Chapitre VII. Les violences policières
p. 327-379
Texte intégral
1La violence étatique, entendue comme l’emploi illégitime de la force physique par les agents de l’État, survient pendant la transition dans des affrontements avec des manifestants, lors de contrôles policiers, au cours de l’interpellation d’un individu suspect ou pendant sa détention, les séances d’interrogatoire étant particulièrement propices aux mauvais traitements. Elle est le fait de ceux qui sont directement en prise avec le maintien de l’ordre, à savoir les corps de sécurité publics qui se divisent, à la mort de Franco, en trois corps distincts : la Garde civile, la Police armée et le Corps général de police. Pour l’opposition démocratique, ces corps de police issus du franquisme sont en soit illégitimes. Comme le fait justement remarquer J. Delgado, ex-policier armé, « la Police armée, les “gris”1, se sont convertis en l’incarnation répressive du régime haï. Si on ne pouvait atteindre Franco et ses ministres, on pouvait en revanche toucher les “gris”. Il y eut un transfert de l’objet de la haine […] envers la Police armée »2 et, pourrait-on ajouter, envers la Garde civile et la BPS, police politique du régime. Une telle hostilité sociale brouille l’approche des violences policières puisqu’elle tend à considérer toute action de maintien de l’ordre comme répressive.
2Néanmoins, c’est surtout quand les agents de la force publique tuent que le scandale surgit et réveille l’hostilité populaire. C’est particulièrement le cas pour les bavures commises au cours de la dispersion d’une manifestation : sur les 15 qui se sont produites depuis la mise en place du Parlement à l’été 1977, 8 ont fait l’objet d’un débat, d’une interpellation ou d’une question écrite ou orale. Chaque mort suscite de vives protestations populaires, avec son lot de communiqués de condamnation, de manifestations voire d’émeutes. La conséquence tragique de l’action policière agit comme un révélateur de son inadéquation sociale et politique et focalise les questionnements posés sur le sens à donner au monopole étatique de l’usage de la force. Elle constitue donc un point d’entrée privilégié à l’interprétation de la violence d’État.
3Entre le 1er octobre 1975 et la fin de l’année 1982, 178 personnes3 ont été tuées par les forces de l’ordre au cours de 153 actions. Leur profil diffère radicalement de celui des victimes de la violence protestataire. Constituées à plus de 80 % de civils (tableau 16), ces victimes sont loin de configurer des cibles choisies puisque, pour près de la moitié d’entre elles, ce sont des civils anonymes, sans appartenance sociopolitique marquée, passants ou manifestants malchanceux qui ne se distinguent pas pour leur militantisme. Si un quart est stigmatisé comme « délinquant », les terroristes, membres de l’ETA ou des GRAPO, ne représentent qu’à peine plus de 15 % des victimes4. Si les violences policières font preuve d’une relative stabilité autour de 24 tués par an, une tendance générale à la baisse est perceptible à partir de 1980 (graphique 23). Néanmoins, cette évolution générale varie grandement en fonction des types d’action considérés : les bavures déclinent sans retour après 1979 alors que les incidents policiers connaissent un pic en 1981 avant de sembler se stabiliser, pendant que les tortures feignent de se maintenir à un niveau endémique. Ces profils chronologiques si distincts de la bavure, de l’incident et de la torture nous invitent à nous pencher successivement sur ce que chacun nous dit du processus de mutation de l’appareil répressif pendant la transition.
I. — LA BAVURE AU COURS DE L’ACTION MANIFESTANTE : UNE ADAPTATION RAPIDE AU NOUVEAU CADRE NORMATIF
4Les brutalités policières qui sont commises lors de la dispersion des manifestations sont le fait, à une immense majorité (à 75 %), des agents de la Police armée. Corps militaire créé en 1941 par Franco, la Police armée dépend, dans l’exercice de ses fonctions, du ministère de l’Intérieur sous la houlette de la DGS, des gouverneurs civils et des chefs supérieurs de la police5. Ses commissariats sont implantés dans les grandes villes, tandis que des unités mobiles, les Compagnies de réserve générale, créées en 1969, sont appelées en fonction des nécessités pour servir de forces de choc dans les altérations de l’ordre public. La forte croissance de la conflictualité urbaine depuis les années 1960 a placé les policiers armés en première ligne dans les affrontements de rue qui devenaient presque quotidiens6.
5Trente-deux personnes, soit 18 % des victimes de la violence policière, sont tuées dans ce cadre-là. La moyenne de 4,5 morts par an est similaire à celle calculée par O. Fillieule dans le cadre du XXe siècle français (à l’exception du massacre du 17 octobre 1961), auteur qui conclut à un très faible niveau de violence dans les manifestations collectives7. Pouvons-nous en déduire que ces bavures ne sont que la conséquence inévitable de la pratique manifestante dans nos sociétés modernes ? Non, bien entendu, ne serait-ce que parce qu’elles sont considérées comme intolérables par la population. C’est que cette moyenne est loin d’être significative dans le cas espagnol. La plupart des victimes sont en effet tuées au cours des premières années de la transition, les seules années 1976 et 1977 en comptant 10 chacune. Ce n’est qu’à partir de 1978 que le nombre d’actions meurtrières diminue significativement, pour finalement presque disparaître à partir de 19808. Comment comprendre alors tant l’importance de ces bavures au début de la transition que leur disparition à la fin de la période9 ?
L’APPRENTISSAGE DE LA PRATIQUE MANIFESTANTE
6Tout d’abord, ces chiffres sont à comprendre en relation avec l’essor sans précédent de l’action manifestante en 1976-1977. De fait, il ne se passe pas un jour sans qu’une manifestation, un meeting, une occupation d’usine ou d’église ne dégénère en affrontements violents avec les forces de l’ordre, avec son lot de charges policières, de courses poursuites, de dispersions, d’évacuations, de grenades lacrymogènes, de tirs à balles réelles, d’arrestations, de blessés voire de morts. Ce qui nous conduit à une conclusion quelque peu tautologique : plus il y a de manifestations, plus il y a de risques que celles-ci ne s’achèvent sur des drames humains. De fait, dans les dernières années de la dictature ce type d’incidents était bien moindre : Julián Delgado estime à 17 le nombre d’individus tués dans des affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants entre 1969 et 1974, soit à peine 3 par an10. C’est que si le début des années 1970 est bien le théâtre d’un premier essor de la conflictualité sociale, celle-ci s’exprime encore plutôt sur le mode de la grève que sur celui de la mobilisation dans l’espace public. La plupart des victimes sont des ouvriers tués lors de la dispersion d’une concentration conséquente à la grève ou lors de l’évacuation d’une usine. Ainsi trois ouvriers de la construction sont tués et 14 sont blessés par balles à Grenade en juillet 1970 dans la dispersion d’une manifestation à motivation professionnelle ; un ouvrier est tué à Barcelone en octobre 1971 dans l’évacuation de l’usine Seat ; deux travailleurs sont tués à El Ferrol (Galice) en mars 1972 alors qu’ils exprimaient leurs revendications salariales, etc.
7Cependant, alors que la mobilisation populaire est numériquement bien plus importante en 1977 qu’en 1976, le nombre de victimes de la répression reste le même. De même alors qu’en 1978, le taux de participation aux manifestations reste deux fois plus élevé qu’en 197611 — et ce, en dépit du début de la démobilisation populaire —, le nombre de morts dans le cadre manifestant diminue de plus de la moitié. Un autre parallèle chronologique semble alors plus significatif : la courbe des bavures manifestantes est en parfaite harmonie avec celle des violences contestataires de basse intensité. Les bavures semblent intimement liées à la période troublée des débuts de la transition, quand la violence urbaine est une réalité quotidienne qui jaillit non seulement des manifestations, mais aussi de toute autre expression de la protestation populaire.
8Il convient alors de pointer la responsabilité des manifestants eux-mêmes, du fait de leur manque d’expérience ou de leur volonté insurrectionnelle. D’une part, manifester est une pratique qui nécessite un certain apprentissage pour se dérouler pacifiquement : choix adéquat du lieu de la convocation et du trajet choisi, organisation d’un service efficace de maintien de l’ordre, contrôle des banderoles, drapeaux et slogans employés, etc. Sans cette autorégulation, la manifestation est sujette aux risques de débordement de la part de minorités agitatrices. D’autre part, nombreux sont ceux qui, au début de la transition, prônent un usage délibéré de la violence et recherchent l’affrontement avec les forces de l’ordre. Les groupes de la gauche radicale, qui sont les plus mobilisés de ces premières années, placent au centre de leur stratégie révolutionnaire cette tactique d’émeutes urbaines. Destruction de mobilier urbain, barricades, incendie de véhicules, bris de vitrines, jets de pavés, de bouts de verre, de cocktails Molotov ou de tout autre objet dangereux contre les forces de l’ordre sont des pratiques utilisées par les radicaux d’extrême gauche pour aiguiser le conflit social et provoquer le soulèvement des masses. Les extrémistes de droite ne sont pas en reste, eux qui se mêlent à la foule armés de matraques, de battes de baseball, de couteaux voire de pistolets pour semer la terreur parmi les manifestants et décrédibiliser la mobilisation. Violences émeutières et violences policières se répondent ainsi dans une escalade parfois difficilement maîtrisable. Des situations de chaos se produisent à plusieurs reprises, à Vitoria en mars 1976, à Málaga et à Tenerife en décembre 1977, en Navarre et dans le Guipúzcoa en juillet 1978, etc.
9Prenons l’exemple basque de la semaine de mobilisation en faveur de l’amnistie en mai 1977, qui se solde par le bilan de cinq morts, chaque victime déclenchant un regain de la mobilisation et de la répression, dans une spirale qui transforme le Pays basque en véritable champ de bataille. Le 12 mai, la grève est presque totale dans la région de Saint-Sébastien. La Police armée prend note de nombreux « dommages dans les parcs, les bâtiments et les véhicules », elle retire pas moins de 138 barricades et subit de nombreuses « agressions […] avec des pierres, de la mitraille de plomb et des cocktails Molotov »12. Ce jour-là à Rentería, la Garde civile tire à balles réelles sur la foule des milliers de manifestants qui entourent la caserne, provoquant la mort de Rafael Gómez Jáuregui et plusieurs blessés, dont deux graves. Le lendemain le village est en deuil, crêpes noirs et ikurriñas s’affichent sur les balcons, de nombreux passants se retrouvent sur le lieu de la mort de Rafael, où cinq impacts de balles sont visibles aux côtés du sigle de l’ETA et où la tâche de sang se mêle aux rameaux de fleurs. 2 000 personnes se rassemblent sur la place de la mairie pour réclamer l’ouverture d’une commission d’enquête, mais la Garde civile les disperse en tirant à nouveau à balles réelles, provoquant l’affolement de la foule et trois nouveaux blessés. Cinq policiers armés et deux gardes civils sont également blessés. Les affrontements se poursuivent toute la journée à tel point que « les gens craignent de sortir dans la rue de peur d’être surpris par les courses poursuites fréquentes ou les tirs de balles en caoutchouc ». La protestation atteint l’ensemble de la région, le journal El País note une dizaine de blessés par balles, qui font suite aux sept blessés de la veille13. Elle se propage ensuite aux régions voisines, provoquant d’autres victimes qui réactivent le climat de violence, en particulier en Biscaye suite à la mort le 14 mai de Manuel Fuentes Mesa tué par la Garde civile à la sortie d’un bar14. Les rues de Bilbao se transforment alors en champ de bataille où nationalistes et radicaux révolutionnaires s’affrontent avec les forces de l’ordre mais aussi avec les bandes ultras qui sèment la panique en faisant usage d’armes à feu. Barricades érigées dans les rues, véhicules renversés, cocktails Molotov lancés contre les voies ferrées pour empêcher le départ des trains, vandalisme divers bouleversent le paysage de la ville. Les enterrements des victimes sont à leur tour des moments de lourde tension : la Police armée charge contre ceux qui sortent du cimetière pour l’enterrement de José Luis Cano Pérez tué à Pampelune le 13, avec force fumigènes et grenades lacrymogènes qui contraignent femmes et enfants à y rester enfermés, puis elle intervient à coup de rafales de mitraillettes pour disperser les assistants à la messe funèbre.
10Cet exemple met en lumière les mécanismes de la spirale qui alimente les violences urbaines de part et d’autre : une mobilisation où s’affrontent forces de l’ordre et militants radicaux se solde par un bilan tragique, l’action policière violente et son résultat meurtrier provoquent des manifestations de protestation qui, à leur tour, sont l’enjeu d’affrontements qui peuvent entraîner de nouvelles victimes. La faute est difficilement imputable, dans un tel climat de tension, aux seules forces de l’ordre. Inversement, la violence du comportement policier n’est probablement pas, contrairement aux dires réitérés des autorités, ministre de l’Intérieur en tête, une simple réponse aux pratiques contestataires. La politique répressive, héritée de la dictature, est également en grande partie responsable de ces hauts niveaux de violence policière en 1976-1977.
LE POIDS DU SYSTÈME RÉPRESSIF
11Tout d’abord, il ne fait aucun doute que l’interdiction des manifestations génère l’affrontement.
a) L’absence de libertés engendre la violence policière
12La violence émeutière ne résulte pas seulement d’un choix tactique de « guérilla urbaine » de la part des extrémistes révolutionnaires, elle est aussi une pratique de contournement de la répression. Comme le rapporte Delgado, sous le franquisme « la technique policière urbaine contre les altérations de l’ordre consistait, fondamentalement, à éviter la concentration de la foule ». Pour cela, le renseignement en amont était essentiel : la forte pénétration de la brigade politico-sociale dans les milieux ouvriers et politiques de l’opposition garantissait une information d’excellente qualité sur les rassemblements prévus ce qui permettait à la Police armée d’anticiper l’altération de l’ordre.
Pour éviter la manifestation, une fois connu le lieu de la concentration, la Police armée se déployait, empêchant l’accès au lieu depuis les rues adjacentes, déviant les piétons, les orientant vers diverses directions et dispersant les petits groupes qui pouvaient se former alentour. Une fois dispersés, les manifestants, sans moyens de communication, restaient désorganisés et sans possibilité de se regrouper15.
13Par conséquent les manifestants, dès avant la mort de Franco, se sont adaptés à ce cadre répressif et ont adopté une tactique de contournement dite des « sauts ». Elle consiste à se regrouper par petits groupes, de moins de 50 personnes, à proximité d’une voie rapide d’évacuation (bouche de métro par exemple), à manifester et à laisser trace de sa présence par des banderoles, pancartes, tracts ou dommages matériels, puis à se disperser avant l’arrivée des forces de l’ordre, pour resurgir ensuite à un autre endroit de la ville. Cette pratique se développe pendant la transition, R. Adell estimant que l’apogée des « sauts » se situe en 1977 avant de décliner à partir de 1978 puis de chuter de façon significative à partir de 198016. Une note d’un délégué du ministère de l’Information et du Tourisme qui décrit la situation de la capitale de la Biscaye au soir du 16 mai 1977, rapporte l’existence de ces « sauts », dans lesquels « le comportement des manifestants est d’une grande activité et revêt des caractères de violence et de vandalisme ; en aucun cas les groupes sont massifs, obligeant les forces de l’ordre à un grand déploiement et à agir de façon brutale », avant de conclure que « les blessés sont nombreux »17. La violence émeutière des « sauts » apparaît donc comme une pratique de contournement de la répression, comme une conséquence du décalage entre l’aspiration croissante à manifester et le maintien des normes répressives jusque bien avancée l’année 1977.
14Par ailleurs toute forme de concentration étant illégale, les forces de police reçoivent systématiquement l’ordre de la disperser, provoquant alors le choc frontal. Ainsi le 1er février 1976, la plateforme unitaire de l’opposition catalane convoque une manifestation sous la devise « Liberté, amnistie et statut d’autonomie », interdite par le gouverneur civil de Barcelone18. Malgré l’interdiction, la foule répond à l’appel — entre 25 000 et 70 000 personnes selon les estimations. Le plus gros rassemblement, de 4 à 12 000 personnes menées par les leaders de la convocation, se produit paseo de San Juan. Face à la police, les premières lignes décident de s’asseoir sur la chaussée, défiant de façon pacifique les forces de police. Celles-ci reçoivent l’ordre de charger pour disperser la foule : elles commencent par lancer des fumigènes et des grenades lacrymogènes qui ne font pas bouger les premiers rangs. Cette résistance passive inusuelle sème le trouble parmi les officiers qui enjoignent à la dispersion par la parole et la menace. Devant l’entêtement pacifique des manifestants, la compagnie de la Police armée charge à coups de matraques et de crosses de fusils. C’est alors que commencent les courses poursuites, les coups, les destructions et les interpellations. Un reporter, Manel Armengol, immortalise cet instant où les manifestants assis défient des uniformes, puis des scènes de policiers frappant des femmes et des vieillards à terre. Ses photos circulent dans le monde entier et deviennent le symbole de l’injuste brutalité policière d’un régime qui résiste à disparaître19. Si le bilan est minime au regard de la dureté de l’action policière — une douzaine de blessés —, cet exemple montre à quel point la violence des forces de l’ordre n’est pas seulement une réponse aux agressions contestataires, mais aussi une agression contrainte par les normes répressives encore en vigueur. Amnesty International dénonce ainsi en 1977 « l’usage continu de méthodes violentes, brutales et gratuites de la part de la police pour contrôler les grandes concentrations de foule » qui provoque des chocs « extrêmement violents […] avec un emploi abondant des armes à feu »20.
b) L’inadaptation des hommes et des techniques à la pratique du maintien de l’ordre
15Si l’absence de libertés facilite le jaillissement de la violence policière, il n’est pas nécessaire que celle-ci se termine dans le sang. Tout dépend des techniques et des moyens employés pour faire face aux altérations de l’ordre public.
16Or pendant la période, trois civils sur quatre tués dans les manifestations sont atteints par des balles réelles21, ce qui témoigne de l’utilisation excessive des armes à feu dans la dispersion des manifestations. Plus généralement, c’est l’absence de professionnalisation des forces de l’ordre qui est en jeu. La création en 1969 des Compagnies de réserve générale devant la montée des conflits sociaux dans l’espace urbain, s’était pourtant accompagnée d’une amélioration notable des dotations matérielles de la Police armée. Ont alors été introduits des véhicules tout terrain plus aptes à se déplacer avec rapidité en ville — les sections de motos ne sont créées qu’en mars 1976 —, des chars munis de canons à eau, des fusils pour balles en caoutchouc, les communications entre unités sont améliorées ainsi que les outils de protection de la tenue policière, boucliers plus légers et casques plus couvrants. Sont aussi enseignées les techniques de dispersion et de mise à distance des adversaires pour éviter le contact physique et le corps à corps éprouvant des coups de matraque et des jets de pavé22. Cependant les incidents nombreux des débuts de la transition montrent à quel point ces techniques sont loin d’être maîtrisées. Dans le cas de la manifestation barcelonaise du 1er février 1976, le corps à corps est presque immédiatement employé pour disperser les manifestants assis, sans que soient épuisés tous les moyens préalables de coercition. Une balle en caoutchouc est inoffensive si elle est bien utilisée, mais devient mortelle si elle est tirée à bout portant, ce qui explique le nombre non négligeable d’individus tués ou blessés par ce type de projectiles. De même un fumigène peut devenir meurtrier s’il est lancé à hauteur d’hommes à faible distance, María Luz Nájera en fait les frais en janvier 1977. Enfin l’emploi très courant de l’arme à feu, préconisé en dernier recours et seulement en cas de légitime défense, montre la facilité avec laquelle les policiers estiment en avoir besoin. Il faut dire qu’encore en novembre 1976, un manuel à destination des policiers affirme que « la répression n’atteint pas son but si elle est molle ; on doit donc agir avec dureté et énergie, en employant depuis la charge défensive jusqu’au feu avec toute sorte d’armes »23.
17Si la formation de la Police armée est rudimentaire, la Garde civile est encore plus démunie face aux altérations de l’ordre. La formation dispensée aux futurs gardes civils consacre plus de temps à l’instruction militaire qu’à l’apprentissage des techniques policières et les unités ne sont pas dotées des moyens anti-émeutes mis à la disposition de la Police armée24. Elles emploient donc presque systématiquement l’arme à feu, le fusil, en cas de débordement. En 1977, Manuel Prieto, général de la Garde civile, chef de la VIe Zone basée à León et ex-volontaire de la División Azul, justifie cet usage en ces termes : « Nous n’avons pas d’autre moyen pour nous défendre que l’emploi des armes à feu, étant donné que les procédés intermédiaires dont nous disposons n’ont pas une efficacité définitive et ne sont pas en accord avec le sérieux que doit imposer la seule présence de notre tricorne »25. De plus, les officiers placés à la tête des unités anti-émeutes sont particulièrement peu compétents pour faire face aux problèmes spécifiques et nouveaux posés par les troubles dans l’espace urbain. Cadres formés exclusivement dans les académies militaires et directement transférés des corps de l’armée aux corps de police, ils ne disposent d’aucune formation spécialisée et sont à l’origine d’erreurs de commandement qui peuvent provoquer de lourds coûts humains26. Si bien que souvent, ce n’est pas l’excès de précaution mais au contraire l’imprévision et les erreurs de jugement à divers niveaux de l’échelle de commandement qui sont la source de situations tragiques.
18Le cas du drame de Vitoria en mars 1976 est emblématique de ces erreurs dans la gestion du conflit27. Les autorités locales, en premier lieu le gouverneur civil, ont globalement fait preuve d’un grand aveuglement : elles n’ont pas su ou voulu mesurer l’ampleur et la gravité du conflit social qui ne cessait de croître depuis le début de l’année, parti des Forges d’Álava en janvier pour s’étendre progressivement aux autres secteurs économiques et incorporer à des exigences sociales maximalistes des revendications politiques. Elles n’ont pas cherché à freiner la dynamique révolutionnaire entretenue par les assemblées quotidiennes et illégales (plus de 300) radicalisées par les groupes d’extrême gauche. Martín Villa lui-même considère que « l’autorité gouvernementale s’est retranchée dans une attitude d’inhibition totale », refusant d’affronter la dangerosité des faits28. La passivité atteint jusqu’au ministère puisque Fraga, alors ministre de l’Intérieur, averti la veille de la tragédie de la gravité de la situation, n’a pas pour autant repoussé son voyage officiel en Allemagne prévu pour le lendemain car, après tout, il ne s’agissait que d’un conflit entre patrons et ouvriers. « Si Manuel Fraga a pêché à cette occasion, c’est par libéralisme et non par autoritarisme », affirme Osorio29. Malgré le climat préoccupant et la convocation pour le 3 mars d’une « journée de lutte » à Vitoria, le gouverneur civil ne prévoit pas de renforts si bien que la ville se retrouve pourvue de seulement 180 policiers30.
19L’appel à la journée de lutte est un succès, et rapidement l’église de San Francisco, lieu prévu pour une assemblée générale, se remplit de milliers de travailleurs qui s’agglutinent aussi autour du bâtiment. La section de la Police armée présente sur les lieux, composée de quelques dizaines d’agents, reçoit l’ordre d’évacuer l’église. L’officier avertit ses supérieurs de la difficulté d’exécution d’une telle consigne : les ouvriers n’ont d’autre voie de sortie que la porte principale qui donne sur une place étroite bloquée par des grillages qui configurent une ruelle à angle droit ; tandis que les faibles effectifs policiers sont en grande partie neutralisés par les milliers de personnes présents aux alentours de l’édifice. « On ne peut évacuer car elle est remplie de monde. Et dehors, tout le personnel est entouré. Il va falloir employer les armes à feu », prévient l’officier dans les échanges radios qui ont été rendus publics31. Malgré tout, la Préfecture de police ordonne d’évacuer l’église de force, et réitère sa consigne après de nouveaux avertissements des agents sur place — « On va devoir utiliser les armes. C’est sûr » —, en ordonnant de « gazer l’église ». La section obéit, envoie des grenades lacrymogènes à l’intérieur du bâtiment, ce qui provoque immédiatement la panique à l’intérieur, la foule se rue, affolée, vers le dehors, emportant avec elle des policiers dépassés. La suite des transmissions radios est d’un chaos indescriptible, où les cris des manifestants se mêlent aux rafales de mitraillette. On distingue des bribes d’échanges entre l’officier sur place et son chef. Les quelques extraits qui suivent de la description en direct du drame par l’officier sont extrêmement éloquents :
C’est une bataille rangée […]. C’est la guerre en vrai, la munition et les grenades sont en train de nous manquer et ils nous balancent des pierres, c’est impossible de se défendre […]. On a tiré plus de 2 000 cartouches […]. Vous pouvez imaginer après avoir tiré 1 000 tirs et avoir détruit toute l’église de San Francisco, dans quel état est la rue et tout. À vous […]. On a contribué à la plus grande raclée de l’histoire. À vous […]. Ici il y a eu un massacre.
20Le bilan est à la hauteur des énormes erreurs commises par les diverses échelles de commandement : cinq morts, une cinquantaine de blessés par balles dont quatre grièvement. Ce n’est pas tant l’excès de moyens employés que leur défaut qui peut être à l’origine des bavures les plus meurtrières. Le policier n’est pas plus dangereux que quand il est dépassé par une situation incontrôlable. À l’inverse, quand les autorités prévoient une assistance massive et emploient les moyens adéquats pour empêcher le déroulement de la manifestation, la dispersion provoque moins de dégâts32.
21Au-delà, le drame de Vitoria illustre les conséquences tragiques à tous les niveaux d’un système autoritaire en décalage avec les réalités populaires. Politique de répression des libertés, imprévision et incompréhension de la réalité des enjeux sociaux, formation rudimentaire et déficiente des agents, expérience strictement militaire des officiers, insuffisance des techniques, tendance non réfrénée à l’usage des armes à feu sont autant de facteurs inhérents à l’appareil répressif du régime franquiste qui sont à l’origine de la violence des comportements policiers face aux troubles de l’ordre public.
c) Le poids de l’idéologie héritée
22Tous ces éléments tendent à relativiser le poids de la responsabilité individuelle au profit d’un dysfonctionnement global de l’appareil répressif. Il ne faudrait pas pour autant sous-estimer la réalité de comportements individuels marqués par l’idéologie du régime dont ils sont issus, une idéologie de vainqueurs pour qui la subversion sociale et politique est un ennemi intérieur à éliminer. En témoigne ce récit de Julián Delgado :
Dans les anciens exercices de l’Académie, dans les exercices de double action qui se faisaient devant les autorités, une partie des policiers se déguisait en agitateurs et les pancartes portaient des consignes comme « liberté », « démocratie », valeurs qu’il leur revient maintenant de défendre et de protéger33.
23Dans la période brouillée des débuts de la transition, le champ est laissé libre aux comportements excessifs héritiers directs des pratiques inculquées sous la dictature. Les cas sont donc nombreux de brutalité volontaire et autonome. Les incidents de Málaga en décembre 1977 en sont un exemple. Le 4, au cours d’une manifestation en faveur de l’autonomie un jeune communiste de 18 ans, José Manuel García Caparrós, membre des CC.OO., est tué par des balles tirées par la Police armée, qui blessent aussi une trentaine d’autres personnes34. La manifestation, familiale et massive (plus de 150 000 personnes) s’est déroulée pacifiquement jusqu’à ce que le président de la Diputación refuse de hisser, aux côtés du drapeau national, la bannière de l’Andalousie. En fin de cortège, un jeune escalade la façade du bâtiment et y accroche le drapeau vert et blanc. Les affrontements commencent à partir de là, provoquant peu après la mort du jeune militant. L’incident donne lieu à une vague de protestations sans précédent dans la ville, livrée au chaos et paralysée par une grève générale pendant les deux jours qui suivent. Il se transforme aussi en scandale politique quand il est porté devant le Congrès des députés qui décide la création de la première commission d’enquête parlementaire de la jeune démocratie, chargée d’éclaircir aussi la mort d’un étudiant à Tenerife le 12 décembre. Or plus que la mort du jeune civil, c’est l’extrême brutalité des policiers armés, inhabituelle et qui s’est prolongée pendant plusieurs jours, qui est critiquée. La police aurait notamment poursuivi les blessés jusqu’à l’hôpital dont la façade a été mitraillée, elle aurait arrêté les voitures qui circulaient avec des crêpons noirs de deuil pour qu’ils soient retirés, il semble même que certains agents aient forcé les manifestants à manger les lacets noirs du deuil, dans un geste gratuit considéré comme intolérable. D’autres auraient visé de leurs balles en caoutchouc les curieux postés à leur balcon dans une posture inoffensive. Un député socialiste, Carlos Sanjuán, est pour sa part agressé violemment par un policier armé alors qu’il s’était identifié, ce qui démontre l’intention offensive de l’agent. Le lendemain, la Garde civile surgit dans les installations d’une radio et frappe un journaliste qui avait qualifié la mort de Caparrós d’« assassinat »35.
24La commission d’enquête qui expose ses conclusions en juin 1978 ne parvient pas à mettre d’accord l’UCD et l’opposition. Cette dernière considère que « les forces de l’ordre ont fait un usage imprudent, irrégulier et démesuré des armes à leur portée », ne comprenant pas « comment un ordre de déploiement s’est transformé en un ordre d’attaque contre tous les manifestants qui étaient là »36. Est particulièrement mise en cause l’attitude provocatrice du président de la Diputación, Francisco Cabeza, lié de façon notoire aux extrémistes ultras de la ville. Sa démission postérieure « n’épuise pas sa responsabilité politique, qui reste entière », selon les conclusions de la gauche37. Car une telle brutalité gratuite de la part des policiers est sans aucun doute facilitée par l’idéologie radicale des autorités locales. D’ailleurs à peine un mois auparavant, le lieutenant-colonel de la Garde civile avait été retiré de son poste de commandant à Málaga pour avoir dispersé, de sa propre initiative et en désobéissant au gouverneur civil, un acte autorisé qui revendiquait le droit de vote à 18 ans. Cet officier n’était autre que Tejero, futur protagoniste du 23-F38. Le facteur idéologique est donc déterminant dans l’épanouissement des comportements brutaux des policiers, surtout quand ils bénéficient de la tolérance bienveillante voire d’encouragements de la part des autorités.
25Un second exemple significatif est constitué par les incidents de la San Fermín de juillet 1978. Le 8 juillet, les forces de police entrent dans l’arène où se déroulait l’une des corridas de la fête annuelle, suite à une altercation produite par la présence d’une pancarte réclamant l’amnistie totale. L’unité de la Police armée est dirigée par le commandant Ávila, membre reconnu de FN, qui a pris seul la décision de charger sans obéir aux consignes contraires du gouverneur civil. L’arène se transforme en champ de bataille et les affrontements se poursuivent toute la soirée dans les rues adjacentes. Une section de la police tire abondamment contre un groupe de manifestants, tuant sur le coup Germán Rodríguez. Une trentaine d’impacts de balles est trouvée sur les lieux. Leur visée était à hauteur d’homme : il ne s’agissait pas d’intimider les émeutiers, mais bien de les atteindre. La responsabilité personnelle des policiers ne fait aucun doute, encouragée par les ordres préalables d’un lieutenant : « Tirez avec toute votre énergie et le plus fort que vous pouvez. Que ça ne vous importe pas de tuer ! »39. Martín Villa déclare le lendemain dans un bilan impressionnant que 130 cartouches de feu réel ont été tirées, 4 153 cartouches de balles en caoutchouc, 657 fumigènes et 1 138 grenades lacrymogènes.
26La bavure policière ne résulte donc pas seulement d’un dysfonctionnement général du système répressif, mais est aussi imputable à l’intention des agents. Il existe sans aucun doute des résistances idéologiques fortes à la démocratisation parmi les cadres et les exécutants tant de la Police que de la Garde civile, qui sont à l’origine de comportements brutaux autonomes et volontaires qui témoignent du poids d’une culture répressive autoritaire fondée sur l’élimination physique des vaincus par les vainqueurs.
27Cependant, ce constat ne doit pas faire oublier la chronologie établie initialement qui montre une normalisation de la pratique manifestante dès 1980, tant du côté des protagonistes de la contestation que du côté des forces policières. La disparition des bavures de ce type montre que les forces de l’ordre ont accepté l’existence de la manifestation comme une pratique démocratique banale, suivant sa reconnaissance légale avec un certain décalage temporel et ce, en dépit de comportements autoritaires persistants bien au-delà. Ibáñez Freire, ministre de l’Intérieur après 1979, rapporte que « pour [les gardes civils], une manifestation était toujours un désordre illégal »40. Néanmoins de façon globale, les agents se sont peu à peu conformés à une « pédagogie de la retenue » selon les mots de P. Bruneteaux, la répression se transformant en gestion du « désordre admissible »41. Déjà en 1976, à Cadix, une manifestation de travailleurs des arsenaux d’environ 2 000 personnes devant le Gouvernement civil, qui s’était déroulée et dispersée dans le calme sous le regard paisible des forces de police, avait provoqué les applaudissements de la foule qui saluait ainsi le comportement inhabituel en ces temps de répression des agents en uniforme42. Quant à la manifestation pacifique de masse (100 000 personnes) organisée par le Parti communiste en janvier 1977, pour protester contre le crime d’Atocha, elle est la preuve éclatante et anticipée de la banalisation possible du fait manifestant. En dépit de l’illégalité du PCE, les policiers ne sont pas intervenus, pendant que le service d’ordre du Parti contrôlait avec efficacité ses troupes tout comme les potentiels agitateurs. En définitive, la manifestation s’est donc banalisée pendant la transition, elle est entrée dans le jeu régulé de la démocratie et les acteurs ont obéi à un processus accéléré d’apprentissage, démontrant la faiblesse des résistances policières à la démocratisation sur ce terrain.
II. — LES INCIDENTS POLICIERS : UNE FORTE SENSIBILITÉ À LA MENACE TERRORISTE
28Pour 80 % des victimes de la violence policière, la logique est néanmoins toute autre. Elles sont tuées au cours d’un contrôle routier, d’un contrôle d’identité, de l’interpellation d’un individu, d’une course poursuite ou d’une patrouille de routine. La responsabilité en est imputable, non pas à la Police armée, mais plutôt à la Garde civile (dans 59 % des cas), chargée du maintien de l’ordre sur tout le territoire. Institution séculaire43 et militaire, la Garde civile, qui dépend directement de l’État-Major de l’armée de terre, a une vocation essentiellement rurale. Implantée jusque dans les moindres recoins du territoire national44, source de renseignement fondamentale pour le régime, elle constitue la pièce maîtresse du dispositif répressif franquiste. D’ailleurs les incidents policiers se produisent de façon diffuse sur tout le territoire et l’Andalousie, région rurale faiblement développée mais très étendue et fortement peuplée, y est surreprésentée. Enfin, s’il ne fait aucun doute que la bavure commise dans le cadre manifestant est de nature éminemment politique pendant la transition, peut-on en dire autant des incidents policiers ? Résultats de la pratique quotidienne du maintien de l’ordre, sont-ils du ressort de la violence politique illégitime ?
29Un premier élément de réponse réside dans la statistique. En moyenne, ces incidents provoquent, pendant la transition, 19 morts par an45, chiffre largement dépassé en 1978-1979 et en 1981 (graphique 23, p. 329). À titre de comparaison, en France au début des années 1990, F. Jobard estime qu’environ 10 civils sont tués par an en dehors de l’espace manifestant, majoritairement lors de contrôles routiers46 : c’est deux fois moins que dans l’Espagne de la transition. Cette rapide comparaison suggère que le nombre d’incident survenus en Espagne dépasse du double ce que l’on pourrait considérer comme une moyenne résiduelle inévitable dans une démocratie structurée de dimensions similaires. Elle invite donc à s’attarder sur les raisons de cette présence excessive.
TRAGIQUE ACCIDENT OU PRATIQUE SYSTÉMIQUE ?
30Comme dans le cadre manifestant, entre en jeu le poids d’un système répressif inadapté aux nouveaux défis posés par le maintien de l’ordre en démocratie.
a) Du mauvais usage des armes à feu
31Les forces de l’ordre ont la gâchette facile, et pas seulement dans le cadre de la dispersion d’une manifestation. Si les consignes habituelles limitent l’emploi des armes « quand il existe un danger évident pour la vie, c’est-à-dire dans les cas de légitime défense », comme le rappelle le ministre de l’Intérieur en 198047, il faut attendre le mois de septembre 1981 pour que soit promulgué un nouveau règlement sur les « principes fondamentaux d’action des membres des forces de sécurité », la loi sur la police de décembre 1978 se contentant de procéder à des restructurations organiques et d’énoncer théoriquement ses nouvelles missions. Le nouveau texte, fondé sur les principes généraux définis par le Conseil de l’Europe dans sa « Déclaration sur la police » approuvée en mai 197948, garantit notamment le principe de la proportionnalité dans l’usage de la force. Les agents doivent se limiter
à l’emploi des moyens de dissuasion et de défense adéquats et proportionnés à l’étendue de la perturbation ou du dommage produit, veillant en tout cas à ne pas faire usage de la force au-delà du raisonnable et du strict nécessaire pour mener à bien leur mission et éviter de faire du mal à personnes ou aux choses49.
32Néanmoins ce texte est, de l’aveu du propre ministre de l’Intérieur, un ordre de caractère politique et administratif et non normatif. Il s’agit d’un accord adopté en Conseil des ministres qui précise la posture politique du gouvernement, prononce des déclarations d’intention destinées à être ensuite cristallisées de façon législative, mais qui reste au niveau de l’éthique et n’est pas contraignant dans la pratique50. Son efficacité est dès lors grandement limitée. Selon l’APDHE, il faut attendre avril 1983 pour que des instructions adressées aux policiers recueillent ces principes éthiques51. Très précises, elles détaillent au cas par cas quel doit être le comportement adéquat des agents : l’emploi des armes à feu n’est requis que quand l’agression est d’une telle intensité et d’une telle violence qu’elle met en danger la vie de la personne attaquée (1° 1), suivant un principe de proportionnalité entre le moyen employé par l’agresseur et celui utilisé par la défense (1° 2), et après que l’agent a effectué une série d’avertissements oraux, puis de tirs en l’air ou au sol (1° 3 et 4). Les tirs doivent ensuite être dirigés vers des parties non vitales du corps de l’agresseur, dans l’objectif de causer le moins de blessures possibles (1° 5). Il en est de même dans le cas de la fuite d’un délinquant, le tir contre les parties non vitales de l’individu n’étant qu’un dernier recours une fois toutes les pratiques d’intimidation employées, et ne devant intervenir que si sa dangerosité extrême est avérée par la possession d’armes à feu, d’explosifs ou d’arme blanche offensive (2°). En cas de doute, l’agent ne doit pas tirer. Ces instructions auraient donc introduit un progrès notable si elles avaient été appliquées, mais selon l’Association, elles ne sont ni publiées ni diffusées dans les commissariats si bien qu’elles restent ignorées tant de l’opinion que des policiers eux-mêmes. Il faudra attendre la loi organique de 1986 pour que ces principes d’action soient hissés au rang de norme législative52 et soient, par conséquent, contraignants pour tous.
33Les exemples de bavure pour avoir appuyé trop promptement sur la détente avec l’intention de tuer abondent, comme dans le cas de Francisco Caballero, un militant communiste tué en novembre 1979 à Bilbao alors qu’il était au volant de sa fourgonnette en compagnie d’un ami. Les coups ont été tirés par deux membres du Corps général de police en civil qui, selon la Préfecture, ont été contraints d’agir ainsi car les occupants du véhicule n’auraient pas obéi à leur injonction de s’arrêter. Néanmoins, selon des témoins, il n’y avait aucun barrage sur la route et les policiers n’auraient effectué aucun signal d’avertissement visible : l’erreur policière se transforme alors en un homicide « inadmissible » suivant les mots de Sánchez Montero qui porte l’affaire devant le Congrès53. Car comme l’affirme le même député à l’occasion d’une autre bavure en septembre 1980, « il y a d’autres moyens d’arrêter une voiture sans tuer le conducteur : viser les roues pour faire en sorte qu’elles explosent et que la voiture ne puisse continuer à rouler », par exemple54. De même, il n’est pas besoin de tuer pour interrompre la fuite d’un individu : tirer dans ses jambes peut suffire à procéder à son interpellation.
34Cet exemple illustre une autre caractéristique de ce type de bavures : face à elles, les récits divergent systématiquement entre la version de l’agent, qui bénéficie du soutien de ses supérieurs hiérarchiques, et celle des partisans de la victime qui offrent en retour les récits de témoins. C’est que les enjeux sont doublement cruciaux. Il s’agit en premier lieu d’évaluer la responsabilité individuelle de l’agent, pour déterminer d’éventuelles sanctions administratives voire des poursuites pénales. Car selon l’article 8.4° du Code pénal, sont exempts de responsabilité criminelle ceux qui répondent à une « agression illégitime » par un moyen « nécessaire et rationnel […] pour l’empêcher ou la repousser »55. Caractère délictuel du comportement de la victime et conduite adéquate ou non des policiers sont les points d’achoppement les plus fréquents pour déterminer la validité de la thèse de la légitime défense. D’un côté, qualifier la victime de délinquant, estimer qu’elle était surprise en flagrant délit de vol de voitures ou reporter sur elle l’origine de l’agression, en l’accusant d’avoir voulu voler l’arme réglementaire ou écraser les agents par exemple, sont des classiques du rapport policier. De l’autre, les agents sont accusés de n’avoir pas respecté la démarche à suivre, en particulier de ne s’être pas identifiés de façon visible ou de n’avoir pas adressé les sommations nécessaires avant de tirer. En second lieu, l’affrontement des récits comporte un enjeu politique d’envergure car, au-delà des responsabilités individuelles, c’est la responsabilité globale du système répressif qui est mise en cause et avec elle, les critères de stigmatisation de l’illégitimité de l’action policière et, par conséquent, de ce que doit être une bonne police.
b) De la bavure individuelle au procès du système répressif
35Plusieurs exemples permettent d’éclaircir les déterminants de ce processus. Le premier concerne la mort de Bartolomé García le 24 septembre 1976, à Tenerife. Confondu par erreur avec le délinquant Ángel Cabrera, surnommé « El Rubio », responsable de l’enlèvement du grand industriel canarien du tabac Eufemiano Fuentes, le jeune homme est tué par des rafales tirées par la police dans l’assaut de son appartement. Trente-trois impacts de balles sont recensés sur la porte d’entrée, témoignant de la puissance du feu. L’incident prend une ampleur spectaculaire : l’enterrement rassemble près de 30 000 personnes, une grève générale est proclamée dans l’île, les émeutes qui se prolongent pendant près de six jours transforment la ville de Santa Cruz en champ de bataille, les associations civiles et les partis politiques se mobilisent, jusqu’au maire de la capitale qui envoie une lettre de protestation au ministre de l’Intérieur. Des membres de la police s’élèvent contre la condamnation unanime qui retombe sur l’ensemble du corps, dans un manifeste où ils dénoncent « qu’un accident ait été qualifié d’assassinat, de fait inqualifiable, d’agression brutale », déplorant « avec douleur la réaction hostile d’un peuple […] qui a été si bassement manipulé »56. Plusieurs centaines de policiers manifestent leur solidarité avec les six policiers inculpés pour les faits et transférés à Madrid57.
36Une telle réaction populaire est tout d’abord à mettre sur le compte de la brutalité disproportionnée de l’action policière et du caractère innocent et anonyme de la victime, mais elle est aussi à mettre en relation avec la conjoncture politique. Depuis le début de l’année 1976 en effet, pas moins de 14 civils ont trouvé la mort sous les balles des forces de l’ordre, la dernière bavure en date remontant au début du mois de septembre quand Jesús María Zabala tombait sous les balles de la Police armée dans le Guipúzcoa. Un climat hostile aux forces de police s’est développé au cours de l’année, largement relayé par la presse et sans aucun doute instrumentalisé par les groupes politiques de l’opposition, en particulier ceux de la gauche révolutionnaire, chaque bavure déclenchant une vague d’animosité contre des agents de l’État identifiés au régime autoritaire précédent. La plateforme unitaire de l’opposition des Canaries déclare à l’occasion de la mort de Bartolomé García que ces faits « ne se produisent pas de façon isolée, mais au contraire, qu’ils semblent obéir à des directives bien établies et n’avoir d’autre finalité que d’étendre une situation de terreur et d’insécurité pour empêcher l’avènement d’un cadre de libertés »58. C’est donc bien la succession des incidents policiers à un moment où l’incertitude devant l’avenir politique de l’Espagne est à son comble qui transforme l’erreur isolée en procès de l’appareil répressif.
37Dans un tel climat de sensibilité exacerbée à l’égard des forces de l’ordre, la moindre bavure est immédiatement perçue comme un acte à l’intentionnalité politique. Ainsi le 10 octobre de la même année dans un village de Navarre, un délinquant présumé est tué par la police. Le journal El País relate l’incident en ces termes : « la mort d’un délinquant ordinaire a provoqué, pour la première fois autant qu’on le sache, une importante réaction populaire dans une province du Pays basque. C’est le cas de Francisco Alonso Castillejos alias Paquito, abattu dimanche midi par divers tirs effectués par des gardes civils en civil ». Des rameaux de fleurs, une ikurriña et une inscription funéraire sont déposés sur le lieu du drame, « on avait alors l’impression que, selon les différentes versions qui circulaient dans la localité, on avait donné d’emblée un caractère politique à la mort d’un jeune »59. Un mois plus tard, cette politisation se reproduit et semble désormais banale. Dans un autre village de Navarre, Santesteban, un garde civil sans uniforme sort son arme dans une rixe pendant un bal populaire, il tire sur trois garçons tuant l’un d’eux sur le coup, Santiago Navas, pendant qu’un second, Javier Nuin, décède quelques semaines plus tard de ses blessures. Les réactions sont vives et immédiates : une grève paralyse la Navarre et s’étend aux provinces basques voisines, des associations de quartier réclament le désarmement des forces de l’ordre, une vingtaine de maires du Guipúzcoa envoient une lettre de solidarité au maire du village d’où Santiago est originaire tandis que le maire de Santesteban exige du ministre de l’Intérieur l’éclaircissement total des faits. La politisation a donc été immédiate, comme l’a remarqué l’auteur du rapport annuel du Gouvernement civil de Navarre pour qui la « rixe malheureuse » a été « orchestrée par une grande partie de la presse, les mairies politisées, le clergé radicalisé et une infinité de pamphlets ». Ce qu’il perçoit comme un accident, comme d’« inévitables erreurs humaines inhérentes à n’importe quelle institution nombreuse, aussi bonne soit-elle »60, est à l’inverse considéré par beaucoup comme une conséquence logique de l’absence d’épuration de l’appareil répressif voire, comme des assassinats intentionnels destinés à empêcher la démocratisation. Si chaque incident policier ne soulève pas l’indignation populaire — les cas sont nombreux de prétendus délinquants tués par les forces de l’ordre sans que l’information ne dépasse le stade de la notice dans les rubriques faits-divers des journaux —, le nombre important, réitéré et continu de bavures policières rend difficilement crédible aux yeux de l’opinion la thèse de l’accident et ce, jusqu’à la fin de la période comme en témoigne l’affaire de Trebujena, en 1982.
38Sur les routes du village andalou de Trebujena, deux jeunes qui roulaient trop vite en mobylette sont atteints par des tirs de la Garde civile et l’un d’eux, Ignacio Montoya, journalier, est mortellement touché. La population du village, formée de viticulteurs de tradition communiste, est indignée, d’autant que le maire du village voisin est par la suite condamné par le gouverneur civil de Séville à une amende substantielle (500 000 pesetas) pour avoir ajouté au drapeau national de la mairie un foulard noir en signe de deuil. Une grève générale paralyse les environs. L’affaire est portée devant le Congrès par plusieurs groupes parlementaires qui dénoncent la fréquence excessive de ce type d’incidents. Une guerre des chiffres oppose alors le député Bandrés au ministre de Rosón, suite à une question provocatrice du premier intitulée : « Combien de morts et de blessés se sont produits comme conséquence des tirs des forces de l’ordre en 1981 et 1982 ? ». Sans aller jusqu’à les qualifier, comme Bandrés, de « peines de mort par procédé sommaire et en plus, sans garanties », le député andalou Rojas Marcos dénonce ce qui, « pire qu’une erreur tragique, est une aberration et quand cette aberration se produit avec une certaine continuité, ça signifie que quelque chose ne fonctionne pas, et ce quelque chose ce n’est pas seulement le manque de moyens techniques adéquats, mais aussi une mentalité dont nous croyons qu’elle est à l’origine des faits ». Le ministre de l’Intérieur lui donne partiellement raison quand il évoque les efforts menés depuis les Directions générales de la Police et de la Garde civile pour améliorer la formation des agents et les moyens employés dans le maintien de l’ordre, reconnaissant par là même leurs déficiences61.
39On a vu en effet que le vide normatif tout comme les carences en termes de formation persistaient bien au-delà du terme assigné à la transition, laissant le champ libre aux comportements transgressifs issus de cette « mentalité » dénoncée par Rojas Marcos. Plus qu’une « mentalité » individuelle, il s’agit d’un schéma de répression dans lequel tuer un délinquant ou un subversif n’est pas considéré comme une faute éthiquement et professionnellement intolérable. La mort de deux membres de l’ETA dans une fusillade dans le Guipúzcoa en 1981 n’a pas empêché le même Rosón de féliciter le lendemain les forces de l’ordre pour leur « brillant succès policier » de la veille62. De tels propos ne peuvent qu’encourager les violences irrégulières dans la pratique du maintien de l’ordre. Ils font apparaître aussi un nouveau facteur explicatif, que l’on n’a pas mentionné jusque-là car il n’intervenait pas dans le cadre manifestant, alors qu’il est déterminant dans le cas présent : le facteur terroriste.
LE FACTEUR TERRORISTE
40L’élément terroriste surgit si l’on analyse en détail les victimes des incidents policiers (tableau 17, p. 347). Parmi elles une part significative, le cinquième, sont des membres des GRAPO ou de l’ETA, alors qu’on n’en comptait aucun parmi les victimes manifestantes. Revenons maintenant sur l’évolution chronologique de ces incidents (graphique 23, p. 329). À l’inverse des bavures commises dans la dispersion des manifestations, ils sont relativement moins nombreux dans les premières années de la transition avant de croître fortement en 1979. Après une baisse en 1980, ils atteignent leur apogée en 1981 avant de diminuer significativement à partir de 1982. Cette évolution correspond de fait au rythme de l’action terroriste, de manière simultanée au début de la transition (1976-1978), puis avec un certain décalage : le creux de 1980 correspond à l’apogée terroriste, tandis que le pic de 1981 coïncide avec un déclin de l’action protestataire. Tout se passe donc comme si la police, qui réagissait immédiatement aux coups terroristes dans le schéma répressif franquiste, agissait ensuite avec un certain retard à la main meurtrière de l’ETA et des GRAPO, le temps de mettre en branle les nouveaux dispositifs de la lutte antiterroriste. La tension terroriste semble donc constituer l’un des facteurs déterminants de l’incident policier.
41On a vu que l’action policière obéissait à une politique globale de lutte antiterroriste qui ne prend son essor qu’après 1978 et fluctue fortement en fonction de la conjoncture. C’est d’ailleurs en 1979, un an après l’adoption des premières mesures antiterroristes, qu’augmente de façon notoire le nombre de terroristes tués (graphique 24). Le chiffre exceptionnel de 1981, avec 9 membres de l’ETA et des GRAPO tués sur les routes, s’explique à son tour par la situation qui règne alors en Espagne. En 1981, la tension est à son comble et la société fait pression pour que l’État mette fin au terrorisme, dans le contexte d’union nationale postérieur au 23-F. Cette pression sociale, assortie d’une augmentation notable des moyens employés dans la lutte contre le terrorisme, favorise les comportements policiers transgressifs. Autre exemple, celui des GRAPO, qui ont particulièrement souffert des tirs de la police : entre 1979 et 1982, 12 d’entre eux ont été tués dans des affrontements avec la police, dont les dirigeants les plus recherchés, décédés dans des circonstances parfois suspectes63. Cette succession de bavures, dont l’une produit quatre morts dans la même journée64, ressemble fort à une chasse à l’homme visant à décapiter le groupe terroriste. Tuer un terroriste en service semble en effet une action acceptée, si ce n’est encouragée, par les autorités politiques. Martín Villa a ainsi été longtemps critiqué pour une phrase prononcée en conférence de presse en janvier 1978, au lendemain d’un attentat de l’ETAm à Pampelune qui s’est soldé par la mort de deux terroristes et d’un policier. « Ça fait deux contre un. En notre faveur », a-t-il déclaré65, comme s’il s’agissait d’une bataille rangée entre deux armées ennemies dont l’issue dépendait du nombre de pertes dans chaque camp.
42L’hypothèse de la lutte antiterroriste comme facteur principal de l’incident policier pourrait être contestée par la très forte proportion de victimes non terroristes (près de 80 %). Mais il ne fait aucun doute que la tension inhérente à la lutte antiterroriste est si forte à partir de 1979 qu’elle ne touche pas que des membres de l’ETA ou des GRAPO, mais aussi de très nombreux civils. Que la menace terroriste soit réelle ou fantasmée, elle alimente une tension aiguë parmi les forces de police et de la Garde civile, susceptibles de se transformer à tout instant en cibles des tirs ennemis. Cette tension est particulièrement palpable au Pays basque où, aux attaques de l’ETA quasi-quotidiennes s’ajoutent les heurts avec les nationalistes radicaux ainsi qu’une sévère exclusion sociale qui accompagne le policier et sa famille66. Il n’est pas étonnant que les forces de l’ordre, considérées par la population comme des forces étrangères d’occupation — « ¡Que se vayan! » —, puissent agir en retour comme telles. Le climat insurrectionnel qui fait suite à l’intrusion meurtrière de la police dans les arènes de Pampelune en juillet 1978 en est une illustration. Il faut dire qu’après la mort de Germán Rodríguez, une autre bavure intentionnelle de la part des policiers armés a provoqué la mort de José Barandiarán à Saint-Sébastien67. La grève générale envahit alors le Pays basque, les routes sont parsemées de barricades, les affrontements sont continus entre les émeutiers et les forces de l’ordre, la tension est telle que le ministre de l’Intérieur, qui survole alors la région en ébullition, estime que « la guerre devait être quelque chose de semblable à ce qu’[il] voyait »68. Dans ce contexte chaotique, à Rentería, une compagnie de réserve de la Police armée, enflammée par les journées d’émeutes, se livre, dans un acte d’indiscipline et de brutalité collective sans précédent, au saccage de la ville, détruisant les boutiques et les pillant sans vergogne69. L’escalade de violences de plusieurs journées d’émeutes, que les forces de l’ordre, commandées par un personnel incompétent, sont impuissantes à enrayer, ne suffit pas à expliquer une telle razzia, unique dans l’histoire de la transition. Le climat général en terre basque, particulièrement éprouvant pour tout agent en uniforme y contribue sans aucun doute. Au-delà, ce qui ressemble fort aux actions punitives menées par une armée de conquête contre des populations civiles rétives à l’occupation, est révélateur d’une mentalité plus globalement répandue et étroitement liée à la vision dictatoriale de l’ordre : si l’espace public est un patrimoine exclusif du régime franquiste, il est a fortiori la propriété des policiers et gardes civils à qui a été délégué le monopole de la force physique et qui peuvent en user à leur guise. Dans un ordre franquiste où la frontière entre le privé et le public est pour le moins perméable, l’espace de l’arène policière s’étend sans difficultés à la sphère domestique.
43Face à la pression quotidienne du terrorisme, les corps armés réagissent avec nervosité, surinterprétant des gestes anodins et employant des moyens disproportionnés par rapport au danger réel, provoquant parfois des tragédies civiles en dehors de l’espace terroriste. Je me contenterais d’un seul exemple, qui témoigne à quel point la pression terroriste a pu se répandre sur tout le territoire. Ainsi le 24 août 1980 dans un village d’Estrémadure, un jeune homme est tué par un garde civil pour avoir jeté des pierres contre la caserne de la localité. Selon un communiqué officiel de la Garde civile, la caserne a reçu des jets intenses de pierres qui ont brisé des vitres, si bien que la sentinelle « surprise par l’attaque inattendue » a lancé des tirs d’intimidation. Le garde civil pensait, toujours selon le communiqué, que l’agression pouvait être terroriste étant donné que la caserne avait été dans le collimateur des criminels l’an passé. L’affaire remonte au Parlement, des députés socialistes de Badajoz s’interrogeant, non sans une triste ironie, sur le bien fondé d’une telle menace dans une zone de l’Espagne où il n’y a jamais eu le moindre signe de terrorisme70.
44C’est également dans le cadre de la lutte antiterroriste que se déploie une autre forme de violence policière, qui déborde la frontière de l’intime et entache la pratique policière pendant la période, à savoir la torture.
III. — LA TORTURE : POINT AVEUGLE DE LA TRANSITION
45La torture est une pratique qui, contrairement à la bavure ou à l’incident policier, possède une définition juridique internationalement reconnue. Elle désigne « tout acte commis par un fonctionnaire public, ou une autre personne sur son instruction, qui inflige intentionnellement à une personne des peines ou souffrances graves, physiques ou mentales », que ce soit, comme le précise la déclaration des Nations Unies contre la torture, « dans le but d’obtenir d’elle ou d’un tiers des informations ou une confession, de la punir pour un acte qu’elle aurait commis ou qu’on suspecte qu’elle ait commis, ou d’intimider cette personne ou d’autres »71 ou simplement « pour la priver de sa dignité d’être humain, pour lui ôter sa capacité de penser » selon les mots de R. Branche72. Pour approcher ce phénomène, notre base de données n’est d’aucun recours : suivant notre choix initial de ne prendre en compte que les violences policières meurtrières, le nombre d’événements « tortures » recueilli est limité à cinq avec un bilan de sept morts. Or, en dehors de ces cas, il est difficile de disposer d’estimations quantitatives fiables sur la réalité de la torture.
46Celle-ci est un « point aveugle »73 de l’histoire du dernier franquisme et de la transition, un phénomène tu, occulté et mal connu. Elle est ignorée et niée par l’État qui a conscience du risque encouru à reconnaître officiellement son existence. La violation manifeste du droit ne peut être dite, ni dans l’État de droit que se veut être l’État franquiste en quête de légitimité, ni a fortiori dans l’État démocratique que les hommes de la transition ont la prétention de construire. La violence illégale de la torture touche au cœur de la légitimité des institutions démocratiques dont le respect des droits de l’homme est l’un des piliers fondamentaux, elle transgresse les limites de la force légitime que l’État peut revendiquer et met en danger le système politique lui-même. Par sa barbarie et son inhumanité, elle est l’acte de répression pour lequel le seuil de tolérance est probablement le plus élevé dans nos sociétés contemporaines. Elle est injustifiable et en cela inavouable et donc tue par ceux qui en sont les responsables, ce qui rend son étude particulièrement difficile. Devant le silence des autorités, l’information ne peut provenir que de la bouche des victimes, dont les témoignages se heurtent à maints obstacles. Dire l’indicible est un acte valeureux de la part de ceux qui ont subi la souffrance, l’humiliation, la dépréciation profonde du soi et qui, surmontant la peur de représailles, acceptent de franchir la frontière de l’intime et de la honte en exposant publiquement les sévices subis. La libération de la parole se heurte de plus à la dénégation des bourreaux dont l’impunité est encore assurée, à la méfiance des juges et à l’incrédulité d’une opinion publique qui, confrontée à l’intolérable, est encline à l’euphémisation de la barbarie.
47Face à la suspicion, les preuves font défaut. La torture se pratique dans les salles obscures et closes des casernes et des commissariats, elle est une action intime où les seuls protagonistes sont les bourreaux, actifs ou passifs mais toujours solidaires face à la dénonciation, et les victimes, sujets ou spectateurs. Les témoins sont donc impliqués directement ou indirectement dans la chaîne de violence, brisant l’extériorité nécessaire à la fiabilité du témoignage. Les blessures physiques consignées dans un rapport médical, preuve la plus souvent invoquée dans les procès, sont elles aussi sujettes à caution : la sophistication des méthodes « propres » de torture ne laisse pas toujours de traces corporelles, le maintien en cellule et au secret pendant plusieurs jours laisse le temps aux signes extérieurs de blessure de disparaître, le contrôle médical est loin d’être systématique et quand il a lieu, il peut lui aussi être complice de la violation, enfin si le constat de lésions est indéniable, c’est leur origine qui est questionnée. Un classique du témoignage policier consiste à reporter la responsabilité des blessures sur la victime, accusée de s’être débattue au moment de l’interpellation, de s’être automutilée de façon volontaire pour invalider son arrestation ou, en cas de complications, d’être déjà malade et de ne pas s’être soignée, ou bien de s’être suicidée. La reconnaissance officielle de la torture que constitue la condamnation judiciaire représente elle aussi, une source à questionner. La justice elle-même est, sous la dictature, partie prenante du système répressif et fortement imbriquée à l’appareil politique. Le processus de récupération de son indépendance politique et de son impartialité est loin d’être immédiat, tandis que les nombreux obstacles dressés sur le chemin du juge supposent une certaine pugnacité et surtout, une réelle volonté politique pour être surmontés. Si bien que les sentences condamnatoires sont peu nombreuses et interviennent souvent de longues années après les faits, ce qui implique un travail de recherche loin en aval. En outre l’État espagnol n’a pas, à ma connaissance, impulsé d’enquête publique sur l’existence de la torture pendant la transition qui aurait supposé la reconnaissance de son implication, les violences policières étant, de façon générale, couvertes par le fameux « pacte d’oubli » de la transition. Les autorités de l’époque nient son existence même, comme Martín Villa qui affirme qu’« en [son] temps, non » il n’y en avait pas ou Leopoldo Calvo-Sotelo, qui « pense qu’il n’y a pas eu de torture… » et poursuit : « Quand j’étais président, je n’ai jamais eu conscience que de telles choses se produisaient […]. Il y a aussi beaucoup d’exagération. Pour moi, ce n’était pas un problème ». Au silence officiel s’ajoute celui des responsables de la torture qui n’ont pas fait œuvre d’expiation individuelle ou collective en rendant publique leur expérience, comme cela a été le cas en France ou en Argentine.
48Les seules informations disponibles à ce stade balbutiant de la recherche74 proviennent donc du camp des victimes, dont le supplice est parfois reconnu par les instances judiciaires. Des collectifs locaux se mobilisent dans la lutte contre la torture et effectuent des enquêtes. Mais ces collectifs sont pour la plupart accaparés par les milieux abertzales, fortement intéressés à dénoncer le système répressif de l’État à des fins politiques. Les Gestoras pro-amnistía, Miguel Castells, Eva Forest, les revues Punto y Hora ou Egin publient des monographies sur la question75, dans une perspective si évidemment politisée que les informations diffusées sont à considérer avec une grande précaution. Plus encore, l’une des tactiques de défense de plus en plus couramment employée au cours de la transition par les etarras interpellés consiste à porter plainte pour mauvais traitement, afin d’interrompre la mise au secret des détenus, d’invalider la légalité de la garde à vue voire d’annuler l’inculpation postérieure. Un député de l’UCD fait ainsi référence au Congrès dès 1981 au manuel « Kemen 21 », utilisé par les commandos de l’ETA, qui recommande d’adopter la posture suivante en cas d’interpellation :
Une fois faite la déclaration, ils te la donnent pour que tu la lises et la signes, si tu es d’accord. Quand ils en ont fini avec toi, ils te rendent tes affaires personnelles, ils t’emmènent au tribunal avec une bonne escorte et là, le juge te demande si tu as connaissance de la déclaration que tu as signée et si tu veux qu’il te la lise — il a obligation de le faire — et si tu ratifies ce que tu as dit. Tu dois répondre. Ici, il faut tout nier arguant que tu l’as signée sous la torture et présenter la plainte correspondante76.
49Le gouvernement socialiste évoque à son tour ce problème en 1984 dans une réponse au rapport d’Amnesty International :
Il convient de préciser que porter plainte pour tortures ou mauvais traitements est une pratique habituelle et systématique des groupes terroristes, comme moyen d’interrompre la mise au secret de ses membres et gêner l’enquête policière. […] Normalement, ces plaintes sont déposées, y compris sans avoir rendu visite au prisonnier qui est tenu au secret en application de la loi antiterroriste77.
50Dans le même document, le gouvernement examine de façon critique les chiffres fournis par une revue basque, révélant certaines astuces employées pour gonfler les estimations — répétition d’un même nom à plusieurs reprises, prise en compte des plaintes « préventives » déposées au cas où78 — ainsi que la simultanéité temporelle suspecte entre la croissance du nombre de plaintes déposées et la publication du rapport annuel d’Amnesty afin de générer une vague de sympathie à l’égard des martyrs de la « répression ». Si les associations de défense des droits de l’homme, l’APDHE et Amnesty International79, sont celles qui fournissent les travaux les plus sérieux sur la question — elles-mêmes procèdent à des enquêtes de terrain au cours desquelles elles confrontent les témoignages et parviennent à établir quelques certitudes —, elles aussi ont recours aux informations recueillies par les collectifs précités, qui sont leur source principale de renseignement. L’incertitude règne donc sur le crédit à apporter sur ceux qui dénoncent l’emploi de la torture pendant la transition, y compris du côté des victimes de la dictature. Ainsi pour Sartorius, si l’emploi de la torture était « systématique » sous le franquisme, ce n’est plus le cas pendant la transition, sujette seulement à des « épisodes de torture dans certains centres ». Quant à la torture systématique à laquelle seraient soumis les terroristes de l’ETA, il pense que « ce n’est pas vrai », avant de se reprendre, « je ne sais pas […], je crois qu’il y a une partie de vrai […] mais si c’était systématique ou non, si c’était général ou seulement dans des cas concrets, je ne peux pas te le dire »80.
51Lever définitivement ces doutes requiert un travail d’enquête minutieux dont il n’était pas question ici. Face à ces difficultés et en l’absence de recherches académiques sérieuses, il a donc fallu débusquer la réalité historique parmi ces discours partisans, entre d’un côté la négation ou l’euphémisation de la torture par l’État et de l’autre, son exagération abertzale. C’est à travers les chemins sinueux du dévoilement public de la torture que l’on peut espérer aborder la réalité d’un phénomène et dégager quelques pistes d’interprétation. Ce dévoilement impressionniste d’une pratique largement ignorée, qui affleure au gré des scandales et des mobilisations publiques, s’opère en trois temps bien distincts.
LA TORTURE, INSCRITE DANS LE SYSTÈME RÉPRESSIF DE LA DICTATURE
52Les sous-sols du bâtiment de la DGS, Puerta del Sol à Madrid, les cellules du commissariat de la Via Laietana de Barcelone ou les geôles des casernes de La Salve à Bilbao et d’Intxaurrondo à Saint-Sébastien, sont tristement célèbres pour les interrogatoires musclés qui s’y sont déroulés, menés par les agents de la BPS ou du SIGC (Service de renseignements de la Garde civile)81. Nicolás Sartorius, arrêté à plusieurs reprises dans le second franquisme et que j’ai interrogé sur le sujet, n’a pas souhaité s’étendre sur un « thème qui ne [lui] plaît pas » tant il lui rappelle des souvenirs douloureux. Pour lui la torture était « systématique »82. Le rapport d’Amnesty International publié en 1973 dans le cadre de la campagne mondiale pour l’abolition de la torture lancée en 1972, affirme que la torture était en Espagne une pratique « répandue, courante et virtuellement autorisée », d’une intensité inégale dans le temps — les périodes d’état d’urgence constituant un pic en la matière83. Bien qu’une certaine mobilisation de la société civile depuis la grève des mineurs d’Asturies en 1963 ait placé le régime dans une situation incommode84 et ait conduit les tribunaux à retenir à quatre reprises les accusations portées contre des inspecteurs de police, les témoignages de mauvais traitements ne cessent pas pour autant. L’état d’urgence de 1975 est même le prétexte à une ultime recrudescence de la torture au Pays basque, comme le constate Amnesty International qui y envoie une mission en juillet pour enquêter sur la gravité de la situation. L’organisation conclut à l’existence de preuves certaines de tortures sur 45 personnes, et crédibles et convaincantes sur au moins 250 Basques, au cours des interrogatoires destinés non seulement à démembrer l’ETA, mais aussi à intimider le reste de la population pour l’éloigner du militantisme85.
53Alejandro Diz, membre du FRAP, est arrêté en août 1973, peu après les premières actions terroristes du groupe. Il raconte son passage dans les cachots de la DGS, où il est « interrogé » par Roberto Conesa et Juan Antonio González Pacheco alias « Billy el Niño », les « superagents » de la BPS entre les mains de qui passent la plupart des prises de choix, comme les inculpés du procès de Burgos en 1970. De cette expérience « kafkaïenne » il retient « les cachots lugubres, la perte indéfinie de la notion du temps, le silence obsessionnel qui est brisé en permanence par le ton lancinant de la voix du gardien appelant aux interrogatoires, ou par le sadique bruit nocturne des verrous ». Les détenus emmenés à la Puerta del Sol étaient convaincus « qu’[ils] sortiraient de là ou “les pieds en avant” ou, dans le meilleur des cas, en très mauvais état », rapporte-t-il86, témoignant de la sinistre réputation du bâtiment situé en plein cœur de Madrid. Les méthodes employées ne visaient généralement pas la mort des détenus et étaient peu sophistiquées. Les coups frappés à mains nues, au pied ou à l’aide de divers instruments (barres de fer, matraques, armes coupantes) étaient les plus courants, assénés parfois tour à tour par chacun des agents présents (la « roue ») ; parfois selon la méthode dite de « la salle d’opération » qui consiste à allonger le détenu sur une table, sur le dos, la moitié supérieure du corps en dehors de la table, et à le frapper sur les pieds ou sur le haut du corps afin de heurter la colonne vertébrale contre la table. Les pieds sont des points sensibles privilégiés par les tortionnaires — arracher les ongles, brûler les orteils à coups de cigarettes ou infliger la technique du « canard » qui consiste à faire marcher le détenu accroupi les mains menottées derrière la nuque, provoquant à la longue des irritations insoutenables aux pieds. Suspendre la victime par les pieds ou des menottes et la rouer de coups était aussi une méthode couramment pratiquée, tout comme le supplice de la « baignoire » qui consiste à plonger dans de l’eau glacée et putréfiée la tête du détenu de façon répétée. La « barre » consiste pour sa part à suspendre le détenu, accroupi et menotté, à une barre de fer qu’on lui glisse sous les genoux : la victime est balancée, la tête en bas, en proie à d’indicibles douleurs sans risque de lui rompre les os. À ces blessures physiques, il convient de rajouter les souffrances psychologiques qui réduisent à néant la résistance des détenus : manque forcé de sommeil, simulacres d’exécutions, menaces sexuelles et affectives, entretien constant de la peur des interrogatoires par la technique du « verrou » évoquée par A. Diz. Les séances d’interrogatoire ne duraient pas au-delà de la durée maximale imposée à la garde à vue soit, rappelons-le 3 jours en temps normal et 10 jours en temps d’exception.
54De telles pratiques, qui sont partie intégrante du système répressif franquiste, semblent perdurer au cours de l’année 1976, qui est aussi celle de leur dévoilement.
a) 1976, l’année du dévoilement
55Certaines affaires de torture éclatent alors au grand jour et provoquent trois campagnes publiques successives de protestation.
56La première est restée dans les mémoires comme « le cas Téllez », rendu public grâce à la puissance mobilisatrice du PSUC auquel la victime appartient87. Trois militants des CC.OO. sont arrêtés en décembre 1975 en Catalogne pour agir en tant que piquets de grèves dans un conflit social, ils sont emmenés à la caserne de la Garde civile de Badalona où ils sont maintenus pendant trois jours au secret en vertu du décret-loi antiterroriste d’août 1975. Accusés de troubles de l’ordre public, ils sont soumis à des interrogatoires qui ont pour véritable objectif de démanteler l’appareil de propagande des CC.OO. et du PSUC dans la province. Torturés, ils finissent par signer les déclarations que leur présentent les gardes civils. Francisco Téllez Luna est celui qui sort dans le plus mauvais état, si bien qu’à sa sortie de la caserne, le juge l’envoie à l’hôpital de Barcelone où il reste en soins intensifs pendant plus de 15 jours. Ses compagnons sont transférés à la prison Modelo, ils y restent peu de temps car ils bénéficient d’une mise en liberté provisoire sous caution. Grâce à l’influence du PSUC et à la puissance de ses réseaux, les mésaventures de Téllez et de ses camarades, banales en ces temps troublés du franquisme, sont érigées au statut de scandale public. La mobilisation locale est massive et plurielle, pendant qu’une intense campagne de presse est menée au niveau régional. Son efficacité repose pour beaucoup sur l’impact des photos de la victime prises à l’hôpital. L’hebdomadaire Cambio 16 parvient à contourner la censure et à publier l’une de ces images, qui montre un corps nu tuméfié gisant sur un lit d’hôpital88.
57Il faut attendre ensuite le mois de mai pour que la dénonciation de la torture soit l’objet d’une campagne de presse nationale et plus massive. La protestation est cette fois enflammée par le cas d’Amparo Arangoa, une jeune syndicaliste de 24 ans, détenue en avril 1976 par des gardes civils et dont l’interrogatoire pendant cinq jours à la caserne de Tolosa (Navarre) l’a conduite à l’hôpital. Sa famille porte plainte, Cambio 16 publie une photo en couleurs du corps de la jeune femme, dont les cuisses apparaissent rouges et gonflées des coups reçus89. Cette exposition publique de ce qui se passe réellement dans les salles d’interrogatoire incite d’autres victimes à témoigner et à protester. C’est le cas de mères de détenus proches de l’ETA, qui dénoncent auprès de Cambio 16 le traitement réservé à leurs enfants dans les commissariats et casernes du Pays basque90. Ángel Echániz, nationaliste radical et propriétaire du « Club 34 » attaqué à plusieurs reprises par des groupes d’extrême droite, interpellé en avril 1976, fait à son tour part des tortures qu’il a subies pendant cinq jours dans le commissariat de Saint-Sébastien91. Encouragés par ce témoignage, d’autres détenus dans le même commissariat racontent ensuite leurs supplices.
58Les dénonciations font ainsi boule de neige, relayées par la presse et par des associations civiles. Pax Christi, mouvement catholique pacifiste, remet en mai 1976 à la presse un dossier sur la torture édité, pour la première fois depuis 1939, légalement. Y figurent la déclaration de Téllez et le récit d’une autre victime, José María Gil Martínez, secrétaire d’une association de quartier de Barcelone92. C’est au Pays basque que la mobilisation est la plus massive. Tandis que les plaintes déposées auprès des tribunaux de la région se multiplient, un groupe d’avocats basques porte à la connaissance des médias un dossier révélant les tortures infligées à une trentaine de prisonniers, prouvant ainsi que « le cas d’Amparo Arangoa n’est pas un fait isolé ». Le collège des architectes basco-navarrais fait parvenir au roi un document rédigé par les associations pro-amnistie de la région et alertant sur la profusion des tortures, pendant que les évêques du Guipúzcoa condamnent publiquement leur emploi93. Enfin, le premier procès public d’un tortionnaire se déroule en juin à Tenerife. Il s’agit du procès de José Matute Fernández, ex-chef de la BPS de Santa Cruz de Tenerife et tortionnaire de renom, qui se solde par une condamnation. Matute est condamné pour avoir torturé fin 1975 un étudiant de la LCR, Julio Manuel Trujillo94, mais pas pour avoir provoqué la mort d’un ouvrier et avoir maquillé sa mort en suicide95. Pourtant les preuves ne manquaient pas, tant du côté médical — l’autopsie, sans appel — que des témoignages, certains gardes civils témoins des faits ayant fait savoir leur indignation, subissant en retour des menaces de la part de Matute et de ses acolytes.
59À l’automne, une troisième vague de dénonciation correspond à la tenue de deux procès à Barcelone contre des fonctionnaires de la BPS, finalement condamnés à quelques jours d’arrêt96. Face à ces campagnes de dénonciation, la réaction gouvernementale est double. D’un côté il est contraint de faire amende honorable : Antonio Garrigues, ministre de la Justice, déclare à Bruxelles que le gouvernement espagnol condamne la torture qui, si elle existe, est réduite à des « cas isolés qu’on ne peut imputer à l’ensemble des corps [de sécurité], dont [il] veut ici maintenir expressément l’honneur »97. Les autorités militaires, contraintes, procèdent à la mutation du capitaine de la Garde civile de Tolosa dans le cadre de l’affaire Amparo Arangoa et ouvrent une instruction judiciaire. D’un autre côté, le gouvernement essaie de contenir cette explosion médiatique qui discrédite à l’étranger les velléités réformatrices de l’État, en renforçant la censure. Le ministre de l’Information et du Tourisme déclare que la torture est une « matière réservée », c’est-à-dire secrète et interdite à la publication, afin de garantir, selon le procureur général du Tribunal suprême, « le secret des actions judiciaires et l’indépendance des tribunaux de justice dans l’accomplissement de leur mission »98. Garrigues affirme qu’« on ne peut admettre le terme de « tortures » tant qu’on ne démontre pas judiciairement leur existence »99. Comme pour confirmer ces dires, la Direction générale de la Garde civile ouvre un dossier à l’encontre de Cambio 16, pour les prétendus délits d’insultes ou de calomnies envers les Forces armées, tandis que le directeur de l’hebdomadaire est appelé à déclarer devant le TOP100. La revue Cuadernos para el Diálogo voit pour sa part censuré un numéro spécial qu’elle prétendait consacrer à la torture. Seuls subsistent la couverture qui représente des hommes debout les yeux bandés et les mains menottées dans le dos, sous le titre rouge de « Tortura » (fig. 1, p. 360), ainsi que l’éditorial intitulé « Torture et mauvais traitements »101.
b) Recrudescence de la torture ou effet d’annonce ?
60Les interprétations dominantes alors en Espagne consistent à voir en ces révélations publiques les signes d’une augmentation réelle du phénomène depuis la mort de Franco, à l’image de la revue Cambio 16 qui estime que « la torture, qui paraissait avoir été chassée de la vie civique du pays dans ces dernières années […], a refait son apparition sur des cas isolés mais significatifs »102. Que les plaintes se soient multipliées ne signifie pour autant pas que les cas de torture eux-mêmes se soient propagés, sinon que le contexte est plus propice à leur dévoilement. La disparition du dictateur, la forte mobilisation sociale du premier semestre 1976, les signes d’une ouverture imminente sont autant de facteurs qui encouragent la dénonciation des crimes de l’appareil répressif franquiste. Les craintes de représailles diminuent tandis qu’augmente l’espoir de voir sa cause reconnue auprès des tribunaux et d’obtenir éventuellement la condamnation de son bourreau. Dans ce contexte, la dénonciation de la torture ne constitue qu’un aspect d’une poussée contestataire qui vise l’ensemble des structures répressives du franquisme dont on réclame le démantèlement103.
FIG. 1. — « Torture », couverture de Cuadernos para el Diálogo, 162, 5 juin 1976 © Juan Genovés, Seis jóvenes, VEGAP, Madrid, 2012
[IMAGE PROTÉGÉE. NON REPRODUITE DANS LA VERSION ÉLECTRONIQUE]
61Aux effets d’annonce s’ajoutent les enjeux politiques, dont témoigne la position ambiguë d’Amnesty International. L’association apparaît en effet contrainte par les enjeux diplomatiques qui lui imposent d’accorder un certain répit à un État espagnol à peine remis de la mort de son dictateur. Amnesty avait ainsi interrompu début 1976 sa campagne contre la torture à destination des touristes britanniques, comme signal de la bonne foi accordée aux prétentions libéralisatrices de Manuel Fraga du temps où il était ambassadeur à Londres104. De même son rapport officiel de 1977 commence par louer les efforts menés par Suárez pour « convertir l’Espagne en un État pleinement démocratique dans le temps le plus bref possible »105. Tiraillée entre ces tensions divergentes, l’organisation renoue sa campagne contre la torture tout en euphémisant son existence. Si la torture était indiscriminée sous le franquisme, elle serait désormais ciblée envers les groupes politiques de gauche106 et laisserait la place à un traitement policier « systématiquement brutal et dégradant »107, formule qui tend à adoucir la gravité des faits.
62Il faut donc considérer avec précaution ce surgissement de la torture dans l’espace public en 1976, qui obéit plus à des impératifs politiques qu’à la réalité du terrain.
1977-1978 : VERS LA DISPARITION DE LA TORTURE ?
63Après la vague de dénonciations de l’année 1976, les années 1977-1978 constituent un creux relatif. La torture n’est plus l’objet de campagnes publiques de l’ampleur des précédentes, les journaux ne se font que ponctuellement l’écho de plaintes déposées. Pour l’hebdomadaire communiste Mundo Obrero, qui consacre un long article à la torture en décembre 1980, « pendant un certain temps, il a semblé que la torture avait disparu. En 1977 et en 1978, les plaintes pour tortures ont été très sporadiques »108. Amnesty International partage ce diagnostic dans son rapport de 1978, les dossiers de plainte « ne semblant pas suggérer que la torture soit utilisée de façon systématique »109. La torture aurait donc progressivement disparu des interrogatoires.
a) La pause de l’année 1977 : leurre ou réalité ?
64Pourtant, les statistiques fournies précédemment montrent que l’année 1977 est riche en arrestations de type politique110. Si les prisons se sont vidées à la faveur des mesures d’amnistie, les cellules des commissariats et des casernes n’ont pas désempli. La « Semaine noire » de janvier 1977 s’est ainsi prolongée par une vague d’arrestations dans les milieux radicaux qui, au regard de la tension régnante et des dispositifs d’exception mis en place, a sans aucun doute donné lieu à des interrogatoires musclés. Amnesty fait d’ailleurs mention de tortures infligées à des anarchistes arrêtés à Barcelone en février111. S’il est vrai que l’ETA et les GRAPO sont moins actifs en 1977 que par la suite, leur élan meurtrier est plus intense qu’en 1976, maintenant la pression terroriste à un niveau non négligeable. En outre, la suppression de la BPS n’a pas impliqué l’élimination de ses agents ni de ses fonctions. Elle a simplement changé de dénomination, pour s’appeler désormais le « Commissariat général au renseignement »112, dans lequel les ex político-sociales continuent d’exercer leurs fonctions. D’ailleurs, le drame de la mort en prison d’Agustín Rueda en mars 1978113 vient rappeler à l’opinion publique que la torture n’a pas disparu. Néanmoins, ce qui frappe dans ce drame, c’est qu’il ne suscite pas de campagne massive de mobilisation ni un intérêt sensible de la part de l’opinion publique. Si l’on vient à mentionner l’affaire, c’est à cause de l’assassinat de Haddad, directeur général des Institutions pénitentiaires, tué par les GRAPO pour venger la mort de Rueda. Comment expliquer ce silence, pour le moins surprenant au regard de la forte mobilisation de l’année 1976 ?
65La première explication réside dans la qualité de la victime : Rueda est un anarchiste et la capacité de mobilisation de la CNT est bien moindre que celle du PSUC du temps de l’affaire Téllez. La gauche socialiste et communiste, majoritaire et la seule représentée au Parlement, ne trouve à ce moment du processus de transition aucun intérêt politique à se solidariser avec les revendications d’une extrême gauche marginalisée du jeu politique. Les protestations sont donc limitées à quelques pages dans la presse nationale, à l’intervention personnelle de sénateurs catalans pour obtenir que la commission du Sénat spécialisée dans les établissements pénitentiaires enquête sur l’affaire114, à quelques manifestations convoquées par la CNT à Barcelone, à une grève générale dans le village natal de la victime, Sallent, et à une grève de la faim menée par quatre anarchistes incarcérés115. Martín Villa, alors ministre de l’Intérieur, affirme même ne pas se souvenir de l’affaire116. Signe que les temps ont néanmoins changé depuis 1976, les fonctionnaires de la prison de Carabanchel impliqués sont inculpés, incarcérés provisoirement dans la prison de Ségovie, licenciés et postérieurement jugés.
66Mais surtout, ce qui est en cause dans ce mutisme global, c’est la conjoncture politique qui a profondément changé par rapport à l’année précédente. Après la confrontation de l’année 1976, le temps est à l’apaisement. Les priorités de l’opposition ont subi un déplacement essentiel de la critique systématique de la politique du gouvernement à la négociation du texte constitutionnel, si bien que la dénonciation de la torture passe au second plan. Que la torture puisse continuer à exister est une hypothèse qui vient heurter de plein fouet les efforts réalisés pour la légitimation de la réforme démocratique, elle est donc plus que jamais malvenue. De fait, la torture est quasiment absente des débats parlementaires de ces années-là. Reléguée en dehors du débat démocratique, elle ne transparaît qu’à la marge des débats qui portent sur la politique répressive du gouvernement, la torture apparaissant alors comme un élément de plus qui conforte la nécessité de réforme du système répressif. En outre, l’arrivée du gouvernement Suárez a, on l’a vu, ouvert le pas à l’émancipation des droits et libertés ainsi qu’au démantèlement d’une partie de l’appareil répressif. Son symbole le plus sombre, la BPS, est ainsi supprimé dès le 29 octobre 1976117, suivi en janvier 1977 par la disparition du TOP. Ces mesures de pacification, qui culminent avec l’amnistie d’octobre 1977, auraient eu une influence notoire sur le déclin de la torture, d’autant qu’elles s’accompagnent d’une condamnation officielle de son usage.
b) L’engagement gouvernemental à combattre la torture
67Gage de son entrée résolue dans le camp des nations démocratiques, L’Espagne ratifie en effet les textes internationaux qui condamnent la torture. Dès le mois d’avril 1977, elle signe le Pacte international des droits civils et politiques, élaboré en 1966 et dont l’article 7 stipule que « personne ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », pendant que l’article 10 garantit l’intégrité des prisonniers — « toute personne privée de liberté sera traitée humainement et avec le respect dû à la dignité inhérente à l’être humain »118. En octobre 1979, l’Espagne souscrit à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales de 1950, dont l’article 3 stipule que « personne ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains et dégradants », y compris « en cas de guerre ou d’autre danger public qui menace la vie de la nation » (art. 15.2°). Les particuliers disposent ainsi de la possibilité de présenter un recours auprès d’une Commission qui, une fois épuisés tous les recours internes, peut porter l’affaire auprès du Tribunal européen119. Le gouvernement socialiste poursuit cette démarche et ratifie sans hésiter les nouvelles conventions produites sur le sujet. En février 1985, il souscrit à la Convention contre la torture et autres traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants, établie par les Nations Unies en décembre 1984 ; et en avril 1989 il ratifie la Convention européenne pour la prévention de la torture, adoptée en 1987.
68À ces engagements internationaux s’ajoute, sur le plan intérieur, une reconnaissance du délit de torture dans la législation. Un pas décisif est franchi par la loi de juin 1978 qui introduit l’article 204 bis au Code pénal, qui sanctionne « l’autorité ou le fonctionnaire public » qui, « au cours d’une enquête policière ou judiciaire et dans le but d’obtenir une confession ou un témoignage », dans le traitement des prisonniers ou au cours d’un interrogatoire, commet un homicide, inflige des blessures, ou profère des pressions ou des menaces qui « l’intimident ou violent sa volonté ». La loi prévoit également de sanctionner « l’autorité ou fonctionnaire qui, manquant aux devoirs de sa fonction, permettent que d’autres personnes exécutent les faits » précités120. Pour les socialistes à l’origine du texte121, il s’agit d’en finir « totalement » avec la torture et de montrer au monde qu’après avoir ratifié la Déclaration des droits de l’homme, « nous transposons dans le Code pénal la persécution de la torture et des tortionnaires »122. Pour le parti au pouvoir, l’UCD, c’est là l’occasion de donner un signal fort à l’opinion publique, intérieure et extérieure, de sa bonne foi démocratique. Il abreuve ainsi les débats parlementaires de déclarations grandiloquentes sur l’entrée de l’Espagne dans l’ère des droits de l’homme et de la civilisation. « Nous voulons […] éradiquer de notre vie et de nos coutumes, et de l’action de nos tribunaux, de nos policiers et de toutes les personnes chargées de l’ordre ou de la garde de la société, tout type de violences et de tortures » que « toute conscience humaine civilisée doit réprouver » déclame le député centriste en charge du projet. La reconnaissance légale de la torture constitue aussi pour le gouvernement l’opportunité de se démarquer du passé répressif franquiste en en condamnant indirectement les excès. « L’UCD et ses députés ne veulent être, à aucun moment, accusés de tortionnaires », poursuit le député centriste qui affirme réprouver sans appel « ces conduites antérieures »123. La loi est ainsi approuvée à l’unanimité124.
69Néanmoins, le texte final ne comporte pas le terme de « torture ». Il se réfère à des conduites déjà définies dans d’autres articles du Code pénal, stipulant qu’elles seront sanctionnées de façon spécifique quand elles sont commises par des fonctionnaires publics. La teneur de l’article 204 bis est fortement critiquée par nombre de juristes, pour être mal rédigé, pour restreindre son domaine d’application au cadre de l’enquête policière, de la prison ou de l’interrogatoire, et pour ne pas distinguer de façon suffisamment précise les échelles de gravité de l’action, entre mauvais traitements et tortures125. Pour d’autres, le bilan historique de la loi de 1978 est positif par son effet pédagogique. Elle aurait donné un signal politique fort que la démocratie espagnole n’était pas prête à être permissive avec les mauvais traitements infligés par ses fonctionnaires. Elle aurait ainsi joué un rôle important dans la prise de conscience que la torture était un acte intolérable dans le système de valeurs désormais imposé126. D’ailleurs la Constitution de 1978 reconnaît peu après l’illégitimité absolue de la « torture » dans l’article 15 qui abolit également la peine de mort : « Tous ont droit à la vie et à l’intégrité physique et morale, sans que, en aucun cas, ils ne puissent être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». L’interdiction, qui résulte de l’affirmation d’un droit fondamental, est donc un impératif éthique absolu qui n’est plus limité au cadre policier, judiciaire ou pénitentiaire.
70Pour être efficace, cette interdiction normative doit néanmoins être développée dans les règlements administratifs. Si la loi sur les prisons de 1979 se contente de stipuler qu’« aucun prisonnier ne sera soumis à des mauvais traitements, en mots ou en acte »127, le règlement pénitentiaire de 1981 introduit clairement le terme de « torture »128. En revanche, les règlements policiers rechignent à y faire explicitement référence. Les principes d’action établis en 1981, déjà évoqués, précisent seulement, de façon générique, qu’ils « doivent éviter de commettre des délits », « s’opposer à toute action qui comporte la violation » des lois, « empêcher, dans l’exercice de leurs fonctions, toute pratique abusive, arbitraire et discriminatoire », et « veiller à la vie et à l’intégrité physique des personnes interpellées ou qui se trouvent sous leur surveillance, préservant toujours leur honneur et leur dignité »129. La loi socialiste sur les forces de police de 1986 reste tout aussi évasive130. C’est la police autonome basque qui, la première, reçoit comme ordre explicite de ne pas infliger de tortures. Son Code déontologique, qui date de 1983, précise que « la torture et tout autre traitement inhumain ou dégradant, sont interdits quelles que soient les circonstances »131.
71Erigée en conduite immorale et anticonstitutionnelle, la torture n’est donc clairement interdite dans les règlements administratifs que de façon inégale : les prisons sont des lieux d’où elle est bannie, mais le flou règne encore sur les interrogatoires policiers. La volonté politique d’éradiquer la torture, si unanimement exprimée au moment de la ratification des pactes internationaux et de la réforme de 1978, n’est pas aussi ferme que les discours le laissent supposer. De la même façon, l’hypothèse d’une modération de la torture dans les casernes en 1977-1978 est suspecte au regard des enjeux politiques qui poussent alors plus que jamais à taire son existence. De fait, à partir de la seconde moitié de l’année 1978, un troisième temps dans l’histoire de la torture est amorcé, directement lié cette fois aux enjeux posés par la lutte antiterroriste.
À PARTIR DE 1979, LA TORTURE RESURGIT À LA FAVEUR DE LA LUTTE ANTITERRORISTE
72À partir de 1979, la torture revient sur le devant de la scène publique.
a) 1979-1980, le second dévoilement
73Les plaintes sont en constante augmentation, Amnesty International en fait le constat dans ses rapports et une mission mandatée en octobre 1979 conclut à l’existence avérée de tortures à Madrid, Barcelone et Bilbao132. À l’origine de ce second dévoilement, se trouve la mobilisation de la communauté abertzale, mise en danger par la décision du gouvernement français d’annuler le statut de réfugié octroyé jusqu’alors aux résidents basques en France133. L’affaire qui met le feu aux poudres concerne une dizaine de militants d’HB arrêtés par la brigade de Conesa, accusés de collaboration avec l’ETAm, inculpés par l’Audience nationale puis remis en liberté provisoire sans aucune charge à leur encontre, après dix jours de garde à vue. Ils portent alors tous plainte pour mauvais traitements, encouragés par le rapport du médecin légiste qui a diagnostiqué la fracture de deux côtes ainsi que la présence de sang dans les urines de Julián Ginés134. L’engrenage des dénonciations est ainsi lancé, il ne cessera plus jusque bien après la fin assignée à notre travail. Avocats, associations civiles de l’entourage abertzale, Gestoras pro-amnistía en tête, milieux ecclésiastiques, revues et intellectuels basques se mobilisent désormais sans relâche pour dénoncer l’existence de tortures pendant les interrogatoires et dans les prisons. Bandrés, député d’EE, porte les plaintes des nationalistes basques au Congrès des députés de façon réitérée. Les milieux basques sont parfois soutenus par le reste de l’opposition, tandis que les plaintes sont ponctuellement accréditées par les associations de défense des droits de l’homme. Nombre d’entre elles font l’objet d’une instruction judiciaire, d’une inculpation voire d’une condamnation.
74Une étape décisive est franchie à l’automne 1979 avec l’affaire de la prison d’Herrera de la Mancha, établissement de haute sécurité vers lequel sont envoyés les terroristes de l’ETA. Une plainte collective est présentée en septembre au procureur général, qui dénonce les mauvais traitements subis par les prisonniers depuis leur arrivée : bastonnades systématiques, intimidations mais aussi régime d’isolement graduel aux effets psychologiques néfastes, entraves posées aux visites des familles et des avocats. Une enquête judiciaire est ouverte, suivie d’une enquête administrative engagée par le ministre de l’Intérieur Ibáñez Freire135. Bandrés prend le relais de la mobilisation en relatant, dans une lettre adressée au ministre, les tortures infligées à deux prisonniers basques à Saint-Sébastien. Selon Eva Forest, c’est avec cette lettre que « le problème de la torture a surgi dans la rue et s’est transformé […] en foyer de l’attention générale »136. Le lendemain plusieurs familles de prisonniers de l’ETA portent plainte à leur tour, suivies par une vingtaine d’autres quelques jours plus tard. Les avocats Castells et Reizábal présentent à la presse une liste de 56 personnes qui ont récemment porté plainte137. À la fin du mois, la revue Punto y Hora de Euskal Herria publie un numéro spécial consacré à la torture138. La couverture reprend partiellement celle de Cuadernos para el Diálogo censurée en 1976 : un individu tête baissée, les yeux bandés, les mains attachées dans le dos domine le titre « Toujours la torture ». La revue établit une liste des plaintes déposées devant les tribunaux ou des dénonciations faites à la presse depuis janvier 1978 : près de 80 personnes sont concernées entre Madrid et le Pays basque. L’éditorial est sans appel : « on torture et on va continuer à torturer. […] La torture ne s’éteint pas. Ni les tortionnaires. […] Toujours la torture. La terrible et maudite torture »139. Eva Forest en déduit qu’elle « n’est pas un phénomène isolé […] mais est la conséquence d’un système qui la rend possible » et l’inscrit « dans les méthodes habituelles des interrogatoires »140.
75La polémique est telle qu’elle contraint le gouvernement à réagir, par la négation. Il charge l’École de médecine légale d’étudier les photos du corps blessé de Mikel Amilibia transmises par Bandrés. L’institut rejette l’éventualité que les blessures aient été provoquées par des décharges électriques et suggère une automutilation. Sur la base de ce rapport, le secrétaire d’État à l’Information estime « démontrée la fausseté de si graves accusations », tandis qu’une note du ministère de l’Intérieur conclut qu’il s’agit d’une « campagne pour discréditer les forces de sécurité de l’État »141. Néanmoins, devant l’accumulation des plaintes et l’ampleur prise par la polémique, la proposition de Bandrés de créer une commission parlementaire pour enquêter sur la situation globale des prisonniers au Pays basque reçoit finalement le soutien du PSOE. Sa constitution est approuvée à l’unanimité en décembre 1979142 et ses travaux débutent dès l’année suivante. Une délégation menée par le président centriste de la commission, Gregorio Peláez, visite en mai 1980 la prison de Carabanchel à Madrid. Six prisonniers font le récit des tortures qui leur ont été infligées et montrent aux députés les traces de leurs blessures. Sánchez Montero, du PCE, affirme avoir été « impressionné de voir comment les organes génitaux de l’un d’entre eux présentaient — presque 10 jours après être entré dans la prison — une boursouflure démesurée ». Peu après, la commission visite la prison de Herrera de la Mancha et Peláez est forcé de reconnaître qu’« on y avait pratiqué des mauvais traitements »143. Néanmoins son parti bloque par la suite les travaux de la commission, dont la composition est par trois fois modifiée avant d’être dissoute, sans que les résultats de ses investigations ne soient jamais présentés devant le Congrès144.
76Mundo Obrero, l’organe du PCE, publie à son tour, en décembre 1980, un article de fond intitulé « Avalanche de plaintes : la torture continue ». Entre juin 1979 et octobre 1980, le journal estime qu’au moins 60 détenus ont vu leur plainte acceptée par les juges, pour avoir été maltraités par des agents de l’État au cours de leur garde à vue. Un collectif de 27 avocats basques fournit quant à lui le chiffre exorbitant de plus de 300 personnes par mois qui reçoivent des mauvais traitements pour motif politique au Pays basque, à la fin de 1980145. « On pratique la torture trop fréquemment », conclut l’article, « il n’y a aucun pays d’Europe dans lequel, dans une période d’environ un an, il se soit accumulé autant de plaintes devant les tribunaux »146. L’ampleur du problème est telle qu’Amnesty International invective directement le gouvernement en lui transmettant officiellement en septembre 1980 le rapport de sa mission de l’année précédente. Il faut dire qu’un autre détenu, José España Vivas, vient de décéder suite à un interrogatoire mené dans les sous-sols de la Puerta del Sol, dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du général Briz Armengol. Les parlementaires de l’opposition interpellent le ministre de l’Intérieur sur l’affaire, mais sans grande conviction : d’une part l’autopsie conclut à une mort naturelle — aucune trace de coups n’étant visible, le détenu serait mort d’un arrêt cardiaque provoqué par l’explosion d’un kyste au foie —, d’autre part José España est un terroriste présumé des GRAPO147. De façon générale, le gouvernement persiste dans la stratégie du silence et de la négation. Amnesty ne reçoit aucune réponse148 et ce n’est qu’acculé face à l’évidence d’un cas précis que Rosón est contraint de reconnaître pour la première fois dans l’espace du Congrès l’existence de « mauvais traitements »149. Cette timide reconnaissance précède l’éclatement du scandale en 1981, à la faveur de deux affaires qui secouent l’opinion publique.
b) Quand le scandale éclate : les affaires Arregui et Almería (1981)
77José Ignacio Arregui Izaguirre, membre de l’ETA, est arrêté le 4 février 1981 à Madrid avec l’un de ses compagnons de commando, Isidro Etxabe, et interrogé à la DGS. Le 12, il est transféré en urgence à l’Hôpital pénitentiaire où il s’éteint le lendemain. Les médecins décèlent de nombreux hématomes sur tout son corps, une hémorragie interne des poumons et une broncho-pneumonie, qui sont les symptômes classiques de deux formes de torture, la « baignoire » et la « salle d’opération »150. Contrairement au cas de José España, l’émotion populaire est vive et immédiate. Elle résulte en premier lieu de la puissante impulsion de la communauté basque qui manifeste en masse, diffuse l’information, en fait un instrument de propagande et de dénonciation du système répressif de l’État. Plus de 10 000 personnes participent à l’enterrement d’Arregui à Cizurquil et près de 140 prisonniers basques entrent en grève de la faim. La protestation est ensuite relayée au niveau national par l’ensemble de l’opposition politique qui interpelle le gouvernement, accusé d’avoir nié la réalité de la torture et d’avoir laissé faire, jusqu’à ce que survienne le drame151. Le contexte est propice, la crise multiforme de l’année 1980 a culminé avec la démission de Suárez et les tensions politiques sont à leur comble. Bandrés fait même preuve d’une violence verbale inédite lors du débat d’investiture de Calvo-Sotelo, immédiatement postérieur à l’affaire, dans lequel il accuse le candidat d’être du côté des tortionnaires :
Vous savez, ou vous devriez savoir, Monsieur le vice-président actuel, candidat à la présidence, que ce n’est pas un fait fortuit, que ce n’est pas un fait isolé. C’est, ni plus ni moins que la conséquence naturelle de ce que vous avez non seulement toléré, caché et couvert, mais aussi stimulé et félicité (Rumeurs) […]. S’il fallait tracer une ligne qui séparerait les députés présents, je serais du côté des torturés de toujours et vous […] devrez vous aligner avec les tortionnaires de toujours. (Fortes rumeurs et protestations). Et vous comprendrez que nous les torturés ne pouvons pas voter en faveur des tortionnaires152.
78Aux yeux de l’opinion publique, la mort d’Arregui joue le rôle de révélateur de la réalité persistante d’une répression parfois sauvage envers les Basques. Elle démontre aux yeux de tous que la torture existe bien, évacue les doutes qui accompagnaient jusqu’alors les témoignages et confirme soudainement la véracité des dires des collectifs basques et d’Amnesty International. Pour un député catalan, elle est une « douche froide qui secoue à nouveau l’opinion publique du pays », pour le socialiste Peces-Barba elle est une « gifle » infligée à tous, pour Bandrés elle est un « scandale social »153. Si les Espagnols se souviennent aujourd’hui d’un cas de torture pendant la période, c’est de celui-ci qu’il s’agit : le cas Arregui devient le symbole de la persistance de pratiques répressives d’un autre âge.
79Face au scandale, les autorités, après avoir tenté de nier l’événement — le 13 au soir, le directeur général de la Police, déclare à la radio nationale que le détenu n’a jamais été soumis à des mauvais traitements pendant les interrogatoires —, sont contraintes de reconnaître l’irréfutable. Si Rosón se cache encore derrière la sentence de la Justice et l’euphémisation des mots, il affirme que « très probablement, avec une quasi certitude — ce que déterminera l’autorité judiciaire —, il y a eu des mauvais traitements »154. Le directeur général de la Police est destitué pour ses propos, ainsi que le chef de la BRIS de Madrid et le responsable des services sanitaires de la direction. Cinq inspecteurs de police chargés des interrogatoires sont inculpés et condamnés à un mois et demi d’incarcération dans les locaux de la police. Ils sont libérés dès le 25 mars, sous caution155.
80L’intensité du scandale n’empêche pourtant pas une autre affaire sordide de se produire, quelques mois plus tard. Le 8 mai, Luis Montero, Juan Mañas et Luis Cobo louent une voiture pour assister à une première communion à Almería. Un témoin croit reconnaître en eux deux membres de l’ETA, accusés de l’attentat contre le général Valenzuela perpétré la veille à Madrid et dont les photos avaient été diffusées dans la presse. Il avertit la Garde civile. Peu après le lieutenant-colonel Carlos Castillo Quero déploie toutes ses unités à la recherche des etarras présumés. Les corps des trois jeunes hommes sont découverts dans un ravin au matin du 10 mai, calcinés et blottis à l’intérieur d’une voiture. Les circonstances de leur mort sont si confuses qu’elles suscitent une suspicion grandissante. La version officielle transmise par la Garde civile stipule que les trois détenus considérés comme des « terroristes » alors même que leur innocence est vite avérée, lors de leur transfert à Madrid, auraient tenté d’agresser le conducteur de la voiture qui les emmenait. Les gardes civils qui les accompagnaient se seraient alors éjectés du véhicule, pendant que ceux qui les suivaient dans un second véhicule auraient tiré dans les roues de la première voiture qui se serait renversée dans le fossé et aurait pris feu. Rosón parle de « tragique erreur »156. La suite de l’affaire est constituée d’une succession de fausses déclarations et d’irrégularités administratives et judiciaires qui retardent l’éclaircissement des faits. L’ombre du scandale plane jusqu’en 1985, date du second procès en appel des gardes civils inculpés. Finalement, l’instruction démontre que les victimes ont subi toutes sortes de tortures dans la caserne abandonnée de Casasfuertes avant d’être exécutés puis brûlés157.
81Contrairement à l’évidence du cas Arregui, qui a de suite éclaté au grand jour, l’affaire d’Almería témoigne de la chape de silence officielle qui s’est abattue sur les exactions commises par les forces de l’ordre, ainsi que d’une volonté largement partagée d’étouffer le scandale158. Seule l’obstination du Parti communiste permet d’y échapper. En effet dès le 12 mai, les groupes parlementaires socialistes et communistes demandent des explications au gouvernement, le PCE exigeant même la tenue d’un débat en urgence159. Mais alors que l’UCD et le groupe de Fraga tentent de bloquer la procédure160, le PSOE abandonne vite son ardeur initiale161. Seul le PCE persiste et crée sa propre commission d’enquête, formée par des avocats du parti qui procèdent à une minutieuse investigation sur le terrain qui vient conforter les arguments de l’accusation. L’exhumation des cadavres en juillet 1981 et les premiers résultats de l’instruction discréditent alors sans appel la version officielle. Comment expliquer une telle passivité médiatique et politique après l’intense mobilisation du mois de février ? C’est que le contexte politique a changé. À l’affrontement politique aigu de l’année 1980 a succédé un climat d’apaisement national qui s’est emparé de l’Espagne après le choc du 23-F : toute tentative de déstabilisation de la normalisation démocratique est à nouveau malvenue et il n’est plus de bon ton de constater que des comportements inqualifiables persistent parmi les forces de l’ordre. Mais il est aussi une autre raison, qui constitue la clef d’explication de ce troisième temps de l’histoire de la torture dans la transition espagnole : la priorité absolue accordée désormais à la lutte contre le terrorisme.
c) Torture et législation antiterroriste
82Pour les associations de défense des droits de l’homme et l’opposition, la renaissance de la torture est due aux législations spéciales antiterroristes. Amnesty International fait à plusieurs reprises part de ses préoccupations au sujet des mesures successives prises à partir de 1978, perçues comme un « facteur très important dans la soudaine augmentation des plaintes pour torture déposées par des détenus politiques » — c’est encore ainsi qu’Amnesty qualifie les membres présumés de l’ETA162. Les partis politiques basques, qui n’ont pas voté en faveur de ces lois, ont une interprétation similaire du phénomène. Pour le PNV la réapparition de la torture a coïncidé avec l’adoption de la loi de décembre 1978163, tandis que pour Bandrés, la loi de décembre 1980 est une « licence pour torturer »164. Il est plus difficile pour les groupes socialistes et communistes de condamner aussi directement des lois qu’ils ont approuvées, ce qui les exposerait en outre aux accusations de complaisance envers les terroristes. Mais les dispositions qui sont mises en causes sont précisément celles qui avaient suscité leur réticence à l’heure de voter en leur faveur, comme s’ils avaient pressenti les risques qu’elles comportaient.
83En premier lieu, c’est la possibilité de maintenir un détenu en garde à vue et au secret pendant dix jours qui est accusée de favoriser la torture. En effet, quel serait l’intérêt d’une telle prolongation si ce n’est d’intimider le détenu et de le contraindre aux aveux165 ? Un tel soupçon est loin d’être infondé, à en croire les paroles d’un membre du gouvernement qui, interpellé à propos du cas d’un basque torturé au cours des six jours de sa garde à vue en 1979, répond que « si [le détenu] avait été torturé, on aurait épuisé le délai légal de dix jours pour qu’à sa sortie il ne lui reste aucune trace du mauvais traitement, s’il avait effectivement eu lieu »166. À prêcher le faux, le secrétaire d’État à l’Information révèle ici la réalité d’une pratique.
84En second lieu, c’est la mauvaise application de la législation qui est dénoncée, en particulier de la part de l’opposition de gauche qui trouve là l’occasion de faire porter la responsabilité de la torture sur le gouvernement et ses sbires167. C’est notamment l’application insuffisante des garanties censées éviter ces abus qui est dénoncée, à savoir les garde-fous judiciaire (surveillance d’un juge et assistance immédiate d’un avocat) et médical (auscultation médicale obligatoire à la sortie des interrogatoires et à l’entrée des prisons). Le ministère de l’Intérieur est celui qui demande au juge d’instruction de prolonger la garde à vue au secret, sans fournir d’autre argument que les nécessités de l’enquête. Le juge, animé par le désir de collaborer à la lutte antiterroriste, remplit le formulaire de prolongation de façon automatique, sans avoir la possibilité de vérifier concrètement la validité de la demande. De plus, la surveillance judiciaire qui autorise juges et procureurs à rendre visite au détenu, reste une abstraction et, quand elle se produit, elle se heurte souvent à un refus policier. De même, le droit, reconnu constitutionnellement (art. 17.3°), à l’assistance immédiate d’un avocat est purement formel : les socialistes réclament une loi qui en précise les conditions et régule le droit à l’habeas corpus168. Enfin l’examen médical, qui permettrait de prévenir des complications éventuelles et de prouver l’existence de mauvais traitements, est loin d’être systématique. Un pas en avant a cependant été franchi par la diffusion en 1981 d’une circulaire dictée par le procureur général, qui contraint les tribunaux à effectuer un certificat médical avant de prendre en charge les détenus interpellés sous les législations spéciales et, en cas de constat de mauvais traitements, à enquêter sur les faits169.
d) Torture, terrorisme et lutte antiterroriste
85Au-delà de la législation antiterroriste, la relation est étroite entre torture et terrorisme. La seconde vague de dévoilement coïncide avec l’escalade meurtrière de l’ETA et des GRAPO. C’est également l’entourage nationaliste radical qui est à l’origine des campagnes de dénonciation de ces pratiques. De plus, les victimes connues des tortures sont presque toutes des terroristes présumés, etarras en tête. Ainsi, sur les 14 cas étudiés par Amnesty International dans sa mission de 1979, selon le ministre de l’Intérieur 9 sont des membres de l’ETA, 3 du PCE (i) et 2 d’un groupe radical catalan170. On a déjà montré à quel point la tension provoquée parmi les forces de l’ordre par la réalisation d’un attentat pouvait engendrer la brutalité policière. Le général Sáenz de Santamaría, chef de l’État-Major de la Garde civile depuis 1971 et délégué spécial au Pays basque pour coordonner la lutte antiterroriste en 1980, raconte comment les gardes civils de la caserne de la Salve, à Bilbao, révulsés par l’attentat d’Ipaster où l’ETA a assassiné six des leurs, se livrent à des bastonnades rageuses contre les prisonniers présents. « Certains gardes très en colère sont allés dans les cellules et se sont lancés avec furie sur les etarras détenus et en attente de mise à disposition judiciaire. Ils leur ont flanqué des raclées énormes ». Ensuite « les autorités de la Salve ont tenté de cacher et de minimiser [les incidents], que pouvaient-ils faire d’autre ? »171, rapporte le général. José España Vivas ou les trois jeunes d’Almería en ont également fait tragiquement les frais.
86Ce dernier cas montre en outre à quel point la prétendue appartenance de la victime à l’ETA est un facteur clef dans le déclenchement du drame. C’est parce que les individus sont suspectés d’être les responsables de l’attentat contre le général Valenzuela que les gardes civils déversent sur eux leur rage incontrôlée : après tout, selon l’adage populaire, « ils le méritaient bien ». C’est d’ailleurs la ligne de défense maintenue par le lieutenant-colonel Carlos Castillo tout au long de la procédure judiciaire : il considère encore en 1982 que les trois victimes étaient des « terroristes », comme si cette étiquette constituait une circonstance atténuante172. Gutiérrez Mellado, vice-président du gouvernement, ministre de la Défense et militaire modéré, sous-entend la même chose quand, au cours du débat parlementaire sur la mort d’Arregui, il reprend le socialiste Peces-Barba qui a mentionné « Monsieur Arregui » quand il aurait fallu dire « le présumé terroriste Monsieur Arregui »173. Cette intervention spontanée prouve que pour un secteur important des dirigeants et des militaires, l’appartenance à l’ETA est un stigmate qui déshumanise l’individu. Avant d’être un homme, il est un terroriste. On rejoint ici l’analyse précédente qui montrait que progressivement, la perception de l’ennemi, assimilé à partir de 1981 au terroriste de l’ETA, se durcissait jusqu’à le réduire à une bête qui ne mérite plus que d’être chassée et exterminée. Rhétorique qui favorise le développement de comportements de transgression parmi lesquels figure la torture. Les méthodes de lutte se forgent ainsi à l’image de la considération de l’ennemi.
87Enfin, la pratique de la torture est le fait des services spécialisés dans la lutte antiterroriste : les services de renseignement d’un côté — Commissariat général au renseignement et SIGC — et de l’autre, les unités opérationnelles spécialisées, que sont les GEOs (Groupes spéciaux opérationnels) créés par Martín Villa en 1977 au sein de la Police nationale, et les Groupes antiterroristes ruraux de la Garde civile créés par Ibáñez Freire en 1980. Or si la BPS a changé de dénomination, ses agents ont continué à servir dans les forces de l’ordre, et nombre d’entre eux ont été recyclés dans la lutte antiterroriste. Quelques figures sont emblématiques de ce recyclage d’un personnel qui n’a fait l’objet d’aucune épuration. Pami elles, Roberto Conesa, le « superagent », est peut-être le plus connu. Entré dans la police en 1939, il fait ses premières armes dans la lutte contre les guérillas républicaines des maquis du Nord et devient un spécialiste des interrogatoires et de l’obtention d’aveux par la torture, les inculpés du procès de Burgos s’en souviennent. Tortionnaire de renom, il parvient à la fin du franquisme au sommet de la BPS. À la suppression de la « politico-sociale » en 1976, il est nommé à la tête de la Préfecture de police de Valence. Devant les résultats désastreux de la police dans l’affaire Oriol, le nouveau directeur général de la Sûreté, Mariano Nicolás, ex-Gouverneur civil de Valence, fait appel en janvier 1977 à son ancien chef de la police. Celui-ci revient donc à Madrid où il remplace le commissaire chargé de l’enquête. Il parvient à résoudre l’affaire en moins de deux semaines174. Des témoins rapportent leur effroi à découvrir soudainement en couverture de tous les médias le visage de l’homme qui leur avait infligé tant de souffrances des années auparavant175. En mars, Martín Villa le nomme directeur de la toute nouvelle Brigade antiterroriste, les GEOs. Il le félicite en outre de son efficacité au moment de l’affaire Oriol en le décorant de la médaille d’or du mérite policier. En juin, Conesa prend la tête du Commissariat général au renseignement, sous lequel se cache l’ex-BPS. À l’automne 1978, il est envoyé en mission spéciale au Pays basque, à la tête d’une soixantaine de policiers, pour actualiser l’information disponible sur l’ETA. Il procède alors à près de 180 arrestations dans les milieux nationalistes basques, piochant indistinctement parmi les membres actifs ou retraités de l’organisation, leur famille ou les militants de partis éloignés de toute activité terroriste176. En 1979, il souffre d’un infarctus du myocarde et est évincé. Ayant atteint l’âge de la retraite, il se retire alors définitivement de la police.
88Le parcours de Conesa est loin d’être unique. On pourrait citer le cas de Juan Antonio González Pacheco, alias « Billy el Niño », disciple de Conesa à la BPS, agent infiltré au sein du FRAP qui dirige le groupe anti-GRAPO aux débuts de la transition et n’est évincé de la lutte antiterroriste qu’en juin 1981, suite aux nombreuses pressions qui réclamaient sa tête177. Ou celui de José Sáinz, ex-chef de la BPS de Bilbao entre 1970 et 1974 et, selon certains, le « premier commissaire qui théorise la rationalisation de la torture pour combattre le terrorisme »178, qui est nommé sous-directeur de la DGS en juin 1977. En 1978, il est envoyé au Pays basque à la tête de la Préfecture de police de Bilbao, avant d’être nommé premier directeur de la nouvelle Direction générale de la Police en mai 1979, où il reste jusqu’en mars 1980. On pourrait encore évoquer le cas de Manuel Ballesteros, qui remplace Conesa à la tête du Commissariat général au renseignement en 1979, et est lui aussi un ancien de la BPS accusé d’avoir infligé des tortures en interrogatoire. Après avoir succédé à José Sáinz à la tête de la Préfecture de police de Bilbao, il voit sa carrière antiterroriste s’épanouir quand il prend la tête du Commandement unique de lutte contre le terrorisme au Pays basque, le MULA, créé en mars 1981 par Rosón. Le gouvernement socialiste fait de nouveau appel à lui en 1986 : Ballesteros était en effet parti avec ses réseaux d’information personnels laissant le ministère démuni d’informations suffisantes sur l’ETA179.
89L’opposition est consciente de cette continuité problématique, qu’elle dénonce régulièrement au Parlement. Sans réclamer l’épuration des forces de police qui, rappelons-le, est une exigence rendue obsolète par la loi d’amnistie d’octobre 1977, l’opposition se contente de revendiquer le sacrifice de quelques têtes. Ainsi Carrillo réclame toujours en 1981, à l’occasion de la mort d’Arregui, la « démocratisation sérieuse de la direction » de la police et le départ des « tortionnaires de toujours »180 qu’il sollicitait déjà en 1977. Pourquoi les gouvernements centristes n’ont-ils pas répondu à cette demande réitérée de l’opposition ? Selon Martín Villa, ces parcours ascendants s’expliquent par la compétence professionnelle exceptionnelle des membres de la BPS, qui constituraient « la meilleure pépinière professionnelle de notre police ». C’est ce professionnalisme qui justifierait ces choix, sur lesquels il s’explique en ces termes : « On m’a critiqué pour avoir utilisé certains des hommes, excellents professionnels, qui provenaient des anciennes brigades sociales. Mais dans l’étape difficile des enlèvements d’Oriol et de Villaescusa […], l’action du commissaire Conesa, par exemple, a été d’une grande efficacité ». Il reconnaît ainsi sans honte que « les services que Conesa, Sáinz et tant d’autres, comme le commissaire Manuel Ballesteros et les chefs de la Préfecture de police de Barcelone et de Madrid, Callejas et Pastor, ont rendu dans l’étape du changement politique, leur action ayant permis la transformation de l’Espagne en authentique État démocratique de droit »181. Face à la menace terroriste, l’État espagnol avait besoin de policiers compétents qu’il n’aurait pas eu le temps de former, s’il en avait eu la volonté.
90L’efficacité dans la lutte antiterroriste a donc primé sur la démocratisation des forces de l’ordre, sur la défense des droits de l’homme et sur la lutte contre la torture dans les choix des gouvernants.
91Faut-il finalement croire la chronologie mise ici en évidence et communément acceptée, qui considère que la pratique de la torture, inscrite dans le système répressif de la dictature, s’est prolongée pendant le gouvernement Arias avant de disparaître pendant l’étape Martín Villa, pour ensuite renaître et croître de façon spectaculaire à la faveur des législations antiterroristes ?
92Une telle chronologie répond sans aucun doute au rythme des campagnes de dénonciation qui rendent visible un phénomène caché. Elle correspond aussi aux étapes de la mutation de la politique du maintien de l’ordre qui ont été mises en valeur dans les chapitres précédents : l’évolution globale d’un système répressif autoritaire à un schéma démocratique est bouleversée par la nécessité de lutter contre le terrorisme, tout comme la torture aurait tendance à disparaître avec l’avènement de la démocratie pour resurgir sur le front antiterroriste. Néanmoins, ce discours, tout comme le rythme du dévoilement de la torture, obéit aussi à des stratégies politiques : exiger la rupture en 1976, se fondre ensuite dans le moule du consensus démocratique et antiterroriste, attaquer ponctuellement le gouvernement en réclamant des démissions ou des responsabilités, défendre la cause du nationalisme basque radical. Il est donc probable que l’histoire de la torture obéisse à une continuité plus grande que sa visibilité publique ne le suggère : les arrestations de type politique ne subissent qu’un creux relatif de juin 1977 à juin 1978, avant d’être relayés par les détentions de terroristes, les anciens tortionnaires de la BPS sont toujours présents dans les commissariats et les prisons, les dispositions législatives critiquées sont les mêmes que celles qui étaient dénoncées du temps des lois d’exception franquistes182, et la volonté affichée du jeune État démocratique d’en finir avec la torture reste un vœu pieu peu suivi en pratique. De la même façon l’étude statistique minutieuse des incidents policiers a montré que les bavures se maintenaient à un niveau globalement élevé avec des pics clairement détectables dans les moments de forte tension terroriste. Au lendemain d’un attentat, les agents sont non seulement susceptibles de sombrer dans une rage aveugle, mais ils sont aussi soumis à une forte pression venue d’en haut pour une efficacité immédiate. Tout comme les détentions se font plus massives, tout comme les bavures policières sont plus nombreuses, les cellules sont aussi le théâtre de supplices redoublés. Sur le terrain la torture, tout comme les violences policières, suit ainsi le rythme morcelé de la violence protestataire. Car c’est bien dans le système répressif antiterroriste qu’il faut chercher le déterminant principal des violences policières. La nécessité de combattre ce nouveau fléau de la démocratie a détourné les moyens de la répression franquiste, devenus illégitimes et illicites dans la lutte contre la subversion, vers la persécution du terrorisme, où ils acquièrent, si ce n’est un soutien légal, du moins une présomption de légitimité.
93Un tel processus ne s’interrompt pas avec l’avènement des socialistes au pouvoir, même si les bavures et encore plus la torture, sont désormais politiquement considérées comme intolérables. Les dérapages rendus publics sont sanctionnés, l’État démocratique socialiste ne pouvant décemment les laisser impunis. Les inculpations, les procès et les condamnations, qui étaient presque absents du panorama de la transition sont ainsi en forte hausse à partir de 1983, pour juger des faits qui se sont déroulés avant 1982 ou sous l’étape socialiste, même si les condamnations restent légères — quelques mois de prison, une indemnité et l’exclusion du corps pendant plusieurs années183. Mais en pratique, le gouvernement de Felipe González utilise les mêmes rouages que ses prédécesseurs. Celui-ci obéit même aux recommandations de Rosón pour lui choisir un successeur : il choisit José Barrionuevo à la tête de l’Intérieur, en lieu et place de Carlos Sanjuán de la Rocha, qui était le spécialiste du parti sur les thèmes de sécurité publique et disposait d’un vaste programme de réorganisation structurelle des forces de l’ordre et de leur direction184. Au niveau policier les mêmes hommes sont employés voire rappelés face à la nécessité de la lutte antiterroriste, comme Ballesteros déjà évoqué. Au niveau législatif la loi de 1984 conforte même l’autonomie policière. Il n’est donc pas surprenant que dans les milieux basques radicaux on ait le sentiment que la torture continue à être pratiquée voire que la situation s’est aggravée. Pour la revue Punto y Hora de Euskal Herria, qui consacre un nouveau numéro monographique à la torture en juillet 1983, intitulé « la Torture, une foudre qui ne cesse pas », le gouvernement socialiste n’a pas répondu aux espoirs mis en lui. Après une période d’hésitation en décembre 1982 - janvier 1983, la torture continuerait à être pratiquée de plus belle185. La rumeur affirme que les policiers se disent : « maintenant nous avons carte blanche, vous avez entendu Felipe », « maintenant avec le PSOE, c’est plus facile ». Car une fois que la gauche est au pouvoir et dispose du maintien de l’ordre, « il ne reste personne dans la société, à l’exception de ceux qui méritent d’être torturés (entendez les Basques, les subversifs, les marginaux, les audacieux…), pour dénoncer la torture ». Barrionuevo persiste en effet dans la stratégie de négation menée par les gouvernements antérieurs en déclarant en février 1983 qu’« actuellement, il n’existe pas de cas de tortures en Espagne »186.
94Il reste maintenant, pour confirmer cette analyse, à nous pencher sur l’emploi d’un ultime instrument illicite de combat contre les violences protestataires, à savoir le recours à la violence contreterroriste paraétatique.
Notes de bas de page
1 Les policiers armés sont qualifiés de « gris » de la couleur de leur uniforme.
2 J. Delgado, Los grises, pp. 347-348.
3 Depuis le 1er janvier 1975, notre corpus relève un total de 192 victimes. Ce total inclut également les six victimes comptabilisées par les seules sources policières pour le premier semestre 1977 (à savoir les bulletins d’information quotidiens de la police), qui ont été retirées du bilan final pour des raisons d’homogénéité du corpus.
4 Ce chiffre grimpe à 22 % (soit un total de 42 morts) si l’on compte l’ensemble des terroristes tués au cours de fusillades avec les forces de l’ordre, qu’elles soient provoquées par eux-mêmes ou par les autorités policières. En effet, il a fallu procéder à certains choix dans la construction de la base de données. Quand une fusillade éclatait entre des contestataires et des forces de l’ordre, on a considéré les premiers comme leur auteur dès lors que, parmi les victimes, se trouvaient un membre des corps armés ou un civil. À l’inverse, si les seules victimes étaient un civil ou un terroriste, ce sont les agents de l’État qui ont été considérés comme responsables. Devant les confusions interprétatives régnantes et l’impossibilité pratique de vérifier dans chaque cas l’origine des tirs, ce choix est apparu comme la meilleure façon d’éviter les incohérences et les doublons en termes statistiques.
5 Le territoire national est divisé en douze circonscriptions policières, les Préfectures, chacune sous la direction d’un chef supérieur de la police.
6 En 1976, les policiers armés sont au nombre 34 000 (Ministerio del Interior, Datos y cifras, 75/78). La réforme de la police de 1978 a transformé la Police armée en Police nationale, qui reste un corps de nature militaire tout en n’appartenant plus à l’armée. La couleur grise de l’uniforme, très connotée, a été remplacée par le marron.
7 O. Fillieule, Stratégies de la rue, pp. 96-124.
8 Il conviendrait de rajouter à ce bilan les individus qui meurent au sein de la manifestation, sans pour autant avoir été directement tués par la police. Ils sont au nombre de six : Juan Gabriel Rodrigo Knajo meurt par accident en fuyant la police — il saute de terrasses élevées — le 5 mars 1976 à Tarragone. Juan Manuel Iglesias décède d’une insuffisance cardio-vasculaire en échappant à la police qui dispersait une manifestation en faveur de l’amnistie, le 9 janvier 1977 à Sestao (Biscaye). Deux civils meurent par accident au cours de la semaine pro-amnistie de mai 1977 au Pays basque (Miguel del Caño est écrasé par une voiture sur l’autoroute alors qu’il retirait une barricade, contraint par la Garde civile ; et Asunción Zárraga, qui regardait les manifestations depuis son balcon, bascule et décède). Une jeune femme est renversée par une voiture en plein conflit social le 14 juin 1978 à Saragosse, les circonstances de sa mort ne sont pas éclaircies. Enfin, Ramón Begoña, un militant du PNV, décède des suites des blessures reçues dans une manifestation en Biscaye en juillet 1980, sans que les responsables soient identifiés.
9 Les études monographiques, historiques et sociologiques sur le sujet font cruellement défaut pour bien saisir la pluralité des interactions en jeu dans le déroulement d’une manifestation. Sur la Garde civile, voir A. Morales Villanueva, « La Guardia Civil en la democracia » ; F. Aguado Sánchez, Historia de la guardia civil. Sur la Police, voir J. de Antón, Historia de la policía española ; J. Delgado, Los grises ; D. López Garrido, El aparato policial ; A. Morales Villanueva, Las Fuerzas del Orden Público et Administración policial española ; J. M. Rico et alii, Policía y sociedad democrática.
10 J. Delgado, Los grises, p. 287.
11 I. Sánchez-Cuenca et P. Aguilar Fernández, « Violencia política y movilización social », cuadro 4, p. 107.
12 AGA, BI, 13/5/1977.
13 El País, 14/5/1977.
14 El País, 17/5/1977.
15 J. Delgado, Los grises, pp. 213-214.
16 R. Adell Argilés, La transición política en la calle, pp. 220 et 226.
17 Note du délégué du Ministère de l’Information et du Tourisme à Bilbao, « La situación en Vizcaya », 16/5/1977, 22h50, AGA, Gabinete de Enlace, caja 42/09054.
18 Sur cette manifestation du 1er février 1976, voir D. Ballester et M. Risques, Temps d’amnistia, pp. 39-85, et J. Delgado, Los grises, pp. 300-302.
19 Certaines sont reproduites dans D. Ballester et M. Risques, Temps d’amnistia, pages centrales.
20 Amnistía Internacional, Informe 1977, p. 208.
21 Sur les 32 victimes, une est tuée par un fumigène (María Luz Nájera, Madrid, janvier 1977), une autre meurt d’une hémorragie cérébrale provoquée par des coups reçus (Elvira Parcero Rodríguez, Vigo, avril 1978), six sont tués par des balles en caoutchouc et 24 par des balles réelles.
22 J. Delgado, Los grises, p. 213.
23 Conocimientos profesionales, texte officiel de l’Académie de Police, daté de novembre 1976. Cité par J. Delgado, Los grises, p. 241.
24 D. López Garrido, El aparato policial, pp. 151-165. Ce n’est qu’en 1984 que sont introduits, dans la formation des gardes civils, des cours de « tactique policière » qui incluent une formation à l’utilisation de moyens anti-émeutes.
25 El País, 16/12/1977. Prieto est destitué dès le lendemain par le Conseil des ministres pour avoir tenu de tels propos.
26 L’une des revendications du mouvement de contestation qui émerge au sein du Corps général de police et de la police municipale en 1976 est d’ailleurs de mettre fin au caractère strictement militaire de leurs supérieurs hiérarchiques.
27 Sur les responsabilités des fonctionnaires publics dans le drame de Vitoria, voir aussi le rapport produit en 2004 par les chercheurs de l’Institut Valentín de Foronda, de l’université du Pays basque, sur demande de l’association des victimes de Vitoria et avec le soutien du gouvernement basque (Dictamen histórico sobre los acontecimientos producidos el 3 de marzo de 1976 en Vitoria). Il est ensuite repris par le Parlement basque dans une résolution sur les événements adoptée le 25 juin 2008. Tous les documents sont disponibles sur le site de l’association des victimes du 3 mars, http://www.martxoak3.org/es.
28 R. Martín Villa, Al servicio del Estado, p. 27.
29 A. Osorio, Trayectoria política de un ministro de la Corona, pp. 90-91.
30 R. Martín Villa, Al servicio del Estado, p. 27, et J. Delgado, Los grises, p. 319.
31 Les échanges radios entre les diverses unités sont partiellement retranscrits dans J. Delgado, Los grises, pp. 320-321. Ils sont aussi disponibles sur Internet : http://www.nodo50.org/foroporlamemoria/documentos/2005/impunidad_juny2005.htm.
32 Par exemple, l’ampleur des moyens déployés pour empêcher la grève générale du 12 novembre 1976 a évité qu’elle ne se transforme en émeutes urbaines.
33 J. Delgado, Los grises, p. 349.
34 Sur les circonstances de la mort de Caparrós, voir R. Burgos, La muerte de García Caparrós en la transición política.
35 Voir El País, 6-13/12/1977, J. Delgado, Los grises, p. 324, et A. Grimaldos, La sombra de Franco, pp. 269-271.
36 Enrique Múgica (PSOE), DSC, 40, Comisión de Interior, LC, 15/12/1977, p. 1469 ; Bernal Soto (PSOE), DSC, 97, Comisión de encuesta sobre los sucesos de Málaga y Tenerife, LC, 27/6/1978, p. 3610.
37 DSC, 97, Comisión de encuesta sobre los sucesos de Málaga y Tenerife, LC, 27/6/1978, p. 3609.
38 El País, 9-11/10/1977.
39 Cité par J. Delgado, Los grises, p. 328. Voir aussi l’hebdomadaire La Calle, 17, 18-24/7/1978, et le documentaire de J. Gautier et J. Á. Jiménez, Sanfermines 78.
40 Cité par S. Belloch, Interior, p. 84.
41 P. Bruneteaux, « Cigaville », p. 227.
42 ABC, 14/2/1976.
43 La Garde civile est créée en 1844.
44 Pour López Garrido, « il y a autant de postes de la Garde Civile que de stations essence en Espagne », D. López Garrido, El aparato policial, p. 13. En 1976, les gardes civils sont au nombre de 63 000 (Ministerio del Interior, Datos y cifras, 75/78).
45 Ne sont pas inclus ici les policiers morts en service. Il ne s’agit donc que des personnes extérieures aux corps armés.
46 F. Jobard, Bavures policières ?, p. 117.
47 Rosón, réponse écrite à la question de Javier Luis Sáenz Cosculluela (PSOE), BOCG, F-1124-I, 21/10/1980. Réponse dans le BOCG, 02/12/1980.
48 Résolution 690, Conseil de l’Europe, 8/5/1979.
49 Orden de 30 de septiembre de 1981 por la que se dispone la publicación del acuerdo del Consejo de Ministros de 4 de septiembre de 1981 sobre principios básicos de actuación de los miembros de las fuerzas y cuerpos de seguridad del Estado, principio 10. Voir sur ce texte, A. Beristain, « Ética policial ».
50 Réponse du ministre de l’Intérieur, BOCG, 19/4/1982, à une interpellation de Peces-Barba (PSOE), BOCG, D-768-I, 24/10/1981.
51 Instruction de la DGS, avril 1983, citée par APDHE, Informe anual Derechos Humanos en España 1985, pp. 71 sq.
52 LO 2/1986, de 13 de marzo, reguladora de los Cuerpos y Fuerzas de Seguridad del Estado, de las Policías de las Comunidades Autónomas y de las Policías Locales, cap. ii : « Principios básicos de actuación ».
53 Voir El País, 7-8/11/1979, et la question de Sánchez Montero (PCE), BOCG, E-102-I, 24/11/1979.
54 DSC, 108, IL, 11/9/1980.
55 Código Penal (Decreto 691/1963, de 28 de marzo, por el que se aprueba el « Texto revisado de 1963 » del Código Penal), art. 8.4°.
56 Manifeste rédigé par des membres de la police, El País, 20/10/1976. Sur ces incidents voir El País, 23-29/9/1976.
57 Deux cents policiers arrivent à Madrid pour accueillir à l’aéroport les six inculpés et leur témoigner leur solidarité, El País, 21/10/1976.
58 Coordinadora de Fuerzas Democráticas de Canarias, Triunfo, 2/10/1976.
59 El País, 12/10/1976.
60 AGA, Memoria del Gobierno Civil, Navarre, 1976.
61 DSC, 221, IL, 11/3/1982, pp. 12961-12969. À l’origine du débat, se trouvent quatre questions au gouvernement, posées par le groupe andalou de Rojas Marcos, le Parti communiste, le PNV et Bandrés de EE.
62 Voir El País, 22-27/10/1981 et l’interpellation de Bandrés (EE), BOCG, D-778-I, 17/11/1981.
63 Ainsi la mort de Juan Carlos Delgado de Codex en avril 1979, par des hommes de la brigade de Conesa alors qu’il était filé par d’autres services de police, a donné lieu à une question socialiste au gouvernement (BOCG, F-9-I, 9/5/1979).
64 Le 17 juin 1981, 4 membres des GRAPO sont tués dans la province de Gérone. Deux sont tués dans une fusillade qui éclate au milieu d’une caserne de la Garde civile, deux autres le sont quelques heures plus tard aux alentours. El País, 18/6/1981.
65 Voir El País 12-13/1/1978, et M. Castells Arteche, Radiografía de un modelo represivo, pp. 139-144.
66 Voir par exemple J. Delgado, Los grises, pp. 332-339.
67 Voir A. Grimaldos, La sombra de Franco, pp. 275-277.
68 R. Martín Villa, Al servicio del Estado, p. 147.
69 L’Inspection générale de la Police armée sanctionne les faits en destituant les commandants de Pampelune et de Saint-Sébastien, ainsi que le capitaine qui commandait les forces de Rentería (El País, 13-15/7/1978).
70 Interpellation socialiste au Congrès des députés, BOCG, D-453-I, 19/9/1980. Voir aussi El País, 26/8/1980.
71 Declaración sobre la Protección de Todas las Personas contra la Tortura y Otros Ttratos o Penas Crueles, Inhumanos o Degradantes, article 1, adoptée unanimement par l’Assemblée générale de l’ONU dans sa résolution 3452 du 9/12/1975 (cité dans Amnistía Internacional, Informe 1979, p. 207).
72 R. Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, p. 64.
73 Ibid., p. 425.
74 Il n’existe à ce jour aucune étude scientifique sur le sujet.
75 E. Forest, Diez años de tortura y democracia ; M. Castells Arteche, Radiografía de un modelo represivo ; M. Castells Arteche et alii, Democracia sí, no ; I. Muñagorri et alii, Represión, tortura y Gobierno PSOE ; Gestoras pro-amnistía, Euskadi 1977-1987 ; Punto y Hora de Euskal Herria, 151, 15-22/11/1979 ; 202, 20-27/11/1980 ; numéro spécial, juillet 1983.
76 Cité par Olarte Cullen (UCD), DSC, 179, IL, 23/6/1981, pp. 10735-10737.
77 Respuesta del Gobierno Español al informe de Amnistía Internacional correspondiente a 1983, en el que se denuncia la práctica de torturas o malos tratos en España, signée par José Barrionuevo Peña, ministre de l’Intérieur, et datée du 29 novembre 1984, dans Amnistía Internacional, España : la cuestión de la tortura, pp. 31-32.
78 Le nombre de plaintes pour tortures passe ainsi, pour la période s’étendant d’avril 1983 à octobre 1984, de 219 à 136 si l’on prend en compte seulement celles qui ont été effectivement déposées devant le juge (ibid., p. 32).
79 L’APDHE est une association de défense des droits de l’homme qui est créée à Madrid en 1976, mais n’est légalisée qu’en 1977, publiant son premier bulletin en juin de cette année-là. Ce n’est qu’à partir de 1982 qu’elle publie des rapports annuels sur les violations des droits de l’homme en Espagne. Quant à Amnesty International, c’est en 1972 qu’elle lance sa campagne de dénonciation de la torture. Elle publie annuellement un rapport relatant les violations des droits de l’homme, en particulier contre les prisonniers. Amnesty envoie, pendant la période, deux missions en Espagne enquêter sur la réalité de la torture : la première en 1975, la seconde en 1979.
80 Entretien, 2006.
81 Voir, sur le franquisme, A. Gómez Roda, « La tortura en España bajo el franquismo ».
82 Entretien, 2006.
83 Amnesty International, « Espagne ».
84 Ibid. En octobre 1963, une centaine d’intellectuels a envoyé une lettre au ministre de l’Information et du Tourisme, Manuel Fraga, pour dénoncer les tortures infligées aux mineurs asturiens. Depuis lors, ce type de protestation est récurrent : en 1969, plus de 1 000 intellectuels envoient au ministre de l’Intérieur un dossier comportant les témoignages d’une trentaine de victimes ; en 1971 ce sont des avocats madrilènes qui s’élèvent contre les mauvais traitements infligés aux étudiants détenus pendant l’état d’exception, suivis par certains membres éminents de la hiérarchie catholique ; en juin 1973 plusieurs centaines de médecins, universitaires et avocats réclament l’ouverture d’une enquête publique sur les tortures, etc.
85 Amnesty International, Report of an Amnesty International mission to Spain, July 1975.
86 A. Diz, La sombra del FRAP, pp. 76-77.
87 L’affaire est bien connue grâce à l’ouvrage monographique que lui a consacré J. J. Gallardo Romero, Contribución a la historia de Santa Coloma de Gramenet.
88 Cambio 16, 215, 19/1/1976. Ces photos font le tour du monde : L’Humanité, mais aussi les télévisions hollandaise ou danoise les diffusent, J. J. Gallardo Romero, Contribución a la historia de Santa Coloma de Gramenet.
89 Cambio 16, 231, 10/5/1976. C’est aussi le cas de la revue en langue basque Zeruko Argia, 30/4/1976. Celle-ci a été pour cela retirée des kiosques, bien que le juge de Pampelune ait refusé de signer l’ordre de mise sous séquestre de la publication (Cambio 16, 216, 17/5/1976).
90 Cambio 16, 216, 17/5/1976.
91 Cambio 16, 233, 24/5/1976.
92 Ibid.
93 Cambio 16, 234, 31/5/1976.
94 Matute est condamné à cinq mois de prison, six ans d’exil loin de Tenerife et une amende de 75 000 pesetas. A. Grimaldos, La sombra de Franco, pp. 223-225.
95 Il s’agit d’Antonio González Ramos, décédé des suites des coups reçus en interrogatoire le 31 octobre 1975.
96 Le premier procès est dirigé contre deux fonctionnaires de la BPS de Barcelone, accusés d’avoir torturé Mercedes Muñoz, une jeune femme de vingt ans arrêtée en décembre 1975 quand elle collait une affiche. Les policiers sont condamnés à 4 jours d’arrêt et à 2 000 pesetas d’indemnités, ce qui est bien maigre, comme le fait remarquer un lecteur d’El País, au regard des 15 000 pesetas de caution souvent réclamées pour un délit de propagande illégale (El País, 18/12/1976). Le second procès concerne quatre policiers accusés de mauvais traitements infligés à deux personnes soupçonnées d’appartenir au groupe révolutionnaire Bandera Roja, à la Préfecture de police de Barcelone. À l’entrée du tribunal, une centaine de personnes, parmi lesquelles de nombreux policiers en civil ont conspué et frappé journalistes et manifestants présents, les empêchant d’entrer dans la salle d’audience. Des incidents ont également lieu à l’intérieur : des cris de « Assassins ! » sont lancés en direction des victimes, les avocats sont insultés. Le verdict condamne deux des policiers à 12 jours d’arrêt. Ces incidents suscitent une vive réprobation de la presse catalane ainsi que des collèges d’avocats. Voir El País, du 29/10/1976 au 30/11/1976.
97 Triunfo, 12/6/1976.
98 Cité par Cambio 16, 238, 14/6/1976.
99 Triunfo, 12/6/1976.
100 Ibid.
101 Cuadernos para el Diálogo, 162, 5/6/1976.
102 Cambio 16, 233, 24/5/76. Autre exemple, les évêques de Saint-Sébastien qui considèrent que « la répression […] s’est durcie jusqu’au point que les mauvais traitements et les diverses formes de torture parviennent à être considérés comme un moyen légitime pour obtenir des renseignements ou la confession » (Document de l’évêché de Saint-Sébastien dirigé aux sacerdotes du diocèse, Triunfo, 2/6/1976).
103 Les rapports d’Amnesty témoignent de cette poussée dénonciatrice qui mêle les tortures à « l’usage continu des méthodes violentes, brutales et gratuites de la part de la police pour contrôler les grandes concentrations de foule », aux détentions massives, à l’étroitesse de l’amnistie de juillet 1976 et aux législations d’exception renforcées en janvier 1977, Amnistía Internacional, Informe 1977, pp. 207-211. Suppression de la BPS abolition du TOP, limitation des prérogatives de la juridiction militaire, abrogation des législations d’exception, épuration des forces de l’ordre sont alors réclamées pêle-mêle.
104 Fraga, avant d’être nommé ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Arias, était ambassadeur à Londres. Il avait alors inondé les milieux diplomatiques de ses ambitions de réforme, influençant y compris les dirigeants d’Amnesty International dont le siège se situe dans la capitale britannique. Allan Grounds, de la section britannique de l’organisation, regrette avoir fait confiance « en les vertus libérales du sieur Fraga Iribarne, en l’intérêt personnel dont il faisait preuve sur cette question pendant son séjour comme ambassadeur à Londres », Cambio 16, 233, 24/5/1976.
105 Amnistía Internacional, Informe 1977, pp. 207-211.
106 « Il semble que désormais ce soit moins probable, bien que pas impossible, qu’elle atteigne n’importe qui. Mais ce qui est certain, c’est que ces méthodes sont employées actuellement de façon plus concrète contre les personnes appartenant aux groupes situés à la gauche du spectre politique espagnol, concrètement aux communistes, gauchistes révolutionnaires et nationalistes », interview d’Allan Grounds, de la section britannique d’Amnesty International, Cambio 16, 233, 24/5/76.
107 Amnistía Internacional, Informe 1977, pp. 207-211.
108 Santiago Aroca, Mundo Obrero, 5-11/12/1980.
109 Amnistía Internacional, Informe 1978, pp. 237-240.
110 Voir supra graphique 22, p. 306.
111 Amnistía Internacional, Informe 1977, pp. 207-211.
112 Real Decreto 2614/76.
113 Rappelons les circonstances de sa mort : Agustín Rueda, anarchiste, a été battu à mort le 13 mars après une tentative d’évasion, par une douzaine de fonctionnaires de Carabanchel, sous le regard bienveillant du directeur de la prison, des deux médecins de service et de l’aumônier. Son agonie dure une dizaine d’heures, sans que la moindre assistance médicale ne vienne à son secours, malgré ses lamentations constantes et ses appels à l’aide. Il décède au matin du 14.
114 DSS, 13, LC, 18/11/1977, pp. 444-455.
115 Voir J. Zambrana, La alternativa libertaria, pp. 174-176.
116 Entretien, 2006.
117 Cambio 16 y consacre d’ailleurs sa couverture sous le titre La policía política se desp. i. d. e (« La police politique fait ses adieux »), dans un jeu de mots qui renvoie à l’équivalent portugais de la BPS (Cambio 16, 257, 8/11/1976).
118 Pacto Internacional de Derechos Civiles y Políticos, 16/11/1966, ratifié par l’Espagne le 24/4/1977. Voir V. Grima Lizandra, Los delitos de tortura y de tratos degradantes por funcionarios públicos.
119 Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, 4/11/1950, ratifié par l’Espagne le 4/10/1979.
120 Ley 31/1978 de 17 de julio de modificación del Código Penal para tipificar el delito de tortura, art. 204 bis.
121 La proposition de loi a été présentée dès le mois de septembre 1977.
122 Ruiz Mendoza (PSOE), DSC, 34, Comisión de Justicia, LC, 13/12/1977, p. 1268.
123 DSC, 34, Comisión de Justicia, LC, 13/12/1977, pp. 1269-1270 ; DSC, 5, LC, 19/1/1978, p. 164.
124 DSC, 94, LC, 21/6/1978, pp. 3545-3549. Le Congrès approuve le texte modifié par la Commission de justice par par 285 voix pour et 4 abstentions. Le texte est ensuite approuvé par le Sénat sans modification, à l’unanimité absolue (186 voix pour, aucune contre et aucune abstention). Voir aussi l’étude de J. L. de la Cuesta Arzamendi, El delito de tortura.
125 Voir par exemple J. M. Rodríguez Mesa, Torturas y otros delitos contra la integridad moral, pp. 117-172.
126 C’est l’opinion de J. Barquín Sanz, Los delitos de tortura y tratos inhumanos o degradantes.
127 LO 1/1979, de 26 de septiembre, general penitenciaria, art. 6.
128 Real decreto 1201/1981, de 8 de mayo, por el que se aprueba el reglamento penitenciario, art. 5.1 : « Aucun prisonnier ne sera soumis à des tortures, à des mauvais traitements en mots ou en acte, ni sera l’objet d’une rigueur non nécessaire dans l’application des normes ».
129 Orden de 30 de septiembre de 1981 por la que se dispone la publicación del acuerdo del Consejo de Ministros de 4 de septiembre de 1981 sobre principios básicos de actuación de los miembros de las fuerzas y cuerpos de seguridad del Estado, principios 4, 7 et 9.
130 LO 2/1986, de 13 de marzo, reguladora de los Cuerpos y Fuerzas de Seguridad del Estado, de las Policías de las Comunidades Autónomas y de las Policías Locales, art. 5.3°, b) et art. 27.3°, c).
131 Código Deontológico del Reglamento de la Policía Autónoma del País Vasco (Boletín Oficial del País Vasco, 69, 21/5/1983), art. 5. Cité par J. L. de la Cuesta Arzamendi, El delito de tortura, p. 74.
132 Deux médecins danois et un universitaire allemand spécialiste de droit pénal, y ont interrogé 14 victimes. Amnistía Internacional, Informe 1980 et Informe 1981.
133 Reconnaissant la démocratisation de l’Espagne, le gouvernement français annule, le 30/1/1979, la condition de réfugiés politiques accordée jusque-là à tous les citoyens espagnols et reconsidère les dossiers au cas par cas. La décision est suivie d’une rafle de la police française, qui procède à une trentaine d’arrestations parmi les réfugiés basques et remet sept prisonniers directement à la police espagnole. Cette mesure sans précédent suscite de vives réactions parmi les Basques, qui voient leur « sanctuaire » ainsi menacé. Sur les relations entre la France et l’Espagne à propos de la question basque, voir S. Morán, ETA, entre España y Francia et G. Ménage, L’œil du pouvoir.
134 El País, 14-21/2/1979. Amnesty relate aussi dans son rapport de 1979 les supplices subis par les membres de HB, en particulier par les frères Ginés, qui affirment avoir été pendus sous une barre de fer et frappés sur tout le corps. Aucune charge n’a finalement été retenue contre eux par l’Audience nationale. Amnistía Internacional, Informe 1979, pp. 147-149.
135 Il faut attendre 1981 pour qu’une douzaine de fonctionnaires soient inculpés. Le directeur de la prison, Santiago Martínez Motos, qui avait posé toutes sortes d’entraves à la justice, est suspendu de ses fonctions. Il est à son tour inculpé en 1982, tandis que les deux tiers des fonctionnaires de la prison ont été renouvelés. Voir El País septembre-décembre 1979.
136 E. Forest, « La tortura : ¿un show ? », Punto y Hora de Euskal Herria, 151, 15-22/11/1979. Eva Forest est une intellectuelle militante, mariée à l’écrivain Alfonso Sastre. Soupçonnée de collaboration avec l’ETA dans l’attentat contre Carrero Blanco, elle est arrêtée en septembre 1974. Elle passe trois ans en prison, jusqu’à sa libération en juin 1977, son procès n’ayant jamais eu lieu. Proche du nationalisme abertzale, elle s’attache à dénoncer les conditions d’oppression du peuple basque, notamment dans les prisons, et milite activement en faveur des droits de l’homme.
137 Voir sur l’affaire El País, 2-8/11/1979.
138 Punto y Hora de Euskal Herria, 151, 15-22/11/1979.
139 Ibid.
140 Ibid.
141 El País, 6-10/11/1979.
142 La demande est acceptée en séance plénière en décembre, sans débat (DSC, 52, IL, 12/12/1979, pp. 3471-3472). Voir aussi la question de Peces-Barba (PSOE) sur la situation des prisonniers basques, BOCG, F-380-I, 7/12/1979.
143 Mundo Obrero, 5-11/12/1980.
144 Un après sa formation, la commission est dissoute sans avoir émis de conclusions, elle est transformée en commission d’enquête sur les droits de l’homme (DSC, 118, IL, 14/10/1980, p. 7515), à son tour dissoute en août 1982 après avoir été à nouveau modifiée en mars. Le PNV et EE accusent l’UCD d’avoir entravé ses travaux (DSC, 142, IL, 17/2/1981, pp. 9098-9125 à propos de la mort d’Arregui). Par exemple en juillet 1980, les autorités policières de Bilbao interdisent l’accès de la délégation aux installations de la police et de la Garde civile (El País, 19/7/1980).
145 Egin, 7/12/1980, cité par M. Castells Arteche, Radiografía de un modelo represivo, p. 30.
146 Santiago Aroca, Mundo Obrero, 5-11/12/1980.
147 Gonzalo Martínez-Fresneda dira ainsi que « personne n’a levé la voix » pour la mort de José España. G. Martínez-Fresneda, « La ordenanza nueva de la tortura ». Voir le débat parlementaire correspondant : DSC, 108, IL, 11/9/1980, pp. 7044-7052, qui fait suite à des questions posées par les groupes socialiste (E-365-I, BOCG, E-365-I, 26/9/1980) et communiste (BOCG, E-364-I, 26/9/1980).
148 Rosón n’acceptera de rencontrer le président d’Amnesty qu’en octobre 1981, après le scandale des affaires Arregui et Almería.
149 L’aveu de Rosón fait suite à une question de José Bono Martínez (PSOE). José Bono a assisté le 14 décembre, à la sortie de la séance parlementaire, dans le hall du bâtiment de la DGS, à la bastonnade de deux jeunes individus interpellés. Voir BOCG, E-128, 15/1/1980 et DSC, 126, IL, 30/10/1980, pp. 7908-7912.
150 Sur l’affaire Arregui, voir El País, 14-18/2/1981 ; G. Martínez-Fresneda, « La ordenanza nueva de la tortura », pp. 62-64 ; Amnistía Internacional, Informe 1981, pp. 239-242.
151 Interpellations des groupes socialistes BOCG, D-591-I, 10/3/1981 ; du groupe socialiste basque D-597-I ; du PNV BOCG, D-595-I, 13/3/1981 ; de EE BOCG, D-596-I, 13/3/1981 ; de la Minorité catalane BOCG, D-598-I, 16/3/1981 ; du PCE BOCG, E-570-I, 12/3/1981 ; du groupe andalou BOCG, E-574-I, 12/3/1981. Ces questions aux gouvernements sont débattues dans : DSC, 142, IL, 17/2/1981, pp. 9098-9125.
152 DSC, 144, IL, 19/2/1981, pp. 9205-9206.
153 DSC, 142, IL, 17/2/1981, pp. 9098-9105.
154 Ibid, p. 9121.
155 L’Audience nationale prononce par la suite l’absolution de deux des inspecteurs inculpés (sentence 429 du 2 décembre 1983, confirmée par celle 255 du 13 décembre 1985). Voir M. Sánchez Soler, La transición sangrienta, pp. 224-231.
156 Rosón cité par El País, 17/5/1981.
157 Sur l’affaire Almería, voir E. Pons Prades, Crónica negra de la transición española, pp. 172-186 ; G. Martínez-Fresneda, « La ordenanza nueva de la tortura », p. 67 ; El País, à partir du 12/5/1981.
158 Le gouvernement censure même un programme de radio, « Tertulias del Sur », prévu sur Radio 3 et consacré à la mort des jeunes gens d’Almería. APDHE, Los Derechos Humanos en España. Informe 1982.
159 Les questions posées au gouvernement datent du 12 mai, bien qu’elles soient publiées un mois plus tard dans le Bulletin officiel : BOCG, 11/6/1981, questions du PSOE E-660-I, du PCE E-661-I, du groupe andalou F-2038-I, et la question de EE, BOCG, E-857-I, 21/5/1981.
160 L’information gouvernementale a finalement lieu dans le cadre secret de la Commission de l’intérieur, le 21 mai. Rosón y rejette toute possibilité de mauvais traitements. Séance de la Commission de l’intérieur, 21/5/1981, sans retranscription. Voir le compte rendu de la séance, Archivo del Congreso de los Diputados, serie general, 3487, 22.
161 Le PSOE refuse son soutien à la demande du PCE d’ouvrir une enquête parlementaire sur la question (BOCG, D-694-I, 16/6/1981).
162 Voir les rapports d’Amnesty correspondant aux années 1978 à 1980.
163 Vizcaya Retana, DSC, 10, IL, 23/9/1979, pp. 398-403.
164 DSC, 179, IL, 23/6/1981, pp. 10731-10735.
165 Ainsi, pour le nationaliste radical canarien Sagaseta, « dans une Constitution qui proclame que le détenu n’a pas l’obligation de parler […], il n’y a personne qui puisse ici me soutenir qu’on arrête pendant 10 jours une personne déterminée pour la persuader de parler sans recourir à des actes que nous réprouvons tous », DSC, 125, IL, 29/10/1980, pp. 7857-7861.
166 El País, 6/11/1979. Cette remarque de Meliá, secrétaire d’État à l’Information, est reprise par Bandrés au Congrès, DSC, 57, IL, 20/12/1979, p. 3912.
167 Pour le socialiste Peces-Barba, le problème de la torture ne réside pas dans la loi elle-même, mais dans son application « détournée » par les fonctionnaires de police (DSC, 142, IL, 17/2/1981, pp. 9098-9101).
168 Peces-Barba (PSOE), DSC, 142, IL, 17/2/1981, pp. 9098-9101.
169 Fernández Ordóñez, ministre de la Justice, DSC, 142, IL, 17/2/1981, pp. 9122-9123.
170 Réponse du gouvernement à une question du PSOE, BOCG, F-1432-I, 13/1/1982. La réponse écrite est présente dans le BOCG, 10/2/1982.
171 Cité par D. Carcedo et I. Santos Peralta, Sáenz de Santa María, p. 238.
172 El País, 21/6/1982.
173 DSC, 142, IL, 17/2/1981, p. 9101.
174 Selon Castro Moral, la police a suivi la piste des voitures utilisées par les GRAPO jusqu’à parvenir à la détention d’un membre du commando local de Madrid et à la découverte de l’appartement qui servait de centre d’opération. Les arrestations en chaîne se succèdent ensuite jusqu’à l’identification du refuge des otages. L. Castro Moral, Terrorismo y afirmación revolucionaria, pp. 183-217.
175 A. Grimaldos, La sombra de Franco, pp. 213 sq.
176 Ó. Jaime Jiménez, Policía, terrorismo y cambio político en España, pp. 85-98.
177 Voir par exemple Cambio 16, 395, 1/7/1979, qui porte en couverture le portrait haché d’un policier, revolver au poing, sous le titre : « Qui est Billy el Niño ? ».
178 A. Grimaldos, La sombra de Franco, p. 209.
179 Ó. Jaime Jiménez, Policía, terrorismo y cambio político en España, pp. 100 sq.
180 DSC, 142, IL, 17/2/1981, pp. 9101-9103.
181 R. Martín Villa, Al servicio del Estado, pp. 143 et 156.
182 Les recommandations de l’association Justicia Democrática contre la torture, adoptées en janvier 1977, comprenaient déjà l’assistance obligatoire d’un avocat, y compris dans les interrogatoires, la visite effective et fréquente des juges dans les prisons, la création d’une Police judiciaire dépendante organiquement des juges, un contrôle judiciaire de l’exécution de la peine pour vérifier qu’elle ne donne pas lieu à des violations des droits de l’homme, la suppression des cellules d’isolement, etc. Voir J. Vicente Chamorro, « La tortura, aspectos legales » et Justicia Democrática, Los jueces contra la dictadura.
183 Par exemple, en mars 1983, l’Audience provinciale de Bilbao déclare deux fonctionnaires de la Police nationale coupables d’avoir torturé et menacé Xavier Onaindía, arrêté en 1979 en application de la loi antiterroriste. Ils sont condamnés à dix mois de prison et privés de leurs fonctions pour dix ans, Amnistía Internacional, Informe 1984, pp. 278-282.
184 S. Belloch, Interior, pp. 122-123.
185 Punto y Hora de Euskal Herria, « Cuadernos Monográficos », julio de 1983.
186 R. Olivares, « La tortura en el primer año de Gobierno ».
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