime leur désir d’unification péninsulaire, et qu’il n’acquiert une réalité institutionnelle qu’avec Alphonse VI, qui adopte le titre à la première personne.
14Enfin, Eleuterio Elorduy traite de l’empire hispanique médiéval dans un sous-chapitre d’une longue synthèse thématique et relativement hétéroclite consacrée à l’idée d’empire à travers les âges et les lieux, de l’Antiquité classique aux totalitarismes italien et allemand, en passant par le concept biblique d’empire. Concernant ce qu’il nomme le « concept léonais »16, il élabore la théorie d’un empire synonyme d’idée spirituelle, de ligne directrice de la conduite des souverains hispaniques, mais sans réalité institutionnelle et territoriale, ce qui aboutit à une souveraineté imprécise de l’empereur.
15« Idée impériale », « conscience impériale », « vocation impériale », ces expressions se confondent donc durant le second quart du XXe siècle pour souligner l’originalité du phénomène impérial hispanique au Moyen Âge comme émanation de la conscience unitaire que partageaient les royaumes péninsulaires médiévaux, et de ce fait la justesse de la thèse de Menéndez Pidal.
16À l’issue de cette première série de travaux est toutefois publiée une étude dont les arguments vont à l’encontre de l’opinion généralement partagée. En 1945, l’historien du droit Alfonso García-Gallo écrit un article dans lequel il récuse l’idée selon laquelle le titre impérial, appliqué aux souverains de la dynastie asturo-léonaise, signifierait l’institutionnalisation d’une volonté d’unité et de suprématie péninsulaire17. Ce faisant, García-Gallo fait pour la première fois preuve de cette « “dérangeante” originalité [qui] l’amènerait à réfuter les positions classiques et à émettre continuellement des interprétations critiques »18. Il provoque également une réaction de Menéndez Pidal qui, en réponse à ses arguments, s’attache alors à la publication de ce qui sera longtemps considéré comme une œuvre de référence : El imperio hispánico y los cinco reinos.
17On ne saurait néanmoins terminer ce premier bilan historiographique sans évoquer l’hypothèse énoncée en 1944 par un chercheur en provenance d’un tout autre milieu. L’islamologue français Évariste Lévi-Provençal proposa en effet sa propre interprétation du phénomène impérial surgi au Xe siècle dans le royaume asturoléonais. Ou plutôt, il proposait une explication à l’adoption du titre d’imperator, en réfléchissant lui aussi en termes de réaction du pouvoir monarchique face aux prétentions impérialistes d’autres territoires : selon lui on aurait là une réplique à l’adoption par ‘Abd al-Rahmān III du titre de calife de Cordoue19. La formulation20 est éclairante quant au contexte dans lequel s’élabore l’historiographie de l’empire hispanique médiéval. En dehors des précurseurs allemands, Lévi-Provençal fut le seul non espagnol à s’intéresser au sujet durant le premier XXe siècle. Or, il fut également un des seuls à l’aborder d’un point de vue neuf21.
EL IMPERIO HISPÁNICO Y LOS CINCO REINOS : L’EMPIRE SELON MENÉNDEZ PIDAL
18La première moitié du XXe siècle s’achève avec une synthèse véritablement scientifique, qui invalide ou fait sombrer dans l’oubli les études antérieures. En 1950 donc, Ramón Menéndez Pidal publie El imperio hispánico y los cinco reinos, compilation ordonnée des conclusions de ses précédentes études, augmentée des réflexions suscitées par la récente bibliographie, et réponse aux objections de García-Gallo qui ne forment pour l’auteur qu’un « jugement destructeur »22.
19Dans un chapitre d’introduction, l’auteur rappelle les réticences qu’ont eues les historiens jusque dans les années 1930 à envisager l’existence d’une entreprise commune aux royaumes hispaniques médiévaux de lutte organisée contre le pouvoir musulman. Il s’offusque tout particulièrement de la position tenue par le grand érudit Marcelino Menéndez Pelayo à cet égard, lequel ne voyait dans la Reconquête qu’« un instinct qui sortait toute sa force non pas de la vague aspiration à un lointain dessein, mais de la bataille constante pour la possession des réalités concrètes »23. Il entend donc combler cette lacune. Il déplore également le fait que le premier ouvrage traitant de la thématique, celui d’E. Mayer, n’aboutisse qu’à la négation d’une réalité de l’empire avant le XIe siècle et souille l’historiographie du sujet d’une tache importune. Première étude d’autant plus fâcheuse qu’elle a donné à García-Gallo les éléments de base de son opposition à la thèse pidalienne. Menéndez Pidal s’attache donc dans un premier temps à détruire l’argument phare de la thèse adverse.
20Dans son article de 1945, García-Gallo entendait en effet démontrer que le titre impérial n’était qu’un dérivé du verbe imperare, lequel désigne le pouvoir militaire de commandement et, par extension, tout type de pouvoir, exercé par un roi, un magnat, ou par le Christ lui-même. García-Gallo se fondait notamment sur la signification qu’Isidore de Séville donne du terme imperator dans ses Étymologies :
Le nom d’imperator était d’abord réservé, chez les Romains, à ceux en qui résidait le pouvoir militaire suprême, et ce mot d’imperator venait de ce qu’ils commandaient les armées ; mais, alors que depuis longtemps, les chefs militaires jouissaient du titre d’imperator, le sénat décida que ce nom serait réservé à César Auguste et que, par là, il se distinguerait des rois des autres nations ; usage que les Césars suivants maintinrent jusqu’à nos jours24.
21Il évoquait également la présence de ce vocabulaire dans le Liber Judicum, avec le sens de « pouvoir » sans rapport avec l’idée d’empire25. Aussi, « imperator, imperium et imperante […] ont le même sens que celui que leur donnent saint Isidore de Séville et les notaires castillans et léonais : puissance supérieure, pleine autorité, etc. »26. García-Gallo remarquait également que le titre était employé à la suite de grandes victoires des souverains asturo-léonais. Le titre impérial n’était donc selon lui motivé que par la volonté d’exalter la puissance militaire de la monarchie, en liaison avec les victoires remportées.
22Sur ce point, Menéndez Pidal répond en démontrant qu’on doit distinguer deux usages du vocabulaire et du titre impérial. L’un tourne effectivement autour du verbe imperare, qui qualifie l’autorité dont se prévaut une personne sur un territoire. L’autre désigne en revanche cette autorité exercée de manière hiérarchique — comme le laisse d’ailleurs entendre la seconde partie de la définition isidorienne invoquée —, et prend toute sa signification dans le titre d’imperator appliqué aux rois léonais27. Menéndez Pidal trouve ici un appui dans l’ouvrage posthume d’Alfonso Sánchez Candeira, publié en 1951 et consacré à ce que son auteur nomme le regnum-imperium léonais jusqu’en 103728. L’auteur s’attache dans cette étude à la valeur terminologique d’imperator et réfute la signification éminemment militaire que lui accorde García-Gallo. Il démontre en effet que déjà à l’époque wisigothique, ce titre n’avait plus le sens de « général victorieux » et que l’évolution de sens repérée par Isidore de Séville dans ses Étymologies allait justement dans cette direction. De plus, la valeur institutionnelle du titre en Europe à l’époque à laquelle il apparaît dans la documentation asturo-léonaise ne peut avoir été totalement ignorée des souverains péninsulaires. Enfin, Sánchez Candeira remarque, à l’opposé de García-Gallo, que le titre, s’il désigne des rois fameux sur le plan militaire, n’est employé que dans la documentation de souverains non pas victorieux, mais au contraire en situation difficile, mineurs, ou vaincus. Il ne peut donc s’agir d’un qualificatif laudatif, mais bien d’un titre officiel. Sánchez Candeira conclut donc à l’existence d’un empire léonais institutionnalisé, à prétention hiérarchique, signifiant la volonté de restauration wisigothique de l’unité péninsulaire hispanique.
23Dans les chapitres suivants Menéndez Pidal entreprend un panorama chronologique du phénomène impérial, de ses origines asturiennes jusqu’à son plein accomplissement au XIIe siècle, époque qui voit aussi s’effondrer cet idéal dans le contexte de l’émancipation des « cinq royaumes ». Le philologue commence par affirmer l’authenticité du titre impérial porté par les souverains asturo-léonais à partir du règne d’Alphonse III. Le second argument de force de García-Gallo concernait effectivement l’absence d’adoption du titre impérial à la première personne avant le règne d’Alphonse VI. Selon lui, cela signifiait que les souverains asturo-léonais n’assumaient pas ce titre, et donc qu’« il n’existait pas d’empire léonais, en tant que construction politico-juridique »29. Menéndez Pidal répond à cet argument en reprenant l’analyse des deux diplômes de 867 et 877 dans lesquels Alphonse III s’intitule imperator Hispaniae — considérés comme des falsifications30 — et de la lettre que ce même roi adresse au clergé de Tours en 906, évoquant une « couronne impériale » donnée par cette église au roi asturien31. Selon lui, le fait qu’il s’agisse de faux ne signifie pas nécessairement que les titres qu’ils contiennent le soient également32.
24Dès lors l’auteur est en mesure de dévoiler ce que signifiait ce titre. En mettant en relation la titulature impériale attribuée à différents souverains asturo-léonais — Alphonse III, Ordoño II, Ramire II, Ramire III, etc. —, les formulations des diplômes d’époque asturo-léonaise, l’idéologie néogothique qui se dégage de l’historiographie du IXe siècle — dans les fameuses Chroniques asturiennes — et les récits d’autres sources narratives et diplomatiques plus ou moins contemporaines des faits — Généalogies de Roda, Chronique de Sampiro, correspondance entre l’abbé de Ripoll Oliba et le roi de Navarre Sanche III le Grand — Menéndez Pidal établit que le phénomène impérial hispanique traduisait l’aspiration que partageaient tous les souverains de la lignée asturo-léonaise à restaurer l’unité de la Péninsule, cette dynastie s’estimant l’héritière directe du royaume wisigothique. Cette aspiration ne se révèle d’ailleurs pas vaine, puisque d’une part elle aboutit à une réelle reconnaissance de la prééminence léonaise parmi les autres royaumes péninsulaires, et d’autre part elle participe de la cohésion de l’activité de Reconquête.
25L’intégration de l’idéologie navarraise à partir de la fusion des dynasties léonaise et pampelonaise en 1037 sonne toutefois le glas de l’idée impériale léonaise dans sa forme originelle. C’est en ce sens que l’on doit comprendre l’affirmation selon laquelle la dignité impériale usurpée par Sanche III de Navarre fait de ce souverain un « anti-empereur »33. L’idéologie du royaume de Pampelune, réceptrice des usages germaniques, altère la tradition léonaise en imposant qu’à la mort d’un souverain son royaume soit divisé entre ses héritiers, usage qui va à l’encontre de la recherche d’unité péninsulaire34. Menéndez Pidal s’efforce ainsi de mettre en lumière ce constant déchirement entre l’accomplissement de l’idée impériale léonaise et sa perversion qu’entraînent certaines pratiques néfastes, de la seconde moitié du XIe siècle jusqu’en 1157. Cette ambivalence caractérise le règne de Ferdinand Ier, dont l’auteur affirme qu’il porta le titre impérial35, et celui d’Alphonse VII, dernier « empereur de toute l’Espagne »36. Durant cette période, le règne d’Alphonse VI représente l’apogée de l’idée impériale léonaise, puisque c’est alors qu’est le mieux réalisé l’idéal de restauration de l’unité hispanique sur le modèle wisigothique. À partir de l’analyse de la riche titulature du conquérant de Tolède et de l’extraordinaire pouvoir accumulé sur les entités péninsulaires tant chrétiennes que musulmanes37, Menéndez Pidal démontre la parfaite adéquation entre l’œuvre alphonsine et le projet impérial léonais. L’auteur va dans cette optique encore une fois à l’encontre d’une affirmation de García-Gallo. Pour ce dernier en effet, l’évolution institutionnelle de l’empire d’Alphonse VI, visible notamment dans la signification territoriale acquise par le terme imperium, était le résultat de la pénétration des concepts allemand et musulman d’empire38. Avec Alphonse VII, symptomatiquement le seul « empereur d’Espagne » à être couronné comme tel, cette évolution se confirmait, et l’« empire perd [ait] sa typique saveur espagnole et se constitu[ait] à l’européenne. Alphonse VII [… était], avant tout, le souverain de princes et de seigneurs indépendants, leur supérieur hiérarchique »39. En ce sens García-Gallo et Menéndez Pidal se rejoignaient finalement pour affirmer que cette dimension européenne et vassalique de l’empire sous le règne d’Alphonse VII fut à l’origine de sa ruine, dans la mesure où il était difficile d’adapter la dimension universelle de la conception impériale germanique dans le cadre péninsulaire40.
26Menéndez Pidal apporte toutefois une explication supplémentaire à la faillite définitive de « l’idée impériale » après la mort d’Alphonse VII en 1157. Il consacre le dernier chapitre de son étude à l’analyse du processus de fragmentation politique qui caractérise la péninsule Ibérique dans la seconde moitié du XIIe siècle et entérine la disparition de l’idéal impérial41. Mais l’idée nationale espagnole, si profondément enracinée, demeure dans la solidarité qui unit les cinq royaumes dans la guerre de Reconquête. Cette unité hispanique est d’ailleurs reconnue par les contemporains au sein et en dehors de la Péninsule, comme en témoigne la désignation de l’ensemble des royaumes hispaniques sous le nom collectif des « cinq royaumes », équivalent d’Hispania42.
27Pour résumer, l’imperium est selon Ramón Menéndez Pidal une fonction propre à la royauté léonaise, voire constitutive de cette monarchie jusqu’à sa perversion par un empereur Alphonse VII trop attiré par les concepts politiques venus du monde extra-péninsulaire. Cette réalité impériale est un élément de cohésion pour l’Espagne chrétienne et joue un rôle important dans la réussite de la Reconquête. Elle traduit en effet depuis les origines asturiennes de la dynastie castellano-léonaise une aspiration à restaurer l’unité de la Péninsule sur le modèle du royaume wisigothique. Malgré les tendances désagrégatrices que suppose l’ouverture à d’autres principes politiques, les monarques asturo-léonais puis castellano-léonais ont ainsi su, grâce à l’unitarisme partagé par tous les chrétiens péninsulaires, intégrer ces espaces au sein d’un empire, émanation de l’unité hispanique.
28En conclusion R. Menéndez Pidal revient sur sa problématique initiale qui visait à démontrer, en réaction à l’idée généralement partagée jusqu’alors, que l’Histoire de l’Espagne médiévale n’est pas celle de royaumes conçus comme des entités indépendantes. En une diatribe aussi courte qu’incisive, l’auteur affirme que le particularisme est le fait d’« historiens toujours dominés par l’étouffante étroitesse régionale, toujours désabusés au moment de recueillir des informations au-delà des limites de cette étroitesse », et non un fait historique médiéval. Il invite donc à un renouveau historiographique, afin de « reconstruire les liens qui unissaient entre eux ces royaumes »43.
RÉCEPTION DE LA THÈSE PIDALIENNE
29Immédiatement après sa parution El imperio hispánico y los cinco reinos fut l’objet de recensions, en Espagne et ailleurs. Dans la patrie de l’auteur, les positions critiques adoptées tendent plutôt vers l’enthousiasme que suscite la thèse du « vénérable maître »44. Enrique Moreno Báez voit dans cette œuvre « un chapitre lucide de cette histoire du sentiment national espagnol qui, lorsqu’elle se fera, nous fera voir notre passé sous un jour nouveau »45. Juan López Marichal applaudit quant à lui à l’apport méthodologique de l’ouvrage, en particulier l’effort réalisé à l’encontre du « fort anti-positivisme actuel et [de] l’importance excessive donnée à la soi-disant histoire de l’histoire [qui] tendent à susciter un relativisme facile qui peut se révéler aussi stérile que le scientisme des positivistes ». Menéndez Pidal impose ainsi un « style historiographique, qui consiste en une écriture raisonnable aux fondements néoclassiques […], amené à être exemple et guide pour tout effort d’éloignement des rhétoriques dominantes »46.
30En dehors de l’Espagne la réception de la thèse pidalienne diffère sensiblement. L’Américain Gaines Post note que « Menéndez Pidal a raison de souligner l’importance d’écrire l’histoire de l’Espagne médiévale plutôt que celle d’un agglomérat de royaumes ». Il émet cependant quelques réserves quant aux interprétations de l’auteur, qu’il juge parfois excessives : « En général, Menéndez Pidal soutient une thèse intéressante et plausible […]. Mais, […] il semble qu’il voie un peu trop dans le terme imperator le symbole d’une mémoire consciente de l’unité wisigothique, et qu’il accepte trop volontiers l’authenticité du titre impérial d’Alphonse III dans un document qui en tout état de cause a été forgé à une période postérieure »47. En France, cet avis est partagé par Charles-Vincent Aubrun, qui relève le mérite qu’a eu Menéndez Pidal « de poser comme un fait inéluctable cette communauté espagnole — partielle, mais concrète — où les historiens (jusqu’en 1945 !), entraînés par les chroniques des cinq royaumes, ne voyaient qu’une spécieuse invention »48, mais se déclare aussi quelque peu circonspect face à la lecture qu’il réalise du phénomène impérial.
31Si Post et Aubrun ne font qu’énoncer modérément quelques critiques, l’auteur espagnol d’une autre recension s’exprime de manière ouvertement plus acerbe, initiant de ce fait un vif débat. En effet, dans la revue Arbor, où déjà l’étude de García-Gallo avait été publiée, l’historien du droit et professeur de l’université de Grenade Rafael Gibert s’applique à réaliser en 1951 une critique de l’ouvrage qui par son ampleur prend la forme d’un véritable article de contestation de la thèse pidalienne49. Après les premières remarques courtoises de rigueur, l’opinion du critique est énoncée :
Naturellement, avant de commencer son exposé l’auteur en était déjà arrivé au cours de ses recherches à la conviction que l’Empire hispanique est une réalité ; le livre est rédigé en fonction de cette conviction de base. Mais maintenant il est nécessaire de se dégager de celle-ci. Nous concevons que cette attitude se prête aux objections ; on pourra dire que, quand bien même chaque argument serait discuté, la force invincible de l’ensemble demeurerait. À cela on répondra qu’aucune reconstruction historique géniale — et El Imperio hispánico appartient à cette catégorie — ne peut être critiquée dans son ensemble, et que si l’auteur du livre a considéré convenable d’assembler un à un les éléments de sa théorie, rien n’empêche de procéder selon la même méthode pour son étude50.
32Et Gibert procède effectivement ainsi, en décortiquant chapitre par chapitre les affirmations de Menéndez Pidal. Ce faisant il remet en question la thèse pidalienne, mais surtout le raisonnement et la méthode historique du grand érudit que les recensions précédemment évoquées se plaisaient à louer. Pour lui, le philologue est coupable d’avoir exagérément surinterprété les sources. L’accusation n’est pas formulée directement, mais se lit clairement entre les lignes qui concluent la recension : « Et en définitive l’Empire, s’il avait existé tel que cela nous a été génialement démontré, devrait avoir été tout de même plus visible que ne le laissent entendre les mentions rares et irrégulières des documents et les expressions fugaces des récits, dans lesquelles seul un brillant cerveau d’historien a pu déceler les traces d’une structure politique qui aurait dominé pendant trois siècles de la Reconquête »51.
33Le ton vindicatif de cette recension très critique peut étonner au premier abord. Mais Gibert est un des disciples de García-Gallo ; et bien qu’il se soit par la suite défendu d’avoir œuvré en accord avec ce dernier au moment de publier son compte-rendu de la thèse pidalienne52, il semble qu’il agisse en défenseur des idées de son maître. En réalité on assiste ici à l’affrontement de deux écoles historiques et à un nouvel exemple de la « dérangeante originalité » de García-Gallo53. Au-delà de la confrontation de deux thèses, l’idée d’« empire hispanique » oppose d’un côté les partisans d’une histoire de l’Hispania, en réaction au particularisme appliqué par certains historiens, et de l’autre les chercheurs mettant en doute la pertinence d’un tel critère. Le débat ne s’arrête d’ailleurs pas avec cette recension qui contribue bien au contraire à le ranimer. Menéndez Pidal répond en effet immédiatement : dans la revue allemande Saeculum54, il accuse de nouveau, sans les nommer toutefois, ces historiens contemporains qui refusent de voir l’unité péninsulaire que les rois hispaniques médiévaux ont cherché à réaliser. À la suite de cette réponse à demi-mots, García-Gallo reprend à son tour la plume. En 1953, à l’occasion d’une réédition d’articles publiés dans la revue Arbor, il révise son étude de 194555. Il insiste ainsi de nouveau sur le problème du titre impérial à l’époque asturo-léonaise. S’il concède à la thèse pidalienne un certain lien entre le titre d’imperator et le néogothisme du royaume asturien, il nie de nouveau catégoriquement toute réalité institutionnelle de l’empire jusqu’au XIe siècle. Par ailleurs il récuse l’idée pidalienne selon laquelle l’imperium des rois asturo-léonais serait une manifestation de leur pouvoir hégémonique sur les royaumes chrétiens péninsulaires en affirmant que le qualificatif d’imperator n’a d’effectivité dans les sources qui le mentionnent qu’à l’intérieur du royaume. Dans le contexte d’une fluctuation de l’autorité des détenteurs du pouvoir royal face à l’aristocratie au cours du Xe siècle, García-Gallo interprète donc le vocabulaire de l’imperium tel qu’il apparaît dans les diplômes comme une façon de « souligner la plénitude et l’effectivité de leur pouvoir au sein de leur propre royaume »56.
34La vivacité du débat entre Menéndez Pidal et García-Gallo n’échappe pas aux contemporains57. En 1954, un regard extérieur est à même de juger qu’il s’agit là d’un conflit davantage historiographique qu’historique. C’est d’ailleurs en termes de « problème historiographique » que l’Italien Armando Saitta exprime les conclusions qu’il tire de l’observation du conflit58. Quant à son opinion sur le fond du problème, A. Saitta donne plutôt raison à García-Gallo, bien qu’il récuse l’idée d’une prise de parti. Parmi les érudits espagnols le débat est toutefois apprécié de manière assez différente. Depuis son exil argentin, Claudio Sánchez-Albornoz y apporte en 1956 sa contribution dans un ouvrage maintes fois réédité, España, un enigma histórico. Dans le second volume de l’œuvre il consacre un sous-chapitre à « l’idée impériale léonaise »59. Selon lui, la présence du titre impérial et de l’expression regnum-imperium en référence au royaume asturo-léonais dans des sources provenant d’autres royaumes prouve l’existence d’une hégémonie impériale léonaise. Cependant, de cette idée on ne peut conclure à une réalité juridique de l’empire. Son apparition doit par ailleurs être mise en rapport non pas avec le règne d’Alphonse III mais avec les victoires militaires et le prestige de Ramire II, premier souverain pour lequel le titre impérial est indubitablement attesté. Ces nouvelles propositions apportent une solution de compromis entre la thèse impérialiste et la thèse négativiste, et en apparence elles semblent calmer le débat. En apparence seulement, car en démontant ou retenant tour à tour les arguments de Menéndez Pidal et de García-Gallo, on constate que l’auteur ne leur réserve pas le même traitement. De García-Gallo, don Claudio affirme par exemple que « seule la défense passionnée de sa thèse a pu l’amener à affirmer que les rois léonais ne possédèrent pas la plénitude du pouvoir souverain avant la seconde moitié du Xe siècle »60. Par contre, il « regrette de ne pas être d’accord avec le grand maître Menéndez Pidal »61. Et en dépit de l’acceptation d’un certain nombre des critiques de García-Gallo à l’encontre de la thèse pidalienne, c’est tout de même en faveur de cette dernière que penche Sánchez-Albornoz. On trouvait déjà la même posture, quoiqu’exprimée plus modérément, dans un autre monument de l’historiographie espagnole paru deux ans plus tôt : El concepto de España en la Edad Media de José Antonio Maravall. L’auteur, dont le propos va dans le sens d’une démonstration des « origines médiévales du sentiment de communauté hispanique »62, y consacre un long chapitre à la question du phénomène impérial63. Il affirme avoir travaillé à partir des études de Menéndez Pidal, Sánchez Candeira et García-Gallo essentiellement. Or, s’il n’accuse pas ce dernier de « nier furieusement » la thèse impérialiste, on retrouve à l’identique la déférence exprimée par Sánchez-Albornoz à l’égard des « études magistrales » de « l’illustre maître » Menéndez Pidal64.
35On formulera plusieurs observations à l’issue de ce bilan de la réception des interprétations de Menéndez Pidal. En Espagne, la réaction immédiate est double et plutôt radicale : soit la thèse pidalienne est acceptée dans son ensemble et vaut à son auteur les éloges dus à l’un des grands maîtres de la médiévistique ; soit elle est remise en cause et alors les critiques sont des plus acerbes. En dehors de l’Espagne, on salue l’innovation de l’ouvrage, qui amène à considérer l’histoire de l’Hispania et non plus seulement celle de ses royaumes médiévaux, mais on émet aussi quelques réserves quant à la méthode interprétative de Menéndez Pidal. Au fur et à mesure que le débat autour de la question impériale se poursuit et s’envenime, le clivage entre les jugements portés en Espagne et dans d’autres pays s’approfondit. En observateur extérieur, Saitta est à même de saisir que se joue là une question qui va au-delà du conflit ponctuel d’interprétation des sources, et que l’animosité de la dispute révèle une mésentente historiographique profonde. Dans la péninsule Ibérique, par contre, l’âpreté des discussions a eu un autre effet : il est difficile de ne pas prendre parti dans le débat. Or, la crédibilité absolue et l’immense respect accordés à celui que même Gibert appellerait bien plus tard « le patriarche du médiévisme espagnol »65 semblent avoir décidé de la victoire décisive de la thèse impérialiste, outrageusement vilipendée par le « dérangeant » García-Gallo et son école négativiste.
36Cela ne poserait pas réellement problème si l’on n’observait dans les années postérieures une seconde conséquence du débat. En effet, dans les travaux qui évoquent le sujet après 1956, on lit une acceptation générale, voire tacite, de la thèse pidalienne, tandis que les critiques de ses opposants ont tendance à être tues ou minimisées. Converti en « mythe » de l’histoire médiévale espagnole, le concept d’« empire hispanique » est invoqué comme facteur explicatif de l’unification progressive de l’Espagne ; ou alors le débat est rapporté, mais sans que soit remise en question la réflexion pidalienne66. Tout se passe comme si la vivacité des discussions avait finalement entraîné un blocage historiographique et il faut attendre une période assez récente pour que la question soit en partie revisitée. Il est pourtant nécessaire de dépasser la thèse pidalienne.
II. — DÉMYTHIFIER
37L’ancienneté d’une thèse historique peut être un gage de valeur autant qu’une invitation au regard critique. El imperio hispánico y los cinco reinos de Menéndez Pidal ne se laisse toutefois pas catégoriser aussi facilement. On ne saurait démythifier le phénomène impérial hispanique et dépasser les apories de la thèse pidalienne sans comprendre qu’elle représente l’aboutissement de la pensée historique de son auteur, ancré en cela dans son « lieu d’écriture ».
LES LIMITES DE LA THÈSE PIDALIENNE
38Le lecteur actuel perçoit aisément certains défauts de la thèse pidalienne. Le plus évident tient aux sources sur lesquelles elle s’appuie. La critique est facile, mais pas inopérante.
39Pour documenter le phénomène impérial hispanique dans sa période asturoléonaise, Menéndez Pidal dispose somme toute d’assez peu d’indices : quelques dizaines de diplômes et une pièce de monnaie, auxquelles s’ajoute une série de textes narratifs, certains n’étant convoqués que dans la mesure où l’idée d’unité hispanique y apparaît. La rareté des preuves est toutefois un faux problème, et il faut aujourd’hui encore donner raison à Rafael Gibert qui affirmait en 1951 que « ce n’est pas une question de quantité, de démonstration abondante ou non ; le roi léonais se considérait ou ne se considérait pas Empereur, un point c’est tout »67. Mais ce sont justement ces manifestations du titre impérial assumé à la première personne par les souverains qui posent problème. Certaines étaient déjà soumises à caution dans les années 1950 : Menéndez Pidal rappelait lui-même que les actes où Alphonse III s’intitule imperator Hispaniae sont des falsifications du XIIe siècle68 ; il en est de même du diplôme désignant Sanche III de Navarre par le titre impérial69. D’autres sources supposées authentiques ont été plus récemment réévaluées : deux diplômes de 922 attribués à l’imperator Ordoño II, titre interpolé70 ; ou encore la pièce de monnaie portant la légende imperator et naiara, que Menéndez Pidal attribuait à Sanche III de Navarre71 et dont on pense désormais qu’elle a été frappée à la demande d’Alphonse VII72. Finalement, tous les documents d’époque asturo-léonaise mentionnant le titre impérial à la première personne sont soit falsifiés à des degrés variables, soit postérieurs à leur datation traditionnelle. En ce qui concerne la période des « empereurs de toute l’Hispania », l’abondance des sources attestant le titre impérial n’est cette fois plus un problème. Menéndez Pidal ne réalise toutefois aucune analyse statistique de son utilisation. Concernant le règne d’Alphonse VI, l’auteur insiste longuement sur la variété de la titulature alphonsine73, mais ne fait que mentionner le maintien du titre royal cohabitant avec la nouvelle dignité du souverain74. Quant à Alphonse VII, si les occurrences de sa titulature impériale sont minutieusement comptabilisées durant la période du conflit qui l’oppose à son rival Alphonse Ier d’Aragon jusqu’en 112775, Menéndez Pidal n’y revient plus du tout pour la suite de son règne. Il est vrai toutefois que ce type d’analyse est bien plus simple à réaliser maintenant que les collections diplomatiques de ces deux souverains sont aisément accessibles76.
40D’autres limites de la thèse pidalienne, tout aussi évidentes pour le chercheur contemporain, se révèlent plus problématiques, car elles relèvent en effet d’une mise en accusation de la méthode historique employée par le philologue. Dans ses observations à la thèse de « l’empire hispanique », Gibert note à plusieurs reprises la tendance de Menéndez Pidal à traduire en arguments des hypothèses établies à partir d’analyses pour lesquelles plusieurs interprétations restent possibles. Ainsi, un de ses arguments-phares pour appuyer l’effectivité de la fonction impériale est tiré de l’existence, à l’extérieur du royaume asturo-léonais, de documents dans lesquels son souverain est désigné par le titre impérial. Concernant le règne d’Alphonse V, il affirme en effet que
le titre impérial léonais était reconnu dans le comté de Barcelone et couramment évoqué ; en 1023, Oliba, le célèbre abbé de Ripoll, évêque de Vich, écrivant au roi de Navarre Sanche le Grand […] à propos d’affaires matrimoniales qu’Alphonse V proposait au roi navarrais, n’appelle jamais celui-ci par son nom, et le désigne simplement par le titre Imperator, à la différence de Sanche qu’il appelle uniquement Rex ou bone Rex […] : la prééminence du roi léonais sur le grand roi navarrais est officiellement reconnue dans l’extrême région orientale de la Péninsule, même si Alphonse V n’utilise que le titre de rex dans les documents que nous pouvons jusqu’ici utiliser pour notre étude77.
41Même démonstration pour Bermude III, dont Sanche le Grand reconnaît l’autorité d’après l’analyse que fait Menéndez Pidal de la datation de deux de ses diplômes dans lesquels sont énumérés les grands gouvernants du temps, dont le roi léonais, désigné pour l’occasion imperator78. De ces conclusions Gibert fait la critique suivante : « Est-ce que cela aurait plus de poids qu’une personne qui sur son territoire ne s’appelle pas elle-même Empereur le soit dans des territoires étrangers ? À mon avis, non. Parce que pour toute prétention hégémonique on doit supposer une résistance de ceux qu’on prétend dominer. Il ne serait pas étonnant que, si le roi léonais prétendait dominer (comme Empereur) toute l’Espagne, la Catalogne et la Navarre passent le titre sous silence […]. À l’inverse, le fait qu’[elles] ne voient pas d’inconvénient à appeler Empereur le roi léonais peut être dû à ce qu’on ne reconnaissait pas dans ce terme une structure politique qui les incluaient mais simplement un titre renvoyant à un pouvoir exercé sur le seul royaume léonais »79. Menéndez Pidal ne commet toutefois pas ici d’erreur d’interprétation : il choisit une des possibilités de compréhension des documents. En cela il ne fait finalement qu’œuvre d’historien ; et c’est en historien que Gibert formule ses réticences.
42Les véritables problèmes méthodologiques posés par la thèse pidalienne proviennent plutôt d’une inclination de l’auteur à surinterpréter les sources. Le scepticisme d’Armando Saitta80 quant à l’univocité de l’idée impériale telle que la décrit l’auteur est toujours de rigueur : comment concevoir que Ramón Menéndez Pidal ait pu conclure à l’existence pluriséculaire d’une institution impériale en abordant les quelques occurrences asturo-léonaises du titre impérial, à l’authenticité dans de nombreux cas soumise à caution et pour lesquelles le titre est associé tout au mieux au royaume asturo-léonais, avec le même regard que les centaines de diplômes émis entre le dernier tiers du XIe siècle et le milieu du XIIe siècle dans lesquels les souverains castellano-léonais cette fois sont intitulés imperatores totius Hispaniae ? Cette globalité du raisonnement pidalien amène par ailleurs son auteur à commettre de graves maladresses. On distingue ainsi des contradictions. Par exemple Menéndez Pidal affirme que le titre impérial d’Alphonse III suppose une volonté de soumettre au pouvoir du roi d’Oviedo « tous les autres seigneurs d’Espagne, qu’ils soient chrétiens ou infidèles »81. En ce sens, « l’empire asturo-léonais […] naquit en appui au wisigothisme asturien »82. Pourtant, quelques pages auparavant, au moment de décrire cette idéologie, l’auteur précisait qu’elle visait à la restauration de la domination chrétienne sur la Péninsule, ce qui supposait l’éviction des envahisseurs musulmans83. Et Gibert de noter que « nous en étions restés à l’idée que les infidèles sont considérés comme les détenteurs illégitimes d’une partie du royaume gothique. Un prétendu Empire sur les états chrétiens et infidèles ne concorde pas avec ce postulat. Ou alors, la conception restauratrice du royaume asturien, qui sert de fondement initial à la thèse de l’Empire, avait opéré un virement qu’il serait bon d’indiquer »84. Cette contradiction est directement liée à l’un des présupposés de l’auteur. En effet, pour Menéndez Pidal, wisigothisme — ou néogothisme — asturien et idée impériale sont intimement liés, ce qui lui permet d’ailleurs d’affirmer la continuité de l’idée impériale du IXe au XIe siècle, puisque « pour Alphonse III le titre d’imperator veut dire, dans sa brièveté, la même chose que ce que souhaitait Alphonse VI lorsqu’il s’intitulait imperator constitutus super omnes Hispanie nationes »85. Pourtant le raisonnement mené pour aboutir à cette conclusion ne repose sur rien de probant, puisqu’aucune source de l’époque asturo-léonaise ne met en relation l’idée d’une restauration wisigothique et le titre impérial qu’auraient porté certains souverains. En réalité Menéndez Pidal procède selon une déduction qu’il pense logique. Dans les Asturies du haut Moyen Âge est professée une idéologie néogothique qui a pour objectif la réunification de l’Hispania sous le gouvernement chrétien. Or, Alphonse III s’intitule imperator Hispaniae dans des actes certes falsifiés mais dont les formulations pourraient être authentiques ; il est par ailleurs appelé imperator par ses descendants. L’empire d’Alphonse III est donc, parce qu’il s’applique à toute l’Espagne, lié à l’idéologie néogothique. On le constate, le seul argument qui raccorde l’idée d’empire au néogothisme est l’éventualité d’une authenticité de la titulature d’Alphonse III en imperator Hispaniae dans les deux falsifications qui la mentionnent. Si pour l’auteur cette éventualité est probable, c’est surtout parce qu’il interprète rétroactivement le phénomène impérial tel qu’il apparaît au début du Xe siècle en fonction de ce qu’il en observe à la fin du XIe siècle, à une époque où la titulature impériale pan-hispanique d’Alphonse VI est effectivement attestée. Ce n’est d’ailleurs pas le seul moment où Menéndez Pidal procède de la sorte. Ainsi, au moment d’aborder le règne d’Alphonse VII, il part du principe que l’empire de celui-ci, le plus documenté, « n’était rien de plus qu’un continuateur des usages passés »86. Aussi, à partir de ce postulat et puisqu’Alphonse VII se fit couronner empereur en 1135, « il est fort probable que la cérémonie décrite [dans la Chronica Adefonsi Imperatoris] ne soit qu’une répétition perfectionnée de cérémonies antérieures »87. N’est-il pas tentant, à la lecture de tels passages, de conclure avec Gibert que l’auteur a échafaudé sa démonstration en fonction de convictions préalablement acquises ?
43Au-delà du problème des sources et de leur interprétation, on peut également reprocher à Menéndez Pidal d’avoir omis de mentionner les conclusions de deux auteurs qui singulièrement soutenaient des thèses contraires aux siennes. Il affirme qu’Ernst Mayer fut le premier à s’intéresser au titre d’imperator tel qu’il apparaît dans la Péninsule médiévale88. Ce faisant, il laisse de côté les quelques paragraphes que Roger B. Merriman consacrait à la question dans un ouvrage de 1918 intitulé The Rise of the Spanish Empire in the Old World and in the New89, reprenant en grande partie les données énoncées quatre décennies plus tôt par un des compatriotes de Menéndez Pidal, José Amador de los Ríos, dans un discours prononcé à l’occasion de la réception de Francisco Fernández y González le 10 novembre 1867 parmi les membres de la Real Academia de la Historia90. Il est possible que Menéndez Pidal n’ait pas eu accès à l’ouvrage de Merriman, publié à New York. Il est par contre difficilement concevable qu’il n’ait pas eu connaissance du discours d’Amador de los Ríos : en effet Beneyto Pérez, dont les travaux sont cités dans La España del Cid et de nouveau dans El imperio hispánico, fait référence aux informations que donne l’académicien concernant le couronnement impérial d’Alphonse VII91. On pourra encore objecter que Menéndez Pidal a pu considérer qu’un discours académique, qui relève plus de la rhétorique et de l’érudition que de la démonstration méthodique, n’avait pas sa place dans le bilan historiographique qu’il réalise. Il est toutefois encore une fois tentant de croire que les propos d’Amador de los Ríos ont été délibérément oubliés.
44Voyons, en effet, leur teneur. Le texte en question est une réponse au discours prononcé par le nouveau numéraire de la Real Academia Francisco Fernández y González concernant la réception de l’idée d’empire dans la péninsule Ibérique de la fin de l’époque romaine jusqu’au XIe siècle92. Son auteur ayant laissé de côté la réutilisation du titre impérial durant le Moyen Âge, Amador de los Ríos saisit cette occasion de l’évoquer. L’hypothèse de l’auteur est la suivante : la Reconquête, entendue comme volonté de restaurer l’unité péninsulaire chrétienne, ne pouvait se réaliser sans qu’un chef suprême ne dirige les efforts communs. Dès ses origines, la monarchie asturienne puis castillane cherche donc à imposer son gouvernement sur toute l’Espagne et à atteindre une parfaite unité politique, condition de la réussite de son dessein fondateur. Cette impulsion vers l’hégémonie débouche, après les balbutiements asturiens, sur le titre impérial comme émanation de la puissance sans précédent acquise par Alphonse VI sur l’Hispania. Toutefois, si l’empire d’Alphonse VI se fonde sur l’hommage vassalique que lui prêtent les souverains des royaumes péninsulaires, les prérogatives dont il jouit se réduisent à un arbitrage de l’activité guerrière, et en aucun cas l’empereur n’intervient dans les affaires intérieures de ses vassaux, qui demeurent indépendants. Amador de los Ríos affirme ici le caractère accidentel de l’empire hispanique. Son apparition est uniquement liée à la personne d’Alphonse VI, ce que prouve d’ailleurs la faillite de l’idée impériale sous les règnes d’Urraca et d’Alphonse Ier le Batailleur. L’empire renaît avec Alphonse VII, à la faveur là encore du prestige du roi castillan, mais sa mort entraîne de nouveau la ruine de son œuvre en mettant fin aux faibles liens de la soumission personnelle. C’est que pour Amador de los Ríos l’empire contient en germe son propre échec : « L’Empire espagnol, tel que le conçoivent et le constituent les deux Alphonse, au lieu de réduire à un seul peuple tous ceux qui reconnaissent et se soumettent à leur autorité, et à un seul droit tous ceux qui en réalité les séparaient, sanctionnait avec une étrange solennité la fragmentation du pouvoir et le démembrement du territoire, contrariant ainsi les plus hauts objectifs de la reconquête »93.
45Amador de los Ríos soutient, on le constate, une thèse totalement opposée à celle de Menéndez Pidal. Au-delà du fait qu’il n’accorde aucune attention au phénomène impérial durant l’époque asturienne, son argumentation va dans le sens exactement inverse de celle du philologue, puisqu’il nie l’importance de l’empire hispanique comme vecteur d’unification de l’Hispania, pour affirmer au contraire qu’on a là un indice du morcellement politique péninsulaire. Cela permet peut-être de comprendre pourquoi elle ne figure pas dans la bibliographie de l’auteur. Menéndez Pidal déplorait le fait que l’histoire médiévale de l’Espagne fût essentiellement celle de ses différents royaumes, auxquels on ne reconnaissait aucun projet commun. Cette incapacité historiographique était d’ailleurs selon lui un signe de « la décadence des études historiques durant la fin du XIXe siècle »94. Plaçait-il le discours d’Amador de los Ríos au rang de ces écrits décadents ? On s’étonnera en tout état de cause que Menéndez Pidal ait préféré faire référence aux envolées phalangistes d’Antonio Tovar qu’au discours, même contrariant, d’un académicien.
46Sources inauthentiques, maladresses d’interprétation de la documentation, oubli ambigu d’études antérieures : doit-on finalement juger que El imperio hispánico y los cinco reinos est une thèse irrationnelle95 ? On s’en gardera bien, suivant en cela la mise en garde que Miguel Ángel Ladero Quesada exprime dans un article consacré à l’œuvre historique du grand érudit : « Aujourd’hui il nous est plus facile de voir les défauts de l’œuvre accomplie sur ce terrain par Menéndez Pidal et d’autres hommes de son siècle que leurs réussites, parce que nous avons incorporé celles-ci à notre propre savoir comme si cela était tout naturel : partons de cette reconnaissance avant d’exposer un quelconque désaccord »96.
47Les limites observées à la thèse pidalienne sont toutes liées à l’approche qu’adopte son auteur. L’impression que ses conclusions sont dictées par une idée préconçue est forte. La démarche est néanmoins compréhensible, vu les nombreux travaux qu’il a consacrés auparavant au sujet. Mais surtout, cette idée préconçue réside dans l’unité de dessein qu’il lit dans le phénomène impérial et qui l’amène à aborder celui-ci d’un point de vue global. Or cette globalité permet de comprendre pourquoi il commet les maladresses relevées : quoi de plus évident en effet que de mettre sur le même plan des sources d’un côté disparates, de l’autre abondantes, si l’on considère qu’elles sont toutes l’émanation d’une même idéologie ? Quoi de plus naturel que de chercher dans des expériences postérieures les clés de compréhension d’un événement, si l’on considère que le premier n’est que la répétition d’une pratique pluriséculaire ? Pour comprendre et dépasser les limites de la thèse pidalienne, il s’agit donc de saisir ce qui a amené son auteur à concevoir ainsi cette histoire.
LE « LIEU D’ÉCRITURE » PIDALIEN
48Les travaux de Michel de Certeau ont révélé que l’écriture de l’histoire est intimement liée au « lieu » qui la voit naître et qui prédispose les pratiques historiographiques97. Appliquée à la thèse pidalienne, une telle lecture implique que celle-ci n’est pas, simplement, erronée. Elle correspond aux positions propres à une historiographie espagnole du milieu du XXe siècle caractérisée par son « besoin de mythe ».
49Entre la série des travaux que Menéndez Pidal consacre à l’empire hispanique et les écrits peu scientifiques des années 1930 et 1940 ayant pour sujet l’idée d’empire en Espagne, il existe un point commun : l’importance accordée à l’idée d’unité hispanique et à la mise en relief de l’identité nationale, dont on veut distinguer les traces dans le Moyen Âge péninsulaire. Il s’agit là d’un thème cher aux historiens espagnols du second quart du XXe siècle, résultat d’un processus classique d’héritage et de réaction tout à la fois face aux schémas intellectuels antérieurs, et d’un contexte historique marqué par la succession des systèmes politiques, la guerre civile et la victoire nationaliste qui aboutit à l’installation du régime franquiste98. Cette tendance est elle-même devenue sujet d’étude quelques décennies plus tard, à la faveur du relâchement puis de la fin de la dictature espagnole, mais aussi de la pratique d’une réflexivité historiographique. Miguel Ángel Ladero Quesada s’est ainsi intéressé à l’écriture de l’histoire médiévale hispanique, dont il souligne les particularités dès 1983, lors d’un colloque madrilène portant sur « les possibilités et limites d’une historiographie nationale »99. Par la suite il est revenu régulièrement100 sur les problèmes liés à la compréhension du concept médiéval d’Espagne et sur son traitement par les historiens espagnols, ainsi que sur les caractéristiques du « faire de l’histoire », pour reprendre l’expression de Certeau, en Espagne. L’histoire du Moyen Âge y est étroitement liée, jusque dans les années 1950, à la réflexion historiciste sur le concept de « décadence ». Ce thème est présent dans la littérature historique et politique dès le XVIIe siècle, au moment où se développe la conscience d’un déclin de la puissance espagnole, et entraîne, tantôt comme observation pessimiste, tantôt comme sursaut vivificateur, une méditation sur « l’être historique espagnol », sa responsabilité dans le déclin, et les possibilités de promouvoir sa propre régénération101. Au XIXe siècle le thème devient un argument historiographique, notamment à partir de sa récupération dans l’œuvre de Marcelino Menéndez Pelayo (1856-1912). Celui-ci développe l’idée que le « génie espagnol » a été forgé durant la période médiévale de la Reconquête dans le cadre catholique, et qu’il s’est consolidé jusqu’au XVIe siècle, date à laquelle commence la perte d’unité de l’Espagne. Cette décadence n’est cependant pas pour lui négative, puisqu’elle symbolise au contraire le refus de la perversion de l’« être espagnol » par l’étranger et assure finalement sa consolidation. Un autre effet de la réflexion est la naissance du mythe des « Deux Espagnes » comme métaphore de la lutte constante et morbide de cet être national mais déchiré en lui-même102. L’interprétation est cette fois pessimiste, et prend corps dans la pensée des membres désabusés de la « Génération de 98 » qui tentent de trouver dans le passé une explication aux douloureux événements contemporains. Pour Ladero Quesada, une des conséquences d’une telle conception est l’approche globalisante et déterministe des phénomènes historiques qu’elle entraîne, approche pernicieuse car réductrice. En effet, dans la mesure où il s’agit de mettre en valeur la spécificité de la nation espagnole et sa différence par rapport à l’Europe, la méthode employée laisse une grande place à l’irrationalité et à l’originalité, seules façons de faire preuve d’« espagnolisme »103. Or, cette manière de « faire de l’histoire » a perduré jusqu’au milieu du XXe siècle, à la faveur de la manipulation des pratiques historiographiques durant la dictature franquiste et du besoin d’assurer la cohésion nationale sur des mythes unitaristes104. Significatif de la persistance de ce schéma interprétatif est le commentaire que fait Florentino Pérez Embid du premier extrait de la compilation de Textos sobre España de Menéndez Pelayo qu’il réalise en 1955, extrait concernant l’épilogue de l’Historia de los heterodoxos españoles. Pérez Embid affirme en effet que cet épilogue a été maintes fois reproduit et qu’il doit l’être encore une fois et figurer en tête de son anthologie, car il est important pour ceux qui partagent la conviction, qui est celle de Menéndez Pelayo, que « l’Espagne est une unité de destin dans l’universel »105. Et Ladero Quesada de conclure qu’« il n’a été possible de sortir d’une telle impasse que récemment, en dépassant aussi bien les présupposés intellectuels que les méthodes d’une historiographie excessivement idéaliste et nationaliste, qui de plus contemplait le passé espagnol d’un point de vue trop uniformisateur »106.
50Ramón Menéndez Pidal est l’héritier de ce mode de réflexion historique. Comme l’explique Ladero Quesada dans une synthèse biographique consacrée au grand médiéviste107, sa pensée ne peut se comprendre qu’en prenant en compte trois moments de sa vie : les dernières décennies du XIXe siècle, période de formation intellectuelle durant laquelle s’exprimèrent tant les idées de Menéndez Pelayo que celles de la « Génération de 98 » ; les événements qui secouèrent l’Espagne dans les premières décennies du XXe siècle et amenèrent le philologue à s’exiler ; et enfin l’époque postérieure à 1939 où Menéndez Pidal, de retour d’exil, approfondit ses positions au sein de l’Espagne franquiste. Ainsi, sans céder au pessimisme de la « Génération de 98 », il adopte le postulat du « génie espagnol » et acquiert la conviction d’une permanence de cet « être espagnol » dont toute son œuvre marque la recherche. Dans cette perspective il considère le Moyen Âge péninsulaire comme « l’histoire d’un idéal d’unité rompu puis recomposé »108. Les expériences douloureuses de la guerre civile et de l’exil le conduisent à radicaliser cette quête de l’unité hispanique, adoptant une posture qui n’est plus seulement scientifique mais également civique et morale. Il écrit ainsi à Américo Castro en mars 1939, quelques mois avant son retour dans la Péninsule : « Il n’y a pas en Espagne de problème plus grave que celui de son unité, précisément à cause du grand nombre d’Espagnols pour lesquels elle importe très peu »109. Au-delà de ses thèmes de prédilection — les origines de la langue espagnole, la littérature épique et les chroniques médiévales — Menéndez Pidal s’intéresse alors à d’autres questions qui l’amènent à rejoindre certains des mythes mis à profit par la propagande franquiste. Il en va ainsi du mythe impérial hispanique abondamment sollicité dans l’idéologie phalangiste110, auquel Menéndez Pidal apporte sa contribution aussi bien dans sa phase moderne111 que médiévale.
51On ne conclura cependant pas de cette présentation rapide des caractères de l’œuvre pidalienne à la naïve adhésion d’un auteur aux idées de son temps. Menéndez Pidal fut un remarquable scientifique et sa pensée historique était le résultat d’un constant travail sur les sources. Il opposait d’ailleurs l’érudit au scientifique, accusant le premier de ne faire que reprendre les idées d’autres personnes112. La rigueur documentaire qu’il adopte dans ses travaux est une qualité que beaucoup lui ont reconnue, et c’est en cela qu’il mérite d’être considéré comme le fondateur de la philologie espagnole moderne. La réflexion qu’il développe sur la « tradition » et la « permanence », sur « l’état latent » de la langue et de la culture espagnoles113 n’a rien à voir avec une attitude entêtée de défense du passé. Au contraire, « la continuité traditionnelle, loin d’être fondée sur la permanence stable de l’ancien, présuppose la rénovation continuelle de l’héritage en provenance du passé »114. Cette certitude acquise très tôt à partir de l’analyse philologique de la littérature médiévale, Menéndez Pidal la développe ensuite au travers du corpus des chroniques écrites durant le Moyen Âge hispanique, ce qui l’incite à renforcer ses conclusions sur l’existence d’un « être collectif », d’une « unité vitale » espagnole, qu’il retrouve encore dans d’autres objets d’étude, tels que l’histoire des institutions hispaniques médiévales, ou de l’empire hispanique. Son œuvre est en ce sens à la fois homogène et innovante, ce qui peut aussi expliquer sa transcendance. Ainsi Maravall consacre-t-il, à l’occasion du quatre-vingt-dixième anniversaire du philologue en 1959, un article à la « rénovation » apportée par Menéndez Pidal à l’historiographie en soulignant de prime abord l’actualité de ses réflexions : « cette œuvre ne se présente pas à nous comme un monument achevé et lointain, elle se construit dans notre présent intellectuel et scientifique, […] elle continue de se développer jour après jour, avec une continuité d’objectifs, de méthodes et de réalisations probablement sans pareille »115.
52Le lieu d’écriture pidalien est profondément révélateur. Si aujourd’hui encore, alors même que la recherche de « l’être espagnol » est un argument historiographique obsolète, voire pernicieux, on doit reconnaître avec Ladero Quesada que « dans la lecture des pages écrites par Menéndez Pidal il y a de nombreuses réponses partielles et suggestions qui restent en vigueur »116, comment reprocher aux lecteurs contemporains de n’avoir pas su déceler les limites de la thèse énoncée dans El imperio hispánico y los cinco reinos ? On comprend au contraire très exactement pourquoi Moreno Báez attribuait tout le mérite de cette thèse à l’« histoire du sentiment national », et pourquoi les arguments « négateurs » de García-Gallo et Gibert dérangeaient et furent finalement écartés. Après 1956 la controverse au sujet de l’idée impériale léonaise est ainsi mise en sourdine. La question n’est pourtant pas oubliée, et ressurgit ponctuellement au gré des publications concernant un souverain117, les relations du pouvoir et de l’Église118, la société119 et les institutions médiévales120, ou encore tout bonnement dans les encyclopédies d’histoire de l’Espagne121. Mais en grande majorité et au-delà de quelques critiques, dans tous ces ouvrages c’est la thèse pidalienne qui l’emporte, et il est communément admis qu’il existait pour la monarchie asturo-léonaise un programme politique de restauration de l’unité wisigothique, dont la meilleure expression se trouve dans l’idée impériale léonaise.
53L’analyse du contexte historiographique dans lequel prend forme l’opposition entre les partisans de la thèse impérialiste et ses négateurs invite encore à discerner les limites du débat lui-même. On a vu qu’il s’était rapidement focalisé sur un aspect de la question, celui de la continuité juridico-politique de l’idée impériale léonaise. Ce faisant, l’étude des règnes des empereurs Alphonse VI et Alphonse VII était minimisée, par rapport à celle de la période asturo-léonaise122. On comprend à présent l’enjeu d’une telle question : de cette continuité dépendait l’assimilation de l’idée d’empire hispanique à cet « être espagnol », clé de la compréhension historique. Tout autre point de vue sur l’empire hispanique était de ce fait hors de propos. La notion d’interdit liée au lieu d’écriture, telle qu’elle est exprimée par Michel de Certeau, est ici très nette : « [L’histoire] s’inscrit dans un complexe qui lui permet seulement un type de productions et lui en interdit d’autres. Telle est la double fonction du lieu. Il rend possibles certaines recherches, par le fait de conjectures et de problématiques communes. Mais il en rend d’autres impossibles ; il exclut du discours ce qui est sa condition à un moment donné ; il joue le rôle d’une censure par rapport aux postulats présents (sociaux, économiques, politiques) de l’analyse ». C’est toutefois dans ces limites qu’est possible une réévaluation de l’idée d’empire hispanique médiéval : « Sans doute cette combinaison entre la permission et l’interdiction est-elle le point aveugle de la recherche historique, et la raison pour laquelle elle n’est pas compatible avec n’importe quoi », précise Michel de Certeau, avant d’ajouter que « c’est également sur cette combinaison que joue le travail destiné à la modifier »123.
RÉÉVALUER LA NOTION D’IMPERIUM HISPANIQUE MÉDIÉVAL
54Il est révélateur que la première révision complète de la thèse pidalienne soit le fait d’une Américaine, Margaret M. Cullinan, qui en 1975 soutenait à la City University of New York une thèse de doctorat intitulée Imperator Hispaniae : the Genesis of « Spain ». Dans son introduction, M. Cullinan identifie un certain nombre des limites des travaux antérieurs : faible nombre des sources sur lesquelles s’appuient les thèses avancées, erreurs méthodologiques, validité généralement reconnue à la thèse pidalienne en dépit de ses défauts. L’auteur conclut cette introduction en replaçant ces insuffisances dans une perspective historiographique plus large liée à l’élaboration de mythes nationaux espagnols : « L’“impérialisme” espagnol et le problème de l’unité de l’Espagne relèvent d’un intérêt plus qu’académique. Aujourd’hui, alors que l’ère de Franco touche à sa fin, le concept d’“Espagne” et la cohésion de sa population vont de nouveau être mis à l’épreuve. Les fissures qui apparaissent déjà au sein de la société espagnole font du réexamen académique du problème de l’unité espagnole un impératif pratique. […] Les mythes ne font pas qu’obscurcir l’histoire, ils rendent l’analyse du présent confuse et peuvent par conséquent dérouter le futur. Malheureusement la question de l’unité espagnole durant le haut Moyen Âge et le Moyen Âge central est empreinte de mythe »124.
55Margaret Cullinan propose donc une interprétation nouvelle du phénomène impérial, qui par bien des aspects contredit les idées généralement acceptées. Durant les Xe et XIe siècles, période durant laquelle le titre impérial n’est pas employé à la première personne, l’auteur distingue deux sens du terme imperator : dans le royaume de León, il désigne un roi victorieux et traduit de manière purement honorifique la survivance des traditions romaines ; par contre, utilisé dans d’autres royaumes pour désigner le souverain léonais, le qualificatif revient à dénigrer le pouvoir de ce dernier puisqu’alors le titre royal lui est refusé. Dans les deux cas, et c’est une des affirmations-clé de l’auteur, « durant cette période imperator n’avait aucun lien avec le passé wisigothique ou avec l’idée d’une Espagne unifiée »125. L’idée d’unité hispanique n’apparaît en effet pas selon elle avant le XIe siècle, au moment où Sanche III de Navarre émet le projet d’une hégémonie politique péninsulaire. On n’a toutefois à ce moment-là toujours pas de programme impérial : Cullinan oppose en effet le projet unificateur de Sanche III et celui d’une structure impériale, qui selon elle est nécessairement fédérale126. La naissance d’une telle structure sous le règne d’Alphonse VI est alors le résultat de la faillite du projet unitaire de Sanche III sous les règnes de ses fils et de Ferdinand Ier en particulier. Face aux tendances désagrégatrices désormais ancrées dans les pratiques politiques, Alphonse VI, conseillé par Hugues de Cluny127, décide de recourir à un palliatif en créant un empire, fédéral et féodal, sur le modèle carolingien. Quant à Alphonse VII, il poursuit la tentative de structuration impériale mise en place par son grand-père en y adjoignant des « aspirations césariennes ». Toutefois la faiblesse des liens féodaux mis en œuvre par l’empereur révèle l’inadéquation du concept d’empire à la péninsule Ibérique : M. Cullinan explique cet échec par l’archaïsme de la royauté léonaise qui, comme les royautés germaniques, est d’abord militaire et dont la cohésion n’est assurée que par des liens personnels et non institutionnels. « Le couronnement [d’Alphonse VII] comme empereur n’était en ce sens pas la réalisation d’un idéal, mais plutôt un compromis avec la réalité »128.
56En dépit de ces limites129, cette thèse nord-américaine avait le mérite d’aller à l’encontre d’un certain nombre des présupposés qui, on l’a vu, biaisaient jusqu’alors l’étude du phénomène impérial hispanique. Plusieurs postulats y sont en effet remis en question et de fait balayés : la continuité du phénomène impérial du Xe au XIIe siècle ; le caractère « différent » de l’Espagne face à l’Europe ; la perversion entraînée par la pénétration d’influences culturelles extérieures à la Péninsule. Un « lieu d’écriture » différent rendait donc possible le renouvellement des points de vue adoptés sur la question. Il est toutefois également révélateur que ce travail soit passé pratiquement inaperçu en Espagne : les interdits ont été bien persistants.
57Il a ainsi fallu attendre une période assez récente pour voir apparaître — en Espagne et ailleurs — de nouvelles études affirmant le caractère obsolète de la thèse pidalienne, et proposant de nouveaux points de vue sur la notion d’empire hispanique médiéval. Pour Peter Linehan, le maintien du titre d’imperator après le règne de Ramire II doit être conçu comme un simple usage de chancellerie, en décalage total avec la réalité politique de l’époque130. Andrés Gambra131 a réalisé quant à lui la première étude approfondie de l’empire d’Alphonse VI, point culminant selon lui du déploiement de la dignité impériale en Péninsule, dans la mesure où les destinées impériales d’Alphonse VII n’en sont qu’un dérivé, qui conduit d’ailleurs à sa chute. Gambra réalise son essai à partir de l’édition de la documentation d’Alphonse VI. C’est surtout l’étude des titulatures et formules en regnante qui lui permet de bâtir l’hypothèse, d’ailleurs brillamment argumentée, d’un véritable programme impérial, développé en plusieurs étapes. L’une, qu’il nomme « praeparatio impériale », se déroule de 1068 à 1077, et consiste en l’utilisation du terme d’imperator assigné à Ferdinand Ier, prédécesseur d’Alphonse VI sur le trône de León. Cette pratique renoue alors avec la tradition léonaise de désignation des anciens rois de León par le titre impérial. Une deuxième étape est constituée par l’adoption novatrice du titre impérial à la première personne, significative d’une volonté de supériorité hiérarchique sur la Péninsule. L’apport de l’étude de Gambra se trouve par ailleurs dans le fait qu’il a cherché à montrer pourquoi Alphonse VI fut le premier à adopter ce titre impérial. Il démontre ainsi qu’on doit voir là des motifs politiques intra et extra-péninsulaires, qui l’ont poussé à trouver un moyen d’exprimer les ambitions expansionnistes héritées de son ascendance navarraise. En ce sens il montre que l’originalité de l’idée impériale d’Alphonse VI réside dans l’intégration effective des deux traditions léonaise et navarraise. Dans un chapitre consacré à la monarchie asturienne et à l’empire léonais, Amancio Isla Frez132 établit une mise au point bibliographique sur l’imperium. Il relève ainsi les insuffisances de la thèse pidalienne : conclusions hâtives, sources apocryphes et surtout difficulté à faire tenir l’affirmation d’une revendication impériale unitaire tout au long de la période étudiée. Il affirme que l’imperium tend moins à signifier l’hégémonie péninsulaire des souverains léonais qu’une supériorité sur les membres de l’aristocratie. À travers l’analyse philologique du vocabulaire du regnum et de l’imperium, il démontre que l’association de ces deux champs lexicaux est une caractéristique de la monarchie léonaise visant à l’exalter. Cet argument vient selon lui soutenir la thèse d’une titulature impériale utilisée dans le sens d’une consolidation interne et pas dans celui d’une souveraineté sur les autres royaumes chrétiens. Récemment le même auteur a proposé de nouveaux arguments pour expliquer l’adoption par Alphonse VI du titre impérial, à partir de l’étude des titulatures dans lesquelles le souverain se présente comme régnant sur « toute l’Espagne » (totius Hispaniae)133. Il voit dans ces formulations la continuité d’un précédent isidorien — faisant référence à l’expression totius Spaniae monarchiam telle qu’elle apparaît dans l’Historia Gothorum pour exprimer l’ampleur du territoire gouverné par le roi wisigoth Suintila après qu’il a soumis les dernières enclaves byzantines de la Péninsule — en affirmant qu’à l’époque d’Alphonse VI la situation politique de domination sur les taifas impose ce nouvel usage. Dans une étude des titulatures royales de la diplomatique asturo-léonaise, Manchón Gómez s’interroge à son tour sur l’utilisation du titre impérial et sa signification jusqu’au règne d’Alphonse VI. En tenant compte des arguments énoncés aussi bien par Menéndez Pidal et ses partisans que par García-Gallo ou encore Linehan, il en vient à la conclusion que « la durabilité du terme d’imperator dans la diplomatique asturo-léonaise n’autorise pas à penser nécessairement que, tout du moins avant Alphonse VI, ce qualificatif puisse impliquer un rang supérieur hégémonique, et encore moins la manifestation d’un pouvoir impérialiste léonais de caractère pan-hispanique. Tout au plus, on peut être certain que le terme d’imperator représentait une tentative d’exaltation de la figure royale léonaise, restreinte, en tout état de cause, au cadre de la chancellerie léonaise »134. Enfin Thomas Deswarte met de nouveau en rapport l’apparition du titre impérial avec l’idéologie néogothique qui préside à la construction de la monarchie asturienne. Son analyse des sources l’amène à affirmer qu’à partir d’Ordoño II « la réapparition de ce qualificatif [imperator] procède d’un choix politique strictement lié au contexte juridique mais aussi idéologique romano-wisigothique »135. Il réaffirme également la continuité de l’idéal de restauration wisigothique et fait de l’empire d’Alphonse VI partie intégrante de cet idéal. Ainsi, « si Alphonse VI échoue à restaurer de fait sa suprématie sur l’ensemble de l’Espagne, ses prétentions politiques réalisent pourtant l’ancien programme de rétablissement de l’autorité royale et de récupération de l’Hispania wisigothique »136.
58Bien qu’aucun de ces travaux n’aborde le phénomène hispanique médiéval dans l’ensemble de sa chronologie, on y observe les prémices d’une révision globale du sujet et de la démythification de l’idée d’empire. D’abord, l’empire hispanique cesse d’y être ce sans quoi « l’histoire de l’Espagne du Xe au XIIe siècle devient chose vide, sans âme », formulation héritée de la nécessité de dégager dans l’histoire la présence de « l’être espagnol ». Relativiser l’importance qui a été donnée traditionnellement au phénomène impérial hispanique est une démarche constructive, au sens où elle permet de s’affranchir des présupposés qui ont longtemps biaisé son analyse, condition sine qua non de sa réévaluation. Il est évident que la présente étude n’est pas une recherche aveugle d’originalité et en aucun cas les travaux dont il a été question dans ce chapitre n’y sont mis de côté. On rappellera plutôt la remarque que López Ortiz faisait en 1942 et qui reste, elle, entièrement d’actualité : « Nous ne manquons pas d’indications lumineuses au sujet de l’idée impériale léonaise […]. Ce qui fait défaut, c’est une construction systématique de ces idées plus ou moins dispersées »137. L’autre apport des travaux récents a trait au recentrage de l’intérêt que suppose le phénomène impérial pour les chercheurs qui l’abordent, et qui est en partie lié à sa relativisation. À partir du moment où « l’idée impériale » n’est plus considérée a priori comme l’émanation de l’unité hispanique, une revalorisation de son champ d’analyse est en effet possible. Les problématiques de l’institutionnalisation, de l’originalité, ou même du modèle suivi dans l’élaboration de ce phénomène impérial ne sont plus des questions fondamentales. Par contre, dans la construction même du phénomène impérial, les mécanismes mis en œuvre et les besoins idéologiques auxquels ils répondent constituent un nouvel objet d’étude. C’est dans la continuité des perspectives ouvertes par ces travaux que la présente étude a été élaborée.
III. — BRÈVE INTRODUCTION AUX SOURCES DU PHÉNOMÈNE IMPÉRIAL HISPANIQUE MÉDIÉVAL
59Il n’existe pas de texte où seraient expliqués les fondements de la « dignité impériale » dont furent parfois revêtus les souverains léonais. Les sources documentant le phénomène impérial sont à rechercher dans les actes de la pratique qui ont exploité la notion — à titre principal, les chartes et les diplômes — et dans toute une diversité de sources — diplomatiques, narratives, iconographiques — qui en attestent, de manière plus ou moins directe, l’existence et la perception.
60La vigueur du débat mené autour de la question impériale hispanique au milieu du XXe siècle a eu des conséquences néfastes sur le champ d’analyse couvert par l’historiographie traditionnelle, et notamment sur le corpus de sources observées. Le problème s’étant rapidement centré sur l’évaluation institutionnelle de l’empire, ce sont les documents émanant de la monarchie — diplômes et historiographie officielle — qui ont été privilégiés, les sources extérieures à la cour servant ponctuellement de confirmation a posteriori de l’existence de l’idée impériale. En ce qui concerne la documentation diplomatique, les historiens ont privilégié les actes dans lesquels les termes imperator, imperare, magnus, basileus et flavius, regnum-imperium étaient associés aux figures royales léonaises, dans des documents royaux, parfois dans des documents privés, et dans quelques actes provenant d’autres royaumes péninsulaires. Sánchez Candeira a ainsi, en annexe de son étude, publié une liste « exhaustive » de ces sources jusqu’en 1037138. Quant aux règnes d’Alphonse VI et Alphonse VII, la profusion des titulatures impériales était considérée comme une preuve suffisante et semblait ne pas imposer de dépouillement approfondi. Pour ce qui est des sources historiographiques, les travaux se sont orientés vers les éléments contenus dans les chroniques du cycle d’Alphonse III, composées dans l’entourage de la cour d’Oviedo durant les dernières décennies du IXe siècle et empreintes de néogothisme, le recours aux productions postérieures — Historia Silense, Chronica Adefonsi Imperatoris, grandes chroniques du XIIIe s. — étant limité. De manière plus anecdotique encore, d’autres types de sources sont venus renforcer l’argumentation : une monnaie ici139 ; une chronique française là140.
61Quant à ce corpus relativement réduit, plusieurs remarques s’imposent. D’abord, l’avancée des connaissances et de l’édition de la documentation depuis les années 1950 exige qu’un dépouillement beaucoup plus systématique des sources diplomatiques et historiographiques soit mis en œuvre. Par ailleurs, il s’agit d’amplifier les critères de recherche. Il ne semble aujourd’hui nullement pertinent de se limiter au relevé des titulatures royales et des liens apparents entre empire et néogothisme. Dans les sources léonaises, tout vocabulaire ayant trait à l’imperium, qu’il soit ou non associé à la figure royale, toute représentation royale permettant de comprendre la signification du phénomène impérial doivent être pris en compte. L’absence d’une image impériale de ces souverains et du vocabulaire qui l’accompagne est d’ailleurs tout aussi éclairante, et une réflexion d’ordre statistique s’impose pour mesurer l’ampleur du phénomène. Enfin, on se rappellera que plusieurs études ont suggéré que l’idée impériale léonaise fut davantage une politique d’exaltation de la monarchie que d’institutionnalisation de ses ambitions hégémoniques. Si l’on considère que cette hypothèse peut être valable, il n’y a aucune objection a priori pour qu’une telle politique d’exaltation impériale n’ait pas eu de retentissement au travers d’autres types de sources que les diplômes et l’historiographie. Pourquoi les souverains hispaniques n’auraient-ils pas cherché à véhiculer leur image impériale par d’autres moyens ? On pense notamment aux représentations graphiques, moyen précieux de diffusion des idées dans une société « visuelle »141. Si l’on pousse à l’extrême ce raisonnement, il oblige à considérer comme postulat que toute source médiévale, hispanique ou non, est susceptible d’apporter un éclairage sur la signification de l’imperium hispanique. C’est ce postulat qui a guidé nos pas à la recherche des traces du phénomène impérial, le détail se faisant de moins en moins précis au fur et à mesure que l’on s’éloigne du territoire de Castille-León où s’est développé le phénomène impérial.
62Les sources diplomatiques hispaniques constituent l’essentiel du corpus142. C’est en effet dans les diplômes et chartes émis au sein des royaumes chrétiens de l’Hispania que les traces du phénomène impérial sont les plus nombreuses. Le groupe le plus important est constitué des diplômes des souverains asturoléonais puis castellano-léonais, depuis les origines du royaume asturien au milieu du VIIIe siècle jusqu’à la réunification de la Castille et du León sous le règne de Ferdinand III en 1230, documentation éditée en grande partie143. Une recherche parallèle a été menée dans les diplômes émis par les souverains des autres royaumes chrétiens hispaniques jusqu’en 1230, de manière à y mesurer la répercussion et les éventuelles implications du phénomène impérial144. Enfin, dans une optique tout à la fois de compréhension du phénomène impérial et de mesure de sa réception, cette fois au sein du royaume castellano-léonais, nous avons procédé à l’analyse de la documentation ecclésiastique et privée de la période à partir d’un sondage prenant en compte les collections éditées d’archives conservées dans une trentaine d’établissements religieux (fig. 1, p. 46)145.
63Les sources narratives forment le second bloc du corpus étudié. Les textes historiographiques146 strictu sensu ont tout particulièrement été analysés, l’histoire des rois représentant le premier genre de texte dans lequel le phénomène impérial pouvait apparaître : de la Chronique de 741 — composée au lendemain de la conquête musulmane — à la Chronique de Nájera (v. 1160), des textes commandités par la cour aux œuvres non officielles, des textes détaillés et imagés aux annales succinctes et au ton sec. La part belle est faite à la production du royaume castellano-léonais, la plus foisonnante d’ailleurs dans cette période, mais nous avons en outre prêté attention aux textes produits dans les autres territoires hispaniques. D’autres narrations entrent également dans le cadre de cette étude : histoires d’églises et de monastères, mais aussi de héros, tels que le Cid dont les prouesses suscitèrent une intense production littéraire147.
64L’hagiographie enfin, genre qui connaît un redéploiement à partir du milieu du XIe siècle, complète le corpus148.
65Les sources iconographiques — miniatures des manuscrits et notamment portraits de rois149, seings et sceaux150, monnaies151, à même d’être érigés en emblèmes de la monarchie — interviennent de façon quelque peu subsidiaire, dans la mesure où les représentations graphiques du phénomène impérial, nous le verrons, se sont révélées somme toute peu nombreuses. Leur apport est néanmoins riche en ce qui concerne la mesure du retentissement de l’idéologie impériale.
66En outre, l’histoire médiévale de l’Espagne chrétienne étant conditionnée par le rapport constant au monde musulman d’al-Andalus, une étude de la documentation arabe s’est également imposée. Les sources convoquées en la matière appartiennent essentiellement au genre historiographique, et furent composées entre le VIIIe siècle et le bas Moyen Âge dans diverses parties du monde musulman152. Il s’agit des chroniques évoquant l’histoire d’al-Andalus153 et plus particulièrement la période des taifas et des invasions almoravide et almohade qui la suivent, correspondant aux règnes des souverains qui ont mis en œuvre l’idéologie impériale hispanique d’une manière telle qu’elle englobait d’une façon ou d’une autre les espaces péninsulaires sous domination musulmane154.
67Quant aux sources extra-péninsulaires, elles ont représenté la partie la plus hasardeuse du corpus, étant donné qu’il serait vain de prétendre à l’exhaustivité en ce domaine. Pourtant, la diffusion du phénomène impérial au-delà de la frontière naturelle des Pyrénées a été là encore remarquée par ses historiens155. Nous avons souhaité approfondir la question de manière à comprendre dans quelle mesure et de quelle façon ce phénomène a pu être réceptionné dans le reste de l’Occident chrétien.
68Notons enfin qu’au-delà des différentes parties de ce corpus, des incursions ponctuelles ont été réalisées dans des documents d’époques antérieures et postérieures à la chronologie envisagée, ainsi que dans d’autres types de sources, par exemple réglementaires, comme les pénitentiels. En outre, certains documents se laissent difficilement classer, tels ces codices au contenu varié que nous avons examinés dans leur ensemble156.
Notes de bas de page
1 E. de Garibay, Los Quarenta libros, t. I, Prologue.
2 E. Mayer, Historia de las instituciones, t. II, pp. 15-19.
3 Ibid., pp. 16-17.
4 A. Schunter, Der weströmische Kaisergedanke, pp. 40-41.
5 Ce que précise R. Manchón Gómez qui a, lui, réussi à consulter cet ouvrage (R. Manchón Gómez, Léxico, p. 109).
6 D’abord un chapitre d’article, « El imperio hispánico », dans R. Menéndez Pidal, « De la vida del Cid », pp. 148-155, puis dans Id., La España del Cid (1929), t. I, pp. 73-77 et t. II, pp. 677, 685-689, 709-713 et 750-753, ainsi que d’autres articles : Id., « El Romanz », Id., « Adefonsus imperator ».
7 Id., « De la vida del Cid », pp. 150-151.
8 Il s’agit de la toute première phrase de la préface.
9 A. Saitta, « Un problema storiografico », pp. 256-257.
10 On pourra donner un exemple de ce lyrisme chez Antonio Tovar. Son ouvrage est tout entier tourné vers l’exaltation de l’« être espagnol » et de sa destinée impériale. Évoquant ce qu’il appelle « le rêve d’un empire germanique », Tovar développe l’idée que la royauté wisigothique n’a acquis sa puissance que parce que c’est au sein de la péninsule Ibérique qu’elle s’est installée, se choisissant Tolède pour capitale : « seule Tolède a pu prendre les barbares de Toulouse et en faire des Espagnols. Seule Tolède, la ville des conciles, a pu faire de ces Germains des catholiques romains. Seule Tolède, dans ses conciles, a pu leur faire oublier le mythe du sang nordique et blond, et permettre les mariages germano-romains ». Et de conclure en un paragraphe : « Parce que Tolède était née pour être ville impériale de l’Espagne » (A. Tovar, El imperio de España, p. 29).
11 Voire franchement nationaliste. La note préliminaire à la quatrième édition de l’ouvrage d’Antonio Tovar en 1941 (pp. 7-8) est assez claire en ce sens. Cette nouvelle édition de l’essai écrit en 1936 — « À la veille de l’Empire que cette énorme guerre civile nous apporte », comme l’affirmait l’auteur dans son épilogue — est accompagnée de quatre conférences données en septembre 1939 à Barcelone devant la classe de musique de la section féminine phalangiste. Antonio Tovar précise la raison de ces conférences : « Je ne saurais dire ce qui m’a poussé à préparer ces quatre conférences de Barcelone. Peut-être l’ambiance, l’ardeur encore vives et sans repos de la fin victorieuse de la guerre ». Il craint toutefois que cette nouvelle édition n’ait pas le succès de la première, « distribuée, et en grande partie offerte, par les Services de Propagande de la Phalange », et tient à avertir le lecteur que ses intentions en 1941 sont bien les mêmes qu’en 1936.
12 Voir le titre du premier chapitre de son essai, « Vocación de España para el imperio : Roma ».
13 Ibid., p. 6.
14 D’où la première partie du titre de l’ouvrage : J. Beneyto Pérez, España y el problema de Europa.
15 R. del Arco y Garay, La idea de imperio, qui reprend la formulation d’A. Tovar en initiant son étude par une réflexion sur la « vocación de Imperio » de l’Espagne (titre du chap. i).
16 E. Elorduy, La idea de imperio, pp. 441-450, les deux premières pages seulement étant consacrées au phénomène impérial hispanique jusqu’au XIIe siècle.
17 A. García-Gallo, « El imperio (1945) ».
18 Dans le prologue des cinq volumes d’hommage à García-Gallo, son disciple Gustavo Villapalos se plaît en effet à rappeler ce trait de caractère de son maître (G. Villapalos et alii, Homenaje, t. I, p. 14).
19 É. Lévi-Provençal, Histoire de l’Espagne musulmane, t. I, p. 315 et n. 3.
20 Cette hypothèse a été réfutée par Menéndez Pidal : le titre impérial léonais apparaît avant la proclamation du califat de Cordoue en 929 (R. Menéndez Pidal, El imperio hispánico, p. 35). L’argument tient quand bien même on écarte les sources falsifiées de l’époque d’Alphonse III, puisqu’ensuite c’est en 916 et 917 qu’Ordoño II émet deux diplômes dans lesquels il intitule son père décédé imperator. Par contre il est vrai que Lévi-Provençal, lorsqu’il s’intéresse au titre et rappelle que « personne ne semble s’être avisé d’y voir une réplique de l’adoption des titres éminents par le souverain musulman de Cordoue », traite spécifiquement des rapports entre ‘Abd al-Rahmān III et Ramire II (931-950), qui fut en effet le premier roi asturo-léonais à être intitulé imperator de son vivant dans des chartes privées (voir « Le titre d’imperator », pp. 99-103).
21 On évoquera ici également le point de vue que Robert Folz porte sur la question en 1953, lorsque paraît son L’idée d’empire en Occident. La seconde partie de l’ouvrage a pour thème l’extension et le fractionnement de la notion d’empire au Xe siècle, avec d’un côté des exemples montrant que le concept peut donner lieu à des expériences « non romaines » — et Folz cite alors les exemples britannique (voir « L’“empereur” asturo-léonais, une chimère ? », pp. 60-61) et hispanique —, et de l’autre la tentative de renaissance de l’idée romaine d’empire avec la restauration ottonienne. En ce qui concerne l’Espagne, Folz différencie l’expérience impériale du Xe siècle asturo-léonais et les initiatives menées par Alphonse VI et Alphonse VII par la suite. S’il suit les conclusions de Menéndez Pidal et de Hüffer pour cette seconde étape, son opinion sur le premier phénomène impérial en est très éloignée : « En somme, une résurgence du titre impérial sur le plan local, une appellation prestigieuse renforçant la royauté, un prédicat honorifique, sans prétention à une suprématie extérieure et qui ne porte qu’à l’intérieur », R. Folz, L’idée d’empire, p. 51 ; sur l’empire entre 1065 et 1157, voir les pp. 64-69.
22 R. Menéndez Pidal, El imperio hispánico, p. 12.
23 M. Menéndez Pelayo, Antología de poetas líricos, p. ix, cité par R. Menéndez Pidal, El imperio hispánico, p. 8.
24 « Imperatorum autem nomen apud Romanos eorum tantum prius fuit apud quos summa rei militaris consisteret, et ideo imperatores dicti ab imperando exercitui : sed dum diu duces titulis imperatoriis fungerentur, senatus censuit ut Augusti Caesaris hoc tantum nomen esset, eoque is distingueretur a ceteris gentium regibus ; quod et sequentes Caesares hactenus usurpaverunt. », Isidore de Séville, Etimologías, éd. J. Oroz Reta et M. A. Marcos Casquero, IX, 3-14 (trad. M. Reydellet, Étymologies, IX).
25 A. García-Gallo, « El imperio (1945) », p. 207.
26 Ibid., p. 212.
27 R. Menéndez Pidal, El imperio hispánico, pp. 16-19.
28 A. Sánchez Candeira, El regnum-imperium.
29 A. García-Gallo, « El imperio (1945) », p. 209.
30 Voir « Le titre d’imperator », p. 100.
31 Alphonse III y apparaît en outre comme rex Hispaniae. Sur cette lettre, voir P. Henriet, « La lettre d’Alphonse III » : pour l’auteur tout n’est pas nécessairement inauthentique dans cette lettre.
32 R. Menéndez Pidal, El imperio hispánico, pp. 28-34. Menéndez Pidal mesure cependant les limites de son argument, en relevant la faiblesse du nombre de ces occurrences (pp. 33-34).
33 Voir sur ce point l’article : Id., « El Romanz ».
34 Id., El imperio hispánico, pp. 70-73.
35 Ibid., pp. 86-98.
36 Ibid., pp. 174-175.
37 Ibid., pp. 106-130.
38 A. García-Gallo, « El imperio (1945) », pp. 215-217.
39 Ibid., p. 219.
40 A. García-Gallo, « El imperio (1945) », p. 221 ; R. Menéndez Pidal, El imperio hispánico, p. 179.
41 Ibid., pp. 178-200.
42 Ibid., pp. 214-218.
43 Ibid., p. 227.
44 Expression employée par Juan López Marichal dans sa recension, voir ci-après.
45 Recension d’Enrique Moreno Báez dans Insula. Revista Bibliográfica de Ciencias y Letras, 55, 15 juillet 1950, p. 4.
46 Recension de Juan López Marichal dans Nueva Revista de Filología Hispánica, 5, 1951, p. 340.
47 Recension de Gaines Post dans The Hispanic American Historical Review, 30(4), 1950, pp. 526-537.
48 Recension de Charles-Vincent Aubrun dans le Bulletin hispanique, 54, 1952, p. 78.
49 R. Gibert, « Observaciones ».
50 Ibid., p. 441.
51 Ibid., p. 456.
52 Dans les volumes d’hommage au professeur García-Gallo : R. Gibert, « Alfonso García-Gallo », pp. 47-48.
53 Ce n’était d’ailleurs pas le dernier affrontement historiographique des deux historiens. On les retrouve ainsi quelques années plus tard débattant de la très polémique question des origines germaniques du droit et de la littérature épique espagnols. Voir la communication présentée par Menéndez Pidal lors de la semaine d’études médiévales de Spolète en 1955 (Terza Settimana Internazionale di Studio, I Goti in Occidente : problemi), publiée par la suite dans R. Menéndez Pidal, Los Godos y la epopeya, pp. 9-57 ; et contra l’article d’A. García-Gallo, « El carácter germánico ».
54 R. Menéndez Pidal, « El imperio hispánico ».
55 A. García-Gallo, « El imperio (1953) ».
56 Ibid., p. 127.
57 Contrairement à deux études dues à l’historiographie allemande concomittantes aux travaux de Menéndez Pidal et qui ont été, elles, franchement ignorées. Il s’agit de deux articles : l’un de P. E. Schramm, « Das kastilische Königtum und Kaisertum », qui aborde les dernières expérimentations impériales hispaniques, depuis le XIe siècle juqu’au milieu du XIIIe siècle ; l’autre est de H. J. Hüffer, « Die mittelalterliche spanische Kaiseridee », qui revient sur les problématiques d’interprétation du sujet, dans le même volume de la revue Saeculum où Menéndez Pidal répondait à García-Gallo en 1952.
58 A. Saitta, « Un problema storiografico ».
59 « 3. La idea imperial leonesa », C. Sánchez-Albornoz, España, un enigma histórico, t. II, pp. 373-386.
60 Ibid., p. 375.
61 Ibid., p. 377.
62 Titre de la première sous-partie du chap. i de l’œuvre.
63 Il s’agit du chap. ix, pp. 403-472.
64 J. A. Maravall, El concepto de España, pp. 438 et 412.
65 C’est l’expression qu’il emploie dans R. Gibert, « Alfonso García-Gallo », p. 48.
66 On ne donnera pour le moment qu’un seul exemple. Dans le Diccionario de Historia de España édité sous la direction de Germán Bleiberg en 1952 à Madrid, Luis García de Valdeavellano est chargé de composer l’article correspondant au phénomène impérial. Dans cet article, dont l’entrée est « idea imperial leonesa », l’auteur fait un bref récapitulatif bibliographique, citant Hüffer, López Ortiz et García-Gallo, avant d’affirmer que Menéndez Pidal a repris les conclusions et apports des précédents dans son El imperio hispánico y los cinco reinos. Dans la seconde édition du dictionnaire en 1968, l’article demeure inchangé.
67 R. Gibert, « Observaciones », p. 444.
68 Il choisissait néanmoins de considérer comme plausible que les titulatures de ces diplômes soient authentiques (R. Menéndez Pidal, El imperio hispánico, pp. 28-29).
69 Ibid., pp. 67-68.
70 Thomas Deswarte considère ainsi que le titre de serenissimus imperator attribué à Ordoño II fut interpolé dans ces deux diplômes. Voir T. Deswarte, « Le roi empereur ». Je remercie l’auteur d’avoir eu l’amabilité de me communiquer le texte de son étude avant sa publication.
71 R. Menéndez Pidal, El imperio hispánico, p. 69.
72 Voir les arguments développés par M. Ibáñez Artica, « Sustitución », qui explique cette légende comme une manière pour Alphonse VII d’exprimer sa souveraineté sur la Navarre, en vertu de l’hommage que lui a rendu son roi García Ramírez en 1135.
73 Voir les parties nommées « Alfonso VI, “imperator totius Hispaniae” ; causas de este título », « Toletanus imperator », « Otras variantes del título imperial de Alfonso VI », et « Emperador de las dos religiones », R. Menéndez Pidal, El imperio hispánico, pp. 99-103 et 106-111.
74 Ibid., p. 100.
75 Voir les sections « Conflicto con Alfonso VII » et « Las paces de Támara, 1127 », ibid., pp. 139-146.
76 C’est seulement en 1997 que la collection diplomatique d’Alphonse VI a été éditée (voir les volumes d’édition et d’étude d’A. Gambra, Alfonso VI). Quant à celle d’Alphonse VII, elle bénéficie de deux regestes très utiles (voir M. Lucas Álvarez, Las cancillerías reales, pp. 87-314 ainsi que l’index inséré dans l’étude de B. F. Reilly, León-Castilla under king Alfonso VII, pp. 323-398) qui complètent les premiers travaux de P. Rassow, « Die Urkunden ».
77 R. Menéndez Pidal, El imperio hispánico, pp. 58-59. Voir l’extrait du document en question dans « Caractères du programme pan-hispanique de Sanche III », pp. 136-142.
78 R. Menéndez Pidal, El imperio hispánico, pp. 60-61. Documents référencés dans « Le titre d’imperator », pp. 101-102.
79 R. Gibert, « Observaciones », pp. 447-448.
80 A. Saitta, « Un problema storiografico », p. 408.
81 R. Menéndez Pidal, El imperio hispánico, p. 40.
82 Ibid., pp. 43-44.
83 Voir les chapitres intitulés « Asturias neogóticas » et « Adefonsus in omni Spania regnaturus », ibid., pp. 21-27.
84 R. Gibert, « Observaciones », p. 443.
85 R. Menéndez Pidal, El imperio hispánico, pp. 42-43.
86 Ibid., p. 147.
87 Ibid., p. 155.
88 Ibid., p. 11.
89 R. Merriman, The Rise of the Spanish Empire, t. I, pp. 89-91.
90 F. Fernández y González et J. Amador de los Ríos, Discursos, pp. 35-55.
91 J. Beneyto Perez, España y el problema de Europa, p. 52 et notes de la p. 66.
92 F. Fernández y González et J. Amador de los Ríos, Discursos, pp. 5-31.
93 Ibid., p. 54.
94 R. Menéndez Pidal, El imperio hispánico, p. 8.
95 Certains ne se sont pas privés de le faire… La bibliothèque de la Casa de Velázquez possède deux exemplaires d’El imperio hispánico y los cinco reinos. L’un de ceux-ci provient de la bibliothèque d’Ignacio Olagüe, cédée à l’établissement en 1974 par ses héritiers. Olagüe l’a minutieusement lu : des lignes sont soulignées, des passages anotés. Et à la suite de la conclusion, le lecteur a mis par écrit son verdict : « Que se frague a todo lo largo de la Edad Media, de modo en general inconsciente, el concepto de una unidad hispánica, sobre todo para los escasos intelectuales que han leido a San Isidoro, nos parece cosa cierta y dudamos que alguien lo haya puesto en duda. Pero que del título de emperador dado por tradición o cortesía al rey de León, se nos quiera hacer creer en la existencia de un imperio — que consiste en una larga acción política — en los días del califato, se nos manifiesta tan desproporcionado con los hechos, que no podemos menos que achacar tal pensamiento a mentecatez propio [sic] de un hombre poco inteligente y propicio por la vejez a la chochez ». Il est vrai qu’Olagüe, auteur du polémique ouvrage Les Arabes n’ont jamais envahi l’Espagne publié en 1969, aimait à remettre en question les idées (reçues) de l’historiographie espagnole.
96 M. Á. Ladero Quesada, « Ramón Menéndez Pidal », p. 89.
97 M. de Certeau, L’écriture de l’histoire.
98 Voir, sur cette question de la recherche historiographique de l’identité espagnole, la synthèse de D. Menjot, « L’historiographie du Moyen Âge espagnol ».
99 M. Á. Ladero Quesada, « Historiografía contemporánea ».
100 Voir notamment les différents travaux de l’auteur regroupés dans Id., Lecturas.
101 Sur le thème de la décadence dans la réflexion historiographique, voir M. Á. Ladero Quesada, « “La decadencia” » ; J. Álvarez Junco, Mater dolorosa ; voir aussi le chapitre « El mito de la decadencia perpetua » dans H. Kamen, Del imperio a la decadencia, pp. 265-310.
102 Voir sur le sujet la synthèse de S. Juliá Díaz, Historias de las dos Españas.
103 L’expression est de B. Schmidt, El problema español.
104 Voir M. Á. Marín Gelabert, « Subtilitas Applicandi ». L’auteur montre dans cet article comment l’histoire rejoint le mythe lorsque son propos est éducatif et patriotique. Il entend le terme de mythe selon la définition de l’anthropologue Pierre Maranda, comme miroir des systèmes sémantiques propres à une culture et assurant la compréhension et la cohésion des membres d’une aire culturelle en leur permettant de se penser eux-mêmes. À partir de la mainmise sur les institutions productrices de l’historiographie (universités, académies, CSIC), l’administration franquiste contribua à imposer une façon de faire l’histoire qui véhiculait les mythes autorisés (l’« hispanité », l’Empire, la Reconquête, le rejet des Lumières, les grands personnages tels le Cid, Alphonse X, Menéndez Pelayo, etc.) et empêchait la prise en compte d’autres points de vue.
105 M. Menéndez Pelayo, Textos sobre España, pp. 141-142.
106 M. Á. Ladero Quesada, « “La decadencia” », p. 29.
107 Id., « Ramón Menéndez Pidal ». Pour une biographie chronologique détaillée, voir J. Pérez Villanueva, Ramón Menéndez Pidal.
108 M. Á. Ladero Quesada, « Ramón Menéndez Pidal », p. 91, qui cite F. Abad.
109 Cité par M. Á. Ladero Quesada, ibid., p. 92.
110 Sur l’importance du mythe impérial dans l’idéologie franquiste, voir le chapitre intitulé « El mito de un imperio », dans H. Kamen, Del imperio a la decadencia, pp. 153-194 ou encore E. González Calleja et F. Limón Nevado, La Hispanidad. Le sujet est également abordé à plusieurs reprises dans les articles publiés dans le numéro 24 (décembre 1996) du Bulletin d’histoire contemporaine de l’Espagne consacré aux « Imaginaires et symboliques dans l’Espagne du franquisme » (pp. 25-373).
111 Menéndez Pidal a en effet également consacré un article à l’idée d’empire à l’époque de Charles Quint (« Idea imperial de Carlos V » publié en 1937 dans la Revista Cubana, puis en Espagne en 1940 dans un ouvrage rassemblant plusieurs études de l’auteur : R. Menéndez Pidal, Idea imperial de Carlos V), dont le génie consista selon l’auteur à procéder à l’« hispanisation » du concept impérial trop étranger à « l’être espagnol ». Résumé des points clés de la réflexion de l’auteur dans H. Kamen, Del imperio a la decadencia, pp. 161-167.
112 Pérez Villanueva dans sa biographie de Menéndez Pidal réalise une petite anthologie de citations de l’auteur. À la rubrique « Eruditos parasitarios », on lit cette remarque : « eruditos de viejo, como los sastres de viejo, que dan vueltas del revés a los trabajos hechos por otros », J. Pérez Villanueva, Ramón Menéndez Pidal, p. 516.
113 Sur la notion d’état latent, voir l’article, d’ailleurs critique, de P. Le Gentil, « La notion d’“état latent” ».
114 M. Á. Ladero Quesada, « Ramón Menéndez Pidal », p. 82, qui cite Diego Catalán.
115 J. A. Maravall, « Menéndez Pidal », p. 49.
116 M. Á. Ladero Quesada, « Ramón Menéndez Pidal », p. 89.
117 Concernant Alphonse VII : A. Ubieto Arteta, « Navarra-Aragón en la idea imperial », cherche à analyser la « politique féodale » d’Alphonse VII, qu’il juge anachronique, et donc destinée à périr avec ce souverain. Il fait référence dans cet article à « l’idée d’empire » des XIe et XIIe siècles, que cette politique vassalique vise à mettre en œuvre, et renvoie aux analyses qu’en font Menéndez Pidal et Rassow (p. 77, et notes 157-158) ; A. Viñayo, La coronación, ouvrage de vulgarisation dont l’auteur soutient l’idée d’une nouveauté de l’empire sous le règne d’Alphonse VII, lequel aurait cherché à imiter le Saint-Empire romain germanique. Concernant Ferdinand Ier et Alphonse VI : J. L. Martín, « La monarquía leonesa », entend démontrer que « le XIe siècle peut être vu comme le siècle de l’accomplissement et de l’échec du vieux rêve gothiciste des premiers rois asturo-léonais » (p. 417), ce rêve devenant selon lui réalité sous Alphonse VI, qui l’hérite de Ferdinand Ier, mais qui ne peut faire face aux tensions intra-péninsulaires et à l’influence exercée par Rome, ce qui entraîne la chute de cet idéal unitaire.
118 C. J. Bishko, « Liturgical intercession », veut mettre en avant le rôle que les relations entre la monarchie castellano-léonaise et le monastère de Cluny eurent dans le développement de l’impérialisme léonais.
119 C. Sánchez-Albornoz, « Imperantes y potestates », montre comment évoluent dans les royaumes chrétiens péninsulaires les termes imperantes et imperator, au sens de détenteur d’un commandement. Il note ainsi qu’au XIe siècle imperantes ne s’utilise plus que dans sa forme verbale, et non nominale, et que « probablement, le triomphe de l’idée impériale léonaise qui qualifiait d’imperatores les rois avait contribué à ce déclin » (pp. 359-360).
120 L. García de Valdeavellano, Curso de historia de las instituciones, pp. 228-232, consacrant une partie de la section relatives aux institutions de l’Espagne médiévale chrétienne à l’« empire hispanique léonais et [aux] royaumes d’Espagne ». Il y résume très exactement la thèse de Menéndez Pidal.
121 J. M. Perez Prendes, « Derecho y poder », pp. 72-74, au sein du t. IV de l’Historia general de España y América, portant sur l’histoire péninsulaire de 1085 à 1369. Pérez Prendes y traite du devenir des institutions médiévales, et notamment du « destin de l’idée impériale léonaise » (p. 72). Il reprend les arguments de Menéndez Pidal — et accuse d’ailleurs García-Gallo de fonder ses critiques sur des analyses « tantôt trop formalistes, tantôt superficielles » (p. 73) — et affirme que l’idée impériale atteint son apogée avec Alphonse VI ; H. Grassotti, « Organización política », reprend essentiellement les conclusions de Sánchez-Albornoz.
122 Il faut attendre 1979 pour que la dignité impériale d’Alphonse VII bénéficie de l’étude approfondie de M. Recuero Astray, Alfonso VII, emperador : l’auteur y démontre qu’Alphonse VII fut un continuateur de la tradition impériale léonaise, héritée du legs wisigothique et centrée sur l’idée de totalité de l’Espagne. Dans l’accomplissement de ce programme, l’empereur rencontre cependant des tendances de dislocation, dues à un individualisme propre à la péninsule Ibérique, renforcées par la pénétration d’idées et pratiques extrapéninsulaires, germaniques et romaines. On retrouve ici les présupposés historiographiques évoqués plus haut.
123 M. de Certeau, L’écriture de l’histoire, pp. 78-79.
124 M. Cullinan, Imperator Hispaniae, p. 26.
125 Ibid., p. 24.
126 Ibid., p. 121.
127 Le rôle des clunisiens est pour M. Cullinan essentiel dans l’évolution du sens associé en Péninsule au titre d’imperator (ibid., p. 188).
128 Ibid., p. 261.
129 Qu’on abordera au cas par cas dans la suite de cette étude.
130 P. Linehan, « León, ciudad regia », p. 427.
131 A. Gambra, Alfonso VI, t. I, chap. xii, « La dignidad imperial leonesa en la época de Alfonso VI », pp. 671-714.
132 A. Isla Frez, Realezas hispánicas, chap. iii, « El rey y el imperio leonés », pp. 45-94.
133 Id., Memoria, culto, pp. 131-165, et notamment pp. 153 sqq.
134 R. Manchón Gómez, Léxico, p. 127.
135 T. Deswarte, De la destruction, p. 202.
136 Ibid., p. 235.
137 J. López Ortiz, « Las ideas imperiales », p. 46.
138 Cette liste est complétée par Emilio Sáez : A. Sánchez Candeira, El regnum-imperium, pp. 63-71.
139 Voir R. Menéndez Pidal, El imperio hispánico, p. 69 et la monnaie comportant la légende imperator et Naiara.
140 Par exemple, H. Hüffer, La idea imperial, chap. iv, cite la mention qui est faite de l’empereur Alphonse VII dans les Annales Cameracenses.
141 C. Sáez, « La sociedad visual ».
142 Précisons ici que dans cette étude nous n’avons pas opéré un travail de critique diplomatique ample des collections manipulées. À chaque fois que cela s’impose, nous renvoyons aux remarques des éditeurs et auteurs ayant réalisé ces analyses quant à l’authenticité des actes concernés.
143 Regestes pour le León jusqu’en 1230 dans M. Lucas Álvarez, La documentación real ; Id., Las cancillerías reales. Pour la Castille après 1157, éditions de J. González, El reino de Castilla en la época de Alfonso VIII, t. II et III ; Id., Reinado y diplomas de Fernando III, t. II et III. Concernant les diplômes d’Alphonse VII et Ferdinand II, le recours aux archives s’est imposé puisqu’une petite partie de ces collections demeure inédite.
144 Pour le Portugal : R. P. de Azevedo, Documentos regios, t. I et II. Pour la Navarre, l’Aragon et le comté de Barcelone : A. Ubieto Arteta, Documentos reales ; R. Jimeno Aranguren et A. Pescador Medrano, Colección documental de Sancho Garcés III ; E. Ibarra y Rodríguez, Documentos de Ramiro I ; Á. Canellas lópez, Colección diplomática de Sancho Ramírez ; A. Ubieto Arteta, Colección diplomática de Pedro I ; D. Alegría Suescun et alii, Archivo General de Navarra (1134-1194) ; J. M. Jimeno Jurio et R. Jimeno Aranguren, Archivo General de Navarra (1194-1234) ; A. Ubieto Arteta, Documentos de Ramiro II ; A. I. Sánchez Casabón, Alfonso II ; I. Baiges et alii, Els pergamins de l’Arxiu Comtal.
145 Un outil utile qui recense les éditions des sources diplomatiques hispaniques est le catalogue publié par J. Á. García de Cortázar et alii, Codiphis. La documentation privée des autres royaumes chrétiens péninsulaires a également été l’objet d’un sondage, dans des proportions moindres, limitées en l’espèce à quelques-unes des grandes collections de ces territoires.
146 Présentation du genre pour la péninsule Ibérique dans B. Sánchez Alonso, Historia de la historiografía ; M. C. Díaz y Díaz, « La historiografía hispana ». Recensement des textes produits jusqu’au XIIe s. dans M. Huete fudio, La historiografía latina. Notons qu’il est fait également référence dans cette étude ponctuellement aux œuvres de la « grande historiographie » du début du XIIIe s., bien qu’elles demeurent en principe en dehors du champ chronologique envisagé.
147 Textes également recensés dans J. Gil, « La historiografía ».
148 La production hagiographique péninsulaire depuis l’époque wisigothique jusqu’au XIIe s. est présentée par V. Valcárcel, « Hagiografía hispanolatina ».
149 Pour une présentation générale de l’art de la miniature hispanique, voir les articles de J. Yarza Luaces, « La miniatura románica » ; Id., « Miniatura » ; ou encore A. Domínguez Rodríguez, « La ilustración ». Plus anciens, mais fondateurs, les ouvrages de J. Domínguez Bordona, La Miniatura española ; Id., La Miniatura. Sur les portraits de rois : E. Fernández González, « El retrato regio » ; F. Galván Freile, « Consideraciones sobre iconografía regia » ; J. Domínguez Bordona, Retratos en manuscritos.
150 Sur les seings et les sceaux : J. M. Álvarez Cervela, Signos y firmas reales ; C. Sáez, « La sociedad visual » ; A. Guglieri Navarro, Catálogo de sellos ; F. Menéndez Pidal de Navascués, Apuntes de sigilografía.
151 Sur la production monétaire en Castille-León : A. Roma Valdés, Moneda y sistemas monetarios. Catalogue des types monétaires dans F. Álvarez Burgos, Catálogo de la moneda. Aperçu bibliographique dans F. Miranda García, « Moneda y monedas ».
152 Sur le genre historiographique dans le monde arabe médiéval, voir F. Rosenthal, A History of Muslim Historiography ; N. A. Faruqi, Early Muslim Historiography.
153 Présentation globale des sources arabes documentant l’histoire d’al-Andalus dans M. J. Viguera Molins, « El establecimiento de los musulmanes » ; Id., « Historiografía » ; L. Molina Martínez, « Historiografía » ; P. Chalmeta, Invasión e islamización, pp. 29-66.
154 Nous avons en outre reçu l’aide précieuse des arabisants Yann Dejugnat, Cyrille Aillet et Jean-Pierre Molénat pour l’appréhension de ces sources et des termes arabes utilisés pour désigner les souverains chrétiens. La translittération des termes qu’on trouvera dans cette étude a été rendue possible par leur intervention. Je les remercie du temps qu’ils ont bien voulu consacrer à m’accompagner dans ces recherches. Tout particulièrement, je remercie Jean-Pierre Molénat qui a eu la gentillesse de mettre à ma disposition ses connaissances ainsi que les ressources de la section arabe de l’IRHT.
155 Hüffer déjà relevait des références à l’empire hispanique dans les Annales Cameracenses (voir supra). Juan Gil établit une courte liste de références dans d’autres productions historiographiques occidentales : J. Gil, « La historiografía », p. 70, n. 35.
156 On pense notamment aux codices Albeldensis, Rotensis ou Calixtinus que nous aborderons à différents moments de cette réflexion.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les archevêques de Mayence et la présence espagnole dans le Saint-Empire
(xvie-xviie siècle)
Étienne Bourdeu
2016
Hibera in terra miles
Les armées romaines et la conquête de l'Hispanie sous la république (218-45 av. J.-C.)
François Cadiou
2008
Au nom du roi
Pratique diplomatique et pouvoir durant le règne de Jacques II d'Aragon (1291-1327)
Stéphane Péquignot
2009
Le spectre du jacobinisme
L'expérience constitutionnelle française et le premier libéralisme espagnol
Jean-Baptiste Busaall
2012
Imperator Hispaniae
Les idéologies impériales dans le royaume de León (ixe-xiie siècles)
Hélène Sirantoine
2013
Société minière et monde métis
Le centre-nord de la Nouvelle Espagne au xviiie siècle
Soizic Croguennec
2015