Chapitre X. Les rencontres royales
p. 397-454
Texte intégral
1À en croire Philippe de Commynes, « grande follie à deux princes qui sont comme esguaulx en puissance, de s’entrevoir, sinon qu’ilz fussent en grand jeunesse, qui est le temps qu’ilz n’ont aultres pensées que à leurs plaisirs ! »1. L’affirmation, que l’auteur des Mémoires fonde notamment sur l’examen des désagréments engendrés par l’entrevue de Louis XI avec Henri IV de Castille en 1463 et par celle de Charles le Téméraire avec l’empereur Frédéric III en 1473, a fréquemment été interprétée comme le signe d’une méfiance généralisée vis-à-vis des rencontres entre souverains à la fin du Moyen Âge. Au contraire du Haut Moyen Âge et du Moyen Âge central qui constitueraient un âge d’or pour les face-à-face entre princes2, les siècles suivants seraient marqués par un recul significatif de cette pratique, en raison des dangers qu’elle comporte, de l’utilisation accrue de représentants par les souverains et du développement corrélatif de formes de communication politique de plus en plus réglementées par des conventions3. La concentration des historiens de la diplomatie médiévale sur la figure de l’ambassadeur, sur des gouvernements non monarchiques et sur les cas italiens et anglais a encore renforcé la séduction de ce schéma général4. Plusieurs travaux récents sur les entrevues des rois d’Angleterre avec leurs voisins écossais ou français, ainsi que sur les discours et les gestes de paix durant la guerre de Cent Ans5, ont toutefois largement ébranlé ce paradigme. Durant les derniers siècles du Moyen Âge, il existe encore de très nombreuses rencontres au sommet entre princes ou rois et les complexes pratiques rituelles auxquelles donnent lieu les cérémonies de paix ou de réconciliation sont désormais bien mieux connues pour le Nord et l’Ouest de l’Occident6.
2La péninsule Ibérique occupe — une fois encore — une position singulière au sein de ce panorama historique et historiographique. Demeurée en marge des travaux généraux sur la diplomatie médiévale, elle constitue néanmoins un espace politique où les rencontres entre souverains jouent aussi un rôle extrêmement important au Moyen Âge central. L’âge d’or des vistas (« vues », entrevues) se situe ici pour les historiens aux XIIe et XIIIe siècles, mais il s’inscrit dans une configuration politique originale par rapport au reste de l’Occident, puisqu’un grand nombre d’entre elles favorise la conclusion de traités de partition entre les royaumes chrétiens engagés dans la Reconquista7. La chronologie, le contenu et l’importance de ces traités pour les délimitations frontalières sont bien connus. Néanmoins, à l’exception du tableau très général proposé par Miguel Ángel Ochoa Brun dans son Historia de la diplomacia española, les rencontres elles-mêmes ont surtout donné lieu à des reconstitutions isolées qui n’interrogent pas les fondements de cette pratique8. Seule l’étude systématique de José Manuel Nieto Soria sur les cérémonies de la royauté Trastamare les inclut dans sa typologie, mais elles n’occupent qu’une place mineure dans la Castille du XVe siècle9.
3Or, si l’on retourne dans la couronne d’Aragon à la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe siècle, on est frappé de l’abondance et de l’importance des rencontres royales durant le règne de Jacques II. Face à une telle prolifération, les historiens ont parfois procédé à la reconstitution du déroulement et, surtout, à l’évaluation des objectifs politiques des plus importantes d’entre elles. Logroño entre Jacques II et Sanche IV de Castille (1293) et, plus encore, Torrellas qui rassemble les rois d’Aragon, de Castille et du Portugal (1304), ont bénéficié de ce traitement de faveur10. L’objectif de ce chapitre est différent, puisqu’il s’agira ici de tenter de fournir un cadre interprétatif global pour les vistas considérées comme une pratique diplomatique singulière, ce qui doit permettre de nuancer le schéma d’évolution historiographique général évoqué auparavant11. Si certains aspects, comme les lieux et la fréquence des rencontres, peuvent être abordés de manière systématique, l’abondance documentaire caractéristique du règne de Jacques II a conduit à opérer un choix restrictif. Il diffère de la méthode employée par W. Kolb, pour qui les rencontres au sommet constituent des symboles de la politique médiévale, mais se fondent sur l’existence d’un modèle fondamental (Grundmuster) progressivement adapté au cours des mille années embrassées par son étude12. À l’aide des reconstitutions déjà effectuées pour certaines rencontres royales et de nouvelles études de cas détaillés, l’attention s’est focalisée sur les entrevues et les documents qui permettaient de formuler des hypothèses générales sur le fonctionnement et la finalité des rencontres. Ce sont en effet les différents enjeux et significations du recours à une telle pratique par le pouvoir royal qui doivent ici retenir l’intérêt. Dans cette perspective, on examinera tout d’abord comment les rencontres royales constituent un climax des rencontres diplomatiques, mais supposent pour leur bon déroulement que les protagonistes s’entendent sur le respect de certains principes. Plus que l’entrevue de deux rois, les vistae seront ensuite interprétées comme les rencontres de deux cours, des événements dont la mise en scène et le déroulement constituent aussi des enjeux importants pour le rapport du pouvoir royal avec les sujets et les différents pouvoirs de la Couronne.
I. — LES VISTAS, LES PLUS IMPORTANTES DES RENCONTRES
4Avant d’examiner les enjeux et les significations qui peuvent être attribuées aux rencontres royales, leur fréquence et les raisons pour lesquelles elles ont lieu, commençons par regarder les mots qui les désignent. Ils notifient l’événement, mais fournissent aussi une première indication de la conception que les contemporains peuvent en avoir.
S’ENTENDRE SUR LES MOTS
5L’ensemble de la documentation consultée, chroniques comme textes issus de la chancellerie royale et des autres chancelleries avec lesquelles elle se trouve en rapport, fait apparaître des termes similaires pour qualifier les rencontres au sommet. Il s’agit de vista ou vistae en latin, de vistas en castillan ou bien encore de vistes en catalan, une dénomination le plus souvent employée au pluriel et à laquelle font écho en français les « vues » dont parle Philippe de Commynes un siècle et demi plus tard13. Le terme est relativement récent dans les différentes langues prises en considération. Absent du latin classique et des textes relatifs aux rencontres entre souverains du Haut Moyen Âge étudiées par I. Voss et W. Kolb, il est en revanche mentionné dans le dictionnaire de latin médiéval de Du Cange et son usage est répandu dans les langues vernaculaires de la Péninsule14. L’attribution du sens de rencontre est attestée depuis le XIIe siècle en castillan et au moins depuis le début du XIIIe siècle en catalan, le vocabulaire employé dans la péninsule Ibérique semblant de ce point de vue se distinguer assez nettement de celui en vigueur au nord des Pyrénées15. I. Voss observe en effet qu’à partir du XIe siècle et durant tout le Moyen Âge Central colloquium constitue le terme technique employé dans le domaine diplomatique pour désigner des rencontres de souverains ou bien des rencontres entre princes, jusqu’à l’émergence des premiers mots en langue vernaculaire au XIIIe siècle, comme parlement en français ou tac (diète) en allemand16. Alors que le vocabulaire du nord des Pyrénées met encore au XIIIe siècle en valeur l’échange de parole (colloquium), les termes désignant les rencontres effectuées en présence de Jacques II portent l’accent sur le registre de la vue. Les textes examinés aux archives royales aragonaises ne recourent que très rarement au terme de colloquium pour désigner les rencontres royales. La mention la plus détaillée que l’on ait retrouvée provient significativement de la chancellerie française. Après avoir évoqué de nombreux problèmes mineurs qui restent en suspens entre les deux Couronnes, Philippe le Bel indique que si des doutes subsistent chez Jacques II, ils pourront évoquer tous deux personnellement (personale) dans un colloquium ce qu’ils taisent en présence d’autres personnes17. Inversement, lorsqu’il qualifie exceptionnellement de sermo une rencontre entre Frédéric III de Sicile et Jacques II prévue sur l’île d’Ischia en 1298, le chroniqueur sicilien Niccolò Speciale en parle comme d’une mutuam visionem entre les deux souverains18. D’un point de vue strictement terminologique, les rencontres royales auxquelles participe Jacques II s’inscrivent donc plus dans une tradition ibérique qu’elles ne prolongent un champ lexical venu des terres du Nord.
6Tout autant que les termes choisis pour désigner les rencontres au sommet, il importe de discerner les limites assignées à leur emploi et, dans la mesure du possible, l’extension accordée au concept par les contemporains. D’après la documentation examinée, sont qualifiées de vistae aussi bien des rencontres qui réunissent le roi d’Aragon et l’un de ses pairs que des entrevues avec des nobles étrangers de haut rang, tout particulièrement si le roi effectue un déplacement pour s’entretenir avec ces derniers19. De même, les rencontres entre nobles de la péninsule Ibérique20, ou bien les réunions frontalières entre le gouverneur d’Aragon et le gouverneur de Navarre sont elles aussi fréquemment désignées de façon similaire à l’époque de Jacques II21. En revanche, une rencontre entre deux messagers ou bien une entrevue du roi avec un ambassadeur étranger n’est que fort rarement caractérisée par le lexique des vistae22. En dépit d’un évident flottement terminologique, il paraît donc clair que le terme vistae et ses équivalents vernaculaires servent essentiellement à qualifier des rencontres entre personnages de haut rang, dont le statut n’est pas nécessairement exactement identique, mais que ne sépare pas un écart de niveau social excessif. Dans les pages qui suivent, l’analyse portera essentiellement sur les rencontres royales (vistas reales), qui ne forment donc qu’une partie de ce que les hommes de l’époque considèrent comme des vistas, à savoir celles qui rassemblent des rois placés sur un pied d’égalité au moins théorique.
UN RÈGNE FASTE EN RENCONTRES ROYALES
7L’emploi récurrent des mêmes termes par les contemporains pour désigner les rencontres royales comptant avec la participation de Jacques II a sans aucun doute été favorisé par le grand nombre d’entrevues du roi d’Aragon avec ses pairs durant les quelques 36 années de son règne. Après les grands traités de partition des territoires ibériques et extra-ibériques occasionnés par la Reconquista, le règne de Jacques II peut être considéré comme un véritable deuxième âge d’or des vistas reales. La liste des rencontres au sommet effectuée par M. Á. Ochoa Brun offre ici un premier point de départ, mais qui mérite d’être complété23. Jacques II a participé de manière certaine à 16 rencontres avec d’autres rois qui ont pu être qualifiées de vista(e) au moins une fois dans la documentation consultée. Si l’on y ajoute les différents voyages et expéditions à l’étranger au cours desquels le roi d’Aragon a rencontré d’autres souverains — il se trouve à Rome et à la curie de janvier à avril 1297, dans le royaume de Naples de juillet à août 1298 et de mars à juin 1299, dans le royaume de Sicile d’août à décembre 1298 et de juillet à août 1299 — on mesure mieux l’importance de la présence physique de Jacques II dans les relations de la couronne d’Aragon avec les cours étrangères24. Plus encore, les rencontres royales qui ont effectivement eu lieu révèlent seulement une partie de l’importance allouée à cette pratique par les contemporains. Un projet de vistae avec Frédéric III de Sicile est évoqué le 5 juillet 1297 par Jacques II dans une lettre à son frère25 ; María, reine de Castille, propose le 8 octobre 1300 une rencontre au sommet entre Jacques II et Denis du Portugal26 ; etc. Les projets de rencontres avortés, les propositions suspendues à l’assentiment des puissants étrangers circulent de manière récurrente entre les différentes chancelleries et font des vistae un objet habituel de spéculation curiale.
8Leur mise en œuvre demeure toutefois limitée, à la fois par les interlocuteurs avec lesquels le roi d’Aragon entretient les rapports les plus serrés et, en dépit de l’itinérance des différentes cours concernées, par les impératifs de la distance physique qui rendent impraticables les rencontres avec des souverains trop éloignés27. Jacques II a durant son règne essentiellement rencontré les rois de Castille et de Majorque, moins fréquemment ceux de Naples et de Sicile, de manière exceptionnelle le souverain portugais lors des rencontres de Torrellas en 1304, alors que les projets successifs de vistae avec les rois de France, bien que nombreux, n’en sont pas moins restés lettre morte28. La proximité géographique et, le plus souvent, l’existence d’une frontière commune, constituent donc des conditions généralement nécessaires pour qu’une rencontre royale puisse avoir lieu. Dans cette perspective, les vistas — presque par définition même — ne forment pas une caractéristique exclusive du seul souverain aragonais. De même que l’utilisation d’un vocabulaire et d’une documentation compréhensibles des acteurs concernés, elles font partie des modalités communément employées pour les relations politiques entre les cours autour de 1300. Pour la péninsule Ibérique, on peut ainsi citer la rencontre emblématique d’Alcañices en 1297 entre les rois du Portugal et de Castille, à l’issue de laquelle sont fixées de manière presque définitive les frontières du tout récent royaume portugais29. Plus au nord, les rencontres royales sont aussi fréquentes entre les souverains anglais et français : Philippe le Bel rencontre Édouard Ier une fois seulement, mais retrouve son successeur Édouard II à trois reprises, en janvier 1308 à Boulogne, en juin 1313 à Paris et à Pontoise et en décembre de la même année à Montreuil-sur-mer30.
9Pratique connue des différents souverains occidentaux, particulièrement répandue entre les souverains de la péninsule Ibérique à la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe siècle, les vistae s’inscrivent aussi pour le roi d’Aragon dans une longue tradition propre à la Maison d’Aragon. Alphonse III, le prédécesseur de Jacques II, a ainsi aperçu brièvement Philippe le Bel et rencontré les rois de Castille et d’Angleterre au moins à deux reprises chacun31. Ses prédécesseurs Pierre III d’Aragon (1276-1285) et Jacques Ier le Conquérant (1213-1276) ont eux aussi rencontré plusieurs fois les souverains voisins au cours de vistae32. Prolongeant et intensifiant une tradition ancienne, le règne de Jacques II est aussi celui d’une inflexion forte, presque d’une rupture. Les premières années sont en effet marquées par la célébration fréquente de vistas reales, alors qu’elles se font plus rares à partir de 1304 pour devenir exceptionnelles après 1312. Plusieurs facteurs expliquent cette évolution. La situation de guerre ouverte entre la couronne d’Aragon d’une part, la papauté et le royaume de France de l’autre, qui avait provoqué la tenue de nombreuses vistae entre 1291 et 1295, est apaisée après le traité d’Anagni et sa ratification aux rencontres royales de Vilabertrán entre Jacques II et Charles II d’Anjou à la fin de l’année 1295. Par ailleurs, une fois réglés les conflits portant sur Alfonso de la Cerda et sur la succession au royaume de Murcie, les rencontres avec le voisin castillan deviennent moins impérieusement nécessaires. À la mort du roi de Castille Ferdinand IV, son successeur Alphonse XI est alors âgé d’un an seulement et des vistas avec le voisin castillan apparaissent dans de telles conditions inenvisageables33. Si l’on ajoute à ces causes ibériques la concentration du pouvoir royal aragonais sur l’entreprise de conquête de la Sardaigne et, par conséquent, la recherche d’une position équilibrée entre les rois de Sicile et de Naples que des rencontres royales pourraient mettre en péril, on conçoit aisément que la pratique perde de sa vigueur, au moins temporairement.
LES RAISONS DE L’IMPORTANCE DES RENCONTRES
a) Les mobiles
10En révélant une phase durant laquelle les vistae tombent quelque peu en désaffection, l’évolution accomplie durant le règne de Jacques II fournit par contrecoup un observatoire précieux pour saisir les raisons qui peuvent pousser les contemporains à procéder à ce type de rencontres et la façon dont ils les appréhendent. Les mobiles des seize rencontres royales auxquelles a participé Jacques II au cours de son règne se laissent difficilement réduire à un schéma unitaire, car les vistae remplissent de multiples fonctions et offrent l’occasion de résoudre des problèmes variés dans un espace et une temporalité privilégiés. La question de la paix apparaît néanmoins comme un nœud central autour duquel s’articulent la plupart des rencontres. Il faut tout d’abord pour le roi d’Aragon rétablir la paix avec la couronne de France et les Angevins de Naples entre 1291 et 1295 (Guadalajara, Logroño et La Jonquera en 1293), puis ramener la concorde avec la Castille devenue hostile depuis 1296 et l’occupation du royaume de Murcie (Torrellas, 1304)34. Ces rencontres royales rassemblent à plusieurs reprises trois souverains (Logroño, Torrellas), car la médiation de l’un d’entre eux est une voie privilégiée pour la résolution des conflits. Plusieurs vistae ont ensuite pour objectif la ratification de la paix (Vilabertrán, 1295) ou bien sa reconduction accompagnée par un mariage solennel qui scelle l’alliance (Calatayud, 1312)35. Cependant, dans la tradition ibérique des traités antigrenadins, certaines rencontres avec le souverain castillan visent aussi à établir des alliances offensives, afin de (re)conquérir les territoires sous domination islamique (Monteagudo-Soria en 1291, monastère de Huerta en 1308)36. Au-delà de la seule question de la paix, les rencontres royales servent à régler des problèmes considérés comme cruciaux pour l’un des deux souverains concernés — par exemple le soutien des nobles aragonais à ceux qui agissent contre le roi de Castille, discuté à Guadalajara en 1293 — ou bien pour les relations entre les deux puissances. Tel est le cas notamment de l’épineuse question de l’hommage pour fief que le roi de Majorque doit prêter au souverain d’Aragon en raison de la ratification du traité de Perpignan de 1279, fréquemment évoquée lors des différentes rencontres entre les deux souverains (Argelès, 1298, Gérone, 1302)37. Dans une période marquée pour la couronne d’Aragon par de nombreux conflits avec les puissances étrangères, les vistae apparaissent donc comme une modalité de rencontre diplomatique particulièrement propice à leur résolution, à la définition de grandes orientations politiques et à la ratification d’accords qui régulent les relations du roi d’Aragon avec les autres souverains.
b) L’aboutissement de processus de négociations ?
11Mises en œuvre pour la résolution de problèmes considérés comme essentiels entre les différentes puissances, les rencontres royales se voient-elles alors toujours assigner une place identique dans le déroulement des négociations ? Se trouvent-elles nécessairement à l’aboutissement du processus ? La genèse des vistae de La Jonquera - Vilabertrán en décembre 1295 avec le roi angevin Charles II offre à ce propos des indications éclairantes. Depuis les Vêpres siciliennes en 1282 et l’implantation des Catalans et des Aragonais, l’île est devenue un problème politique majeur dans les relations entre les différentes puissances de l’Occident méditerranéen. Après une première phase militaire, marquée notamment par l’échec de la Croisade d’Aragon menée par le roi de France Philippe III — qui y perd la vie —, le problème demeure, car l’île reste sous contrôle catalano-aragonais tout en étant l’objet des revendications des Angevins et de la papauté. Le roi de Castille Sanche IV s’efforce bien entre 1291 et 1293 de ramener la paix entre les parties à l’occasion des rencontres royales de Guadalajara (Castille, Aragon), de Pontoise (Castille, France) et de Logroño (Castille, Aragon), mais sa tentative se solde par un échec, alors que s’accentuent les pressions du pape sur la couronne d’Aragon, dont les territoires sont toujours frappés par l’interdit pontifical. La position radicale du roi d’Aragon évolue alors assez rapidement au cours de l’année 1293 et Jacques II en vient à rechercher des compensations fructueuses en échange de la cession de l’île. Il traite ainsi directement avec le roi Charles II qu’il rencontre entre le 12 et le 14 décembre 1293 à la Jonquera, au pied des Pyrénées. Un projet de cession de l’île aux Angevins en échange d’un mariage entre Jacques II et Blanche d’Anjou, fille de Charles, est débattu à cette occasion. La montée sur le trône de Saint-Pierre du nouveau pape Boniface VIII favorise ensuite la conclusion des accords d’Anagni entre les représentants du roi d’Aragon et ceux de Charles II et du roi de France en juin 1295. La paix est rétablie entre le roi d’Aragon et les rois de France et de Naples sur le principe de la dévolution de la Sicile aux Angevins en échange de la Sardaigne et de la Corse, ainsi que du mariage de Jacques II avec Blanche d’Anjou 38. Après le retour de l’ambassade solennelle envoyée par Jacques II en mars 1295 à Rome, un premier messager de Jacques II est alors envoyé le 20 août à Charles II pour l’informer de l’accord39. Une ambassade plus importante lui succède, menée par Bernat de Sarrià et Pere Sacosta, accrédités le 22 août40. D’abord revenus auprès de Jacques II, ils retournent ensuite auprès du roi angevin au début du mois de septembre de manière plus solennelle, avec Guillem Durfort41. Parallèlement, l’archevêque d’Embrun informe Jacques II qu’il a été nommé représentant du pape dans cette affaire et lui demande d’envoyer un ou des procureur(s) à Perpignan. Le roi d’Aragon désigne alors une fois encore Pere Sacosta, Guillem Durfort et Bernat de Sarrià pour qu’ils expliquent le contenu de la paix d’Anagni à l’archevêque lors d’une dernière entrevue préliminaire aux vistae de La Jonquera - Vilabertrán elles-mêmes42.
12Ce bref périple diachronique montre que certaines rencontres royales se situent au terme de longs processus de négociation dont elles constituent le point d’orgue. Les vistae de La Jonquera - Vilabertrán ont ainsi lieu après une ambassade solennelle, la conclusion d’un traité de paix et de multiples échanges de messagers de dignités croissantes entre les différents souverains concernés. Du 30 octobre au 4 novembre 1295 les rois Jacques II et Charles II, ainsi que des représentants du souverain pontife, peuvent alors rendre solennel le rétablissement de la paix, célébrer le mariage, procéder à la levée de la censure ecclésiastique sur les territoires de la couronne d’Aragon et à la restitution des fils de Charles II gardés en otages en Aragon43. À la différence de ces rencontres qui formalisent solennellement un accord, d’autres vistae ne clôturent pas un conflit. La raison en est simple. Parmi les rencontres royales auxquelles participe Jacques II, nombreuses sont celles qui comportent aussi des phases de négociations entre les parties. Or, ces négociations peuvent aboutir, par exemple à l’occasion des vistae de Gérone en 1302 où les rois d’Aragon et de Majorque parviennent à s’entendre temporairement sur l’épineux conflit douanier qui complique les relations commerciales entre le royaume baléare et la couronne d’Aragon, mais elles peuvent aussi échouer, comme l’a montré l’examen de la médiation castillane à Guadalajara et à Logroño en 1293. Dès lors, les vistae n’occupent pas nécessairement a posteriori une place toujours identique dans le déroulement des négociations. Cependant, même si l’on ne parvient pas toujours à mettre un terme aux conflits existants par des entrevues royales, ces dernières semblent aux yeux des contemporains la modalité de rencontre la plus appropriée pour pouvoir y parvenir.
c) Des moments décisifs
13Les vistae se caractérisent en effet aussi par la valeur que leur prêtent les protagonistes, qui apparaît notamment lorsque les rencontres sont mises en relation avec les autres modes de communication politique entre les souverains et les cours, les lettres et les ambassadeurs. La détermination et la distinction du mode de rencontre adéquat constitue un véritable enjeu pour les parties en présence. En 1317, des représentants de Frédéric III demandent à Jacques II de préciser quelles sont selon lui les intentions du pape à l’égard de la Sicile, afin de déterminer l’attitude à adopter dans les tractations avec la curie et les Angevins de Naples. L’une de leurs interrogations porte sur la présence physique de Jacques II auprès de Jean XXII, le souverain pontife, susceptible de favoriser l’aboutissement des négociations. La réponse du roi d’Aragon, d’une autre encre sur le document, est alors la suivante :
… Si les rois Frédéric et Robert viennent auprès du seigneur pape, il s’y rendra aussi. S’ils ne viennent pas, mais envoient des ambassadeurs, il a lui aussi l’intention de dépêcher les siens. Que le roi d’Aragon vienne lui-même ou qu’il envoie ses ambassadeurs, il fera tout le bien qu’il pourra44.
14Une telle réponse s’explique par le souci de dignité qui habite le roi d’Aragon, il ne conviendrait pas à son honneur de se déplacer pour rencontrer des individus d’un statut inférieur au sien45. Poussant à son terme cette distinction entre les différents modes de rencontres diplomatiques, les correspondances princières en viennent fréquemment à les insérer au sein d’une hiérarchie implicite, selon laquelle un simple messager vaut moins qu’une ambassade solennelle et une lettre ou un simple nuncius sont moins appropriés à la résolution d’un problème complexe qu’un spécialiste des relations entre deux cours. Le roi d’Aragon indique ainsi aux rois de Naples et de Sicile qu’il leur dépêche d’abord pour l’établissement d’une trêve un messager franciscain accompagné d’un chevalier, et qu’il ne leur enverra que dans un deuxième temps une ambassade solennelle plus importante46. De même, l’infant Alfonso, fils de l’infant Juan de Castille (fils d’Alphonse X) demande à Jacques II en 1314 l’envoi d’un spécialiste, l’archidiacre de Tarazona ou bien Guillem Palazín, pour des affaires qu’il doit transmettre au roi d’Aragon. En effet, précise-t-il, celles-ci ne peuvent être envoyées par messager ou par lettre47. Le roi lui répond en lui dépêchant un autre homme de confiance48. Jacques II défend la même idée dans une lettre du 11 septembre 1308 adressée à Ferdinand IV. Il a reçu une accréditation de Berenguer de Castro relative au (projet de) mariage des infants de Castille Pedro et Felipe et estime que l’on ne doit pas parler de cette manière de faits aussi importants. En revanche, il pourra, si Dieu le veut, s’en ouvrir à Ferdinand IV lorsqu’ils se verront et discuter aussi des autres choses qu’ils ont à traiter49. Le propos est clair : il est des affaires qui peuvent seulement être évoquées au cours des vistae, lors du face-à-face (cara a cara) entre les rois et les princes qui doivent se réserver le contrôle et la circulation de certaines paroles, de secrets qu’eux seuls peuvent se communiquer. Cette conception n’est pas propre au seul Jacques II. D’autres puissants la partagent. L’infant Juan Manuel allègue un motif similaire pour refuser en 1311 de communiquer certaines informations aux représentants du roi — pourtant les experts Domingo García de Echauri et Gonzalo García : « Il n’a pas voulu le permettre en disant que c’est à vous, roi, qu’il dirait de telles choses face-à-face et qu’il ne les dirait à aucun ambassadeur »50. Rencontres au sommet rassemblant les hommes chargés de la destinée des terres que Dieu leur a confiées, les vistae offrent donc l’occasion de régler les affaires les plus considérables des royaumes.
15On comprend mieux dès lors l’attente que suscite à plusieurs reprises l’annonce de tels événements. Les rencontres sont en effet le moment-clef qui doit permettre de défaire le nœud gordien créé par des problèmes que les lettres, les envois d’ambassadeurs plus ou moins solennels et les conférences qui les réunissent se sont avérés incapables de résoudre. En 1297, alors que Jacques II est sur le point de combattre son propre frère Frédéric III, qui persiste à revendiquer la Sicile en dépit des injonctions pontificales, le roi d’Aragon envoie ainsi une mission solennelle de la dernière chance à Frédéric pour lui proposer des vistae sur l’île d’Ischia51. Le sicilien Niccolò Speciale précise dans sa chronique que cette ultime possibilité d’éviter le conflit est ensuite débattue entre des conseillers du roi Frédéric III qui avaient d’abord été frappés de stupeur. Selon le chroniqueur, certains sont favorables aux rencontres, mais d’autres s’y opposent pour plusieurs raisons, notamment parce qu’ils craignent que Jacques II ne prenne à cette occasion un dangereux ascendant sur son frère cadet et n’en use par la suite au détriment des intérêts siciliens52. Frédéric III se rattache finalement à la position des sceptiques et refuse l’entrevue, avançant à cette occasion une justification que Philippe de Commynes n’aurait pas dédaignée pour son réquisitoire contre les vistae : chaque fois que deux hommes en discorde se rassemblent en des lieux choisis pour traiter de la paix, s’ils se séparent sans être parvenus à l’atteindre, ils sont plus encore mus par les aiguillons de la colère et tous deux s’enferrent dans leur position initiale53. Susceptibles de résoudre par la rencontre physique des souverains les problèmes les plus épineux, les vistae peuvent aussi envenimer la situation, exacerber la discorde et la rendre plus difficilement réparable encore. Placées par les contemporains au sommet d’une échelle des valeurs assignées aux rencontres diplomatiques, les vistae, quelle que soit leur issue, sont en tout cas perçues comme un point d’inflexion potentiellement décisif dans le déroulement des négociations relatives à un conflit, d’où parfois la compétition entre les différents protagonistes pour être les premiers à rencontrer un souverain étranger et peser ainsi de manière déterminante sur le cours des tractations54. Autrement dit, les espérances qu’elles soulèvent sont à la hauteur des risques qu’elles font encourir à ceux qui y prennent part. Comment se déroulent alors ces rencontres tant attendues ? Suivent-elles des règles toujours identiques ? Comment les différents protagonistes parviennent-ils à s’entendre afin de minimiser les dangers, afin que les vistae s’effectuent, selon une expression récurrente dans la documentation, pour le profit et l’honneur (pro et honra) de tous55 ?
II. — DES RENCONTRES ENTRE ÉGAUX
16La documentation examinée relative aux vistae et les reconstitutions d’ores et déjà effectuées par les historiens pour quelques-unes d’entre elles laissent toutes transparaître un même et profond souci de respect et de démonstration de l’égalité entre les différents rois qui doivent y prendre part. Dans cette perspective, les vistae se caractérisent tout d’abord comme l’aboutissement de négociations dont elles constituent l’objet spécifique. Les tractations débouchent parfois sur la confection d’un ordonnancement extrêmement précis pour une partie au moins des rencontres, celles qui rassemblent des souverains dans des périodes de tension. Plus largement, les vistae ne peuvent cependant être résumées au seul face-à-face, ritualisé ou non, entre les souverains, car elles constituent véritablement une rencontre entre deux ou plusieurs cours.
DES RENCONTRES NÉGOCIÉES
17Les chronologies fournies par les historiens peuvent être trompeuses. Elles donnent par exemple pour les vistae une date précise, celle de la ratification d’un traité ou de la célébration d’un mariage, qui voile à la fois la durée réelle des rencontres et laisse dans l’oubli les négociations préalables qui les ont rendues possibles. Or, ces tractations préliminaires, effectuées par lettres et par ambassadeurs, forment un pan essentiel des relations entre les différentes cours, un bruit de fond presque constant dans la bouillonnante activité diplomatique menée durant le règne de Jacques II. Débats à distance sur l’opportunité d’une rencontre, propositions et contre-propositions pour une date éventuelle, hypothèses et arguments relatifs à la détermination du lieu adéquat pour l’événement se succèdent et circulent parfois avec une étonnante densité entre la cour d’Aragon et les cours des voisins ibériques, français, majorquin et napolitain.
a) Se rencontrer, pour quoi faire ?
18Se rencontrer ou ne pas se rencontrer, tel est le premier dilemme qui affleure dans les correspondances échangées entre princes, dans les instructions remises aux ambassadeurs et les rapports que ces derniers envoient à leur mandataire. Chaque rencontre royale possède une histoire propre, mais les enjeux des négociations qui les précèdent sont très souvent du même ordre. Afin de tenter d’en saisir la complexité, mais aussi la temporalité, on considérera ici les projets de vistae entre le roi de France et le roi d’Aragon qui circulent entre 1302 et 1304, des tractations préliminaires à une rencontre inaboutie, au cours desquelles se produisent une succession de malentendus et de décalages qui révèlent les difficultés et les objectifs sous-jacents à ce type de négociations. Tandis que les relations entre les deux Couronnes sont dominées par l’affaire des infants de la Cerda, le problème du Val d’Aran et d’éphémères projets de mariage, son affrontement croissant avec le pape conduit Philippe le Bel à tenter un rapprochement plus substantiel avec le souverain aragonais56. Des représentants des deux rois doivent ainsi se retrouver à Narbonne au début du mois de décembre 1302 pour y préparer une rencontre au sommet. Les instructions remises aux ambassadeurs de Jacques II, Gonzalo García et Joan de Torrefeta, permettent d’entrer de plain-pied dans la logique de ces négociations57. Elles contiennent en effet à la fois un récit des tractations antérieures et les différentes réponses que les représentants du roi doivent fournir en fonction de l’évolution des conversations à Narbonne.
19Le récit, fondé sur des régestes de documents conservés dans les archives du roi, s’ouvre sur un rappel de l’aide offerte par Philippe le Bel aux infants de la Cerda et des échanges d’ambassadeurs liés à cette affaire. C’est en raison de son importance, qu’il juge extrême, de la difficulté à la mettre par écrit ou bien à la communiquer par messager, que le roi d’Aragon a, le premier, suggéré en mars 1302 par la voix de son ambassadeur Pere de Vallseny au roi de France une rencontre personnelle à ce sujet58. Or, en dépit de la promesse de Philippe le Bel d’envoyer rapidement des ambassadeurs spéciaux (nuncii speciales) à ce sujet, cinq mois et même plus s’écoulent sans que le roi d’Aragon ne reçoive aucune information, à la grande honte de l’archiprêtre de Saragosse, l’ambassadeur de Jacques II qui avait rapporté la nouvelle. En réalité, la poursuite des négociations sur les vistae n’a durant cette période tout simplement pas semblé opportune au roi de France59. Sur ces entrefaites, un représentant de Philippe le Bel, un certain Reginald de Nuits, signifie à Jacques II l’étonnement du Capétien. Il n’a reçu aucune réponse du roi d’Aragon relative à l’envoi d’ambassadeurs à Narbonne pour traiter d’une rencontre personnelle (personali vista)60. Le malentendu se poursuit, puisque c’est ensuite à Jacques II de faire part de son étonnement au roi de France, car il n’avait pas été mis au courant de cette condition de négociation par l’archiprêtre de Saragosse. Cependant, si tel est le bon plaisir du roi de France et si le motif principal (les infants de la Cerda) pour lequel ces vistae doivent avoir lieu lui convient, Jacques II demande alors que lui soit signifié le lieu et le jour où les représentants de Philippe se trouveront à Narbonne, afin qu’il puisse y dépêcher les siens et qu’ils traitent ensemble de la vista (pro ipsa tractanda vel ordinanda)61. Avant que la réponse de Jacques II ne puisse être parvenue au roi de France, un nouveau représentant de Philippe le Bel, le clerc Denis de Sens, signifie au roi d’Aragon l’accord du Capétien pour une vista, à condition toutefois d’en connaître l’objet. Il se déclare prêt à envoyer des grands de son conseil à Narbonne afin de négocier avec des représentants du roi d’Aragon les affaires qui seront traitées lors des rencontres entre les souverains62, ce qui provoque à nouveau l’étonnement du roi d’Aragon, car il avait déjà présenté au roi de France les mobiles de cette rencontre par l’intermédiaire de l’archiprêtre. Néanmoins, il répond une fois encore à Philippe le Bel que, si la vista lui plaît et s’il est d’accord sur la cause principale — l’affaire des infants de la Cerda —, il doit lui indiquer un lieu et un jour pour que ses ambassadeurs puissent venir63. Mais, nouveau contretemps, Jacques II reçoit peu après une lettre du roi de France lui indiquant qu’il n’a pu jusqu’à présent désigner les personnes idoines pour cette mission et qu’il les enverra dans la quinzaine suivant la Toussaint. Toujours d’après cette lettre, le « roi de Castille » — il faut entendre Alfonso de la Cerda — aura sans doute dans l’intervalle rencontré le roi de France au sujet de l’affaire qui constituerait le mobile de la vista. Si la présence du roi d’Aragon paraissait alors nécessaire, Philippe le Bel le lui signifierait par ces mêmes ambassadeurs64. Trois points principaux font donc l’objet de débats entre les protagonistes et expliquent la complexité de cette phase préliminaire : la nécessité ou non des rencontres, l’obtention d’un accord sur leur mobile et la difficulté à s’entendre sur les modalités mêmes — lettres, échange de messagers, conférence d’ambassadeurs — permettant de parvenir à un tel accord.
20Revenons aux instructions. Après la narratio des tractations confectionnée à l’usage des représentants de Jacques II, elles stipulent aux ambassadeurs les conditions d’exercice de leur discernement (discretio), afin qu’ils développent cette matière (que secundum istam materiam poterit dilatare) et engagent l’affaire avec les mots qui conviennent65. Les hypothèses envisagées montrent que, dans le prolongement des tractations préliminaires précédemment évoquées, l’objectif principal de la conférence de Narbonne consiste pour le pouvoir royal aragonais à faire en sorte que la vista ait pour objet le soutien aux infants de la Cerda. Dès lors, si les représentants du roi de France allèguent qu’il ne s’agit pas de la seule cause principale pour la vista, les ambassadeurs doivent répondre qu’il s’agit bien du motif essentiel, mais qu’il comporte évidemment des causes afférentes. Dans la même perspective, si les hommes de Philippe le Bel affirment que l’archiprêtre de Saragosse a présenté la conclusion d’une amicitia entre les deux souverains comme un mobile pour la vista, ils doivent repousser une telle assertion, car l’accord entre les deux souverains existe déjà et il n’est pas nécessaire de le renouveler ainsi. S’ils avancent que l’archiprêtre a évoqué la conclusion d’une confederatio entre eux, Jacques II n’en a pas été informé, mais se déclare prêt à en débattre, à condition toutefois que cet accord ne le conduise pas à s’opposer à l’Église dont il est feudataire66.
21La conférence de Narbonne n’aura finalement pas lieu, car Philippe le Bel n’a pas envoyé ses représentants, tandis que les contacts postérieurs pris entre les deux souverains par l’intermédiaire de lettres et d’ambassadeurs s’avèrent tout aussi infructueux67. Cependant, les tractations menées entre les deux cours montrent que le caractère exceptionnel des rencontres royales suppose pour les différents protagonistes des négociations préalables spécifiques afin de limiter le plus possible les équivoques, les malentendus et autres dangers qui pourraient mettre en péril la personne des princes et les relations entre les royaumes. Ici, la succession d’étonnements allégués ou réels — il est difficile de trancher — et la longueur des tractations sont certes provoquées en partie par les difficultés inhérentes à la distance, mais doivent surtout être interprétées comme le signe que les vistae constituent un enjeu de taille pour chacun des rois et qu’il vaut mieux faire échouer une conférence d’ambassadeurs comme celle de Narbonne que prendre le risque d’une rencontre entre souverains aux contours et aux enjeux mal définis. Développée dans ce cas de manière exceptionnelle en raison de la difficulté des princes à s’entendre, une telle phase de négociations préparatoires sur l’objet des vistae est parfois quasiment absente de la documentation pour d’autres rencontres royales. En revanche, il est d’autres enjeux essentiels que les tractations préliminaires à la tenue de vistae ne peuvent esquiver : les conditions de sécurité, la détermination du lieu et de la date.
b) Des conditions de sécurité préalablement requises
22La rencontre de deux souverains est, on l’a vu, considérée par les contemporains comme un moment-clef dans les relations entre deux Couronnes, un moment décisif qui n’est pas sans risques et nécessite par conséquent des précautions préalables permettant d’assurer la protection des personnes qui y participent. Ce souci apparaît comme une constante dans les négociations préliminaires à la tenue de vistae, en particulier lorsque les royaumes concernés se trouvent en guerre, ou bien encore si méfiance et suspicion sont de mise. En octobre 1303, une rencontre est ainsi prévue entre le roi de Castille Ferdinand IV et le noble Juan Manuel, fils de l’infant Manuel, alors qu’ils s’opposent sur un nombre considérable de points. Jacques II, ayant appris de manière certaine que le roi de Castille a l’intention de faire prisonnier ou de tuer l’infant Juan, informe son ambassadeur auprès de l’infant, Gonzalo García, afin qu’il engage ce dernier à ne pas rejoindre le roi de Castille. Si la rencontre a toutefois lieu, il devra éviter de se mettre au pouvoir du roi Ferdinand et des siens et prendre garde au choix du lieu, car ils pourraient s’emparer de lui. Il doit donc procéder avec grand souci de sa sécurité (con gran seguridad suya), car le roi de Castille ne souhaite la vista que pour se saisir de sa personne68. Face à des bruits et à des inquiétudes de cet ordre, fondés ou non, les différents protagonistes s’efforcent de réduire les risques par la recherche de conditions et de garanties de sécurité optimales pour les rencontres, notamment par la négociation de trêves préalables, l’obtention de sauf-conduits pour les participants et le choix d’un lieu sûr. Lorsque les rencontres doivent rassembler des souverains en guerre, l’obtention d’une trêve constitue un préalable indispensable et fait avant 1304 presque toujours l’objet de tractations souvent tortueuses avec les souverains castillan et angevin, des tractations que les historiens ont d’ores et déjà bien reconstituées69. Si les tensions entre les parties demeurent trop fortes, des saufconduits sont émis pour les participants pressentis, afin qu’ils puissent se rendre en toute sécurité au lieu de la rencontre70. Dans cette recherche parfois difficile des conditions de sécurité, le choix d’un lieu sûr et la fixation d’une date constituent alors un défi majeur pour les différents participants71.
c) Négocier la date et le lieu
23Il est certes des rencontres dont la préparation est relativement brève, par exemple lorsque Jacques II apprend que la cour itinérante d’un souverain étranger se rapproche de l’endroit où il se trouve ou bien lorsque le roi d’Aragon lui-même se déplace d’un territoire de la Couronne à un autre, plus proche du souverain qu’il est susceptible de rencontrer. Le 23 février 1302, depuis Cervera (Catalogne), Jacques II écrit au roi de Majorque qu’il a pris connaissance de sa venue près de la frontière (ad partes ipsas) et lui propose par conséquent de s’entretenir de projets matrimoniaux pour le plus grand bien de leurs deux maisons72 ; inversement, le 29 décembre 1302, Alfonso de la Cerda indique depuis Toulouse à Jacques II son parcours et lui demande le sien afin qu’ils puissent se rencontrer le plus rapidement possible73. La détermination de la date et du lieu de rencontre entre les deux souverains dépend fortement de l’itinérance des cours, un problème logistique dont la résolution s’avère cruciale. Les facteurs climatiques — chaleur d’été excessive pour rencontrer le souverain castillan, difficulté de navigation hivernale pour se rendre en Provence — sont autant de contraintes qui doivent être prises en compte. Ferdinand IV repousse ainsi à la Saint-Michel des vistas prévues pour l’été 1307 avec Jacques II, parce que le temps sera plus froid (por rasón que el tiempo ssea más frrío)74. Quelques mois plus tard, le roi d’Aragon demande à Charles II le report de leur entrevue et propose de se retrouver à Montpellier plutôt qu’à Marseille, car le voyage par mer est dangereux en hiver75. Mais ces difficultés climatiques peuvent être surmontées : les rois de Naples et d’Aragon se retrouvent par exemple au pied des Pyrénées du 12 au 14 décembre 1293. En revanche, il est fréquent que la date mémorable de la rencontre royale, celle de l’entrevue des souverains, soit choisie d’après des impératifs symboliques. Jacques de Majorque, se satisfaisant de la venue de Jacques II pour la fête des Rameaux, à la nouvelle que celui-ci se trouverait à Gérone pour Pâques, souhaite qu’ils fêtent ensemble la Résurrection en déplaçant le jour de la vista ; ne pas procéder ainsi serait à ses yeux indécent76. Les tractations préalables aux vistae font apparaître un souci récurrent pour les associer à une fête religieuse et rehausser ainsi par l’accord du Tout-Puissant l’éclat et la portée d’une manifestation de paix entre princes chrétiens77.
24Cependant, plus que sur la date, les négociations préliminaires aux vistae se concentrent sur le choix du lieu où elles doivent se dérouler. Le cas de la rencontre de Torrellas, qui rassemble en août 1304 les rois de Castille, du Portugal et d’Aragon, est à cet égard paradigmatique. L’idée de l’entrevue à été émise par Jacques II à l’occasion d’une ambassade dépêchée en décembre 1303 à la cour du roi portugais Denis78. Afin de régler à la fois le problème lancinant des aspirations dynastiques des infants de la Cerda au trône de Castille et le contentieux sur le royaume de Murcie occupé depuis 1296 par les forces de la couronne d’Aragon et revendiqué par le voisin castillan, Jacques II propose de soumettre les différends à une commission mixte placée sous les auspices du roi du Portugal, qui devra prononcer une sentence arbitrale reconnue de tous. Le choix du lieu de rendez-vous devient complexe en raison de la participation de trois souverains éloignés et engendre une série de tractations du mois de décembre 1303 jusqu’à la veille même des vistae, au début du mois d’août 1304. La proposition initiale formulée par Jacques II à l’adresse du roi du Portugal précise simplement qu’il faut trouver un « lieu convenable » (lugar convinent) pour les rencontres79. Les mois suivants sont pour une bonne part consacrés à l’établissement de trêves entre Ferdinand IV, Alfonso de la Cerda et Jacques II, une tâche à laquelle œuvre avec constance l’infant Juan, fils du défunt roi Alphonse X de Castille. La question du lieu réapparaît pour la première fois aux vistas de Calatayud, qui rassemblent au début du mois de mars 1304 Jacques II et l’infant Juan, mais, d’après la documentation consultée, seul l’historien du XVIe siècle Jerónimo Zurita fait explicitement référence au fait qu’il est prévu que la rencontre se déroule à Campillo, entre Ágreda et Tarazona80. L’accord explicite du roi de Castille Ferdinand IV pour que les trois souverains se réunissent précisément en ces endroits apparaît de manière certaine seulement le 28 avril 1304 lors de l’entrevue de l’infant Juan avec Jacques II81. Cependant, la détermination du lieu des vistae est ici plus complexe que pour des rencontres bilatérales, car il faut aussi obtenir l’assentiment du médiateur, le roi du Portugal. Or, Denis rechigne à la solution Ágreda-Tarazona. L’infant Juan fait ainsi part le 10 juin au conseiller de Jacques II Gonzalo García des grandes difficultés soulevées par le souverain portugais sur ce point des tractations. Denis considère qu’Ágreda et Tarazona sont trop éloignés de ses terres et souhaite un endroit plus proche, ce qui place l’infant Juan dans la position délicate d’arbitre des lieux entre les trois rois. Il décide avec la reine du Portugal d’envoyer en mission auprès de Jacques II un homme qui puisse en leur nom lui expliquer l’affaire, tout en demandant au roi d’Aragon de partir le plus rapidement possible en direction de la Castille afin que ses efforts ne soient pas réduits à néant82. En fait, l’infant Juan parvient à un accord avec le roi du Portugal sur un autre lieu, Berdejo, proche de Calatayud et donc plus rapidement accessible pour Denis. Cependant, pour Jacques II qui développe ainsi en négatif une véritable définition idéale du lieu de rencontre, cet endroit n’est pas adapté, la terre est hostile, elle ne peut accueillir un nombre élevé de personnes et il y fait trop chaud — les vistas sont prévues au cœur de l’été, en pleine cordillère ibérique… Le roi d’Aragon transige donc en proposant cette fois-ci à l’infant de choisir entre deux couples de villes proches le long de la frontière castillano-aragonaise : soit le roi de Castille vient à Ágreda et lui-même se rend à Tarazona, soit, plus au sud, Ferdinand IV vient à Molina et lui à Daroca (voir fig. 8, p. 419). Dans les deux cas de figure, chacun disposerait de facilités d’approvisionnement et de bonnes villes83. Le choix d’un lieu de rencontre entre rois est donc tout autant le fruit d’un compromis visant à économiser les déplacements, à respecter la symétrie frontalière que le résultat d’impératifs logistiques contraignants dus à la présence de nombreuses suites. Juan poursuit ensuite son office de médiateur, fait part des remarques de Jacques II au sujet de la détermination des lieux à Ferdinand IV comme à Denis et la lettre qu’il envoie au roi d’Aragon le 24 juin depuis Burgos laisse supposer qu’un accord a enfin pu être obtenu sur les lieux assignés pour les vistes84. Or, à la mi-juillet, le doute plane encore sur la localisation de l’événement, car Jacques II écrit une nouvelle fois à l’infant Juan pour le convaincre que la seule possibilité valable pour les vistae se situe à Ágreda, à Tarazona et, nouveauté significative, à Soria. En effet, selon le projet de Jacques II, lui-même résiderait en Aragon à Tarazona, Ferdinand IV en Castille à Soria et le médiateur portugais entre les deux à Ágreda. Le roi du Portugal pourrait de la sorte s’entretenir aussi bien avec le roi d’Aragon qu’avec celui de Castille85. Plus que le seul choix d’un lieu de rencontres, il s’est donc agi tout au long de ces tractations préliminaires de déterminer des lieux de séjour pour les cours des différents souverains participant aux rencontres royales. La répartition spatiale finalement adoptée répond alors non seulement à des exigences logistiques, à la prise en compte des itinérances de chacun, mais aussi à la fonction assignée aux vistas. Le logement sur la frontière Castille-Aragon de Denis du Portugal, médiateur entre les parties, rend de la sorte visible sur le territoire la configuration même de la négociation. Qu’il s’agisse de l’objet des rencontres, des conditions de sécurité préalablement requises ou bien de la fixation de la date et des lieux où elle se dérouleront, les vistae auxquelles participent Jacques II, si elles ne concluent pas toujours les négociations inter-curiales qui y sont traitées, apparaissent en tout cas comme l’aboutissement d’un processus de négociation spécifique, souvent pris en charge directement par les rois et leur entourage.
LE RESPECT ET LA DÉMONSTRATION DE L’ÉGALITÉ DES PARTICIPANTS
25Ces négociations préalables se concluent-elles toujours par des résultats similaires ? Autrement dit, de quelle marge de manœuvre disposent réellement les différents protagonistes lorsqu’il s’agit de préparer des rencontres royales comportant des enjeux aussi importants ? Sont-ils condamnés à l’éternel retour sur les mêmes lieux, à la reprise cyclique du même modèle de vistae et à des cérémonies identiques prévisibles à l’avance ? On voudrait ici démontrer que les solutions adoptées pour les vistae certes varient, mais obéissent fondamentalement au souci du respect et de la démonstration de l’égalité de traitement pour les différents rois qui y participent. C’est dans cette perspective que seront successivement examinés la géographie des vistae, l’ordonnancement préalable des rencontres sur lequel les protagonistes s’accordent parfois et, enfin, la vie commune des cours.
a) Des lieux choisis
26Même si leur choix fait l’objet de négociations parfois serrées, les lieux où se déroulent effectivement des rencontres royales demeurent relativement peu nombreux, s’inscrivent souvent dans une tradition et se concentrent dans des zones géographiques frontalières bien délimitées (fig. 8, p. 419). Ce phénomène est particulièrement net pour les vistae qui réunissent Jacques II avec les rois de Castille ou de Naples. Avec le grand voisin ibérique, les rencontres ont lieu dans la zone frontalière castillano-aragonaise, à Monteagudo, Soria, Calatayud, Ágreda, Tarazona, au monastère de Santa María de la Huerta, ou bien encore à Calatayud. De même les rencontres effectuées avec le roi Charles II peuvent-elles être qualifiées de vistae « en marche », puisqu’elles ont lieu dans le cadre d’une frontière naturelle, les Pyrénées, à La Jonquera, à Vilabertrán ou au col de Panissars. Ce choix des lieux, témoin pour certaines négociations de préoccupations logistiques, doit aussi être interprété comme l’expression du respect de la sécurité et de l’égalité des parties. Plus qu’un seul endroit, ce sont en effet deux lieux couplés proches de la frontière qui sont recherchés, afin que les deux rois puissent y résider avec leurs cours dans des conditions équivalentes et se rencontrer facilement. Or, le nombre de sites qui présentent cette configuration idéale est limité, d’où le fait que les rencontres de Jacques II avec les rois de Castille se déroulent fréquemment en des endroits où ont déjà eu lieu auparavant des vistas reales. L’exemple le plus emblématique est à ce titre celui d’Ágreda et de Tarazona. La rencontre dite de « la table des trois rois » (mesa de los tres reyes) s’y est déroulée en 1196, Pierre II d’Aragon y a rencontré en 1204 Alphonse VIII de Castille, des vistae ont réuni au même endroit Jacques Ier le Conquérant et Alphonse X de Castille en 1260 et Pierre III d’Aragon y retrouve le même Alphonse X en 1279 puis en 128186. Un phénomène similaire peut être observé pour les rencontres avec le souverain angevin, marquées par une nette prédilection pour La Jonquera où Alphonse III d’Aragon le retrouve déjà à deux reprises en 1289 et 1291.
27En dépit de ce net penchant pour les zones frontalières, qui offrent des conditions équivalentes à chacun des souverains et leur permettent ainsi de manifester spatialement l’égalité de leur rang, les rois se retrouvent aussi à plusieurs reprises à l’intérieur des royaumes, par exemple en territoire castillan pour les rencontres de Guadalajara et de Logroño en 1293 qui rassemblent les rois d’Aragon, de Castille et d’Anjou. Un tel choix s’explique par la position de médiateur entre les rois d’Aragon et de Naples occupée par le roi de Castille Sanche IV, qui invite les différents protagonistes à tenter de se rapprocher sous son égide. En revanche, la venue du roi de Majorque à Gérone pour y rencontrer Jacques II relève d’une logique différente : il reconnaît ainsi la supériorité hiérarchique du roi d’Aragon dont il est le feudataire. Aboutissement de négociations préalables souvent complexes, le choix d’un lieu pour des vistae renvoie donc de manière générale à la configuration des relations politiques entre les royaumes. Dans cette perspective, I. Voss rattache le passage du XIe au XIIIe siècle de rencontres entre les souverains français et allemands de l’intérieur des royaumes aux zones frontalières à la fixation des royaumes87. Les rencontres en marche qui ont eu lieu durant le règne de Jacques II offrent elles aussi la possibilité de surmonter de manière spectaculaire des conflits frontaliers (royaume de Murcie) par une réunion sur la frontière et la reconnaissance de facto de la légitimité du pouvoir de l’autre sur son territoire. Cependant, à la différence de la période antérieure, la documentation conservée pour le règne de Jacques II révèle plus nettement combien le choix du lieu de rencontre constitue le fruit d’un compromis entre les parties obtenu grâce à des tractations préalables. En respectant des impératifs logistiques qui restreignent la marge de manœuvre lors des négociations, ce compromis doit refléter spatialement la configuration des rapports de pouvoir entre les différents participants aux rencontres : le respect de l’égalité de rang dans les rencontres frontalières, le cas échéant la mise en exergue du médiateur et, s’il s’agit de rencontres inégales, le déplacement du roi dont le rang est le plus faible. La recherche de conditions équivalentes pour les deux souverains appelés à se rencontrer suppose donc l’accord sur un lieu adéquat et sur des conditions générales de sécurité, mais elle peut aussi, lorsque la méfiance est grande, conduire à l’établissement d’un véritable protocole pour le face-à-face entre les princes.
b) Un protocole pour les face-à-face ?
28Les rencontres de la Jonquera, qui réunissent du 12 au 14 décembre 1293 Jacques II d’Aragon et Charles II d’Anjou, en offrent l’exemple le plus spectaculaire. Ces vistae s’inscrivent dans un contexte particulièrement tendu après l’échec de la tentative de rapprochement de Jacques II avec Charles II aux rencontres de Logroño au début du mois d’août 1293. Le roi d’Aragon, un temps relativement isolé, recherche à présent le contact direct avec les cardinaux à la curie, mais aussi une entente avec le souverain angevin sur les modalités d’une éventuelle rencontre au sommet. Guillem Llull se rend dans ce but en mission auprès de Charles II à la fin du mois d’octobre 129388, revient ensuite auprès de Jacques II, avant de repartir de nouveau auprès du souverain angevin « sur l’affaire de l’ordonnancement des vues qui doivent être célébrées entre vous et nous prochainement » (super facto ordinationis vistarum inter vos et nos noviter celebrandum)89. Peu après, le 19 novembre, une ambassade plus importante, menée par les conseillers et familiers du roi Berenguer de Bellvitge, sacristain de Vic, et Guillem Durfort, se rend pour les mêmes raisons à Perpignan et y retrouve Charles II90. Ce dernier répond favorablement à la proposition aragonaise par une lettre patente du 26 novembre 129391. D’après ce texte, il a été communément convenu entre les rois Jacques II et Charles II de se retrouver sur la colline de La Talaya, qui se trouve devant La Jonquera, et d’y avoir des vistas. L’affirmation classique de leur capacité de résolution prend ici une résonance quasiment épiphanique : les rois pourront y parler et y délibérer ensemble, les affaires pourront ainsi être réglées plus efficacement et plus rapidement par la vue en direct et par le dialogue en face-à-face (per visionem presentaneam et collocutionem facia ad faciem)92. Charles II concède ensuite en son nom et en celui du roi de Majorque un sauf-conduit général pour le roi d’Aragon et ses accompagnateurs aux vistae, renforcé par l’octroi d’une trêve d’un mois sur les territoires concernés. Mais les mesures classiques devant garantir la sécurité — l’accord sur le lieu, la trêve, les sauf-conduits — paraissent dans ce contexte de grande tension insuffisantes aux deux parties. Par conséquent, la même lettre patente comporte aussi une forma, un ordonnancement pour les rencontres royales93, qui reprend en les durcissant les termes d’une ordinatio vistarum antérieure, remise à Guillem Llull avant sa deuxième mission ou bien composée à l’issue de ses tractations à la cour de Charles II94.
29Le scénario sur lequel le roi angevin et les représentants du roi d’Aragon sont parvenus à s’entendre révèle la nature des mesures prises pour limiter les dangers, ainsi que l’utilisation de certaines pratiques rituelles fréquemment employées pour ce type de rencontres à la fin du Moyen Âge95. Le roi d’Aragon comme le roi de Naples devront chacun venir avec douze personnes à cheval qu’ils auront choisies, sans d’autres armes que des épées et des couteaux (on perçoit ici la crainte des lances, arbalètes et autres armes de trait), et personne ne devra les suivre. Complétant le projet de protocole emmené par les ambassadeurs de Jacques II, le texte promulgué par le roi angevin précise ensuite que chacune des vingt-quatre personnes en question pourra emmener avec elle un piéton qui gardera son cheval, mais devra être totalement désarmé. De même, chacun des deux rois pourra venir avec un destrier et un palefroi, chaque cheval pouvant être mené par deux piétons sans armes pour leur garde. Outre les accompagnateurs déjà mentionnés, chaque roi emmènera dix chevaliers sans armes autres que des épées et des couteaux. Ils seront chargés d’examiner et de garder les lieux où les vistae devront se dérouler. Huit chevaliers du roi d’Aragon et deux du roi de Naples garderont les lieux au nord, du côté de la forteresse de Bellegarde d’où vient Charles II et, inversement, huit chevaliers du roi angevin et deux chevaliers du roi d’Aragon monteront la garde au sud, là où se trouve le château de Montroig. Afin de protéger plus sûrement encore la personne physique des deux rois, il sera interdit de pénétrer dans la zone comprise entre Bellegarde et Montroig. Sur la colline, les rois disposeront en revanche d’une totale liberté de circulation, mais sans que leur suite puisse excéder le nombre déterminé au préalable96.
30Cette description remarquablement précise des conditions de rencontre a pour enjeu principal la sécurité et la protection de la personne physique des deux souverains, elle témoigne de la peur de l’attentat qui ne peut être conjurée que par la multiplication des garanties, la trêve générale, les sauf-conduits, mais aussi la vérification des lieux, le contrôle des accompagnateurs et le choix d’une zone neutre et protégée pour la rencontre. Dans cette tierra de nadie, le protocole des rencontres royales met en place un ordonnancement qui se caractérise d’abord par sa symétrie spatiale et par l’égalité du nombre des représentants de chacun des rois. Reprenant peut-être le symbolisme de la Cène, chacun des rois vient accompagné de douze conseillers, mais aussi de quatorze piétons et de dix chevaliers. Un tel ordonnancement spatial et humain des vistae doit permettre à la fois de protéger la zone réservée de toute agression extérieure et d’éviter tout dérèglement en son sein qui pourrait être provoqué par un déséquilibre des forces au bénéfice de l’un ou l’autre des deux rois. L’inégalité entre les deux souverains, la dissymétrie spatiale ou numérique sont potentiellement perçues comme des risques susceptibles de rompre un équilibre précaire et artificiel dont la fonction est de créer les conditions idéales pour que les vistae puissent produire le résultat que l’on attend d’elles, à savoir la résolution du conflit.
31La mise en place d’une telle procédure pour un face-à-face entre souverains demeure exceptionnelle durant le règne de Jacques II, sans doute d’abord parce que la rencontre de La Jonquera doit demeurer secrète — elle marque une inflexion importante de la position de Jacques II qui s’éloigne alors fortement de l’allié castillan —, mais aussi parce que l’état de conflit entre les deux rois rend les mesures de précaution indispensables. Cependant, cette démonstration spatiale et ordonnée de l’égalité du rang des souverains ne constitue pas un phénomène isolé dans l’histoire des rencontres royales à la fin du Moyen Âge. L’accord passé entre les représentants de Jacques II et le souverain angevin sur l’ordinatio des vistae reprend en effet en la modifiant légèrement (hoc addito, précise le document) l’ordinatio d’une rencontre royale qui s’est déroulée au même endroit deux années et demi auparavant, rassemblant alors Charles II et Alphonse III, le prédécesseur de Jacques II97. Il ne faudrait pourtant pas en conclure que toutes les rencontres au sommet de la période se déroulent suivant le même protocole. Pour la signature du traité de Caltabellotta en 1302, le chroniqueur sicilien Niccolò Speciale indique ainsi que le roi Frédéric et Charles d’Anjou, frère de Philippe le Bel, viennent tout deux accompagnés de 100 chevaliers dans une terre sans nom comprise entre Caltabellotta et Sacca (locum sine nomine inter Calatabillottam et Saccam medium), où deux cabanes de bouviers leur servent de lieu de rencontre98. De même, les « vues » auxquelles participe le roi de France Charles VII présentent elles aussi des ordonnancements différents99. Une constante néanmoins demeure à travers tous ces textes normatifs produits dans des situations de tension : la recherche de la sécurité et de la garantie du respect de l’égalité des princes. Cette préoccupation se traduit diplomatiquement par l’octroi de trêves et de sauf-conduits, numériquement par l’équivalence des suites, des accompagnateurs et des équipements, et spatialement par la recherche de la symétrie des lieux autour d’une zone intermédiaire qui permette la rencontre dans des conditions idéales de neutralité. La stricte réglementation adoptée pour les vistae qui viennent d’être évoquées s’apparente très fortement à celle des duels en champ clos, à cette différence près que les protagonistes, pourtant accompagnés par un même nombre d’hommes d’armes équipés de manière identique, ne viennent pas ici pour s’affronter, mais simplement pour se voir et échanger des paroles100. Toutes les vistae ne sont cependant pas aussi brèves et dramatiques que celles de La Jonquera, elles durent souvent plusieurs jours, voire des semaines entières durant lesquelles le souci du maintien et de la démonstration de l’égalité de rang des participants prend d’autres formes, délaisse la métaphore de la rencontre militaire sans combat pour entrer dans le champ plus pacifié mais tout aussi périlleux de la rencontre curiale.
III. — DES RENCONTRES ENTRE COURS
32Les rencontres royales, plus encore que les ambassades, ne constituent pas un événement pour les seules relations de la Couronne avec les puissances étrangères, mais comportent aussi d’importants enjeux internes pour le pouvoir royal aragonais. Outre les rois et les princes, de nombreux autres personnages sont associés à des titres divers au déroulement des vistae, qui constituent de véritables rencontres entre cours. La présence de ses sujets permet alors au roi de les associer à son action diplomatique et de faire des rencontres royales un lieu particulièrement approprié pour la démonstration de sa qualité de souverain munificent.
LA PRÉSENCE D’HOMMES DE LA COURONNE
a) Méthode
33Il s’avère d’emblée extrêmement difficile de déterminer avec précision l’ensemble des individus qui participent aux vistae. Ce problème s’explique par la nature même des rencontres. Se déroulant sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines que seule l’écriture historique des chroniqueurs ou bien les synthèses rapides effectuées à l’intention des ambassadeurs parviennent par la suite à présenter comme un « événement » unique, elles sont en fait constituées par une série d’actes, de rencontres et autres célébrations auxquels n’assistent pas nécessairement toujours les mêmes individus. Face à cette complexité, les quelques tentatives visant à reconstituer l’ensemble des participants aux vistae aboutissent à des résultats assez contrastés. En raison de sources peu prolixes, I. Voss peut seulement noter que les suites et l’effort des protagonistes pour une représentation importante s’accroissent progressivement lors des rencontres entre le roi de France et l’empereur au XIIIe siècle101. Avec un corpus similaire, W. Kolb insiste pour sa part sur la différence entre le noyau dur (harter Kern) des rencontres qui ne comporte pas plus de 50 personnes, essentiellement des « aristocrates », et l’ensemble des personnes effectivement présentes, qui peut varier de quelques centaines à plusieurs milliers, en fonction de la nature de la rencontre et du contexte dans lequel elle se déroule102. En revanche, la participation aux rencontres royales n’a pas réellement été mise en perspective pour le règne de Jacques II. Mercedes Gaibrois de Ballesteros relève que le roi d’Aragon est accompagné par une suite très nombreuse lors des vistas de Logroño en 1293103, alors que Maria Mercè Costa, après avoir pourtant réuni une impressionnante documentation et présenté un grand nombre des protagonistes des rencontres, conclut à l’impossibilité de déterminer avec précision l’ensemble des hommes se trouvant sur la frontière lors des vistas de Torrellas en août 1304104.
34Ce constat pessimiste est tout à fait justifié pour qui recherche la reconstitution intégrale, définitive et sans doute impossible des participants effectivement présents lors des différents actes célébrés durant les rencontres royales. La très riche documentation conservée aux Archives de la Couronne d’Aragon invite néanmoins à déplacer l’angle d’approche. Tout en s’efforçant de préciser le mieux possible quels sont les individus qui assistent effectivement aux vistae, il convient aussi de s’interroger sur les mobiles pour lesquels le pouvoir royal les associe à cet acte diplomatique, sur la signification que peut posséder une telle participation pour les rapports entre le pouvoir royal et les sujets de la Couronne. Une telle perspective est rendue envisageable par le croisement de diverses sources : convocations adressées par le souverain, ordres de paiement pour la venue aux rencontres et, enfin, signatures et témoignages apposés au bas des documents passés devant notaire au cours des vistae. L’assistance de certains individus aux rencontres royales peut alors être considérée comme constitutive d’une configuration singulière et orientée de la cour du roi, dont la finalité doit encore être élucidée.
b) Les hommes du pouvoir
35On partira ici de l’étude des vistae de La Jonquera - Vilabertrán en 1295 qui rassemblent les rois d’Aragon et de Naples et ont déjà été évoquées précédemment, avant de confronter les résultats obtenus avec des éléments comparables pour d’autres vistae marquées par la présence de Jacques II. Les sources font apparaître nettement deux types de participants à Vilabertrán : les conseillers et proches du souverain d’une part, des nobles, religieux et représentants des villes convoqués spécialement pour la rencontre de l’autre.
36Les premiers apparaissent surtout en tant que témoins dans les nombreux documents qui sont promulgués à l’occasion des rencontres. Un bref rappel du déroulement des vistae est par conséquent nécessaire afin de mieux saisir dans quel contexte interviennent ces personnages. Après les tractations préliminaires, les deux souverains ont progressivement rapproché leur cours itinérantes pour ne plus se trouver le 30 octobre 1295 qu’à 30 kilomètres de distance l’un de l’autre. Jacques II est alors à Vilabertrán, dans la province de Gérone, à deux kilomètres au nord de Figueras, alors que Charles II réside dans la forteresse de Bellegarde, près du col du Perthus105. Ce jour-là, le roi d’Aragon assigne sa dot à Blanche d’Anjou, puis, vers l’heure de tierce, promet devant un notaire apostolique et les représentants du pape de restituer l’île de Majorque106. En contrepartie, ces derniers lèvent l’interdit pontifical sur ses territoires devant les portes du monastère de Vilabertrán107. Parallèlement, Charles II renonce à poursuivre Jacques II pour frais de guerre, ratifie la partie des accords d’Anagni relative à la dévolution de la Sicile et renonce à toutes ses prétentions sur le trône d’Aragon108. Ces préalables pacificateurs une fois effectués, les conditions sont rassemblées pour que les souverains se rencontrent le lendemain dans les champs compris entre La Jonquera et Montroig (in campis inter Junkeriam et Montem Rubeum) qui avaient déjà servi de cadre à la rencontre très réglementée de décembre 1293. Lors de cette première vista, chacun des rois délie l’autre des offenses auparavant commises dans la guerre, prête serment sur les Évangiles, tous deux échangent le baiser de paix, puis Jacques II reçoit l’argent de la dot de Blanche d’Anjou109. Deux jours plus tard, le 2 novembre, les souverains se retrouvent au monastère de Vilabertrán, s’accordent sur les obligations du roi d’Aragon vis-à-vis de la Sicile et Charles II s’engage à intervenir auprès du pape pour obtenir son assentiment110. Le jeudi 3 novembre, toujours à Vilabertrán, mais cette fois-ci dans le lieu de résidence du roi d’Aragon (in hospicio dicti regis Aragonum), les représentants du roi de Majorque demandent en présence de Jacques II et de Charles II la restitution du royaume de Majorque, puis Charles II confirme par lettre patente sa satisfaction devant l’engagement de Jacques II en faveur de la paix et garantit, depuis Figueras, qu’il ne s’attaquera pas à la reine de Sicile Constance, la mère de Jacques II111. Charles II est encore à La Jonquera le 4 novembre, mais en repart rapidement, il se trouve à Perpignan dès le 7 novembre112.
37Les rencontres au sommet ont donc duré cinq jours, durant lesquels les rois se sont retrouvés au moins à trois reprises. La multiplicité des entrevues et des cérémonies, caractéristique des vistae les plus solennelles du règne de Jacques II (Logroño, Torrellas), se traduit ici par la confection d’au moins 18 actes notariés auxquels de nombreux témoins apposent leur signature. Au sein de cet imposant ensemble documentaire publié par Vicente Salavert y Roca, huit actes sont promulgués unilatéralement par Charles II sans présence de témoins du roi d’Aragon113, trois par les archevêques représentants le pape114, et l’on ne peut donc s’appuyer que sur sept actes notariés pour distinguer les hommes de Jacques II présents lors des rencontres115. En outre, les listes de témoins qui apparaissent dans ces documents demeurent souvent partielles, comme l’atteste régulièrement la mention et pluribus aliis testibus (« et plusieurs autres témoins ») qui vient clore leur énumération116. Malgré ces limites imposées par la documentation, les hommes qui témoignent pour Jacques II ou bien prêtent serment et hommage afin de garantir la validité des engagements royaux appartiennent pour l’essentiel au même groupe. Bernat de Sarrià, Berenguer de Vilaragut, Ramon de Manresa, Pere Sacosta, les plus fréquemment sollicités, sont tous des conseillers et des familiers du roi. De même, les autres testataires de Jacques II, le chanoine d’Urgell Jaume de Benagna, Bernat Guillem de Pinelles et Ramon de Tovilà, sont eux aussi des conseillers et des familiers117. De manière significative, cette qualité est rappelée dans les listes pour justifier de leur présence comme témoins authentifiant la validité des actes solennels. Ces hommes sont de surcroît engagés depuis plusieurs mois dans le règlement de l’affaire. Guillem Durfort et Pere Sacosta font partie de l’ambassade dépêchée à Rome qui se conclue par le traité d’Anagni en 1295, ils partent ensuite auprès de Charles II pour signifier l’accord, puis se rendent encore avec Bernat de Sarrià au début du mois d’octobre 1295 auprès de l’archevêque d’Embrun pour traiter des modalités de la rencontre royale118. Dans le processus qui mène au traité d’Anagni, des ambassades préliminaires aux rencontres jusqu’à leur célébration, on retrouve donc les mêmes hommes au service ou autour du roi, des individus qui font partie du noyau dur de la diplomatie royale. Leur présence s’explique par leur connaissance des affaires, par le prestige dû à leur proximité avec le souverain et le surcroît de garantie qu’ils peuvent apporter à ses engagements. De même, les principaux témoins de Charles II sont aussi ses conseillers et ses familiers, ou bien encore des hommes qui exercent de très hautes fonctions dans l’administration angevine119. Cependant, même si les élus des cénacles royaux s’avèrent les plus visibles dans les actes, les vistae rassemblent aussi un grand nombre d’autres personnes absentes des listes de témoins, mais convoquées par le roi d’Aragon pour venir assister à cet apogée de la pratique diplomatique.
c) Les participants aux rencontres : un choix
38La question de l’assistance aux vistae d’individus autres que les conseillers et les familiers surgit déjà au début du XVe siècle à la chancellerie royale aragonaise. Le 10 juillet 1415, le roi Ferdinand Ier écrit à ce sujet à son archiviste Diego García pour lui demander d’effectuer une recherche « dans les registres de nos archives » (en les registres del nostre archiu). Il souhaite savoir si, pour les vistas du roi Martin Ier (1396-1410) ou de ses prédécesseurs avec le roi de Navarre ou d’autres monarques, les rois d’Aragon avaient écrit à des prélats, à des nobles et à des syndics de cités et de villes royales pour leur demander de les accompagner120. Même inconnue, la réponse de l’archiviste à un roi de la nouvelle dynastie Trastamare qui cherche visiblement à reprendre les pratiques de ses prédécesseurs dans un but de légitimation est sans aucun doute positive, car la chancellerie expédie ensuite d’impressionnantes listes de convocations pour les rencontres de Perpignan avec l’empereur Sigismond121.
39Encore effectif au début du XVe siècle, l’accompagnement du souverain aux vistae par des hommes qui n’appartiennent pas au cercle des conseillers et familiers du roi est monnaie courante durant le règne de Jacques II. Qui sont ces hommes ? Deux types de sources permettent de le préciser. Tout d’abord, comme pour les Cort(e)s et suivant un formulaire relativement similaire, la chancellerie expédie des convocations à l’adresse de membres de différents états de la Couronne ; elles fournissent des indications précieuses sur la façon dont le pouvoir entend être accompagné lors de ces événements. Corrélativement, on conserve des ordres de paiement confectionnés au nom du roi afin de régler les sommes déboursées pour la venue des personnes convoquées.
40Ces deux types de documents sont bien conservés pour les rencontres de La Jonquera - Vilabertrán de 1295. Les ordres de convocation, à l’instar de ceux émis pour les autres vistae du règne de Jacques II, sont rédigés selon un modèle diplomatique simple. Il présente fort peu de variations et est probablement repris par les scribes de la chancellerie d’une rencontre à l’autre. Après une brève adresse à la personne concernée, l’exposé des motifs précise le mobile de la vista, en l’occurrence pour les rencontres de La Jonquera - Vilabertrán la confirmation et la reformatio de la paix entre Jacques II d’une part, la papauté, le roi de France et ses alliés de l’autre. Vient ensuite l’ordre donné au destinataire de se rendre auprès de Jacques II, qui précise le jour, l’endroit et, lorsqu’il s’agit de nobles, le nombre de chevaliers accompagnateurs à cheval122.
41Des convocations sont expédiées à deux reprises par la chancellerie royale, le 18 juillet afin que les destinataires des lettres se trouvent le 8 août dans les environs de Gérone, puis, en raison du report des rencontres provoqué par la mort du cardinal-légat qui devait y assister, le 27 septembre. Les personnes concernées doivent alors rejoindre le roi à la mi-octobre123. La première salve de convocations concerne des hauts prélats et des nobles. Outre l’archevêque de Tarragone, sont conviés plus de la moitié des évêques de Tarraconaise, essentiellement ceux de Catalogne (Barcelone, Lérida, Gérone, Vic) et d’Aragon (Huesca, Tarazona, Saragosse), alors que l’évêque de Valence, le chancelier du roi Ramon Despont, demeure probablement à Barcelone. Les abbés des grands monastères cisterciens de Catalogne liés au pouvoir royal, Ripoll et Santes Creus, doivent eux aussi venir. Toujours dans ces convocations du 18 juillet, le roi exige la présence de 16 nobles de Catalogne et d’Aragon ; ils doivent tous venir avec une suite de cinq chevaliers. Parmi ces hommes, on trouve trois comtes (Urgell, Pallars, Empúries) et des dignitaires issus des plus hautes lignées de la Couronne, les Cervelló, Anglesola-Angularia de Catalogne ou bien les Luna et les Cornell d’Aragon124. 25 personnages d’un rang considérable sont donc convoqués pour les vistae et l’accompagnement militaire obligatoire des nobles atteint à lui seul quelques 80 personnes. Si l’on y ajoute les suites des religieux, ainsi que les piétons, valets et autres serviteurs qui forment les escortes, il est clair que l’on prépare alors la venue de plusieurs centaines de personnes. Le roi s’efforce donc de disposer pour la rencontre d’une représentation somptuaire au plus haut niveau de deux des pouvoirs essentiels dans la couronne d’Aragon, l’Église et les nobles.
42Suivant le même principe, les nouvelles convocations lancées à la fin du mois de septembre 1295 sont elles aussi adressées aux plus hauts dignitaires de l’Église (les évêques de Barcelone, Vic, Lérida et Saragosse, l’archevêque de Tarragone et le grand commandeur de l’Hôpital de la Province d’Aragon) ainsi qu’à des grands nobles (Atho de Foces, Rodrigo Jiménez de Luna, Berenguer de Puigverd, Guerau de Cervelló, Pedro Cornell et G. de Angularia)125. Le nombre de personnes concernées est cependant moins élevé, mais ceci s’explique sans doute par le fait que certains, tel le comte d’Urgell, se trouvent d’ores et déjà à la cour et qu’il n’est par conséquent pas nécessaire de leur adresser une convocation formelle126. De plus, la prise en charge postérieure par le trésor royal des dépenses engagées par certains assistants aux rencontres atteste aussi de la participation de hauts personnages qui ne figurent pas dans cette liste de convocation (tableau 18). Celle-ci révèle également un élargissement du spectre social, puisque le monarque fait appel à des représentants des villes. Les cités concernées sont les plus importantes de la Couronne, celles qui disposent d’une personnalité juridique indépendante avec le statut d’universitas. Le roi intime aux conseils urbains de choisir en leur sein des probi homines qui pourront les représenter lors des rencontres royales. La ville la plus puissante, Barcelone, disposera d’une délégation deux fois plus élevée (quatre hommes) que celles des autres cités concernées, Lérida, Saragosse et Valence (deux hommes), le nombre de représentants convoqués pour assister aux vistae reflétant en quelque sorte le poids respectif de ces cités dans la Couronne127.
TABLEAU 18. — Remboursements effectués par le roi pour des dépenses de ses sujets participant aux vistae de La Jonquera - Vilabertrán en 1295
Bénéficiaire | Montant | Mobile | Date |
G. de Angularia (noble) | 6.000 sb | Dépenses venue | 1er décembre 1295 |
Sibil · là de Saga (noble) | 4.000 sb | Dépenses venue | 13 décembre 1295 |
Lascaris, comtesse de Pallars (noble) | 4.000 sb | Dépenses venue | 11 décembre 1295 |
Bernat G. d’Entença (noble) | 4.000 sb | Dépenses venue | 5 avril 1307 |
Pedro Cornell (noble) | 3.000 sb | Dépenses venue | 11 décembre 1295 |
Sibil · là de Cardona (noble) | 2.000 sb | Dépenses venue | 16 novembre 1295 |
Infant Pedro (frère de Jacques II) | 30.000 sb | Dépenses présence | 3 décembre 1295 |
G. de Villamajor (franciscain) | 96 sb, 9 db | Dépenses présence | 20 novembre 1295 |
P. de Bell-Fort (frère) | 61 sb, 5 db | Dépenses présence | 20 novembre 1295 |
43Les deux séries de convocations émises pour les vistae poursuivent donc un but identique. Il s’agit pour le roi, au-delà du cercle de ses conseillers et familiers qui participent activement à la conclusion des actes les plus importants, d’obtenir une « configuration » (N. Elias) singulière de sa cour, de rassembler « en sa cour » (in curia nostra) les plus hauts représentants des différents états et des multiples territoires de la communauté politique de la Couronne avec lesquels il faut d’ordinaire traiter, l’Église, les nobles et les villes. Les hommes convoqués par le pouvoir royal sont-ils alors toujours les mêmes, offrent-ils une représentation pérenne de la couronne d’Aragon aux différentes cours étrangères rencontrées ?
d) Une représentation variable du pouvoir royal
44La documentation relative aux rencontres de Torrellas entre les rois d’Aragon, de Castille et du Portugal en août 1304 offre de ce point de vue d’intéressants éléments de comparaison avec les vistae de La Jonquera. M. M. Costa a déjà abordé le problème, mais en se fondant exclusivement sur les défraiements des assistants aux rencontres — souvent postérieurs — et les listes de témoins qui apparaissent au bas des très nombreux actes promulgués lors des vistas128. Or, comme dans le cas de La Jonquera, il est ici aussi préférable de partir des convocations aux rencontres lancées depuis la chancellerie afin d’obtenir une vue d’ensemble qui reflète plus fidèlement les intentions du pouvoir royal. D’emblée, il apparaît que ces ordres ont pour objectif de rassembler autour de Jacques II une représentation de la Couronne qui, en dépit de nombreuses similitudes avec celle escomptée pour La Jonquera, en diffère fortement par son importance numérique et par l’origine des personnes concernées.
45Plusieurs semaines avant de lancer les convocations officielles, une lettre du roi, adressée à l’évêque et au chapitre de Saragosse afin de préparer le nécessaire rassemblement de nourriture, prévoit déjà l’assistance d’une foule de nombreux personnages illustres et nobles, sans compter d’autres personnes encore129. Au vu des ordres envoyés le 15 juin 1304 depuis Saragosse pour que les destinataires rejoignent début juillet le roi en sa cour où qu’elle se trouve (in curia nostra ubicumque fuerimus), l’annonce se révèle plus que justifiée. Une première série de convocations est en effet adressée à 26 personnages de haut rang en provenance de Catalogne et de Valence, parmi lesquels sont distingués — dans le registre où elles sont copiées — des nobles catalans (au moins 13), des citoyens de Barcelone (au moins 7), souvent patriciens, et des citoyens de Valence (2). Le même document est ensuite adressé à 52 individus, nobles, chevaliers et autres qui ont tous en commun d’être Aragonais (nobilibus, militibus et aliisque de Aragonie)130. La transcription des listes d’hommes convoqués est donc dans le registre organisée de manière géographique et sociale. Comme en attestent les croix qui sont apposées en marge de pratiquement tous les noms consignés, l’enregistrement sert sans doute à vérifier que l’ordre a bien été rédigé, puis à annoter le cas échéant l’impossibilité pour un individu de venir aux rencontres. Les convocations sont justifiées par la volonté royale de disposer de ces hommes « pour notre service » (ad servicium nostrum), chacun a par conséquent pour obligation de venir à de si insignes rencontres (vistis tam insignibus) avec une suite décente, c’est-à-dire avec les chevaux, écus, heaumes et autres harnais nécessaires. Une telle injonction laisse donc une certaine marge d’interprétation aux personnes convoquées, qui se doivent de représenter le roi avec honneur, mais aussi d’y défendre leur rang le mieux possible131. Dès lors, on comprend que les convocations ne reflètent pas l’effectif réel des hommes présents aux vistae, mais une représentation idéale souhaitée par le pouvoir royal, ensuite pondérée par les capacités et la volonté de représentation des différents personnages convoqués. À cette foule nombreuse mais indénombrable, il faut encore ajouter une troisième liste d’hommes convoqués, les représentants des villes. Les conseils de Saragosse, Huesca, Calatayud, Daroca, Teruel et Tarazona doivent respectivement envoyer 10 ou 12, 6, 10, 8, 6 et 4 probi homines aptes et suffisants pour servir le roi lors des vistae, soit un total de 44 ou 46 hommes accompagnés de leur suite132. Ils doivent aussi les équiper en chevaux et en harnais. Seul un évêque, celui de Huesca, et le confesseur du roi, l’abbé de Santes Creus, Bonanat, figurent parmi les hommes convoqués133. Cette situation rappelle fortement celle des Cortes aragonaises de la période, dans laquelle les clercs ne sont apparemment représentés que de manière irrégulière et relativement sporadique, mais une étude approfondie sur les assemblées du règne de Jacques II fait défaut pour mesurer la pertinence d’un tel parallèle, d’autant plus que les clercs étaient, on l’a vu, très nombreux à Vilabertrán en 1295134.
46De cette comparaison entre plusieurs vistas, on retiendra en premier lieu l’importance proportionnellement accrue des hommes originaires d’Aragon par rapport aux rencontres de La Jonquera - Vilabertrán. Les Aragonais convoqués individuellement à Torrellas sont deux fois plus nombreux que les Catalans et les Valenciens réunis ; seules des villes et cités aragonaises semblent recevoir l’ordre d’envoyer des représentants aux vistae, les hommes de Barcelone étant convoqués à titre individuel. Trois facteurs principaux expliquent cette prépondérance. Les vistae se déroulent sur la frontière entre la Castille et l’Aragon et l’assistance des hommes du royaume aux vistas constitue pour le roi un témoignage direct du pouvoir qu’il exerce sur ce territoire. D’autre part, les problèmes traités aux vistae de Torrellas — règlement du conflit sur Murcie et du sort des infants de la Cerda — concernent de manière prioritaire les nobles aragonais touchés par les perturbations castillanes. Enfin, et peut-être surtout, le roi prend probablement à sa charge comme pour les rencontres de La Jonquera une partie des frais de déplacement des assistants, d’où une nette préférence pour les Aragonais qui ont moins de chemin à parcourir que des hommes qui doivent venir de Catalogne ou du royaume de Valence.
47Seconde variation, la plus remarquable sans doute aux yeux des contemporains : le nombre. Les hommes convoqués individuellement ou bien pour représenter les villes sont près de trois fois plus nombreux que pour les vistae de La Jonquera - Vilabertrán. Les rencontres de Torrellas subissent ensuite elles aussi un contretemps qui repousse leur célébration au début du mois d’août 1304, mais un tel report ne change rien à l’affaire, puisque les destinataires des convocations demeurent à quelques exceptions près les mêmes qu’auparavant135.
48Comme pour les ambassades dépêchées à l’étranger au nom du roi d’Aragon et pour les représentations sollicitées par le roi pour les Corts, le groupe des hommes convoqués subit d’une vista à l’autre des variations importantes136. Un dernier exemple le confirme. Pour les rencontres de Logroño qui doivent réunir Jacques II, Charles de Valois, Charles II d’Anjou, Sanche IV de Castille et Jacques II de Majorque, on recherche cette fois-ci une représentation égalitaire de l’ensemble des villes de la Couronne. Ce sont en effet « deux probi homines de bon discernement » que le roi d’Aragon ordonne à chaque ville de choisir… en suggérant parfois leur nom. Barcelone serait ainsi bien avisée de dépêcher Berenguer Mallol et G. Eimeric, car ils sont connus pour leur discernement, leur prévoyance et leur connaissance des affaires137 ! S’il s’agit bien à chaque fois pour le roi de disposer « en sa cour » (in curia nostra) d’une représentation nombreuse, brillante et diversifiée des états et des territoires de la Couronne, l’origine géographique, la pondération des différentes villes et la présence des prélats demeurent donc largement tributaires de l’importance assignée aux rencontres, du lieu de leur déroulement, de l’intérêt des participants et, probablement, de l’état des finances royales au moment de leur célébration. En dépit de ces variations non négligeables, la présence d’un nombre élevé de participants soigneusement choisis, de grands notamment, constitue un élément caractéristique de la majorité des rencontres royales durant le règne de Jacques II. Quelles significations accorder à ce phénomène ? Qu’attend-on d’une telle présence ?
LE RÔLE DES PARTICIPANTS
a) Défendre l’honneur et le prestige du roi
49Les convocations expédiées par la chancellerie demeurent peu disertes sur les mobiles profonds qui expliquent le rassemblement dans la cour du roi d’un nombre aussi considérable de personnes de haut rang. Les seules raisons invoquées, la volonté du roi ou la nécessité pour les individus concernés de le servir (ad servicium nostrum), demeurent générales et témoignent du fait que la possibilité de convoquer les hommes est considérée par le pouvoir royal comme une prérogative du prince, à l’égal des convocations adressées aux représentants des différents états pour la réunion des Corts138. Cependant, le résultat recherché, à savoir la mise à disposition en la cour du roi (in curia nostra) d’une représentation honorable des principales forces de la Couronne, indique que le pouvoir royal s’efforce à l’occasion des vistae de faire montre vis-à-vis du souverain étranger à la fois de l’ampleur de ses territoires et du contrôle qu’il exerce sur eux. Face à des rois qui viennent eux aussi accompagnés de suites nombreuses et brillantes, Jacques II doit en effet faire bonne figure139. Ce souci apparaît rarement de manière aussi explicite que dans les diverses versions des instructions remises à l’ambassadeur Vidal de Vilanova au début de l’année 1313140. Le conseiller du roi part en Avignon afin de requérir l’aide pontificale pour conquérir la Sardaigne, de négocier le sort des biens du Temple de la province d’Aragon et de plaider en faveur de la création d’un nouvel ordre militaire141. Selon l’argumentaire que Vidal doit développer devant le pape sur ces deux derniers points, la création d’un deuxième ordre militaire permettrait d’éviter un excès de pouvoir des Hospitaliers qui, si les biens templiers leur était remis, seraient susceptibles de mettre en péril l’autorité royale. De surcroît,
Outre les profits des bons services précédemment mentionnés, c’était grand honneur et grande beauté pour l’état du roi et de ses royaumes que d’avoir deux ordres religieux de chevalerie, aussi bien dans les Corts que dans les parlements généraux, autant dans les rencontres entre rois que dans les autres rassemblements des universitates des royaumes142.
50Vidal de Vilanova part finalement accompagné de Dalmau de Pontons et de Bernat Despont pour cette ambassade, d’où la rédaction de nouvelles instructions en latin qui traduisent et adaptent l’argument précédent en précisant que le grand honneur et ornement (magnus decor et honor) conféré par les deux Ordres était visible non seulement dans les Corts générales, les conseils et les rencontres des rois, mais aussi dans les ambassades que leurs membres accomplissaient et dans beaucoup d’autres actions profitables à l’honneur du roi et de l’ensemble du royaume143. Un préjudice serait dès lors porté au roi si le pape procédait à la fusion des deux Ordres (anciens Templiers et Hospitaliers), car il mettrait ainsi terme à une diversité qui soutenait l’honneur et le prestige du roi144.
51Même enchâssés dans un plaidoyer adressé au pape en faveur de la création d’un nouvel ordre militaire, de tels arguments révèlent nettement l’une des fonctions assignées par le pouvoir aux hommes convoqués aux rencontres. Considérées comme des assemblées des membres de la Couronne au même titre que les Corts générales, les vistae doivent fournir au roi l’occasion de démontrer dans l’honneur l’étendue de son pouvoir vis-à-vis du souverain étranger. La manifestation de sa puissance est alors rehaussée par la variété et le nombre des forces et des territoires représentés autour de lui.
b) Donner du relief à un événement public
52L’assistance de nombreux participants de haut rang contribue aussi à conférer aux vistae un réel caractère public, à en faire un événement susceptible d’avoir un écho et une portée plus importants qu’une entrevue entre les seuls souverains. En retournant dans leurs lieux de résidence respectifs, les assistants aux rencontres pourront diffuser la nouvelle de ce qui s’est passé. Les représentants des villes convoqués par Jacques II repartent ainsi à plusieurs reprises avec un document du roi certifiant qu’ils ont bien assisté aux rencontres. Les hommes de Palma de Majorque venus à Logroño en 1293 sont ainsi informés de ce qui a été traité dans les vistae, en particulier sur l’affaire de la paix145. L’attestation d’assistance aux vistae garantit donc aux villes qu’elles ont bien été représentées, constitue pour les représentants une certification du travail effectué, tandis qu’elle légitime leur récit des rencontres.
53Certaines instructions remises à des ambassadeurs en partance pour la curie éclairent la diffusion publique de la nouvelle des rencontres146. Bernat de Fonollar et l’évêque de Lérida Ponç doivent ainsi demander au pape en février 1309 son soutien dans la lutte engagée par les Castillans et les Catalans contre les musulmans de la Péninsule. Pour justifier cette requête, leurs instructions, rédigées sous la forme d’un discours direct adressé au pape, évoquent d’emblée les rencontres des rois d’Aragon et de Castille à Alcalá de Henares et au monastère de Huerta en décembre 1308 où sont conclus des accords préliminaires à une guerre contre Grenade147. Selon le document, en raison d’un risque de conflit avec les sarrasins (sarraceni), les deux rois se sont retrouvés là pour une vista et une discussion (colloqutione) aux confins de leurs royaumes, en présence de nombreux prélats et barons. Rassemblés derrière le concept unificateur d’Yspania, qui légitime la Reconquista contre les Maures et l’inscrit dans la longue durée historique, les deux rois se sont alors entendus pour lutter de nouveau contre Grenade, car l’état de leurs royaumes n’est pas totalement sûr et pacifié. Dans ce contexte, les nombreux prélats et barons présents servent à renforcer dans le discours lu au pape l’image d’une Yspania qui toute entière s’accorde pour lutter contre l’ennemi musulman ; leur assistance aux décisions prises par les souverains leur confère un surcroît de légitimité148. Permettant de démontrer au souverain étranger l’unité de la couronne d’Aragon derrière son roi, la présence des plus hauts dignitaires sert aussi à faire valoir à l’extérieur l’entente des deux souverains, à donner à l’événement et aux prises de décision un caractère public supplémentaire.
54Une telle publicité des rencontres comporte néanmoins des inconvénients. Les vistae marquées par la présence de cours nombreuses, voire innombrables, constituent en effet des événements prévisibles ou du moins reconnaissables et rendent difficile la protection des secrets. Le risque est alors grand de voir le contenu des tractations et l’état réel des relations entre les cours devenir la proie d’observateurs ou d’espions étrangers. Jacques II reçoit ainsi un rapport — malheureusement en très mauvais état — qui porte un jugement lapidaire sur les vistas de Badajoz entre les rois de Castille et du Portugal en avril 1303 « qui ne furent pas plus qu’un conte » (que non fue más que un cuento149). Dès lors, pour être le cas échéant tenues secrètes, les vistae doivent se dérouler en présence d’un nombre restreint de personnes. Le prétendant au royaume de Castille Alfonso de la Cerda l’exprime très clairement dans une sollicitation adressée au roi d’Aragon le 28 mars 1303. Implorant l’aide du souverain aragonais pour recouvrir ce qui lui revient et sortir de l’état de misère dans lequel il vit, Alfonso demande à Jacques II de se rendre à Calatayud avec peu de gens, comme s’il venait pour d’autres affaires à régler sur ses propres terres. Personne ne doit comprendre qu’il vient pour des vistas avec des Castillans, parce que les ennemis pourraient être mis au courant150.
55La valeur assignée aux rencontres par les contemporains qui y voient le lieu du dénouement possible de tout type de négociations et leur utilisation par le pouvoir royal comme événement public sont donc susceptibles d’entrer en contradiction, d’où la recherche de solutions originales qui permettent de conserver le secret sous les apparences de la rencontre fortuite entre grands. Afin de conclure au plus vite le mariage de sa fille Constanza avec l’infant Juan Manuel, le roi d’Aragon, qui vient d’obtenir du pape l’indispensable dispense matrimoniale, précise ainsi en janvier 1306 à son ambassadeur qu’il pourra, si l’infant oppose des difficultés, induire ce dernier à le rencontrer. Si Artal de Azlor, le représentant de Jacques II, voit que Juan réagit sur ce point de manière dilatoire (yva tirando e poniendo algunas dilaciones o excusaciones en este passo), il doit alors lui suggérer de la meilleure manière possible une rencontre personnelle avec Jacques II dans la zone frontalière de Valence, comme s’il venait à la chasse avec une petite compagnie. L’ambassadeur peut de surcroît étayer son discours par l’argument classique selon lequel des affaires d’une telle importance peuvent être réglées pour l’honneur et le profit (a honrra et a pro) de chacun à l’occasion de rencontres au sommet151. L’assistance d’une cour nombreuse, loin d’être impérative, est donc le fruit d’un choix délibéré de la part des protagonistes, celui de démontrer publiquement l’état de leurs relations.
c) Associer les sujets à la diplomatie du roi
56En ce cas, les sujets sont associés à des titres divers aux cérémonies et aux décisions prises lors des rencontres. Manifestant de façon ostentatoire au souverain étranger l’unité derrière le roi des différents états et pouvoirs de la Couronne, leur présence en nombre aux rencontres, ordonnée par le souverain et soutenue financièrement par le trésor, renforce la légitimité interne du roi d’Aragon par un acte unitaire, mais elle met aussi en exergue la nécessité pour celui-ci de compter alors avec les représentants des grandes forces du royaume. Cette dialectique, plus complexe que l’association légitimation/propagande souvent utilisée pour l’interprétation des cérémonies royales152, apparaît de manière particulièrement nette dans les rencontres royales marquées par la passassion de traités de paix, celles qui ont souvent laissé la documentation la plus abondante : Monteagudo-Soria en 1291, La Jonquera - Vilabertrán en 1295, Torrellas en 1304 et, enfin, la rencontre du monastère de La Huerta en décembre 1308. Les actes produits au cours de ces vistae révèlent en effet diverses modalités de participation à l’action diplomatique royale des hommes convoqués aux rencontres. Ici encore, le choix a été fait de privilégier l’étude du dossier le mieux documenté, celui des vistas de Torrellas, avant de mettre en perspective les résultats obtenus en les confrontant avec les indications moins denses réunies pour les autres rencontres royales.
57Au cours des vistas qui se déroulent entre le 1er et le 16 août 1304 à Torrellas, Ágreda et Tarazona, le champ d’intervention documentaire des participants paraît à première vue relativement restreint. De très nombreux actes — pouvoirs, concessions à des villes ou à des sujets, un traité de paix, d’alliance offensive et défensive sommaire entre les rois d’Aragon et de Castille, un accord formel sur une date pour l’accomplissement de la sentence arbitrale —, pourtant effectués devant notaire, ne comportent pas de signataires autres que les rois153. L’intervention documentaire des participants aux rencontres royales est en fait ciblée, graduée. Ils apparaissent dans les actes des deux sentences arbitrales prononcées le 8 août 1304 à Torrellas — celle relative au conflit entre Castille et Aragon sur le royaume de Murcie et celle censée régler les problèmes engendrés par les prétentions d’Alfonso de la Cerda —, dans les ratifications de ces sentences effectuées par Ferdinand IV et Jacques II et, enfin, au bas des actes de concorde et de paix passés entre ces deux rois, par lesquels ils acceptent l’arbitrage qui règle leur différend154. Les hommes présents aux rencontres royales n’interviennent donc que pour les documents les plus solennels, qui résolvent des conflits ou bien engagent une alliance. Ils témoignent, ils apposent leur sceau, offrent des garanties et prêtent serment ou hommage155. Les témoins sujets du roi d’Aragon (tableau 19, p. 443) sont, pour les rencontres de Torrellas comme pour celles de Vilabertrán, peu nombreux à être explicitement mentionnés. Il s’agit essentiellement d’évêques et de conseillers de Jacques II souvent déjà intervenus au préalable dans les affaires résolues par la promulgation de ces actes. Là encore cependant, les listes sont incomplètes, car de nombreux autres individus (muytos otros) sont présents ou bien, comme le précise de manière remarquable la ratification d’arbitrage effectuée par Ferdinand IV le 9 août, sont aussi présents « de très nombreux autres ricos hombres et des chevaliers et des hommes bons des royaumes de Castille, d’Aragon, de Portugal, et de Catalogne, arrivés là avec les rois susdits, leurs seigneurs »156. Mentionnés en filigrane dans les actes, les hommes convoqués par le roi d’Aragon, nobles et représentants des villes, de même que ceux qui accompagnent les autres souverains, servent donc à renforcer par leur présence la validité et la solennité des principaux actes promulgués par le roi et ratifiés par les conseillers.
58Les documents révèlent aussi le rôle plus actif des représentants des villes et surtout des nobles — les ricos hombres — convoqués aux vistas. Ils prêtent en effet fréquemment sur l’ordre de Jacques II hommage au souverain étranger de respecter les accords passés ou ratifiés entre les rois. La cérémonie peut avoir lieu directement durant les rencontres, comme c’est le cas à Tarazona le 12 août 1304 où huit nobles (cinq Aragonais, trois Catalans) font hommage au roi de Castille pour le respect des accords passés157, mais les protagonistes s’entendent parfois sur une prestation d’hommage postérieure aux rencontres. La sentence arbitrale du 8 août relative au règlement du conflit sur le royaume de Murcie précise ainsi que le roi de Castille Ferdinand IV doit promettre, pour lui et pour ceux qui viendront après lui, de faire respecter la sentence et qu’il fera jurer les richommes de Castille, les maîtres des ordres militaires et les représentants des villes de faire de même158. L’examen des documents conservés relatifs aux rencontres de Monteagudo-Soria et du monastère de la Huerta en 1308 confirme ces premières observations. Elles sont encore renforcées par la pratique de l’échange réciproque de châteaux, remis à 10 nobles de la partie adverse qui doivent prêter hommage de respecter les accords passés, le cas échéant contre leur propre seigneur naturel159. La prestation des serments, des hommages, et la remise des châteaux n’a pas nécessairement lieu lors des vistas, mais les nobles concernés y sont associés de manière explicite dans des documents pour lesquels l’engagement des seuls souverains ne constitue pas une garantie suffisante vis-à-vis du pouvoir étranger. Même s’ils ne peuvent assister dès le premier jour aux rencontres de Monteagudo-Soria, le 29 novembre 1291, les nobles convoqués devront néanmoins remettre des châteaux et prêter hommage postérieurement : l’engagement des rois en ce sens est pris d’emblée, en leur absence160.
59De même que les rencontres concernent plus des cours que les seuls rois, les accords conclus, à Monteagudo comme à Torrellas, ont donc aussi pour objectif d’engager derrière les souverains l’ensemble des communautés politiques rassemblées sur la frontière castillano-aragonaise, ce qui nécessite la participation active des assistants aux vistas. Alors qu’à la différence de ses prédécesseurs Jacques II évite depuis son accession au trône de soumettre aux Corts les faits de la paix et de la guerre, la convocation et la participation des nobles aragonais aux vistas montrent que le roi tente de mettre à profit l’événement pour resserrer les rangs derrière lui. Cet effort du pouvoir royal prend toute sa signification si l’on rappelle que durant les premières années de son règne, c’est-à-dire durant la période où se déroulent la plupart de ces rencontres, Jacques II met en œuvre une politique de pacification dans ses relations avec la noblesse aragonaise, qui s’est soulevée à plusieurs reprises en mettant en place un véritable contre-pouvoir, l’Union aragonaise161. Les rencontres royales constituent alors avec les Corts générales l’un des rares moments où le roi voit reconnaître la légitimité de son pouvoir devant une représentation de l’ensemble des états et des territoires de la Couronne. Les vistas présentent en outre par rapport aux autres assemblées générales de la Couronne l’avantage de forcer le consensus derrière le souverain, car s’opposer à Jacques II en présence d’un roi étranger constituerait alors un cas patent de trahison.
60Néanmoins, dans une dialectique subtile, le roi reconnaît aussi de facto lors des rencontres que l’approbation des grands et des représentants honorables des villes est nécessaire pour la passassion des actes qui engagent la destinée de la Couronne. Leur présence démontre vis-à-vis des étrangers l’unité derrière le roi, ils confortent la Couronne, mais rendent également manifeste l’état des rapports de pouvoir en son sein. Sans approbation de la communauté politique qui se réclame du principe de droit romain Quod omnes tangit ab omnibus debet approbari, le roi ne peut en effet déclarer la guerre juste ou faire la paix162. Mieux encore, les hommes présents aux rencontres royales utilisent aussi les vistas pour faire valoir leur point de vue auprès de leur souverain et leurs propres intérêts. Il peut s’agir pour les nobles de la défense de leur honneur, mais aussi de manière plus pragmatique pour chacun de faire entendre sa voix au monarque afin de peser sur les tractations menées avec les représentants étrangers. Ce phénomène apparaît de manière très nette lors des rencontres de Gérone entre les rois de Majorque et d’Aragon en novembre 1302, que les représentants des différentes villes de Catalogne engagées dans un conflit douanier avec le royaume baléare mettent à profit pour faire valoir directement à Jacques II leurs requêtes et leurs exigences163. Les consellers de Barcelone demandent au roi de poursuivre le rétablissement de la justice dans l’affaire de la leude majorquine et octroient des pleins pouvoirs à leurs représentants afin qu’ils puissent signer les accords passés entre Jacques II d’Aragon et Jacques II de Majorque. Autrement dit, la ratification d’un accord passé entre deux souverains ne démontre pas seulement la capacité du roi à imposer sa volonté dans ses propres territoires, elle témoigne aussi du fait que l’accord est obtenu parce que les pouvoirs urbains ont bien voulu y consentir au préalable. La logique vaut d’ailleurs aussi aux vistas de Gérone pour la partie majorquine. Ainsi qu’il l’explique dans une lettre adressée à son lieutenant sur l’île, le roi de Majorque a concédé à Jacques II lors des rencontres que la ville de Palma soit libérée de la prestation d’un serment, celui de ne pas séparer de la couronne d’Aragon le royaume de Majorque et les îles. Mais cette concession a été effectuée après qu’il en eut délibéré avec les représentants de l’universitas de la ville164.
61En somme, les rencontres royales servent à exalter la dignité du souverain dans un contexte de réaffirmation du pouvoir royal, elles engagent et consolident derrière le monarque une communauté politique marquée par l’hétérogénéité, voire l’opposition, et forment avec les Corts générales et dans une moindre mesure le conseil élargi du roi l’un des rares lieux où la couronne d’Aragon est physiquement et réellement visible. Cependant, et c’est en quelque sorte la contrepartie obligée d’un tel profit, les vistae constituent aussi un moment où les différents forces de la Couronne soulignent les limites du pouvoir du souverain et s’efforcent de le contrôler lorsque des négociations ont lieu. Le bénéfice est toutefois loin d’être négligeable pour Jacques II, car il peut utiliser les vistae comme un théâtre où il lui est loisible de faire montre de prérogatives qui ne peuvent que difficilement lui être disputées.
UN THÉÂTRE DE LA MUNIFICENCE ET DE LA GRÂCE ROYALES
62De même que les lettres et les ambassades offrent au monarque une occasion de voir reconnues par les sujets ses facultés de juge et de dispensateur de la grâce, les vistae, rencontres entre cours plutôt qu’entrevues entre les seuls rois, constituent en effet elles aussi un cadre de prédilection pour des souverains qui souhaitent affirmer certaines de leurs prérogatives. Rehaussées par la présence de cours nombreuses qui théâtralisent et rendent solennelle la passassion des accords, elles sont mises à profit par les souverains pour exercer leur faculté à disposer de la grâce et faire montre de leur munificence.
a) Un moment de grâce
63Les rois peuvent effectuer des concessions de gratia à tout moment, comme en témoignent les nombreuses mentions présentes à ce sujet dans les registres Curiae de la chancellerie royale165. En raison de la présence d’autres souverains, de la compétition qui se déroule alors pour et dans l’honneur, en raison aussi de la présence de personnages de haut rang issus des différents états et territoires de la Couronne, il semble néanmoins que les vistae forment un lieu privilégié pour l’exercice de cette prérogative. De manière récurrente, Jacques II agit ainsi ad preces et instanciam d’un souverain ou d’un grand personnage étranger pour effectuer une concession au bénéfice d’une tierce personne. Sur les prières et les demandes insistantes de la reine de Castille María de Molina, il octroie ainsi lors des vistas de Logroño à l’universitas des hommes de Molina (Castille) la possibilité de vendre du sel sur les terres aragonaises166. Les instances du souverain étranger sont aussi bénéfiques pour les sujets de Jacques II. Plus modestement, lors des vistas de Guadalajara en 1293, Sanche IV parvient ainsi à obtenir pour P. de Rege, un homme de la maison de Jacques II, une rente de 4 deniers de Jaca à Saragosse167. Ces intercessions suivent les mêmes principes que celles effectuées par voie de lettres ou d’ambassade, mais la présence physique du roi ou du personnage de haut rang leur confère un caractère d’immédiateté qui rend sans doute plus difficile un refus susceptible de mettre à mal les relations avec l’intercesseur.
b) Des cadeaux, toujours des cadeaux
64Moment privilégié pour l’exercice de la grâce, les vistae offrent également — sans que ces deux éléments des prérogatives royales soient totalement distincts — un lieu particulièrement idoine pour la démonstration de la munificence royale, aussi bien vis-à-vis des souverains étrangers que des suites et des propres sujets du roi. De même que pour les cadeaux effectués à l’occasion des ambassades, l’approche de ce phénomène est néanmoins rendue difficile par la nature des sources conservées, qui demeurent extrêmement discrètes sur le contexte de la donation effectuée et incitent donc à une certaine prudence dans l’interprétation168. La plupart des mentions retrouvées concernent des cadeaux du roi d’Aragon. Elles sont éparpillées dans des inventaires de la chambre royale, dans les registres du trésorier, ou bien encore dans les registres Solutionum des premières années du règne169. Ces documents offrent des indices intéressants, mais ils ne permettent cependant pas d’obtenir une vue d’ensemble des dons effectués à l’occasion des rencontres royales. Dès lors, il a semblé préférable de se concentrer une fois encore sur les rencontres de Torrellas, pour lesquelles sont conservées au moins deux listes de dons du roi d’Aragon. La première d’entre elles est une reconnaissance faite par Jacques II à son chambellan Arnau Messeguer pour des dons de joyaux auxquels il a été procédé sur son ordre lors des rencontres de Tarazona. Le document, rédigé le 17 août 1304 à Tarazona, fait d’après la chronologie établie par M. M. Costa référence aux rencontres de la veille entre les souverains aragonais, portugais et castillan170. La deuxième liste contient aussi des joyaux (joyes) remis aux rencontres avec les rois de Castille et du Portugal par le roi, mais le document n’est pas daté et, s’il se réfère sans aucun doute aux vistas de Torrellas, on ne peut l’assigner de manière certaine à un jour précis comme la première liste171. Il en diffère aussi par sa nature, puisqu’il est établi à l’usage du maître des comptes, le mestre racional, qui certifie la validité des cadeaux ainsi effectués en signifiant son accord (acceptació)172. Les deux listes comportent des cadeaux de nature différente : celle effectuée pour couvrir Arnau Messeguer recense exclusivement des pièces ouvragées, voire des objets uniques, alors que l’énumération approuvée par le mestre racional concerne essentiellement des pièces de drap et des vêtements. Une séparation aussi stricte, que l’on retrouve postérieurement dans un ordre de vérification donné par le mestre racional173, rend plausible l’hypothèse que ces listes concernent la même rencontre et, surtout, montre que les contemporains ont conscience que les joyes ou jocalia remises à l’occasion des vistae relèvent de deux catégories bien distinctes : les objets ouvragés uniques et les pièces grossières ou reproductibles.
65Ces listes fournissent de précieux renseignements non seulement sur la nature, mais aussi sur la diffusion, la hiérarchisation des cadeaux effectués lors des rencontres et le rôle qui leur est assigné. À Tarazona, des objets ouvragés de grande valeur sont remis aux souverains étrangers (Ferdinand IV de Castille et Denis du Portugal), aux reines et aux infants (Isabelle, Alfonso et une infante du côté portugais, la reine Constance, les infants Juan et Pedro du côté castillan) et, de manière secondaire, à un chevalier du roi portugais et à une dame de haut rang, Vatatza, qui accompagne le roi de Castille. Le souverain aragonais donne aussi ce même jour des cadeaux à des membres de sa propre famille (la reine Blanche d’Anjou, l’infant Alphonse), ainsi qu’à certains de ses proches serviteurs, son chapelain, son cavallericus et même son barbier (barbitonsor)174. Le champ de la munificence royale s’avère plus vaste encore si l’on prend en considération les dons recensés dans la deuxième liste de cadeaux. En effet, au lieu des 15 donataires mentionnés dans la reconnaissance royale faite à Arnau Messeguer, ce sont quelques 65 personnes dont les noms figurent pour la réception de cadeaux de Jacques II en général non ouvragés et d’une valeur moindre175. Les membres de la famille royale aragonaise et leurs serviteurs n’apparaissent plus ici, mais ceux des cours portugaise et castillane se font en revanche bien plus nombreux. Les rois et leur famille proche, mais aussi des évêques et des maîtres des Ordres portugais, des conseillers des souverains et de l’infant Juan de Castille, des officiers et des dames de cour du roi ou de la reine du Portugal, ou bien encore un jongleur castillan reçoivent un ou plusieurs cadeaux de Jacques II. Sa munificence s’exerce donc aussi bien en faveur du ou des roi(s) étranger(s), de leur(s) famille(s), de leurs conseillers et de leurs serviteurs, que de ses propres hommes ; elle œuvre à l’échelle de trois cours.
66Une réelle différenciation sociale dans les cadeaux remis aux membres des cours étrangères transparaît dans la liste des pièces moins précieuses (tableau 20, pp. 448-449). Les cadeaux remis aux souverains, à leurs familles, aux conseillers ou bien aux grands se distinguent très nettement de ceux destinés à des officiers ou à des dames de cour de rang inférieur. Pour ces derniers, le cadeau est en quelque sorte standardisé, un hanap d’argent et une paire de gants pour les officiers portugais, un hanap d’argent ou une coupe pour les dames de la chambre de la reine Isabelle ou d’autres de ses dames, ou bien encore une pièce de toile de Châlons de moindre qualité pour des officiers inférieurs du Portugais. À l’opposé, certains cadeaux sont réservés exclusivement aux souverains : seuls les rois de Castille et du Portugal reçoivent ainsi des boîtes de confits (caixes de confits), des douceurs sans doute particulièrement prisées. Même effectués en tenant compte du statut social des donataires, les cadeaux présentent des différences pour des individus de rang identique. Comme les autres évêques portugais, celui de Lisbonne reçoit ainsi une pièce de drap, mais ses deux pièces de sendat — une toile fine utilisée pour les vêtements — sont violettes et donc de meilleure qualité, ses deux paires de gants, au lieu d’être simples, sont de cervó (de cerf), et il se voit remettre en outre une coupe d’argent. Comme pour les cadeaux d’ambassade, mais sans que les sources comptables permettent ici d’aller plus avant, les cadeaux remis lors des rencontres royales servent donc fort probablement d’instrument de différenciation de l’expression de la faveur du souverain à l’encontre des membres des cours étrangères, une différenciation qui apparaît de manière plus nette encore si l’on considère la deuxième liste de présents effectués sur ordre du roi176. Dans celle-ci, chaque cadeau constitue en quelque sorte une pièce unique et la nécessité de le détailler précisément pour attester de sa sortie de la chambre du roi accentue encore ce phénomène. Le roi du Portugal se voit ainsi offrir cinq couteaux précieux minutieusement décrits, des pièces de tissu ouvragés, des bijoux, un jeu d’échec, du nacre, de l’argent, etc., alors que le roi de Castille reçoit pour sa part un peigne en marbre et un serre-tête en soie, avec des boutons d’argent doré177. Le caractère unique du cadeau remis exprime alors la nature unique de la relation du roi d’Aragon avec le donataire, il contribue à le distinguer de ce point de vue vis-à-vis des autres membres des cours étrangères présents aux rencontres.
67De même que les cadeaux donnés par les ambassadeurs aux souverains étrangers, les présents offerts par le roi aragonais à l’occasion des vistae reflètent donc la position sociale du donataire, mais ils ne répondent pas à un modèle figé et préétabli, leur choix laisse une marge de manœuvre réelle aux souverains. Peu explicites sur la façon dont les contemporains interprétaient ces cadeaux, les listes permettent néanmoins de préciser le contexte de la donation. Les objets précieux et ouvragés sont en effet remis lors des vistas de Tarazona, c’est-à-dire au moment où les rois se séparent le 16 août avant de repartir dans leurs terres respectives178. Leur don en une seule fois constitue une véritable démonstration d’éclat de la part du roi d’Aragon, un acte de munificence remarquable qui trouve sans doute sa contrepartie dans les dons effectués par les autres souverains à cette occasion, mais dont la trace n’a pu être retrouvée. Une assistance nombreuse et brillante, la confluence de cours étrangères qui rivalisent de faste, tout doit concourir à faire de la remise des cadeaux l’un des moments les plus mémorables des rencontres royales, transformées en théâtre d’exaltation de la qualité du roi munificent à l’égard de ses pairs étrangers, sous les regards des représentants de ses sujets. On comprend dès lors que ce théâtre de gloire en vienne à occuper une place importante dans les efforts de légitimation et d’apologétique déployés en faveur de la dynastie aragonaise. L’importance des vistas dans l’élaboration et la défense d’une position du roi au sein de la Couronne ne tient en effet pas seulement à l’accomplissement même de ces événements, mais aussi aux récits qui en sont faits, au premier rang desquels figure la Crònica de Ramon Muntaner.
c) Une vision des entrevues, Ramon Muntaner
68Pour de nombreux chroniqueurs également, les vistae ne se limitent pas au seul face-à-face entre souverains, mais constituent des rencontres entre deux ou plusieurs cours dont les rois sont les acteurs et héros principaux179. Ramon Muntaner octroie à ces événements une place de choix dans son propos sur la Maison d’Aragon. Le plus célèbre des chroniqueurs catalans, contemporain du règne de Jacques II, a rédigé son œuvre principale entre 1325 et 1328. Il a fréquenté de très nombreux souverains et assisté à plusieurs rencontres royales180. Il n’en mentionne pas moins de dix dans sa chronique, dont trois auxquelles Jacques II a personnellement participé181. Ses récits de vistes comportent fréquemment de longs développements qui fournissent autant d’arguments chargés de mieux démontrer son projet principal : l’unité, la grandeur et la richesse de la Maison d’Aragon favorisée par la Providence182. Prenons pour exemple la rencontre qui réunit en 1291 à Monteagudo et à Soria Jacques II et le roi de Castille Sanche IV afin de rétablir la paix. Après avoir rappelé que de multiples échanges de messagers ont été nécessaires pour s’accorder sur l’organisation de l’événement, Muntaner précise que les deux souverains s’efforcent d’y apparaître le plus honorablement possible183. Ici se trouve l’une des clefs de son interprétation des rencontres royales : elles servent fondamentalement aux souverains à mettre en regard, voire en compétition leur honneur respectif par la démonstration de leur qualité, de l’abondance de leurs hommes, de leur terres et de leurs biens. Dès lors, on comprend que le roi d’Aragon vienne avec une foule de gens, des nobles, des prélats, des chevaliers, des citoyens, et que Sanche IV de Castille soit pour sa part accompagné de la reine María de Molina, de son frère l’infant Juan et de nombreux autres richommes. Au centre de cours qui doivent les faire briller vis-à-vis du souverain étranger, les deux souverains rivalisent aussi de cortesía, en particulier dans les gestes symboliques de l’hospitalité. Jacques II, apprenant que la reine est à Soria, lui rend ainsi visite avant qu’elle ne vienne à Calatayud. À cette nouvelle, le roi de Castille sort à sa rencontre et effectue plus de quatre lieues pour l’accueillir « avec très grand honneur »184.
69Une telle émulation dans la démonstration de la valeur des rois est rendue possible par le respect de la réciprocité des honneurs rendus à chacun et trouve son aboutissement dans la fête, le mode de réunion privilégié par les protagonistes des vistes dans les récits de Ramon Muntaner. Lorsque le roi d’Aragon est, à Soria, l’hôte du souverain castillan, le séjour est ainsi identifié à une longue fête joyeuse (no s’hi féu mas festa e alegre). En contrepartie, après que les souverains se sont rendus ensemble à Calatayud en territoire aragonais, Jacques II réussit selon Ramon Muntaner à démontrer sa générosité, à faire preuve de la richesse de ses territoires et à répondre de manière satisfaisante à l’accueil qui lui avait été offert à Soria. Le roi fait distribuer de la nourriture à tout le monde, à tel point qu’il est impossible de la consommer intégralement et que ce moment d’abondance se traduirait au niveau économique par une baisse remarquable du prix des denrées, d’où l’émerveillement « de tous les Castillans, et Galiciens, et de très nombreuses autres gens qui s’y [trouvent] » (tots los castellans, e gallegos, e altres gents moltes que hi havia). La générosité débordante du roi d’Aragon, élément essentiel de l’éloge du roi munificent par Muntaner, s’inscrit aussi dans le cadre d’une hospitalité réciproque rendue ici possible par leur localisation en zone frontalière. Les souverains mangent un jour chez l’un, un jour chez l’autre, pendant une période de treize jours185. La fête continue est aussi pour Muntaner une cérémonie chevaleresque qui permet aux chevaliers des différents royaumes de mettre leur valeur à l’épreuve186. Au cours de la vista de Calatayud, l’amiral Roger de Llúria, « l’un des bons chevaliers du monde » (que dels bons cavallers del món era), se propose ainsi de combattre quiconque voudra bien jouter contre lui. Berenguer Arnau d’Algera, un autre vaillant chevalier, de la compagnie de Sanche IV, s’élance alors et est blessé dans le choc, si bien que le tournoi doit être arrêté par les deux rois qui craignent une dispute (per paor de brega). L’incident révèle l’équilibre recherché selon Muntaner dans les rencontres royales : une compétition de et dans l’honneur, garantie par le respect et la démonstration de l’égalité du rang des souverains et qui ne doit en aucun cas mettre en péril la concorde. La vista et les fêtes qui s’y déroulent doivent en effet servir à manifester publiquement la paix entre les souverains et le respect mutuel qu’ils se portent. Toute atteinte à cette démonstration — l’effusion de sang, la dispute — doit en être bannie, ce qui est parfois rendu difficile par l’inscription des fêtes dans une culture chevaleresque qui considère comme essentielles les valeurs du courage militaire.
70Les autres descriptions de vistes effectuées par Ramon Muntaner reprennent globalement le même schéma interprétatif, mais y ajoutent souvent un autre élément. Moment de fête entre les cours qui valorisent et soulignent l’honneur des rois, les rencontres sont aussi mises à profit pour régler les affaires (affers) entre les souverains. Cette pluralité de fonctions assignées aux rencontres royales par le chroniqueur correspond à la pratique réelle, mais apparaît peut-être le plus clairement dans son récit d’une vista imaginaire entre le roi Pierre III d’Aragon et Jacques II de Majorque, « inventée » (Ferran Soldevila187) pour justifier les attaques portées par le roi de Majorque au roi d’Aragon. Les deux frères se font fête, mangent ensemble à plusieurs reprises, s’invitent l’un l’autre alternativement puis, après avoir célébré ensemble une messe, se retirent tous deux dans une même chambre et traitent des affaires. Nul ne sait ce qu’ils se disent, mais on raconte selon Muntaner que Pierre III autoriserait alors son homologue majorquin à rejoindre les rangs français pour lutter contre lui188, ce que l’on peut considérer comme une acrobatie narrative visant à maintenir à tout prix l’unité de destin de la Maison d’Aragon dans la chronique.
71En somme, les vistes décrites par Muntaner sont des rencontres curiales marquées à la fois par la fête (festa) et le traitement des affaires (affers) les plus importantes concernant les deux royaumes, un moment où chacun peut démontrer à l’autre son honneur, sa générosité, pourvu que les principes de réciprocité et d’égalité des protagonistes demeurent respectés dans cette compétition pacifique. Comme dans la documentation pratique, les vistes sont ici aussi placées au sommet des rencontres diplomatiques, mais le trait est encore renforcé par le sujet et la perspective d’une chronique dont les rois de la Maison d’Aragon constituent l’un des thèmes principaux. En raison aussi de circonstances biographiques qui l’amènent à mieux connaître les premières rencontres royales de Jacques II, Ramon Muntaner ne retient ainsi du règne que les vistes les plus brillantes, qui démontrent l’accord avec les puissants souverains étrangers : Monteagudo-Soria en 1291 qui scelle la réconciliation avec la Castille, Vilabertrán en 1295 qui marque la ratification du traité d’Anagni et l’accord avec le roi Charles II et, enfin, Argelès avec le roi de Majorque en 1298, qui symbolise le rétablissement de relations cordiales entre les couronnes d’Aragon et de Majorque189. En revanche, les rencontres qui n’aboutissent pas, comme Guadalajara et Logroño en 1293, ou bien encore les rencontres secrètes qui pourraient révéler le double jeu diplomatique de Jacques II, telle La Jonquera en décembre 1293, sont passées sous silence. En fait, les vistes intégrées dans le récit de Muntaner forment des rencontres véritablement mémorables, des événements qui participent à l’élaboration d’une mémoire orientée et apologétique de la Maison d’Aragon, et c’est précisément cette fonction qui explique la focalisation du chroniqueur sur les rencontres qui mettent le mieux en valeur le(s) souverain(s) aragonais.
72Les rencontres royales sont donc des événements essentiels de la pratique diplomatique durant le règne de Jacques II, elles en constituent même l’apogée pour les contemporains qui y voient le lieu du dénouement possible mais risqué de négociations menées auparavant par lettres et par ambassadeurs interposés. C’est l’une des caractéristiques essentielles qui distinguent la diplomatie menée au nom du souverain aragonais de diplomaties non royales et des autres diplomaties médiévales étudiées pour le XVe siècle, au cours duquel la méfiance vis-à-vis de ce type de rencontres semble aller crescendo. Durant le règne de Jacques II, plutôt que d’éviter les vistae, les protagonistes tentent de réunir les conditions les plus favorables pour leur bon déroulement et conjurent les risques inhérents aux rencontres en s’efforçant d’y respecter et d’y démontrer autant que possible l’égalité entre les souverains. À la fréquence de la pratique fait alors écho l’importance souvent considérable des cours qui sont rassemblées pour les rencontres royales. Les entrevues de rois, lorsqu’elles ne sont pas secrètes, sont avant tout durant le règne de Jacques II des rencontres entre cours qui servent de théâtre à une compétition de prestige et d’honneur entre les souverains, mais elles participent aussi d’une dialectique complexe entre le pouvoir royal aragonais et les sujets de la Couronne. Alors que les ambassades sont apparues comme un lieu de reconnaissance de la grâce et de la faculté de justice royales, un facteur de collaboration obligée entre la monarchie et les pouvoirs qui ordinairement la soutiennent, les rencontres les plus importantes du règne mettent en présence Jacques II et l’ensemble de la communauté politique de la couronne d’Aragon. Plus encore que dans les ambassades, le roi a alors à sa disposition les moyens de mettre en évidence et de faire reconnaître certaines de ses prérogatives, l’exercice souverain de la grâce et de la justice toujours, mais aussi et, de manière spectaculaire, sa qualité de roi munificent. Ce faisant, les rencontres royales ne constituent plus comme les ambassades seulement une affaire confiée essentiellement à des spécialistes, elles servent aussi d’assemblées générales des membres de la couronne d’Aragon. Elles se réunissent bien plus fréquemment que ces dernières, mais avec tout autant d’irrégularité dans la composition de leurs membres. Le roi y obtient le consentement des sujets aux engagements essentiels qui sont pris pour la Couronne, mais la présence des grands et des représentants des différents états résulte fondamentalement des rapports de pouvoir dans la Couronne, chacun, représentant d’une ville, noble ou clerc, s’efforçant de tirer profit des rencontres pour peser sur les décisions finalement prises. De ce jeu complexe qui semble à première vue se solder par une somme nulle, c’est en fait la Couronne elle-même qui sort gagnante, car il s’agit de l’un des rares moments où peut être démontrée publiquement et rendue visible sa cohésion derrière le souverain. C’est un gain au moins symbolique qui est loin d’être négligeable pour un pouvoir royal devant faire face à des évolutions institutionnelles, juridiques et territoriales divergentes et à des oppositions internes souvent fortes. En somme, si la diplomatie ne constitue pas le « domaine réservé » d’un souverain qui a besoin de ses sujets pour la financer, pour s’informer, pour donner tout son relief aux rencontres avec les autres rois, les différentes facettes de l’action diplomatique offrent au roi autant de scènes remarquables où affirmer ses prérogatives, la garantie de la justice, l’exercice de la grâce, la démonstration de la munificence et, en dernier ressort, la manifestation physique de l’existence et de l’unité — de destin, dirait Muntaner — de la couronne d’Aragon derrière lui.
Notes de bas de page
1 Philippe de Commynes, Mémoires, pp. 138-139, qui développe ensuite un argumentaire opposé aux rencontres royales : « Et, pour conclusion, me semble que les grands princes ne se doivent jamais veoir s’ilz veulent demourer amys, comme ja l’ay dict. Et voicy les occasions qui y font les troubles : les serviteurs ne se pouvent tenir de parler des choses passées ; les ungs ou les aultres le prennent à despit. Il ne peult estre que les gens et le train de l’un ne soit myeulx acccoustré que celuy de l’aultre, dont s’engendrent des mocqueries, qui sont chouses qui merveilleusement desplaisent à ceulx qui sont mocqués. Et quant ce sont deux nations differantes, leur langaige et habillemens sont differans ; et ce qu’il plaist à l’ung ne plaist pas à l’autre. Des deux princes, l’ung a le personnaige plus honneste et plus agreable aux gens que l’autre, dont il a gloyre et prend plaisir qu’on le loue ; et ne se faict poinct sans blasmer l’autre. Les premiers jours qu’ilz se sont departis, tous ces bons comptes se disent en l’oreille, et bas ; et par acoustumance s’en parle en disnant et en souppent, et puys est rapporté des deux coustés, car peu de choses y a secrete en ce monde, par especial de celles qui sont dictes… » (ibid., p. 146).
2 Voir W. Kolb, Herrscherbegegnungen im Mittelalter, et, surtout, I. Voss, Herrschertreffen im frühen und hohen Mittelalter, tous deux essentiellement fondés sur l’Europe nord-occidentale.
3 J. Merceron, Le message et sa fiction, p. 42 ; P. Chaplais, English Diplomatic Practice in the Middle Ages, p. 76 ; A. Reitemeier, Aussenpolitik im Spätmittelalter, pp. 323, 482, qui met le phénomène en relation avec l’évolution générale des formes de communication politique. K.-H. Spiess, « Unterwegs zu einem fremden Ehemann », p. 28, force encore le trait, en affirmant « qu’il n’y avait pas au Moyen Âge de conférences internationales avec rencontre au sommet des têtes couronnées ».
4 Les rencontres royales sont hors-champ dans D. Queller, The Office of Ambassador.
5 P. Contamine, « Les rencontres au sommet dans la France du XVe siècle » [sur Louis XI] ; D. Berg, Deutschland und seine Nachbarn, p. 56 [sur les ducs de Bourgogne] ; K. van Eickels, Vom inszenierten Konsens zum systematisierten Konflikt, pp. 190-196 [analyse de la rencontre de Paris entre Louis IX et Richard III de Cornouailles] ; B. Weiler, « Knighting, Homage, and the Meaning of Ritual » [rencontres d’Henri III d’Angleterre avec Alphonse X de Castille et Alexandre III d’Écosse] ; N. Offenstadt, Faire la paix au Moyen Âge, en particulier pp. 149-226.
6 Ibid. ; K. van Eickels, Vom inszenierten Konsens zum systematisierten Konflikt. Voir aussi, désormais, G. Schwedler, Herrschertreffen des Spätmittelalters, dont il n’a pu être tenu compte dans les pages qui suivent.
7 Voir, de manière générale, J. M. Jover Zamora (dir.), La expansión peninsular y mediterránea, en particulier pp. xiii-lvi ; E. Pascua Echegaray, Guerra y pacto en el siglo xii, en particulier p. 50.
8 M. Á. Ochoa Brun, Historia de la diplomacia española, t. III, pp. 291-300.
9 J. M. Nieto Soria, Ceremonias de la realeza, p. 112 ; G. P. Marchal, « Fehltritt und Ritual ».
10 Sur Logroño, voir M. Gaibrois de Ballesteros, Historia del reinado de Sancho IV de Castilla, t. II, pp. 227-248. La bibliographie est abondante sur les rencontres de Torrellas, voir p. 13. La bibliographie relative aux autres rencontres royales sera indiquée lors de leur première mention.
11 Les rencontres royales au début du XIVe siècle sont importantes pour les Anjou de Naples : N. Jaspert, « Wort, Schrift und Bild », pp. 299-300.
12 W. Kolb, Herrscherbegegnungen im Mittelalter, pp. 8, 32 par exemple.
13 P. Contamine, « Les rencontres au sommet dans la France du XVe siècle ».
14 Le terme n’apparaît ni dans le dictionnaire de latin classique de F. Gaffiot ni dans celui de latin médiéval de J. F. Niermeyer. Par contre, on trouve une notice « vista » dans Du Cange, Glossarium mediae et infimae latinitatis, t. VI, col. 1653, où le terme est défini comme « colloquium, congressus, Gall. entrevuë », avec des exemples de la fin du XIIIe siècle.
15 En castillan, vista possède du XIIe à la fin du XVe siècle (au moins) le sens général de rassemblement de deux ou plusieurs individus à une fin déterminée (M. Alonso Pedraz, Diccionario medieval español, t. II, col. 4, p. 1627). Pour sa part, A. M. Alcover et F. de Moll, Diccionari català-valencià-balear, t. X, col. 4, p. 841 indique qu’en catalan l’un des sens de vista est l’action de se voir pour deux ou plusieurs personnes qui doivent traiter d’une affaire, l’entrevue. La notice précise et la documentation examinée confirment que le terme est souvent employé au pluriel. L’exemple le plus ancien est extrait du Llibre dels Feyts de Jacques Ier le Conquérant (1213-1276).
16 I. Voss, Herrschertreffen im frühen und hohen Mittelalter, p. 125. Sur l’importance du colloquium au Haut Moyen Âge, voir aussi G. Althoff, Spielregeln der Politik im Mittelalter, pp. 157-184.
17 « … Si qua vero sibi dubia forsitan emerserint in premissis super quibus nostrum voluerint expectare consensum, hoc nobis potuerint reservare donec nos ad invicem personaliter videamus, quod sicut et vos vestri gratia prout gentes nostre prefate nobis inter cetera retulerunt apetitis, sic et nos quamplurimum affectamus quam citius commode fieri poterit actore Domino personaliter vos videre tunc vobiscum super pluribus que in presentiarum tacemus personale colloquium habituri… » (ACA, C, CR de Jaume II, caixa 34, n° 4268 [19 février (1313), Paris]).
18 Nicolao Speciale, Historia Sicula, t. II, pp. 369, 374.
19 Pour les rencontres de Jacques II avec d’autres rois, voir infra. Les nombreuses entrevues de Jacques II avec l’infant Juan Manuel sont ainsi désignées régulièrement comme des vistas, aussi bien dans les échanges épistolaires entre princes que dans les registres du trésorier (par exemple pour l’année 1303 : ACA, C, reg. 334, f° 116r°[2] ; E. González Hurtebise, Libros de Tesorería, t. I, pp. 244-245, notices 1054-1055, etc.).
20 Par exemple entre les nobles Jaime, seigneur de Jérica, Pedro, seigneur d’Ayerbe et Pedro Fernández, seigneur de Híjar (ACA, C, CR de Jaume II, caixa 28, n° 3591 [22 juillet 1308 (s. l.)]).
21 ACA, C, CR de Jaume II, caixa 10, n° 1364 (16 avril 1301).
22 Par exemple — en tenant compte évidemment des limites d’une argumentation a silentio — la rencontre au sommet prévue en Navarre en 1294 entre Pierre Flote, connétable du roi de France, Ramon de Manresa, vice-chancelier de Jacques II et Bernat de Sarrià, son conseiller, n’est pas qualifiée de vista (ACA, C, reg. 252, f° 111r°). Exceptionnellement, Ot de Montcada désigne comme des vistes les rencontres prévues entre l’infant Philippe de Majorque et des ambassadeurs du roi (ACA, C, CR de Jaume II, caixa 150 (ES), n° 634 [28 mars 1326, Gérone]).
23 Liste des rencontres royales effectuées par Jacques II, voir annexe III (CD-ROM).
24 J. M. del Estal, Itinerario de Jaime II de Aragón.
25 V. Salavert y Roca, Cerdeña y la expansión mediterránea de la Corona de Aragón, t. II, doc. 24, pp. 32-34.
26 ACA, C, reg. 334, f° 5r°.
27 Sur l’itinérance des cours en péninsule Ibérique, voir R. Costa Gomes, The Making of a Court Society, chap. iv « Cort and space ».
28 Voir liste en annexe III (CD-ROM).
29 Sur cette rencontre entre Ferdinand IV de Castille et le roi portugais Denis, lors de laquelle est fixée de manière quasi définitive la frontière entre les deux royaumes, voir, parmi une abondante bibliographie, IV Jornadas Luso-Espanholas de História Medieval.
30 É. Lalou, « Les négociations diplomatiques avec l’Angleterre », pp. 346-347, 349-351 et la liste des « rencontres au sommet » p. 354.
31 L. Klüpfel, Die äussere Politik Alfonsos III. von Aragonien.
32 M. Á. Ochoa Brun, Historia de la diplomacia española, t. IV, pp. 127-133.
33 C. González Mínguez, Fernando IV.
34 Sur les trois premières rencontres, outre M. Gaibrois de Ballesteros, Historia del reinado de Sancho IV de Castilla, t. II, pp. 197-205 et 227-248, voir la reconstitution minutieuse d’A. Kiesewetter, Die Anfänge der Regierung König Karls II. von Anjou, pp. 200-298 ; sur les rencontres de Torrellas, voir bibliographie p. 13, n. 58 et 59.
35 J. Baucells i Reig, « L’expansió peninsular en la política de Jaume II ».
36 Sur la rencontre de Monteagudo-Soria, outre les ouvrages précédemment cités, voir Ch.-E. Dufourcq, L’Espagne catalane et le Maghrib, pp. 220-221 ; L. González Antón, Las uniones aragonesas, t. I, pp. 278-280 ; P. Guichard, « Avant Tordesillas » ; P. Gourdin, « Le “partage” du Maghreb entre l’Aragon et la Castille ». Sur la rencontre de 1308, voir Ch.-E. Dufourcq, L’Espagne catalane et le Maghrib, pp. 389-395 ; C. González Mínguez, Fernando IV, pp. 201-206.
37 A. Riera Melis, La Corona de Aragón y el reino de Mallorca, pp. 155-157, 165-166, 181-183, 210-213. Sur les rapports entre les rois de Majorque et d’Aragon, voir A. Lecoy de la Marche, Les relations politiques de la France avec le royaume de Majorque, t. I ; A. Santamaría, « Tensión Corona de Aragón - Corona de Mallorca ».
38 Reconstitution détaillée du processus : A. Kiesewetter, Die Anfänge der Regierung König Karls II. von Anjou, pp. 200-298. Sur le traité d’Anagni, V. Salavert y Roca, « El tratado de Anagni ».
39 ACA, C, reg. 252, f° 114r°[1].
40 Ibid., f° 114r°[2].
41 Ibid., f° 114r°[3].
42 V. Salavert y Roca, « El tratado de Anagni », doc. XXII-XXIV, pp. 319-323.
43 Sur le déroulement de cette rencontre, voir infra.
44 « … Si reges Fridericus et Robertus venerint ad presentiam domini pape, quod ipse similiter veniat et, si non venerint, set nuncios miserint, intendit a simili suos nuncios destinare. Et sive ipse dominus rex Aragonum venerit aut nuncios miserit, faciet quodcumque bonum poterit… » (F. Giunta et A. Giuffrida [éd.], Acta Siculo-Aragonensia, doc. CXI, pp. 155-159). Ce document important a été enregistré à la chancellerie royale (ACA, C, reg. 337, ffos 289v°-291r° [s. d., probablement janvier 1318, car il s’agit d’une réponse à des instructions données par Frédéric III à ses ambassadeurs — elles aussi enregistrées, et encadrées dans le registre de documents du 25 janvier et du 4 mars 1318 [ibid., ffos 289r°(2), 292r°(3)-v°]). Jacques II ne se rend pas à la curie, car, écrit-il au pape, les rois ont envoyé des ambassadeurs solennels, il fait donc de même (ibid., ffos 291v°[2]-292r° [10 juin 1318, Santes Creus]).
45 Même argument du roi pour justifier peu après une demande de décime pour six ans, qui doit, notamment, permettre de couvrir les frais d’un éventuel voyage à la curie pour y rencontrer les deux rois en tant que médiateur (ACA, C, reg. 337, ffos 283r°[2]-284v° [ca. 18 février 1318, Valence, instructions à l’ambassadeur Pere Boyl]).
46 D’après une lettre de Gilabert de Centelles à Robert d’Anjou (ibid., ffos 296r°[2]-297r° [21 avril 1316, Barcelone]).
47 « … Viemos vuestra carta en la qual nos enviases rogar que vos enviassemos al archidiagno de Taraçona ho a G[uillem] Palazín por cosas que aviades a librar con nos, las quales no nos podiades enviar dezir por mandadero ni por carta… » (ACA, C, reg. 242, f° 14r°[2] [10 octobre 1314, Lérida, lettre de Jacques II à Alfonso]).
48 Ibid.
49 « … Respondemos vos que nos pareçe que tan grandes fechos non fazen a faular por tal guisado, mas quando nos veremos ensemble, si lo Dios quisiere, podremos fablar d’aquesto e de las otras cosas que avemos de livrar en uno… » (ACA, C, reg. 335, f° 332r°[1] [11 septembre 1308, Valence]). Lettre identique à la reine Constance (ibid.).
50 « … No quiso otorgar diçiendo que tales cosas diriades vos cara a cara al rey que no las diriades a ningún mandadero… » (A. Giménez Soler, Don Juan Manuel, doc. CCXXII, p. 390 [18 avril 1311, Palencia, rapport au roi des ambassadeurs]).
51 V. Salavert y Roca, Cerdeña y la expansión mediterránea de la Corona de Aragón, t. II, doc. 24, pp. 31-32 (5 juillet 1297, château de Lort, lettre de Jacques II à Frédéric III).
52 Nicolao Speciale, Historia Sicula, t. II, pp. 369, 374.
53 « Quotiens duo viri discordes pro tractatu pacis ex proposito ad destinata loca conveniunt, acrioribus irarum stimulis agitantur, si non composita inter eos pace discedunt, duobus quidem ad propositos fines tendentibus, non mutato proposito, que causa, que ratio eos uniat, ignoramus » (ibid., p. 375).
54 Juan, fils d’Alphonse signifie ainsi à Jacques II qu’il a appris par le roi du Portugal la volonté des infants Enrique et Diego de Castille de voir le souverain aragonais. Cette vista ne lui semble pas bénéfique au profit et à l’honneur (pro et honra) de Jacques II. Il souhaite que d’autres vistas — non précisées — aient lieu auparavant (ACA, C, CR de Jaime II, caixa 15, n° 1928 [6 avril 1303, Badajoz]). De même, le noble Juan Manuel demande au roi de ne pas avoir de vista avec le noble Juan Núñez, cela signifierait s’opposer à lui (J. M. del Estal, Corpus documental del reino de Murcia, t. I(2), doc. 254, p. 226 [31 mai 1303, Zafra de Záncara]).
55 Par exemple ACA, C, reg. 334, f° 115r°-v° (4 mai 1303, Valence, lettre de Jacques II à don Enrique).
56 J. Reglá Campistol, La lucha por el Valle de Arán, t. I, pp. 90-110 ; G. Daumet, Mémoire sur les relations de la France et de la Castille de 1255 à 1320.
57 ACA, C, reg. 334, ffos 93r°-96r°, éd. partielle H. Finke, Acta Aragonensia, t. I, doc. 86, pp. 123-125 ; V. Salavert y Roca, Cerdeña y la expansión mediterránea de la Corona de Aragón, t. II, doc. 41, p. 50.
58 « … Et quia super huiusmodi prosequcione negocii quod tam altas et sublimes personas contingit multa erant et sunt ipsius expeditioni utilia, quae non poterant faciliter scripto comiti aut nunciis comoditer demandari, fuit comissum per regem Aragonie nunciis supradictis, ut exponerent regi Ffrancie quod, si sue voluntatis beneplacito cederet, alias quod sibi grata existerent, quae sibi super dicto negocio memorati nuncii exponebant et si eidem regi Ffrancie videretur expediens, regi Aragonie satis placeret, ut se viderent ad invicem et tunc invenirent plures vias et modos vales et opportunos negocio memorato… » (ACA, C, reg. 334, f° 93r° ; les documents relatifs à cette mission se trouvent rassemblés dans ibid., ffos 49r°-50v°).
59 Ibid., ffos 93v°-94r°.
60 « … Memoratus rex Ffrancie se satis admirari dicebat quia super tractatu […] de certis nunciis seu personis apud Narbonam pro personali vista inter dictos reges Aragonie et Ffrancie tractanda vel ordinanda mitendis nullum a rege Aragonie, sicut expectabat et condictum fuerat, responsum haberat rex Ffrancorum… » (ibid., f° 94v°).
61 Ibid.
62 Ibid., f° 95r°, la lettre de créance et les instructions émises pour Denis par Philippe le Bel le 11 août 1302 sont enregistrées dans le même volume [ibid., f° 79r°, éd. partielle H. Finke, Acta Aragonensia, t. I, doc. 83, pp. 119-121]).
63 « … Dominus rex Aragonum, licet satis admiraretur, quod rex Ffrancie volebat utriusque nuncios primitus convenire debere pro sciendis et ordinandis causis quare vista habenda est, cum iam causas viste misissit eidem per archipresbiterum supradictum, tamen respondit modo simili quo responderat per litteras missas per Reginaldum predictum, rogans videlicet regem Ffrancie, ut, si sibi placeret vista et causa viste pro qua principaliter erat habenda, quod sibi locum et diem significare curaret… » (ACA, C, reg. 334, f° 95r°, les instructions suivent ici le texte d’une lettre de Jacques II à Philippe le Bel, datée du 18 septembre 1302 [ibid., f° 80r°-v°, éd. partielle H. Finke, Acta Aragonensia, t. I, p. 121]).
64 « … Licet satis crederet quod ex quo medio tempore rex Castelle accesserat ad regem Ffrancie pro cuius negocio dicta vista erat habenda. Iidem reges Ffrancie et Castelle convenirent inter se de viis et modis auxilii impedendi negocio ipsius regis Castelle. Et quod si videretur eisdem quod presentia dicti regis Aragonum utile vel necessaria foret, per eos significaretur eidem. Credit enim rex Aragonum quod si rex Ffrancie presavuisset adventum dicti regis Castelle, ut premissum est, accedentis ad ipsum vel vos non mississet vel supersedisset donec super dicto negocio tractasset et deliberasset plenius cum eodem, etc. » (ACA, C, reg. 334, f° 95r°, la lettre du roi de France ici résumée date du 28 octobre 1302 [ibid., f° 80v°(2)] et la réponse de Jacques II du 19 novembre 1302 [ibid., f° 80v°(3)]).
65 Ibid., f° 95v°.
66 Ibid., ffos 95v°-96r°.
67 Ibid., f° 96v° ; H. Finke, Acta Aragonensia, t. I, doc. 91, pp. 136-137 ; ACA, C, CR de Jaume II, caixa 15, nos 1994, 1997, où il apparaît que Jacques II s’offre comme médiateur dans le conflit qui oppose Philippe le Bel au pape Boniface VIII.
68 « … Avemos sabido por cierto que tractamiento ha estado del rey don Ferrando quel noble don Johan fijo del infante don Manuel se vea con él e an empreso que en la vista sea el dito don Johan preso o muerto. Ond vos mandamos expresamente que cuytadament lo fagades saber esto al dito noble don Johan on que sea que se guarde de aver vistas con el dito rey don Ferrando o con otros de su part. Et çi por ventura la vista se deve fazer, ques guarde muy bien don Johan, que no se meta en poder del dito rey don Ferrando ni de ninguno de los suyos, ni en lugar que sobreries le pudiesen seer ni echar mano desus e que lo faga con gran seguridad suya, si tanto era que la vista no [-] saber quel dito rey don Ferrando e los que son de su parte no an la vista tractada por otra cosa, sino por prender o matar al dito don Johan o echarle en mal lugar » (A. Giménez Soler, Don Juan Manuel, doc. LXXXIV, p. 292 [19 octobre 1303]).
69 Pour Logroño (1293), voir M. Gaibrois de Ballesteros, Historia del reinado de Sancho IV de Castilla, t. II, pp. 231-249 ; pour Torrellas (1304), M. M. Costa, « Los reyes de Portugal en la frontera castellano-aragonesa », et la bibliographie citée p. 13. Voir aussi infra les mesures spécifiques prises pour la rencontre de La Jonquera en 1293.
70 En pleine guerre, Jacques II octroie ainsi des sauf-conduits à des nobles castillans, les infants Enrique et Juan Manuel, Diego López de Haro, ainsi que pour leurs chevaliers et autres membres de leur suite, afin qu’ils puissent avoir une vista avec lui (ACA, C, reg. 252, f° 236v°[3] [18 mars 1300, Saragosse]).
71 Les trêves préliminaires s’avèrent parfois difficiles à obtenir, par exemple lors de la préparation de Logroño en 1293 (ACA, C, reg. 96, f° 31r°[1]), ou bien en 1295 pour les rencontres de La Jonquera (ACA, C, reg. 97, f° 194r°-v°).
72 ACA, C, reg. 334, f° 47v°[1].
73 ACA, C, CR de Jaume II, caixa 14, n° 1811.
74 BNM, ms. n° 18635 [23] (12 août 1307, Alcañiz, lettre du maître de Calatrava à Jacques II).
75 ACA, C, reg. 335, ffos 323 v°[2]-324r° (21 septembre 1307, Saragosse).
76 « … Intelleximus quod vestre voluntatis erat, ut festivitate paschatis teneretis Gerunde. Et cum p[ro]posueritis esse nobiscum festo ramis palmarum, si festo paschatis tam proximo non essetis nobiscum, non videretur decens nec expediens vobis et nobis. Quare placeat vestre excellencie nobiscum festivitates paschatis celebrare, haec autem vestre exc[ellenci]e significare curavimus, ut ordinare dignemini super vestris negociis, taliter quod postulata per nos suum obtatum sortiantur effectum… » (ACA, C, CR de Jaume II, caixa 18, n° 2374 [copie] [26 mars 1306, Perpignan]).
77 Sur la liturgie de la paix, voir N. Offenstadt, Faire la paix au Moyen Âge, pp. 165-185.
78 Bibliographie générale relative à cette rencontre, voir p. 13.
79 À. Masià de Ros, Relación castellano-aragonesa, t. II, doc. 58/170 [2], p. 86 (30 décembre 1303, Valence, lettre de Jacques II à sa sœur Isabelle, épouse du roi Denis).
80 J. Zurita, Anales, t. V, 56, p. 667). C’est la seule référence mentionnée à ce sujet par C. González Mínguez, Fernando IV, p. 128, n. 7, par À. Masià de Ros, Relación castellano-aragonesa, t. I, p. 115, n. 184. Les textes indiqués par À. Masià de Ros, ibid., t. I, p. 115, n. 181 ne précisent pas le lieu des rencontres.
81 « … En rrasón de las vistas del rey mi ssobrino e vuestras, yo ffablélo con él, él acordó e tiene por bien que ssean en Agreda et en Taraçona, e yo veme para el rey de Portugal, assí commo vos lo enbió desir et en como lo el acordar ffaser vos lo he luego ssaber… » (ACA, C, CR de Jaume II, caixa 17, n° 2215 [2 mai 1304, Roa, lettre de l’infant Juan à Jacques II]).
82 « … Por que el rey de Portogal sse pueda veer con él lo mas ayna que pudier sser, quel dise que en aquel logar do es puesto la vista que es viene de la ssu terra de ssu sseniorio e que avie mester que ffuesse ende más çerca, e la reyna de Portogal mi cormana e yo ssomos con los portogalesses en muy grand coyta sobresto e acordamos de enbiar alá al rey sobrello a Martín Péres criado de la reyna […] E que ffabledes con el rey e que guissedes por que entre en Castiella contra acá, por que ssea la vista con el rey de Portogal lo mas ayna que podier sser, e tomad y trabarad quanto vos podiessedes en guisa por que lo que yo he logrado et los míos caminos non ssean de balde… » (ACA, C, CR de Jaume II, caixa 17, n° 2256 [10 juin 1304, Viseu] éd. A. Giménez Soler, Don Juan Manuel, doc. XCIX [II] (sans cote ni date), pp. 303-304 [corrigé d’après original]).
83 Ces informations ressortent d’une lettre adressée par Jacques II à l’infant Juan : « … avedes acordado que les vistes fuessen en tales partes de Verdero, que en aquélles feziessemos apparellar viandes. E nos, cormano, sabedes que aquella partida es desconvinente siquier a vos siquier a nos ni y a lugares do grandes gentes pudiessen caber e la tierra fuerra estranha como sabedes e muy caliente por que a nos semeiaría, si al rey don Fferrando e al rey de Portogal e a vos parece, que los más convinentes logares por a les vistas son aquestes : que vosotros fuessedes en les partides d’Agreda e nos en les de Taraçona e, ssegunt que ya lo avíamos faulado con vos, o que vosotros fuessedes en les partides de Molina, e nos en les de Darocha. Ca, siquier de vuestra part, siquier de la nuestra, he muchos lugares buenos e cerca los unos de los otros, e buenes villes de cada part por a aver viandes e albergar e les otres coses que mester seerán por aquéllos que a les vistes seremos. E assí rogamos vos que nos fagades luego saber en cierto quál d’estes dos partides vos plazerá mes, que no trobamos que otro logar hi aya convinent por a les vistes como muchas gentes se deven de la vuestra part e de lo otra aplegar… » (ACA, C, reg. 235, f° 90r°[2]-v° [15 juin 1304, Saragosse]). La nouvelle est notifiée le 16 juin à Alfonso de la Cerda (ibid., f° 92r°[1]).
84 ACA, C, CR de Jaume II, caixa 17, n° 2246, éd. A. Giménez Soler, Don Juan Manuel, doc. CII, pp. 305-306 (sans date ni cote d’archives).
85 Lettre de Jacques II à son conseiller Gonzalo García et à l’infant Juan pro negocio vistarum (ACA, C, reg. 235, f° 112r°[4]-v° [13 juillet 1304, Saragosse]).
86 Liste des rencontres royales en annexe III (CD-ROM).
87 I. Voss, Herrschertreffen im frühen und hohen Mittelalter, pp. 65-87 et passim.
88 D’après l’ordre de Jacques II au portier Berenguer de Massanet de l’accompagner à la frontière (ACA, C, reg. 96, f° 82r°[4] [17 octobre 1293, Barcelone]).
89 D’après une lettre de créance et des sauf-conduits datés du 14 novembre 1293, Barcelone (ACA, C, reg. 252, f° 72r°[1] ; reg. 96, ffos 83v°[1], 119r°[4]).
90 D’après leurs lettres de créance et de sauf-conduit (ACA, C, reg. 252, f° 72r°[3]-[4], 72v° [19 novembre 1293, Barcelone]).
91 V. Salavert y Roca, « El tratado de Anagni », doc. I, pp. 279-284.
92 « … Inter magnificum principem dominum Jacobum, regem Aragonum nominatum, consanguineum nostrum carissimum, ex una parte, et nos, ex altera, super comunibus suis et nostris pacis negociis per utriusque nostrum multiplices nuncios hinc inde transmissos, diversis tractatibus previis examinatis et habitis, tandem, de ipsius regis Jacobi et nostra spontanea voluntate communiter conventum est et unanimiter concordatum, ut in podio quod dicitur de La Talaya, quod est ante Joncheriam, vistas habere et facere ac convenire pariter debeamus ad colloquendum simul et deliberandum super negociis supradictis, ut per visionem presentaneam et collocutionem facie ad faciem faciendam predicta negocia melius et efficacius procedere valeant et celeriter terminentur… » (ibid., pp. 279-280).
93 Ibid., pp. 280-281.
94 Ce texte, non daté, est enregistré entre l’accréditation expédiée pour Guillem Llull le 14 novembre et celle produite pour Berenguer de Bellvitge et Guillem Durfort le 19 novembre 1293 : « Primo quod viste noviter celebrande fiant et celebrantur in loco ubi iam inter ilustros dominos reges Karolum et regem Alfonsum memorie recolende viste celebrate fuerunt. Item quod illustris dominus rex Jacobus ibit ad ipsarum vistarum celebrationem cum XII consiliariis suis qui sibi ascent et cum decem equibitus qui cum equis et ensibus et cultellis, tamen sine aliis armis, discurrerant discoperiant et perquirant loca que sunt circum circa locum predictum in quo viste predicte celebrari debent, et specialiter partes illas ex quibus veniet rex Karolus supradictus. Et asimili idem rex Karolus veniat cum XII consiliariis qui sibi ascent et cum X militibus cum equis et ensibus et cultellis, tamen sine aliis armis discurrerant discoperiant et perquirant loca que sunt circum circa locum predictum, in quo viste predicte celebrari debent, et specialiter partes illas ex quibus veniet rex Karolus supradictus » (ACA, C, reg. 252, f° 72r°[2]).
95 W. Kolb, Herrscherbegegnungen im Mittelalter pour la période antérieure au XIIIe siècle ; N. Offenstadt, Faire la paix au Moyen Âge, pp. 185-226, pour la guerre de Cent Ans.
96 V. Salavert y Roca, « El tratado de Anagni », doc. I, pp. 280-281.
97 Les lettres patentes par lesquelles Alphonse III et Charles II octroient un sauf-conduit à leur adversaire, jurent de respecter l’ordinatio vistarum et s’engagent aussi à faire régner la trêve sont expédiées immédiatement avant la rencontre. Celle d’Alphonse est datée du 6 avril 1291 à Figueras, et celle de Charles II du 7 avril à Bellegarde (ACA, C, reg. 73, ffos 98v°-100r° et ACA, C, P de Alfons II, carp. 127, n° 420). Sur cette affaire, voir A. Kiesewetter, Die Anfänge der Regierung König Karls II. von Anjou, pp. 84-85.
98 Nicolao Speciale, Historia Sicula, VI, X, p. 449. Sur le traité de Caltabellotta, voir M. Grana, « Il trattato di Caltabellotta ».
99 P. Contamine, « Les rencontres au sommet dans la France du XVe siècle », qui rapporte notamment que la rencontre de Louis XI avec le duc de Guyenne Charles en 1469 rassemble les deux puissants accompagnés chacun de 12 hommes sans épée et sans dague.
100 Sur les batailles en champ clos, les duels, voir notamment les travaux classiques de G. Duby, Le dimanche de Bouvines ; Id., Guillaume le Maréchal. Le nombre de 100 chevaliers retenu pour accompagner le roi Charles II à Caltabellotta s’avère chez Niccolò Speciale identique à celui évoqué pour les accompagnateurs du même roi qui devaient aller contre Pierre III d’Aragon dans le duel de Bordeaux en 1283 (Nicolao Speciale, Historia Sicula, t. I, XXV, p. 321).
101 I. Voss, Herrschertreffen im frühen und hohen Mittelalter, pp. 132-133.
102 W. Kolb, Herrscherbegegnungen im Mittelalter, pp. 35-50.
103 M. Gaibrois de Ballesteros, Historia del reinado de Sancho IV de Castilla, t. II, pp. 235-236.
104 M. M. Costa, « Los reyes de Portugal en la frontera castellano-aragonesa », p. 41.
105 A. Kiesewetter, « Das Itinerar König Karls II. von Anjou ». Le lieu de résidence du roi peut néanmoins être déduit des actes publiés par V. Salavert y Roca, « El tratado de Anagni », doc. XXVI-XXVII, pp. 324-329.
106 V. Salavert y Roca, « El tratado de Anagni », doc. XXVI-XXVII, pp. 324-329.
107 Ibid., doc. XXXII-XXXIII, pp. 337-339.
108 Ibid., doc. XXVIII-XXXI, pp. 330-336.
109 Ibid., doc. XXXIV-XXXV, pp. 339-342.
110 Ibid., doc. XXXVI-XXXVII, pp. 343-348.
111 Ibid., doc. XXXVIII-XLI, pp. 348-354.
112 Ibid., doc. XLII-XLIV, pp. 354-356.
113 Ibid., doc. XXVIII-XXXI, pp. 330-336, doc. XXXIX-XL, pp. 350-352, doc. XLII-XLIII, pp. 354-356.
114 Ibid., doc. XXXII-XXXIII, pp. 336-339, doc. XLI, pp. 352-354.
115 Ibid., doc. XXVI-XXVII, pp. 324-329, doc. XXXIV-XXXVIII, pp. 339-350.
116 Ibid., doc. XXXIV, p. 340, doc. XXXV, p. 342, doc. XXXVIII, p. 350.
117 Dans les 7 actes pris en considération, Bernat de Sarrià et Berenguer de Vilaragut apparaissent à six reprises comme témoins ou prestataires de serment, Ramon de Manresa et Pere Sacosta cinq fois, Guillem Durfort trois fois, tandis que Jaume de Benagna, Bernat Guillem de Pinelles et Ramon de Tovilà apposent leur sceau à deux reprises. L’infant Pedro, frère de Jacques II, est le seul personnage figurant sur ces listes de témoins ou de prestataires d’hommages qui ne soit pas conseiller ou familier du roi.
118 V. Salavert y Roca, « El tratado de Anagni » ; ACA, C, reg. 252, ffos 114r°[2] (22 août 1295, Barcelone, lettre de créance émise par Jacques II) et 119r° (5 octobre 1295, Barcelone, lettre de créance émise par Jacques II).
119 Les conseillers de Charles II Guillaume de Villaret (prieur de Saint-Gil) et Barthélemy de Capoue (protonotaire de Sicile, maître des comptes du royaume) sont testataires à six reprises dans les documents conclus avec le roi d’Aragon, alors qu’Americo de Sus, conseiller et familier de Charles II, intervient pour sa part cinq fois. La majorité des autres testataires, comme Enric Gerart, Taffuro de Capua ou le sénéchal de Provence et de Forcalquier, sont soit conseillers du roi soit exercent de hautes fonctions dans l’administration angevine.
120 ACA, C, reg. 2408, f° 28v°, cité par C. López Rodríguez, « El Archivo Real de Barcelona », p. 50, n. 63.
121 La réponse de l’archiviste n’est pas consignée dans le registre 2408 de l’ACA précédemment cité et n’apparaît pas non plus dans le carton qui rassemble de nombreuses réponses des archivistes aux demandes royales pendant la période (ACA, Història del Arxiu, caixa II). Les listes de convocations pour ces « mutuas visiones » sont enregistrées dans ACA, C, reg. 2408, ffos 53r°-v° et 56r°-63v°. Sur les rencontres de Perpignan, voir W. Brandmüller, Das Konzil von Konstanz, pp. 22-29.
122 La convocation au comte d’Empúries est caractéristique : « Viro nobili ac dilecto comiti Empuriarum, salutem et dilectionem. Cum pro confirmatione et refformatione tractatus pacis habiti et firmati inter sacrosanctam Romanam Ecclesiam et illustres regem Francie et regem Karolum ac alios adversarios nostros ex una parte et nos ex alia debeamus habere vistas cum predicto rege Karolo et quodam cardinali a summo pontifice delegato et in ipsis vos nobiscum esse ordinaverimus. Requirimus et rogamus vos quatinus ducentes in comitiva vestra quinque milites octava die proximi introitus menssis augusti sitis nobiscum Gerunde vel ubicumque fuerimus in illis partibus constituti cum quinque militibus supradictis. Datum… » (ACA, C, reg. 101, f° 252r° [18 juillet 1295, Mora]). Autres convocations — sous forme détaillée ou d’après une formule circulaire : ibid.
123 ACA, C, reg. 101, f° 252r° ; reg. 102, f° 25v°.
124 ACA, C, reg. 101, f° 252r°.
125 ACA, C, reg. 102, f° 25v°.
126 Jacques II demande ainsi le 16 septembre 1295 aux veguers de Cervera et de Lérida de suspendre les procédures engagées à l’encontre du comte d’Urgell, car il se trouve à sa cour (in curia nostra) où il a été convoqué pour les vistae (ACA, C, reg. 102, f° 10v°[2]-[3] [16 septembre 1295, Gérone]).
127 Ibid., f° 25v°[3].
128 M. M. Costa, « Los reyes de Portugal en la frontera castellano-aragonesa », pp. 40-41.
129 « … Cum nos pro pacifico et tranquillo ac prospero statu, tam regni Aragonie quam aliorum regnorum et terrarum nostrarum, vistas super negocio guerre, que duravit diutius inter regna Aragonie et Castelle, simus in proximo habituri, in quibus quidem propter plurium illustrium et nobilium aliarumque personarum multitudinem, que in ipsis convenient, victualia habebimus necessaria in maxima quantitate… » (J. Vincke [éd.], Documenta selecta, doc. 103, p. 58 [18 mai 1304, Saragosse]).
130 ACA, C, reg. 235, ffos 90v°[4]-91r° (15 juin 1304, Saragosse).
131 « … Cumque velimus vos ad servicium nostrum in vistis predictis personaliter adesse, vobis dicimus et mandamus quatenus cum comitiva decenti, cum equis vestris escutis et capellis ferreis et alio arnesio pro vistis tam insignibus apto… » (ibid, f° 90r°).
132 « … Fidelibus suis juratis, probis hominibus et universitati civitatis Cesarauguste, etc. Significamus vobis nos de partibus Castelle et Portugalie certum habuisse arditum quod viste erint in introitu mensis iulii proximo venientis. Cumque velimus et ordinaverimus aliquos ex vobis pro universitate predicta ad servicium nostrum in vistis predictis personaliter adesse, ideo vobis dicimus et mandamus quatenus, visis presentibus, eligatis pro vobis decem aut duodecim probis viros ad hoc ydoneos et suficientes, quos convenienter paratos equis et arnesiis pro vistis tan insignibus aptis in curia nostra ubicumque fuerimus faciatis adesse prima septimana predicti mensis iulii nunc instanti […] Osce. VI. Calatayubii.X. Daroce.VIII. Turoli.VI. Tirasone.IIII. » (ibid., f° 91v°[1] [15 juin 1304, Saragosse]).
133 Ibid., f° 91v°[2] (15 juin 1304, Saragosse).
134 Sur la participation des clercs aux Cortes aragonaises et leur incorporation « un peu tardive et incomplète à la vie politique en Aragon », voir L. González Antón, « Las cortes aragonesas en el reinado de Jaime II », p. 657.
135 Ils figurent sous la rubrique Iterata vocatio Cathalanis et Aragonensis pro vistis ut veniant incontinenti, suivi d’une convocation-modèle, puis d’une liste de noms (ACA, C, reg. 235, ffos 93v° sq. [1er juillet 1304, Saragosse]). L’évêque de Huesca, peut-être déjà présent auprès du roi, n’apparaît plus ; la distinction entre nobles et non-nobles est plus claire pour les Catalans ; Galceran de Angularia et Ponç de Ripoll ont disparu ; deux citoyens de Lérida font leur entrée (ibid., ffos 93v°-94r°). Les villes reçoivent l’ordre d’envoyer le même nombre de représentants (ibid., f° 94v°[1]). Quelques individus supplémentaires sont convoqués : le noble Artal de Luna, qui doit venir avec la plus grande suite possible, le justicia de Tahust Miguel Pérez de Saragosse (ibid., f° 94v°[2]-[3]), le visiteur du Temple en Espagne Berenguer de Cardona (ibid., f° 104v°[1]) et un certain R. de Urgo (ibid., f° 104v°[3]). Douze nobles rechignent, car le roi doit les convoquer une troisième fois le 18 juillet depuis Pozuel (ibid., f° 116r°).
136 L. González Antón, « Las cortes aragonesas en el reinado de Jaime II ».
137 « … Cum ad celebrationem vistarum quas habituri sumus cum illustribus rege Francie, Karolo fratre suo, Karolo rege Iherusalem et dompno Jacobo avunculo nostro apud Lo Gronyo in festo sancte Marie Magdalene proximo venturo pro reformanda et perficienda pace tractata inter nos et ipsos, duos probos homines et discretos de qualibet quarundam civitatum nostrarum et inter alias de dicta civitate Barchinone interere ordinaverimus et velimus, idcirco mandamus et dicimus vobis, quatenus dictos duos probos homines ex vobis, visis presentibus, eligatis, rogantes et requirentes vos quatenus, cum fideles nostri Berengarius Mayolli et G. Eimerici iurisperitus, quos discretus et providos reputamus et qui sunt informati de quibusdam que tangunt negocia antedicta, sint illi duo quos ad predicta duxeritis eligendos… » (F. Giunta et A. Giuffrida [éd.], Acta Siculo-Aragonensia, t. I, doc. XC, p. 79 [2 juin 1293, Barcelone]). On conserve les convocations adressées à Majorque et à Saragosse ; des convocations individuelles sont aussi émises pour des individus jugés indispensables, comme Guillem Llull, sommé de venir, ou le justicia d’Aragon Juan Zapata, récupéré en chemin par la cour itinérante du roi (ACA, C, reg. 98, ffos 161r°[1], 192v°[1], 204v°[2], 220v°[1]-[2]).
138 O. Oleart i Piquet, « Organització i atribucions de la Cort General ».
139 Pour les suites castillanes aux vistas de Logroño (1293) et de Torrellas, voir M. Gaibrois de Ballesteros, Historia del reinado de Sancho IV de Castilla, t. II, pp. 235-236 ; M. M. Costa, « Los reyes de Portugal en la frontera castellano-aragonesa », pp. 40-41 et passim.
140 ACA, C, reg. 336, ffos 164v°-168v° (fin 1312) et 170r°-173r° (ca. 5 janvier 1313, Ariza).
141 Sur cette mission, voir A. Forey, The Fall of the Templars, pp. 162-164.
142 « Encara oltra los profits dels bons serveys damunditç que mils se feyen, era gran honor e gran belea del estament del rey e de sos regnes con hi havia II estamens de religió de cavalleria, axí en corts e parlamens generals con en vistes de reys con en altres congregacions de les universitats dels regnes » (ACA, C, reg. 336, f° 165r°).
143 « … Et ultra predicta erat magnus decor et honor statui dicti regis et regni sui et multa comoda proveniebant regi et sibi subditis, quando erant dicti duo status ordinum separati, videlicet in curiis generalibus et consiliis et vistis regum, in legationibus per eos faciendis et in multis aliis que cedebant ad honorem regis predicti et universitatis regni… » (ibid., f° 171r°).
144 D’après une liste de préjudices potentiels : « Quinto ultra predicta in aliis [-] esset diminutio servicii et honoris dicti regis, videlicet in curiis generalibus, in consiliis et vistis regum et in legationibus. Que servicia prestabantur eisdem tam per Templarios quam per hospitalarios ad magnum honorem eiusdem regis et regni sui propter diversitatem ordinem predictorum quod cessaret, si fieret unio antedicta » (ibid., f° 174r°-v°).
145 Lettre de Jacques II à son procureur à Majorque : « … cum predicti Ferrandus et Berengarius redeant ad regnum Maiorice informati de hiis quae in dictis vistis et super tractatu pacis predicte habita fuerunt seu tractata… » (ACA, C, reg. 98, f° 273r°[3] [25 août 1293, Tarazona]).
146 ACA, C, reg. 335, ffos 258r°-259v° (ca. 1er février 1309, Monzón), éd. partielles H. Finke, Acta Aragonensia, t. II, doc. 477, pp. 764-766 ; V. Salavert y Roca, Cerdeña y la expansión mediterránea de la Corona de Aragón, t. II, doc. 323, pp. 403-404 (f° 259r°-v°).
147 Ch.-E. Dufourcq, L’Espagne catalane et le Maghrib, pp. 389-395 ; C. González Mínguez, Fernando IV, pp. 201-206.
148 « … Comoverunt et tractaverunt et ordinaverunt iidem reges inter se de vista et colloqutione ad invicem super hiis adhibenda sicque, prout tractaverunt in confinibus regnorum suorum, videlicet in monasterio de Orta, cisterciensis ordinis, personaliter cum multis prelatis et baronibus convenerunt, ibique statum Yspanie inter se rescensentes et avertentes quod regna Yspanie propter multorum regum principum et baronum effusionem sanguinis fuerunt adquisita, ad ipsorum regnorum tuitionem et inimicorum destructionem, volentes vestigia suorum predecessorum prosequi, qui sarracenos multipliciter destruxerunt et etiam expugnarunt et a regnis pluribus extirparunt, ordinaverunt inter se de perpetua et inviolabili pace inter eos confirmanda sicut inferius duxerimus explicanda… » (ACA, C, reg. 335, f° 258r°).
149 RAH, 9/2 [= col. Salazar A-2] f° 141 (1303).
150 J. M. del Estal, Corpus documental del reino de Murcia, t. I(3), doc. 76, pp. 111-113 (28 mars 1303, Almazán).
151 D’après les instructions à Artal de Azlor : « en algún lugar de la frontera del regno de Valencia, como qui viene a caça el uno y el otro con poco companya » (ACA, C, reg. 292, f° 43r°-v° [ca. 28 janvier 1306, Alagón]).
152 J. M. Nieto Soria, Ceremonias de la Realeza.
153 J. M. del Estal, Corpus documental del reino de Murcia, t. I(1), doc. 211-2, pp. 360-362, doc. 218-224, pp. 381-389 ; t. I(3), doc. 131-2, pp. 181-184, doc. 148, pp. 221-222, doc. 161, pp. 161-162, doc. 154-5, pp. 245-249, doc. 157-158, pp. 253-257, doc. 162, pp. 260-261, doc. 164-5, pp. 263-267.
154 Ces actes ont pour la plupart d’entre eux été publiés à plusieurs reprises d’après diverses versions, l’original ou des copies notariées postérieures. 1° première sentence arbitrale : ACA, C, CR de Jaume II, caixa 26, n° 3332, f° 11 [copie ACA, C, reg. 1521, f° 115], éd. À. Masià de Ros, Relación castellano-aragonesa, t. II, doc. 69/215, pp. 107-110 ; J. M. del Estal, Corpus documental del reino de Murcia, t. I(1), doc. 213, pp. 362-370, t. I(3), doc. 133, pp. 184-194, doc. 139, pp. 204-209, doc. 149, pp. 223-228, doc. 150, pp. 228-234 ; A. Benavides, Memorias de D. Fernando IV de Castilla, t. II, doc. CCLXXIX, pp. 413-418 ; 2° deuxième sentence arbitrale : ACA, C, CR de Jaume II, caixa 26, n° 3332, f° 12, éd. À. Masià de Ros, Relación castellano-aragonesa, t. II, doc. 70/219, pp. 110-112 ; J. M. del Estal, Corpus documental del reino de Murcia, t. I(1), doc. 216, pp. 377-379, t. I(3), doc. 152, pp. 239-242 ; A. Benavides, Memorias de D. Fernando IV de Castilla, t. II, doc. CCLXXXII, pp. 423-424 ; 3° ratifications des sentences : ACA, C, reg. 1521, f° 25, éd. À. Masià de Ros, Relación castellano-aragonesa, t. II, doc. 71/221, pp. 112-114 ; J. M. del Estal, Corpus documental del reino de Murcia, t. I(1), doc. 215, pp. 373-377, t. I(3), doc. 151, pp. 234-238 ; A. Benavides, Memorias de D. Fernando IV de Castilla, t. II, doc. CCLXXXI, pp. 420-422] ; 4° acceptation de l’arbitrage : J. M. del Estal, Corpus documental del reino de Murcia, t. I(1), doc. 217, pp. 379-381, t. I(3), doc. 153, pp. 242-245 ; A. Benavides, Memorias de D. Fernando IV de Castilla, doc. CCLXXXIII, pp. 424-425, doc. [2] ; À. Masià de Ros, Relación castellano-aragonesa, t. II, doc. 72/222 [6], pp. 120-122, doc. 77/229 [2], pp. 136-137.
155 Sur les serments, N. Offenstadt, Faire la paix au Moyen Âge, pp. 258-272.
156 « E muchos otros richos hommes e cavalleros e homnes buennos de los regnos de Castiella e de Aragon e de Portogal e de Catalonya, llegados allí con los reyes sobredichos, sus senyores » (À. Masià de Ros, Relación castellano-aragonesa, t. II, doc. 70/219, p. 111).
157 Ibid., t. II, doc. 72/222 [6], p. 121. Les nobles sont Jaime, seigneur de Jérica, Gombalt d’Entença, Pedro seigneur d’Ayerbe, Pedro Fernández de Híjar, Artal de Luna, Pedro Martínez de Luna, Ximen de Foces, Fernando Pérez de Luna.
158 J. M. del Estal, Corpus documental del reino de Murcia, t. I(1), doc. 213, p. 367.
159 Traité de Monteagudo-Soria publié par M. Gaibrois de Ballesteros, Historia del reinado de Sancho IV de Castilla, t. III, doc. 384, pp. ccl-cclvi, en particulier pp. ccliv-cclv, et le récit d’une petite chronique des débuts du règne de Jacques II (L. González Antón, Las uniones aragonesas, t. II, doc. 308, pp. 448-449) ; traité du monastère de Huerta : ACA, C, reg. 1521, ffos 81r°-83v°.
160 L. González Antón, Las uniones aragonesas, t. II, doc. 308, pp. 448-449.
161 Id., « Las cortes aragonesas en el reinado de Jaime II », p. 561 ; Id., Las uniones aragonesas.
162 Sur la garantie de la paix dans les territoires de la Couronne, mise en relation avec les rapports entre la souveraineté royale et les représentants des états, voir L. Vones, « Friedenssicherung und Rechtswahrung ».
163 A. Riera Melis, La Corona de Aragón y el reino de Mallorca, doc. 36-37, pp. 299-301.
164 Lettre de Jacques II de Majorque à son lieutenant sur l’île : « De quibus omnibus supradictis loquti fuimus nuper apud Gerundam sindicis nobis missis ab universitate predicta » (ARM, LR, ffos 22v°-23r° [18 novembre 1302, Perpignan]).
165 Pour des interventions diplomatiques comme concessions gracieuses, voir pp. 360-372.
166 ACA, C, reg. 98, f° 259v°[2] (31 juillet 1293, Logroño, concession), 259v°[1] (1er août 1293, Logroño, ordre aux officiers du royaume d’Aragon).
167 ACA, C, reg. 260, f° 179r°[1] (1er février 1293, Guadalajara, concession de Jacques II).
168 Sur les cadeaux d’ambassade, voir pp. 277-284.
169 Pour Logroño, plusieurs paiements pour cadeaux sont ainsi enregistrés dans les comptes du trésorier Bernat de Sarrià : ACA, C, reg. 262, ffos 216v°-218v°.
170 Liste publiée à trois reprises : J. E. Martínez Ferrando, Jaime II de Aragón, t. II, doc. 21, p. 12 ; Id., La Cámara Real en el Reinado de Jaime II, doc. 8, pp. 13-16, et M. M. Costa, « Los reyes de Portugal en la frontera castellano-aragonesa », pp. 48-50.
171 ACA, C, CR de Jaume II, caixa 131 (Cuentas), n° 95.
172 Sur l’acceptació, voir pp. 122, 153 (n. 33).
173 Arnau Messeguer doit, selon l’ordre du mestre racional, rendre compte des joyes données lors des vistes de Tarazona, sans prendre en compte les pièces de drap et de toile (ACA, RP, MR 774, f° 18v° [1304]). La garantie effectuée par le roi (la première liste) sert donc probablement au chambellan à justifier les mouvements de fonds du trésor devant le mestre racional.
174 J. E. Martínez Ferrando, Jaime II de Aragón, t. II, doc. 21, p. 12.
175 ACA, C, CR de Jaume II, caixa 131 (Cuentas), n° 95.
176 J. E. Martínez Ferrando, Jaime II de Aragón, t. II, doc. 21, p. 12.
177 Traduction en castillan de la liste : M. M. Costa, « Los reyes de Portugal en la frontera castellano-aragonesa », pp. 39-40 et 44-45.
178 D’après l’exposé des motifs du document de certification expédié au nom de Jacques II : J. E. Martínez Ferrando, Jaime II de Aragón, t. II, doc. 21, p. 12.
179 Les vistas occupent aussi une place très importante dans certaines des chroniques castillanes contemporaines, voir notamment les chroniques de Sanche IV, Ferdinand IV et Alphonse XI dans C. Rosell (éd.), Crónicas de los reyes de Castilla desde don Alfonso el Sabio hasta los católicos don Fernando y doña Isabel, pp. 665-1000.
180 Ramon Muntaner, Crònica, pp. 91-101.
181 Ibid., pp. 686-688, 698-699, 699-700, 756-757, 768, 810-811, 826-827, 830-831, 833-834, 844-845.
182 Bibliographie générale sur cette chronique dans S. Péquignot, « Las “vistas reales” ».
183 Ramon Muntaner, Crònica, p. 826.
184 Ibid.
185 Ibid., pp. 826-827.
186 Ibid., pp. 827-828.
187 Ibid., p. 965, n. 8.
188 Ibid., p. 768.
189 Ibid., pp. 826, 830-831, 833-834.
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