Chapitre V. Entre Sátura et Humorismo
La place de l’ironie clarinienne
p. 157-182
Texte intégral
I. — LA SÁTURA
LA SATIRE ET SES EMPLOIS
1Clarín a été consacré par la critique comme l’un des plus grands écrivains satiriques espagnols. La portée critique de ses œuvres littéraires, écho de ses articles de presse, est indéniable et fondamentale. Lorsque Clarín parle de la satire, c’est pour rappeler qu’elle est avant tout un instrument adapté — et nécessaire — à la situation historique et culturelle de l’Espagne de son temps. Il circonscrit très précisément l’écriture satirique comme une technique opportune. Dans son commentaire de la Poética de Campoamor publié dans « Museum », Clarín réagit face à la distinction superficielle que le poète introduit entre critique « analytique » — touchant à la forme —, critique « synthétique » — qui concerne le fond —, et critique « satirique », sorte d’exutoire pour la méchanceté et l’envie du critique, et dont les effets sont destructeurs sur l’auteur visé. Après avoir réduit aisément l’écart créé par Campoamor entre fond et forme, et avoir affirmé que ces deux éléments sont insécables et dans le style et dans l’analyse, Clarín s’attache à défendre la critique satirique. Refusant d’y voir l’ethos vindicatif dénoncé par Campoamor, il affirme que la critique satirique n’est pas un genre à part entière, mais que la satire est un ingrédient utilisé dans la critique, dans le roman, dans le poème, bref, qu’elle est un élément de littérarité critique1.
2La satire est une forme disponible pour l’auteur. Elle sert son projet, et c’est en cela qu’elle est opportune2. Clarín justifie son emploi dans une critique « policière et hygiénique »3. Le ridicule ainsi montré et démontré fait office de leçon et constitue le mauvais et l’inutile comme anti-modèles. Sa fonction de blâme et de dénonciation a des vertus purificatrices sur le panorama littéraire espagnol. Clarín justifie ses attaques par une posture de supériorité éthique et esthétique, mais l’emploi de la satire est également une forme d’accès privilégiée, car littéraire, au lecteur cultivé :
[La critique satirique] est la plus ardue, et celle qui fait du critique un caractère littéraire positif et non un caractère négatif, tel un eunuque, comme disait celui qui les craignait fort. La critique satirique est la seule dont font cas les auteurs et le public d’un pays cultivé, qui ne se paye plus de leçons ronflantes4.
3En ce sens, la critique satirique emploie l’ironie comme une technique de rapprochement : l’association est ancienne entre ironie et satire. La formule ironia ancilla satirae caractérise l’asservissement de l’ironie dans le projet satirique, tel que la rhétorique l’a institué. L’ironie est une dénonciation biaisée qui garantit la force et l’impunité de la satire : l’usage de la dualité sémantique sert le dédoublement axiologique provoqué par le satiriste. L’ironie perce à jour la dissimulation et l’apparence mystificatrice par l’introduction de la contradiction. Aussi, dans ses emplois satiriques, l’ironie prend pour cible un vice, un comportement humain, et se fait attaque, traduite par la déformation, la caricature, l’éclatement et l’atomisation de la réalité et des personnages constitués en types et en caricatures. La technique de la dissociation et de l’association est brillamment maniée par Clarín dans son œuvre, et la critique a déjà éclairé avec raison cette facette de sa créativité. L’ironie satirisante sert les valeurs de l’auteur et conforte son monologisme dominant, critique et méprisant. Elle est un outil au service d’une morale, ce qui a fait dire à Northrop Frye que cette ironie servile est une « ironie militante »5.
4Or, l’ironie est davantage que cette lutte satirique. Elle est engagée dans un combat dont les attaques obliques prennent pour cible la représentation. Il est nécessaire de la considérer dans son potentiel créateur et littéraire, afin d’élaborer un concept d’ironie comme mode de représentation, au même titre que la satire. En tant que telle, l’ironie est ce mode particulier de représentation qui se construit par-devers et contre la représentation. Les possibilités de coïncidence entre ironie et satire sont nombreuses, puisque l’ironie repose sur un fond critique et éthique semblable à celui de la satire, mais l’ironie ne peut être simplement assimilée à la satire. Alors que cette dernière impose sa morale et sa norme rigide de manière tranchée, l’ironie pose le problème de la vérité et de la relation de la littérature au réel sous la forme d’interrogations latentes quant au bien-fondé de la représentation. La satire refuse tout lien avec son objet : elle se démarque et s’affiche comme n’ayant rien en commun avec sa cible, tandis que l’ironie se rapproche suffisamment de son objet, jouant de l’ambiguïté de l’emploi et de la mention, pour maintenir un équilibre ambivalent entre l’adhésion et le rejet.
5Cette dissociation des deux modes de représentation est sensible au niveau du personnel des œuvres littéraires de Clarín. Dans le cas de La Regenta, la satire condamne de façon évidente Vetusta et ses habitants, ce qui a valu au roman d’être lu par les contemporains de l’auteur, de façon légitime, à la fois comme un roman à clé et comme une dénonciation de la société de la ville de province. La représentation ironique, par contre, s’applique à la protagoniste du roman. L’auteur maintient une forme de suspens quant à sa relation avec sa créature. Ana n’est ouvertement la cible d’aucune critique clarinienne, et le lecteur, suivant en cela le projet satirique, a normalement tendance à « sauver » Ana et à l’extraire de son environnement. Cependant, les atermoiements de la Régente la conduisent à une situation finale dans laquelle l’équilibre est suspendu entre participation et rejet. De fait, la représentation ironique déplace la question de savoir si Ana est la victime de Vetusta vers une question intime : Ana n’est-elle pas victime d’Ana elle-même ? Un doute similaire porte sur la « morale » du roman et trouve un écho dans Su único hijo. Bien évidemment, Emma et les siens sont les cibles privilégiées de l’« ironie militante » de Clarín. Une satire souvent cruelle, toujours acérée, et qui ne laisse de répit à aucun personnage, instaure une distance insurmontable entre le lecteur et les personnages. Sauf en ce qui concerne Reyes : les liens satiriques se desserrent au cours du roman, et l’ironie change d’orientation pour se faire davantage esthétique et métaphysique, en fonction de l’évolution intime du personnage. C’est d’ailleurs le suspens ironique qui domine la fin ouverte du roman, quand le doute est déplacé du personnage vers le lecteur, qui se voit de la sorte intégré au processus de la représentation ironique.
COMBINAISON ET MÉLANGE MAGNÉTIQUE : LA SÁTURA
6Clarín, porté par son ethos critique, est conscient de l’aspect protéén de l’ironie. Il emploie son adaptabilité et refuse de la réduire à la cruauté, en dépit des nombreuses incursions qu’il mène dans le domaine de la satire dégradante. Il a alors recours à un terme latin afin de proposer une voie de dépassement : la sátura. Clarín utilise le terme de sátura afin de désigner une série d’articles publiés dans El Día du 21 janvier 1892 au 24 juin 1893. Parmi ces quinze articles, qui ne se distinguent guère du reste des articles critiques de Clarín, onze ont été sélectionnés pour former une section du livre Palique intitulée « Sáturas ». Dans le premier d’entre eux, construit comme une introduction pour une nouvelle variation critique, Clarín définit comme suit la sátura :
Je dis sátura et non satire, parce cela sera toujours un mélange d’ingrédients divers, et que tel est le sens originel du mot dans son acception première, et car ce que j’aurai à dire ne sera pas toujours satirique6.
7Le retour à l’étymologie du mot « sátira » lui permet d’infléchir son contenu et d’orienter sa réflexion vers une forme complexe, vers un mode de représentation pensé comme une corne d’abondance dans laquelle puise sa créativité. Issu de l’adjectif latin satura, qui signifie « plein », la satura désignait à l’origine un poème latin versifié qui mêlait les formes — dialogue, poème, fable, portrait et maximes — et les contenus. Lorsque Clarín fait le choix du terme, c’est dans le but de décrire l’enseignement de son maître Camus, ce « pedágogo natural »7 qui l’a tant marqué au cours de ses années de jeunesse : « L’explication de Camus ressemblait un peu à la prose, et même aux vers de Campoamor, en cela qu’elle était une véritable satura (satire), au sens premier du mot »8. Clarín expose en détail l’art d’enseigner de Camus : une manière riche et liante qui, dans une même leçon, passe de l’évocation des Tables de la Loi à celle du Marchand de Venise. Il en fait l’éloge, car cet enseignement est apte à faire « comulgar en la gran iglesia del arte universal »9. L’objet du professeur est d’ouvrir l’esprit de ses élèves, et il y parvient par des propos qui suivent le principe d’abondance et de plénitude relationnelle de la sátura :
Emplissons-leur le cœur et l’imagination de l’enthousiasme esthétique pour tout ce qu’a produit la poésie humaine, et que nous servent d’exemples à admirer, aujourd’hui l’œuvre d’un Romain, demain celle d’un Grec, ensuite celle d’un Allemand ou d’un Perse ; cherchons et trouvons les infinies affinités électives des génies poétiques de tous les siècles ; et que l’association d’idées et le magnétisme artistique nous emportent d’un pôle à l’autre, par-dessus les siècles et d’immenses régions en un instant, dans un désordre apparent, mais toujours guidés par la logique de la beauté, par les relations subtiles et délicates du grand et du beau qui, en dépit de la bêtise et de la prose humaine, qui n’y entendent rien, se tiennent par la main au loin, et se ressemblent alors qu’ils paraissent dissemblables, et sont identiques quand aux yeux des profanes ils semblent distincts et séparés10.
8Tout comme il le faisait dans le cadre de la citation, Clarín revient sur les notions de magnétisme culturel et d’association artistique. La sátura, telle qu’il l’entend, est la concrétisation littéraire de l’esprit combinatoire, élaboré sur la reconnaissance et le maniement des similitudes et des dissemblances. Ce mélange repose sur la liberté du lien inhérente à la référence culturelle et à la représentation ironique qui se construit sur les relations entretenues entre les œuvres et les auteurs. Finalement, ce style plein et liant est pour Clarín le point commun entre ses « critiques satiriques » et ce qu’il a désiré démarquer comme « critique sérieuse ». Il s’est très souvent plaint des limites que la satire ou l’ironie satirisante imposaient à sa production dite « sérieuse », et la critique clarinienne s’est emparée de cette remarque pour opposer un genre mineur et un genre majeur dans ses textes critiques. Une approche qui, malheureusement, a été reconduite également dans son œuvre littéraire, comme si Clarín maintenait une posture schizophrène entre des « grands » textes — romans, Folletos, Lecturas — et des « petits » textes — articles et nouvelles ou récits uniquement appréhendés comme des littérarisations secondaires de ses opinions et de ses postures satirisantes et compatissantes. Un élément empêche cette catégorisation : la capacité du lien intellectuel, qui rassemble les textes clariniens, qui réunit Folletos et Solos, ou encore Ana Ozores et Don Emerguncio, pour ne citer que ces deux exemples. L’ironie est une réflexion — au sens de reflet et de conscience — du littéraire et des productions de l’esprit. C’est pourquoi les citations et les références fonctionnent chez Clarín comme autant de contradictions, d’appuis et de combinaisons, c’est-à-dire de nœuds ou de points de jonction dans une écriture pleine au service de l’authenticité d’une voix.
SÁTURA ET WITZ
9La sátura clarinienne est proche du witz allemand, notamment sous la forme que Jean-Paul Richter a définie dans son traité « Sur le trait d’esprit ». Traduit en français11, faute de mieux, par la formule de « trait d’esprit », le witz est un mode de connaissance. Jusqu’au xviiie siècle, le terme désigne l’esprit comme capacité d’intelligence, comme entendement et perspicacité. Ce n’est qu’ensuite qu’il devient synonyme d’ingéniosité et de tour spirituel, ce qui l’apparente aux catégories du comique. Mais au xviie siècle, et c’est en ce sens que l’entend Jean-Paul, il désigne avant tout l’aptitude à assembler des idées avec promptitude et à déceler des similitudes entre les êtres, les choses et les faits. Sous l’influence du roman anglais, ce don de découverte du lien devient le pendant fantaisiste du jugement : tandis que le jugement, sur la base de la comparaison, sépare, le Witz réunit. Locke définit dans un texte célèbre les différences entre ces deux facultés, faisant du witz la composante majeure de l’imagination :
Le wit [sic] consiste plus à assembler des idées, et à joindre promptement et avec variété celles en qui on peut observer quelque ressemblance ou quelque congruence, pour en produire dans la fantaisie de plaisantes peintures et d’agréables visions ; le jugement, au contraire, consiste tout à fait à l’inverse dans une soigneuse séparation d’une idée avec une autre, lorsqu’on y peut trouver la moindre différence […] Ce dernier est tout à fait opposé à l’usage de la métaphore ou de l’allusion, en quoi consistent pour la plus grande part les agréables divertissements du wit […] lesquels, par conséquent, sont quelque chose qui n’est absolument conforme à la vérité ni à la droite raison12.
10Jean-Paul, quant à lui, définit le witz comme une attitude intellectuelle fondée sur l’inventivité et la capacité de discrimination et de rapprochement. Le witz est « le pouvoir de trouver des ressemblances éloignées »13. Jean-Paul utilise en fait deux termes pour désigner deux phénomènes complémentaires : la saisie des ressemblances ou witz — dont la forme la plus large est la comparaison —, et celle des dissemblances : l’acuité14. Clarín, grand lecteur de l’Introduction à l’Esthétique du penseur et romancier allemand15, reprend à son compte l’acuité jean-paulienne dans une remarque qui pourrait passer inaperçue. Dans « Museum », Clarín annonce une étude — qui ne verra jamais le jour — de ce qu’il nomme acutismo, une forme composite d’art et de science que Clarín oppose au paradoxe, comme s’opposent la profondeur et la surface :
C’est un petit travail, auquel je pense depuis longtemps, que je n’ai pas encore écrit, et que j’intitule L’acuité, qui est pour moi comme la science des microbes de la pensée et de la méditation ; une science, et un art également qui s’oppose à l’esprit de paradoxe, lequel, s’il possède quelque avantage, est inférieur à l’Acuité, parce que celle-ci, comme son nom l’indique, pénètre de ses tranchants, alors que le paradoxe frappe du plat de sa lame16.
11Cette approche de l’activité intellectuelle et créatrice doit beaucoup aux réflexions de Jean-Paul : elles confirment les intuitions de Clarín, ainsi que les convictions qu’il tirait du fonctionnement combinatoire de son esprit et de sa pratique d’écriture. L’esprit et l’art, la science et la création, reposent sur un travail complexe, à la fois lent et immédiat, fait de relations et de contrastes, de combinaisons et de contradictions. C’est en ce sens que le mot ironie est employé ici : il désigne une représentation de l’esprit et de la matière construite sur la capacité à créer des liens, à les distendre et à les rompre. Clarín ne lui donne pas ce nom : tout comme il a toujours refusé les étiquettes, il est réticent à employer le mot « ironie », voire même celui de « satire », puisque dans ce dernier cas il choisit bien souvent d’en faire un adjectif, couplé avec un substantif (critique, roman, scène, etc.). Il est également extrêmement prudent avec les termes « humor » et « humorismo », galvaudés par ses contemporains, car il est conscient de la multiplicité des formes que ces noms recouvrent et de la labilité de la notion que les tentatives de définition peinent à saisir.
II. — EL HUMORISMO
12Reconstituer une définition du mode de représentation ironique chez Clarín requiert un examen précis des déclarations de l’auteur. Lorsqu’il parle d’« humorismo », Clarín adopte généralement un profil critique, parfois négatif, mais la plupart du temps son approche est davantage réactive — face à une œuvre, une phrase, un tour — que définitoire. L’absence de clarification par l’auteur, qui manie pourtant avec aisance les diverses catégories nationales et littéraires que le XIXe siècle a su créer autour de la notion d’humour, peut être compensée par l’étude des liens que sa pratique ironique entretient avec ce que l’histoire littéraire et la philosophie ont nommé « ironie romantique » afin de désigner le concept élaboré par Friedrich Schlegel à la fin du XVIIIe siècle dans ses écrits pour l’Athenaeum.
LES HUMORISTAS ET LEUR POINT DE VUE SUR LE MONDE : UNE LECTURE INDIVIDUALISANTE
13Le terme « humorismo » est polysémique chez Clarín. Il n’existe aucune vision unificatrice du concept, Clarín privilégiant des approches concurrentes et partielles qui correspondent à sa défiance vis-à-vis des catégories. Il déplore l’absence d’un vocabulaire adapté et se voit réduit à l’emploi d’adjectifs complémentaires afin de nuancer la catégorie de l’humour. La difficulté réside tout d’abord dans l’écart entre l’approche clarinienne et l’étiquette qu’une certaine critique, à la suite du Père Blanco García dans son Historia de la literatura española17 a créée, en faisant une nouvelle fois évoluer le sens du concept : « el humorismo de Clarín ». Nombreux sont ceux qui ont désigné du terme « humorismo » la compensation empathique introduite par Clarín dans son œuvre, analysée comme le nécessaire rééquilibre de l’écriture satirique cruelle. Cette approche reconduit une vision traditionnelle de l’humour comme frère ennemi de l’ironie, du sentiment opposé à l’esprit critique. On retrouve notamment cette définition classique dans le Dictionnaire de poétique et de rhétorique d’Henri Morier, où l’article « Ironie » est scindé en « Ironie d’opposition » et « Ironie de conciliation ». La première catégorie est identifiée à la satire et décrite comme une antithèse construite sur un fondement éthique, grâce auquel l’ironiste ou le satiriste se fait juge et garant du bien moral. Le texte ironique servirait alors exclusivement la dénonciation et la correction de l’erreur. L’ironie de conciliation est, quant à elle, assimilée à l’humour : faite de bonhomie résignée et charitable, cet humour est une posture bienveillante vis-àvis de la réalité déceptive18.
14Cette lecture psychologique et morale, trop souvent appliquée aux œuvres de Clarín, occulte le potentiel artistique de l’humour et de l’ironie. Elle fait de Clarín un moraliste oscillant exclusivement entre les pôles du blâme et de la louange, de la cruauté et de la compassion, et a pu mener Edward Gramberg à définir l’humour de Clarín selon les deux types de « humorismo de piedad » et « humorismo de desprecio »19. Il s’agit d’une approche qui nie pour partie la prédilection de Clarín pour une forme hybride : la coïncidence entre la critique et le sentiment, le dépassement de cette antinomie en un processus de littérarisation. À ce niveau de l’étude, il devient donc nécessaire de rendre caduque la catégorisation morale : les analyses précédentes ont montré le fonctionnement de l’ironie comme celui d’un mode de représentation engagé et distant, comme une pratique d’écriture.
15L’un des emplois du terme « humorismo » par Clarín sert la dénonciation des faux « humoristas » qu’il stigmatise au même titre que les mauvais auteurs et les journalistes médiocres. Leur style n’est qu’affectation et impertinence, démesure et erreur. Cet « humorismo » usurpé est un nouvel élément à ajouter au compte de la dégradation des meilleurs dont se plaint Clarín20. L’humour est dénaturé par les partisans du « style facile » qui abusent de tournures privées d’esprit et fleurant la vulgarité21. L’humour ne réside pas en des ficelles grossières que les romanciers n’hésitent pas à employer : Clarín critique vertement cette faiblesse chez José María de Pereda dans son roman De tal palo tal astilla22, et met systématiquement en valeur les échecs d’Emila Pardo Bazán en ce domaine. Il montre notamment son incapacité à produire de l’humour dans son œuvre, soit par ignorance du langage parlé par certaines communautés linguistiques ou socioculturelles23, soit — et c’est pour lui fondamental — par son incapacité à « ressentir »24. La fameuse anecdote de la rencontre fictive entre Emilia Pardo Bazán et le Christ permet à Clarín d’illustrer l’une des facettes de cet humour fallacieux qui ne repose sur aucune intimité affective :
Imaginons que Jésus, au lieu de rencontrer près du puits la Samaritaine, rencontre doña Emilia Pardo Bazán.
Eh bien, selon moi, Jésus se serait abstenu de dire les choses sublimes qu’il a dites en ce lieu, par crainte de paraître à doña Emilia… trop romantique25.
16Clarín est très habile à dire ce que n’est pas l’humour, et qui n’est pas humoriste. Il nie ainsi à Manuel de Palacio, « el 0,50 poeta », l’accès à l’humour, tout en introduisant une catégorisation entre les styles satiriques, burlesques et humoristiques : « Presque tous ces vers étaient satiriques ou purement burlesques — et non humoristiques. Palacio n’est pas, n’a jamais été, et ne sera probablement jamais un humoriste »26. À défaut de savoir précisément ce qu’est l’humoriste, il est possible d’identifier, à la suite de Clarín, les auteurs jugés dignes de ce titre : Guillermo d’Acevedo, Juan Valera, Luis Taboada, Eduardo de Palacio, Armando Palacio Valdés, Mariano José de Larra, Ramón de Campoamor et Jean-Paul Richter. Mais le qualificatif d’humoriste ne recoupe pas les mêmes critères pour tous ces auteurs27. En fait, l’humour est tout autant une forme littéraire qu’un mode d’appréhension de la réalité en étroite relation avec une personnalité : il dépend totalement de l’auteur, raison pour laquelle Clarín propose davantage une galerie d’humoristes qu’une définition de l’humour, reconduisant le principe de la sátura dans sa compréhension de la notion.
17La première approche de l’humour lui subordonne les rires plaisants, agréables et légers, dépourvus pour partie de conscience critique. Il s’agit de l’humour de Luis Taboada ou d’Eduardo de Palacio, qui est défini comme l’une des formes de l’humour national espagnol. Le cas de Taboada permet à Clarín de faire le lien entre la spécificité espagnole et la particularité individuelle :
Taboada est très original et très espagnol dans sa façon de voir et de juger le monde. Il ne doit rien, absolument rien, à la blague française, ni à l’esprit parisien, ni à l’humour anglais ; il ne ressemble en rien non plus à Figaro, au Solitaire, à Mesonero Romanos, à Frontaura, ou à quiconque28.
18« Escritor festivo », Taboada est un humoriste dans la veine de l’archiprêtre de Hita, que Clarín nomme « clérigo alegre »29 dans un « Palique » qu’il lui consacre, car sa moquerie n’est jamais sceptique. Clarín lui conseille cependant d’éviter l’excès hyperbolique et l’incongruité qui tirent son humour vers le burlesque et le ridicule. Il l’oriente vers un humour naturel dont la percée artistique est naturellement scénique. Eduardo de Palacio est un autre humoriste espagnol : caractérisé par sa « vis comica originale, espagnole »30, l’humour de Palacio sert à Clarín de modèle dans sa défense de la littérature humoristique contre le sérieux qui envahit le monde des lettres. Les gains de l’écrivain sérieux sont d’ailleurs inversement proportionnels à sa créativité31.
19L’originalité d’Eduardo de Palacio réside en une déformation de la réalité. La représentation humoristique se joue de la mimésis pour aboutir à un style de la réfraction : « Il a des ressorts comiques totalement personnels ; son style est une espèce de réfraction comique de la réalité »32. Clarín utilise l’image de l’eau et du bâton — « un bâton plongé jusqu’à un certain point dans l’eau semble tordu » — pour expliquer le style oblique de Eduardo de Palacio. L’art du reflet déformé et allègre de la réalité constitue la première des qualités de cet humour, qui est conçu comme une passerelle entre le rire et le sérieux. Clarín a, en effet, multiplié les critiques contre l’abus du sérieux, alors que l’on a, en général, seulement retenu ses critiques contre l’abus du dérisoire. Le créateur doit contrebalancer le sérieux par une légèreté consciente33, et le critique lui-même doit comprendre le rire, comme l’explique Clarín dans son étude sur Alphonse Daudet :
Certains critiques qui savent manier les armes de la satire, de la blague et de l’ironie, ne savent pourtant pas rire des traits d’esprit et des blagues d’autrui en toute bonne foi, sincèrement, convaincus de la beauté qu’il peut y avoir dans la littérature spirituelle, comique34.
20L’humour peut confiner au sublime lorsque l’humoriste sait prendre tour à tour et tout à la fois les masques de Démocrite et d’Héraclite. Ces deux sages de l’Antiquité, cités par Juvénal puis repris par la philosophie et la morale européennes, symbolisent deux réactions antagonistes face au spectacle de la vie : le rire et les pleurs. Dans ses Essais, au chapitre « De Démocrite et d’Héraclite », Montaigne les présente ainsi :
Démocrite et Héraclite ont été deux philosophes, desquels le premier, trouvant vaine et ridicule l’humaine condition, ne sortait en public qu’avec un visage moqueur et riant ; Héraclite ayant pitié et compassion de cette même condition nôtre, en portait le visage continuellement attristé, et les yeux chargés de larmes,
Celui-ci, dès qu’il mettait les pieds dehors, riait ;
Celui-là, au contraire, pleurait (JUVÉNAL, Satires, X, 28)35.
21La condition humaine vue par l’homme semblable à tous les autres — homo sum, écrivait Térence — fait alterner les deux postures au point qu’elles coïncident bien souvent dans la vision de l’humoriste. Clarín fait ici se rejoindre ce que beaucoup disjoignent. Campoamor écrit, par exemple, une Dolora intitulée « La comedia del saber », long dialogue entre Héraclite et Démocrite, puis entre Socrate et Diogène, dans lequel s’affrontent les deux formules, selon une modalité très faustienne : « Heráclito : Vivir es creer y pensar », « Demócrito : ¡ Vivir !… sentir y gozar »36. Campoamor se décide pour un dépassement de cette antinomie qui occulte la vie : « Y así pensando en pensar/si ha de llorar o reír,/ve el hombre su vida huir/entre reír y llorar ». Clarín, quant à lui, réunit dans l’expérience déceptive de son Faust le savoir et la jouissance, puisque le secret de la vie est qu’il faut savoir reconnaître l’amour comme principe vital37.
22L’humour qui réunit les contraires est, selon lui, incarné en un auteur portugais, peu connu en Espagne, Guillermo d’Acevedo. Cet écrivain sait manier « le genre des rires amers »38, et Clarín déplore l’absence d’auteurs semblables en Espagne. Le « subjectivisme humoristique » d’Acevedo est la clé de son art du contraste et de la coïncidence. L’union de la douleur et de la joie, de la laideur et de la beauté, du rire et des larmes — le rire d’Andromaque est un motif récurrent dans l’œuvre de Clarín — est proche de ce que Victor Hugo a théorisé dans la Préface de Cromwell sous le nom de « grotesque »39. Hugo désigne par ce terme la différence, la laideur et le petit insérés dans l’œuvre d’art. Partant d’une description des phases de création de la littérature universelle — lyrisme, épopée et drame —, l’écrivain français fait l’éloge du mélange des genres et affirme que le drame sera au XIXe siècle la synthèse des divergences, ce qui pour les romantiques d’Iéna au début du siècle correspondait au roman, doté d’une capacité d’assimilation et d’ingestion universelle. Alors qu’il donne pour exemple de cette relation antinomique entre le beau et le laid l’agonie de Socrate, où succède au discours du philosophe sur l’immortalité de l’âme la prière d’un sacrifice au dieu Esculape — et Clarín ne manquera pas de s’emparer de ce mélange —, Hugo fait remonter le sublime du grotesque à la figure du Christ qui fut le premier à faire coexister les contraires. Le corps et l’esprit dont la séparation est sanctionnée par l’Église sont réunis dans la figure christique. Erich Auerbach, dans son étude du réalisme européen, reprend cette théorie : ce qu’Hugo nommait grotesque, Auerbach le définit comme l’essence du réalisme. Il décrit l’émergence réaliste par l’association du laid et du beau, par l’insertion du petit et du médiocre dans la matière artistique, et par l’union entre Humilitas et Sublimitas christiques40.
23Clarín est lui aussi extrêmement conscient du sublime inhérent au mélange : il perçoit le lien entre les rires et les larmes, entre l’humour et l’innocence comme degrés achevés de l’expression littéraire, et montre combien cette forme d’art dépend d’une posture chrétienne qui réconcilie l’humble et le grand. Il s’en explique par l’exemple des dialogues entre Luisito Cadalso et son grandpère dans le roman de Galdós, Miau :
Ils atteignent les sommets du grand art moderne, profondément chrétien selon moi, très certainement sérieux et pieux ; cet art sublime où, grâce à la simplicité des moyens, l’humour et l’innocence s’unissent en une note triste, entre rires et pleurs41.
24Dans ses divers commentaires, il semble que Clarín élabore une théorie du milieu, de l’équilibre entre l’excès comique superficiel, fallacieux et dommageable, et l’excès inverse de sérieux qui fait oublier l’apport esthétique de l’œuvre littéraire. Un équilibre ou plutôt un suspens qui réunit en un mélange fragile les catégories du comique et du sérieux, la suspension humoristique — ou ironique — garantissant les possibilités d’ambiguïtés interprétatives.
HUMORISMO ESPAÑOL
25Clarín s’est souvent attaché à saisir la particularité nationale de l’humour42. L’humour espagnol dont il cerne les caractéristiques s’incarne naturellement en Cervantès et son œuvre maîtresse, Don Quichotte. Cependant, Clarín n’est toujours pas convaincu par la terminologie. C’est à défaut d’en trouver un meilleur qu’il emploie le terme « humorismo » pour désigner le type d’humour espagnol né du contraste entre l’idéalité et la réalité :
L’humour espagnol (qui n’est pas de l’« humour », mais bien autre chose, et qui n’a pas encore de nom), n’est pas la volontaire, voire artificielle manière du génie idéaliste et profond qui, comme Jean Paul (en dépit du mépris de Taine et de l’opinion peu favorable de Goethe et de Schiller) ou comme notre Campoamor (le moins espagnol possible sur ce point), cherche le contraste entre le fond et l’expression, entre la forme et l’intention première, pour satisfaire son besoin de liberté individuelle, d’une espèce de démocratie des facultés, de panthéisme esthétique, de symbolisme artistique ; l’humour idéaliste-naturaliste de certains de nos illustres écrivains est plutôt un grand sens pratique, soutenu par une grande force plastique dans la peinture de la vie réelle et ordinaire, et qui accompagne le génie d’une race très spirituelle, quasi mystique, fidèle à la foi idéale, à l’autorité rationnellement et sentimentalement admise43.
26Les commentateurs de l’œuvre clarinien ont été fortement influencés par cette approche de l’humour espagnol, et ont supposé que cette définition du style humoristique de Cervantès s’appliquait en tout point à Clarín. C’est pourquoi l’on retrouve jusque dans les travaux les plus récents44, la filiation cervantesque de l’œuvre clarinienne comme principale caractéristique de son « humorismo ». Cette lecture du Quichotte ne saurait oblitérer ce qu’elle doit aux romantiques allemands qui, à la suite de Heine et de Goethe, ont mis à jour les relations de complémentarité entre Sancho et Don Quichotte, entre la matière et l’esprit. Goethe fut l’un des premiers à donner un sens nouveau à l’ironie moderne grâce à sa lecture du roman espagnol : « Ici, la haute opinion que l’on a de la vie apparaît comme une ironie ; il y a aussi quelque chose de fripon, à côté de la grandeur, et le plus commun ne devient pas trivial »45. Mais c’est Friedrich Schlegel qui mène la réflexion jusqu’à ses conséquences littéraires et philosophiques, en définissant l’ironie comme le point commun à Socrate et aux œuvres de Boccace, de Cervantès, de Shakespeare et de Goethe :
Il y a des poèmes, anciens ou modernes, qui exhalent de toutes parts, et partout, le souffle divin de l’ironie. Une véritable bouffonnerie transcendantale vit en eux. À l’intérieur, l’état d’esprit qui plane par-dessus tout, qui s’élève infiniment loin au-dessus de tout le conditionné, et même de l’art, de la vertu et de la génialité propres ; à l’extérieur, dans l’exécution, la manière mimique d’un bouffon italien traditionnel46.
27La bouffonnerie transcendantale du Quichotte réside dans l’aspiration idéale de son héros en butte aux réalités déceptives, et dans l’association improbable du valet matérialiste et du maître idéaliste, du bon sens populaire et de la folie individuelle, qui sont les deux faces du tempérament espagnol, selon Clarín. Il ne s’agit pas d’introduire le jeu pour compenser la profondeur de l’esprit, mais bien plutôt de concevoir un humour correcteur de l’excès d’idéal, un équilibre dont l’essence est critique47.
28Cette approche, appliquée à Clarín, fonctionne assez bien : elle permet de réconcilier les diverses facettes de son œuvre, et elle fait dire à Sergio Beser que l’attitude de Clarín vis-à-vis du monde est fondamentalement critique, et que l’« humorismo » résulte de l’affrontement entre ses idéaux et le monde réel48. Les fonctions pragmatiques, morales et philosophiques de l’humour dépendent étroitement du « sentiment du contraire » qui fonde le tempérament ironique.
CAMPOAMOR ET JEAN-PAUL : UNE AUTRE MODALITÉ
29Très peu de critiques ont suivi les implications esthétiques du « criticismo humorístico » de Clarín, préférant orienter leur lecture vers des considérations éthiques et historiques. Si l’on veut prolonger la réflexion artistique, il importe de considérer la précaution avec laquelle Clarín distingue l’« humorismo español », identifié chez Cervantès, Quevedo, Tirso de Molina, Larra et l’archiprêtre de Hita, et une forme particulière qu’il identifie aux œuvres et aux personnalités de Ramón de Campoamor et de Jean-Paul Richter. Clarín construit d’ailleurs, en partie, sa lecture de l’humour cervantin en réaction aux propos tenus par Campoamor sur le Quichotte. Dans son analyse de la Poética de Campoamor, Clarín note les divergences qui l’opposent au poète, sans pour autant expliciter son propre point de vue. Campoamor donne sa définition de l’humour dans un chapitre intitulé « ¿ Qué es humorismo ? » :
Qu’est-ce que l’humour ? Le contraste entre des situations, des idées, des actes ou des passions. Le vis-à-vis de choses en situation d’antithèse fait d’ordinaire rire tristement. César, emplissant de ses cendres un trou dans le mur, et don Quichotte de retour chez lui moulu de coups pour avoir voulu défendre ses idéaux, tandis que sa gouvernante et sa nièce, qui représentent le sens commun, le reçoivent, confortablement installées, en train de manger du pain blanc et de tricoter, sont deux exemples d’humour qui, en plus de faire rire, font monter les larmes aux yeux.
L’expression buen humor, typiquement espagnole, a créé un genre littéraire, qui est uniquement propre aux Anglais et aux Espagnols, et dans lequel se mêlent la joie et la tragédie, où se tisse une toile de lumière et d’ombre, et au travers duquel l’on voit en perspective flagellées les grandeurs et sanctifiées les misères, ce mélange de pleurs et de rire produisant une surexcitation nerveuse d’un charme indéfinissable49.
30L’humour, selon Campoamor, est conscience du contraste et de l’effet esthétique qui en résulte. Il n’est pas une manifestation de scepticisme philosophique50, mais une distanciation volontaire qui permet à l’humoriste de jouir d’un espace de liberté. En ce sens, Campoamor désigne Cervantès et Shakespeare comme les maîtres du « véritable humour sérieux, ingénu et candide ». Dans son commentaire, Clarín reprend mot pour mot l’approche de Campoamor afin de marquer sa désapprobation :
Selon lui, les véritables humoristes sont Shakespeare et Cervantès, tandis que selon moi, et je m’en excuse à nouveau, Cervantès comme Shakespeare sont plus que des humoristes et bien mieux que cela51.
31Sans préciser ce qu’il entend par « plus » et « mieux », Clarín semble ici une nouvelle fois gêné par une question de vocabulaire dont l’insuffisance peine à décrire la hiérarchie des maîtres. Il ne propose pas non plus de critères précis pour distinguer l’humour de Cervantès et celui de Campoamor : ce dernier est systématiquement désigné sous le titre de « humorista », et sa principale caractéristique est de posséder un humour qui n’a rien d’espagnol. Alors que parfois Clarín se raille de la subjectivité du poète et de l’entière liberté que celui-ci s’octroie dans ses œuvres, il lui arrive également de manifester une profonde admiration pour l’esthétique qui dérive d’une telle conception, quand elle est le fruit d’un « génie »52. Le principal grief de Clarín est dirigé contre l’indifférence et l’indétermination qui caractérisent l’œuvre de Campoamor : la suspension indéfinie du jugement est pour lui nocive. Il sait parfaitement que l’ironie a pour rôle d’introduire le suspens dans le monde des idées, mais il refuse de laisser l’individu dans le flou intellectuel et éthique. L’ironie peut être un jeu, mais elle doit être aussi au service d’une idée dominante :
Campoamor, comme Renan, en dépit de ses dénégations, aime beaucoup plus l’instrument que sont les idées que les idées elles-mêmes. Ce dilettantisme était peut-être celui de Platon ; il était très certainement celui de Socrate. Campoamor n’est pas sceptique en cela qu’il croit que la réalité ontologique garantisse la réalité de la raison ; mais il est bien sceptique en ce qui concerne la pensée humaine et le jeu de ses illusions et de ses efforts sublimes. Ce qu’il veut, c’est penser, manier les idées, les exhiber dans leur beauté céleste ; peu importe ce que sont ces idées : il n’en approfondit aucune, les admet toutes, un jour ou l’autre, convaincu qu’elles sont les nobles filles d’un même père53.
32C’est pourquoi Clarín critique la « sérénité olympienne » que certains auteurs érigent comme absolu littéraire, dès lors que cette sérénité implique une rupture avec l’éthique. La hauteur de vue de l’humoriste ne saurait être légitime sans inclure une possibilité de rétractation de la distance : l’artiste critique doit certes jouir d’une entière capacité de mouvement vis-à-vis de sa création, mais ce mouvement implique un rapprochement tout autant qu’un éloignement. Il doit être une modulation de l’engagement et du désengagement :
De fait, l’humour est le refus de porter un quelconque jugement, et croire qu’est supérieur à tout choix ce qu’Amiel nommait la déterminabilité.
L’humoriste pur sang préfère à toute prise de parti, à toute résolution, la conscience vague, en un certain sens, de la virtualité, de la chose en soi ou, tout du moins, si cela est impossible, d’une représentation sensible de cette faculté. Quelques esthéticiens ont cru qu’il s’agissait du plus haut degré possible du génie artistique ; selon eux, il y a dans l’humour quelque chose de l’indifférence ou, plutôt, de la sérénité olympienne. Qu’il me soit permis pour ma part de ne pas y croire, même si j’admire réellement les véritables humoristes54.
33L’humour de Campoamor est pour Clarín beaucoup plus proche de l’humour allemand que de la veine espagnole. Les fréquentes allusions au poète asturien sont toutes accompagnées d’une référence à Jean-Paul. Le lien qui les unit est évident pour Clarín, qui s’est intéressé très tôt aux œuvres critiques de l’écrivain allemand, même s’il ne mentionne jamais ses romans, qui, de fait, n’étaient pas encore traduits en espagnol. Ce « grand-père de Campoamor »55 fut l’un des auteurs auxquels Clarín s’est le plus attaché dans ses réflexions sur la critique littéraire et le romantisme. Il lui emprunte d’ailleurs le terme de « Museum » pour l’un de ses Folletos Literarios dans lesquels il lui rend hommage56. Cependant, déjà dans Solos, Clarín faisait découvrir et expliquait au public espagnol les grandeurs de Jean-Paul, tout en analysant les Pequeños Poemas de Campoamor.
34L’humour de ces auteurs possède deux facettes complémentaires. La première est qu’il repose sur un principe de contradiction qui fonde leur « humour spécial » et qui permet à Campoamor de développer un style « si sérieusement humoristique »57. Ce principe est à son tour garant d’une forme où domine le mélange, la collection — Museum — et la mise en relation des grandeurs et des petitesses.
35Clarín fait l’éloge des Pequeños poemas dans lesquels « la poésie des petites choses » est la forme idoine de l’humour « qui consiste à rechercher la grandeur des petites choses »58. Le renversement des grandeurs, préconisé et pratiqué par l’ensemble des écrivains ironistes, est garant du maintien de la mobilité des points de vue et des relations entre l’œuvre et le monde. Il s’agit tout autant d’une pratique d’écriture59 que d’une posture vitale. Clarín a notamment été intrigué et fasciné par la manie qu’avait Jean-Paul, relatée par ses biographes, de collectionner petits objets et accessoires, insectes et clous, bouchons et boutons60. Une manie fixée sur les objets matériels qui a pour corrélat une attention portée à l’infime, au caché et aux petits riens qui échappent au vulgaire et sur lesquels s’attarde l’esprit du lien :
Il était passionné par les petites choses, les choses oubliées, les choses insignifiantes aux yeux du commun. Il cherchait entre les choses des liens cachés et étranges qui, pour son entendement délicat, avaient une valeur que personne d’autre ne pouvait comprendre61.
36Le contact entre les petites choses et les grandeurs philosophiques et éthiques, de même que la correspondance du réel et de l’idéal, sont le fondement d’une écriture combinatoire et relationnelle qui se cherche une forme :
Tout comme il existe pour Richter des liens cachés, comme souterrains, entre les idées et les objets alors qu’ils semblent extrêmement hétérogènes, pour Campoamor il existe aussi un monde de liens mystérieux ente le réel et l’idéal, entre le sublime et l’insignifiant, entre la poésie et la prose, voire entre le bien et le mal ; des liens qui l’obligent à rechercher pour ses vers une prose poétique, à emprunter des phrases et des concepts aux auteurs les plus distants parfois de la poésie, et à chercher pour ses poèmes des sujets qu’un public mal préparé pourrait trouver futiles, indignes d’un poème62.
37Cette forme, qui ne possède pas de nom, en dépit des appellations « Doloras » et « Humoradas » créées par Campoamor pour ses poèmes — Richter a préféré quant à lui les rêves et le roman comme formes du mélange —, est en constante interaction avec les genres catalogués par l’histoire littéraire et la critique : elle les accueille en son sein et les transforme. C’est pourquoi le meilleur hommage que pouvait rendre Clarín aux œuvres de Campoamor est une saisie plurielle et rapide des formes protéénnes que le poète a su créer :
Campoamor laisse fondre sur le lecteur ébahi une pluie d’étoiles… oui, d’étoiles filantes, mais qui laissent dans la conscience un sillage de lumière. Un hélas ! qui perce l’âme ; une histoire d’amour en une seconde, en un battement de cœur ; une idée qui éclate sur deux vers et qui persiste dans le cerveau, l’éclairant telle une lumière électrique ; une polissonnerie pieuse ; une brutale leçon de l’expérience ; une phrase qui semble provenir des Vedas, une autre qui pourrait être signée Thomas Kempis ; une galanterie qui semble tirée d’une sérénade du Don Juan de Mozart ; une strophe d’Anacréon […] ; tout ceci et bien davantage passe devant les yeux du lecteur étonné63.
38Le troisième élément caractéristique de l’humour de Campoamor et de Jean-Paul est la distance critique qu’ils savent entretenir vis-à-vis de leurs créations. Tous deux ont composé un écrit esthétique qui met en lumière leur production littéraire : la Poética de Campoamor, unique dans l’Espagne du XIXe, fait immédiatement écho chez Clarín avec sa lecture de l’Introduction au Cours d’Esthétique de Jean-Paul64. Campoamor et Jean-Paul font montre d’une conscience critique et esthétique. Cependant, leur ouvrage n’a pas de visée doctrinale : tout au long de sa vie, Clarín affirmera que Campoamor est unique et qu’il ne peut fonder une école, et qu’en général les écrits sur l’art des plus grands écrivains sont ironiques, en cela que jamais ils n’offrent de recette pour écrire « à la manière de… », ou pour atteindre le succès : ces ouvrages sont toujours et avant tout le reflet conscient de la singularité de l’artiste65. La coïncidence entre l’auteur et le critique naît à la fin du XVIIIe siècle, à peu près au moment où émerge l’ironie moderne derrière le masque étroit de l’ironie rhétorique. Thomas Carlyle élève le critique au panthéon des grands hommes dans son étude sur les Héros66, et Goethe devient pour le XIXe siècle le modèle de l’artiste dont l’œuvre est issue d’une distanciation critique et artistique vis-à-vis de la réalité vécue par l’individu-poète. Clarín est fasciné par la vie et l’œuvre de Goethe, à la suite d’Urbano González Serrano dont il préface l’ouvrage biographique67. Dans ses « Cartas de un estudiante » (1879), Clarín affirme que tout art, même spontané, est le résultat d’un travail conscient, d’une réflexion, et jamais l’expression directe de l’inspiration :
La bonne littérature, la plus spontanée, est encore plus artistique que naturelle : dans toute œuvre littéraire, digne de vivre, la réflexion entre pour une grande part, et avec les passions vives, agitées, on ne travaille pas sur du marbre ; l’artiste de génie ne travaille pas le fer chaud, il a besoin que son matériau refroidisse68.
39Cette perspective critique est l’essence du romantisme d’Iéna, tel que l’ont vécu et théorisé les frères Friedrich et August Wilhelm Schlegel et Ludwig Tieck. Alors que le romantisme a été réduit, à tort, au principe du jaillissement créateur et de l’inspiration fougueuse liée à la fréquentation hallucinée des Muses, le premier romantisme, à l’origine de ce que l’on nommera plus tard « ironie romantique », est tout entier réflexion et mise à distance consciente de la vie et de l’œuvre. Friedrich Schlegel, le principal théoricien de l’ironie romantique, dont la pensée s’élabore sur les œuvres de Goethe et de Cervantès, ainsi que sur les dialogues socratiques, définit l’ironie moderne comme l’« étonnement sur lui-même de l’esprit pensant » :
Rien d’autre que cet étonnement sur lui-même de l’esprit pensant, qui se dissipe si souvent dans un sourire silencieux, et aussi, de nouveau, ce sourire de l’esprit qui cache et qui inclut cependant en soi un sens profond, une autre signification, plus élevée, et aussi, fréquemment, le sérieux le plus éminent, sous la surface joyeuse69.
40L’ironie est une posture philosophique et une forme littéraire qui font coïncider la conscience de soi et la connaissance de la beauté, donc de l’altérité. « Beau réfléchissement de soi », l’ironie repose sur une distance critique que Friedrich Schlegel nomme « autolimitation » :
Pour pouvoir bien décrire un objet, il ne faut plus y être intéressé ; la pensée qu’on veut exprimer avec lucidité doit être entièrement dépassée, à proprement parler ne plus occuper. Aussi longtemps que l’artiste s’abandonne à l’invention et à l’enthousiasme, il se trouve, du moins pour communiquer, dans un état illibéral. Il voudra tout dire ; c’est là une tendance fausse des jeunes génies, et un vrai préjugé des vieux bousilleurs. C’est méconnaître la valeur et la dignité de l’autolimitation, qui est cependant, pour l’homme comme pour l’artiste, la tâche première et dernière, la plus nécessaire et la plus haute70.
41La conscience ironique informe une poétique préoccupée du rapport entre le monde idéal et le monde réel : Friedrich Schlegel parle de « poésie transcendantale » et ouvre à la création littéraire le champ de la philosophie. L’ironie schlégélienne correspond pour une grande part à ce que Richter a préféré nommer « humour », reléguant le terme « ironie » au domaine strictement intellectualisé et critique qui répond aux critères de l’ironie classique. L’humour est, selon lui, une posture métaphysique qui permet à l’humoriste d’entrapercevoir l’infini : le « clair de lune » — que Clarín intègre rapidement à son appréhension du réel et à sa pratique d’écriture — symbolise l’ouverture vers un horizon idéal au-delà du monde fini et de la matière. Seul l’humoriste, par sa hauteur de vue qui lui fait saisir les contrastes, est doté de cette vision :
Quand l’homme, à l’instar de ce que faisait l’ancienne théologie, regarde d’en haut, depuis le monde supraterrestre : il voit celui-ci s’écouler, petit et vaniteux, quand il mesure et associe l’infini au petit, comme le fait l’humoriste. Alors naît ce rire où l’on trouve encore une douleur et une grandeur.
42L’humour est pour Jean-Paul la qualité universelle de l’« esprit poétique »71 qui pose le contraste entre idéalisme et réalisme, et qui joue avec la représentation de cette contradiction inhérente à l’homme.
43L’ironie romantique est un mode de représentation réflexif, une représentation de la représentation, ou « poésie de la poésie », selon les termes de Friedrich Schlegel. Apparentée à la pensée socratique, « philosophie de la philosophie », elle est un processus intellectuel et artistique dans lequel la pensée se dédouble et, dans « les va-et-vient alternants du discours et du contre-discours, ou plutôt de la pensée et de la contre-pensée, se déplace de manière vivante »72. La mobilité de la conscience qui caractérise l’ironie romantique est un principe mis en œuvre par Clarín. Il a tendance d’ailleurs à identifier l’humoriste et le romantique à partir de ses connaissances sur Jean-Paul :
Pour Jean Paul, le claire de lune [sic], désignait ces horizons qui se trouvent de l’autre côté de la vie matérielle. Le romantisme, entendu de cette manière délicate et profonde, est la poésie que Campoamor préfère et à laquelle il se réfère73.
44Il identifie ainsi le style de Larra et le sien propre comme un romantisme humoristique qui doit beaucoup aux horizons jeanpauliens74.
45La conscience humoristique, ou ironique, selon que l’on privilégie l’un ou l’autre terme, réunit la matière et l’idée dans une approche réflexive de la beauté : l’artiste ironique est un esthéticien. Clarín n’accorde véritablement ce titre qu’à Jean-Paul dans son article « A muchos y a ningunos », et il coïncide en cela avec le terme que Kierkegaard, à la suite de Hegel, employait pour désigner l’ironiste romantique. Cependant, l’esthéticien, s’il accorde toute leur place à la matière littéraire et à la conscience créatrice, n’est jamais conçu chez Clarín comme une pure subjectivité. C’est pourquoi Clarín a toujours éprouvé une certaine réticence envers les œuvres de Juan Valera, qu’il analyse comme des jeux subjectifs et des créations « égoïstes ». Il ne peut qu’approuver les subtilités ironiques de Valera qui déstabilise très souvent son lecteur et le force à réagir75, mais il rejette l’absolue omniprésence de la personnalité de celui qu’il nomme « le seul et véritable humoriste espagnol » : cet humour n’a dès lors plus à voir avec l’humour national dont la figure de Cervantès constituait le modèle, car l’empreinte égocentrique de l’auteur prive l’œuvre de tout horizon transcendant.
46Dans ces critiques, Clarín retrouve la posture d’Hegel qui, dans son Esthétique, s’élevait contre le subjectivisme de Fichte qu’il pensait identifier comme la seule caractéristique de l’ironie schlégélienne76. Quoi qu’il en soit, Hegel critiquait chez Friedrich Schlegel l’apologie de la « génialité divine, pour laquelle tout et tous ne sont que des choses dépourvues de substance, auxquelles le créateur libre, détaché de tout, ne saurait s’attacher dès lors qu’il peut aussi bien les détruire que les créer »77.
47Le subjectivisme démesuré de l’ironiste, toujours selon Hegel, permet de s’arroger le droit d’énoncer les vérités ou d’anéantir le monde et les idées qu’il représente :
Ce n’est pas la chose qui est au premier rang, mais moi, je suis le maître souverain de la loi et de la chose, dont je jouis à mon gré et dans cet état ironique dans lequel je laisse s’abîmer le plus élevé, je ne jouis que de moi78.
48L’ironie de Friedrich Schlegel conforte bien évidemment la liberté du sujet créateur, mais en l’identifiant cependant, et de manière très précise, à une créativité « autolimitée ». De fait, le subjectivisme ironique est la mise en perspective par le sujet du monde et de l’œuvre, du monde dans l’œuvre, et de l’œuvre en elle-même. Elle n’est jamais la « concentration du moi dans le moi dans laquelle tous les liens sont rompus »79, contrairement à ce qu’affirmait Hegel. Chez Friedrich Schlegel, le contenu ne disparaît pas, la conscience s’applique à l’idée et à la création et fait émerger la modernité littéraire comme une rupture de l’illusion, par le biais de la manipulation des techniques de représentation. Le sujet créateur est certes omniprésent, puisqu’il est l’opérateur des relations entre sujet et objet, entre infini et fini, mais il n’est pas en rupture : il est au centre d’une interaction ironique. Il s’agit d’un principe de mobilité qui n’est possible que parce que le sujet est conscient de la marche de la pensée qui lui est propre, et parce qu’il l’applique à son approche de la création littéraire.
III. — L’IRONIE CLARINIENNE ET LE « SENTIMENT DU CONTRAIRE »
49L’ironie est la construction consciente d’un rapport médiat au réel. Si l’on en croit la réflexion menée par Kierkegaard, il existe trois principales relations au monde, incarnées en trois personnalités différentes : l’individu prophétique, le héros tragique, et le sujet ironique. L’individu prophétique devine et pressent l’idée nouvelle : tout entier orienté par son intuition, il est perdu pour ses contemporains. Le héros tragique porte en lui l’idée nouvelle et lutte pour l’imposer : engagé dans l’action, il détruit tout ce qui selon lui est dépassé ou en voie de disparition. Le sujet ironique, quant à lui, montre l’imperfection de l’état présent contre lequel il s’érige. Il ne possède pas l’idée nouvelle et sait seulement l’impossibilité à demeurer dans un état inférieur ; il cherche des voies innovantes :
Pour lui, la réalité donnée n’a plus aucun effet ; elle revêt, à ses yeux, une forme imparfaite et partout importune. Mais d’autre part il ne possède pas le principe nouveau. Il ne sait qu’une chose : le présent ne répond pas à l’idée. Il a pour mission de juger. Sans doute, l’ironiste est bien prophète en un certain sens, car il ne cesse de signaler une chose à venir, mais il ignore laquelle. Il est aussi perdu pour la contemporanéité, parce qu’il « a quitté les rangs de ses contemporains » : il leur fait front. Ce qui doit venir reste caché, en arrière de lui ; mais, face à la réalité, il adopte une attitude hostile ; c’est elle qu’il doit anéantir, c’est vers elle qu’il tourne ses regards foudroyants ; le mot de l’Écriture : « les pieds de ceux qui doivent t’emporter sont à la porte » s’applique aux rapports de l’ironiste avec la contemporanéité. L’ironiste est, lui aussi, une victime qu’exige l’évolution du monde ; non pas qu’il doive nécessairement succomber au sens strict ; mais il est animé par un zèle dévorant au service de l’esprit du monde80.
50L’isolement de Clarín dans l’Espagne du XIXe siècle, son combat quotidien contre l’apathie et la médiocrité, sa quête invariée de solutions et de possibilités littéraires nouvelles, qu’il désigne sous le nom d’« opportunisme », font de lui un véritable sujet ironique. L’ironie clarinienne est un mode de représentation complexe et critique — mais non exclusivement satirique — qui est fondé sur une série de principes éthiques et métaphysiques qui donnent lieu, à leur tour, à une élaboration esthétique riche et variée. Elle naît de ce que Luigi Pirandello, dans L’Umorismo, définit comme « le sentiment du contraire »81 : selon lui, le comique repose seulement sur une constatation du contraire, tandis que l’humorismo pense la contradiction et la ressent en profondeur. Clarín manie en effet brillamment le contraste et ce qu’il nomme « acutismo », afin de le dépasser dans une technique de rapprochement comparatif qui, lorsqu’il le reconnaît chez d’autres auteurs, fait l’objet d’un éloge sincère. C’est ainsi qu’il commente un passage de Fortunata y Jacinta de Galdós : il détaille la technique du contraste et ses effets esthétiques, ajoutant que seul le véritable artiste trouve dans la réalité la contradiction que l’observateur y recherche82.
51Le « sentiment du contraire » est à l’origine de la sátura où le mélange des genres, des contenus et des formes crée la « profondeur » dont parlait Jean-Paul, et que Clarín reprend, tout en lui ajoutant la notion d’harmonie obtenue à partir des écarts83. Le lien entre les différences peut aboutir, dans les cas extrêmes, à une suspension de jugement que Clarín récuse. L’unique suspens qu’il valorise prend la double signification de l’équilibre et du doute. L’équilibre étant constitué comme la forme la plus positive du rapprochement, tandis que le doute seul contient en germe l’acte de volonté ou de foi qui donne un sens à l’écart et au contraste. La quinzième thèse de Kierkegaard, dans son analyse de l’ironie socratique, rappelle le rôle fondamental du doute dans la philosophie et dans la vie humaine : « Tout comme la philosophie commence par le doute, de même une vie digne, celle que nous qualifions d’humaine, commence par l’ironie »84. Clarín retrouve cette formule dans son œuvre. L’ironie, fragile point d’équilibre, rend possible l’acte de liberté et le choix, tout comme il suggère la réunion éphémère des corps et des esprits. L’élément fondamental de la représentation ironique chez Clarín est l’existence d’un sujet créateur. L’ironie représente le sujet non comme une individualité dont la subjectivité consacrerait la rupture avec l’œuvre et le monde, mais comme un sujet créateur situé au centre même de l’expérience intime et littéraire, un sujet constitué comme point de vue. En cela, l’ironie garantit le monologisme de l’auteur et l’intégration d’autres individualités, dans une interaction certes contrôlée par une voix dominante, mais qui imprègne de dialogisme l’œuvre. L’ironie s’impose comme un acte réflexif de connaissance, et donc comme une voie de connaissance d’autrui. Elle est la matière d’une poétique de l’homo sum puisque, par l’écart qu’elle introduit vis-à-vis des discours et des identités, elle creuse les différences afin de manipuler les rapprochements entre le Je créateur et le Je du personnage — elle œuvre par l’écriture indirecte et la pénétration langagière — et entre le Je créateur et le Je lecteur. C’est pourquoi la lecture ironique est une herméneutique qui met en relation la représentation de l’identité et de l’altérité dans l’œuvre.
Notes de bas de page
1 « La crítica satírica, es claro, no es un género de crítica ; no hay clasificación técnica que admita una clase de crítica satírica, como en la historia natural no se clasifican las aves por el sabor de los guisos con que puedan ser condimentados ; y así, hay en la pavología, por ejemplo, pavos reales y pavos comunes, pero no hay pavos con trufas y sin ellas. /La sátira es un condimento que puede tener o no tener la crítica, como puede tenerlo la comedia, la novela, el discurso político, etcétera, etcétera », Clarín, « Museum (Mi Revista) », « La Poética de Campoamor », t. IV, vol. 2, p. 1455.
2 « El crítico puede usar, si hay oportunidad, la forma satírica, como el poeta satírico puede tener por asunto la literatura ; todo el Quijote viene a ser una crítica satírica o una sátira crítica », Clarín, « Museum (Mi Revista) », « La Poética de Campoamor », t. IV, vol. 2, p. 1457.
3 « No tienen aplicación a nuestro país los argumentos que en otros suelen emplearse para negar la eficacia de aquella sátira cuyo objeto es la literatura. “¿ A qué combatir lo malo, se destruye ello mismo ; lleva en sí el germen de su corrupción ; ¿ a qué fijarse en lo que, por insignificante, no llama la atención del público ?”. Aquí no sirve decir esto ; aquí lo insignificante es alabado por una seudocrítica tan ignorante y necia como popular y propagandista. […] En una tierra así, ¿ cómo ha de ser inoportuna o inútil la sátira literaria ? ¿ Cómo no ha de atender la crítica seria en el fondo, sincera, leal, realmente honrada, a la necesidad de llamar tontos a los tontos, de burlarse de los ingenios hueros y desengañar al público ? », Clarín, « Museum (Mi Revista) », « La Poética de Campoamor », t. IV, vol. 2, p. 1457.
4 « [La crítica satírica es] la más difícil y la que hace del crítico un carácter literario de los positivos, no de los negativos, no de los eunucos, como decía quien los temió bastante. La crítica satírica es la única de la que hacen caso los autores y el público de un país culto, que ya no se pague de lecciones altisonantes », Clarín, « La Poética de Campoamor », t. IV, vol. 1, pp. 555-556.
5 « La satire exige au moins un soupçon de fantaisie, un contenu que le lecteur doit trouver grotesque, et la reconnaissance, au moins implicite, d’une norme morale, soutien essentiel d’une attitude militante en face de la vie », N. Frye, Anatomie de la critique, p. 272.
6 « Digo sátura y no sátira, porque siempre será esto mezcla de varios ingredientes, y tal es el sentido directo de la palabra en su acepción primitiva, y no siempre será satírico lo que tenga que decir », Clarín, « Sátura. Introducción », t. IV, vol. 2 p. 1828. L’intentionnalité nominative a ici valeur de dépassement de la fragmentation inhérente à l’article de journal. Par ce nom et sa signification, Clarín désigne une série de lectures et de commentaires qui obéissent aux lois du mélange.
7 Clarín, « Camus », t. IV, vol. 2, p. 1549.
8 « La explicación de Camus se parecía un poco a la prosa y aun a los versos de Campoamor en lo de ser una verdadera sátura (sátyra), en el sentido primitivo de la palabra », Clarín, « Camus », t. IV, vol. 2, p. 1546.
9 Clarín, « Camus », t. IV, vol. 2, p. 1545.
10 « Llenémosles el corazón y la fantasía del entusiasmo estético por todo lo que produjo la humana poesía, y sírvanos de ejemplo para la admiración, hoy la obra de un romano, mañana la de un griego, después la de un alemán o un persa ; busquemos y encontremos las infinitas afinidades electivas de los genios poéticos de todos los siglos ; y la asociación de ideas y el magnetismo artístico llévennos de polo a polo, saltando siglos y extensas regiones en un momento, en un desorden aparente, pero siempre guiados por la lógica de la hermosura, por las relaciones sutiles y delicadas de lo grande y de lo bello, que, pese a la necedad y a la prosa humana, que no entienden de esto, se dan la mano desde lejos, y se parecen cuando no lo parecen, y están siendo lo mismo cuando a los ojos profanos se les antojan más diferentes y separados », Clarín, « Camus », t. IV, vol. 2, p. 1546.
11 J.-P. (Richter), « Sur le trait d’esprit (Witz) ».
12 J. Locke, Essai philosophique concernant l’entendement humain.
13 J.-P. (Richter), « Sur le trait d’esprit (Witz) », p. 377.
14 « Le trait d’esprit, pris uniquement au sens strict, découvre le rapport de ressemblance, c’est-à-dire l’égalité partielle cachée sous une inégalité plus grande ; l’acuité découvre le rapport de dissemblance, soit l’inégalité partielle dissimulée par une égalité plus grande ; la profondeur, forçant toutes les apparences, découvre l’égalité totale. (L’inégalité totale est une contradiction, et donc impensable) », J.-P. (Richter), « Sur le trait d’esprit (Witz) », pp. 377-378.
15 Id., Introducción a la estética. Laureano Bonet affirme que Clarín a lu ce texte dans sa traduction française par A. Büchner et L. Dumont, Poétique ou Introduction à l’esthétique, Paris, A. Durand, 1862 : « Tras un análisis de los intertextos de Jean-Paul esparcidos por toda la prosa clariniana, creo que nuestro crítico manejó habitualmente esta edición francesa », L. Bonet, « Campoamor en Clarín : la estrategia de la araña », p. 20.
16 « [Es un] trabajillo, de muy atrás pensado, aún no escrito, que titulo El acutismo, que es para mí como la ciencia de los microbios del pensar y el cavilar ; ciencia, y arte también, que está en oposición del espíritu paradójico, el cual, si tiene sus ventajas, es inferior al acutismo, porque éste, como el nombre indica, penetra con sus filos, y la paradoja da de plano y resuelve de plano », Clarín, « Museum (Mi revista) », « La Poética de Campoamor », t. IV, vol. 2, p. 1459.
17 Padre Blanco García, Historia de la literatura española del siglo XIX.
18 « L’humour est l’expression d’un esprit calme, posé, qui, tout en voyant les insuffisances d’un caractère, d’une situation, d’un mode où règnent l’anomalie, le non-sens, l’irrationnel et l’injustice, s’en accommode avec une bonhomie résignée et souriante, persuadé qu’un grain de folie est dans l’ordre des choses ; il garde une sympathie sous-jacente pour la variété, l’inattendu et le piquant que l’absurde mêle à l’événement », H. Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, article « Ironie », p. 624.
19 E. Gramberg intitule de la sorte deux des chapitres de son ouvrage Fondo y forma del humorismo de Leopoldo Alas « Clarín ».
20 « El humorismo, la delicadeza, el pesimismo poético, patrimonio antes de pocas almas escogidas y enfermas de genio, son hoy baldíos en que se alimentan como pueden muchos espíritus vulgares con un poco de talento », Clarín, « Epílogo a manera de prefacio », t. IV, vol. 1, p. 480.
21 « Los que creen que está el quid […] en escribir como si dijéramos, con mucha frescura, debieran comprender que la imitación de esos descuidos y expansiones es ridícula e intolerable », Clarín, « El estilo fácil », t. IV, vol. 2, p. 1276.
22 Clarín, « De tal palo tal astilla (Pereda) », t. IV, vol. 1, p. 362.
23 « Es muy frecuente en esta señora tomar por materia literaria lo que no lo es y así se observa en cuanto en sus obras se refiere al elemento cómico ; las anécdotas de sus novelas suelen ser de efecto desgraciadísimo, porque casi siempre pertenecen a ese género antiartístico que produce por su naturalidad e inmediato interés gran efecto en la conversación de determinados círculos, pero que pierde toda fuerza cómica al generalizarse y pasar ante un público extraño a las circunstancias particulares que daban natural atmósfera, color y vida a tales sucedidos o chistes locales. Doña Emilia se esmera en contar esas quisicosas con gran sencillez, sin quitar ni poner, y resultan para el lector frialdades, incidentes insípidos », Clarín, « Museum (Mi Revista) », « Emilia Pardo Bazán y sus últimas obras », t. IV, vol. 2, p. 1473.
24 « Esa ilusión de creer materia artística el dato experimental, sin más, con la sola garantía de habernos impresionado, es en esta señora sistemática, querida ; es decir, que estima suficiente para la expresión artística la impresión inmediata, interesada, singular, egoísta, con todos sus elementos insignificantes, prosaicos ; porque esa es, en su opinión, la materia propia del realismo », Clarín, « Museum (Mi Revista) », « Emilia Pardo Bazán y sus últimas obras », t. IV, vol. 2, p. 1474.
25 « Figurémonos que Jesús, en vez de encontrar junto al pozo a la Samaritana, se encuentra con doña Emilia Pardo Bazán. /Pues bien : en mi opinión, Jesús se hubiera abstenido de decir las cosas sublimes que allí dijo, por miedo a parecerle a doña Emilia… demasiado romántico », Clarín, « Museum (Mi Revista) », « Emilia Pardo Bazán y sus últimas obras », t. IV, vol. 2, p. 1478.
26 « Casi todos sus versos [ los de Palacio] eran satíricos o puramente burlescos — no humorísticos — ; Palacio no es ni ha sido, ni será probablemente humorista », Clarín, « Los poetas en el Ateneo », t. IV, vol. 1, p. 492.
27 Il arrive d’ailleurs à Clarín d’employer l’adjectif « humorístico » dans un sens péjoratif proche de celui de « ridicule » et de « risible » pour désigner, par exemple, ce qui selon lui fait l’échec du monologue intérieur dans Realidad de Galdós : « esto resulta un esfuerzo casi humorístico, una forma convencional excesiva, que quita ilusión al drama », Clarín, « Revista literaria (marzo 1890) : Realidad, novela en cinco jornadas, por don Benito Pérez Galdós », t. IV, vol. 2, p. 1682.
28 « Taboada es muy original y muy español en su modo de ver y juzgar el mundo. No debe nada, absolutamente nada, a la blague francesa, ni al esprit parisién, ni al humour inglés, ni tampoco se parece a Fígaro, ni al Solitario, ni a Mesonero Romanos, ni a Frontaura, ni a alma viviente », Clarín, « Un libro de Taboada », t. IV, vol. 2, pp. 1736-1737.
29 Clarín, « Revista literaria. II », t. IV, vol. 2, p. 1775.
30 « Vis cómica original, española como ella sola », Clarín, « Eduardo de Palacio (Fragmentos) », t. IV, vol. 2, p. 1233.
31 « Indudablemente, es mucho más lucrativo ser hombre serio. Y, además, es mucho más cómodo. Con serlo de una vez por toda la vida, basta », Clarín, « Eduardo de Palacio (Fragmentos) », t. IV, vol. 2, p. 1229.
32 « Tiene recursos cómicos completamente suyos ; su estilo es una especie de refracción cómica de la realidad », Clarín, « Eduardo de Palacio (Fragmentos) », t. IV, vol. 2, p. 1233.
33 Clarín examine ce point dans son analyse du roman Marta y María d’Armando Palacio Valdés, qui est pourtant désigné en d’autres endroits comme « humorista sui generis ». Il critique la prégnance du sérieux dans l’œuvre : « La prudencia del novelista serio, el depurado gusto del artista amante de la armonía y de las proporciones, impiden que los alardes del ingenio cómico no abunden tanto como tal desee el lector al ver asomar algunos muy graciosos », Clarín, « Marta y María, novela por Armando Palacio Valdés », t. IV, vol. 1, p. 549.
34 « Aun ciertos críticos que saben usar de las armas de la sátira y del chiste y de la ironía, no saben reírse de la gracia y del chiste ajenos con buena voluntad, sinceramente, persuadidos de toda la hermosura que puede haber en la literatura graciosa, cómica », Clarín, « Alphonse Daudet. Treinta años en París », t. IV, vol. 2, p. 1236.
35 M. de Montaigne, Essais, p. 226.
36 R. de Campoamor, Antología poética, p. 182.
37 Clarín, « Nuevo Contrato », t. III, p. 377.
38 « Ese género de las risas amargas », Clarín, « Guillermo d’Acevedo », t. IV, vol. 1, p. 629.
39 V. Hugo, La préface de Cromwell.
40 E. Auerbach, Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, pp. 161-162.
41 « Llegan a la altura del gran arte moderno, profundamente cristiano en mi sentir, de fijo seriamente piadoso ; a ese arte sublime, por la humildad de los medios, donde el humorismo y la inocencia se juntan para cantar la nota triste entre risas y lágrimas », Clarín, « Sobre motivos de una novela de Galdós. Miau », t. IV, vol. 2, p. 1260.
42 La définition nationale de l’humour est une constante du XIXe siècle. Elle débute avec les travaux de Mme de Staël qui introduit en France la notion d’« humour », et qui la définit dans son appréhension anglaise. Les types nationaux s’imposent comme des absolus psychologiques que l’art reflète. À la défense de l’alliance contrastée du réel et de l’idée par l’Espagne s’opposent ainsi les esprits voltairien ou frondeur qui ont longtemps été consacrés comme les formes françaises par excellence, dont la perte est invariablement déplorée par les écrivains du XIXe siècle, nostalgiques de ce rire national perdu (sur le sujet, consulter S. Berthelot, L’esthétique de la dérision dans les romans de la période réaliste en France). Ces considérations sont relayées pendant des décennies par la critique littéraire, voire politique : en 1905, Á. Guerra, dans un article intitulé « El humorismo a la española », affirme que l’humour espagnol est cruel, que l’homme espagnol « s’efforce de rire pour ne pas pleurer » (« Por no querer llorar, se ha esforzado en reír », p. 105) et il décrit la lignée humoristique nationale selon les étapes du roman picaresque, de l’œuvre cervantesque, de la figure de Don Juan et des tableaux de Velázquez et de Goya.
43 « El humorismo español (que no es humorismo, sino otra cosa que aún no tiene nombre) no es la voluntaria y hasta artificial manera del ingenio idealista y profundo que, como Juan Pablo (pese a los desdenes de Taine y a la poco favorable opinión de Goethe y Schiller) o como nuestro Campoamor (lo menos español posible en este respecto), busca el contraste del fondo y la expresión, de la forma y la intención inicial para satisfacer necesidades de libertad individual, de una especie de democracia de facultades, de panteísmo estético, de simbolismo artístico ; es más bien el humorismo idealista-naturalista de algunos de nuestros escritores insignes un gran sentido práctico, ayudado de una gran fuerza plástica para pintar la vida real ordinaria que acompaña a un genio de raza espiritualísima, casi mística, fiel a la fe ideal, a la autoridad racional y sentimentalmente admitida », Clarín, « Revista literaria. II », t. IV, vol. 2, pp. 1775-1777.
44 C’est la thèse défendue par M. R. Alfani dans El regreso de Don Quijote, Clarín y la novela.
45 J. W. von Goethe, Poésie et vérité, p. 259.
46 F. Schlegel, Œuvres, t. II, p. 152, ou L’absolu littéraire, éd. Ph. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy pp. 85-86.
47 « Porque el humor español de que hablo no es un juego lírico en que la risa y las burlas y pequeñeces se buscan para descanso de las profundidades graves que agobian, sino que es como correctivo del excesivo idealismo que el español lleva en el alma ; es un miedo a hacer la bestia por ser demasiado ideal ; no es un realismo neto (que también hay por acá, y tienen otros y es otra cosa) sino como un vejamen oportuno, medicinal, y al mismo tiempo genio satírico por el contraste inverso, a saber : por la comparación del bien ideal con que se sueña y en que se cree, con las realidades bajas, pero necesarias, con que se tropieza, para las que se tiene vista de lince y que se pintan bien para censurarlas del mejor modo, que es hacerlas ver como son ellas », Clarín, « Revista literaria. II », t. IV, vol. 2, p. 1776.
48 « Expresión formal de su actitud crítica ante el mundo y el resultado del enfrentamiento al mundo real de una concepción ideal modélica, y un cebo para el público », S. Beser, Leopoldo Alas, crítico literario, p. 149.
49 « ¿ Qué es humorismo ? La contraposición de situaciones, de ideas, actos, o pasiones encontradas. La posición de las cosas en situación antitética suele hacer reír con tristeza. /César, tapando con sus cenizas el hueco de la pared, y Don Quijote volviendo a su casa molido a palos por defender sus ideales, mientras su ama y su sobrina, representantes del sentido común, lo reciben cómodamente comiendo pan candeal y haciendo calceta, son dos rasgos de humorismo que, además de hacer reír, llenan los ojos de lágrimas. /La frase buen humor, genuinamente española, ha creado un género literario, que es sólo peculiar de los ingleses y de los españoles, y en el que mezclando lo alegre con lo trágico, se forma un tejido de luz y sombra, al través del cual se ve en perspectiva flageladas las grandezas y santificadas las miserias, produciendo esta mezcla de llanto y de risa una sobreexcitación nerviosa de un encanto indefinible », R. de Campoamor, Poética, p. 55.
50 « Si el escepticisimo no cree en lo que dice, el humorismo hasta se ríe de lo que cree, no dejando de creer nada de lo que dice », R. de Campoamor, Poética, p. 55.
51 « Para él, los verdaderos humoristas son Shakespeare y Cervantes, para mí, y con perdón otra vez, tanto Cervantes como Shakespeare son algo más y mejor que humoristas », Clarín, « Las Humoradas de Campoamor », t. IV, vol. 1, p. 808.
52 Une considération qui touche à part égale Campoamor et Jean-Paul : « la Introducción a la Estética, de Juan Pablo, es uno de los libros en que mejor se demuestra que la libertad del subjetivismo, cuando la emplea un gran espíritu, no daña al vigor didáctico, sino que fecunda la reflexión con adivinaciones de lo verdadero », Clarín, « Museum (Mi revista) », « La Poética de Campoamor », t. IV, vol. 2, p. 1441.
53 « Campoamor, como Renan, ama, aunque él lo niegue, mucho más el instrumento de las ideas que las ideas mismas. Tal vez este diletantismo lo tenía el mismo Platón, y de seguro lo tenía Sócrates. Campoamor no es escéptico por cuanto cree en la realidad ontológica que garantiza la realidad de la razón ; pero sí es escéptico por lo que respeta al pensamiento humano y al juego de sus ilusiones y sublimes esfuerzos. Lo que él quiere es pensar, manejar las ideas, mostrarlas en su belleza celestial ; cuáles sean estas ideas le importa menos, no hace gran hincapié en ninguna, y todas las admite, un día u otro, convencido de que son hijas nobles del mismo padre », Clarín, « Las Humoradas de Campoamor », t. IV, vol. 1, p. 809.
54 « En rigor, el humorismo es no decidirse por ningún juicio, creyendo superior a toda determinación lo que llamó Amiel la determinabilidad. El humorista de pura sangre prefiere a todo partido, a toda resolución, la conciencia vaga, en cierto modo, de la virtualidad, de la facultad en sí, o por lo menos, si esto no es posible, de una representación sensible de esta facultad. Algunos estéticos han creído que esto era el más alto grado de genio artístico posible ; según ellos, hay en el humorismo algo de la indiferencia o, mejor, de la serenidad olímpica. Yo me permito no creer en esto, por más que admiro de veras a los verdaderos humoristas », Clarín, « Las Humoradas de Campoamor », t. IV, vol. 1, p. 811. Clarín utilise d’ailleurs ironiquement ce qui est rapidement devenu un cliché romantique construit sur le mythe du génie solitaire et détaché, en l’appliquant au concept d’humour allemand tel que peuvent l’entendre les médiocres, dont fait partie Zurita : « ¿ No aseguraban algunos estéticos alemanes (¡ los alemanes !, ¡ qué gran cosa ser alemán !) que el humorismo es el grado más alto del ingenio ? ¿ Qué cuando ya uno, de puro inteligente, no sirve para nada bueno, sirve todavía para reírse de los demás ? Pues de esta clase, sin duda, era el señor catedrático : un gran ingenio, un humorista, que se reía de él muy a su gusto », Clarín, « Zurita », t. III, p. 293.
55 Clarín, « Las Humoradas de Campoamor », t. IV, vol. 1, p. 811.
56 « Museum se refiere a la variedad del contenido, y otros se llamaran así también cuando no haya, o no se me ocurra, bautismo mas adecuado. Si algún malicioso recuerda que en español no se dice Museum, sino Museo, y que el dejar en latín el título es como dejarlo en alemán y copiárselo a Juan Pablo, contestaré que en ello no hay ni intención de despojo, ni ridículas pretensiones de medirme con el maestro, sino sencillamente un homenaje a Richter », Clarín, « Museum » (Mi revista) », t. IV, vol. 2, p. 1435.
57 « Tan seriamente humorístico », Clarín, « La Poética de Campoamor », t. IV, vol. 1, p. 553.
58 « Que consiste en buscar la grandeza de lo pequeño », Clarín, « Pequeños poemas (Campoamor) », t. IV, vol. 1, pp. 312 et 316, respectivement.
59 Clarín est admiratif des textes courts d’Acevedo, basés sur des faits quotidiens et construits sur leur contraste avec la grandeur de l’esprit qui leur donne forme : « Acaso hacía más picante el sabor de estas revistas el noble contraste de la pequeñez del asunto y del gran espíritu que le trataba », Clarín, « Guillermo d’Acevedo », t. IV, vol. 1, p. 630.
60 Clarín, « El tren directo (Munilla) », t. IV, vol. 1, pp. 337-338.
61 « Tenía la pasión de lo pequeño, de lo olvidado, de lo insignificante a los ojos vulgares. Buscaba entre las cosas relaciones ocultas y extrañas, que para su delicado entendimiento tenían un valor que los demás no comprendían », Clarín, « Pequeños poemas (Campoamor) », t. IV, vol. 1, p. 310.
62 « Así como para Richter hay relaciones ocultas, como subterráneas, entre ideas y objetos que parecen los más heterogéneos, para Campoamor existe también un mundo de relaciones misteriosas entre lo real y lo ideal, lo sublime y lo pequeño, lo poético y lo prosaico, hasta entre lo bueno y lo malo ; relaciones que le obligan a buscar una prosa poética para sus versos, a tomar frases y conceptos de los autores más ajenos acaso a la poesía, y a buscar para sus poemas argumentos que a un público mal preparado podrían antojársele materia baladí, indigna de un poema », Clarín, « Pequeños poemas (Campoamor) », t. IV, vol. 1, p. 312.
63 « Campoamor deja caer sobre el lector atónito una lluvia de estrellas… sí, de estrellas fugaces, pero que dejan un rastro de luz en la conciencia. Un ¡ ay ! que llega al alma ; una historia de amor en un segundo, en un latir de corazón ; una idea que estalla en dos versos y que permanece en el cerebro iluminándole como una luz eléctrica ; una picardía piadosa ; una lección brusca de la experiencia ; una frase que parece de los Vedas ; otra que firmaría Tomás Kempis ; una galantería que semeja una serenata del Don Juan de Mozart ; una estrofa de Anacreonte […] ; todo esto y mucho más pasa ante los ojos del lector asombrado », Clarín, « Las Humoradas de Campoamor », t. IV, vol. 1, p. 812.
64 « La Poética recuerda, aunque no es tanta importancia, la introducción a la Estética que Richter escribió con el mismo título. Lo recuerda, porque ahora también se trata de un poeta que escribe una Poética para defender su manera de entender el arte y de ser artista ; en ambos libros predomina el humorismo llevado con gran habilidad al terreno doctrinal, sin lastimar gran cosa a la verdad misma », Clarín, « La Poética de Campoamor », t. IV, vol. 1, p. 557.
65 « Los incautos imitadores caen en la trampa ; no ven la profunda ironía de los maestros, a quienes, sin pensarlo, ofenden atreviéndose a imitarles. ¡ Imbéciles ! pensará el genio preceptista al ver estrellarse a los incautos. Cuando yo veo a Campoamor, o a Víctor Hugo, o a Zola mismo, o al mismo Juan Pablo (y eso que éste era más legítimo estético) exponer todo su arte de escribir poesía, se me figura estar oyéndoles decir : “Para hacer esto hay que proceder de esta y de la otra manera” ; — y añadir por lo bajo — : “Y, además, hay que ser Campoamor, o Hugo, o Zola”, etcétera », Clarín, « A muchos y a ninguno », t. IV, vol. 2, pp. 1214-1215.
66 T. Carlyle, Les héros : le culte des héros et l’héroïque dans l’histoire.
67 U. González Serrano, Goethe. Ensayos críticos, con un prólogo de Leopoldo Alas Clarín.
68 « La literatura buena más espontánea es aún más arte que naturaleza : en toda obra literaria, digna de vivir, la reflexión entra por mucho, y con las pasiones vivas, agitadas, no se trabaja sobre el mármol : el artista de genio no modela en rojo, necesita que el material se enfríe », Clarín, « Cartas de un estudiante », t. III, p. 883. Clarín prend alors l’exemple de Goethe, comme il le fait dans « Museum (Mi Revista) » lorsqu’il critique les écrits d’Emilia Pardo Bazán, afin de ridiculiser les tentatives d’écriture des « literatas », qui écrivent sans aucune distance ni réflexion et qui couchent directement leurs impressions et leurs sentiments sur le papier.
69 F. Schlegel, Leçons de la langue et du mot [1829], Œuvres complètes, vol. 10, p. 353, cité par E. Behler, Ironie et modernité, pp. 92-93.
70 F. Schlegel, Œuvres complètes, vol. 2, p. 151, cité par E. Behler, Ironie et modernité, p. 94.
71 J.-P. Richter, Cours préparatoire d’esthétique, p. 129, cité par E. Behler, Ironie et modernité, p. 215, valable pour la citation précédente.
72 F. Schlegel, Œuvres complètes, vol. 10, pp. 352-353, cité par E. Behler, Ironie et modernité, p. 56.
73 « Para Juan Pablo el claire de lune [ sic] eran esos horizontes que caen al otro lado de la vida material. El romanticismo, entendido de esta manera delicada y profunda, es la poesía que Campoamor prefiere y a la que se refiere », Clarín, « Las Humoradas de Campoamor », t. IV, vol. 1, p. 811.
74 Clarín écrit, à propos de Larra : « Bien es verdad que era romántico puro, idealista de sangre, si vale hablar así, y aunque en la forma procuraba ser llano, natural y corriente, su humorismo y su pesimismo eran de índole genuinamente romántica. Fígaro era el primer escritor de su tiempo ; veía horizontes que sus contemporáneos en España no columbraban siquiera », Clarín, « España en Francia, Le naturalisme en Espagne por Alberto Savigne », t. IV, vol. 2, p. 1283. Dans « Prefacio a manera de sinfonía », Clarín s’amuse des limites financières de son petit livre, composé par les « arranques de mi romántico humorismo », Clarín, t. IV, vol. 1, p. 119.
75 C’est le cas dans une pièce intitulée Asclepigenia, sur laquelle Clarín fait le commentaire suivant : « El final del diálogo sorprenderá, y acaso enfade, a los que no estén acostumbrados a este humorismo que acaba por burlarse de sí mismo y dar a la obra que tiene en las manos un corte que es como la explosión de un fuego de artificio con que el chisporroteo concluye », Clarín, « Tentativas dramáticas », t. IV, vol. 1, p. 350.
76 Les chercheurs ayant analysé de près les récriminations d’Hegel contre l’ironie romantique ont pu constater que ses propos ne reflétaient pas la réalité du concept tel que F. Schlegel l’avait pensé, et qu’ils étaient plutôt orientés par une inimitié et une aversion personnelles. Voir E. Behler, « La polémique de Hegel contre l’ironie romantique », Ironie et modernité, pp. 121-164.
77 G. W. F. Hegel, Esthétique, p. 100.
78 Id., Principes de la philosophie du Droit, pp. 185-186, cité par E. Behler, Ironie et modernité, p. 128.
79 G. W. F. Hegel, Esthétique, p. 100.
80 S. Kierkegaard, Le concept d’ironie constamment rapporté à Socrate, p. 236.
81 L. Pirandello, L’Umorismo/El Humorismo, pp. 72-73.
82 Clarín, « Una carta y muchas digresiones », t. IV, vol. 2, p. 1161.
83 « El placer de la armonía no se produce si no hay diversidad de términos : armonizar lo idéntico no tiene gracia, ni siquiera sentido ; el valor de la armonía aumenta cuando los elementos armonizados proceden de mayor distancia, de mayor distinción, porque esto supone más realidad, más ancha esfera de realidad armonizada. Por eso no hay para el oído, ni para el pensamiento, novedad ni interés en encontrar lazos de armonía eufónica entre palabras que la costumbre, el uso y el abuso han hecho marcar unidas siempre ; y menos entre palabras cuya idea capital no se ve unida por el sentido a otra idea, sino unida por los accidentes declinables, por la obra muerta, pudiera decirse, a los accidentes declinables de otra idea », Clarín, « Museum (Mi revista) », « La Poética de Campoamor », t. IV, vol. 2, p. 1449.
84 S. Kierkegaard, Le concept d’ironie constamment rapporté à Socrate, p. 10.
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