Chapitre II. La gauche révolutionnaire
p. 95-129
Texte intégral
1Plusieurs appellations se partagent la désignation de ces groupes d’une grande pluralité idéologique apparus dans les années 1960 dans l’ensemble du monde occidental : en Espagne, on parle de la « nouvelle gauche », de la « gauche radicale », de la « gauche révolutionnaire » ou de « l’extrême gauche ». Au-delà des déclinaisons idéologiques presque infinies, ces termes, que j’utiliserai indifféremment, désignent un mouvement caractérisé par des traits communs générationnels, culturels et politiques qui justifient l’emploi d’un vocable unique. Les adjectifs adjoints à la « gauche » expriment la définition historique de ce mouvement né d’une contestation de la gauche traditionnelle représentée par le Parti communiste, opposé à toute forme de compromis ou de conciliation, radical, extrême et révolutionnaire. C’est de ce terreau partagé qu’émergent des acteurs qui adoptent la violence comme tactique ou stratégie centrale de leur action, mettant ainsi en pratique les préceptes de la lutte armée révolutionnaire.
I. — LES ORIGINES DE LA GAUCHE RÉVOLUTIONNAIRE
2L’histoire de la gauche révolutionnaire espagnole est à comprendre d’une part en relation avec le contexte international des années 1960 et, d’autre part, en fonction des spécificités du cadre espagnol.
LE CONTEXTE INTERNATIONAL
3Les années 1970 sont le théâtre de l’émergence concomitante d’un « terrorisme révolutionnaire »1 dans les démocraties occidentales européennes, américaines et asiatiques. Les Brigades rouges sévissent en Italie de 1969 à la fin des années 1980, la RAF (Fraction armée rouge) terrorise l’Allemagne au début des années 1970, Action directe opère en France à la fin de la décennie, tandis que les États-Unis connaissent l’agitation menée par les Weather Men et que le Japon subit l’action sporadique de l’Armée rouge japonaise. Les racines de cet essor du recours à la lutte armée dans les nations démocratiques remontent à la décennie précédente et au développement d’une nouvelle gauche contestataire autour de mai 1968.
4Cette nouvelle gauche, issue des milieux universitaires, émerge à la fin des années 1960 dans un élan teinté de marxisme et de critique globale du statut quo politique et social occidental, où se mêle le rejet des inégalités engendrées par le système capitaliste, du modèle consumériste qui envahit une société en proie à la forte croissance économique des Trente Glorieuses, et de la confiscation conservatrice du pouvoir. Ce mouvement se veut idéaliste, utopique et rebelle mais aussi radical et maximaliste. Après la vague contestataire massive de mai 1968, il éclate au cours de la décennie suivante en des directions divergentes. Certains fondent les nouveaux mouvements sociaux alternatifs — écologistes, féministes, pacifistes ou en faveur des droits de l’homme —, d’autres modèrent leurs positions passionnées et rejoignent les partis sociaux-démocrates, d’autres enfin se tournent vers l’idéologie communiste en proie à de profondes divisions.
5En effet, le choc suivant l’annonce de la déstalinisation au XXe congrès du Parti communiste de l’Union soviétique en février 1956 a provoqué les premières scissions au sein du communisme international. Dans les années soixante, une seconde onde de choc précipite un fractionnement déjà entamé : la rupture sino-soviétique est consommée en 1962, tandis que la féroce répression du Printemps de Prague en Tchécoslovaquie en 1968 éloigne de nombreux communistes européens de l’orthodoxie soviétique. Le monolithisme du mouvement communiste international incarné par la rigidité idéologique, hiérarchique et stratégique imposée par l’Union soviétique dans le cadre de la IIIe Internationale, est rompu. Des groupes qui revendiquent un retour aux sources de l’idéologie marxiste, dans ses pendants léninistes, trotskystes ou maoïstes, surgissent et s’opposent aux communistes prosoviétiques qu’ils considèrent comme révisionnistes et traîtres à la pureté des idéaux révolutionnaires.
6Les plus radicaux d’entre eux s’engouffrent dans l’utopie de la violence révolutionnaire et nourrissent les groupuscules terroristes. Suivant l’influence des mouvements tiers-mondistes de lutte de libération nationale et du renouveau théorique de l’apologie de la violence émancipatrice et fondatrice d’un monde meilleur2, ils fondent des groupes marxistes ou libertaires, qui prônent le recours à la lutte armée pour se dégager de la tutelle impérialiste et capitaliste et initier la révolution sociale totale. Le succès des guérillas révolutionnaires en Chine puis à Cuba, l’exemple des guérillas de décolonisation en Algérie ou au Vietnam, la multiplication des foyers de guérilla rurale en Amérique latine, en Afrique et en Asie, ainsi que les mythes qui entourent la figure du guérillero incarné par Che Guevara, viennent enrichir et renforcer l’attrait exercé en Occident par la violence révolutionnaire. En Europe, le modèle de la guérilla rurale, obsolète au regard du fort taux d’urbanisation des sociétés, est remplacé par le modèle de la guérilla urbaine théorisé par le brésilien Carlos Marighela. Au-delà des infinies nuances idéologiques, il s’agit toujours pour ces groupes émergents de constituer l’avant-garde du peuple capable d’initier un mouvement insurrectionnel de masse qui renversera de son souffle dévastateur les groupes dominants au pouvoir et laissera place à un monde nouveau.
7Néanmoins, les groupes radicaux qui mettent en pratique le recours à la lutte armée diffèrent des mouvements de guérilla tiers-mondistes en ce qu’ils placent la méthode violente au cœur de leur stratégie si bien qu’elle en devient centrale et exclusive. Elle n’est plus simplement une tactique qui s’insère dans un continuum d’autres actions menées en parallèle pour aboutir à l’insurrection des masses, mais une stratégie qui devient unique et exclusive de toute autre. L’élaboration théorique sur les objectifs poursuivis par leur action est réduite à son composant négatif de résistance à l’oppression et de destruction de l’ordre existant, tandis que le dessin de la société future reste relégué à un avenir flou et lointain. Le groupe place au second plan la recherche du soutien de la population si bien qu’il s’éloigne des aspirations réelles du peuple et s’isole dans sa tour d’ivoire avant-gardiste, suivant le processus d’inversion si bien décrit par M. Wieviorka3. Les acteurs isolés de cette violence révolutionnaire se prétendent des guérilleros, mais ils se voient octroyer dans les nations démocratiques auxquelles ils s’attaquent, le label péjoratif et condamnatoire de terroristes.
LES SPÉCIFICITÉS DU CADRE ESPAGNOL
8L’Espagne répond en grande partie à ce modèle occidental global, tout en offrant des spécificités majeures. La plus évidente et la plus importante d’entre elles, est le caractère dictatorial du régime dans lequel s’inscrit la lutte révolutionnaire. Contrairement à la France, à l’Allemagne, à l’Italie ou aux États-Unis, qui sont des démocraties jeunes ou confirmées, l’Espagne est encore un pays soumis à l’autoritarisme du général Franco. Or ce régime est parvenu au pouvoir par le biais d’une guerre civile considérée comme l’un des terrains du conflit idéologique entre fascistes et antifascistes qui a divisé l’Europe des années 1930. Cette origine facilite l’appropriation par les groupes contestataires du schéma de la résistance militaire au fascisme et au nazisme : leur lutte prolonge au-delà des années 1950 celle menée par les maquisards. En outre, l’oppression autoritaire d’un régime qui nie tout espace de liberté aux Espagnols justifie le recours à une violence défensive et autorise, bien plus que dans les démocraties occidentales, la revendication du modèle tiers-mondiste d’émancipation nationale, récupéré au nom du droit des peuples à décider de leur sort. Le combattant antifranquiste est ainsi investi de l’aura du combattant de la liberté et n’entre pas dans la catégorie du terroriste.
9Or les résistants antifranquistes ont abandonné la lutte armée à la fin des années 1940. Jusque-là, des groupes formés des « fuyards », combattants issus des rangs de l’armée républicaine défaite en 1939 ou villageois pourchassés par la répression franquiste, poursuivaient une action de guérilla à partir de maquis installés dans les montagnes du Nord et du centre du pays. La tentative du Parti communiste français de lui donner une impulsion militaire décisive après la chute de l’Axe échoue et les derniers maquis s’effondrent au début des années 1950, vaincus par le harcèlement militaire et policier des franquistes et par la forte répression d’après-guerre subie par un pays ruiné, épuisé et vidé de toute velléité de rébellion, privant ainsi les combattants du soutien populaire. Enfin, les accords hispano-américains de 1953, préludes à l’entrée de l’Espagne aux Nations Unies en 1956, scellent la reconnaissance diplomatique du régime. Cette légitimation internationale est un coup dur pour les républicains car elle signifie l’abandon définitif de leur cause par le monde libre. Celui-ci obéit désormais à de nouveaux impératifs stratégiques polarisés par la Guerre froide, et non plus par la ligne de fracture fascisme/antifascisme.
10Le Parti communiste espagnol est le premier à en tirer les conséquences quand il renonce définitivement à la lutte armée et lance en 1956 sa « politique de réconciliation nationale »4. Cette ligne stratégique propose une voie pacifique de lutte contre le franquisme, à travers un rassemblement de toutes les forces d’opposition de gauche comme de droite pour la liberté démocratique. Elle est issue pour partie des motivations évoquées ci-dessus — déstalinisation, constat de l’inefficacité de la lutte de guérilla, renoncement à l’aide internationale directe et nécessité de trouver à l’intérieur de l’Espagne les ressources pour renverser le régime — et pour partie d’une réflexion sur l’évolution interne de la société espagnole. Les événements de février 1956 déjà évoqués ont signifié la résurgence d’un mouvement intérieur d’opposition fondé sur une nouvelle génération d’Espagnols qui n’ont pas combattu pendant la Guerre civile et qui transcendent les divisions de leurs aînés. Il fallait donc, selon les mots de Santiago Carrillo, futur secrétaire général du Parti, « dépasser la ligne de division établie par la Guerre civile et aller audacieusement à la rencontre de ces nouvelles forces », dans une volonté explicite de surmonter une période de violences et des « habitudes et coutumes enracinées dans la vie politique espagnole depuis plus d’un siècle de guerres civiles, pronunciamientos et répression terroriste que la dictature essaie de perpétuer ». Dans cette voie pacifique, les communistes renoncent « à tout esprit de revanche » et tiennent compte du « désir de paix civile du peuple espagnol »5. Ils abandonnent aussi l’option révolutionnaire aux sources du marxisme-léninisme et s’éloignent progressivement à partir de 1968 de la tutelle soviétique pour se tourner vers l’eurocommunisme. Ce virage stratégique du Parti communiste explique les scissions successives provoquées par les partisans de la poursuite de la résistance armée contre la dictature capitaliste et fasciste.
11Enfin, les mouvements de la gauche radicale s’inscrivent dans un cycle de protestation plus large qui débute à la fin des années 1960 et accompagne la crise des dernières années du régime franquiste. Le mouvement ouvrier s’éveille dans la décennie 1960 et s’épanouit dans la décennie suivante, en particulier après 1973 : le nombre de conflits du travail déclarés en 1974 place l’Espagne au second rang des pays européens, avec plus de 14 millions d’heures de travail perdues et un demi-million de grévistes6. Ceux-ci se font les porteurs de la voix démocratique : exigeant l’adéquation de l’ordre institutionnel et social à la modernité économique, ils en viennent à revendiquer le droit de grève et l’existence de syndicats libres et démocratiquement élus. José María Maravall a bien montré cette politisation du mouvement ouvrier puisqu’à partir de 1967, il estime que les conflits du travail sont presque pour moitié convoqués, non pas pour des revendications de type professionnel, mais pour des raisons de solidarité ou des motifs à caractère politique7. La conflictualité sociale est relayée sur le terrain universitaire par l’émergence d’organisations étudiantes clandestines comme le Syndicat démocratique des étudiants qui occupe à partir de 1966 la place laissée vacante par le SEU, syndicat officiel aboli en 1965. L’opposition politique n’est pas en reste, dominée par le Parti communiste, qui est fortement implanté dans le mouvement ouvrier par le contrôle qu’il a établi sur les CC.OO. Il devient le parti antifranquiste par antonomase, qui agglutine toutes les personnalités désireuses de se mobiliser contre la dictature sans pour autant adhérer aux thèses marxistes-léninistes.
12Cette nébuleuse contestataire acquiert une dimension inédite à partir de l’année 1974 qui bouleverse les expectatives du mouvement : la fin du franquisme n’est plus alors une perspective lointaine et utopique, mais une réalité plus ou moins proche. Ce contexte de crise du régime encourage la mobilisation de l’opposition qui se regroupe dans des plateformes unitaires pour faire corps contre le régime autoritaire, sur le modèle de l’Assemblée démocratique de Catalogne qui réunit l’opposition catalane dès 19718. La Junta Democrática Española rassemble à partir de l’été 1974 autour du Parti communiste le Parti socialiste populaire de Tierno Galván, les socialistes andalous avec Rojas Marcos, le Parti carliste de Carlos Hugo et des personnalités monarchistes indépendantes comme Rafael Calvo Serer et Antonio García Trevijano. Le PSOE, dirigé par les jeunes socialistes de l’intérieur depuis l’élection de Felipe González au poste de secrétaire général au Congrès de Suresnes en octobre 1974, regroupe à son tour les forces démocratiques dans un organisme concurrent, la Plataforma de Convergencia Democrática, créée en juin 1975. La Plataforma, selon son appellation courante, s’étend de l’extrême gauche à la démocratie chrétienne, en passant par les sociaux-démocrates, les nationalistes basques et le Parti carliste.
13L’opposition politique s’organise donc en vue de l’imminente disparition du dictateur, tandis que les forces sociales se mobilisent sans relâche, provoquant en 1975 un regain de la répression étatique symbolisée par la proclamation de l’état d’urgence en avril en Biscaye et dans le Guipúzcoa, et l’exécution en septembre des cinq dernières victimes de la justice franquiste. C’est dans ce double contexte international et national que s’inscrit l’extrême gauche révolutionnaire.
II. — LA LUTTE ARMÉE À LA FIN DU FRANQUISME : DE L’APOLOGIE À LA PRATIQUE
14De nouveaux partis d’inspiration marxiste-léniniste apparaissent dans les années 1960 sur l’aile gauche du PCE9. Ils constituent la gauche « radicale » dans le sens où ils prônent une interprétation radicale des moyens d’accéder à la révolution sociale, par la lutte armée du prolétariat, à l’encontre de la stratégie pacifique et graduelle du Parti communiste taxé pour cela de révisionniste. Ces partis sont issus de trois mouvances principales, marxiste, catholique et nationaliste, qui toutes donneront lieu à des formes plus ou moins radicales de violence politique.
LES PARTIS DE LA GAUCHE RADICALE
15Les premiers, d’inspiration maoïste, résultent directement du fractionnement de la mouvance communiste et du rejet de la politique de réconciliation pacifique prônée par le PCE. En 1964 est créé à Bruxelles, autour de noyaux d’exilés, le Parti communiste espagnol (marxiste-léniniste)10 qui donnera lieu en 1971 à l’une des organisations armées contre la dictature, le FRAP (Front révolutionnaire antifasciste et patriote). En 1967, c’est au tour de militants du PSUC radicalisés dans les luttes ouvrières et politiques de Catalogne de quitter l’orbite du PCE pour fonder un parti indépendant, le PCE(i), Parti communiste espagnol (international), qui poursuit l’idéal tactique d’un front populaire uni contre la dictature et fera aussi usage de la violence. En 1968, un autre mouvement marxiste-léniniste maoïste est fondé à Bruxelles, l’OMLE (Organisation marxiste-léniniste d’Espagne), qui donnera naissance au bras armé le plus meurtrier de la transition, les GRAPO. D’autres groupuscules marxistes-léninistes viennent encore complexifier le panorama des sigles de la gauche révolutionnaire, sans néanmoins connaître la postérité des trois précédents ni adopter la pratique de la lutte armée11.
16Le MCE (Mouvement communiste basque), obéit quant à lui à une double provenance nationaliste et communiste. Il est issu d’une scission d’un groupe ouvriériste marxiste de l’ETA en 1966, qui fonde alors ETA-Berri (la nouvelle ETA) qui devient en 1969 Komunistak, avant de prendre le nom de MCE en 1972 quand il s’unit à l’Organisation communiste de Saragosse. Maoïste et d’origine nationaliste, le MCE, surtout implanté dans le Pays basque, a une trajectoire postérieure fortement influencée par le contexte régional, qui l’amènera vite à s’inscrire en porte à faux de la violence pratiquée par l’ETA. De même l’ORT (Organisation révolutionnaire des travailleurs) créée en 1969 à partir de groupes ouvriers catholiques qui coordonnent des actions revendicatives dans les usines, adopte progressivement une ligne marxiste-léniniste pro Mao mais ne s’engagera pas sur la voie de la violence. Ce n’est pas le cas de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), également issue de la mouvance catholique12, qui s’aligne sur le modèle trotskyste des Jeunesses communistes révolutionnaires d’Alain Krivine. En décembre 1973, elle fusionne avec l’ETA-VIe Assemblée sans modifier sa ligne idéologique fondée sur la théorie de la révolution permanente et mondiale, qui se traduit sur le terrain par un activisme urbain continu13.
17Enfin, en marge de ces partis d’inspiration marxiste-léniniste, le courant libertaire retrouve, dans le sillage des mouvements de contestation post-1968, un dynamisme perdu après l’écrasement des maquis et la division de la Confédération nationale du travail (CNT)14. Des groupes néo-libertaires surgissent dans les années 1970, motivés par l’écho dont bénéficie le courant antiautoritaire parmi la jeunesse et la classe ouvrière. Ils puisent dans un amalgame idéologique où cohabitent l’idéal communautariste fondé sur la dynamique participative de l’assemblée spontanée, l’utopie de la violence révolutionnaire et l’anarcho-syndicalisme réactualisé et parfois associé à l’idéologie marxiste15. Ces diverses organisations libertaires, extrêmement fragmentées, s’orientent progressivement vers une unification au sein d’une CNT rénovée qui connaît ainsi un nouvel élan au début de la transition, en particulier en Catalogne, creuset historique de l’anarchisme espagnol16.
THÉORIE ET PRATIQUE DE LA VIOLENCE RÉVOLUTIONNAIRE
18Au-delà des subtilités idéologiques qui différencient ces groupes, tous légitiment, au moins théoriquement, le recours à la lutte armée. Ils se considèrent comme les avant-gardes d’une classe ouvrière dont il faut impulser la mobilisation massive, jusqu’à atteindre le moment opportun pour l’insurrection, selon la théorie du foco ou foyer insurrectionnel. Extraite de l’aventure de Che Guevara et de l’expérience de la révolution cubaine17, cette théorie prétend que la pratique d’un foyer avant-gardiste de guérilla peut créer l’impulsion révolutionnaire nécessaire à l’expansion de la lutte armée à la manière d’un incendie. Le premier pas vers une violence effective est ainsi légitimé, son franchissement dépendant de l’analyse faite par chaque groupe de l’opportunité de la conjoncture. Si la fonction libératrice de la violence est donc au cœur de l’idée révolutionnaire, le caractère dictatorial du régime de Franco justifie d’autant plus son usage pour abattre un tyran traité à la fois de capitaliste, d’impérialiste et de fasciste.
a) L’agitation armée. Le cas des mouvements libertaires
19Pour autant, peu mettent effectivement en pratique le recours à la lutte armée idéologiquement légitimé. Le discours reste à l’état de rhétorique pour la plupart, tels l’ORT, le PTE (Parti du travail d’Espagne) et le MCE. Pour les autres, le répertoire d’actions violentes est majoritairement limité à un « activisme d’agitation » ou « aventurisme armé » selon les termes employés par les acteurs eux-mêmes18. D’un faible niveau technique réduit en pratique aux armes incendiaires, cet activisme est le fait de militants non spécialisés qui agissent dans le cadre de campagnes de propagande. Les cocktails Molotov lancés dans des affrontements de rue contre la police ou contre des agences bancaires sont monnaie courante dans les années 1970, notamment de la part de la LCR qui est friande d’un activisme dit « de représailles », comme lorsque, suite au coup d’État chilien qui renverse Allende, elle jette des armes incendiaires contre les bureaux madrilènes de la compagnie nationale chilienne d’aviation. Le Gouvernement civil du Guipúzcoa souligne aussi dans son rapport de 1976 le caractère agressif des membres de la LCR, qui forment des « piquets d’autodéfense » dans les manifestations, « armés de chaînes, de bâtons, de cocktails Molotov et autres objets contondants »19.
20On rencontre également un autre type d’activisme armé dans le cas des mouvements anarchistes, qui expriment souvent leur solidarité avec les luttes de leurs concurrents marxistes-léninistes. Barcelone est le foyer de la constellation libertaire et là où surgissent les quelques groupuscules qui mettent en pratique la violence révolutionnaire. Parmi eux le MIL (Mouvement ibérique de libération)20 est celui qui a acquis la plus grande notoriété malgré sa brève durée de vie. Il est formé en 1971 sous l’impulsion d’Oriol Solé Sugranyes, ex-militant du PSUC exilé à Toulouse, à partir de deux noyaux : le premier à Toulouse autour de jeunes issus des milieux libertaires et prêts à passer à l’action (dont Jean-Marc Rouillan, futur leader du groupe terroriste français Action directe), le second à Barcelone à partir de l’hétérodoxe Action communiste. Les références idéologiques du mouvement sont une combinaison du legs anarchiste communautariste et de l’héritage marxiste maoïste et castro-guévariste. S’érigeant en groupe de soutien au mouvement ouvrier qui doit s’auto-organiser, il fonde à cette fin un courant autonome au sein des CC.OO., les Groupes ouvriers autonomes chargés d’éduquer et de guider la classe ouvrière dans ses luttes revendicatives. En outre, au cœur de sa stratégie se situe « l’agitation armée », conceptualisée pour se différencier de la « lutte armée » telle que l’entendent les partis marxistes-léninistes révolutionnaires21. L’agitation armée est destinée uniquement à lutter contre la répression, à assurer l’autofinancement du groupe, à aider matériellement la classe ouvrière et à lui démontrer que son combat est capable de se transformer en insurrection révolutionnaire. Le groupe passe ainsi à l’action au second semestre 1972, et signe du nom de MIL-GAC (Groupes autonomes de combat). Ses actions sont concrètement réduites à des attaques de banques et de commerces pour récupérer argent et matériel, notamment d’imprimerie pour éditer la propagande. Elles sont de très courte durée car le groupe, insatisfait de son isolement au sein du mouvement ouvrier, s’auto-dissout en août 1973. Un mois plus tard, la répression s’abat sur les militants du MIL : ses principaux responsables sont arrêtés à Barcelone22. Au cours des interpellations, un policier est tué. Salvador Puig Antich, l’un des leaders du MIL, en est considéré comme le responsable, il est condamné à mort et exécuté en mars 1974 selon la méthode dite du « vil garrot ». Cette exécution est à l’origine de la célébrité postérieure du MIL, et d’un mouvement de solidarité qui entraîne dans son sillage la réactivation d’autres groupuscules libertaires sur un modèle similaire.
21Ainsi le GARI, Groupe d’action révolutionnaire internationaliste est créé à Paris en 1973 par un noyau d’anarchistes espagnols exilés, comme une sorte de comité de liaison de divers groupes anarchistes, basé à l’étranger (en France, en Belgique et en Italie) et dont l’objectif est de renverser le régime de Franco. Il est à l’origine de quelques attentats commis en 1974 en France : sabotages de voies de communications avec l’Espagne, braquages de banques, attentats contre des institutions espagnoles et même enlèvement du directeur de la Banque de Bilbao à Paris23. Les GAR, Groupes armés révolutionnaires, et la OLLA (Organisation pour la lutte armée) sont deux autres groupuscules directement nés des comités de solidarité en faveur de Puig Antich et qui agissent en Catalogne. Quelques attentats leur sont imputés en 1974 et 1975, comme l’explosion d’un monument aux morts à Mataró, un vol d’explosifs ou le hold-up d’un bureau des postes24. Une vague d’arrestations en septembre 1975 dans les milieux anarchistes catalans met pratiquement fin à l’agitation armée libertaire, qui ne sera plus que résiduelle pendant la transition.
22La majorité de la gauche révolutionnaire se contente à la fin du franquisme de ce type d’activisme de faible intensité violente25. Les seuls groupes à le dépasser et à mettre en pratique les théories volontaristes de la guérilla urbaine sont le PCE(m-l) et le PCE(r) [Parti communiste d’Espagne (reconstitué)], qui créent un véritable front militaire, respectivement le FRAP et les GRAPO, conçus comme un bras armé au service de l’appareil politique.
b) La lutte armée contre le franquisme : le PCE(m-l)-FRAP et le PCE(r)-GRAPO
23Comment comprendre le passage à la lutte armée de ces deux organisations marxistes-léninistes ? Pour C. Laíz, ce phénomène peut s’expliquer par quelques similitudes significatives26. D’une part, toutes deux ont été fondées à partir des cercles d’émigrés espagnols en Europe et ne comptent, au moment de leur formation, aucune implantation sociale en Espagne qui puisse les renseigner sur la réalité des évolutions internes. Cette distance initiale explique que ces groupes qui s’érigent en avant-gardes des classes populaires ne parviennent pas à infiltrer les mouvements sociaux d’opposition à la dictature, ce qui précipite le passage à l’action violente pour accélérer la maturation populaire. Une spirale d’échecs successifs dans les luttes étudiantes, syndicales ou de quartier a facilité un certain repli communautaire, poussant les militants vers l’action clandestine armée dans une tentative radicalisée d’exprimer leur opposition frontale au système politique. D’autre part, le PCE(m-l) et le PCE(r) sont les partis les plus influencés par les théories maoïstes et les plus fascinés par le succès militaire de la guérilla chinoise, dans laquelle la tactique militaire prime sur la stratégie politique. Le franchissement du passage à l’acte résulte donc à la fois d’une radicalisation des thèses révolutionnaires marxistes-léninistes, agrémentées de maoïsme et de tiers-mondisme, jusqu’à l’affrontement armé ouvert avec l’État oppresseur, et d’une coupure avec les secteurs sociaux qu’ils disent représenter, dans un processus d’inversion qui les conduit à la pratique exclusive de la violence terroriste. La différence entre les deux partis se situe dans leur devenir : si le PCE(m-l) est rapidement détruit par son expérience terroriste, celle-ci structure au contraire le PCE(r) et devient la raison de sa survie.
24Le PCE(m-l) crée en 1971 un « front des masses » intitulé le FRAP27, qui se propose d’intégrer tous ceux qui sont prêts à poursuivre la révolution défaite pendant la Guerre civile et trahie par le Parti communiste, qu’ils soient marxistes-léninistes ou républicains, en exil ou à l’intérieur. Guerre et révolution sont unies dans des énoncés idéologiques où il s’agit de lutter contre la dictature mais aussi contre l’envahisseur impérialiste américain, suivant un modèle militaire inspiré par la guerre populaire maoïste. De fait, le FRAP ne parvient pas à agglutiner les individualités engagées dans les luttes révolutionnaires et ses membres sont presque exclusivement des militants du PCE(m-l), si bien qu’au moment de sa proclamation officielle en janvier 1974, il n’a plus rien d’un front populaire de révolutionnaires et est réduit à l’état de bras armé du parti. Le FRAP commet ses premières actions violentes le 1er mai 1973, quand il se lance dans des escarmouches délibérées avec la police qui se traduisent par la mort d’un sous-inspecteur de police, J. A. Fernández Gutiérrez, poignardé par un groupe manifestants. Des centaines de personnes sont arrêtées les jours et les semaines qui suivent, accusées souvent à tort d’appartenir au FRAP : le processus d’engrenage vers la violence est entamé. Les militants du PCE(m-l) tentent encore d’impulser les luttes urbaines et de soutenir les mouvements ouvriers comme en novembre 1974 quand ils convoquent une grève générale révolutionnaire : ils distribuent des tracts de propagande parsemés de quelques cocktails Molotov à Barcelone en solidarité avec les travailleurs de SEAT, et font exploser une bombe contre un monument aux morts madrilène. Mais ils ne parviennent pas à mobiliser les masses et se coupent de plus en plus des luttes sociales, tout en se rapprochant parallèlement du chemin de la violence terroriste à travers les contacts pris avec l’ETA et le Front Polisario au Sahara.
25En 1975, face à l’accélération des perspectives de changement politique et la proximité de la mort de Franco, le FRAP initie un virage stratégique. Il remplace dans son discours la rhétorique de la lutte des classes et de la révolution par l’appel explicite à la violence, en affirmant que « la classe ouvrière sent, chaque fois avec plus de force, la nécessité de se défendre de la violence fasciste par sa propre violence révolutionnaire »28. En avril, le Comité permanent du FRAP décide d’organiser des actions armées ponctuelles et à l’été, il se lance résolument dans la « guerre populaire » à travers une campagne d’actions armées à Valence, Barcelone et Madrid, composées de vols d’armes, de hold-up d’entités bancaires, d’agressions de personnes et d’entreprises liées à certains conflits du travail, de jets de cocktails Molotov contre des bâtiments administratifs et les intérêts américains, d’actes de vandalisme contre des monuments commémoratifs29. La vingtaine d’attentats perpétrés à partir du mois de juin par le FRAP, surtout à l’aide d’armes incendiaires, se solde par la mort de trois policiers à Madrid30.
26Le FRAP espérait se rapprocher des masses populaires et initier une chaîne d’affrontements armés avec la population qui provoque le soulèvement de la future armée du peuple. Le résultat est contraire et conduit à la désintégration du parti. En effet la réaction policière est immédiate : des dizaines de membres du FRAP sont arrêtés et jugés, trois d’entre eux sont condamnés à mort et fusillés le 27 septembre, aux côtés de deux etarras. Le PCE(m-l) est pratiquement démantelé après une seconde vague d’arrestation en septembre, ceux qui échappent à la répression policière s’enfuient en exil. L’expérience terroriste a donc constitué à la fois l’aboutissement de la radicalité idéologique du parti et sa propre destruction.
27Dans le cas du PCE(r), le bras militaire accapare la centralité stratégique et prend une toute autre ampleur. Le PCE(r) est issu de l’OMLE31, fondée en exil et reprise en main par les militants de l’intérieur à partir de 1971. Elle devient un parti communiste révolutionnaire, tiers-mondiste et maoïste, centralisé sur le modèle bolchevique avec la professionnalisation croissante des militants les plus actifs en clandestinité. Le parti est bien implanté à Madrid, mais aussi en Andalousie et en Galice, suite à des opérations locales de recrutement parmi les marxistes radicaux déçus de la politique du PCE et des CC.OO. En tout, environ 200 militants composent l’appareil politique, auxquels il faut ajouter quelques centaines de sympathisants regroupés dans des « organisations de masse » comme Socorro Rojo, comité de solidarité ouvrière, l’Organisation démocratique des étudiants antifascistes, ou une branche juvénile intitulée l’Union des Jeunesses antifascistes. Les militants professionnalisés participent à des hold-up destinés à financer le parti et à le fournir en matériel (agressions de policiers ou gardiens de sécurité pour leur voler leur arme, vol de matériel d’imprimerie, etc.), autour d’une équipe formalisée en mars 1974, initiant ainsi le virage vers la mise en pratique de la lutte armée. En juin 1975, l’OMLE se transforme en PCE(r). Des commissions spécialisées sont créées, dont l’une dite « technique » est de fait chargée des actions armées. Elle est dirigée par Abelardo Collazo, puis par Enrique Cerdán. En août, la section militaire assassine un garde civil à Madrid, signant ainsi le premier crime mortel d’une future longue série. Le 1er octobre, c’est au tour de quatre agents de la Police armée d’être assassinés par balles dans la capitale, dans une action de représailles pour les exécutions du 27 septembre 1975. Ces actions, les seules qui précèdent la mort de Franco, ne sont pas revendiquées, elles sont attribuées au FRAP ou au mouvement communiste en général. Elles signent en tous cas le franchissement symbolique du seuil du sang versé et l’engagement personnel et structurel des militants envers la violence. Il faut néanmoins attendre le 18 juillet 1976 pour voir apparaître officiellement le nom des GRAPO qui est en soi une reconnaissance a posteriori des assassinats du 1er octobre précédent.
28À partir de là, le groupe, véritable bras armé du PCE(r) entre dans une dynamique terroriste croissante à mesure que la transition vers la démocratie avance : la stratégie terroriste prend le pas sur la justification sociale et révolutionnaire, elle devient dès lors sa raison d’être32.
29Les dernières années du franquisme constituent donc le terreau favorable sur lequel des organisations de la gauche radicale mettent en pratique les théories libératrices de la violence révolutionnaire. De l’activisme de soutien au parti clandestin au terrorisme, en passant par l’aventurisme armé, la gamme de la praxis révolutionnaire est théoriquement assez étendue. En réalité, seuls quelques groupes ont recours de façon assez sporadique à une violence de basse intensité. Les victimes mortelles de la lutte armée révolutionnaire sont peu nombreuses — trois morts depuis 1971, plus les cinq policiers tués par le FRAP en 1973 et 1975 et les victimes des GRAPO mi-1975. Si bien que peu d’auteurs octroient le qualificatif de terrorisme à ces violences révolutionnaires. Les armes ne sont qu’une tactique parmi d’autres pour renverser le régime oppresseur et réaliser la révolution socialiste. Seule la brève expérience du FRAP est parfois qualifiée de terroriste, mais la connotation péjorative de l’adjectif est de suite compensée par le caractère dictatorial du régime contre lequel il s’érige. Pour C. Laíz l’aventure du FRAP est perçue comme une violence « prédémocratique »33, la nature autoritaire et oppressive du régime qu’elle combat justifiant le recours à la violence. J’ai préféré pour ma part mettre sur le même plan le FRAP et les GRAPO qui seront, eux, clairement taxés d’ennemis de la démocratie dans les années qui suivent la mort de Franco. Que deviennent précisément ces groupes révolutionnaires quand la démocratie s’installe en Espagne et que l’aura du combattant guérillero antifranquiste perd progressivement sa signification sociale ?
III. — LA GAUCHE RÉVOLUTIONNAIRE FACE À LA RÉFORME
30Face au défi imposé par la mort du dictateur et le processus de transition, les mouvements d’extrême gauche se retrouvent dans une impasse politique. Ils optent pour des logiques diverses qui prolongent les différents choix faits à la fin du franquisme et s’achèvent toutes sur une marginalisation du système démocratique en construction. Fernando Reinares distingue deux dynamiques propres aux « avant-gardes » et aux « arrière-gardes »34. Les premières tendent à rejeter le processus de changement en cours s’il suppose une menace pour les positions acquises, elles subordonnent donc toute mobilisation des masses à une violence systématique dirigée contre le nouveau régime pour le paralyser. Les secondes en revanche sont enclines à reconnaître la légitimité des transformations politiques et à accepter les nouvelles formes d’action revendicatives efficaces et non violentes qu’elles offrent. Dans ce cas, le potentiel violent est soumis à la primauté des méthodes d’action pacifiques et conventionnelles et la tentation de la violence tend à disparaître. La gauche révolutionnaire est soumise à ces deux types de logique au cours de la transition espagnole : d’un côté les groupes anarchistes qui ont pu succomber à la tentation de la violence et les partis marxistes-léninistes qui se sont contentés de théoriser son usage, s’engagent progressivement dans la voie de l’intégration pacifique au système démocratique, voire dans l’abandon de leurs préceptes révolutionnaires ; de l’autre les groupes déjà ancrés dans la dynamique de l’action armée se réfugient dans une fuite en avant vers la violence terroriste.
L’INTÉGRATION PACIFIQUE AU NOUVEAU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE
31La logique de l’arrière-garde est celle qui l’emporte chez la quasi-totalité des groupes d’extrême gauche. Déjà la perspective de la mort de Franco avait fait évoluer les énoncés utopiques de nombreux partis de la gauche radicale vers l’acceptation du dialogue, de la négociation et du pluralisme politique. Sans résoudre pour autant le dilemme fondamental posé par l’opposition entre révolution et réforme, ces partis tiennent un discours dualiste où prime temporairement la nécessité de rétablir les libertés démocratiques en Espagne de façon pacifique et graduelle, avant d’envisager la révolution socialiste. L’ORT, le PTE, le MCE, la LCR et les anarchistes se dirigent ainsi vers l’acceptation du consensus transitionnel.
a) L’hésitation des débuts
32La participation aux plateformes unitaires de l’opposition est le premier pas vers l’intégration au système futur. Le PCE(i) sollicite dès 1974 son entrée dans la Junta pourtant dominée par le Parti communiste contre lequel il s’était constitué ; il accepte même sous la pression de ce dernier de changer de nom et d’abandonner le qualificatif de « communiste » pour pouvoir intégrer l’organisation. En 1975 il devient donc le PTE et rejoint la Junta en mars. L’ORT et le MCE préfèrent intégrer la Plataforma, plus ouverte aux tendances de tous bords et excluant le PCE. Seule la LCR maintient son indépendance et dénonce l’alliance bourgeoise de l’opposition qui porte préjudice aux travailleurs et freine les luttes ouvrières.
33Une fois la transition entamée, l’extrême gauche, encore dans l’expectative jusqu’en 1977, offre un discours ambivalent qui tente de combiner la participation dans le processus de changement politique et la pression par le bas pour parvenir à la rupture révolutionnaire. La gauche dans son ensemble hésite encore entre l’attitude « pactiste » qui consiste à négocier avec le gouvernement et à accepter la modalité réformiste du changement qu’il lui impose, et la persistance à vouloir provoquer une rupture totale avec le régime précédent. La dernière action commune de la gauche unitaire est la campagne pour l’abstention au référendum de décembre 1976 sur la LRP. Les mobilisations sont de fait menées par les partis d’extrême gauche, avec le soutien complaisant mais déjà distant de la gauche modérée qui sait les profits politiques qu’elle peut retirer d’une approbation massive de la loi qui constitue, en réalité, une première rupture avec le régime franquiste. Peu après, pour traiter directement avec Suárez des modalités de la réforme, est créée la commission de négociation qui exclut les partis de la gauche radicale. La solidarité fictive de l’opposition de gauche issue du temps de la clandestinité de la lutte antifranquiste laisse place à la compétition partisane. La perspective des élections législatives de juin 1977 incite chacun à lutter individuellement pour obtenir une parcelle de pouvoir. Les partis d’extrême gauche hésitent encore et poursuivent leur stratégie de mobilisation populaire et d’activisme pour obtenir une amnistie générale, la rupture avec le régime franquiste et leur pleine reconnaissance dans l’espace public démocratique. Ils ne sont légalisés qu’après les élections de juin 197735, ce qui ne les empêche pas d’y participer sous la forme de candidatures déguisées et d’éphémères alliances électorales36. Leurs résultats sont faibles : avec 300 000 voix, ils ne représentent que 3 % de l’électorat et 15 % de l’option marxiste contre 85 % pour le PCE. Exclus de la représentation parlementaire, ils sont relégués aux frontières du système politique, ce qui entraîne une remise en question essentielle du sens à donner désormais à leur action.
b) L’intégration ou le conflit ?
34Deux chemins distincts sont alors empruntés par les partis d’extrême gauche, conscients de la nécessité de remédier au sectarisme et à la prolifération des sigles pour espérer peser sur le jeu politique. Les premiers, l’ORT et le PTE, reconnaissent l’avancée que les élections ont représenté pour le peuple espagnol, ils déclarent disparu le gouvernement de la dictature et défendent ouvertement la démocratie. Ils s’engagent dans une campagne active de soutien à la Constitution et ne questionnent plus, dans leurs programmes électoraux de 1979, la forme politique de l’État — la monarchie parlementaire — ni le système de production capitaliste et l’économie de marché. L’union logique entre les deux partis37 ne parvient cependant pas à enrayer le processus de désintégration de ce secteur politique, confirmé par les élections législatives de 1979 où il ne dépasse pas les 320 000 voix. La crise qui déchire les militants face à la perte du sens révolutionnaire de leur action s’achève par la scission, puis la dissolution au cours de l’année 1980. Cette disparition est donc à comprendre comme l’aboutissement de la dynamique de l’intégration.
35Le MCE et la LCR ont tiré la leçon inverse de l’échec électoral de 1977. Revenant sur leurs velléités négociatrices des débuts de la transition, ils optent pour la voie du conflit et du repli communautaire. Le MCE en particulier récupère la fraîcheur des principes révolutionnaires dans une radicalité rénovée à son congrès d’avril 1978, s’inscrivant dans une optique de résistance entendue comme l’opposition systématique et globale à l’ensemble de l’ordre juridique en place. Les deux groupes refusent le système politique démocratique et s’opposent frontalement à la Constitution de 1978 : le MCE préconise l’abstention au référendum de décembre tandis que la LCR appelle à voter contre. Néanmoins, ils pratiquent un certain « opportunisme institutionnel »38 dans le sens où ils participent aux élections et profitent des possibilités offertes par le régime démocratique. L’échec électoral de 1979 les amène à rediriger leurs actions vers la participation aux nouveaux mouvements sociaux comme les campagnes anti-OTAN ou anti-nucléaires en 1981-1982, ou vers la défense de l’option régionaliste. La LCR et le MCE se marginalisent donc de plus en plus de l’espace politique proprement dit au profit de la canalisation des protestations sociales les plus mobilisatrices et les plus radicales39.
36Dans les deux cas, acceptation du consensus ou conflit externalisé, l’adaptation de l’extrême gauche au nouveau système politique se traduit par une évolution du langage de la violence. Les premiers, l’ORT et le PTE, expriment fermement leur rejet de la violence et du terrorisme dès 1978 : en reconnaissant les possibilités pacifiques offertes par la démocratie, ils ont explicitement renoncé à la potentialité de la révolution violente. La LCR et le MCE ne vont pas jusque-là : l’idée de révolution armée est toujours présente dans leur bagage théorique même si elle n’est pas d’actualité. Le principe de la violence n’est donc pas en soi rejeté, même si les deux partis condamnent le terrorisme individuel mené par l’ETA et les GRAPO comme inefficace et inapproprié, car disjoint des luttes populaires.
c) L’éphémère résurgence du mouvement anarchiste
37Le mouvement libertaire n’échappe pas aux restructurations imposées par le changement de régime. Après la mort de Franco, la CNT renaît de ses cendres au travers de restructurations régionales successives, dont le succès est cristallisé par le premier meeting de la Confédération près de Barcelone le 30 octobre 1976. Elle connaît une expansion considérable au cours des années suivantes dans les milieux ouvriers, dont elle soutient les luttes revendicatives au-delà de la démobilisation progressive imposée par la gauche modérée et contre l’hégémonie syndicale bureaucratique des CC.OO. et de l’UGT. De grands meetings à San Sebastián de los Reyes, Valence ou Barcelone témoignent en 1977 de sa capacité croissante de rassemblement. En juillet, les Journées libertaires internationales réunissent pendant plusieurs jours près de 600 000 personnes à Barcelone, autour de concerts et de débats variés sur l’écologie, l’évolution de la société, l’urbanisme, la libération sexuelle, l’utopie artistique, etc. L’influence culturelle du mouvement libertaire est notoire et les Athénées libertaires deviennent des lieux phares de la culture populaire dans certains quartiers. La Confédération compte en 1977 près de 130 000 adhérents, ce qui en fait le troisième syndicat de la Péninsule.
38Parallèlement, la FAI (Fédération anarchiste ibérique) essaie de réunir les divers groupes libertaires autour d’une communauté idéologique mieux définie. Le 30 janvier 1977, une centaine de délégués de diverses organisations se retrouve à Barcelone, mais une infiltration policière conduit à l’arrestation de la quasi-totalité des dirigeants du mouvement. La majorité sort de prison un ou deux mois plus tard, mais l’élan unitaire est coupé à la racine40. À partir de 1978, la CNT est à son tour soumise à la paralysie : les tensions idéologiques s’aiguisent à l’aune de certains événements déstabilisateurs tels l’affaire Scala qui oblige les militants à clarifier leur position sur l’agitation armée41, pendant qu’une campagne externe de diffamation qui assimile la CNT à une organisation terroriste contribue à la décrédibiliser aux yeux des milieux ouvriers. Mais c’est surtout la posture radicale de la Confédération qui la conduit à s’éloigner de la réalité sociale. Son refus absolu d’intégration au système se traduit par le rejet des Pactes de la Moncloa42 de la fin 1977 et par le boycott des élections syndicales : elle s’exclut ainsi volontairement de la lutte syndicale et perd progressivement pied au sein du mouvement ouvrier. En 1979, le Ve congrès de la CNT fait le constat de ce déclin et se termine sur une profonde rupture interne, qui signe l’affaiblissement définitif du mouvement libertaire.
LA RÉSISTANCE ARMÉE À LA RÉFORME
39D’autres organisations radicales tardent ou refusent totalement de prendre en compte l’émancipation réelle du cadre des libertés. Elles optent pour une troisième posture, celle du « conflit ouvert »43. Suivant une logique immobiliste de résistance, elles refusent catégoriquement de percevoir les transformations de la nature de l’État, qui continue à être l’oppresseur « fasciste » des classes populaires. La lutte armée, toujours conçue comme instrument de l’éveil de la conscience des masses et de l’insurrection populaire, est aussi un moyen d’acquérir une notoriété de la part de groupuscules marginalisés. Elle conduit néanmoins les militants à s’enfoncer dans l’impasse révolutionnaire et à s’exclure des formes civilisées de la praxis politique qui s’annonce.
40De rares groupuscules anarchistes et marxistes-léninistes adoptent ce chemin stratégique. Peu nombreux, ils disposent en outre de peu de moyens, ce qui réduit considérablement leur potentiel violent : les résidus du FRAP et du PCE(i), ainsi que la nébuleuse libertaire ne dépassent pas le stade de l’agitation armée de basse intensité. Seuls les GRAPO disposent d’une réelle capacité meurtrière. De plus, ces organisations clandestines sont faciles à infiltrer par la police et donc à démanteler à partir du moment où l’État se donne les moyens d’une lutte antiterroriste efficace. La répression policière met ainsi pratiquement fin à leur activité dès 1979-1980.
a) Les violences anarchistes
41L’action directe est encore considérée théoriquement comme la tactique adéquate pour mettre fin à la dictature au dernier congrès de la CNT, célébré en France en août 197544. Un bulletin de la CNT daté de février 197745 confirme le maintien de cette ligne tactique tout en prenant ses distances avec la pratique de la violence : l’action directe n’est en rien comparable à « l’attentat terroriste ». Elle n’est pas « forcément violente » et, dans tous les cas, il s’agit « d’une violence de classe dirigée contre les structures et non contre les personnes », comme les manifestations « civiques et politiques », le boycott, la grève. Sont éventuellement tolérés « le sabotage et la grève générale révolutionnaire », mais seulement en cas de haut degré de « cohésion organisationnelle des travailleurs ». Suivant cette ligne qui se veut révolutionnaire et solidaire des luttes ouvrières, certains secteurs participent ponctuellement à des actions d’agit-prop qui peuvent dépasser le cadre d’action déterminé par la théorie anarcho-syndicaliste, sans néanmoins jamais aller au-delà de l’agitation urbaine de faible intensité.
42Les campagnes d’agit-prop menées pendant la transition visent surtout à dénoncer le caractère répressif persistant de l’État. Ainsi l’anarchisme se rend solidaire de la lutte des prisonniers de droit commun pour réclamer des mesures de grâce ou d’amnistie ainsi qu’une amélioration des conditions de vie dans les prisons. En ce sens a été créée en 1976 la COPEL (Coordination des prisonniers en lutte), qui réalise par le biais de comités de soutiens des actions spectaculaires en 1977-1978 : mutineries, incendies en prison, automutilations, grèves de la faim, etc. Notre corpus rend compte parfois d’actions violentes perpétrées au nom de la COPEL en dehors des prisons, comme en juin 1977 quand l’organisation revendique l’explosion de six cocktails Molotov contre autant de banques à Valence, ou en juillet lorsqu’un groupe dénommé GAPEL, Groupe armé des prisonniers en lutte, bras armé supposé de la COPEL, revendique l’incendie de deux wagons de métro et de l’attaque d’un bureau de l’état-civil. Ou encore en mars 1978, quand des groupes armés de soutien à la COPEL s’attribuent la pose d’explosifs sur la voie ferrée Madrid-León46.
43La solidarité internationale du mouvement anarchiste est aussi l’occasion de dénoncer, par des actions violentes sporadiques, le caractère répressif des socialdémocraties. Par exemple en mai 1976, un commando anarchiste provoque l’incendie des locaux de l’entreprise Hoechst Ibérica à Barcelone, en signe de protestation contre la mort de la fondatrice de la RAF (Fraction armée rouge) Ulrike Meinhof, retrouvée « pendue » dans sa cellule en Allemagne. Le même motif suscite un incendie au consulat allemand de Bilbao, signé « Die Mainhoff bewegung »47, tandis que l’année suivante, en octobre, la mort de trois autres membres de la RAF en prison (dont Baader) provoque des incidents du même acabit contre les intérêts allemands48. Par ailleurs, la commémoration de l’exécution de Puig Antich fait du 2 mars un jour conflictuel : en 1977, un attentat est commis à Madrid contre le ministère de la Justice pendant que des émeutes urbaines dans les capitales catalane et castillane se soldent par des dégâts matériels et quelques cocktails Molotov lancés contre des entités bancaires. En juin 1977, c’est le rejet du système parlementaire et de l’illusion démocratique qui conduit un groupe de jeunes anarchistes à mettre le feu à des urnes prévues pour les élections du 15, dans la banlieue de Barcelone49.
44Notre corpus dénombre une trentaine d’actes violents de ce type perpétrés par des groupes anarchistes sur la période. Ce chiffre est, de façon certaine, inférieur à la réalité car les libertaires ne revendiquent pas souvent leurs actions. C’est lors des arrestations que la police découvre des armes qui suggèrent la volonté de les utiliser50 et qu’elle parvient à attribuer des attentats jusque-là sans auteurs identifiés. En février 1978, des membres d’une organisation dénommée les « Groupes autonomes libertaires » sont interpellés à Madrid et accusés d’avoir déposé des explosifs le 25 juillet 1977 dans cinq locaux commerciaux et d’avoir lancé des cocktails Molotov contre des tribunaux de la capitale en août et en décembre51. Un autre commando libertaire de Barcelone interpellé début 1978 est accusé d’avoir réalisé plusieurs hold-up, d’avoir déposé des explosifs contre la prison Modelo et des tribunaux et d’avoir lancé divers cocktails Molotov contre des banques entre juin 1977 et janvier 1978. Le Gouvernement civil du Guipúzcoa perçoit les anarchistes en 1977, comme peu nombreux mais « violents, participant à toutes les mobilisations populaires » notamment en tant que « piquets d’autodéfense »52. Il s’agit de fait de groupes extrêmement réduits, composés au plus d’une dizaine de militants, basés surtout à Barcelone et à Madrid, et secondairement dans les régions valencienne et andalouse, qui pratiquent sporadiquement et de façon isolée l’action directe armée. Les cocktails Molotov sont leur arme privilégiée, plus rarement le matériel explosif de fabrication artisanale fait son apparition, fourni par le réseau anarchiste international53 ou par des vols. Les attentats, « sabotages » suivant le langage révolutionnaire, visent exclusivement des biens et ne portent pas atteinte à la vie.
45Néanmoins, une exception54 a un puissant impact sur le mouvement anarchiste : l’affaire Scala. Le 15 janvier 1978 à Barcelone, après une manifestation de la CNT qui réunit près de 10 000 personnes contre les Pactes de la Moncloa, des cocktails Molotov lancés par la fenêtre à l’intérieur du théâtre La Scala, dans lequel travaillaient alors des ouvriers, provoquent l’incendie du bâtiment et la mort accidentelle de quatre d’entre eux. Une vague d’arrestations dans les milieux anarchistes suit l’incident qui scandalise l’opinion publique. Deux jeunes militants de la CNT reconnaissent les faits et sont jugés par l’Audience nationale55. L’opération porte un coup sérieux à l’ensemble du mouvement anarchiste, qui devient l’objet d’une forte campagne politico-médiatique qui vise à discréditer la CNT en l’associant au terrorisme. Malgré une forte contrepropagande anarchiste pour rejeter cet amalgame56, le mouvement libertaire est en perte de vitesse, d’autant que la tragédie a contribué à aiguiser les tensions au sein de la CNT, entre ceux qui ont manifesté leur solidarité avec les détenus et ceux qui les ont condamnés et ont exigé leur expulsion. Ce n’est qu’à partir de 1980 que la réalisation d’actions violentes par les anarchistes diminue considérablement, comme le confirment les chiffres de la DGS : s’ils sont encore identifiés comme les auteurs de 38 actions violentes en 1979 — entre juillet 1978 et juin 1979, 22 anarchistes sont encore arrêtés en application de la législation antiterroriste57 —, ils n’en commettraient plus que 8 en 1980, 4 en 1981 et aucune en 198258. L’action directe armée n’apparaît plus à la fin de la transition comme une ressource potentiellement mobilisable pour le mouvement anarchiste, qui n’a pas réussi à se faire une place dans l’échiquier politique postfranquiste.
b) Le PCE(m-l)-FRAP
46Après le démantèlement policier de l’automne 1975, des rescapés tentent de reconstruire le PCE(m-l) en France en 1976, bien que la majorité des cadres et des militants de l’intérieur abandonne le parti lors de la IIe Conférence nationale en juillet à Paris. Le PCE(m-l) ne dispose plus d’une organisation stable et est absent de la scène politique espagnole. Néanmoins, le FRAP est encore perçu par les autorités comme un groupe terroriste dangereux. Ainsi le rapport du Gouvernement civil du Guipúzcoa de 1977 le considère comme le « deuxième groupe terroriste » de la province derrière l’ETA, même si de fait son « agressivité » a été réduite au « lancement de quelques cocktails Molotov dans les manifestations où il a participé »59. En effet, selon des documents de la préfecture de police trouvés parmi les archives du Gouvernement civil de Madrid et contre l’opinion couramment répandue qui fait disparaître le FRAP en 1975, le parti serait parvenu à se restructurer autour du comité madrilène et compterait encore un millier d’adhérents en Espagne en 197860.
47La propagande du PCE(m-l) persiste dans une continuité sans faille à défendre ses thèses marxistes radicales, à critiquer le Parti communiste révisionniste et collaborateur, à s’insurger contre l’impérialisme américain et à prédire l’insurrection armée des masses. Elle y incorpore une double thématique particulièrement mobilisatrice, à la fois républicaine et antirépressive. Le parti dénonce ainsi la farce monarchique qui n’est qu’une continuation de la dictature franquiste — le drapeau rouge et or de la monarchie est qualifié de fasciste — et appelle à toute une série d’actions de propagande les 14 avril de chaque année, date de la proclamation de la Seconde République. Chaque signe répressif est pour sa part interprété comme l’une des manifestations du caractère fasciste du gouvernement : les mesures législatives antiterroristes, les arrestations, les interdictions des manifestations, les bavures policières sont dénoncées avec moult publicité tandis que l’un des slogans phares du parti est « Vous, les fascistes, c’est vous les terroristes ! ». Le PCE(m-l) ne cesse de réclamer l’épuration des « corps répressifs » et exprime sa solidarité avec la répression subie par les nationalistes basques. Il fait preuve d’une propagande accrue en ce sens le 27 septembre, jour qui commémore les dernières exécutions franquistes de 1975 et est érigé en date symbole pour les partis radicaux de gauche61. L’appel réitéré à la violence défensive révolutionnaire vaut au parti le refus du ministère de l’Intérieur de le légaliser avant les élections de 1977. Un an plus tard, en juillet 1978, sa demande est à nouveau rejetée62, ce qui suscite la préoccupation temporaire des autorités face à une éventuelle réaction violente des militants, dont témoigne une série de notes policières. Les autorités craignent notamment « l’apparition de poussées de violences républicaines : altérations urbaines de l’ordre public avec l’exhibition de drapeaux républicains, cocktails Molotov, émeutes, graffitis, distribution de pamphlets, etc. »63. Le répertoire d’actions du PCE(m-l) est ainsi posé : il se résume à un activisme de faible intensité. La réaction du parti semble de fait temporairement contraire à l’attente des autorités puisqu’il interdit à ses militants la réalisation d’actions violentes, y compris l’utilisation de cocktails Molotov, dans l’espoir de rallier l’opinion publique à sa cause64.
48Concernant le FRAP, notre base recense avec difficulté ses actions sporadiques : une dizaine sont mises sur son compte, surtout des cocktails Molotov contre des bâtiments, des véhicules de police ou des monuments sur la place publique. En mai 1980, la police rend le FRAP responsable de l’assassinat d’un agent de sécurité à Saragosse ; Rosón, alors ministre de l’Intérieur, évoque même dans une session parlementaire l’étrange « réactivation du FRAP »65. Mais aucune action n’est ensuite signalée, alors que la répression policière s’abat durement sur les membres du PCE(m-l). Un rapport de la police judiciaire compte ainsi 56 individus arrêtés entre juin 1977 et juin 1979 pour être liés au FRAP. Entre juillet 1978 et juin 1979, les 21 membres du FRAP arrêtés entrent tous en prison en vertu de la législation antiterroriste, ils sont accusés de 40 hold-up d’un montant total de cinquante millions de pesetas66.
49Ce panorama esquissé par les bribes d’information disponibles montre que le FRAP n’a pas disparu pendant la transition, même si son activisme violent est réduit à quelques dizaines d’actions. Les transformations politiques et sociales issues de la démocratisation de l’Espagne ne modifient en rien la ligne idéologique et stratégique du PCE(m-l), pour qui la monarchie est la stricte continuatrice de la dictature fasciste. En revanche la répression qui s’abat sur les militants, ainsi que le fossé croissant qui les sépare des réalités sociales limitent considérablement l’impact du parti, qui disparaît définitivement au début des années 1980. Un rapport de la DGS sur les activités terroristes présentes sur le territoire espagnol ne fait plus mention à partir de 1980 de l’existence du FRAP67. C’est une évolution similaire que vit une branche radicalisée du PCE(i).
c) Le PCE(i)-ligne prolétaire
50Avec l’intégration du PCE(i) dans l’une des plateformes unitaires de l’opposition en 1975, le parti, on l’a vu, a modéré ses positions et changé de nom pour devenir le PTE. Une fraction minoritaire s’est opposée à cette transformation et a continué à se dénommer le PCE(i) tout en ajoutant, pour mieux se différencier, l’appendice « ligne prolétaire »68. Réduit à quelques dizaines de militants, ce parti résiduel maintient une ligne idéologique radicale fortement influencée par le tiers-mondisme, il soutient les mouvements indépendantistes canarien, basque ou catalan avec qui il entretient des contacts étroits, et met en pratique le dogme de la lutte armée. Les autorités policières prévoient ainsi en mai 1977 que le « PCE(i) commencera bientôt une escalade d’actions violentes, étant donné les contacts qu’il a établi avec d’autres groupes de caractère terroriste, comme le MPAIAC et le Front Polisario »69.
51D’un côté le PCE(i) participe aux mobilisations régulières qui parsèment le centre de Barcelone et qu’il transforme en émeutes urbaines grâce à l’action de sa faction de jeunesse, l’Union des jeunesses marxistes léninistes (UJML). Ce type d’activisme est difficilement repérable dans notre corpus qui ne prend pas en compte, rappelons-le, l’objet manifestation. La présence des militants du PCE(i) dans les grandes mobilisations est néanmoins visible quand il se produit des arrestations ou des bavures : en particulier le 10 septembre 1978, Gustavo Adolfo Muñoz, jeune militant du parti, est tué par la police au cours de la commémoration de la Diada, jour de la patrie catalane. Lors de l’enterrement, de nombreux membres du parti sont arrêtés, certains se voient même appliquer la législation antiterroriste. D’un autre côté, le PCE(i) est à l’origine de quelques actions armées de faible intensité. Ainsi en février 1978, l’interpellation d’une douzaine de militants permet de leur attribuer l’incendie de plusieurs voitures, autobus municipaux et de deux jeeps de la police, ainsi que des barricades urbaines et des actions incendiaires contre des bâtiments officiels. Au cours de l’une d’elles, un policier a été blessé70. Les autorités policières imputent également au PCE(i) l’incendie des Galerías Preciados à Madrid en 197771, le dépôt à Barcelone de deux bombes désactivées par la police, en novembre 1978, ainsi qu’une série d’attentats début 1979. Deux bombes notamment explosent fin février - début mars à Ceuta et Melilla, provoquant une quinzaine de blessés. Elles sont revendiquées par une organisation inconnue jusque-là, le Front patriotique marocain de libération, mais la police soupçonne le PCE(i) désireux de créer une tension diplomatique entre l’Espagne et le Maroc à propos du conflit sahraoui. Un attentat manqué contre Adolfo Suárez en mars est aussi mis sur le compte du parti72.
52Ces militants radicalisés sont victimes d’une forte répression. Un rapport de la police judiciaire dénombre ainsi 51 membres du PCE(i) arrêtés entre juillet 1978 et juin 1979 en vertu de la loi antiterroriste, dont 34 sont maintenus en prison par le juge73. Les multiples divisions internes74 contribuent en outre à faire disparaître le parti de la sphère publique en 1981.
LA VOIE TERRORISTE DES GRAPO
53Enfin, le dernier groupe de la gauche radicale à avoir choisi la voie de la lutte armée est, de loin, le plus violent, à tel point que de nombreux auteurs considèrent qu’il est le seul groupe terroriste d’extrême gauche de la transition. Pour les GRAPO, la lutte armée, toujours conçue comme instrument de l’éveil de la conscience des masses et de l’insurrection populaire, se transforme, dans une polarisation extrême des termes du conflit, en une guerre brutale destinée à détruire l’État : elle s’érige aveuglément contre le processus de démocratisation en cours, sans songer plus avant à l’avenir de la société qui aura été rasée.
a) La spécialisation terroriste, exception parmi la gauche révolutionnaire
54Les GRAPO sont à l’origine des trois quarts des actions violentes attribuées dans notre corpus à l’extrême gauche, et de la quasi-totalité des victimes mortelles.
55Ils ont en outre une trajectoire inverse à celle des autres groupes évoqués jusque-là. Ces derniers puisent tous les racines de leur action dans le passé antifranquiste et cherchent à interférer sur le processus de changement tant que l’avenir démocratique de l’Espagne n’est pas assuré. Leur activisme violent atteint ainsi son apogée en 1977, quand l’incertitude domine encore et que les premières élections législatives focalisent les tensions politiques. Ensuite, après l’échec électoral de l’extrême gauche et sa marginalisation croissante du jeu politique, cet activisme entre en décadence continue pour pratiquement disparaître dès 1979 (graphique 8). À l’inverse, les GRAPO naissent de la transition. Ils sont certes issus des mouvements de la nouvelle gauche radicale (l’OMLE), mais le choix stratégique et organisationnel de la lutte armée est postérieur à la mort de Franco et obéit à une dynamique propre. La chronologie de sa pratique violente ne répond pas aux mêmes schémas que les groupes précédents : c’est après les élections législatives et l’approbation de la Constitution que les GRAPO vivent l’apogée de leur activité violente, en 1979. Ils sont ensuite considérablement affaiblis par la répression policière au même titre que les autres groupes d’extrême gauche, même s’ils parviennent à faire exploser quelques séries de bombes à l’automne 1982 pour tenter d’influencer les élections législatives. Ce sont ces séries qui sont responsables de la brève remontée de la fin 1982, qui n’est qu’artificielle et qui cesse dès le 29 octobre, lendemain des élections. Si les premiers sont donc des phénomènes « prédémocratiques », le PCE(r)-GRAPO est au contraire un « produit de la démocratie »75. En outre, c’est la seule organisation de la gauche radicale à être vraiment entrée dans une logique terroriste.
56La spécialisation terroriste des GRAPO est repérable dans le répertoire d’actions mobilisé, les cibles visées, la géographie choisie et l’impact meurtrier recherché76. Le répertoire d’actions comparé entre les GRAPO et les autres groupes de la gauche révolutionnaire reflète cette différence de nature. On constate une inversion des pratiques de la violence (tableau 11 et graphique 9, pp. 122 et 123) : les attentats de basse intensité, surtout composés de lancements de cocktails Molotov, constituent plus de 60 % des actions violentes perpétrées par les seconds qui, dans le même temps, n’utilisent pratiquement pas l’arme à feu. Inversement, les GRAPO ont recours à près de 80 % à des méthodes typiquement terroristes tandis que l’agitation armée de basse intensité est presque inexistante dans son répertoire d’action. Plus que l’arme à feu, c’est l’explosif qui est de loin leur arme privilégiée, utilisée dans plus de 60 % des cas77.
57Par ailleurs, s’ils s’attaquent majoritairement à des biens (dans les deux tiers des cas), trait commun aux autres groupes de la gauche révolutionnaire, ces biens sont soigneusement choisis pour incarner l’État et le capitalisme économique, ennemis prioritaires de l’action révolutionnaire : bâtiments administratifs, biens publics (monuments, faux engins explosifs dissimulés sous des drapeaux républicains), banques et entreprises constituent plus de 80 % des biens touchés78. Quant à la localisation des actions commises, elle reflète certes l’implantation territoriale du PCE(r) et des commandos des GRAPO, mais également les prétentions nationales d’un groupe qui se pose en confrontation ouverte et directe avec l’État. Ainsi Madrid arrive loin en tête (près de 40 % des actions recensées), suivie de la Catalogne (19 %), de l’Andalousie (15 %) et de la Galice (9 %), et secondairement de la côte valencienne et des Asturies — la région basque n’a en revanche aucune signification pour ce terrorisme à visée nationale et non régionaliste.
58Enfin, l’action des GRAPO est particulièrement meurtrière, et ce de façon croissante à partir de 1979, quand la guerre avec le système démocratique est ouvertement déclarée. La nature des victimes touchées révèle le caractère très ciblé de leur action (tableau 12, p. 124) : les agents armés de l’État sont les premiers visés. Policiers, gardes civils et militaires constituent 71 % des victimes mortelles si l’on exclut du décompte les terroristes également tués en cours d’action. Les militaires ne sont assassinés qu’à partir du virage stratégique de 1979 et, en 1980, sur les cinq personnes tuées par les GRAPO, quatre sont des militaires. Les terroristes profitent alors du climat délétère de l’année 1980 de plus en plus favorable aux rumeurs de putsch pour aiguiser les tensions au sein de l’exécutif et le forcer à négocier. Les autorités civiles sont en revanche très peu touchées dans leur chair (trois morts) et, quand c’est le cas, il s’agit de victimes choisies avec soin pour leur caractère symbolique, porteur d’un message spécifique de représailles dans un contexte conjoncturel précis. L’une d’elles est le directeur général des Institutions pénitentiaires assassiné en mars 1978 en représailles à la mort en prison de l’anarchiste Agustín Rueda, battu à mort par des fonctionnaires de l’établissement. Une autre est un magistrat du Tribunal suprême, Miguel Cruz Cuenca, qualifié de « juge bourreau du fascisme », assassiné en janvier 1979 pour dénoncer les conditions d’incarcération des militants et les procès qui commencent à être engagés contre les GRAPO79.
59L’action des GRAPO est donc extrêmement ciblée. Si près de 20 % des victimes apparaissent statistiquement comme des civils anonymes, cela est dû à un seul attentat qui a provoqué huit morts, sinistre bilan qui en fait le plus sanglant de la transition. Le 26 mai 1979, une bombe explose dans la cafétéria California 47, du quartier de Salamanca à Madrid, fréquenté par des militants de FN qui étaient visés. Mais les huit morts et les 40 blessés sont essentiellement des femmes âgées sans rapport avec ce groupe d’extrême droite. La condamnation est unanime, la commission politique du PCE(r) récrimine le responsable des GRAPO et considère l’action comme une « grave erreur politique qui portera préjudice à l’image du parti »80. À l’exception de cet attentat digne d’un terrorisme aveugle et indiscriminé, les autres victimes civiles sont accidentelles : agents de sécurité qui se heurtent aux membres des GRAPO lors d’un hold-up bancaire81, ou piétons victimes d’une fusillade avec les forces de police82. Il ne fait donc aucun doute que les GRAPO mènent « une pratique spécialisée du terrorisme »83, ce que confirment les choix stratégiques opérés pendant la transition.
b) La centralité stratégique de la violence : la « guerre ouverte » avec l’État démocratique
60L’analyse des arguments théoriques utilisés par le PCE(r) pour justifier les attentats révèle un bagage théorique révolutionnaire extrêmement simple : les termes de « guerre populaire » et de « guerre de guérillas » sont employés de façon orthodoxe, pour désigner une action armée menée par des petits commandos censés gonfler leurs rangs jusqu’à devenir une armée populaire, une « armée rouge ». La réforme n’est qu’une façade, un « maquillage » de la véritable nature « fasciste » de l’État, qui est également l’oppresseur capitaliste de la classe ouvrière. La base « économique et militaro-répressive » de l’oligarchie est la même pendant la transition qu’avant, elle bénéficie de la collaboration de la bourgeoisie et « des clans de réformistes et traîtres à la classe ouvrière (PSOE, PCE…) »84. Le recours à la violence est donc une nécessité défensive face à l’oppression tyrannique de l’État, il est un moyen de lutte efficace à la disposition des masses pour paralyser un processus politique de consolidation du système démocratique perçu comme une simple continuation déguisée du franquisme.
61Le PCE(r) voit dans les incidents de Vitoria en mars 197685 le signe que le climat révolutionnaire est mûr pour l’insurrection des masses, et il appelle aux armes. Il consacre les mois suivants à capter et préparer les militants et à se fournir en armement par le biais de braquages, de vols et d’agressions diverses. Il célèbre l’acte de naissance des GRAPO par une série d’explosions (une trentaine) le 18 juillet 1976, date du 40e anniversaire du soulèvement national, choisie symboliquement pour dénoncer la permanence du fascisme et s’identifier à la lutte antifranquiste. Ces bombes visent les cibles classiques de la violence révolutionnaire, à savoir des monuments à la gloire des héros du franquisme et des bâtiments administratifs, tribunaux ou édifices du Mouvement national symboles de l’oppression contre les travailleurs. Le 18 juillet est par la suite l’occasion pour les GRAPO de se rappeler à l’opinion publique au moins jusqu’en 1979, par le biais d’engins explosifs ou de cocktails Molotov visant des biens similaires.
62Lors de la IIIe réunion du Comité central du PCE(r) en novembre 1976, le parti débat sur la légitimité théorique de l’usage du terrorisme dans la lutte révolutionnaire et consolide le choix définitif des armes86. Le référendum de décembre 1976 sur la LRP est la seconde occasion choisie par les GRAPO pour se faire reconnaître par une opinion publique sceptique : il s’agit par cette « Opération papier » de dénoncer la « farce démocratique » par quelques attentats contre les installations de la télévision nationale. Une autre action d’envergure a pour objectif de faire pression pour obtenir une amnistie totale : l’« Opération vignette »87 se traduit par l’enlèvement spectaculaire le 11 décembre d’Antonio María de Oriol y Urquijo, président du Conseil d’État, conseiller du Royaume et monarchiste intégriste. Peu après, le 24 janvier 1977, les GRAPO enlèvent le lieutenant-général Emilio Villaescusa, président du Conseil suprême de Justice militaire et ex-chef de l’État-Major central. En échange de la libération des otages, ils réclament une amnistie totale et la libération d’une quinzaine de prisonniers du PCE(r), de l’ETA et du FRAP, réaffirmant ainsi une vieille solidarité révolutionnaire. Par ces deux kidnappings concomitants, les GRAPO franchissent un cap qualitatif dans la violence terroriste, confirmé par l’assassinat le 28 janvier de trois agents des forces de police à Madrid qui vient clore la dite « Semaine noire ». Ils parviennent à inquiéter l’opinion publique et les milieux politiques et deviennent dès lors tristement célèbres.
63Mais pour autant au cours de l’année 1977, les GRAPO ne parviennent ni à déstabiliser le régime naissant ni à accroître leur audience auprès des classes populaires, dont la mobilisation se tarit avec la démocratisation. Au contraire, objets de rumeurs incessantes de disqualification, ils apparaissent suspects aux yeux de l’opinion publique qui peine à y voir un simple groupe d’extrême gauche, mais penche pour un groupuscule de provocateurs, manipulés alternativement par l’extrême droite, les services secrets ou le KGB. En outre la répression policière commence à porter ses fruits, notamment en octobre 1977, quand le Comité central du PCE(r) est interpellé au complet à Benidorm grâce à une infiltration policière. Les GRAPO continuent néanmoins à agir sporadiquement en 1978, mais les débats internes qui divisent l’appareil politique conduisent le parti à proposer une étroite ouverture. Ils proclament ainsi un programme en cinq points, calqué sur le modèle basque de l’alternative KAS (Coordination patriote socialiste)88, comme base pour une éventuelle négociation avec le gouvernement. Ces cinq conditions sont : l’amnistie totale et l’abrogation des lois répressives, l’épuration « des éléments fascistes des corps répressifs, tribunaux et autres institutions de l’État », les libertés politiques et syndicales sans restriction, le rejet de l’entrée dans l’OTAN et le démantèlement des bases américaines, la dissolution du Parlement et la convocation d’élections libres pour élaborer une constitution « véritablement démocratique ». Par ailleurs le PCE(r) augmente son activité mobilisatrice parmi les secteurs ouvriers, participant notamment autour du groupe de Vigo (Galice) à toute la gamme des émeutes urbaines qui encadrent les luttes sociales (barricades, incendies de poubelles, pillages de commerces, jets de cocktails Molotov)89.
64La lutte armée reste pourtant au cœur de la stratégie du PCE(r). Après l’approbation de la Constitution, l’appareil politique considère même que le moment est venu de lancer la « guerre ouverte ». En 1979, les GRAPO augmentent considérablement leur pression meurtrière — pression liée en partie à l’opération « Cent contre un » de vengeance pour la mort de l’un des dirigeants des GRAPO tué par la police en avril 1979 — et se lancent dans une fuite en avant terroriste qui cherche à déstabiliser le gouvernement et à le forcer à négocier. Comme l’affirme L. Castro Moral :
Le terrorisme apparaît comme un recours approprié pour résoudre la contradiction existante entre sa [des GRAPO] position périphérique, marginalité dans la pratique, et la centralité que le groupe s’attribue dans le processus historique. Elle se résout par le biais de l’utilisation de la violence qui permet une centralité symbolique, une présence dans les médias qui amplifie sa propre entité et renforce l’imaginaire groupal, ses membres se percevant comme composantes d’un acteur politique bien plus important que sa réalité groupusculaire90.
65Mais la réponse étatique est strictement policière et parvient à bout de l’organisation terroriste. À l’escalade de 1979 répond une répression policière sans précédent. Selon les chiffres de la DGS91, si 50 militants du PCE(r)-GRAPO ont été interpellés entre juillet 1977 et juin 1978 (dont la vingtaine interceptée à Benidorm), ce chiffre ne cesse d’augmenter les années suivantes. Entre juillet 1978 et juin 1979, 141 activistes sont arrêtés et soumis à la législation terroriste, parmi lesquels 65 seulement restent en prison, inculpés pour 14 assassinats, 30 attentats à l’explosif et 50 attaques à main armée. Pour la totalité de l’année 1979, ce chiffre double pour atteindre 306 arrestations. La pression ne se relâche plus par la suite : 143 interpellations sous législation antiterroriste en 1980, 207 en 1981 et 57 au cours du premier semestre 1982. Le groupe est pratiquement désarticulé à la fin de 1979, la quasi-totalité des commandos opérationnels et d’information ont été capturés, ce qui contraint le groupe à simplifier une structure de plus en plus clandestine et centrée sur les militants emprisonnés. L’efficacité de l’action policière explique le creux en termes d’activité violente en 1980 et 1981 : les autorités estiment que 80 % des militants du PCE(r) ont alors abandonné tout type d’activité. Néanmoins, le groupe parvient à se restructurer suite à l’évasion spectaculaire de cinq terroristes en décembre 1979 de la prison de Zamora92, et à effectuer en 1980 quelques attentats retentissants contre des officiers de l’armée. Une nouvelle vague de détentions intervient après le coup d’État du 23-F, réduisant le groupe à une poignée de militants. En outre, la répression policière a conduit à la mort d’un nombre non négligeable de membres des GRAPO : entre 1979 et 1982, 12 ont été tués dans des affrontements avec la police. Parmi eux se trouvent des dirigeants historiques de l’organisation : Juan Carlos Delgado de Codex tué le 20 avril 1979 à Madrid, Enrique Cerdán Calixto tué le 5 septembre 1981 à Barcelone et Juan Martín Luna, tué le 5 décembre 1982 à Barcelone.
66Après une forte pression sur les législatives de l’automne 1982 par l’explosion de séries de bombes, la victoire des socialistes conduit le PCE(r) à déclarer une trêve temporaire, devant les expectatives de changement réel sur la base du programme en cinq points énoncé quelques années auparavant. Il exige notamment la libération de tous ses prisonniers et la tolérance du gouvernement envers les activités du parti, tout en maintenant une certaine pression militaire début 1983 par une série d’attentats. Mais les tentatives de négociation avec le nouveau gouvernement socialiste en 1983 échouent et le groupe entre dans une grave crise interne qui aboutit à une scission entre ceux qui considèrent que l’affrontement révolutionnaire a pris fin et qu’il faut abandonner la lutte armée, et ceux qui, au contraire décident de régénérer le parti. La crise se prolonge jusqu’en 1985, année qui marque le point d’inflexion et la fin du cycle de la violence terroriste du groupe93.
67Il convient pour terminer de relativiser l’importance numérique des mouvements dont on vient d’esquisser l’histoire. Selon J. M. Roca, les militants de l’extrême gauche n’ont jamais été plus de 50 000 pendant la transition, même si leur capacité de mobilisation et leur pouvoir d’attraction chez certains milieux populaires et intellectuels ont pu être bien supérieurs. Des référents communs les unissent alors, tels l’adhésion au marxisme-léninisme dans ses infinies déclinaisons, la croyance en l’utopie d’une société meilleure, la dénonciation du fascisme, l’expérience de la lutte antifranquiste, la célébration de la Seconde République et du Front populaire. Un calendrier de la mobilisation radicale, violente ou non, s’oppose ainsi au calendrier ultra hérité de la geste franquiste : la victoire du Front populaire le 16 février (1936), l’exécution de Puig Antich le 2 mars (1974) pour les anarchistes, la proclamation de la Seconde République le 14 avril (1931), le soulèvement du 18 juillet (1936) dont le sens est retourné pour dénoncer la permanence du fascisme, les dernières exécutions franquistes du 27 septembre (1975) sont commémorés au cours de la transition par la gauche révolutionnaire. Une autre symbolique s’impose à l’encontre des emblèmes franquistes : au drapeau rouge et or répond le drapeau rouge ou la bannière tricolore de la République, à Cara el Sol rétorque l’Internationale, au salut fasciste répond le poing levé.
68Les partis de la gauche radicale ont tenté de s’imposer dans le processus de réforme en optant pour des voies diverses, de l’intégration politique pacifique au système à la stratégie terroriste, en passant par l’agitation révolutionnaire armée. Le niveau médian est adopté par quelques secteurs libertaires et par les restes du PCE(m-l)-FRAP et du PCE(i), qui cessent pratiquement toute activité violente dès l’année 1979, face à l’écrasante consolidation démocratique post-constitutionnelle et à l’efficacité croissante de la répression policière. Le choix de la violence extrême et radicalisée ne se présente que dans le cas du PCE(r)-GRAPO, impliqué dans une spirale qui aboutit à sa quasi-disparition de la scène publique à partir de 1983.
69Mais tous ont subi le contrecoup de la démocratisation qui a conduit à la marginalisation progressive de ce secteur du jeu politique, privé très vite de sa justification principale qu’était la présence d’un État perçu comme oppresseur, fasciste et capitaliste. Le climat de consensus qui s’impose dans le pays autour de la réforme, de la réconciliation nationale et du libéralisme économique est de moins en moins propice à la radicalité révolutionnaire, tout comme l’environnement international qui pressent la fin de la guerre froide et le déclin des idéologies et de l’utopie marxiste.
Notes de bas de page
1 E. González Calleja, La violencia política en Europa, p. 6.
2 Le renouveau des théories de Georges Sorel se trouve par exemple chez Frantz Fanon qui développe l’idée de la violence nécessaire, révolutionnaire et émancipatrice, dans le cadre de la décolonisation. F. Fanon, Les damnés de la terre.
3 M. Wieviorka, El terrorismo, pp. 96-97.
4 À l’été 1956, vingt ans après le début de la Guerre civile, le Comité central du Parti communiste espagnol publie une déclaration qui établit les principes d’une nouvelle stratégie dite de « réconciliation nationale ». Voir S. Carrillo, Memorias, pp. 455-458.
5 Ibid., pp. 449-486.
6 J. M. Maravall, Dictadura y disentimiento político, p. 62.
7 Id., « Transición a la democracia », p. 71.
8 Sur ces processus d’unification de l’opposition, voir S. Míguez González, La preparación de la transición a la democracia en España.
9 Sur ces partis, voir les ouvrages de C. Laíz Castro, La lucha final, de J. M. Roca (dir.), El proyecto radical ainsi que le dossier de l’Avenç, L’extrema esquerra espanyola durant la transició.
10 PCE(m-l).
11 Voir ici J. M. Roca, « Reconstrucción histórica del nacimiento, evolución y declive de la izquierda comunista revolucionaria en España ». On pourrait aussi citer Bandera Roja, créée en mai 1968 suite à une expulsion de certains militants catalans du PCE(i). Peu après, la plus grande partie de ses membres rejoint à nouveau le PSUC, réduisant l’organisation à peu de choses jusqu’à ce qu’elle s’unifie avec l’Organisation communiste d’Espagne pour former l’OCE (Bandera Roja) pendant la transition. On pourrait également évoquer le PCOE, Parti communiste ouvrier d’Espagne et l’OPI, Opposition de gauche, groupuscules prosoviétiques qui naissent au début des années 1970 suite à l’éloignement du PCE de l’Union soviétique après la condamnation de la répression du Printemps de Prague. L’OPI se transforme en 1977 en PCT, Parti communiste des travailleurs.
12 La LCR est fondée en 1971 à partir d’un groupe ouvriériste catholique intitulé Comunismo. Ce groupe est lui-même issu en 1969 du FLP, Frente de Liberación Popular, couramment appelé le « Felipe ». Fondé en 1958, il est formé à l’origine de groupes catholiques de gauche qui se radicalisent au début des années 1960 à partir des énoncés de la révolution cubaine et autour de la figure de Che Guevara. L’intégration d’universitaires à la fin des années 1960 le transforme en mouvement étudiant, composé de marxistes peu orthodoxes, de chrétiens, d’intellectuels progressistes, de sociaux-démocrates. Il disparaît en 1969 à cause de ses contradictions internes et du harcèlement policier dont il est victime. Les trotskystes, autour de Jaime Pastor, fondent alors le groupe Comunismo.
13 Cette ligne trotskyste a néanmoins donné lieu à plusieurs scissions et à la formation d’autres groupuscules qui n’atteignent jamais l’importance de la LCR, tels le PORE, Parti ouvrier révolutionnaire d’Espagne, et le POSI, Parti ouvrier socialiste international.
14 Sur les mouvements anarchistes de la fin du franquisme, voir O. Alberola et A. Gransac, L’anarchisme espagnol et l’action révolutionnaire internationale, et J. Zambrana, La alternativa libertaria.
15 Parmi la constellation de groupuscules et de plateformes qui se réclament du libertarisme, on peut retenir au niveau national l’Action communiste (AC) et l’Organisation de la gauche communiste (OIC), marxistes libertaires ; et les Plateformes des CC.OO. qui naissent au sein des Commissions ouvrières contre les velléités hégémoniques du PCE.
16 Le 29 février 1976, une assemblée confédérale réunifie la CNT à Barcelone, suivant le modèle du syndicalisme révolutionnaire. D’autres régions suivent ensuite le chemin catalan.
17 Voir G. Chaliand, Stratégies de la guérilla et E. Che Guevara, La guerre de guérilla.
18 Voir aussi L. Castro Moral qui définit plusieurs niveaux de violence : un activisme de soutien, l’aventurisme armé et la lutte armée. L. Castro Moral, « La izquierda radical y la tentación de las armas », p. 134.
19 AGA, Memoria del Gobierno Civil, Guipúzcoa, 1976.
20 Sur le MIL, voir S. Roses Cordovilla, El MIL : una historia política ; A. Téllez Sola, El MIL y Puig Antich ; T. Tajuelo, El Movimiento Ibérico de Liberación ; A. Cortade, Le 1000 : histoire désordonnée du MIL.
21 Document intitulé « Sobre la agitación armada », élaboré en octobre 1972 mais publié seulement en avril 1973 dans la revue CIA. Cité par A. Téllez Sola, El MIL y Puig Antich, p. 46.
22 Parmi eux le fondateur Oriol Sugranyes, condamné à 48 ans de prison, s’enfuit de la prison de Ségovie pendant la grande évasion d’avril 1976 organisée par l’ETA pm. Il est tué le lendemain par la Garde civile en Navarre. Ensuite, les militants du MIL optent pour des chemins divers : beaucoup participent à la refondation de la CNT, tandis que les membres du secteur armé qui ont échappé à la police poursuivent leurs activités dans différents groupuscules, certains participant à la constitution d’Action directe avec Jean-Marc Rouillan.
23 Il s’agit d’Ángel Baltasar Suárez, enlevé en mai 1974 par les GARI. En échange de sa libération, ceux-ci exigent une déclaration publique des autorités espagnoles garantissant qu’aucun des inculpés du MIL ou du FRAP ne sera condamné à mort, ainsi que la libération de tous les prisonniers du MIL. Suite à cette action, 30 militants des GARI sont interpellés en France. Voir A. Téllez Sola, El MIL y Puig Antich, pp. 109-110.
24 A. Muñoz Alonso, El terrorismo en España, p. 36.
25 Parmi les divers incidents commis par les groupuscules marxistes à la fin des années 1960 et au début des années 1970, un seul provoque un mort : en octobre 1972, un commando armé du Colectivo Hoz y Martillo, petit groupe marxiste-léniniste créé en 1971 autour de l’université de Saragosse, composé de moins de dix activistes, pénètre dans le consulat français de la ville et incendie le bâtiment dans une action de solidarité avec les réfugiés basques en France. Le consul est atteint par les flammes et décède des suites de ses blessures. Le groupe est désarticulé, jugé et condamné en conseil de guerre.
26 C. Laíz Castro, La lucha final, p. 85.
27 Sur le FRAP, voir C. Laíz Castro, La lucha final, pp. 155-164 ; A. Diz, La sombra del FRAP ; M. Cañaveras, « La concepción de la violencia en el Partido Comunista de España (Marxista-Leninista) », et la page web de l’organisation,www.frap.es.
28 Document du PCE(m-l) intitulé « Sobre la actividad del partido desde el I Congreso », cité par C. Laíz Castro, La lucha final, p. 202.
29 Voir ABC, 17/8/1975, pour un récapitulatif des actions du FRAP de l’été 1975.
30 L. Rodríguez Martín est tué le 14 juillet 1975, et les gardes civils C. Sánchez et A. Pose Rodríguez sont assassinés le 2 et le 16 août.
31 Sur le PCE(r)-GRAPO, voir l’excellente thèse de L. Castro Moral, Terrorismo y afirmación revolucionaria. Voir aussi J. García Martín, Historia del PCE(r) y los GRAPO ; R. Gómez Parra, GRAPO : los hijos de Mao ; P. Moa, De un tiempo y de un país ; F. Novales, El tazón de hierro.
32 Un autre groupe a temporairement pratiqué la lutte armée au début des années 1970. Il s’agit du secteur radical du carlisme, regroupé dans les Groupes d’action carliste (GAC). Ces groupes ont commis quelques attaques à main armée de banques et d’entreprises, perçues comme actions de résistance et d’expropriation dans le but d’aider les exilés carlistes, d’apporter un soutien économique aux ouvriers en grève, et de participer à la survie de l’organisation. Leur première action connue remonte à septembre 1968. Quelques actions violentes leur sont imputées jusqu’en 1971, comme la tentative manquée d’assaut d’un émetteur radio pour diffuser une cassette audio à la place du discours de fin d’année de Franco (décembre 1970), l’assaut d’une radio de Pampelune qui leur permet de diffuser un manifeste de l’hymne carliste (mai 1971), ou l’explosion d’une bombe de faible puissance en août 1971 contre des ateliers de presse. Mais l’action des GAC ne s’étend pas au-delà. Voir sur ce sujet J. Cubero Sánchez, « El Partido Carlista » ; J. Mc Clancy, « GAC : Militant Carlist Activism » ; J. Onrubia Rebuelta, La resistencia carlista a la dictadura de Franco ; J. M. Porro Sáinz, « Notas sobre los GAC ».
33 C. Laíz Castro, La lucha final, p. 300. Laíz emprunte le concept à François Furet, qui distingue le terrorisme « prédémocratique » du terrorisme « produit de la démocratie ». Le premier aspire à un régime démocratique et se bat contre l’oppression du tyran, le second naît de la démocratie, « non plus en amont mais en aval du suffrage universel », dans une « surenchère démocratique contre la démocratie » (F. Furet, « Terrorisme et démocratie », pp. 9-10).
34 L. E. Alonso et F. Reinares Nestares, « Conflictividad », p. 36.
35 Le PTE et l’ORT sont légalisés dès le 9 juillet 1977.
36 L’ORT se présente sous le nom de Agrupación Electoral de Trabajadores ; le MCE avec la Candidatura de Unidad Popular ; la LCR s’allie avec AC et OIC dans un Frente por la Unidad de los Trabajadores ; le PTE enfin incorpore le Parti communiste d’unification en avril 1977 et se présente sous le nom de Frente Democrático de Izquierdas.
37 L’union est initiée par un programme commun aux élections municipales d’avril 1979, et cristallisée dans le Congrès d’unification de juillet 1979 sous la dénomination de PT, Parti des Travailleurs.
38 R. Cotarelo, Resistencia y desobediencia civil, pp. 126-127.
39 Le Mouvement communiste et la LCR finissent par former un parti unifié en 1991, la Gauche alternative (Izquierda Alternativa).
40 Le Gouvernement civil de Barcelone rapporte 75 arrestations, qui impliquent selon lui la désarticulation de la « Conférence péninsulaire » de la FAI (AGA, Memoria del Gobierno Civil, Barcelone, 1977).
41 Voir infra p. 115.
42 Voir infra p. 195.
43 C. Laíz Castro, La lucha final, p. 212.
44 Á. Herrerín López, « El recurso a la violencia en el movimiento libertario », p. 250.
45 Bulletin de la CNT, février 1977, AGA, GCM, 110/351 « Iglesias, 1976-1977 ».
46 El País, 23/6/1977, 6/7/1977 et 12/3/1978.
47 « Le mouvement de Meinhof », El País, 14 et 27/5/1976.
48 Selon le Gouvernement civil du Guipúzcoa, des cocktails Molotov sont lancés contre le consulat d’Allemagne et un autobus du Collège allemand (AGA, Memoria del Gobierno Civil, Guipúzcoa, 1977).
49 AGA, Gabinete de Enlace, cajas 42/09138-42/09139, 42/09111 et 42/09112-42/09113.
50 Par exemple en février 1977 une vingtaine d’anarchistes est arrêtée aux environs de Murcie suite à la découverte d’un entrepôt secret d’armes et de munitions, Le nouveau journal, 24/2/1977.
51 AGA, GCM, 114/438 « Grupos Autónomos Libertarios ».
52 AGA, Memoria del Gobierno Civil, Guipúzcoa, 1977.
53 Certaines sources révèlent que les connexions entre les réseaux anarchistes espagnol et français perdurent, probablement au travers de Jean-Marc Rouillan, l’un des premiers membres du MIL et fondateur d’Action directe en 1979. Voir notamment le rapport de la Garde civile, 8/7/1978, AGA, GCM, 114/438 « Grupos Autónomos Libertarios ».
54 Un autre attentat provoque un blessé grave : en janvier 1978 à Valence, une discothèque habituellement fréquentée par des jeunes ultras de FN est détruite par un attentat revendiqué par un groupe intitulé « Groupe anarchiste révolutionnaire », El País, 4/1/1978.
55 Pour les détails de l’affaire, voir la brochure éditée par la CNT, Libertad acusados caso « Scala ». Celle-ci souligne notamment les irrégularités policières et judiciaires qui suscitent l’indignation de la CNT, dont un secteur soutient que les militants auraient été manipulés par un individu au passé douteux, soupçonné d’être un indicateur de la police.
56 Un tract d’avril 1978 signé par l’Athénée libertaire de la zone Centre de Madrid, est un exemple de cette campagne de rectification : il s’érige contre « la propagation de l’idée, absolument fausse, que l’anarchisme est du terrorisme », et rejette le terrorisme individuel délié de l’action de masse (AGA, GCM, 115/474 « Ateneo Libertario Zona Centro, 1978 »).
57 Unidad de Policía Judicial para delitos de terrorismo, « Aplicación del decreto-ley 30-6-78 y ley 4-12-78 sobre “bandas armadas” », Madrid, 1/6/1979, AGMI, Subsecretaría, 7239.
58 « Datos estadísticos sobre terrorismo y delicuencia común en los años 1979, 1980, 1981 y 1982 », DGS, Madrid, 4 de agosto de 1982, AGMI, Subsecretaría, 7234.
59 AGA, Memoria del Gobierno Civil, Guipúzcoa, 1977.
60 AGA, GCM, 116/478 « PCE(m-l). 1978-1980 ». Notes diverses de la BRIS et documents de propagande du parti datant de 1978.
61 Cet anniversaire est d’autant plus craint par les autorités policières qu’il commémore aussi la mort du jeune Carlos González, tué par la police dans une manifestation en 1976. Ainsi en 1978, 4 500 policiers sont mobilisés à Madrid pour éviter tout débordement, tandis que la Garde civile surveille étroitement la tombe de l’etarra García Sanz, l’un des fusillés de 1975 (El País, 27-28/9/1978). Un dossier du Gouvernement civil de Madrid confirme que les autorités s’attendent à des attentats de la part du PCE(m-l)-FRAP : affrontements violents avec les forces de l’ordre mais aussi « l’explosion ou la destruction de la statue du Généralissime Franco » prévue dans la nuit du 26 au 27 septembre, ou plus simplement la volonté de changer le nom de la « Plaza del Rey » par celui de « Plaza Carlos González ». Le PCE(m-l) semble néanmoins vouloir limiter le caractère violent de ces « Comités de soutien au 27 septembre » pour se présenter à l’opinion publique comme un parti démocratique (Note du Commissariat général au renseignement, 22/9/1978, et note de la BRIS, 23/9/1978 (AGA, GCM, 115/462 « 27 de septiembre 1978).
62 Lettre du procureur général du royaume, datée du 26 juin 1978, qui rejette la demande de légalisation du parti en raison de ses appels à la subversion violente (AGA, GCM, 116/478 « PCE [m-l]. 1978-1980 »).
63 Télex du directeur général de Politique intérieure aux gouverneurs civils de province, 13/7/1978 (AGA, GCM, 116/478 « PCE(m-l). 1978-1980 »).
64 Note de la BRIS, 17/7/1978, « Asunto : Partido Comunista de España (marxista-leninista) » (AGA, GCM, 116/478 « PCE(m-l). 1978-1980 »).
65 DSC, 88, IL, 8/5/1980, pp. 5820 sq.
66 Unidad de Policía Judicial para delitos de terrorismo, « Aplicación del decreto-ley 30-6-78 y ley 4-12-78 sobre “bandas armadas” », Madrid, 1/6/1979, AGMI, Subsecretaría, 7239.
67 « Datos estadísticos sobre terrorismo y delicuencia común en los años 1979, 1980, 1981 y 1982 », DGS, Madrid, 4 de agosto de 1982, AGMI, Subsecretaría, 7234.
68 Sur le PCE(i)-línea proletaria, voir L. Castro Moral, « La izquierda radical y la tentación de las armas », pp. 145-147.
69 AGA, BI, 14/5/1977.
70 Sont alors interceptés par la police du matériel d’impression, des uniformes de l’armée, des faux papiers, de la propagande, des armes — un engin explosif maison, 15 cartouches, 77 détonateurs — ainsi que des manuels sur la guérilla urbaine et la fabrication d’explosifs. Selon la police, c’est l’appareil de propagande et le dépôt du Comité national de Catalogne du PCE(i) qui sont ainsi désarticulés. El País, 11/2/1978.
71 AGA, Memoria del Gobierno Civil, Barcelone, 1977. Selon les autorités policières, cet attentat confirmerait l’union opérationnelle existante entre le PCE(i) et le MPAIAC, AGA, BI, 20/5/1977.
72 Voir respectivement El País, 22-23/11/1978, 13/2/1979, 6-7/et 14-15/3/1979.
73 Unidad de Policía Judicial para delitos de terrorismo, « Aplicación del decreto-ley 30-6-78 y ley 4-12-78 sobre “bandas armadas” », Madrid, 1/6/1979, AGMI, Subsecretaría, 7239.
74 En témoigne l’arrestation en févier 1980 de six personnes d’un groupe dénommé Resistencia Catalana de Liberación Nacional, identifié comme une scission du PCE(i), El País, 23/2/1980.
75 F. Furet, « Terrorisme et démocratie », pp. 9-10.
76 Pour une autre analyse de la pratique violente des GRAPO, voir L. Castro Moral, Terrorismo y afirmación revolucionaria, pp. 391-413. L’auteur distingue quatre types d’action : les actions de propagande ou « affirmatives » (attentats à l’explosifs, attaques incendiaires, sabotages contre des biens) ; les actions de « prédation » destinées à obtenir des fonds économiques ou des ressources matérielles ; les actions « défensives » ou « réactives » qui ont pour fonction de protéger l’organisation (affrontements avec la police en cas d’interpellation, représailles suite à la mort ou la capture de militants, liquidation d’indics supposés) ; et les actions « proactives », spécialement spectaculaires, qui sont au cœur de la stratégie terroriste. Une comparaison des données fournies par l’auteur avec les nôtres aboutit à des conclusions similaires.
77 L’explosif est aussi le seul matériel typiquement terroriste dont font usage les autres groupes d’extrême gauche dans le quart de leurs actions.
78 En revanche le patrimoine privé, culturel ainsi que les locaux des partis politiques ne sont absolument pas visés.
79 La dernière victime est un conseiller municipal sympathisant du parti ultra FN, assassiné en avril 1979 à Barcelone pour venger la mort de Juan Carlos Delgado de Codex, dirigeant des GRAPO tué par la police quelques jours avant.
80 L. Castro Moral, Terrorismo y afirmación revolucionaria, p. 273.
81 Il s’agit de V. Cobo Sánchez, tué lors de l’attaque d’une banque à Barcelone en novembre 1976 ; de S. Sánchez Mesas tué en avril 1977 à Madrid ; et d’A. Castelló Vital, tué en janvier 1979 à Valence.
82 Le 25 mai 1979, A. Cívico Mendoza est tué dans une fusillade à Séville, en même temps qu’un policier, El País, 26/5/1979. On peut également relever le cas, en septembre 1982, de P. Gabarri, ferrailleur tué dans l’explosion d’un transformateur électrique à Castellón, Sentence TS, 1919, 29/3/1985.
83 L. E. Alonso et F. Reinares Nestares, « Conflictividad », p. 39.
84 Documents cités par L. Castro Moral, Terrorismo y afirmación revolucionaria, pp. 174-177.
85 Voir infra p. 175 et pp. 336-337.
86 Voir le rapport politique de Manuel Pérez Martínez, secrétaire général du PCE(r), au IIIe congrès du Comité central du PCE(r), en novembre 1976, qui annonce clairement la stratégie armée (cité R. Gómez Parra, GRAPO : los hijos de Mao, p. 94).
87 En espagnol, Operación Cromo. « Cromo » est entendu ici au sens des vignettes dont les enfants font la collection.
88 Voir infra p. 148.
89 L. Castro Moral, Terrorismo y afirmación revolucionaria, n. 35, pp. 154 et 245.
90 Ibid., p. 531.
91 Unidad de Policía Judicial para delitos de terrorismo, « Aplicación del decreto-ley 30-6-78 y ley 4-12-78 sobre “bandas armadas” », Madrid, 1/6/1979, AGMI, Subsecretaría, 7239 ; et « Datos estadísticos sobre terrorismo y delicuencia común en los años 1979, 1980, 1981 y 1982 », DGS, Madrid, 4 de agosto de 1982, AGMI, Subsecretaría, 7234.
92 Sur cette évasion, voir A. Sánchez Díaz, Operación Gaviota, et le débat au Congrès en octobre 1980 qui fait suite à une interpellation socialiste, DSC, 117, IL, 9/10/1980, pp. 7462-7467. Les prisonniers ont creusé pendant neuf mois un tunnel de 22 mètres. La réussite de la fuite est attribuée par le ministre de la Justice Fernández Ordóñez à une exceptionnelle accumulation de prisonniers à ce moment-là (entre 33 et 78 prisonniers des GRAPO), et à la négligence des fonctionnaires qui ont été sanctionnés.
93 En 1983, les GRAPO commettent encore 45 actions et 72 en 1984, avant que ce nombre soit réduit à 11 en 1985 et moins de 10 par an par la suite. Ils tuent encore 6 personnes en 1983 et 1984. Ensuite, le PCE(r) est tout entier orienté vers un activisme de survie, vers un terrorisme de résistance qui se traduit par des actions sporadiques d’appui financier et matériel à l’appareil politique (attaques à main armée, extorsions), de solidarité avec les prisonniers et de propagande dans le cadre de campagnes spécifiques. Entre 1985 et 1995, les GRAPO commettent encore 91 actions violentes et tuent 10 personnes, introduisant notamment la nouveauté de l’assassinat d’entrepreneurs refusant de payer l’impôt révolutionnaire, tandis que cinq militants sont victimes de la répression policière. L. Castro Moral, Terrorismo y afirmación revolucionaria, pp. 394 et 415.
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