Résumés
p. 261-266
Texte intégral
Résumé
1Le traité du Cateau-Cambrésis est d’abord objet de polémique : l’abandon des conquêtes françaises au-delà des Alpes constitue le coup d’arrêt énigmatique des guerres d’Italie alors que sa signature symbolise le basculement dans les guerres de Religion. Une analyse du face-à-face entre Habsbourg et Valois, en position d’imposer un accord d’ampleur européenne, a permis d’appréhender la négociation, la signification et les virtualités d’une paix au milieu du XVIe siècle.
2Une relecture postérieure et même une manipulation sont à l’origine de son association avec les troubles religieux. L’examen des sources le démontre : la diplomatie espagnole a incité le pouvoir royal français à lutter activement contre le protestantisme, mais celui-ci n’en a fait une priorité qu’à l’heure de justifier des choix impopulaires. Le traité n’est en rien un pacte contre la Réforme ; il a cependant rendu possible, d’une manière qui est apparue providentielle, l’engagement de chaque souverain dans ce nouveau combat. C’est donc à travers un affrontement aux formes multiples entre les deux Grands qu’il doit être envisagé. À une époque où il s’agit de surpasser l’adversaire, leurs relations apparaissent comme l’élaboration d’un modus vivendi, dans laquelle la recherche du compromis accompagne l’effort de guerre.
3Les négociations n’ont pas suivi une trajectoire linéaire. À partir de la fin de l’année 1554, après trois ans de conflit, s’amorce un véritable dialogue. L’état des finances de part et d’autre le rendait nécessaire, même si les gouvernants se caractérisent plutôt par leur capacité à passer outre ces problèmes. Deux possibilités s’offrent à eux : une simple cessation temporaire des hostilités ou une paix, objectif vers lequel ils tendent, mais supposant des concessions. Dans le contexte du retrait de Charles Quint et de l’avènement d’un roi perçu comme pacifique et inexpérimenté, dont la monarchie était menacée d’éclatement, c’est la première option qui triomphe : on aboutit à Marck, en mai 1555, à un cordial constat de mésentente, avant qu’une trêve soit signée à Vaucelles en février 1556. Une nouvelle « guerre universelle » reprend au début de l’année suivante, sans interrompre les contacts. Lorsqu’une assemblée se réunit, entre septembre 1558 et avril 1559, c’est une paix qui est en discussion.
4Dans le déroulement comme dans le résultat de ces différentes rencontres se lit le poids de la conjoncture : grâce à ses conquêtes et aux coalitions nouées contre les Habsbourg, le camp français est tout d’abord en position de force. À Marck, il espérait une revanche historique, en obtenant l’investiture du duché de Milan pour un fils cadet de la maison de France. Cette solution ayant été repoussée, il a en grande partie dicté les conditions de la trêve. La victoire remportée par Philippe II lors de la seconde manche, à Saint-Quentin (1557), et la prise de plusieurs places picardes ont renversé l’équilibre. L’avantage des gains territoriaux s’est effacé : sa ligne de défense principale ayant été percée, le royaume de France était menacé d’invasion. Adoptant une stratégie défensive, Henri II a autant perdu de son influence en Italie qu’abandonné ses intérêts dans la Péninsule. L’accord final a durement sanctionné cette situation.
5Il ne peut pourtant se comprendre hors de la logique propre aux négociations. Un même fil relie l’ensemble des débats, pour discontinus qu’ils soient. Plusieurs facteurs y contribuent. Dans l’entourage des souverains, les mêmes conseillers décident de la guerre et mènent les pourparlers. En outre, les discours ont un caractère éminemment juridique. Toute parole engage et n’a nul besoin d’être répétée. Aussi l’argumentaire des diplomates se doit-il d’être globalement cohérent. Alors que ceux des Habsbourg ont invariablement réclamé l’abandon des conquêtes de guerre et la satisfaction des revendications de leurs alliés, les représentants d’Henri II ont dû modifier leur défense : à Marck, ils échouent à faire valoir leurs prétentions sur Milan. En 1558-1559, afin d’être reconnu seigneur légitime de la place anglaise de Calais, Henri II renonce à invoquer le jus belli, au détriment de ses autres conquêtes.
6Au long de ces débats, ce sont plus généralement deux pratiques de la diplomatie qui s’affrontent. Pour les députés des Habsbourg, la négociation est un exercice de patience, d’argutie et de résistance. Ils sont parvenus à ne jamais être en position de proposer, mais toujours de répondre. À l’inverse, l’exercice est fondé, dans la conception française, sur des propositions et des concessions mutuelles : une tactique d’ouverture, de pressions et d’empressement.
7Pour résumer le traité d’un point de vue territorial, l’honneur revient à Philippe II, qui contente surtout ses alliés et domine la scène italienne ; en conservant des places stratégiques et sa capacité d’intervention en Europe, Henri II privilégie l’efficacité. C’est tout autant en termes de lutte symbolique que l’accord doit être évalué. Il a été conclu par des princes d’une réputation devenue comparable — la conquête de Calais ayant répondu à Saint-Quentin — et qui se reconnaissent comme des égaux. Le retentissant revers de fortune survenu en 1557 a pourtant semblé confirmer le destin providentiel des Habsbourg.
8La réconciliation entre les deux rois, qu’ils ont appelée de leurs vœux, est cependant le principal fruit de l’accord. Indissolublement liée à la paix, la justice veut que l’ensemble des différends demeurent éteints ou soumis à un arbitrage et toutes les offenses pardonnées ou réparées. Le renoncement français aux conquêtes d’Henri II mais aussi de François Ier et les marques d’estime mutuelles des souverains s’inscrivent dans ce cadre. En outre, l’esprit de conciliation démontré par l’un et l’autre a eu pour fonction de nouer une amitié. Ce lien fondé sur l’engagement de s’entraider est le mode de relation normal entre princes. Encore a-t-il été conclu et confirmé avec une solennité et une chaleur particulières. Bien plus, l’accord a reçu le meilleur gage de longévité qui soit par la conclusion d’alliances dynastiques. Ainsi le traité du Cateau-Cambrésis peut-il aussi se lire comme l’application pratique d’idéaux de justice et de réconciliation propres à rétablir la paix.
Resumen
9El tratado de Cateau-Cambrésis es, ante todo, objeto de polémica : la renuncia a las conquistas francesas transalpinas supone el arcano cese de las guerras de Italia, al tiempo que su firma simboliza el desplazamiento hacia las guerras de religión. El análisis de las conferencias entre Habsburgos y Valois, en situación de imponer un acuerdo de alcance europeo, nos permite comprender las negociaciones, la significación y el alcance de una paz a mediados del siglo XVI.
10La asociación del tratado de Cateau-Cambrésis con los desórdenes religiosos es fruto de una relectura posterior, aún de una manipulación. El examen de las fuentes así lo demuestra : la diplomacia española incitó al poder real francés a combatir activamente el protestantismo, aunque éste sólo le concedió una consideración prioritaria cuando hubo de justificar medidas impopulares. El tratado no es en absoluto un pacto contra la Reforma, aunque, de forma que pareció providencial, posibilitó la implicación de ambos soberanos en este nuevo combate. De ahí que deba contemplarse bajo el prisma del enfrentamiento multiforme entre las dos grandes potencias : en una época en la que se trata de superar al adversario, sus relaciones se presentan como la elaboración de un modus vivendi donde la búsqueda de un compromiso se aúna con el esfuerzo bélico.
11Las negociaciones no siguieron una trayectoria lineal. A finales de 1554, después de tres años de conflicto, se inicia un verdadero diálogo. El estado de las finanzas de ambos reinos lo hacía ineludible, aun cuando sus gobernantes se caracterizaban más bien por su tendencia a obviar tales cuestiones. Se les presentaban dos posibilidades : o bien un simple cese temporal de las hostilidades, o bien la paz, objetivo hacia el que tendían pero que exigía ciertas concesiones. En un contexto marcado por el retiro de Carlos V y la coronación de un rey reputado pacífico e inexperimentado, cuyo reino estaba bajo la amenaza de escisión, triunfa la primera opción : en mayo de 1555, en Marck, se llega a una cordial constatación del desacuerdo, antes de firmar en febrero de 1556 una tregua en Vaucelles. A principios del año siguiente se reemprende una nueva « guerra universal », aunque no se interrumpen los contactos. Cuando, entre octubre de 1558 y abril de 1559, se reúne una nueva conferencia, su objetivo es ya negociar una paz.
12Tanto en el desarrollo como en el desenlace de estos diferentes encuentros se percibe el peso de la coyuntura. En un primer momento el bando francés, gracias a sus conquistas y a las coaliciones forjadas contra los Habsburgo, se encuentra en posición de fuerza : acudió a Marck esperando una revancha histórica, la investidura del ducado de Milán para un infante de la Casa de Francia. Después de este fracaso, que se puede atribuir a Carlos Quinto, impuso prácticamente las condiciones de una tregua. En una segunda vuelta, la victoria alcanzada por Felipe II en San Quintín (1557) y la conquista de varias plazas de Picardía modificaron el anterior equilibrio. La ventaja de las conquistas territoriales quedó abolida : una vez traspasada su principal línea de defensa, el reino de Francia se encontraba expuesto a una invasión. La adopción de una estrategia defensiva lleva a Enrique II tanto a perder influencia en Italia como a renunciar a sus intereses en la Península. El acuerdo final ratifica sin concesiones esta situación.
13El tratado no puede comprenderse, sin embargo, fuera de la lógica propia de las negociaciones, que tienen un mismo hilo conductor por muy discontinuas que sean. Varios factores contribuyen a ello. En el entorno de los soberanos, son los mismos consejeros quienes deciden la guerra y quienes conducen las negociaciones. Además, el discurso tiene un carácter eminentemente jurídico : toda palabra compromete y no necesita ser repetida, y la argumentación de los diplomáticos ha de ser globalmente coherente. Así, mientras los representantes de los Habsburgo reclamaron invariablemente la renuncia a las conquistas de guerra y la satisfacción de las reivindicaciones de sus aliados, los de Enrique II hubieron de modificar su defensa : en Marck fracasaron en su intento de imponer sus pretensiones sobre Milán ; en 1558-1559, para ser reconocido como señor legítimo de la plaza inglesa de Calais, Enrique II renuncia a invocar el jus belli, en detrimento de sus otras conquistas.
14A lo largo de estos debates se enfrentan dos prácticas de la diplomacia. Para los representantes de los Habsburgo la negociación es un ejercicio de paciencia, de argucia y de resistencia, hasta el punto de que nunca se les ve en posición de proponer, sino siempre de contestar. Al contrario, en la concepción francesa, la negociación se basa en propuestas y concesiones mutuas, en una táctica de presiones y de prisa.
15Si resumimos el tratado desde un punto de vista territorial, la gloria recae en Felipe II, que contenta a sus aliados y domina la escena italiana. Por su parte, Enrique II, anteponiendo el pragmatismo, mantiene plazas estratégicas y su capacidad de intervención en Europa. Pero el tratado debe enjuiciarse, más aún, en términos de confrontación simbólica. Se trata de un acuerdo suscrito por monarcas de reputación equiparable —la conquista de Calais responde a la de San Quintín— que se reconocen como iguales. El calamitoso revés de 1557, sin embargo, pareció que venía a confirmar el destino providencial de los Habsburgo.
16No obstante, la reconciliación de ambos monarcas, por la que hicieron firmes votos, es el principal fruto del acuerdo. Indisolublemente ligada a la paz, la justicia exige que se eliminen las desavenencias o se sometan a un arbitraje, y que se perdonen o reparen todas las ofensas. La renuncia francesa a las conquistas de Enrique II, e incluso a las de Francisco I, y las demostraciones de mutua estima de los soberanos se inscriben en este marco. Por otro lado, el espíritu de conciliación manifestado por ambos permitió anudar un lazo de amistad, fundado en un compromiso de ayuda mutua, que es el modo de relación normal entre príncipes. Aún así, el tratado se concluyó y firmó con particular solemnidad y entusiasmo. Y, aún más, el tratado se reforzó con las mayores garantías de continuidad mediante la conclusión de alianzas dinásticas. Así, el tratado de Cateau-Cambrésis puede también interpretarse como la aplicación práctica de ideales de justicia y de reconciliación propicios al reestablecimiento de la paz.
Summary
17The treaty of Cateau-Cambrésis is first and foremost an object of debate : the abandonment of French conquests beyond the Alps brought the Italian wars to an uneasy halt while its signature symbolised the shifting balance in the wars of religion. By analysing the face-to-face encounter between Habsburg and Valois, set to impose a European-wide accord, we can gain an idea of the nature of negotiation, and of the significance of a peace in the mid-16th century.
18Its association with religious upheavals is the result of subsequent reinterpretation, not to say manipulation. This is shown by an examination of the sources : Spanish diplomacy incited the French royal power to actively combat Protestantism, but the latter only treated this as a priority when it came to justifying an unpopular decision. The treaty was in no wise an anti-Reformation pact ; but nonetheless it did enable each sovereign to engage in this new struggle in a way that could be made to appear providential. The event should therefore be seen in terms of a multi-faceted confrontation between the two Great Powers. At a time when the important thing was to surpass one’s adversary, their relations were founded upon the construction of a modus vivendi in which the will to compromise was accompanied by warlike action.
19The course of negotiations was not a linear one. After three years of conflict, at the end of 1554, they engaged in a serious dialogue. This was necessitated by the state of finances on either side, even if those in power tended rather to disregard these problems. They had two options : a simple temporary cessation of hostilities or a peace — a goal to which they aspired but one that entailed making concessions. In the context of Charles V’s retirement and the accession of a king who was perceived as peacefully-inclined and lacking experience, and whose crown was threatening to fall apart, the first option was the one chosen : the outcome was a frank acknowledgement of differences made at Marck in May 1555, followed by the signing of a truce at Vaucelles in February 1556. A new “universal war” broke out early in the following year while contacts continued. And when an assembly met between November 1558 and April 1559, the agenda was one of peace.
20Both in the progress and the outcome of these various encounters one can detect the balance of forces at each juncture : thanks to their conquests and the coalitions they had built up against the Habsburgs, the French side were initially in a position of strength. At Marck, they hoped to achieve a piece of historic revenge by having the succession to the Duchy of Milan awarded to a younger son of the French royal house. Although this solution was rejected, the French still largely dictated the terms of the truce. Then in the second round the balance swung the other way with Philip II’s victory at Saint-Quentin (1557) and the loss of several strongholds in Picardy. The advantage afforded by territorial gains was wiped out : the main French line of defence was penetrated and the kingdom lay open to the threat of invasion. In resorting to a defensive strategy, Henry II at once lost influence in Italy and abandoned his ambitions there. This situation was cruelly highlighted by the final agreement.
21Nonetheless, this can only be understood within the logic of the negotiations. Although they were discontinuous, there was a common thread running through all the discussions. There were a number of contributing factors. In the royal entourages, the same counsellors made the decisions on the conduct of war and led the talks. Furthermore, their discourse was highly legalistic. Every word counted and no repetition was ever required. And the battery of diplomatic arguments had to be globally consistent. While the Habsburg side invariably called for the abandonment of warlike conquests and satisfaction for the claims of their allies, Henry II’s representatives had perforce to amend their defence, and at Marck they declined to pursue their ambitions for Milan. In 1558-1559, in exchange for recognition as the legitimate suzerain of the English-held town of Calais, Henry II refrained from invoking jus belli, to the detriment of his other conquests.
22In the course of these discussions, what we generally see is a confrontation between two different diplomatic styles. For the Habsburg delegates, negotiation was an exercise in patience, astuteness and stamina. They managed never to be the ones to propose, always the ones to respond. On the other side, the French strategy was founded on a process of proposals and mutual concessions — a tactic of an opening bid, pressure and urging.
23In territorial terms, Philip II had the better of the agreement, satisfying his allies and achieving mastery in Italy ; for his part, by retaining his strategic strongholds and his capacity to intervene in Europe, Henry II sought practical results above all else. But at the same time the treaty should equally be seen in terms of symbolic struggle. It was concluded by two princes who had attained comparable reputations — the conquest of Calais having matched Saint-Quentin — and who acknowledged each other as equals. Nonetheless, the resounding reversal of fortune of 1557 seemed to confirm the providential destiny of the Habsburgs.
24But the main result of the accord was nevertheless the wished-for reconciliation between the two monarchs. Indissolubly linked to peace, justice demanded that their differences be set aside or put to arbitration and all offences forgiven or remedied. Such was the rationale behind France’s renunciation of the conquests of both Henry II and Francis I and the tokens of esteem exchanged by the two monarchs. But over and above that, the conciliatory spirit evinced by both served to establish a bond of friendship. This bond, founded on a commitment to mutual assistance, was the norm in relations between princes ; but this one was concluded and confirmed with particular solemnity and warmth. Moreover, the accord received the best possible guarantee of durability in the form of a dynastic alliance. Thus, the treaty of Cateau-Cambrésis can also be viewed as the practical application of ideals of justice and reconciliation conducive to peace.
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