Résumés
p. 495-502
Texte intégral
RÉSUMÉ
1Ce livre repose sur un questionnement simple : la transition espagnole à la démocratie fut-elle aussi pacifique qu’on le prétend ? Nombreux sont ceux qui vantent le caractère pacifique et consensuel d’un processus érigé à travers le monde en un modèle à suivre et en Espagne en mythe fondateur de la démocratie. Miroir positif de la tragédie représentée par la Guerre civile de 1936-1939, la transition espagnole n’aurait pas, ou peu, fait couler le sang. Le fait violent, perçu comme marginal, est ainsi relégué aux oubliettes de l’histoire. C’est à l’encontre de cette vision hégémonique que se dresse l’auteure, qui replace la violence et sa mémoire au cœur de l’analyse, renouvelant ainsi en profondeur l’interprétation de cette période clef de l’Espagne contemporaine.
2La démonstration repose sur une base de données inédite, construite à partir du croisement de sources des plus variées. Réunissant violences d’État et violences protestataires, actes de violence physique et menaces de son usage, elle recense plus de 3 200 événements violents et 714 individus tués pour des motifs politiques, de la mort du dictateur en novembre 1975 à l’avènement des socialistes en octobre 1982. Un tel bilan fait des années de la transition les plus sanglantes depuis la répression de l’après-guerre et, à titre de comparaison, hausse la période à la hauteur des « années de plomb » italiennes. Loin d’avoir été un long fleuve tranquille, la transition a donc au contraire donné lieu à un cycle de violences dont l’ouvrage retrace la généalogie.
3Il se penche dans un premier temps sur les violences contestataires, étudiant minutieusement ses acteurs, leurs motivations, leurs pratiques et leur évolution à l’aune de la démocratisation du régime. Si l’ETA est la plus meurtrière, l’ampleur du phénomène violent est imputable aux protestataires de tous bords, militants d’une gauche révolutionnaire divisée sur l’opportunité de la lutte armée, nationalistes des provinces périphériques réclamant leur indépendance et membres d’une extrême droite menacée par la disparition de l’ordre antérieur. Nés dans le terreau du second franquisme, ces groupes s’épanouissent à la faveur de la crise du régime. Après deux années de violences urbaines éclatées et de basse intensité, facilitées par le contexte d’effervescence populaire postérieur à la mort de Franco, le panorama se simplifie. L’installation de la démocratie, consacrée par la Constitution de 1978, décourage la plupart des acteurs tentés par la violence tandis que d’autres, à l’inverse, se lancent dans un affrontement ouvert avec l’État qui se traduit par une escalade terroriste sans précédent. Le taux de mortalité politique s’épanouit paradoxalement à la faveur de la consolidation démocratique. Il faut attendre la frayeur provoquée par le 23-F, pour que décline le niveau de violences. La stabilisation démocratique induite par l’écrasante victoire des socialistes en 1982, l’efficacité croissante de la lutte antiterroriste, l’échec politique des extrémismes ainsi que la délégitimation de l’usage de la violence dans l’espace démocratique concourent à mettre fin, en 1982, au cycle contestataire amorcé la décennie antérieure. Seule persiste la violence du conflit basque, terroriste et contre-terroriste, à la fois mêlée au cycle précédent et individualisée dans une dynamique indépendantiste propre.
4La seconde partie de l’ouvrage est consacrée à la violence d’État, qui s’inscrit dans une réflexion plus large sur la construction de l’État démocratique. La question de la violence est en effet au cœur du processus de mutation d’un État autoritaire, fondé sur la répression, en un État démocratique garant des droits individuels et des libertés publiques. Or, pendant la transition, l’État est confronté à un double défi. D’une part il doit canaliser les acteurs violents externes — les protestataires — afin d’empêcher qu’ils s’érigent en obstacles infranchissables sur le chemin de la démocratisation. D’autre part, il se heurte à une violence interne, mise en œuvre par les institutions chargées du maintien de l’ordre (armée, police, garde civile), qui résistent à s’adapter à leurs nouvelles missions en démocratie. De cette double contention dépend la légitimité du nouveau régime. À l’étude du processus de mutation du système répressif succède ainsi l’examen des pratiques violentes, bavures policières, torture, violations des droits de l’homme et « guerre sale » contre le terrorisme. L’explosion inattendue du terrorisme perturbe en effet la mutation de l’appareil répressif et conduit à recycler, pour les besoins de la lutte antiterroriste, des pratiques considérées comme intolérables et illicites dans le cadre d’un État de droit. À peines énoncées, les valeurs qui fondent le nouvel ordre démocratique sont ainsi bafouées au nom de la raison d’État, camouflée derrière la raison démocratique, et l’emploi de la violence par l’État est implicitement relégitimé au nom de la défense de l’État de droit précisément bafoué.
5Dire de la transition qu’elle fut « pacifique » ne signifie donc pas qu’elle fut exempte de violences. La portée du mythe est par conséquent à chercher ailleurs, dans un imaginaire du passé, du présent et de l’avenir décrypté tout au long de ce livre. La violence existante est autant une menace réelle au processus de démocratisation que l’événement qui réactive des peurs associées à une mémoire traumatique du passé et conditionne l’avenir. L’Espagne, avide d’ordre et de paix, portée par le désir de la réconciliation, exclut la violence de son horizon démocratique. Dès lors, c’est plutôt à cette vision pacificatrice de la démocratie qu’à la réalité d’un moment que renvoie le mythe ici déconstruit. Néanmoins, cette soif de paix s’est aussi accompagnée de formes d’aveuglement voire de déni à l’origine d’effets pervers contre lesquels se dresse aujourd’hui le mouvement dit de récupération de la mémoire historique, qui témoigne de la prégnance symbolique de la violence au cœur du fait politique de l’Espagne contemporaine, en dépit des efforts déployés pour l’exclure de l’espace démocratique.
RESUMEN
6Esta obra surge de una reflexión sencilla: ¿fue la Transición española tan pacífica como se pretende? No son pocos quienes elogian el carácter pacífico y consensual de un proceso convertido, en el mundo entero, en un modelo a imitar, y en España, en mito fundador de la democracia. Espejo positivo de la tragedia que supuso la Guerra Civil de 1936-1939, la Transición española apenas habría hecho correr sangre. Los actos violentos, tenidos por marginales, quedaron pronto relegados al olvido. Frente a esta visión hegemónica la autora sitúa la violencia y su memoria en el centro de su análisis, renovando profundamente la interpretación de un periodo clave en la España contemporánea.
7La demostración se apoya en una base de datos inédita, construida a partir del cruce de fuentes de lo más dispares. Reuniendo violencias de Estado y violencias contestatarias, actos de violencia física y amenazas con su uso, compila más de 3 200 acontecimientos violentos y hace balance de 714 personas muertas por razones políticas desde la muerte del dictador en noviembre de 1975 hasta la llegada al poder de los socialistas en octubre de 1982. Semejante balance significa que los años de la Transición fueron los más sangrientos desde la represión de la posguerra lo que, a título de comparación, sitúa el periodo al mismo nivel que los «años de plomo» en Italia. Lejos de haber sido un remanso de paz, la Transición dio lugar, al contrario, a un ciclo de violencias cuya genealogía aspira a mostrar esta obra.
8El presente estudio se centra en un primer momento en las violencias contestatarias: analiza minuciosamente a sus protagonistas, sus motivaciones, sus prácticas y su evolución a medida que se democratiza el régimen. Si bien es cierto que ETA constituyó su manifestación más mortífera, la amplitud del fenómeno violento cabe imputarse a contestatarios de muy diferente índole: militantes de una izquierda revolucionaria dividida sobre la conveniencia de la lucha armada, nacionalistas de las provincias periféricas que reclamaban su independencia y miembros de una extrema derecha amenazada por la desaparición del orden anterior. Estos grupos, gestados en el seno del segundo franquismo, eclosionaron cuando se inició la crisis del régimen. Tras dos años de diseminadas violencias urbanas de baja intensidad, favorecidas por el contexto de efervescencia popular que se produjo a la muerte de Franco, el panorama se simplificó. La instauración de la democracia, consagrada por la Constitución de 1978, desalentó a la mayoría de los actores tentados por la violencia mientras que otros, al contrario, se lanzaron a un enfrentamiento abierto con el Estado que se tradujo en una escalada terrorista sin precedentes. La tasa de mortalidad política alcanzó su pleno desarrollo, paradójicamente, a medida que se consolidaba la democracia. Hasta la conmoción provocada por el 23-F no disminuirá el nivel de violencia. La estabilización democrática que conllevó la aplastante victoria de los socialistas en 1982, la creciente eficacia de la lucha antiterrorista, el fracaso político de los extremismos así como la deslegitimación del uso de la violencia en el espacio democrático concurrieron para acabar, en 1982, con el ciclo contestatario iniciado la década anterior. Solo persistirá la violencia del conflicto vasco, terrorista y contraterrorista, mezclada por un lado al ciclo precedente y, por otro, individualizada en una dinámica independentista propia.
9La segunda parte de esta obra está dedicada a la violencia de Estado, inscrita en una reflexión más amplia sobre la construcción del Estado democrático. El tema de la violencia está, en efecto, en el centro del proceso de mutación de un Estado autoritario, basado en la represión, a un Estado democrático garante de los derechos individuales y de las libertades públicas. Ahora bien, durante la Transición, el Estado se vió confrontado a un doble desafío. Por una parte, debió encauzar a los actores violentos externos —los contestatarios— para evitar que se erigieran en obstáculos infranqueables en el camino de la democratización. Por otra parte, se enfrentó a una violencia interna, generada por las instituciones encargadas del mantenimiento del orden (ejército, policía, guardia civil), reacias a adaptarse a sus nuevas misiones en una democracia. De esta doble contención dependerá la legitimidad del nuevo régimen. Tras el estudio de los procesos de mutación del sistema represivo se examinan las prácticas violentas, los abusos policiales, las torturas, las violaciones de los derechos humanos y la «guerra sucia» contra el terrorismo. La inesperada explosión del terrorismo perturbó, en efecto, la mutación del aparato represivo y llevó a reciclar, en función de las necesidades de la lucha antiterrorista, prácticas tenidas por intolerables e ilícitas en el marco de un Estado de derecho. Apenas proclamados, los valores que fundaban el nuevo orden democrático fueron así violados en nombre de la razón de Estado, camuflada tras la razón democrática, y el uso de la violencia por parte del Estado se encontró implícitamente relegitimizado en nombre de la defensa del Estado de derecho precisamente ultrajado.
10Decir que la Transición fue «pacífica» no significa pues que haya estado exenta de violencias. Debemos, por lo tanto, buscar el alcance del mito en otra parte, en un imaginario del pasado, del presente y del futuro que a lo largo de este libro intentamos descifrar. La violencia existente fue tanto una amenaza real contra el proceso de democratización como el acontecimiento que reactivó miedos asociados a una memoria traumática del pasado y que, a la vez, condicionó el futuro. España, ávida de orden y paz, empujada por el deseo de reconciliación, excluyó la violencia de su horizonte democrático. A partir de entonces, el mito que aquí deconstruimos, remite más bien a esa visión pacificadora de la democracia que a la realidad de un momento dado. No obstante, este anhelo de paz fue asimismo acompañado por formas de ceguera, incluso de negación, que originaron efectos perversos contra los que se levanta hoy el movimiento llamado de recuperación de la memoria histórica. Éste da fe de la presencia simbólica de la violencia en el corazón del hecho político en la España contemporánea, a pesar de los esfuerzos desplegados para excluirla del espacio democrático.
SUMMARY
11This book addresses a simple question: was the transition to democracy in Spain as peaceful as it is claimed? There have been numerous voices lauding the peaceful and consensual nature of a process that has been held up to the world as a model to be imitated, and has become a founding myth of Spanish democracy. Viewed as the positive mirror image of the 1936-1939 Civil War, the Spanish transition was then quite, or almost, bloodless. Perceived thus as marginal, the violence disappeared from the history books. It is this, the predominant view, that the author challenges, bringing the violence and the memory of violence back into focus and thus proposing a radical reinterpretation of this crucial period in contemporary Spanish history.
12Its thesis is underpinned by a database of unedited material compiled by cross-referencing a wide variety of sources. Counting instances of State violence and protest violence, acts of physical violence and threats of violence, it registers over 3 200 violent events and 714 individuals killed for political reasons, from the death of the dictator in November 1975 until the Socialists came to power in October 1982. This record makes the transition years the bloodiest since the post-war repression, and in comparative terms places it on a par with the “Years of Lead” in Italy. Far from being a slow, gentle process, then, the transition sparked a cycle of violence whose origins this book seeks to trace.
13The first part deals with opposition violence, looking closely at the protagonists, their motivations, their modes of action and how they changed with the progress of democratisation. While ETA was the biggest killer, protesters of all persuasions were responsible for the scale of the violence — militants of a revolutionary left divided over the question of the moment for armed struggle, nationalists in peripheral regions demanding independence, and members of a far right threatened by the collapse of the old order. Born in the fertile substrate of the latter Franco period, these groups flourished as the regime tottered. After two years of fragmented, low-intensity urban violence, spurred by the atmosphere of popular effervescence following Franco’s death, the scenario cleared. The advent of democracy, enshrined in the Constitution of 1978, turned most activists away from the temptation to violence, while others, to the contrary, threw themselves into an open confrontation with the State, triggering an unprecedented escalation of terrorist activity. Paradoxically enough, the consolidation of democracy was accompanied by a multiplication of political killings; it was only with the shock of 23-F that the level of violence began to subside. The stabilisation of democracy wrought by the overwhelming socialist victory in 1982, the growing effectiveness of the fight against terrorism, the political collapse of extremist positions and the delegitimisation of the use of violence in democracy, all converged, in 1982, to put an end to the cycle of protest that had taken wing in the preceding decade. Only in the Basque conflict did the violence persist, terrorist and counter-terrorist, at once a part of the preceding cycle and an individual phenomenon with its own separatist dynamic.
14The second part of the book deals with State violence, as part of a broader discussion on the construction of the democratic State. The issue of violence, then, is crucial in the process of mutation from an authoritarian State based on repression to a democratic State that guarantees individual rights and public freedoms. During the transitional phase, the State faced a twofold challenge. On the one hand it had to channel the external perpetrators of violence — protesters — to prevent them from becoming insurmountable obstacles in the path of democratisation. On the other hand it came up against internal violence practised by the institutions responsible for maintaining order (army, police, civil guard), which were reluctant to adapt to their new roles in democracy. And it was on that dual restraint that the legitimacy of the new regime hinged. The discussion of the process of change in the system of repression is thus followed by an examination of violent practices, police excesses, torture, human rights violations and “dirty war” against terrorism. Indeed, the unexpected onslaught of terrorism interfered in the process of change in the repressive apparatus and led to a renewed resort to practices, pursued for anti-terrorist purposes, which are considered illegal and intolerable under the rule of law. Thus, almost as soon as they were enunciated, the values underpinning the new democratic order were flouted in the name of “raison d’état” disguised as democratic reason, and the use of violence by the State was implicitly relegitimised in the name of protecting that very rule of law that was being flouted.
15To say that the transition was “peaceful”, then, is not to say that it was free of violence. The foundation of the myth thus lies elsewhere, in an imagined version of the past, the present and the future that is deciphered in the course of the book. The actual violence was at once a real threat to the process of democratisation and an event that revived fears associated with a traumatic memory of the past and coloured the future. In its avidity for order and peace, Spain, swept by the desire for reconciliation, expunged the violence from its democratic horizon. Consequently, it is that pacifying vision of democracy rather than the reality of the time that inspired the myth that this book deconstructs. Nonetheless, this hunger for peace was also accompanied by forms of blindness to, or blank denial of, the origin of perverse effects, the target today of the so-called movement for historical memory, which bears witness to the symbolic import of the violence at the heart of contemporary Spanish political reality despite the efforts made to expel it from the realm of democracy.
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