Introduction
Les ironies
p. 1-12
Texte intégral
1L’ironie est si usuelle qu’elle échappe à toute tentative de saisie. La distance qu’elle instaure se renverse en une proximité qui défie l’expression. Bien sûr, il est possible de l’interpréter. Elle n’est d’ailleurs que cela, une invitation à l’interprétation. L’ironie comporte une dose d’indéfini qui remet en cause la notion de définition. Ce qui n’empêche, d’ailleurs, en rien l’ironie de devenir elle-même un critère définitoire : l’ironie tranche entre ceux qui sont capables de la comprendre et les autres. Les dictionnaires et les encyclopédies regroupent ses possibles sens, suivant en cela une tradition rhétorique solidement ancrée, mais ils n’offrent pas la juste appréciation de l’ironie. Ironie de l’indéfinissable ironie.
2L’ironie fait partie de la grande famille du comique, comme son frère l’humour, mais elle a aussi de nombreuses relations avec celle du sérieux. Or, ces catégories posent toutes les mêmes problèmes de saisie et de définition. De nombreux critiques ont cherché à donner un statut indépendant à l’ironie : la « question ironique » a connu un regain d’intérêt dans les années quarante1 aux États-Unis et en France, et aujourd’hui la recherche de la généalogie ironique et l’identification de ses formes concernent des domaines aussi variés que la linguistique, la sémiotique, la psychanalyse, la philosophie et la littérature. L’ironie a d’ailleurs produit indirectement — mais n’est-ce pas là sa marque de fabrique ? — un groupe spécialisé de chercheurs, les « ironologues »2. Outil et technique discursive, ou bien posture vitale, l’ironie se déploie sur une vaste gamme de savoirs, elle se joue de ses formes multiples.
3L’approche la plus humble pour le néophyte qui cherche sa voie dans cette dantesque « forêt obscure » de l’ironie consiste peut-être, sans viser l’exhaustivité, à comprendre les filiations, les ramifications et les restrictions d’une notion historique autant qu’intellectuelle, afin de tenter d’accorder ce polymorphisme à son regard critique, à sa lecture partagée entre la jouissance et la frustration provoquées par l’œuvre ironique. Étude fascinante, mais aussi inquiétante, que celle d’un objet qui refuse l’immobilité et donc se dérobe aux conditions classiques de l’analyse littéraire.
4Les racines de l’ironie sont grecques : l’étymologie et la philosophie s’accordent à lui donner cette origine. Eirôneia, issu du grec ancien eirôn — rusé, malin, tricheur —, désigne l’acte de simulation que le dire, le discours, rend possible. Cette idée a très vite été appliquée à Socrate, devenu le maître incontesté de l’ironie pour les siècles postérieurs. Elle désigne la simulation de l’ignorance que Socrate introduit dans le dialogue : la relation dialectique ainsi orientée par l’ironie socratique débouche sur l’accouchement des esprits, la maïeutique. Cette posture philosophique retrouve dans son étymologie une source fondamentale et plus ancienne : le théâtre. En effet, l’eirôn est l’un des caractères de la comédie grecque, personnage en particulier des comédies d’Aristophane, et rôle incomplet sans son correspondant sur scène, l’alazon. Le renard (eirôn) et le paon (alazon) représentent la dissimulation et l’exagération, deux extrêmes incarnés dans les types comiques de l’hypocrite et du vantard. La naissance scénique de l’ironie a eu deux principales répercussions. L’ironie et l’ironiste, jusqu’à Socrate lui-même, ont conservé en partie le sens négatif du mot eirôn et ont pâti de l’image du personnage du roué. L’ironie fait mal, elle blesse et pour cela utilise l’inversion, la tromperie, voire le mensonge, selon ses détracteurs. Le deuxième effet a été le maintien d’un lien entre l’ironie et la scène, l’ironiste et la représentation. Bon nombre d’études contemporaines retrouvent cette correspondance qui, de fait, n’a jamais été complètement perdue de vue, comme le prouvent les grandes œuvres ironiques européennes et leur interprétation romantique. Platon, dans ses dialogues, prolonge la figure du maître ironiste et la polarité de l’ironie. Aristote dans son Éthique à Nicomaque évoque les divergences vis-à-vis de la réalité qu’eirôn et alazon, en tant qu’extrêmes du comportement humain, constituent au sein de sa conception de l’homme authentique, et dans sa théorie du milieu où Socrate incarne les valeurs positives de l’ironie. Il en va tout autrement chez Théophraste qui insiste sur la dissimulation comme sens négatif de l’ironie. C’est d’ailleurs le terme que La Bruyère choisit d’employer dans sa traduction du passage des Caractères de Théophraste traitant de l’ironie3. L’ironie et la figure de Socrate se voient ainsi désolidarisées, ce que reproduisent les commentateurs et les rhétoriciens postérieurs, qui introduisent l’ironie dans le champ de la rhétorique.
5Le processus d’appropriation débute dans la Rhétorique à Alexandre d’Anaximène, une œuvre longtemps attribuée à Aristote. L’interprétation rhétorique de l’ironie devient exclusive et la notion de contraire fait ses premiers pas : « L’ironie consiste à dire quelque chose tout en prétextant ne pas être en train de la dire, ou encore à appeler les choses par les noms de leurs contraires »4. L’ironie est conçue comme une rupture entre le discours et l’intention, entre le mot et l’idée, et entre les mots eux-mêmes. C’est ce dernier point qui a finalement été retenu et qui s’est imposé : le lieu commun de la contradiction énonciative de l’ironie se perpétue jusqu’à aujourd’hui. Cicéron et Quintilien reprennent cette définition. Le premier traduit en latin eirôneia par disimulatio, puis par ironia, mot dont nous avons hérité. Il la définit comme le fait de dire « le contraire de ce que l’on veut faire entendre ». Cicéron ajoute que l’ironie est « très agréable lorsqu’elle est traitée sur un ton, non pas oratoire, mais familier »5 et impose par là la vision positive d’un langage élégant et privé, qui aura pour descendant le « bel esprit ». Quintilien, quant à lui, reprend la définition par l’opposition : l’ironie est une figure de mot, « celle où l’on entend le contraire de ce que suggèrent les mots ». Il inverse les termes de la communication : là où Cicéron parlait d’une intention antagonique, Quintilien souligne une réception contrastée. Il distingue de plus l’ironie comme figure de mot — ou trope —, de l’ironie comme figure de pensée, retrouvant une inflexion que Cicéron avait donnée avant lui6. La différence est clairement posée par Michel Le Guern dans son évaluation de l’ironie selon Quintilien : « là, ce sont les mots pour d’autres mots, ici c’est un sens qu’on cache sous des mots qui en expriment matériellement un autre »7. Les deux notions ironiques ainsi présentées expliquent le succès historique de la première : la clarté de l’antiphrase et du contraire rend l’ironie facile à utiliser et à cerner, tandis que la deuxième notion, ayant trait à la fois à l’esprit et au masque du dire, ne pouvait que rebuter des systèmes aussi catégoriques que l’art oratoire et la rhétorique. C’est pourquoi l’ironie comme antiphrase s’impose comme outil du discours, oral puis écrit, dans la rhétorique médiévale, puis classique. Est retenue sa capacité versatile à faire passer un blâme pour une louange et une louange pour un blâme. L’exemple de la rhétorique française est remarquable, car elle classe définitivement l’ironie comme figure de mots dans ses traités, parmi lesquels celui de Dumarsais fait office de modèle :
L’ironie est une figure par laquelle on veut faire entendre le contraire de ce qu’on dit : ainsi les mots dont on se sert dans l’ironie ne sont pas pris dans leur sens propre ou littéral.
M. Boileau, qui n’a pas rendu à Quinault toute la justice que le public lui a rendue depuis, a dit par ironie : « Je le déclare donc, Quinault est un Virgile ! » Il voulait dire un mauvais poète8.
6La conception logique (le contraire) se teinte naturellement de nuances axiologiques dès lors qu’est impliqué un jugement de valeur, comme le prouve la définition, qui a fait école, de Fontanier :
Il me semble que ce qui fait le caractère particulier de l’ironie, c’est que c’est toujours une sorte de raillerie ou plaisante ou amère, et qu’ainsi on donnerait une idée un peu plus exacte de cette figure, si on disait qu’elle consiste à dire, par manière de raillerie, tout le contraire de ce qu’on pense ou qu’on veut faire penser aux autres9.
7En Espagne, l’ironie a connu la même évolution logique et axiologique. Les rhétoriciens espagnols ont eux aussi retenu la définition par la notion de contraire, tels Miguel de Salinas, Pedro de Guevara, le Brocense, Fernando de Herrera, Gregorio Mayans, Antonio Capmany ou encore Baltazar Gracián qui, dans son traité Agudeza y arte de ingenio, l’inclut dans la définition des « agudezas » (pointes) sans lui donner de statut autonome10. Cette définition est à son tour reproduite dans les dictionnaires et encyclopédies espagnols jusqu’à nos jours11.
8L’évaluation de l’approche rhétorique met en évidence la restriction subie par l’ironie. L’« ironie spirituelle » dont parlait Cicéron, tout comme l’ironie scénique issue de l’eirôn, ouvrent la voie à d’autres interprétations, ayant à cœur cette fois-ci de ne pas cantonner l’ironie à une définition antagonique. C’est à partir de ce rejet de l’ironie rhétorique que la linguistique s’est attachée à l’exploration du champ ironique. Le terrain linguistique propose deux approches, l’une tropologique, l’autre pragmatique. Dans la lignée de la tradition rhétorique s’est élaborée une théorie du trope ironique explorée par les travaux de Catherine Kerbrat-Orecchioni12. La perspective rhétorique dynamisée par les apports de la pragmatique lui a permis de cerner l’ironie comme « une sorte de trope sémantico-pragmatique »13. L’analyse du signe ironique, apparenté à l’antiphrase et distinct des autres tropes pour sa valeur illocutoire, a le mérite de rendre caduc le catalogue des procédés ironiques ainsi que les énumérations sans fin des formes de l’ironie14. Kerbrat-Orecchioni définit le trope ironique comme la combinaison d’un signifiant unique et de deux niveaux sémantiques distincts et en relation antiphrastique graduée (un Sé 2 contestant le Sé 1), soit la concurrence sémantique d’un sens littéral 1 issu de la langue et d’un sens dérivé et implicite 2 produit dans le discours. Cette approche, basée sur la théorie du signe de Benveniste, propose donc une théorie des niveaux : la métaphore spatiale manifestant l’idée que le Sé 2 « se hausse au-dessus » du Sé 1 sans pour autant l’éliminer, ce qui annulerait l’ironie. Cette architecture étagée, qui remplace l’image de la pièce avec ses jeux de pile et face, s’adapte à une pragmatique de l’ironie dès lors que le dédoublement sémantique est accompagné par un dédoublement axiologique. Celui-ci permet le fonctionnement idéologique de l’ironie comme vecteur entre l’ironiste et sa cible. L’inconvénient d’une telle théorie, en plus de la perpétuation de la restriction de l’ironie à la notion de contraire, est que le postulat axiologique de l’ironie efface la suspension (de sens, de communication) qui se joue dans l’ironie. Si la tropologie prend en compte l’intention ironique et la cible, elle semble cependant délaisser l’analyse du récepteur de l’ironie : en lui supposant une maîtrise des normes en jeu dans l’ironie — linguistiques, historiques, sociales, littéraires, etc. —, elle ne retient pas le facteur de risque inhérent à l’ironie, la possibilité de l’échec ironique. Ce qui est d’autant plus dommageable que l’étude de l’ironie littéraire est textuelle et non orale et que, par conséquent, le discours ironique y a perdu nombre de ses signaux interprétatifs.
9Le déficit communicationnel de l’approche tropologique a été dénoncé par la linguistique de l’énonciation et notamment par les travaux d’Alain Berrendonner, de Dan Sperber et Deirdre Wilson, et d’Oswald Ducrot15. Berrendonner propose une lecture argumentative de l’ironie : à partir du rejet de la définition axiologique et de la conception rhétorique de la contradiction énonciative et de l’antiphrase, il élabore une approche par la valeur argumentative :
L’ironie se distingue des autres formes, banales, de contradiction, en ceci qu’elle est, précisément, une contradiction de valeurs argumentatives16.
10Alors que la tropologie postule l’existence d’un lexique et de propositions ironiques et antiphrastiques par essence, il affirme que tout énoncé peut être ironique quand il est considéré dans une relation argumentative. L’ironie est une contradiction argumentative, ce qui justifie son ambivalence : loin d’être restreinte à la notion de contraire, l’ironie est paradoxale car elle combine une assertion originale et une seconde assertion de type métadiscursif qui vient contre-argumenter la première. L’apport de Berrendonner, qui ouvre à l’ironie le champ discursif polémique interne à un énoncé, est son affirmation de la fonction défensive de l’ironie. Elle n’est pas une arme agressive, mais constitue une défense contre les normes ; elle est une forme de liberté offerte par le discours contre les institutions et leurs codes17. L’ironie permet de sanctionner les normes collectives par un acte de parole privée, tout en évitant la sanction en retour. Comme l’ironiste manipule deux valeurs argumentatives — au moins — et que la seconde contredit la première sans l’annuler, il a toujours la possibilité de s’abriter derrière celle qui le masquera dans un contexte normalisateur : avantage du statu quo ironique que les journalistes et les écrivains connaissent parfaitement.
11Berrendonner insère le discours ironique dans une stratégie de parole et de pouvoir que l’on retrouve dans la seconde approche pragmatique, celle de la linguistique citationnelle. Une stratégie qui concerne alors la « prise de parole » ironique, au sens où les mots d’autrui sont « pris », empruntés, mentionnés. Sperber et Wilson étudient l’ironie dans le cadre d’une réflexion sur l’ambiguïté et l’interprétation du discours. Ils opèrent une distinction fondamentale entre l’emploi et la mention, pour saisir ce phénomène si particulier à l’ironie qui est de faire entendre une voix autre dans le discours de l’ironiste, soit de faire coïncider deux voix dans le discours ironique :
Lorsque l’on emploie une expression on désigne ce que cette expression désigne ; lorsque l’on mentionne une expression on désigne cette expression18.
12Ainsi, le remplacement de sens que la rhétorique faisait opérer par la notion de contraire devient pour eux la superposition des instances énonciatives. L’ironie est l’écho des mots et des pensées d’autrui, réels ou imaginaires19. Cette définition élimine l’accusation traditionnelle faite à l’ironie d’être un mensonge. L’ironiste fait mention d’un discours autre, il le cite, il le porte en écho. L’écueil probable de cette conception est que Sperber et Wilson considèrent que les énoncés ironiques sont exclusivement des mentions et non des emplois, alors qu’ils peuvent être une combinaison des deux, et que l’ironie tient précisément à cette ambiguïté. Le deuxième point d’achoppement de cette théorie est que, selon eux, l’ironie « a naturellement pour cible les états d’esprit, réels ou imaginaires auxquels elle fait écho »20. Or, l’ironie peut parfaitement prendre pour cible l’énoncé cité ou mentionné, ou, encore plus retorse, la mention elle-même, l’acte de citer.
13Dans cette perspective, Oswald Ducrot approfondit la réflexion sur les mentions dans son approche polyphonique de l’ironie. Il part pour cela des études pionnières et novatrices de Mikhaïl Bakhtine sur l’œuvre de Dostoïevski21 et de son élaboration du concept de polyphonie pour des œuvres appartenant à la littérature populaire et carnavalesque. Sa théorie bat en brèche le préalable de la linguistique moderne qui postule l’unicité du sujet parlant. Contrairement à Ann Bansfield22, qui fonde ses travaux sur l’idée que chaque énoncé ne peut avoir qu’un seul et unique auteur, ou « sujet de conscience », Ducrot prend pour base de son approche la notion de responsabilité énonciative. L’étude des reprises et des emprunts énonciatifs dans le discours l’a mené à distinguer deux catégories qui ont le mérite de dépasser les difficultés terminologiques posées par le trio auteur-narrateur-personnage. Selon Ducrot, un énoncé doit être analysé en fonction de son locuteur et de son énonciateur. Le locuteur est cet « être qui, dans le sens même de l’énoncé, est présenté comme son responsable, c’est-à-dire comme quelqu’un à qui l’on doit imputer la responsabilité de son énoncé »23 alors que l’énonciateur correspond à la catégorie des « êtres qui sont censés s’exprimer à travers l’énonciation, sans que pour autant on leur attribue de mots précis »24. Il distingue ainsi le producteur du responsable de l’énoncé, qui peuvent bien évidemment coïncider, ce qui lui permet de ne plus se contenter d’orienter l’analyse en fonction du « qui parle ? », et de réévaluer les fonctions énonciatives dans une stratégie discursive aussi ambiguë que peut l’être le style indirect libre. Ducrot reconnaît le rapport spontané qui s’établit entre le locuteur et le narrateur (respectivement opposés au sujet parlant empirique et à l’auteur), et entre l’énonciateur et ce que Genette nomme « centre de perspective »25. Il précise néanmoins que si le locuteur
parle au sens où le narrateur raconte […], les attitudes exprimées dans ce discours peuvent être attribuées à des énonciateurs dont il se distancie — comme les points de vue manifestés dans le récit peuvent être ceux de sujets de conscience étrangers au narrateur26.
14Cette remarque est d’une grande utilité pour les analyses stylistiques de l’ironie citationnelle, car elle pose clairement l’écart possible entre l’énonciation et le point de vue dans un énoncé. L’approche de Ducrot est d’autant plus fructueuse pour une étude littéraire de l’ironie que sa tentative d’affiner la définition de Sperber et Wilson le conduit à remplacer le terme « mentionner » par « faire entendre une voix ». En effet, toute mention n’est pas ironique, alors même que chaque mention fait coïncider dans un laps de temps plus ou moins court — temps de l’énonciation, de l’écriture, de la lecture —, deux ou plusieurs voix.
15L’approche linguistique, par son évaluation du discours ironique en termes de mention et de représentation, renoue avec les origines du mot eirôneia. L’ironie a partie liée avec le jeu des voix sur une scène, ne serait-ce que celle de l’énonciation. Ce caractère esthétique de la communication réunit les démarches pragmatiques et littéraires dans la théorie de la réception, et dans les tentatives de définition de la modernité littéraire qui se sont mises en place au cours des dernières décennies. C’est notamment le cas du New Criticism, école développée aux États-Unis dans les années trente et quarante, qui a fait de l’ironie le pivot de sa conception de la littérature moderne. Dans une acception élargie du concept, pensé en dehors des théories du comique, les News Critics ont inséré l’ironie dans leur approche du texte comme un tout organique. La pratique du « Close Reading » met en évidence les interactions et les modifications internes des éléments textuels, mouvements identifiés à l’ironie. Elle devient dès lors synonyme de littérarité27. L’existence d’un lien entre l’ironie et la conscience de la modernité littéraire est aussi la thèse d’Ernst Behler, construite à partir d’un retour critique sur la littérature du début du XIXe siècle28. Il éclaire la pensée encore trop méconnue de Friedrich Schlegel, sa théorie ironique, dite plus tard « romantique », et ses répercussions esthétiques.
16L’ironie romantique naît à la fin du XVIIIe siècle en Allemagne, plus précisément en 1797, date de la parution des Fragments de Friedrich Schlegel, et se développe ensuite dans ses écrits de l’Athenaeum. Ce principe esthétique est indissociable d’une prise de position philosophique du créateur. Friedrich Schlegel réintroduit la figure de Socrate29 dans la réflexion littéraire, maître de l’ironie pour sa pratique dialectique basée sur la simulation d’une ignorance visant à mener l’interlocuteur sur la voie d’une construction intellectuelle, et pour son apparence de silène, incarnation plastique du contraste comme matière de l’ironie. L’ironie s’impose comme une « attitude intellectuelle »30, que Kierkegaard par la suite définira comme la seule capable de permettre la « vie digne que nous qualifions d’humaine »31, et qui est présente dans des œuvres littéraires antérieures à sa formulation par Friedrich Schlegel. Il faut sur ce point considérer attentivement les divergences de conception des deux frères Schlegel. August Wilhelm Schlegel, dans ses Leçons32, reprend la définition traditionnelle de l’ironie rhétorique et définit, à partir de ses études des œuvres de Cervantès, de Calderón et de Shakespeare, l’« ironie tragique » ou dramatique, qui prendra ensuite en Europe les formes d’« ironie du monde » ou d’« ironie de situation ». Il cerne une technique spécifiquement littéraire au service de l’habileté du poète-dramaturge à jouer de la contradiction dans son œuvre, ce qui diffère en tous points des visées esthétiques et philosophiques de Friedrich Schlegel dans sa définition d’un trait commun à toute la littérature européenne33. L’ironie romantique, telle que l’impose Friedrich Schlegel, est une représentation, une construction auto-référentielle dans — et de — l’œuvre d’art. Elle concerne le rapport de l’auteur à sa création, ainsi que les stratégies artistico-artificielles qu’il déploie pour manifester que l’œuvre n’est pas un fragment de réalité, mais littérature. L’ironie est une « poésie de la poésie », une création critique, ou plutôt autocritique, dans laquelle se retrouve le processus réflexif de la conscience puisque l’ironie n’est « rien d’autre que cet étonnement sur lui-même de l’esprit pensant »34. « Ce sourire de l’esprit » instaure l’acte ironique comme liberté et subjectivité, comme toute-puissance du créateur. La relation entre l’auteur et le lecteur est par conséquent motivée par l’ironie, qui pose le problème de la communication littéraire en même temps que celui du rapport de l’œuvre à la réalité. Les techniques identifiées par Friedrich Schlegel dans la composition de l’œuvre ironique sont la dissimulation ludique et la parabase35, qui mettent en place un système complexe et critique fondé sur le jeu représentatif et la distance. René Bourgeois, dans son travail remarquable sur l’ironie romantique allemande et son échec français36, se saisit de cette caractéristique. Selon lui, l’ironie romantique s’oppose à l’ironie traditionnelle comme le « bouffon transcendantal »37 de Friedrich Schlegel au « rhéteur voltairien ». Il s’agit d’un acte esthétique construit sur une conscience aiguë et lucide du jeu — « l’ironie romantique ou le sens du jeu » — qui n’a pas été comprise hors de l’Allemagne, ou bien uniquement de façon fragmentaire et isolée.
17L’ironie comme principe esthétique est indissociable d’une réflexion métaphysique qui repose sur la position subjective fichtéenne du sujet pensant aux prises avec le « chaos », terme schlegélien, du monde environnant. Le peu de succès littéraire de Friedrich Schlegel a été compensé en Allemagne par l’attraction que ses théories ont exercée sur les penseurs et les philosophes. Si Hegel a farouchement rejeté l’ironie romantique et son chantre — il l’a qualifiée de « négativité infinie et absolue » — pour la rupture avec la réalité que suppose un subjectivisme démesuré, Kierkegaard, quant à lui, reprend ces termes pour faire l’éloge de ce qu’il nomme l’« ironie moderne ». Il retrouve ses origines, à l’instar de Friedrich Schlegel, dans l’ironie dialogique de Socrate. Elle est pour lui la première manifestation historique de la subjectivité, l’ironie moderne constituant un second niveau subjectif, celui de « la subjectivité de la subjectivité » et de la représentation consciente du sujet dans l’œuvre d’art38.
18Les conceptions philosophiques et esthétiques de l’ironie, malgré leur faible résonance littéraire en Europe au XIXe siècle, sont une source pour l’analyse stylistique de la relation spéculaire et critique posée par l’ironie : celle-ci est à la fois un principe créateur et un lien multiple entre l’auteur et le monde, l’auteur et le lecteur, l’auteur et son œuvre, sans omettre celui qui l’unit à sa propre représentation. C’est pourquoi les nouvelles approches critiques tendent vers la conception poétique de l’ironie. En effet, l’ironie littéraire s’impose peu à peu comme un principe stylistique global, non circonstancié et non restreint au fragment énonciatif. Philippe Hamon a posé les bases d’une poétique de l’ironie39. Il s’interroge sur l’équivalence entre l’ironie et la littérarité, à partir du constat simple que la littérature et l’ironie fonctionnent toutes deux comme une « communication différée » dans laquelle le pacte de lecture et la communication ironique sont sujets à l’équivoque. Se situant dans la ligne des contestations de la définition rhétorique, Hamon aborde l’ironie comme un système de positions et non d’opposition : elle est une permutation de rapports plutôt que de sens40.
19L’étude de la communication ironique « complexe » est pratiquement devenue un secteur à part entière de la théorie de la réception. En 1974, Wayne Booth41 proposait l’étude des phases de lecture d’une assertion ironique : le lecteur est invité à rejeter le sens littéral de cette assertion, il envisage pour cela une alternative interprétative et prend finalement une décision, qui tient compte de ses connaissances ou croyances sur l’auteur, et qui correspond à l’attribution par le lecteur d’une explication et d’une signification qu’il juge bonnes. Ce schéma interprétatif, qui fait intervenir la notion d’« auteur implicite », ne recense pas les cas d’indétermination ironique, plutôt fréquents au cours de la lecture. Il est repris par Linda Hutcheon42, qui insiste sur le fait que l’ironie produit une communication en attente de complétude : selon elle, le rôle du lecteur est de compléter cette communication, et ceci afin que se déroule au mieux le processus de « communication amicale » dont parle Booth43.
20L’ironie est cette « communication à hauts risques », selon la formule de Philippe Hamon, qui se met en scène et qui, pour fonctionner, instaure une série de rôles fixes, suivant un « montage scénographique » précis :
De fait, l’ironie pourrait bien être, effectivement, comme un montage scénographique, une sorte de jeu de rôles ou de postures d’énonciation formant système, comme la mise en scène du « spectacle d’un aveuglement » où un spectateur, complice d’un auteur ou d’un de ses personnages d’ironisants délégués, confortablement installé dans une salle, regarde sur scène un naïf s’enferrer dans un piège de parole qu’il ne comprend pas, le quiproquo constituant sans doute, au théâtre, la scène exemplaire de cet aveuglement44.
21La métaphore théâtrale prend en charge les trois « niveaux » inhérents à l’œuvre ironique : l’ironie du monde et du theatrum mundi que l’ironiste-moraliste se plaît à souligner ; l’ironie sémantique et son signe ironique qui superpose divers degrés de signification ; et l’ironie scénique, ou représentation de la parole dans l’« aire de jeu » ironique. Plutôt que de présenter dès à présent une formule de l’ironie comme catégorie littéraire et synthèse de ces formes, ce qui oblige à dresser des répertoires de procédés qui peinent à cerner la subtilité ironique, ou bien encore à jouer avec les limites vaporeuses de l’humour et du comique, la méthode ici adoptée part des approches pragmatiques et stylistiques de l’ironie. La prise en compte des postulats et des revendications esthétiques et philosophiques de l’Allemagne du XIXe siècle constitue un second point d’ancrage de cette réflexion, qui ne s’interdit en rien le recours à d’autres domaines de recherche. La théorie de Philippe Hamon sur l’ironie et son rapport à l’écriture réaliste45 est elle aussi un fil pour l’interprétation, dans l’écriture clarinienne, de l’ironie comme principe esthétique et non plus seulement comme instrument de dénonciation. Sa conception de la citation et de la mimèse ironique, qui s’appuie sur l’acceptation de la théorie des mentions de Sperber et Wilson développée par Ducrot, sous-tend les analyses de cet ouvrage. L’ironie est ici conçue comme un art de la distance et du double, comme un lien entre la représentation théâtrale et la mimésis, et comme structure bidimensionnelle modulable au niveau de l’énoncé, du texte et de l’œuvre dans son intégralité.
22La plupart des recherches menées sur l’ironie clarinienne46 se sont avant tout attachées à une catégorisation des procédés rhétoriques utilisés par Clarín dans ses articles et ses narrations, et ceci dans une perspective axiologique fondée sur l’attitude de Clarín comme auteur satirique et comme moraliste. La présente étude, qui reconnaît l’apport de ces travaux et qui ne les remet pas en cause, s’efforcera à son tour de montrer, par l’analyse stylistique de l’ironie, l’ambivalence de la position auctoriale dans l’œuvre, ainsi que les manifestations esthétiques de l’écriture ironique. Cette forme « bivocale »47 s’impose dans l’analyse de l’intimité et des liens entre les rôles et les voix textuelles, puisqu’elle inclut le lecteur de manière dynamique dans le réseau tissé par le créateur entre narrateur et personnage, entre locuteur et énonciateur, pour reprendre les termes de Ducrot. L’approche spécifique de l’ironie comme fondement du style clarinien vise ici à dessiner la structure d’un texte polyphonique contrôlé par l’ironiste : une polyphonie « monologuisée » par le créateur distancié de son œuvre.
Notes de bas de page
1 L’analyse de l’ironie par l’école américaine repose sur les travaux de D. C. Muecke, The Compass of Irony ; Id., Irony and the Ironic ; W. C. Booth, A Rhetoric of Irony ; L. Hutcheon, « Ironie et parodie », Id., « Ironie, satire, parodie ».
2 Comme se plaisent à le rappeler tous les « ironologues », on doit ce néologisme à W. C. Booth, mais ce mot, au départ ironique, « est à présent, ironiquement, utilisé sans ironie », D. C. Muecke, « Analyses de l’ironie », pp. 478-494.
3 J. de La Bruyère intitule « De la dissimulation » le chapitre des Caractères de Théophraste qu’il traduit et adapte, Les caractères, ou les mœurs de ce siècle, précédé de Les caractères de Théophraste, p. 2.
4 Anaximène, Rhétorique à Alexandre, chap. 21, 1434a-18, cité par P. Schoentjes, Poétique de l’ironie, p. 75.
5 Cicéron, De l’orateur, p. 84, pour les deux citations.
6 Cicéron distingue l’antiphrase et une forme d’ironie de la pensée : « C’est une ironie spirituelle que de déguiser sa pensée, non plus en disant le contraire de ce qu’on pense […] mais en s’appliquant, par une raillerie continue, dissimulée sous un ton sérieux, à dire autre chose », Cicéron, De l’orateur, pp. 269-270.
7 M. Le Guern, « Éléments pour une histoire de la notion d’ironie », pp. 52-53.
8 C. C. Dumarsais, Des Tropes ou des différents sens, p. 156.
9 P. Fontanier, Commentaire raisonné du « Traité des Tropes » de Dumarsais ; Id., Les figures du discours.
10 P. Ballart propose un panorama espagnol de la définition rhétorique de l’ironie dans son ouvrage Eironeia, la figuración irónica en el discurso moderno. Pour plus de précisions sur les auteurs cités, il renvoie le lecteur à la consultation de l’étude de J. Rico Verdú, La retórica española de los siglos XVI y XVII, pp. 321-327.
11 En ce qui concerne l’Espagne du XIXe siècle, les définitions du mot « ironía » sont plutôt laconiques, comme on en jugera selon ces deux exemples : « Figura con que se quiere dar a entender que se siente lo contrario de lo que se dice » (Diccionario enciclopédico de la lengua española ) ; et « Figura retórica que consiste en dar a entender lo contrario de lo que se dice » (Diccionario de la lengua castellana, por la Real Academia Española).
12 Les études sur l’ironie de C. Kerbrat-Orecchioni s’insèrent dans une réflexion plus générale sur l’énonciation : La connotation ; Id., L’implicite ; Id., « Problèmes de l’ironie » ; Id., « L’ironie comme trope ».
13 C. Kerbrat-Orecchioni, « L’ironie comme trope », p. 110.
14 Dans son ouvrage Poétique de l’ironie, P. Schoentjes offre une brillante synthèse des formes de l’ironie en distinguant quatre principaux groupes, — Ironies verbale, socratique, romantique et de situation —, nombreux sont les auteurs qui se jouent de la présentation polymorphe de l’ironie, à la suite de D. C. Muecke : « ironie tragique, ironie comique, ironie dramatique, ironie verbale, ironie faussement naïve, ironie double, ironie rhétorique, auto-ironie, ironie socratique, ironie romantique, ironie cosmique, ironie sentimentale, ironie du sort, ironie du hasard, ironie de caractère, etc. », The Compass of Irony, p. 4.
15 A. Berrendonner, « De l’ironie ou la métacommunication, l’argumentation et les normes » ; D. Sperber et D. Wilson, « Les ironies comme mentions » ; O. Ducrot, « Esquisse d’une théorie de la polyphonie de l’énonciation ».
16 A. Berrendonner, « De l’ironie ou la métacommunication, l’argumentation et les normes », p. 184.
17 « L’ironie est une manœuvre qui déjoue une norme, et, à un point de discours où l’énonciateur est mis par les institutions dans l’obligation de restreindre explicitement ses possibilités de continuation, elle lui permet en réalité de ne se fermer aucune issue », A. Berrendonner, « De l’ironie ou la métacommunication, l’argumentation et les normes », p. 238.
18 D. Sperber et D. Wilson, « Les ironies comme mentions », p. 404.
19 « On peut concevoir que toutes les ironies sont interprétées comme des mentions ayant un caractère d’écho : écho plus ou moins lointain, de pensées ou de propos, réels ou imaginaires, attribués ou non à des individus précis. Lorsque l’écho n’est pas manifeste, il est néanmoins évoqué […]. Nous soutenons que toutes les ironies typiques, mais aussi bien nombre d’ironies atypiques du point de vue classique, peuvent être décrites comme des mentions (généralement implicites) de propositions ; ces mentions sont interprétées comme l’écho d’un énoncé ou d’une pensée dont le locuteur entend souligner le manque de justesse ou de pertinence », D. Sperber et D. Wilson, « Les ironies comme mentions », pp. 408-409.
20 Ibid., p. 411.
21 M. Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, trad. d’I. Kolitcheff.
22 A. Banfield, Phrases sans parole.
23 O. Ducrot, « Esquisse d’une théorie de la polyphonie de l’énonciation », p. 193.
24 Ibid., p. 204. L’auteur ajoute : « S’ils “parlent”, c’est seulement en ce sens que l’énonciation est vue comme exprimant leur point de vue, leur position, leur attitude, mais non pas, au sens matériel du terme, leurs paroles ».
25 G. Genette, Figures III, p. 32.
26 O. Ducrot, « Esquisse d’une théorie de la polyphonie de l’énonciation », p. 208.
27 C’est ainsi que la présentent N. Frye dans son ouvrage Anatomie de la critique et des études plus récentes, telle celle de L. Hutcheon, dans ses articles « Ironie et parodie », et « Politique de l’ironie », fragment de Irony’s Edge. The Theory and Politics of Irony [1994], traduit par P. Schoentjes dans Poétique de l’ironie, pp. 289-301.
28 E. Behler, Ironie et modernité.
29 La description schlegélienne de l’ironie socratique se trouve dans le fragment 108 de Lyceum, traduit en français dans P. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy (éd.), L’absolu littéraire, p. 94, et repris par E. Behler, Ironie et modernité, p. 19.
30 « Elle apparaît comme une attitude intellectuelle moderne, dont on peut sans doute retrouver la trace jusqu’au Moyen Âge, dans ses manifestations littéraires, sous forme d’un mouvement où l’auteur se place à l’extérieur de son œuvre, mais qui n’a été désigné par le terme d’ironie qu’à l’époque romantique, et à laquelle on a souvent donné, par opposition à la figure classique, le nom d’ironie romantique », E. Behler, Ironie et modernité, p. 2.
31 S. Kierkegaard, Le concept d’ironie constamment rapporté à Socrate.
32 A. W. Schlegel, Cours de littérature dramatique de 1808.
33 Ce sont les travaux d’A. W. Schlegel et non ceux de son frère Friedrich qui ont connu la plus grande répercussion européenne, devenant la source du mouvement romantique, via la France et les écrits de Mme de Staël, proche d’August Wilhelm. En Espagne, le romantisme s’est imposé par la vision staëlienne (De l’Allemagne est publié en 1814, De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales en 1820), ainsi que par la traduction fragmentaire des cours d’A. W. Schlegel commencée en 1805 par Nicolás Böhl de Faber. Pour une juste appréciation de ce phénomène de pénétration sélective des théories romantiques allemandes, il est indispensable de consulter les travaux de D. Flitter, Teoría y crítica del romanticismo español, et ceux de H. Juretschke réunis dans España y Europa.
34 F. Schlegel, L’absolu littéraire, éd. Ph. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, fragment 10, p. 353. Cela vaut pour la citation suivante.
35 « L’ironie est une parekbase permanente », écrit F. Schlegel, dans un fragment de 1797 que l’on retrouve dans ses Œuvres, p. 85, et qui est traduit par E. Behler dans Ironie et modernité, p. 111.
36 R. Bourgeois, L’ironie romantique.
37 « Il y a des poèmes, anciens ou modernes, qui exhalent de toutes parts, et partout, le souffle divin de l’ironie. Une véritable bouffonnerie transcendantale vit en eux. À l’intérieur, l’état d’esprit qui plane par-dessus tout, qui s’élève infiniment loin au-dessus de tout le conditionné, et même de l’art, de la vertu et de la génialité propres : à l’extérieur, dans l’exécution, la manière mimique d’un bouffon italien traditionnel », F. Schlegel, fragment 42 de Lyceum, Œuvres, t. II, p. 152, ou L’absolu littéraire, éd. Ph. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, pp. 85-86.
38 « Il s’agit alors d’une subjectivité élevée à la seconde puissance, d’une subjectivité de la subjectivité correspondant à la réflexion de la réflexion », S. Kierkegaard, Le concept d’ironie constamment rapporté à Socrate, p. 218. L’ironie moderne est une forme plus haute de l’ironie socratique qui instaurait l’irruption de la subjectivité : « Le point de vue de Socrate est donc celui de la subjectivité, de l’intériorité qui se réfléchit en elle-même et, en ce rapport à elle-même, dénoue et dissipe l’ordre établi dans la pensée, qui, dressée en surplomb comme une vague, s’abat et l’emporte, puis s’abîme de nouveau dans la pensée. À cette crainte respectueuse, puissante mais mystérieuse, qui liait l’individu à l’État, se substituaient la décision et la certitude intérieure de la subjectivité », S. Kierkegaard, Le concept d’ironie constamment rapporté à Socrate, p. 149.
39 P. Hamon, L’ironie littéraire.
40 Ibid., p. 23. Il ajoute un peu plus loin : « L’étude des phénomènes ironiques en régime littéraire ne relèverait donc pas tant d’une poétique des effets d’oppositions (contraires et contradictoires entre sens implicite et sens explicite) que d’une poétique des effets de positions de certaines instances textuelles ».
41 W. C. Booth, A Rhetoric of Irony.
42 L. Hutcheon, « Ironie et parodie », pp. 467-477.
43 W. C. Booth, A Rhetoric of Irony, p. 28. P. Schoentjes, dans sa Poétique de l’ironie, p. 146, reprend le schéma de Booth en clarifiant les quatre phases de lecture ironique : 1. le lecteur refuse le couplage des opinions contradictoires proposé par l’énoncé ironique ; 2. il se fait l’interprète de l’énoncé et décide de lui donner sens par un processus rationnel ; 3. qui ne peut être que l’identification de l’ironie, à condition de reconnaître les références et valeurs de l’énonciateur (l’interprète se forge son « auteur implicite ») ; 4. le lecteur donne une signification à l’énoncé qui résout rationnellement la contradiction identifiée et maintenue dans l’énoncé.
44 P. Hamon, L’ironie littéraire, p. 112.
45 La perspective nouvelle de l’étude de l’ironie chez les auteurs réalistes a ouvert des champs d’étude inédits et exploités, à la suite de Philippe Hamon, par les spécialistes de la littérature française du XIXe siècle. C’est notamment le cas des travaux de M.-A. Voisin-Fougères, L’ironie naturaliste ; de S. Duval, L’ironie proustienne ; et d’É. Bordas, Balzac, discours et détours.
46 C’est notamment le cas des travaux suivants : R. Avrett, « The treatment of satire in the Novels of Leopoldo Alas (Clarín) » ; A. Coletes Blanco, « Ironía y sátira anti-inglesa en la narrativa breve de Clarín » ; L. F. Díaz, Ironía e ideología en La Regenta de Leopoldo Alas ; F. Durand, « Dimensiones irónicas en el estilo de La Regenta » ; T. Feeny, « Burlesque Krausist types in Pereda and Clarín » ; E. J. Gramberg, Fondo y forma del humorismo de Leopoldo Alas « Clarín » ; M. Cifo González, « La ironía y la sátira en La Regenta ». Une autre orientation, plus esthétique, apparaît cependant dans les études de J. Rutherford qui, par sa pratique de la traduction des œuvres de Clarín, a constamment été confronté au problème des effets littéraires et de la réception de l’ironie, tels qu’il les présente dans La Regenta y el lector cómplice.
47 M. Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, trad. d’I. Kolitcheff, p. 256.
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