Chapitre V. Le choix des hommes
p. 171-219
Texte intégral
1Travail assurément technique, pratique politique pour laquelle le contrôle du secret demeure essentiel, la diplomatie du roi mobilise cependant un grand nombre d’individus. Courriers de la cour du roi, espions, porteurs épisodiques de missives, accompagnateurs de chevaux, correspondants étrangers, membres des suites, notaires, majordomes, palefreniers, hommes de la chancellerie et officiers frontaliers, marchands des villes et chevaliers en déplacement, religieux en voyage et pèlerins en route vers le Saint Sépulcre ou le tombeau de saint Pierre, à des titres divers, tous les sujets ou alliés de Jacques II sont susceptibles de participer à l’action diplomatique menée au nom du souverain. Sur une scène éclatée dans de multiples cours, les rôles principaux reviennent néanmoins presque toujours aux mêmes acteurs : les ambassadeurs. D’ordinaire représentants de Jacques II et non pas de la Couronne ou des différents territoires qui la composent, ils maintiennent le temps de leur mission une relation singulière avec leur roi, différente de celle que le monarque entretient avec ses officiers, les membres de sa maison et ses autres sujets. Nouée avec des mots, avec des documents par lesquels les ambassadeurs deviennent responsables de leur charge temporaire, cette relation constitue pour la royauté aragonaise comme pour d’autres gouvernements médiévaux un principe fondateur, un cadre décisif de sa diplomatie. Vivante et mouvante, la relation établie entre le roi et ses ambassadeurs offre par conséquent une voie privilégiée pour saisir comment le gouvernement royal envisage, exerce et délègue son pouvoir dans le champ de l’action diplomatique. Dans cette perspective, il est tout d’abord essentiel d’identifier les ambassadeurs de Jacques II, les raisons de leur emploi et la place que l’action diplomatique occupe dans leur vie (chapitres v et vi). La relation de pouvoir qui associe le roi et ses ambassadeurs ne peut cependant être considérée comme une donnée figée. Elle se dessine, évolue, se modifie et ne prend sens que dans l’accomplissement du service au nom du souverain. Le temps de l’ambassade, les représentants du roi disposent d’une marge de manœuvre variable. Ses contours devront être précisés afin de caractériser la portée et les limites de l’action des ambassadeurs, l’influence qu’ils peuvent exercer sur les décisions royales (chapitres vii et viii).
2Qui choisir pour ambassadeur ? De quelle manière ? Selon quels critères ? Bernard Guenée expose le point de vue classique d’une historiographie qui a, depuis longtemps, envisagé le problème dans les cas anglais et italien : « pour schématiser, on pourrait dire qu’en 1300 on ne concevait pas une ambassade importante sans un grand noble, et en 1500 sans un juriste »1. D’abord membres de la curia regis ou se distinguant par la grande diversité de leurs origines, les ambassadeurs deviendraient progressivement des spécialistes en raison de la technicité croissante de leurs missions2. Dans cette perspective, la détermination des méthodes et des critères adoptés par les différents pouvoirs politiques pour désigner leurs représentants à l’étranger revêt un intérêt capital : la proximité du souverain demeure-t-elle toujours un facteur prépondérant dans le choix des ambassadeurs ou bien les qualités individuelles et les compétences techniques l’emportent-elles ? Peut-on véritablement discerner un ou plusieurs critères déterminants pour ces prises de décision ? L’historiographie récente apporte quelques éléments d’orientation en ce domaine. L’accord est tout d’abord général pour reconnaître dans le cas des diplomaties royales la nécessité d’être proche du souverain (Königsnähe) pour être choisi comme ambassadeur3. Mais d’autres facteurs doivent être pris en compte. Plusieurs études, menées sur les cas castillan, portugais et aragonais, soulignent notamment l’importance accrue au XVe siècle des compétences culturelles ou bien de la connaissance des territoires étrangers et de « l’autre » dans les choix effectués par les pouvoirs4. Parallèlement à cette lecture plus fine en termes de critères de recrutement, d’autres historiens mettent en relation le choix des ambassadeurs avec le fonctionnement interne des régimes politiques5. D’individu passif désigné par le pouvoir, l’ambassadeur devient un acteur aux multiples facettes ; son départ en mission résulte aussi de logiques sociales et politiques internes qui pèsent de tout leur poids sur des diplomaties qui demeurent peu institutionnalisées, même au XVe siècle6.
3L’étude du choix des ambassadeurs de Jacques II présente dans ce panorama historiographique en voie de renouvellement un triple intérêt. Elle doit tout d’abord permettre de confirmer ou de nuancer l’évolution chronologique générale traditionnellement invoquée pour décrire le statut social et les compétences des ambassadeurs médiévaux. Les représentants du roi d’Aragon sont-ils des spécialistes au profil homogène, forment-ils un groupe, ou bien la proximité avec le monarque et la nécessité de le représenter avec prestige favorisent-elles une certaine variété dans le recrutement ? D’autre part, le choix des ambassadeurs répond aussi à une nécessité externe, l’adaptation aux pouvoirs étrangers avec lesquels il faut traiter. L’emploi de certains hommes comme ambassadeurs constitue-t-il alors simplement une illustration, parmi d’autres, d’un impératif de représentation commune et reconnaissable entre les cours ? Enfin, dans quelle mesure le régime et l’organisation politiques de la couronne d’Aragon à la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle exercent-ils une influence en ce domaine ? Affaire de mots et de procédures, le choix d’un individu comme représentant du roi à l’étranger signifie d’abord son entrée dans un état transitoire. Les hommes pressentis doivent répondre à des attentes, à des critères précis du pouvoir ; une fois choisis, ils constituent un ensemble d’individus dont l’homogénéité territoriale, sociale, religieuse et culturelle sera appréhendée à l’aide d’une étude prosopographique.
I — DEVENIR AMBASSADEUR
ÊTRE AMBASSADEUR DE JACQUES II : LE CHOIX DES MOTS ET LEUR SIGNIFICATION
4La terminologie employée en Occident pour qualifier les représentants des pouvoirs politiques à l’étranger est mouvante : nuncius, procurator, ambaxiator, orator ou bien encore legatus sont tous susceptibles de désigner un émissaire7. Cette pluralité, qui s’inscrit dans l’abondant champ lexical du messager au Moyen Âge et que l’on peut encore observer pour les représentants des Sforza au milieu du XVe siècle ou ceux des rois de France et d’Angleterre au début du XVIe siècle, a été appréciée de manière contrastée par les historiens8. Caractéristique d’une hiérarchie vague des fonctions diplomatiques pour François-Louis Ganshof, elle a surtout été interprétée comme le reflet d’une évolution de la condition juridique de l’ambassadeur par Donald E. Queller, qui a nettement distingué le nuncius du procureur (procurator)9. Selon les textes de droit canon et de droit romain, et en particulier selon le Speculum legatorum de Guillaume Durand10, le nuncius est dépourvu de personnalité juridique. Il effectue en quelque sorte une « substitution organiciste » de son mandant11. De ce fait, il peut négocier ou conclure, tandis que le procureur, apparu à la fin du XIIe siècle, est susceptible de négocier et de conclure grâce au pouvoir (procuratorium) qui lui est remis. Pour sa part, l’ambaxiator ou l’orator, dont la présence s’affirme à partir du XIIIe siècle en Italie, désigne en général un homme de rang social élevé chargé d’une ambassade de prestige. Clifford Ian Kyer a aussi pu mettre en lumière parmi les représentants du pape une nette opposition entre le nuncius et le legatus, le premier agissant comme un « vice-pope », alors que le second dispose seulement d’un mandat spécifique12.
5Néanmoins, ces hiérarchies subtiles valent surtout dans les écrits juridiques ; elles s’estompent dans la documentation pratique et dans les chroniques, où les termes se côtoient, s’additionnent et se recoupent bien souvent pour désigner les mêmes hommes. Ainsi, lorsque l’on examine le vocabulaire employé dans les registres du secret pour les ambassadeurs du roi — que l’on définira comme les représentants de Jacques II munis au moins d’une accréditation auprès d’une puissance étrangère —, nuncius et ses équivalents catalan et castillan missatge et mandadero ressortent très nettement comme les termes les plus généralement employés (tableau 6, p. 176). Ils sont utilisés de manière indépendante ou bien s’inscrivent dans une suite de mots qui caractérisent la fonction dévolue à l’envoyé du souverain. Un procureur (procurator), c’est-à-dire un homme muni d’un pouvoir (ou procuration) du roi, est aussi le plus souvent un nuncius. Les deux termes ne s’excluent pas, mais s’additionnent pour définir plus précisément la position de l’envoyé vis-à-vis de son mandataire. L’ambaxiator est également un nuncius, mais, de même qu’ailleurs en Occident, le terme apparaît uniquement pour les ambassades les plus prestigieuses. De manière significative, les nuncii qualifiés de « solennels » (solem(p)nes) se distinguent des autres envoyés du roi par l’importance de leur mission ou leur rang social élevé, et ils sont le plus souvent aussi des ambaxiatores13. Ils ne doivent pas être confondus avec les « envoyés spéciaux » (nuncii speciales), une désignation polysémique qui peut indiquer aussi bien l’urgence de l’affaire traitée que le caractère exclusif de la mission ou bien encore l’importance accordée par le roi à son représentant14. Pour sa part, le terme legatus n’apparaît qu’exceptionnellement dans les sources, sans doute parce qu’il rappelle trop le légat du pape15. La fonction de représentant du roi peut être qualifiée de diverses manières pour une même mission : Ximen de Lenda et Pere Desvall, envoyés au roi de France à la fin du mois d’avril 1301, sont ainsi « nos envoyés » (nunciis nostris) dans les lettres de créance qu’ils doivent remettre à Philippe le Bel et aux banquiers Mussato (Mouche), des « procureurs sûrs et spéciaux » (certos et speciales procuratores) dans leur pouvoir de négocier et des « messagers solennels » (sollempnes missatges) dans une lettre de Jacques II à Fernando de la Cerda16. Enfin, la grande majorité des lettres de créance emportées par les ambassadeurs de Jacques II à l’étranger ne comportent aucun titre explicite mentionnant la fonction de celui ou de ceux qu’elles accréditent (tableau 6, p. 176). Au-delà du terme général de nuncius, susceptible de désigner tous les représentants du roi à l’étranger, les mots employés s’avèrent, comme ailleurs en Occident, fort variés.
6La terminologie des ambassadeurs ne possède donc pas la rigidité de celle des officiers. Elle dépend de leur statut social, de la nature du document où ils sont mentionnés et, plus fondamentalement, d’un lien juridique des représentants avec leur mandataire qui n’est pas uniforme. Alors que tous les ambassadeurs du roi disposent d’une ou de plusieurs lettre(s) de créance, un peu moins d’un tiers d’entre eux bénéficient de pouvoirs (ou procurations) qui leur confèrent une délégation d’autorité de leur souverain leur permettant de conclure juridiquement une affaire. Ces pouvoirs présentent une réelle variété et ne mettent pas tous les ambassadeurs à la même enseigne. De surcroît, quelques rares représentants du roi doivent prêter serment avant leur départ afin de conjurer les risques d’excès de leur mandat. Quand Bernat Çespujades se rend en mission auprès de Frédéric III de Sicile afin de l’assurer du soutien du roi d’Aragon en dépit de la médiation qu’il mène pour régler le conflit avec Robert d’Anjou, il prête serment et hommage à Jacques II et à l’infant Alphonse d’Aragon de garder secret ce double jeu diplomatique extrêmement périlleux, de ne le révéler à personne d’autre qu’à Frédéric III lui-même17. Du simple porteur de message au procureur muni de pleins pouvoirs, le lien juridique entre le roi et son représentant varie donc considérablement et est adapté selon les nécessités de chaque ambassade. Désignés par une terminologie flottante mais reconnue dans tout l’Occident, disposant d’une capacité de représentation très malléable, les ambassadeurs de Jacques II se définissent donc avant tout par la documentation qui les accrédite et par la mission (legatio commissa) ou les affaires souvent difficiles qui leur sont confiées (pro arduis negociis nostris)18. Néanmoins, aussi variable que soit leur capacité à agir et à négocier, le fait de devenir représentant du roi à l’étranger fait entrer ces hommes dans un état temporaire, une situation d’exception au regard du droit et de la justice.
TABLEAU 6. — Terminologie employée pour désigner les ambassadeurs de Jacques II
Termes employés | % |
Aucun terme (lettres de créance) | 55 |
Nuncius, missatge, mandadero seul | 13 |
Nuncius specialis, missatge especial | 4 |
Procurator seul | 2 |
Certum et specialem procuratorem nostrum et équivalents | 3 |
Procurator et mandadero nuestro especial et équivalents | 10 |
Nuncios et ambaxiatores nostros et équivalents | 3 |
Procurator, ambaxiator et nuncius | 1 |
Verum et legitimum procuratorem nuncium et ambaxiatorem nostrum | 1 |
Sollempnis nuncius et équivalents | 4 |
Procuradores nuestros et sollempnes nuncios et équivalents | 3 |
Legatus | 1 |
Total des occurrences | 100 |
UN ÉTAT TRANSITOIRE, UN ÉTAT D’EXCEPTION
7Les ambassadeurs de Jacques II jouissent tout d’abord d’une réelle immunité au cours de leur mission. Rappelé à plusieurs reprises dans le droit romain et le droit canon, le principe de l’immunité du messager est inhérent aux saufconduits émis par le roi et par les souverains étrangers, il constitue l’une des conditions de possibilité des échanges diplomatiques entre les cours19. Les atteintes portées aux ambassadeurs suscitent toujours de vives réactions du pouvoir royal. Prenons l’exemple d’un ambassadeur de Jacques II, Ramon de Montrós, qui doit se rendre en Angleterre en 1295. Il est capturé en chemin et dessaisi de ses biens dans le comté de Foix, tandis qu’une trêve est pourtant en vigueur entre le comte et le roi d’Aragon. Jacques II intime alors au comte de restituer à Ramon tous ses biens, avec dommages et intérêts. Dans le cas contraire, il se verra forcé d’agir pour remettre Ramon de Montrós « dans son droit » (in suo jure) et donc d’émettre des lettres de marque20. Le comte se montre visiblement récalcitrant, puisque le roi d’Aragon réitère sa demande en l’assortissant de menaces de rétorsion et envoie au supraveguer (grand officier de justice) de Huesca l’ordre de procéder à des prises de gages sur les sujets du comte de Foix21. Après un deuxième refus, le roi ordonne finalement par lettre patente à tous ses officiers de prendre des gages sur les sujets du comte afin de rendre justice à Ramon de Montrós22. Inversement, lorsqu’un messager est dépouillé de ses biens par un de ses officiers, Jacques II exige qu’ils lui soient immédiatement rendus. Le procureur des royaumes de Valence et Murcie doit ainsi faire restituer par le bailli de Valence 80 pistoles d’or prises à Çayt Ahathuli, représentant de l’émir de Grenade, tandis que le bailli de Murcie doit pour sa part restituer à ce messager décidément malchanceux des pièces de soie dont il a été dépouillé23. L’atteinte à l’immunité existe donc, mais elle demeure rare, et est communément considérée comme inacceptable ; elle doit être corrigée le plus rapidement possible. Les demandes de réparation n’en appellent cependant pas à des principes généraux de droit ou à la coutume, ni même de manière explicite au principe d’immunité. En fait, les lettres de Jacques II invoquent seulement le nécessaire rétablissement de la justice : « nous ne pouvons ni ne devons […] faire défaut [à l’ambassadeur] dans sa justice », écrit ainsi Jacques II à ses officiers pour justifier l’expédition de lettres de marque qui doivent permettre d’offrir une compensation à Ramon de Montrós24. La défense de l’immunité est donc conçue autant comme un élément indissociable de la condition de l’ambassadeur que comme une obligation pour un roi de justice qui se doit de protéger ses représentants25.
8Le souverain exerce aussi sa protection sur les biens des ambassadeurs partis à l’étranger. Ces derniers bénéficient en effet du guiatge royal, qui ne signifie plus ici le sauf-conduit à l’étranger, mais la sauvegarde de l’ensemble de leurs biens26. Les ambassadeurs font ensuite valoir cette garantie en cas de problème, parfois auprès de plusieurs rois. Ainsi Ramon de Montrós, en février 1308, plusieurs années après ses mésaventures anglaises, se plaint-il auprès de Ferdinand IV de Castille du fait que Martín Ruiz de Foces, majordome de l’infant Alfonso de la Cerda, ait dévasté l’une de ses maisons. Tout a été pillé, et les moutons et les bœufs emportés sans vergogne. Ferdinand IV s’en étonne alors auprès de Jacques II, soutien d’Alfonso de la Cerda, et lui rappelle ses obligations : « vous savez bien que l’archidiacre vous a rendu, ainsi qu’à nous-même, et rend encore tant de bons services que tous ses biens doivent être protégés »27. Le roi de Castille demande par conséquent d’enquêter pour savoir si Martín est venu sur ordre de l’infant Alfonso et, en ce cas, exige la cessation immédiate d’attaques contraires aux accords existants. En revanche, s’il existe un conflit personnel (querella) entre Martín Ruiz de Foces et Ramon de Montrós, il doit être porté devant Ferdinand IV ou Jacques II pour être réglé28. Mais ce procès aura certainement lieu seulement une fois la mission effectuée, car, outre l’assurance de la protection de leurs biens, le départ en ambassade signifie aussi pour les représentants du roi d’Aragon la suspension des affaires judiciaires dans lesquelles ils sont parfois impliqués29. Le remboursement des dettes des représentants de Jacques II est aussi régulièrement reporté de manière gracieuse jusqu’à leur retour d’ambassade par des lettres royales spécifiques, les elongamenta30.
9Le roi s’engage par ailleurs en faveur de ses représentants afin de maintenir la trêve instaurée à leur départ dans les éventuels conflits où ils sont parties prenantes. Lorsque Gilabert de Cruïlles, envoyé en 1295 en ambassade à Rome pour traiter de la paix avec la papauté, les Angevins et la France, voit ses biens attaqués par le comte d’Empúries Ponç Huc, Jacques II ordonne au juge de Gérone de mener l’enquête et31, surtout, rappelle au comte qu’une trêve existe entre eux, que Gilabert est à son service à l’étranger. Par conséquent, il ne doit pas lui porter préjudice32. Dans certains cas, comme celui de l’évêque de Huesca Gastó qui doit se rendre auprès du pape en 1325, le roi intervient auprès de créanciers — en l’occurrence des hommes de Montpellier — ou bien d’officiers étrangers — ici ceux du roi de France — afin d’éviter que leurs exigences intempestives ne viennent gêner le déroulement de la mission33.
10L’ambassade est donc un temps d’exception juridique et judiciaire, une parenthèse dans la vie d’un individu qui abandonne un moment le souci de la défense de ses biens, les obligations des procès et les tracas politiques auxquels il peut être soumis, une parenthèse qui doit tout entière être consacrée au service du roi à l’étranger. De façon significative, les officiers de Jacques II qui partent en mission doivent d’abord s’assurer qu’une personne idoine les remplacera dans leur charge le temps nécessaire, car rien ne doit ensuite les distraire de leur tâche34. Dès lors, déterminée à la fois par la nature variable du mandat de représentation remis par le souverain, par une immunité implicitement reconnue comme règle diplomatique et par l’exercice général de la protection royale contre tout type d’atteinte personnelle, la position juridique de l’ambassadeur est frappée du sceau de l’éphémère. Les textes le précisent à plusieurs reprises, cette protection royale s’exerce jusqu’au retour de l’ambassadeur, pas au-delà. Il s’agit plus d’une condition que d’un statut, d’un état d’exception où un contrat tacite semble passé entre le roi et son représentant : le monarque offre sa protection générale à l’ambassadeur en échange du dévouement plein et entier de ce dernier à la mission dont il a la charge.
DES PROCÉDURES DE DÉSIGNATION PEU VISIBLES
11L’entrée dans cette condition transitoire devient effective à partir du moment où les hommes désignés reçoivent la documentation qui fait d’eux des ambassadeurs du roi. La remise a d’ordinaire lieu à la chancellerie, comme en témoignent abondamment les notes apposées par les scribes dans les Registra secreta. Mais avant ? Comment choisit-on les hommes qui partiront en mission ? Les procédures de désignation des ambassadeurs du roi ne peuvent être reconstituées que par bribes, avec des fragments de délibérations du conseil, souvent par des mentions indirectes. Il n’existe pas de norme écrite à ce sujet — ou du moins ne l’a-t-on pas retrouvée. Les éléments qui ont pu être rassemblés témoignent d’une certaine souplesse, plusieurs voies peuvent mener à la nomination d’un ambassadeur.
12Dans certains cas, la désignation relève simplement de ce qu’il faut bien appeler un concours de circonstances, par exemple lorsque le départ d’un religieux est mis à profit pour le charger d’une mission (legatio). En août 1301, à la nouvelle du départ de l’évêque de Tortosa pour Majorque, Jacques II lui ordonne ainsi d’exposer de sa part des « chapitres » (capitula), c’est-à-dire des instructions au souverain majorquin35 ; en janvier 1315, le voyage de l’évêque de Gérone à la curie sert de prétexte pour l’accréditer auprès du pape36.
13Mais le roi d’Aragon convoque aussi fréquemment des hommes auprès de lui dans le but de les envoyer en ambassade. Le mobile n’est toutefois exposé que fort rarement dans les lettres adressées aux futurs ambassadeurs : Jacques II juge simplement leur présence nécessaire pour certaines de ses affaires (cum vos pro quibusdam negociis nostris valde necessarium habeamus)37. Le cas échéant, il est fait allusion à l’urgence desdites affaires pour enjoindre à l’homme pressenti de rejoindre le roi où qu’il se trouve, mais la nature de la mission est passée sous silence, ce qui témoigne une fois encore du souci constant de limiter la divulgation non contrôlée de l’information diplomatique38.
14Lorsque le temps presse, une autre méthode est mise en œuvre. Jacques II ordonne de remettre directement la documentation nécessaire à des hommes qu’il a en leur absence désignés comme ses ambassadeurs39. C’est à cette occasion seulement que la décision se traduit par une nomination comme ambaxiator et nuncius, selon une procédure qui s’apparente bien plus à la remise d’une commission qu’à la désignation à un titre d’officier :
… Par conséquent, du fait de l’entière confiance que nous avons en votre application, en votre fidélité et en l’affection que vous portez à nos affaires, nous avons décidé de vous choisir comme notre ambassadeur et notre messager (nuncium), et de vous envoyer en mission en association avec les vénérables et très chers à nos yeux G. de Mollet, doyen de l’église de Valence et P. de Monell, juge de notre cour. Ils sont pleinement informés de notre intention sur cette cause ; nous vous les adressons à vous et les envoyons avec vous à cet endroit [à Montpellier, pour négocier avec des ambassadeurs du roi de France]40.
15De ces convocations et de ces mandats expédiés par la chancellerie royale, deux aspects principaux méritent donc d’être retenus : l’ordre d’envoyer un homme en ambassade émane directement du roi, il possède un caractère prioritaire et impérieux pour un ambassadeur qui doit accomplir sa mission toutes affaires cessantes.
16Si l’on prend aussi en compte le soin apporté personnellement par Jacques II à la définition et à l’expédition de la documentation diplomatique, il est clair que le roi participe activement au choix de ses ambassadeurs. Mais il n’agit pas seul. Ainsi la décision d’envoyer en 1315 une ambassade auprès des rois Frédéric de Sicile et Robert de Naples a-t-elle au préalable fait l’objet d’une tractation orale (tractatus) entre le roi et l’archevêque de Tarragone. À l’issue de cette discussion, Jacques II informe Gonzalo García, l’un de ses conseillers, qu’à l’instar de l’archevêque, il juge extrêmement utile sa participation à l’ambassade. Il lui intime pour cette raison l’ordre de venir à Barcelone et, le cas échéant, d’être prêt à se joindre à l’archevêque et à l’infant Philippe de Majorque, eux aussi pressentis pour cette mission41. Certains hommes expérimentés se proposent même spontanément au roi pour effectuer une ambassade. Joan Borgunyó, expert des relations avec la papauté et le royaume de Majorque, ayant appris la mort de la femme de l’empereur Henri VII, se déclare prêt à négocier le mariage de l’une des filles de Jacques II avec le veuf impérial. Le roi le remercie de son offre, mais l’évêque de Valence Ramon a déjà été affecté à la tâche42. Le choix d’un ambassadeur est donc susceptible de faire l’objet de conseils formulés au roi et même de discussions. Néanmoins le pouvoir royal évite généralement de recourir comme lors du règne précédent d’Alphonse III d’Aragon aux Corts pour traiter des décisions touchant aux relations avec les puissances étrangères43. Dans cette perspective, l’hypothèse selon laquelle le choix d’un ambassadeur relèverait le plus souvent du conseil royal semble donc la plus plausible. Juan del Gay évoque dans une lettre à Jacques II les délibérations qui ont eu lieu avant son départ en ambassade en Castille et à Grenade en 1311, et livre de la sorte un témoignage précieux sur cette pratique :
… Et je me rappelle de ce que vous et la reine et votre conseil traitiez quand en votre présence ils me donnèrent les instructions et ceux du conseil disaient que, puisque le roi de Castille vous avait envoyé sa lettre dans laquelle il vous faisait savoir qu’il vous envoyait Diego García [de Toledo] dans cette affaire, il leur paraissait que je devais rester jusqu’à la venue de Diego García, et vous, seigneur, vous avez trouvé bon de m’ordonner de venir avec ledit Pedro Sánchez afin que nous délivrions cette affaire selon nos instructions44.
17Les délibérations au conseil en présence de la reine et la fréquente remise en mains propres par le roi des instructions à ses ambassadeurs attestent avec certitude que la désignation de ces derniers relève du cercle des hommes les plus proches du souverain, et du souverain lui-même. Les sources demeurent néanmoins rarement aussi explicites et le caractère général du rôle du conseil du roi en ce domaine ne peut être démontré pour le moment, faute d’une monographie approfondie sur cet organe politique essentiel. Les modalités pratiques d’accès à la condition temporaire d’ambassadeur demeurent ainsi largement dans l’ombre, probablement parce que les débats éventuels au palais et les décisions n’étaient pas couchés sur le papier. En revanche, les raisons qui poussent le pouvoir à désigner certains individus comme ambassadeurs peuvent être envisagées en confrontant les descriptions de messagers idéaux avec les qualités pour lesquelles on les loue dans les documents de la pratique et la composition des ambassades.
II — LES HORIZONS D’ATTENTE DU POUVOIR
RÉFLEXIONS THÉORIQUES MÉDIÉVALES
18Avant le XVe siècle, et plus précisément avant l’Ambaxiatorum Brevilogus de Bernard du Rosier (1436), le messager ou l’ambassadeur ne constitue pas un thème autonome dans la littérature politique45. Pour autant, il ne faudrait pas en conclure qu’il soit demeuré totalement absent des réflexions menées par les hommes du Moyen Âge. Si les chroniques contemporaines demeurent peu disertes à leur sujet46, les représentants des rois apparaissent en revanche dans des textes politiques et moraux de portée plus générale, dans certains miroirs des princes notamment, mais aussi dans des ouvrages de nature encyclopédique et juridique comme les Siete Partidas rédigées durant le règne d’Alphonse X le Savant ou les Castigos e documentos du roi Sanche IV en Castille, dans des fables politiques telle que le Llibre de les Bèsties de l’intarissable Ramon Llull, ou bien encore dans la production littéraire franciscaine, cette liste hétéroclite n’étant nullement exhaustive47. Il est évidemment impossible de considérer ici l’ensemble de ce panorama littéraire et théorique, l’entreprise sortirait du cadre de cet ouvrage48. L’analyse portera donc essentiellement sur deux des textes qui exercèrent de manière certaine une influence importante à la cour du roi d’Aragon, le miroir des princes du frère ermite de Saint-Augustin Gilles de Rome (De regimine principum) et le Secretum Secretorum49. Leur étude devrait permettre de mieux saisir plusieurs éléments de ce que l’on pourrait définir comme un horizon d’attente du pouvoir royal aragonais vis-à-vis du messager et, partant, de l’ambassadeur.
19Rédigé entre 1277 et 1279, le De regimine principum, d’après les traductions catalanes consultées, ne contient pas d’allusion directe à la figure de l’ambassadeur50. De même que dans d’autres miroirs des princes contemporains, la réflexion politique s’y organise essentiellement autour du bon gouvernement interne (du roi, de la maison, de la cité ou du royaume). La seule référence qui puisse se rapporter à la désignation des ambassadeurs concerne le choix de la paix ou de la guerre avec un royaume étranger. Gilles de Rome indique que cette prise de décision — et donc probablement la désignation du représentant qui doit la signifier à l’étranger — relève des domaines dans lesquels le roi doit faire appel au conseil51. La moisson s’avère donc ici bien maigre.
20En revanche, le Secretum secretorum, dont l’influence politique à la cour d’Aragon est ancienne — le Llibre de la doctrina ou Llibre de la saviesa rédigé sous Jacques Ier le Conquérant comporte déjà de larges extraits de ce texte d’origine orientale52 — s’avère bien plus riche de ce point de vue53. Dans une lettre fictive adressée par Aristote à Alexandre le Grand, où se mêlent inextricablement régime de santé et conseils sur le bon gouvernement, le pseudo-Aristote, après des développements sur les conseillers et les scribes du roi, consacre en effet un chapitre au nuncius ou missus54. Le nuncius démontre la sagesse de celui qui l’envoie, il voit ce que son mandataire ne peut voir, il entend ce qu’il ne peut entendre et parle en son absence. D’où la nécessité de choisir dans l’entourage du roi l’homme le plus digne possible. Il doit être « sage, prévoyant, honorable, observateur, fidèle, fuyant toute turpitude ou faute » (sapientem, videntem, honorabilem, considerantem, fidelem, declinantem sive fugientem omnem turpitudinem seu culpam). Dans la mesure où l’âge est susceptible d’empêcher l’individu en question d’accomplir sa mission, Alexandre peut par défaut recourir à un secrétaire fidèle qui respecte à la lettre le mandat (mandatum) qui lui est confié ou bien, en dernier lieu, à un homme dont la fidélité a déjà été prouvée. Le pseudo-Aristote évoque ensuite certains des défauts qui doivent être évités ou punis chez un nuncius : l’appât du gain en cours de mission, l’ivrognerie qui donnerait du mandataire une image dépourvue de sagesse. De plus, le messager ne doit pas être le principal baiulus (employé ici au sens général d’officier chargé d’administrer le patrimoine du souverain) du royaume, car celui-ci encourrait alors un réel danger. Enfin, lorsqu’un nuncius aspire au gain et trahit, il doit être puni le plus sévèrement possible.
21Le nuncius se définit donc essentiellement par son rapport avec le roi. Il doit démontrer sa sagesse et constitue en quelque sorte un prolongement attentif à l’étranger de son corps et de ses sens (vue, ouïe). Le choix du nuncius apparaît ainsi comme un enjeu important dans le conseil donné à Alexandre : il en va de l’image de sagesse du roi à l’étranger, alors que planent toujours la crainte et le spectre de la trahison. D’où l’importance cruciale de la fidélité au roi, qui demeure le seul critère explicite dans les choix successivement mentionnés par le pseudo-Aristote. Le messager idéal ici esquissé dispose en outre impérativement de plusieurs qualités que le roi qu’il représente se doit lui-même de posséder : la sagesse, la prévoyance, l’honneur, la circonspection. Comme dans le Speculum legatorum de Guillaume Durand, la réflexion sur les nuncii porte donc essentiellement sur leur(s) qualité(s) de représentants du roi, beaucoup moins sur leurs éventuelles capacités de négociateurs. Cette prééminence tient en partie à la nature du texte considéré — des conseils à un roi qui dessinent en creux une figure de monarque idéal. Vaut-elle également dans la pratique diplomatique ?
MÉTHODE
22À la différence de Venise, de Florence ou de la papauté dans la même période, le règne de Jacques II n’a pas laissé de dispositions normatives indiquant explicitement quels étaient les mobiles présidant au choix des ambassadeurs du monarque55. Même si une approche prosopographique en termes de catégories professionnelles s’avère ici impossible56 — les ambassadeurs du roi ne sont pas diplomates de métier, ils accomplissent une charge —, le recours aux écrits de la chancellerie royale permet toutefois d’envisager le problème. Dans un paysage documentaire foisonnant et en l’absence d’études approfondies sur les personnels de la cour et sur de nombreuses institutions57, il a d’emblée paru préférable de laisser s’enfuir le songe d’une exhaustivité impossible et d’adopter la méthode de l’échantillonnage. La transcription ordonnée de très nombreux documents au sein de registres plus spécialisés dans les affaires diplomatiques offrait à cet égard le matériau le plus solide pour une approche « par le bas » de la fonction d’ambassadeur. Un large corpus a ainsi pu être constitué à partir de l’analyse systématique des Registra secreta, des Sigilli secreti, des premiers registres Curiae et de deux registra consacrés aux relations avec les royaumes de Majorque et de Sicile58. En retenant uniquement les ambassades qualifiées explicitement de legationes et celles pour lesquelles l’enregistrement de la documentation diplomatique afférente présentait une structure similaire à celle des rubriques legatio, l’élaboration d’une base de données sur les ambassades a permis de rassembler 233 missions59. Corrélativement, une autre base de données sur les ambassadeurs a été constituée sous forme de fichier prosopographique, en intégrant les données des registres retenus dans le corpus restreint et toutes les informations glanées ailleurs. Elle réunit 349 individus ayant effectué au moins une mission diplomatique au service du souverain aragonais60. Sur cette assise documentaire, on adoptera dans les pages qui suivent plusieurs échelles d’analyse complémentaires, en se fondant sur des informations « qualitatives » et sur des données que l’on peut qualifier de « statistiques » — avec les limites de rigueur associées à l’emploi de ce terme pour le Moyen Âge61.
LES QUALITÉS DES AMBASSADEURS DANS LES TEXTES DE LA PRATIQUE DIPLOMATIQUE
23Les attentes du pouvoir lorsqu’il nomme un individu à un office peuvent transparaître dans les lettres de nomination, à travers des expressions qui s’apparentent souvent à des stéréotypes, mais qui révèlent aussi certaines des qualités considérées comme indissociables de la fonction. Olivier Mattéoni a ainsi clairement montré par l’examen de la principauté du Bourbonnais tout le parti que l’on pouvait tirer d’une analyse sémantique des qualités attribuées aux officiers dans leurs lettres de nomination62. Une telle approche apparaît d’emblée difficile pour l’ensemble des représentants de Jacques II à l’étranger, car ils ne reçoivent pas ordinairement de lettre de nomination pour leur mission, qui ne constitue pas un office. Les lettres de créance, le document le plus généralement remis aux représentants du roi, ne mentionnent pour leur part que de manière exceptionnelle des qualités propres aux ambassadeurs. Une approche sémantique systématique est néanmoins possible pour le groupe restreint des ambassadeurs de Jacques II qui reçoivent une ou des procuration(s) [procuratoria] et disposent de la marge de manœuvre la plus importante à l’étranger. Ces pouvoirs font mention des qualités des ambassadeurs selon deux modalités souvent complémentaires. Un bref préambule peut expliquer les raisons qui poussent le roi à déposer sa confiance en celui qu’il nomme procureur, l’application, la fidélité, la loyauté par exemple63, alors que l’énoncé même du titre de procureur s’accompagne fréquemment d’un adjectif qui exprime plus précisément les attentes du pouvoir.
TABLEAU 7. — Les qualités des ambassadeurs d’après leurs procurations
Qualité | Nombre d’occurrences | % d’occurrences sur le total des pouvoirs |
Fidelis, fides, fidelitas | 50 | 61,25 |
Legalitas | 34 | 42,5 |
Industria | 19 | 21,25 |
Discretio (discretus) | 9 | 11,25 |
Sufficencia | 8 | 10 |
Prudentus | 7 | 8,75 |
Providencia / providum | 2 | 2,5 |
Saviesa | 2 | 2,5 |
Circumspectio | 1 | 1,25 |
Total des procuratoria | 80 | (100 %) |
24Trois types de qualités peuvent être dégagées à l’aide du tableau 7. Dans la justification du choix d’un procureur, les documents mettent d’abord en exergue la nécessaire relation de confiance du roi avec son représentant. C’est la fides du nuncius qui indique la confiance que le roi peut avoir en lui et corrélativement sa legalitas (loyauté). Plus de la moitié des documents comportent au moins une mention de l’une de ces qualités. En deuxième lieu, mais là aussi à un niveau de fréquence important et souvent dans des expressions stéréotypées associées à l’une des qualités précédentes, les pouvoirs mentionnent des qualités propres au caractère ou au tempérament des ambassadeurs. La diversité terminologique est ici plus grande, puisque l’industria (application, activité) côtoie la discretio (discernement), la prudence (prudentus), la providencia (prévoyance), la sagesse (saviesa) ou bien encore la circumspectio (attention prudente). Néanmoins, la majorité de ces termes convergent pour faire de l’ambassadeur « idéal » un homme prudent, capable par son discernement de transformer sa prudence en une action circonspecte mesurée à l’aune de sa sagesse. Enfin, les jugements de valeur portés sur la qualité sociale des ambassadeurs apparaissent isolés. La faible proportion des hommes considérés comme honrados (11,25 %) ne doit cependant pas faire illusion : la dignité des ambassadeurs apparaît dans la mention de leur état social, elle ne nécessite pas un rappel redondant par un adjectif ou un substantif qui ne ferait que répéter l’évidence. Ces préambules justificatifs sont d’une ampleur fort inégale, les plus développés concernent les ambassadeurs dépêchés auprès de souverains musulmans. Ainsi, lorsque Ramon de Vilanova est envoyé par Jacques II à Tunis et en Sardaigne, le pouvoir qui doit lui permettre de traiter avec le sultan s’accompagne d’une longue justification (de providentia, sufficiencia et legalitate vestri discreti viri Raimundi de Villanova militis dilecti consiliarii nostri et familiaris nostri), tandis que le pouvoir à utiliser avec le juge sarde mentionne seulement la qualité de « cher » (dilectum) de Ramon de Vilanova64. Au-delà de ces variations, le procureur idéal apparaît dans les pouvoirs aragonais comme un individu qui se caractérise essentiellement par sa relation de confiance avec le roi, par sa loyauté, ainsi que par un sens de la prudence qui doit lui permettre d’agir conformément aux buts de son prince. À l’exception de l’honor, en retrait, les qualités des ambassadeurs mentionnées de manière stéréotypée dans les procurations rejoignent donc largement le portrait du nuncius dressé par le Secretum Secretorum.
25Les qualités des ambassadeurs souhaitées par le pouvoir sont aussi explicitées de manière plus discontinue dans la correspondance royale, dans les échanges épistolaires entre roi et messagers, au terme d’une lettre de créance ou dans les détails d’une instruction. La discretio de l’ambassadeur, le discernement qui se fonde sur son expérience, tient ici une place plus importante que dans les procurations. Lorsque Jacques II doit en 1314 désigner un homme pour finaliser avec les représentants français les accords sur le Val d’Aran, son choix se porte ainsi sur le chanoine d’Urgell Berenguer de Argilaguer. Voici la justification qu’il en donne à l’intéressé :
… Nous avons appris de façon manifeste que l’affaire de la possession du Val, que nous avons récupéré grâce à votre application, à votre sollicitude et à votre diligence, avait trouvé la fin souhaitée et juste, et nous savons que vous êtes pleinement informé et mieux que toute autre personne de l’ensemble de l’affaire et de toutes ses circonstances. C’est pourquoi, considérant fermement que si vous êtes présent, la question de cette propriété [du Val d’Aran] trouvera une fin plus utile pour le droit et pour notre partie, poussé par ces raisons, nous demandons instamment à votre discernement (discretio) de bien vouloir assister à l’affaire65.
26Dans cette documentation moins stéréotypée, l’accent porte plus sur les qualités d’initiative propres à l’ambassadeur que sur sa loyauté envers le roi, considérée comme un fait acquis. Après avoir exprimé sa confiance dans la loyauté et dans la capacité (de legalitate et sufficentia) de Guillem Llull, un bourgeois de Barcelone qu’il charge en 1297 d’une mission ardue et urgente auprès de Charles II d’Anjou (pro arduis negociis, quia negocia hujusmodi celeritatem desiderant), Jacques II manifeste une attente plus précise : l’ambassadeur, après avoir reconnu le texte des instructions (capitula) qui lui sont adressées, devra « les rapporter et les exprimer de sa part au seigneur roi Charles par un discours de vive voix avec la maturité, la diligence, la révérence et l’honneur qui conviennent »66. L’on choisit en fait de mettre selon les circonstances l’accent sur une ou plusieurs qualité(s) requise(s) des ambassadeurs. Néanmoins, en dépit de la mention rare de la révérence (reverencia), du caractère « pacifique et tranquille » (pacificum et tranquillum) d’un religieux ambassadeur, les termes employés sont très proches de ceux qui figurent dans les procurations67. Ce sont les mêmes pôles sémantiques qui rassemblent les termes désignant dans les actes de la pratique des qualités propres aux ambassadeurs du roi : la fidélité (fides, legalitas), la prudence (discretio, sufficencia, prudencia, providencia, saviesa, circumspectio, maturitas ) et le zèle (industria, diligencia), dans une moindre mesure l’honneur et le respect des normes curiales (honor, reverencia).
27Ces qualificatifs possèdent un usage interne — rappeler à l’ambassadeur la nature et les règles du rôle qu’il doit endosser, lui donner un modèle à suivre — mais ils servent aussi aux différentes cours à émettre et à échanger sur une base commune des jugements sur l’activité des ambassadeurs. Quand Jacques II s’exprime dans une lettre au sujet d’un représentant étranger, il le caractérise le plus souvent par des vocables employés pour ses propres hommes. Le roi loue par exemple le fait que les ambassadeurs de Frédéric III aient débattu des projets matrimoniaux relatifs à Constance de Chypre « avec une très grande sollicitude, avec zèle et avec une maturité circonspecte » (cum maxima sollicitudine et diligencia et cum circumspecta maturitate)68. Réciproquement, les qualités individuelles des représentants du roi sont souvent signifiées par les souverains étrangers en des termes usités à la chancellerie aragonaise. De Pedro Fernández de Híjar, un noble envoyé en mission en 1316 par Jacques II pour faciliter le règlement du conflit entre Angevins et Aragonais de Sicile, le roi Robert écrit qu’il a jusqu’à présent insisté auprès des rois de façon inopportune et opportune, tout en demeurant
pleinement fidèle, avec un parfait discernement et une très grande sollicitude […], non sans labeur et sans dépenses et avec une fatigue fréquente, ainsi qu’une maladie de sa personne dans des temps douteux, et en exposant sa personne sur les routes et les chemins de notre terre au-delà de ce qu’il pouvait tolérer69.
28La lettre du roi angevin constitue ici à la fois une garantie de la mise en œuvre effective des qualités requises de l’ambassadeur et, d’autre part, une amplification qui met en valeur le dévouement du représentant de Jacques II.
29Ainsi, dans les actes de la pratique issus de la chancellerie royale aragonaise comme dans les lettres des souverains étrangers qui jugent de l’action des ambassadeurs du roi, certaines qualités individuelles constituent des critères de choix, des éléments de validation de la désignation des ambassadeurs. Néanmoins, même si les termes sont pour certains attendus d’avance, les ambassadeurs ne se résument pas à une figure figée semblable au portrait quelque peu hiératique du nuncius brossé dans le Secretum secretorum. Les qualités reconnues comme nécessaires à l’exercice d’une ambassade sont certes peu nombreuses et peuvent se résumer en une dizaine de mots rassemblés autour des pôles de la loyauté, de la prudence, du zèle et de l’honneur, mais leur combinaison et leur pondération varient de manière notable en fonction de la nature et de l’intention des documents, et, plus encore, de la mission confiée aux ambassadeurs. Enfin, un autre élément essentiel doit être pris en considération. Les ambassadeurs du roi ne peuvent être considérées uniquement comme des figures isolées, car de nombreuses missions sont conduites par plusieurs personnes. Il est donc nécessaire de laisser un instant les logiques individuelles pour examiner la composition des ambassades, afin de préciser ce que le pouvoir royal attend de ses représentants à l’étranger.
LES EXIGENCES DE LA REPRÉSENTATION ROYALE
30D’après plusieurs études, les ambassades solennelles seraient formées — surtout au XVe siècle — de trois personnes, un noble, un religieux et un juriste ou un lettré70 ; de très nombreuses missions seraient effectuées par un clerc et un chevalier dont les compétences se complètent71. Enfin, comme la terminologie qui désigne les envoyés à l’étranger, la composition des ambassades s’avérerait très variable selon les circonstances72. Les ambassades de Jacques II répondent-elles à ce schéma de représentation assez figé ou bien, de même que les qualités attendues des représentants du roi, connaissent-elles des variations importantes selon les missions ?
31Les 233 ambassades de la base de données constituée à partir des registres spécialisés de la chancellerie royale aragonaise rendent possible une approche quantitative de la composition des ambassades royales et conduisent à réviser les observations effectuées par Heinrich Finke dans ses Acta Aragonensia73 (tableau 8, p. 192). Les deux tiers des legationes effectuées à l’étranger au nom du roi sont menées par un seul individu, une proportion très importante (27 %) est dirigée par deux hommes, alors que les ambassades « à trois têtes » demeurent bien plus rares et sont réservées à des missions particulièrement importantes. La legatio dirigée par quatre ambassadeurs est un cas exceptionnel et n’apparaît de fait que pour l’ambassade envoyée par Jacques II à Rome en 1295 et qui aboutira à la conclusion du traité d’Anagni74. La représentation royale à l’étranger se révèle donc particulièrement variable. Ce constat est confirmé par l’examen de la composition interne des ambassades dirigées par plusieurs hommes. Pour les ambassades à trois, aucune représentation-type ne se dégage et l’on doit surtout souligner la présence indispensable d’un clerc ou d’un chevalier, sans qu’ils soient nécessairement associés. Le modèle de l’ambassade solennelle défini par l’historiographie pour le XVe siècle (un noble, un clerc, un lettré ou un juriste) n’est donc pas valable ici. En revanche, les missions placées sous la direction de deux hommes paraissent plus homogènes, une proportion importante d’entre elles étant formées d’un clerc et d’un noble, le plus souvent chevalier (miles). Cependant, là encore, la composition de l’ambassade ne s’inscrit pas dans un modèle figé de la représentation royale et les deux tiers des missions à deux têtes n’entrent pas dans le cadre « classique » de la codirection clerc-noble. La composition des ambassades royales ne peut donc se réduire à la reproduction d’un modèle-type des différents états sociaux de la Couronne, elle est bien plutôt adaptée selon les circonstances par le pouvoir en fonction d’impératifs complexes. Dans ce cadre particulièrement souple, les clercs, les nobles et surtout les chevaliers jouent un rôle considérable dans la composition des ambassades dirigées par plusieurs hommes. Leur présence est de fait en ce cas presque obligée, car ils confèrent à l’expédition une dignité et un prestige supplémentaires jugés essentiels par un pouvoir soucieux d’une représentation honorable de ses intérêts face aux autres souverains.
32Loyauté, prudence, zèle et adaptation aux circonstances de chaque mission : telles sont les principales qualités recherchées par la monarchie au moment de choisir un ambassadeur. Ces exigences se traduisent par des décisions variées en termes de représentation et il n’existe pas un modèle standard d’ambassade durant le règne de Jacques II. En deçà des exigences idéales, mais avec l’impératif d’une représentation honorable, le pouvoir doit en effet aussi composer avec l’espace des possibles, les ressources financières, les individus disponibles et capables.
III — LES HOMMES CHOISIS
33Les ambassadeurs ne se définissent pas uniquement par leur dénomination ou par les attentes théoriques du pouvoir, ce sont aussi des hommes de chair et de sang, qui appartiennent à des groupes sociaux, portent la marque de leur origine géographique dans une Couronne très hétérogène, possèdent une culture spécifique, parfois une expérience diplomatique préalable et se rattachent à leur souverain de manières fort diverses. Ces différents critères seront examinés ici successivement afin de déterminer dans quelle mesure les représentants du roi à l’étranger présentent des traits communs et quelle est leur importance respective. Les ambassadeurs forment-ils un groupe dont l’homogénéité permettrait de compenser et d’expliquer la composition extrêmement fluctuante des ambassades du roi d’Aragon ?
L’APPARTENANCE SOCIALE ET GÉOGRAPHIQUE
a) Une approche d’ensemble
34À l’instar des prosopographies qui prennent pour objet les hommes qui exercent un office, l’analyse du « groupe » des ambassadeurs se heurte aux problèmes traditionnels de la dénomination des individus et de l’ambiguïté de la notion même de catégorie ou de statut social. Un ambassadeur peut ainsi être à la fois officier du roi et citoyen de la ville de Barcelone, religieux et juge de cour ou bien encore citoyen d’une ville et noble. Ces doubles appartenances ont été retenues et prises en compte au sein des principales catégories suivantes : clercs, nobles (vassaux, chevaliers), citoyens ou bourgeois des villes et marchands, souvent difficiles à dissocier, hommes de droit et, enfin, roturiers qui n’appartiennent à aucune des catégories précitées. Un clerc noble apparaîtra donc à la fois comme clerc et comme noble. De surcroît, et il s’agit là d’une difficulté propre à l’analyse des individus qui exercent à un moment ou à un autre de leur vie la fonction d’ambassadeur du roi, l’absence de continuité dans un office a rendu nécessaire, pour plus de rigueur, l’adoption de deux échelles d’analyse complémentaires : les participations aux legationes et d’autre part le « groupe » des ambassadeurs (tableau 9).
35Plusieurs ensembles se dégagent nettement de ce tableau comparatif. Entre un quart et un tiers des ambassadeurs sont des nobles ou chevaliers laïcs. Les chevaliers jouent le rôle le plus important pour le nombre de missions, tandis que les nobles se réservent les ambassades les plus importantes, par exemple Pere de Queralt qui se rend au nom du roi au concile de Vienne en 131175. Si les nobles interviennent pour des missions de prestige, les chevaliers (milites) présentent pour leur part le double avantage du rang social et d’un coût moins élevé. Ce groupe compact est néanmoins difficile à cerner, car les informations demeurent trop parcellaires. Derrière les nobles et les chevaliers se distinguent ensuite, légèrement en retrait, les clercs et les religieux, avec des valeurs presque équivalentes. Les « roturiers », ici entendus comme non-nobles et non-clercs, rassemblent pour leur part environ 30 % des ambassadeurs ou des participations à des legationes. Cependant, il s’agit là d’un ensemble trop hétéroclite pour qu’il soit retenu comme une catégorie pertinente d’analyse — elle n’apparaît d’ailleurs pas dans la documentation. Dans le détail, un peu plus de 10 % des ambassadeurs sont ainsi citoyens des villes ou marchands, sans que l’on puisse toujours distinguer très nettement entre ces deux groupes qui se recoupent. Les juristes ou diplômés en droit jouent également un rôle important, mais moindre. De manière remarquable, pour les autres « roturiers », le choix se porte exclusivement sur des hommes qui servent Jacques II, des scriptores de sa chancellerie, ses officiers, des membres de sa maison ou de sa cour. Des ambassades sont aussi effectuées par des individus qui n’entrent que difficilement dans les catégories précitées. Les membres de la famille royale accomplissent quelques missions de prestige, alors que des Juifs sont envoyés par le roi auprès des souverains musulmans. Enfin, de nombreuses missions sont prises en charge par des étrangers, soit des hommes qui résident sur les territoires de la Couronne, soit des ambassadeurs qui repartent ad invicem de la cour d’Aragon vers leur mandataire, selon une pratique alors courante.
36Du point de vue géographique, les ambassadeurs de Jacques II présentent un profil plus homogène. En dépit des difficultés rencontrées pour identifier leur origine — le lieu de naissance fait souvent défaut et il faut donc se contenter d’indications indirectes ou bien de la zone dans laquelle officie un individu — et, par conséquent, du caractère approximatif du tableau 10, il paraît clair que Jacques II choisit ses ambassadeurs de préférence en Catalogne. Les royaumes d’Aragon et de Valence occupent une place largement moindre, dans une proportion qui accentue encore leur relative faiblesse démographique aux côtés d’une Catalogne probablement plus peuplée dans cette période76. La diplomatie du roi est souvent une affaire de Catalans. À la différence de ce qu’a pu observer Jocelyn N. Hillgarth pour le règne de Pierre III, la majorité des ambassadeurs est originaire de Catalogne, mais la fonction même d’ambassadeur n’est pas accaparée par un seul groupe durant le règne de Jacques II. Ses représentants proviennent d’origines sociales et géographiques remarquablement variées77. La variété prédomine-t-elle également au sein des catégories extrêmement vastes retenues pour cette première approche ou bien la fonction d’ambassadeur estelle toujours exercée par des hommes aux profils sociaux identiques ?
b) Le rang social des ambassadeurs (1) : l’exemple des clercs
37Les informations disponibles rendent difficile une telle approche pour les groupes des chevaliers et des nobles. En revanche, une interrogation globale sur le rang social et la répartition au sein de chaque état semble possible pour deux des plus importants viviers de recrutement des ambassadeurs de Jacques II : les clercs et les hommes des villes.
38Les clercs et religieux envoyés en ambassade par le roi d’Aragon ont ici été distribués selon leur appartenance aux différents ordres (mendiants, monastiques, militaires) ou au clergé séculier (tableau 11, p. 198). Seul le cas des chanoines a posé problème, car il n’a pas été possible de distinguer si le chapitre cathédral dont ils relevaient suivait la règle de Saint-Augustin ou bien s’ils étaient séculiers78. Par ailleurs, les religieux ne conservent pas nécessairement toute leur vie durant la même position au sein de leur hiérarchie, la situation prise en compte est donc ici celle du moment où se déroule l’ambassade. Corrélativement, pour les individus qui pourraient relever de plusieurs catégories (cumul de bénéfices, mendiant devenu évêque), a été retenue la position la plus élevée dans la hiérarchie ou, le cas échéant, celle qui est mise en évidence dans les documents de la pratique diplomatique.
39Un constat s’impose d’emblée : les clercs ambassadeurs se caractérisent, de même que les représentants de Jacques II à l’étranger en général, par leur extrême diversité. Ils se recrutent parmi tous les hommes d’Église auxquels leur condition n’interdit pas de participer à des ambassades : seuls font défaut les femmes et les moines tenus par leur règle. Les clercs séculiers constituent le groupe le plus considérable — près d’un ambassadeur religieux sur deux —, mais les mendiants, en particulier les franciscains, jouent comme ailleurs en Occident un rôle important dans la diplomatie79. Enfin, alors que les réguliers demeurent quelque peu en retrait (moins de 10 % des ambassadeurs religieux), les membres des ordres militaires apparaissent dans un nombre non négligeable de missions, sans doute en raison des liens étroits entre le pouvoir royal aragonais et ces Ordres80.
40Cependant, à la lecture de ce tableau, ces hommes se caractérisent moins par leur appartenance à un ordre déterminé, ou par le fait d’être séculier, régulier ou plus spécifiquement militaire, que par leur position au sein d’une hiérarchie religieuse. La plupart d’entre eux se situent au sommet ou au grade immédiatement inférieur de leur ordre ou de l’échelle ecclésiastique. C’est le cas notamment des membres des ordres militaires et des autres ordres religieux : maîtres ou ancien maître de la province d’Aragon et commandeurs pour le Temple, commandeurs pour les hospitaliers. Parmi les franciscains ambassadeurs se trouvent deux ministres provinciaux d’Aragon, Romeu Ortiç et Domingo de Jaca, ainsi que plusieurs gardiens (custodes) de grands couvents, Fernando García à Valence, Bernat Gil à Lérida, Ponç Carbonell à Barcelone81. Les dominicains Bernat Peregrí, maître de la toute récente province d’Aragon des frères prêcheurs, et Ramon Masquefa, prieur de l’église de Valence, exercent aussi la charge d’ambassadeur82. De même, ce sont surtout les hommes dont le rang au sein de leur monastère est le plus élevé qui partent en missions : abbés, prévôt et prieurs pour les monastères de Foix, Ripoll et Santes Creus83. En revanche, deux groupes peuvent être distingués pour le clergé séculier : au sommet de la hiérarchie, les prélats sont nombreux à être mis à contribution, en particulier les évêques et les archidiacres. Un deuxième ensemble de clercs de rang intermédiaires — doyens ou archiprêtres, chanoines sacristains — participent aussi régulièrement aux ambassades du roi. Cette homogénéité relative du rang des clercs ambassadeurs se retrouve-t-elle parmi les cives ?
c) Le rang social des ambassadeurs (2) : l’exemple des citoyens de Barcelone
41Trente-trois ambassadeurs sont mentionnés en tant que citoyens de Barcelone (civis Barchinonae) dans la documentation, c’est-à-dire comme des hommes auxquels a été octroyée une lettre de citoyenneté de la ville. Afin de préciser leur statut social, il a été nécessaire de recourir aux registres du Consell de Cent ainsi qu’au Memorial Històric de Joan Boscà, qui complète au moins partiellement l’information pour les années antérieures à 130184. Il ressort de ce croisement des sources que les ambassadeurs du roi sont très rarement des jurats (des membres du Consell de Cent) ou des consellers (membres de l’exécutif urbain) en exercice, sans doute en raison de l’obligation de résidence à Barcelone des magistrats urbains85. En revanche, dans la moitié des cas environ, les ambassadeurs ont été ou deviendront jurats peu de temps après leur mission et un tiers d’entre eux consellers86. Une précision s’avère alors particulièrement intéressante : la majorité des ambassadeurs ayant exercé comme jurats l’ont fait dans la section « hors-critère » de métier. Or, la composition de cette section fait débat. Pour Carmen Batlle, elle rassemble essentiellement les ciutadans honrats, un « état social en gestation »87 ; tandis que Charles-Emmanuel Dufourcq considère que le terme venerabilis (honrat) constitue uniquement une désignation honorifique, indique l’expérience des hommes, mais recouvre une réelle hétérogénéité sociale88. Il est difficile de trancher en l’absence d’études institutionnelles et de prosopographies familiales solides sur le Consell de Cent et ses membres pour la période89. L’essentiel est que les citoyens ambassadeurs sont fréquemment dans les institutions municipales des hommes importants ou appelés à le devenir sous peu. Cette impression est confortée par le fait que plusieurs citoyens ambassadeurs appartiennent à certaines des familles les plus considérables du « patriciat » de Barcelone (Stephen P. Bensch), les Llull, les Durfort, les Dusay, les Oulomar90.
42De manière générale, reflétant ainsi le caractère composite des territoires de la Couronne, le pouvoir royal choisit pour ambassadeurs des hommes aux origines sociales très variées, avec une nette préférence pour les Catalans. La fonction d’ambassadeur n’est donc pas accaparée par des individus issus d’un seul et unique état social. Cette diversité d’ensemble contraste avec le rang relativement homogène des individus. Un grand nombre d’entre eux peuvent en effet être qualifiés d’« hommes d’importance » en raison de leur position sociale qui permet de répondre aux exigences d’une représentation digne du roi à l’étranger. Néanmoins, l’origine et l’état social n’expliquent pas à eux seuls les logiques complexes qui conduisent un homme à devenir ambassadeur de Jacques II.
DES HOMMES DE CONNAISSANCE ET DE CULTURE ?
43La culture constitue-t-elle alors comme durant le XVe siècle ibérique étudié par Isabel Beceiro Pita un critère déterminant pour le choix des ambassadeurs 91 ? D’emblée, la notion paraît problématique, aussi bien en raison de l’ambiguïté qui souvent la caractérise que du fait de son utilisation dans le sillage de la Renaixança par l’historiographie catalan(ist)e de la première moitié du XXe siècle92. L’étude de la « culture catalane » durant le règne de Jacques II, de la « politique culturelle » de ce roi ainsi que des qualités ou compétences littéraires de ses représentants a ainsi pu faire partie d’une stratégie historiographique de revendication identitaire visant à exalter la grandeur et la singularité de la Catalogne93. Dès lors, plutôt que de voir dans la « culture » des ambassadeurs un référent homogène et d’en déduire des considérations panégyriques, il paraît préférable de rechercher dans quelle mesure les représentants du roi sont choisis par le pouvoir royal en fonction de compétences culturelles spécifiques : leur formation universitaire, leur maîtrise des langues étrangères, ainsi que leur rapport à l’écrit et à l’écriture.
a) La formation universitaire des ambassadeurs de Jacques II
44L’identification des grades est particulièrement difficile pour les 349 ambassadeurs de Jacques II. En effet, l’unique Studium generale de la couronne d’Aragon de la période, celui de Lérida — où la théologie n’était pas enseignée — a été fondé seulement en 1300, et les listes des étudiants ou professeurs y ayant exercé demeurent à ce jour assez incomplètes94. Certains sujets du roi étudient pour leur part à Barcelone dans le studium des franciscains, mais son histoire reste elle aussi difficile à suivre pour la période95. Surtout, de nombreux hommes originaires des territoires de la Couronne partent étudier à l’étranger dans d’autres universités, à Bologne, à Paris, à Montpellier, à Toulouse ou à Avignon. Plusieurs listes d’étudiants catalans à Bologne ont été reconstituées96, mais, pour les autres universités, il a été nécessaire d’examiner les cartulaires, avec sans aucun doute de nombreuses omissions dues aux variations onomastiques97.
45Les résultats s’avèrent ici relativement décevants, en particulier en raison du flottement terminologique et de l’imprécision dans la qualification des études effectuées. Pour les juristes, les mieux documentés, on relève parmi les ambassadeurs trois professeurs en droit de l’université de Lérida (Guillem de Jafèr, Pere Despens et Arnau de Soler) et quatre docteurs en lois (Pere Comte, Ramon Vinader, Dalmau de Pontons et Berenguer de Argilaguer). Sinon, à l’exception d’un magister (Guillem Desplà), les ambassadeurs formés en droit sont qualifiés de savi en dret, jurista et plus encore de jurisperitus, une dénomination dont l’usage se répand à Barcelone dans la deuxième moitié du XIIIe siècle à la faveur de l’adoption progressive par le patriciat du droit romain, mais qui ne permet pas de qualifier avec précision le niveau d’études obtenu98. Quinze individus (soit un peu plus de 3 %) détiennent l’un ou l’autre de ces titres99.
46Pour leur part, les gradués en théologie semblent peu nombreux parmi les ambassadeurs de Jacques II. On ne trouve guère qu’Arnau de Jardí, maître en droit canonique et en théologie, mais il est à supposer que des dépouillements plus exhaustifs pourraient modifier ce résultat. Les autres indices brillent surtout par leur caractère parcellaire : trois mentions plus ou moins certaines d’ambassadeurs ayant étudié à l’université de Paris100, quatre à Bologne101, un à Montpellier102, un au studium des franciscains de Barcelone103 et trois autres en un lieu non identifié104. En somme, un peu moins de 10 % des ambassadeurs ont assurément suivi une formation scolaire poussée, mais ce chiffre ne peut être qu’indicatif, en raison des limitations imposées par l’état des sources et de l’historiographie.
b) La maîtrise des langues
47Partir en ambassade, c’est aussi affronter les difficultés de l’étranger, se trouver confronté à la nécessité de comprendre et de se faire entendre par des hommes qui ne parlent pas la même langue. La documentation et les échanges épistolaires de la chancellerie aragonaise se caractérisent déjà par une polyglossie très marquée. Qu’en est-il des ambassadeurs de Jacques II ? Le problème doit en fait être dédoublé, selon qu’il s’agit de la maîtrise de langues vernaculaires étrangères ou bien de l’usage du latin. Pour les relations les plus fréquentes avec les cours occidentales proches (Castille, Majorque, Portugal, France, papauté, cours italiennes), l’emploi par les ambassadeurs des langues vernaculaires n’apparaît que très rarement dans la documentation et l’on ne trouve pas de mention de traducteur accompagnant les ambassadeurs ou bien les aidant dans leur tâche une fois présents à l’étranger. Certains représentants du roi ont à l’évidence une bonne maîtrise de la langue du pays où ils se trouvent. L’archidiacre Miguel del Corral, ancien étudiant à Paris, traduit ainsi explicitement des passages en français dans sa correspondance et domine suffisamment la langue pour pouvoir saisir les paroles prononcées secrètement au conseil par Philippe V105. Néanmoins, on ne peut pour autant en inférer que tous les ambassadeurs de Jacques II s’expriment parfaitement dans la langue du pays où ils effectuent leur mission. En fait, comme pour les échanges épistolaires, de même que pour les relations diplomatiques entre le Portugal et la Castille étudiées par A. H. Oliveira Marques pour une période proche, il semble probable que la traduction d’une langue vernaculaire à une autre langue vernaculaire proche (occitan, castillan, portugais, certains dialectes italiens) n’apparaît pas toujours nécessaire106. L’essentiel est d’être compris, pas forcément de parler la même langue.
48Une bonne maîtrise du latin s’avère souvent nécessaire. Les clercs sont ainsi particulièrement appréciés pour leur connaissance de la langue de Cicéron, notamment lorsqu’ils doivent se rendre à la curie. Un rapport du maître des comptes (maestre racional) Pere Boyl, envoyé en mission par le roi d’Aragon auprès du pape Jean XXII au printemps 1318, en fournit a contrario un témoignage remarquable. L’ambassadeur doit proposer au souverain pontife une nouvelle médiation de Jacques II entre Aragonais de Sicile et Angevins de Naples en échange du paiement des six années de décime dues au roi d’Aragon. Or, Pere Boyl voit dans ses compétences limitées en latin un obstacle à la bonne réalisation de sa mission. À en croire le rapport qu’il envoie à son mandataire, il s’adresse en effet ainsi au pape :
… « Saint père, vous m’aviez ordonné de venir afin de proposer cette affaire en consistoire et vous m’aviez donné pour jour lundi, et moi, saint père, je ne suis ni un clerc ni un lettré pour savoir faire ma proposition en latin ; et je craignais que certains des cardinaux n’entendent pas mon langage si je devais raconter moi-même la bonne affection que monseigneur le roi porte à ces affaires. Pour cette raison, mon intention était que le sacristain de Majorque, qui se trouve ici à la curie et qui fait partie du conseil de monseigneur le roi, racontât cette affaire en latin, et j’en avais parlé avec lui. Mais maintenant, saint père, vous m’avez soudainement appelé et moi, pour obéir à votre ordre, je suis venu aussitôt devant vous, si bien que je n’ai pu faire appeler le sacristain. C’est pourquoi, saint père, si vous voulez que je vous expose en ma langue la bonne intention que monseigneur le roi porte à ces affaires, je le ferai ». Et il me répondit aussitôt : « dites-le, nous parviendrons bien à vous comprendre ». J’ai alors commencé, lui ai exposé ma proposition et lui ai raconté […] la bonne intention que vous aviez dans cette affaire de servir Dieu, la sainte Église et lui-même. Et comme je finissais sur ce point ma proposition, il me dit qu’il m’avait bien compris et que je n’avais pas besoin de faire appel à un savant ou à un maître en théologie, que j’avais bien raconté votre intention, qu’il la comprenait, qu’elle était bonne, sainte et dévote comme devait l’être celle d’un prince catholique107.
49Le catalan est donc compris par le pape Jean XXII, ce qui n’est guère étonnant au vu de ses origines languedociennes, et sa maîtrise orale s’avère suffisante pour mener à bien certaines des tâches de l’ambassade à la curie. Cependant, les scrupules de Pere Boyl témoignent aussi du fait que la maîtrise du latin est perçue comme une compétence déterminante pour que sa proposition soit saisie par le public plus large des cardinaux réunis en consistoire. Certains d’entre eux ne dominent visiblement pas la langue de Ramon Llull. De surcroît, au-delà de la simple compréhension, l’usage du latin met probablement aussi en valeur le discours du messager, lui confère une solennité qui peut s’avérer précieuse pour convaincre les destinataires de la mission.
50Alors que la chancellerie aragonaise traduit à plusieurs reprises des instructions du latin en catalan pour faciliter le travail des ambassadeurs, en particulier lorsqu’ils ne sont pas clercs108, une maîtrise active du latin paraît de fait nécessaire pour certaines ambassades, en particulier pour des opérations de traduction, aussi bien du latin vers une langue vernaculaire qu’à l’inverse. Par exemple, en mars 1309, le pape exprime en présence des ambassadeurs de Jacques II Ponç de Lérida et Bernat de Fonollar son souhait de disposer d’informations récentes sur la situation des musulmans en Espagne. Les représentants du roi lui répondent qu’ils ont bien une lettre en romanç (catalan ici) à ce sujet, mais Clément V rétorque qu’il ne comprend cette langue qu’à l’oral et leur demande par conséquent une traduction. Les deux ambassadeurs — on ne sait lequel effectue l’opération, probablement Ponç, évêque de Lérida plus versé en latin — reformulent, adaptent alors plutôt qu’ils ne traduisent le texte en latin. Ils ajoutent un prologue, modifient l’adresse (la lettre était originellement adressée au roi de Majorque) et ôtent des chapitres qui pourraient être préjudiciables au bon déroulement de leur propre mission109. Dans ce cas précis, les représentants du roi s’avèrent capables d’effectuer pour les besoins de leur ambassade une traduction du catalan au latin, mais ils se révèlent aussi comme des experts de la manipulation rhétorique et de l’écriture, avec un degré de raffinement qui ne peut s’expliquer que par une formation lettrée approfondie.
51La compréhension passive et parfois active du latin a par conséquent sans aucun doute constitué un élément important pour le choix de certains ambassadeurs, notamment ceux envoyés à la curie pontificale et dans les pays du Nord avec lesquels il demeure la seule langue d’entente possible. Néanmoins, il est impossible de généraliser en ce domaine, car le latin est très peu utilisé pour les relations avec certaines cours, par exemple celles de la péninsule Ibérique. Les compétences linguistiques requises varient en fait selon les destinations, et il sera certainement plus utile pour un ambassadeur juif envoyé à Grenade ou au Maghreb de savoir s’exprimer en arabe que de pouvoir comprendre le latin.
c) Écrit, écrits, écriture
52Munis d’une documentation écrite souvent considérable, manipulant des lettres de créance, des pouvoirs, des instructions, parfois des blancs et souvent de nombreux autres documents pour les besoins de leur mission, les ambassadeurs de Jacques II écrivent aussi abondamment de leur propre main, comme en témoignent les très nombreux rapports autographes qui sont conservés dans la section des Cartes Reials des Archives de la Couronne d’Aragon. Ils sont en contact permanent avec l’écriture, immergés dans un monde d’écrits. Mais sont-ils pour autant des lettrés, des hommes qui s’intéressent à l’écriture pour elle-même, qui possèdent avec la plume et avec le savoir un rapport qui ne soit pas seulement instrumental ? Leur fréquentation des livres est-elle importante ? Font-ils preuve de compétences stylistiques particulières dans leurs correspondances ?
53Parler du rapport des ambassadeurs de Jacques II aux livres revient plus à formuler des hypothèses qu’à énoncer des certitudes, tant les sources — contrats de vente, donations de livres, demandes d’achat, inventaires, etc.110 — sont hétérogènes et dispersées. En fait, les indices proviennent essentiellement de Barcelone, car la tradition historiographique d’étude du livre et de publication des sources afférentes y est plus forte que pour les autres territoires de la couronne d’Aragon. Certains futurs ambassadeurs ont évidemment déjà manipulé des livres avant de partir en mission, tel le chanoine de Valence Bernat de Montalegre qui, en 1284, alors qu’il se rendait au studium franciscain de Perpignan, s’est vu confier un volume du Décret de Gratien afin de le mettre en gage auprès d’un marchand111. Surtout, plusieurs hommes qui effectuent des ambassades au service de Jacques II achètent ou vendent des ouvrages à un moment de leur vie : ils sont, ont été ou seront en possession de livres. Arnau de Cumbis, chanoine de Barcelone qui effectuera plusieurs missions en Avignon, achète en 1306, sans doute à Bordeaux, un Digeste au libraire du pape qui lui en garantit l’authenticité112. Gilabert de Cruïlles, sacristain des sièges de Lérida et de Gérone qui a exercé à de multiples reprises comme ambassadeur du roi, achète des Décrétales avec glose en 1323113. Pour sa part, Pere Llobet, notaire docteur en lois et ambassadeur du roi en Sicile et à Majorque en 1302, reconnaît dans un acte de 1312 avoir vendu cinq ou six années auparavant un livre de droit civil, les Instituta, avec glose114. La possession des livres provient parfois directement d’un don de Jacques II. Son confesseur, le dominicain Martí d’Ateca, qui se rend en Navarre en 1302, reçoit ainsi 100 sous de Jaca en 1301 pour l’achat de livres115. Le 10 octobre 1316, le roi fait remettre en cadeau deux livres en parchemin à l’ancien templier Berenguer de Santjust, qui l’avait représenté plusieurs fois à l’étranger116.
54Ces données fragmentaires peuvent être complétées par une autre source, particulièrement utile pour cerner un peu mieux le « profil littéraire » des ambassadeurs de Jacques II : les testaments et inventaires après décès. Les informations les plus précises concernent quatre anciens ambassadeurs : le juriste Ramon Vinader, Pere Comte, docteur en lois, le chevalier et conseiller du roi Bernat de Fonollar, tous trois de Barcelone, ainsi que l’évêque de Valence Ramon Despont, ancien chancelier de Jacques II. Le testament de Pere Comte est le moins détaillé. Il possédait plusieurs livres parmi lesquels se trouvait sans doute le Speculum Juris de Guillaume Durand117. Dans l’inventaire après décès du château de Sitges que possédait Bernat de Fonollar figurent de très nombreux écrits : un cahier ou mémorial en papier avec une couverture en parchemin, des cahiers cousus sur la couverture, d’autres cahiers encore, plusieurs écrits en papier et en parchemin. Mais la bibliothèque de ce chevalier semble pauvre et limitée à des ouvrages religieux : un Évangile selon saint Jean et un livre intitulé De vicis et de virtuts commençant par « Açò són los deu manaments de nostre Senyor » (« Voici les dix commandements de notre Seigneur »)118. En revanche, les deux dernières bibliothèques d’ambassadeurs sont particulièrement spectaculaires. Celle de l’évêque de Valence Ramon Despont, mort en 1312, s’avère considérable119, alors que les 162 livres en possession de Ramon Vinader à sa mort constituent selon Josep Hernando « l’une des plus grandes bibliothèques de particuliers du siècle, avec une variété de spécialités (didactiques, philosophiques, théologiques, scientifiques, etc.) qui représentent une partie de ce qu’était la culture médiévale avant l’humanisme »120.
55Certains ambassadeurs de Jacques II sont eux-mêmes auteurs. Non content de rédiger de très nombreux rapports, de transmettre des manuscrits au roi, le sacristain de Majorque Joan Borgunyó compose des poèmes et même un ouvrage, puisque l’on évoque
un traité ou une somme du maître Joan Borgunyó, chanoine de Majorque, faite en vers, contenant que le pape peut céder et renoncer, elle est glosée et enluminée, écrite dans deux cahiers121.
56Il n’est pas le seul ambassadeur à avoir laissé une trace écrite qui ne relève pas de la documentation pratique : Martí d’Ateca a rédigé un traité opposé aux vues d’Arnau de Vilanova, Contra penentes certum tempus finis mundi, Pere Despens a produit un commentaire des Usatges, alors que Pere Marsili a laissé une chronique de Jacques le Conquérant, la Cronica gestorum Jacobi primi regis Aragoniae, à laquelle il faut ajouter sa traduction en latin du Llibre dels feyts122.
57Le livre et plus généralement le savoir ont donc eu une importance réelle dans la vie de certains des hommes qui ont effectué des legationes au nom du roi. À défaut d’un « profil culturel » homogène des ambassadeurs de Jacques II ou même d’une « bibliothèque-type », deux points méritent ici être retenus. En premier lieu, les ambassadeurs en possession de livres sont quasiment tous des clercs ou des juristes, des hommes d’un rang social élevé. D’autre part, il existe parmi les ambassadeurs de Jacques II une proportion relativement forte d’individus qui possèdent un rapport privilégié avec les livres. Sans que cela signifie nécessairement que le pouvoir royal les ait désignés comme ambassadeurs pour cette raison, la présence de lletraferits n’en demeure pas moins très notable : les ambassadeurs du roi ont assurément une culture savante et lettrée largement au-dessus de la moyenne de leurs contemporains.
58Ce bagage fait parfois des ambassadeurs de Jacques II de véritables passeurs culturels, notamment pour la diffusion de manuscrits dans la couronne d’Aragon. Pedro Fernández de Híjar transmet au cours d’une mission en 1316-1317 des Orationes depuis l’Italie123. Joan Borgunyó, déjà évoqué, indique au roi après une ambassade en Italie qu’il avait vu à Naples un volume des Istoriarum Romanorum de Tite-Live au prix de cent florins d’or. Jacques II demande par conséquent à un autre de ses fidèles, Tomàs de Prócida, d’acheter ou de faire acheter l’ouvrage et de le lui adresser par un messager sûr124. D’autre part, la fréquentation des livres facilite sans aucun doute l’accomplissement de deux des tâches les plus importantes et les plus complexes des ambassadeurs de Jacques II : la rédaction des rapports à l’intention de leur mandataire et la prononciation devant les souverains étrangers de discours qui doivent être le plus éloquents possible. Ce rôle apparaît néanmoins relativement difficile à saisir, puisqu’il supposerait que l’on connaisse bien plus précisément la formation de ces hommes. Dès lors, il semble préférable de renverser la perspective : peut-on à partir des récits des ambassadeurs déduire des connaissances littéraires certaines ?
59Une telle approche ne peut évidemment être envisagée pour l’ensemble des ambassadeurs de Jacques II, car chacun révèle dans ces textes non stéréotypés un style et une culture qui n’appartiennent qu’à lui. Le choix a ici été fait d’examiner un ambassadeur pour lequel on ne dispose d’aucune preuve de son rapport aux livres, afin de tenter d’aborder la culture d’un représentant du roi par une méthode différente. Il s’agit de Bernat de Sarrià, l’un des plus importants conseillers et ambassadeurs de Jacques II, dont sont conservés au moins neuf rapports d’ambassade, essentiellement pour des missions auprès des cours d’Italie125. Bernat de Sarrià, dont on garde aussi de nombreuses lettres rédigées alors qu’il était procureur du royaume de Murcie, écrit presque exclusivement en catalan126. Ses rapports sont toujours organisés de manière chronologique et suivent une progression très claire qui tend parfois à les transformer en véritables démonstrations. Ainsi, le rapport du 20 décembre 1313 est scandé par une succession d’adverbes ou de locutions adverbiales (primerament […], primerament […], encara […], quant al feyt […], encara […]) qui structurent le propos et préludent à l’utilisation finale d’un adverbe à valeur démonstrative (e així), qui apparente formellement l’énonciation d’une supplique (sia la vostra merçè què) à l’aboutissement d’un raisonnement logique127. La matière dont traite cet ambassadeur présente de surcroît des difficultés spécifiques de mise en récit, qui apparaissent clairement dans son rapport du 4 octobre 1312. De même que la plupart des ambassadeurs de Jacques II, après le salut et la recommandation au roi, le conseiller écrit au passé et à la première personne, mais il n’est pas, loin de là, le seul sujet du texte. Bernat de Sarrià compose en effet le récit de son action par plusieurs voies parallèles et complémentaires. Il reconstitue des dialogues avec les souverains ou ambassadeurs étrangers — ici au style indirect —, insère les résumés de documents que le roi lui a envoyés ou auxquels il a eu recours durant l’ambassade, et parsème ce patchwork savamment ordonné de jugements et de conseils adressés au roi d’Aragon128. Son dernier rapport, daté de la fin du mois de décembre 1313, confirme cette impression de maîtrise rhétorique : après un salut classique au roi et une contextualisation sommaire de son arrivée à la cour du roi de Sicile, il rapporte ensuite les pétitions de Jacques II qu’il a formulées de sa part, puis, chapitre par chapitre (capítol par capítol), les réponses données par Frédéric III, avant de développer un véritable réquisitoire dont l’objectif est de convaincre le roi d’Aragon d’intervenir pour la paix entre les royaumes de Sicile et de Naples. Dans une démonstration étayée par l’utilisation de proverbes populaires aragonais (« Et selon, seigneur, ce que l’on dit en Aragon : vous pourrez faire d’une pierre deux coups, avoir la Sardaigne et la paix »)129, il témoigne aussi de sa capacité à mobiliser une culture historique proprement dynastique en rappelant les hauts faits de Jacques le Conquérant et de Pierre III d’Aragon :
Seigneur, vous savez bien que le seigneur roi [Jacques Ier le Conquérant], votre grand-père, ainsi que le seigneur roi Pierre [III d’Aragon], votre père, quand ils ont en leur temps effectué des conquêtes, n’avaient pas plus de trésor que vous, mais que, comme vous, seigneur, ils avaient pour trésor de bonnes et loyales gens130.
60La construction de rapports de cette tenue suppose la mise en œuvre de réelles qualités littéraires et donc un important bagage culturel, une maîtrise sûre de l’écriture pratique et de techniques de récit et de rhétorique qui ne sont pas toutes sommaires, loin de là.
61Pour résumer, il ne peut être démontré ici que le roi choisit ouvertement ses ambassadeurs en raison de leur culture et l’on ignore tout ou presque des compétences linguistiques, rhétoriques ou littéraires de la grande majorité des représentants de Jacques II, mais il est certain que la détention d’un grade, la maîtrise de langues vernaculaires étrangères ou du latin, ainsi que, de manière plus générale, la capacité de comprendre et de produire des écrits complexes constituaient des éléments préalables très favorables, voire indispensables, pour qu’un homme puisse être envoyé à l’étranger au nom du roi. La possession d’un bagage culturel minimal, en tout cas d’une certaine aisance à l’écrit et avec les écrits, est impérative pour devenir ambassadeur, et certains d’entre eux ont des compétences exceptionnelles en ce domaine. Néanmoins, de même que l’appartenance sociale ou l’origine géographique, la culture d’un homme ne peut être retenue comme l’élément unique et discriminant qui rassemblerait tous les ambassadeurs de Jacques II. Plutôt qu’à un critère de choix explicite, la culture semble souvent s’apparenter simplement à une condition requise. Le choix des ambassadeurs dépendrait-il alors du seul arbitraire royal ? Posée en ces termes, la question demeure simplificatrice. L’enjeu est plutôt de déterminer la nature des liens qu’ils entretiennent avec le roi au moment de leur désignation.
LES LIENS AVEC LE ROI
62Avant de devenir ambassadeur de Jacques II, d’ouvrir une parenthèse dans leur vie afin de servir leur souverain à l’étranger, les hommes qui sont appelés à le représenter ne sont pas inconnus de la dynastie aragonaise. Leur lien au pouvoir royal est-il de nature institutionnelle ou bien se limite-t-il au bénéfice de la faveur de Jacques II ? Peut-on distinguer un cercle d’hommes privilégiés par le pouvoir pour l’accomplissement des ambassades ? À la différence de l’appartenance sociale ou bien de l’origine géographique, les liens des ambassadeurs avec le roi se caractérisent souvent par des variations importantes au cours de la vie des individus. Il faut donc se placer ici à l’échelle des missions et considérer pour chacune d’entre elles de quelle(s) nature(s) étai(en)t alors le(s) lien(s) des ambassadeurs avec leur royal mandataire. De même que précédemment, les résultats obtenus à partir de l’échantillon des Registra secreta seront confrontés avec les données générales sur l’ensemble des ambassadeurs, afin, notamment, de distinguer les choix du pouvoir en fonction de l’importance des missions. Dans cette optique, on examinera successivement les liens « institutionnels » des ambassadeurs avec leur roi (détention d’un office, appartenance à la maison ou à la cour du roi), puis les liens de fidélité personnelle entre le souverain et l’ambassadeur, des liens qui, bien évidemment, ne s’excluent pas mutuellement.
a) La participation aux institutions de la Couronne
63Dans plus de 60 % des cas (et plus de 70 % pour les legationes), les ambassadeurs possèdent un lien institutionnel ou de fidélité avec Jacques II (tableau 12, p. 212). Cette proportion constitue une évaluation a minima, car l’information rassemblée sur les hommes effectuant une ambassade n’est pas exhaustive et il faudrait aussi tenir compte — ce qui est beaucoup plus difficile à mettre en statistiques — d’autres types de liens entre le roi et ses hommes, certains d’entre eux lui ayant déjà rendu des services non diplomatiques, comme par exemple le banquier Berenguer de Finestres, grand prêteur à la monarchie131. Le pouvoir royal utilise pour les ambassades aussi bien des officiers délégués sur les territoires de la Couronne que des membres d’administrations « centrales » (chancellerie, trésor, mestre racional) ou des maisons du roi, de la reine et des infants, avec néanmoins une nette préférence pour les membres de ces mondes curiaux. Le choix des ambassadeurs paraît plus relever d’un critère de proximité au roi que d’un hypothétique accaparement de la fonction diplomatique par un groupe spécifique de serviteurs de Jacques II.
64Parmi les membres des maisons du roi, de la reine et des infants, ce sont des serviteurs et des officiers de statuts très variés qui effectuent des missions à l’étranger au nom de Jacques II (tableau 13, p. 213). Même si l’on ignore la position réelle d’une proportion importante de ces hommes, les écuyers, les portiers ([h]ostiarii) et surtout les juges de cour (judices curie) sont assurément ceux qui partent le plus en ambassade. Le règne de Jacques II s’inscrit ici dans la continuité des pratiques de ses prédécesseurs, Pierre III et Alphonse III d’Aragon132. Les portiers ne sont jamais chargés de legationes et leur tâche se cantonne, comme pour la plupart des officiers subalternes de la maison du roi, de la reine et des infants, à des missions diplomatiques d’importance limitée, par exemple à la préparation d’ambassades solennelles. Les officiers délégués de la couronne d’Aragon envoyés en ambassade se caractérisent aussi par une très grande diversité, difficilement réductible à une simple grille typologique. On peut néanmoins distinguer les « officiers généraux » (amiral, vice-amiral, procureurs de royaumes, supraveguer, etc.) des officiers importants mais d’un rang inférieur (alcalde, veguer, juges délégués dans les villes, etc.). Au sein des hommes des administrations « centrales », c’est-à-dire directement rattachées au pouvoir dynastique, deux groupes se détachent nettement : les scriptores et les grands responsables (chancelier, vice-chancelier, trésorier, mestre racional). Ce bref panorama conduit à un double constat : le pouvoir recourt pour les ambassades aussi bien à des officiers inférieurs relativement spécialisés dans ces tâches (juges de cour, scriptores et portiers du roi) qu’à des hommes occupant des positions importantes au sein des institutions les plus diverses de tous les territoires de la Couronne. La proximité des ambassadeurs avec le roi est donc forte au niveau institutionnel, mais elle n’est en aucun cas homogène.
b) L’importance des conseillers du roi
65Parmi les hommes qui accomplissent des missions diplomatiques au service de Jacques II, on relève aussi une proportion très importante de conseillers du roi, près du quart pour l’ensemble des ambassades et plus de 40 % pour les legationes. Les conseillers méritent d’être considérés à part, car le conseil ne constitue pas réellement une institution durant le règne de Jacques II. Cet organe politique mouvant, qui ne semble jamais réuni au complet et pour lequel il faut sans doute distinguer le conseil restreint du conseil élargi, demeure encore peu étudié133. Les quelques indications fournies par Ludwig Klüpfel, Jésus Lalinde Abadía, José Trenchs Odena et Luis González Antón plaident toutes en faveur d’une fonction de conseiller relativement ambiguë, qui s’apparente encore plus à l’expression d’une relation de faveur privilégiée avec le souverain qu’à une position institutionnelle assurée134. Dès lors, l’importante participation des conseillers aux ambassades de Jacques II appelle essentiellement deux interprétations. Ce sont tout d’abord des hommes particulièrement bien informés des négociations diplomatiques, matrimoniales et, plus généralement, de l’ensemble des affaires du souverain, d’où leur capacité à agir au nom du roi à l’étranger en connaissance de cause(s). De manière significative, leur importance relative est bien plus grande dans les missions jugées cruciales par le gouvernement royal, les legationes, que dans l’ensemble des ambassades (tableau 12, p. 212). D’autre part, même à l’occasion de missions plus ordinaires, le titre de conseiller est souvent rappelé dans la correspondance diplomatique avec les rois et princes étrangers. Il exprime une relation de confiance réelle et profonde avec leur roi mandataire, ce qui confère à leur parole et à leurs actions un prestige supplémentaire. Quand Jacques II décide en octobre 1312 de dépêcher une ambassade à l’un des fils de l’infant Juan Manuel, l’appartenance au conseil des chargés de mission s’avère un critère de choix décisif :
Nous vous faisons savoir que nous entendons vous envoyer ensuite l’archidiacre de Tarazona [Domingo García de Echauri], notre bien-aimé conseiller, ou un autre homme de notre conseil pour certaines affaires qui sont au service de Dieu, pour notre grand plaisir, ainsi que pour votre honneur et votre profit135.
66La restriction du cercle d’élection de l’ambassadeur est ici très significative. Le conseiller, homme d’expérience, connaisseur des affaires du roi, sans doute lui-même acteur dans les prises de décision politique et dépositaire de la confiance du prince, souvent proche physiquement de ce dernier, réunit les principales qualités attendues des ambassadeurs de Jacques II.
c) Liens personnels avec le roi : les familiares
67Plus que par leur appartenance à un état social déterminé ou par l’exercice d’un office précis au service du roi, les hommes qui accomplissent des ambassades se caractérisent pour une bonne partie d’entre eux par la possession d’un lien de confiance spécifique avec le roi. Ce constat, rendu perceptible par le rôle des conseillers, est corroboré par le poids considérable des familiares dans la diplomatie royale. Pour près de 40 % des participations à des missions à l’étranger, les représentants de Jacques II appartiennent à la familiaritas du roi, une proportion qui dépasse 50 % dans le cas des legationes. Il s’agit donc d’un cercle de recrutement plus important encore que celui des conseillers, qu’il englobe d’ailleurs largement, de nombreux conseillers étant aussi familiers du souverain. Hans Schadek définit la familiaritas dans la couronne d’Aragon comme « une distinction honorifique et une dignité que le roi concède personnellement à certains sujets, au cas par cas et en raison de mérites spécifiques »136. La notion possède donc une extension plus restreinte que l’affinity employée par l’historiographie anglo-saxonne137. Soulignant les origines siciliennes de cette pratique sociale par lequel le roi offre protection, avantage et honneur en échange d’une fidélité accrue, cet auteur montre son utilisation par le pouvoir royal aragonais comme « instrument de centralisation » face à des évolutions territoriales et institutionnelles particulièrement divergentes. À partir d’une analyse systématique des familiares, H. Schadek avance aussi l’hypothèse selon laquelle, à partir du règne de Jacques II, le « service diplomatique devint en quelque sorte le domaine des familiers du roi »138.
68L’examen des ambassades de Jacques II conduit à préciser et, en partie, à réviser cette affirmation. Tout d’abord, la place prépondérante des familiers parmi les ambassadeurs de Jacques II confirme l’importance d’un critère de choix essentiel pour le pouvoir : une loyauté à toute épreuve à l’égard du souverain mandataire. De manière significative, plusieurs ambassadeurs, Gisbert de Castellet et Vidal de Vilanova par exemple, étaient déjà familiers de Jacques lorsqu’il était roi de Sicile (1286-1291)139. D’autres représentants de Jacques II à l’étranger furent pour leur part familiers des prédécesseurs du roi. Tel est le cas d’Alemany de Gudar, de Bertran de Canelles, de Berenguer de Conques, de Lope Ferrench de Luna, de Pere de Libia, de Pere de Queralt et de Ramon Alamany, auparavant membres de la familiaritas de Pierre III d’Aragon. De même que l’expérience diplomatique, le groupe des familiers constitue en ce sens un facteur de continuité important pour la diplomatie aragonaise.
69Comme de nombreux autres souverains possèdent aussi une familiaritas nombreuse140, ce lien de pouvoir original sert également d’instrument privilégié pour les relations entre les cours. La justification de l’accréditation confiée par Jacques II à Bartholomeu Aysivol, naturel de la couronne d’Aragon et familier de Frédéric III auprès duquel il se rend, en fournit un exemple éloquent :
… Parce que nous avons appris de façon certaine, par le récit de personnes dignes de foi, que Bartholomeu Aysivol, notre naturel, votre familier, se trouve à votre service, et en particulier qu’il prend part à vos affaires secrètes, et que nous pouvions nous fier à lui en toute confiance et le charger de certaines choses, convaincu par ces arguments, nous avons parlé avec ce même Bartholomeu de certaines choses très secrètes qu’il devra exposer en votre présence. Vous pourrez donc octroyer pleine confiance à ce que ledit Bartholomeu vous exposera de notre part141.
70Le poids des familiers dans la diplomatie aragonaise s’explique donc par la recherche d’individus rassurants, loyaux et proches du roi, mais il semble aussi correspondre à une modalité plus générale du fonctionnement des relations entre les cours princières et royales — au moins avec la Sicile et les Angevins. Si l’appartenance à la familiaritas de Jacques II est le gage d’un service loyal comme ambassadeur, les familiers d’un souverain étranger offrent quant à eux la garantie que le message sera emporté, la mission accomplie et le secret conservé, une assurance particulièrement précieuse lorsque l’information doit demeurer confidentielle et orale.
71Jacques II fait alors logiquement appel pour ses ambassades à des hommes qui bénéficient d’un lien de familiaritas auprès du souverain auquel ils doivent rendre visite. Certains sont de simples ambassadeurs étrangers renvoyés ad invicem, comme Janucius de Parisa ou Peregrino de Messine qui retournent auprès de Frédéric III de Sicile munis d’une accréditation, respectivement en 1304 et en 1310142. Il existe cependant aussi parmi les ambassadeurs du roi d’Aragon des hommes qui disposent d’un double lien de familiaritas, avec Jacques II comme avec un souverain étranger, le roi angevin de Naples et le roi de Sicile tout particulièrement143. Ils jouent un rôle de premier plan dans les relations établies avec ces cours. « Hommes doubles » souvent d’origine étrangère, ils sont fréquemment des ambassadeurs très importants de Jacques II : les noms de Bertran de Canelles, Gilabert de Centelles, Guillem Esquerrer, Enric Gerart, Giovanni di Procida, Gisbert de Castellet, Gui de Chenevières, Guillem Llull, Pere de Montmeló, Ramon de Montrós et de Ricart de Bonamort apparaissent très régulièrement en tête des missions importantes pour la Couronne144. Ces hommes contribuent par leur présence, par leurs liens privilégiés avec différents souverains et par leur action diplomatique, à maintenir une certaine stabilité dans les relations entre les cours. La continuité de la diplomatie royale, favorisée par les perfectionnements de la chancellerie, s’incarne ainsi de manière visible en quelques individus connus et reconnus de tous. Dépositaires de la confiance de deux souverains, les « doubles familiers » sont particulièrement appréciés pour des affaires délicates. Guillem Llull, commun familier (communi familiari) de Jacques II et de Charles II d’Anjou, est ainsi chargé par ce dernier d’expliquer oralement au roi d’Aragon ses intentions au sujet de la préparation d’une expédition commune en Sicile, un projet dont il est naturellement préférable de ne pas porter sur soi une trace écrite susceptible d’être interceptée145. La possession d’un double lien de familiaritas place cependant parfois le souverain aragonais en difficulté lorsqu’il souhaite employer ces hommes146. Au mois de juin 1304, Charles II lui oppose ainsi une fin de non-recevoir lorsqu’il sollicite la permission de faire revenir dans les terres de la couronne d’Aragon Pere de Montagut, leur commun familier et chevalier. Charles II ne peut en effet s’en dispenser, de même que d’autres hommes d’armes qui lui sont alors absolument nécessaires147.
72Pour autant, les familiers n’effectuent cependant pas toutes les missions à l’étranger au nom du roi. Souvent déterminante, la qualité de familiaris du monarque, de même que les autres critères examinés successivement, en particulier le fait d’être conseiller, ne saurait donc être érigée en condition nécessaire et suffisante pour la désignation de tous les ambassadeurs. En fait, apparaissent ici les limites d’une analyse facteur par facteur des raisons du choix des ambassadeurs. À trop vouloir isoler le facteur déterminant qui présiderait aux décisions du pouvoir, on court en effet le risque de perdre de vue la logique d’ensemble du choix des hommes.
73Objet de probables délibérations au conseil du roi, acte présenté — au moins formellement — comme une décision souveraine du monarque, le choix d’un ambassadeur fait entrer l’individu ainsi désigné dans un état d’exception fondé sur un pacte : l’immunité à l’étranger, la protection royale sur sa personne et sur ses biens, en échange du total dévouement à sa mission. Pour autant, la nature du lien juridique entre Jacques II et ses ambassadeurs est très variable, ce qui, au-delà de l’emploi général du mot « nuncius », explique pour une large part l’usage de plusieurs termes pour désigner les représentants du roi. De même, l’horizon d’attente du pouvoir vis-à-vis des hommes envoyés en ambassade s’est avéré multiple, complexe. On recherche des qualités proches de celles requises des conseillers, la loyauté, la prudence, le zèle, mais avec des accents divers selon les missions, pas de façon immuable ; une représentation honorable est perçue comme absolument indispensable, mais sans que cela se traduise par une composition figée des ambassades. Derrière cette variété qui peut paraître dangereusement irréductible, il faut voir la recherche de missions adaptées aux cours étrangères, efficaces, et, parallèlement, la nécessaire prise en compte des disponibilités en finances et en hommes. La prépondérance des ambassades menées par un seul représentant du roi s’explique alors à la fois par un souci d’économie — les suites somptuaires sont particulièrement coûteuses — et, corrélativement, par une activité diplomatique parfois frénétique dont le rythme est plus facile à suivre par un seul homme bien (in)formé que par des ambassades pléthoriques.
74Les individus jugés suffisamment qualifiés pour prendre en charge ces missions proviennent d’origines sociales hétérogènes et leur rapport aux institutions royales est très divers. Les Catalans jouent néanmoins un rôle nettement plus important que les hommes issus d’autres territoires de la Couronne. La majorité des représentants du roi à l’étranger bénéficient de surcroît d’un lien de confiance privilégié avec le pouvoir et remplissent des conditions préalables propres à l’action diplomatique : un rang social élevé ou très élevé et une culture importante, surtout dans le domaine de l’écrit. Dès lors, les ambassadeurs sont choisis pour chaque mission dans différents cercles non exclusifs de faveur ou de fidélité au roi dont les membres peuvent répondre à ces diverses exigences : les officiers des institutions de la Couronne, les membres de la famille royale, les personnes présentes à la cour, enfin et surtout, les familiares et les conseillers sont susceptibles d’être désignés pour partir sur les routes. La diplomatie de Jacques II n’est donc pas l’œuvre exclusive d’un groupe déterminé de serviteurs du roi. Cette pratique politique non institutionnalisée demeure en fait un domaine relativement ouvert de l’action politique royale, où coexistent et parfois se confrontent pour la désignation des ambassadeurs diverses logiques de relations avec le pouvoir : des rapports de fidélité personnelle et des relations d’appartenance institutionnelle. La diplomatie exprime et reflète ainsi de manière singulière la nature du pouvoir de la monarchie aragonaise, suffisamment fort pour imposer qu’une majorité des ambassades et les plus importantes d’entre elles soient menées par des conseillers et des familiers du roi, mais qui ne peut pour autant se dispenser complètement du recours à d’autres hommes de la Couronne.
Notes de bas de page
1 B. Guenée, L’Occident aux XIVe et XVe siècles, pp. 215-216.
2 G. P. Cuttino, English Diplomatic administration, chap. v ; F.-L. Ganshof, Le Moyen Âge, chap. xii ; D. E. Queller, The Office of Ambassador, pp. 149-174.
3 C. Lutter, Politische Kommunikation an der Wende vom Mittelalter zur Neuzeit, pp. 191-199 ; A. Reitemeier, Aussenpolitik im Spätmittelalter, pp. 345-370 ; N. Jaspert, « Wort, Schrift und Bild », p. 293. Pour Byzance, voir N. Oikonoumidès, « Byzantine diplomacy » ; É. Malamut, « De 1299 à 1451 au cœur des ambassades byzantines ».
4 A. H. de Oliveira Marques, « As relações diplomaticas » ; I. Beceiro Pita, « La importancia de la cultura en las relaciones peninsulares » ; R. Salicrú i Lluch, « La diplomacia y las embajadas ».
5 Voir introduction, pp. 7-8.
6 R. Fubini, Quattrocento fiorentino, pp. 11-98 ; F. Leverotti, Diplomazia e governo dello stato ; P. Margaroli, Diplomazia e stati rinascimentali ; F. Senatore, Forme e strutture della diplomazia sforzesca, p. 73.
7 Similitude des termes relevée par Du Cange, Glossarium mediae et infimae latinitatis auctum, t. IV, col. 625, qui définit le « nuntius » comme « legatus, missus ».
8 J. Merceron, Le message et sa fiction, chap. i ; F. Leverotti, Diplomazia e governo dello stato, p. 25 ; Ch. Giry-Deloison, Les rapports franco-anglais de 1485 au camp du Drap d’Or, pp. 52-62.
9 F.-L. Ganshof, Le Moyen Âge ; D. E. Queller, The Office of Ambassador ; Id., « Diplomacy, Western European ».
10 Le Speculum juris de Guillaume Durand, comprenant le Speculum legatorum, circule en Catalogne. Pere Comte (II), marchand de Barcelone, en vend un exemplaire au docteur en lois Bernat de Vilarrúbia (J. Hernando i Delgado, Llibres i lectors a la Barcelona del s. XIV, t. I, doc. 23, p. 80, t. II, p. 748).
11 D. E. Queller, The Office of Ambassador ; J. Merceron, Le message et sa fiction, p. 103.
12 Cl. I. Kyer, The papal Legate, pp. 4-66. Pour Guillaume Durand, l’office de legatus demeure néannmoins particulièrement difficile à définir : « Quoniam legatorum officium seu potestas, paucis prudentibus innotescit, super quo dubia oriri videmus infinita, et peritos ad invicem dissentire ; idcirco de officio Legati plene tractare praevidimus » (V. E. Hrabar, De legatis et Legationibus, p. 31). Même s’il considère que le legatus peut désigner tout type d’envoyé (« Legatus est seu dici potest, quicumque ab alio missus est, sive a principe, vel a papa ad alios, sive ab aliqua civitate, vel provincia ad principem vel ad alium, sive etiam a proconsule. Hinc est quod legatus dicitur vicarius muneris alieni », ibid., p. 32), son ouvrage est consacré aux seuls légats pontificaux.
13 Voir par exemple ACA, C, reg. 338, ffos 3r°[2], 11v°[2]. De nombreuses ambassades solennelles sont destinées au pape pour son accession au trône de Pierre (H. Finke, Aus den Tagen Bonifaz VIII, doc. 17, pp. lxvii-xviii).
14 Lettre de Guerau de Albalat à Jacques II : « … quia nuncium specialem non habebam in promptu, presentes litteras electo Barchinonensi per suum nuncium misi, et eum ex parte vestra, inclite domine, attenter rogavi, ut quantocius per aliquem fidelem suum et propium nuncium eas trono regio destinaret … » (H. Finke, Aus den Tagen Bonifaz VIII, doc. 11, pp. l-lviii [18 mars 1303, Rome]).
15 Cl. I. Kyer, The papal Legate ; R. C. Figueira, « “Legatus apostolice sedis” » ; D. Girgensohn, « Gesandte. Kirchlicher Bereich » ; P. Blet, Histoire de la représentation diplomatique du Saint-Siège ; O. Guyotjeannin, « Légat ». Les envoyés sont parfois qualifiés de deputatus ou de commissarius quand ils négocient avec d’autres ambassadeurs (ACA, C, reg. 116, f° 270r°-v° ; CR de Jaume II, caixa 5, n° 1192), mais ils restent des nuncii (ACA, C, P. de Jaume II, n° 1503).
16 Respectivement ACA, C, reg. 334, ffos 20r°, 21r°, 21v° ; ACA, C, CR de Jaume II, caixa 10, n° 1332.
17 Instructions de Jacques II à Bernat Çespujades : « … però fa mester que sia açò secret, sobiranament axí per bé del rey Ffrederic, cor, si açò era sabut, lo seu fet se’n poria molt afollar e al senyor rey e al senyor infant ne vendria gran càrrech […] cor lo senyor rey e el senyor infant, veents que és sobre necessari que açò sia secret, han fet fer sagrament e homenatge al dit en Bernat Çespujades que d’aquest fet no·s rahon ne parle nuyl temps ab pressona sinó ab lo dit rey Ffrederic… » (ACA, C, reg. 338, ffos 168v°-169r° [ca. 25 février 1325, Valence]).
18 La formule legatio commissa figure fréquemment dans les rubriques des Registra secreta ; l’envoi pour affaires dans les lettres de créance, comme celles des ambassadeurs Ximen de Lenda et Pere Desvall (ACA, C, reg. 334, f° 20v° [28 avril 1301, Valence]).
19 D. E. Queller, The Office of Ambassador, pp. 100, 176-184, 207-208 et 228 ; M. Kintzinger, « Cum salvo conductu » ; K. Plöger, England and the Avignon Popes, pp. 124 sq. ; pp. 131 sq. L’immunité du legatus est rappelée par Guillaume Durand dans son Speculum Legatorum : « nuncii, quos apud nos hostes mittunt, legati dicuntur, quorum legatorum causa sancta res est. Nam si quis eos pulsaverit, hostibus, quorum legati erant, tradendus est, ut illorum servus efficiatur » (V. E. Hrabar, De legatis et Legationibus, p. 32).
20 ACA, C, reg. 101, f° 81r°[2] (7 mai 1295, Barcelone). Sur les lettres de marque, voir pp. 364-371.
21 Ibid., f° 209 r°[2], 209 v°[1] (2 juillet 1295, Valence).
22 ACA, C, reg. 102, f° 11r°[2] (19 septembre 1295, Gérone).
23 ACA, C, reg. 112, f° 64r°[3-4] (21 juin 1298, Palamós).
24 « … Eidem non possimus in sua justicia defficere nec etiam deberemus… » (ACA, C, reg. 102, f° 11r°[2]).
25 On ne trouve pas à ce sujet dans la couronne d’Aragon de prescriptions normatives similaires à celles des Siete Partidas. Sur ce point, voir S. Péquignot, « L’ambassadeur dans les miroirs des princes ».
26 Sur ce type de guiatge, voir R. I. Burns, « The Guidaticum safe-conduct in Medieval Arago-Catalonia ».
27 « … Bien ssabedes vos que tantos bonos sserviçios a ffecho et ffase a vos et a mí el arçidiano que anparado devia ffer todo lo suyo … » (ACA, C, CR de Jaume II, caixa 25, n° 3163 [3 février 1308, Zamora]).
28 « … Por que vos ruego, rey […] que mandedes ssaber que gente fue aquélla que con él vino a esto, e si lo fisieron por mandado de don Alffonso, o por qual rrasón, e tened por bien que aya yo ende emienda, e vos que ffagades y escarmiento, por que otro ninguno non se atrevia d’aquí adelante a ffaser esto del un regno al otro, así como sabedes se lo avemos en postura […] E si Martín Rroys querella avía del arçidiano, mostraselo a vos et a mí que ssiempre él ffallará derrecho en la vuestra casa o en la mía … » (ibid.).
29 Même phénomène en Angleterre : P. Chaplais, English Diplomatic Practice in the Middle Ages, p. 219.
30 Ordre de Jacques II à ses officiers pour Guillem Durfort, envoyé à Charles II (ACA, C, reg. 96, f° 7v°[2] [8 septembre 1293, Saragosse]).
31 ACA, C, reg. 100, f° 356v°[2] (2 mars 1295, Barcelone).
32 « … Cum nos dictum Guilabertum valde necessarium habeamus pro quibusdam magnis et arduis negociis nostris […] vobis dicimus et mandamus, quatinus eidem hominibus ac rebus suis nullum malum seu dampnum infferatis seu inferri per Malgaulium filium vestrum aut homines vestros faciatis […] rogantes etiam vos, ut cum eodem Guilaberto in treugis illis seu renonciis, in quibus cum eodem eratis ante predictam treugarum seu renonciarum redditionem, sitis donec reverssus fuerit de nostris negociis antedictis … » (ibid., ffos 356v°[3]-357r° [2 mars 1295, Barcelone]).
33 Lettre de Jacques II au sénéchal de Carcassonne et de Béziers : « Cum […] idemque episcopus teneatur aliquibus personis in diversis peccunie quantitatibus ac sit parvo Montispesulani sigillo obligatus et ex hoc timeat super premissis sibi seu familie ac bonis suis impedimentum fieri seu inferri. Ideo vos intente rogamus, quatenus prefato episcopo familie equitaturis seu rebus suis nullum infra jurisdictionem vobis comissam eundo, stando ac redeundo ad instantiam quorumlibet creditorum disturbium seu impedimentum aliquod inferatis, seu per aliquem vel aliquos permittatis inferri … » (ACA, C, reg. 339, ffos 191v°[2]-192r° [25 février 1326, Barcelone]).
34 Guillem Palazín, scriptor et merino de Saragosse, doit rejoindre Jacques II pour une ambassade en Castille après avoir trouvé une personne idoine pour le remplacer (ACA, C, reg. 251, f° 52v°[1] [21 novembre 1312]) ; le bailli de Figueras, ambassadeur à Naples, est remplacé (ibid., f° 90v°[2] [13 novembre 1313, Tarragone]), etc.
35 « … Percepto quod debebatur apud Maioricem vos conferre, ecce mitimus vobis quedam capitula, quae illustri regi Maiorice, patruo nostro karissimo, per vos providimus exponenda. Rogamus igitur vos quatinus, capitulorum ipsorum tenore prospecto ea oportunitate captata, pro parte nostra dicto regi discretius et maturius ut poteritis exponatis… » (ACA, C, reg. 334, f° 33r°[1] [10 août 1301, Lérida]).
36 ACA, C, reg. 337, f° 342r°[1] (2 janvier 1315, Saragosse).
37 ACA, C, reg. 238, f° 153r°[2] (1er mai 1310, Teruel). Le motif est une ambassade, car, le 18 mai 1310 (Teruel), Jacques II annonce son envoi à l’infant Juan de Castille (ibid., f° 141r°[2] ; ACA, C, Varia 341 H, f° 18v°).
38 Convocation de Ponç, évêque de Lérida : « … Cum pro quibusdam nostris celeribus negociis vos plenum necessarium habeamus. Idcirco vos attente rogamus quatenus, quibuscumque negociis pretermissis, ad nos ut citius poteretis accessum nec expectatis adventum nostrum apud Illerdam seu ubicumque fuerimus continui veniat. In hoc non deficiatis aliqua ratione si nobis placere cupitis et servire … » (ACA, C, reg. 238, f° 17r°[1] [17 janvier 1309, Huesca]). Le 1er février à Monzón, l’évêque reçoit les documents pour une ambassade en Avignon avec Bernat de Fonollar (ACA, C, reg. 335, ffos 257r° sq.).
39 Ordre de Jacques II à Miguel Pérez de Ayerbe de se rendre immédiatement auprès de Ferdinand IV (ACA, C, reg. 1521, f° 131v°[3] [27 juin 1312, Barcelone]).
40 « … Nos itaque, de vestra industria et fide ac affeccione quam ad nostra geritis negocia plenam ab experto habentes fiduciam, vos in ambaxatorem et nuncium nostrum, associatis vobis venerabilibus et dilectis nostris G. de Molleto decano ecclesie Valentine et P. de Monello nostre curie judice, quos hac de causa de intencione nostra plenarie informatos ad vos et ad ipsas partes transmittimus, eligendum providimus ac etiam deputandum… » (ACA, C, reg. 334, f° 153 r°[2]-v° [18 août 1303, Tarazona]).
41 « … Cum autem nostra et archiepiscopi memorati plurimum vertatur intentio, quod vos in legatione predicta multum utilis et necessarius veniretis […] volumus ac vobis dicimus et mandamus quatenus, disposito vestre domui et negociis ad nostram presentiam, sublato more dispendio, veniatis sic paratus ut, si nos in dictam legationem deliberaverimus vos iturum, vos in eandem cum dictis infante et archiepiscopo proficisci et recedere valeatis, ita quod ad tunc vos non conveniat repetere domum vestram. Et hoc nullatenus differatis… » (ACA, C, reg. 337, f° 351r°[3] [15 mai 1315, Barcelone]).
42 H. Finke, Acta Aragonensia, t. I, doc. 198, pp. 283-284 (29 mars 1312, Valence).
43 L. González Antón, « Las cortes aragonesas en el reinado de Jaime II », pp. 561, 577-578 et 585-586. Bel exemple de participation des Corts au choix des représentants d’Alphonse III d’Aragon lors des préparatifs de l’ambassade envoyée en 1291 à la conférence de Tarascon (Ramon Muntaner, Crònica, chap. clxxiii, pp. 822-823).
44 « … E acordeme de lo que vos e la senyora reyna e vuestro consejo tractastes quando en vuestra presencia me dieron la información e disían assí los del consello que, pues el rey de Castiella vos avía enbiado su carta en que vos fasía saber que embía a vos sobre este fecho a don Diago García e así que parcía los del consello que yo devía fincar fasta que don Diago García fuesse venido, e vos, senyor, toviesedes por bien e me mandasedes que yo me viniesse e con el dicho Pero Sáncez ensemble que leurassemos este fecho segunt la nuestra información… » (ACA, C, CR de Jaume II, caixa 148 [ES], n° 407). Ce document daté seulement du 15 juillet est probablement lié à une de ses deux ambassades à Grenade en 1311 (À. Masià de Ros, Aragó, Granada i Marroc, pp. 443 et 445).
45 M. Bazzoli, « Raggion di stato » ; R. Fubini, « L’ambasciatore nel XV secolo » ; B. Figluolo, Il diplomatico e il trattatista. Publication partielle de l’Ambaxiatorum Brevilogus dans V. E. Hrabar, De legatis et legationibus, pp. 31-41.
46 Les chroniques consultées — catalanes, castillanes, portugaises, siciliennes et françaises — mettent surtout l’accent sur les vistes. Voir pp. 450-453.
47 M. Á. Ochoa Brun, Historia de la diplomacia española, t. III, pp. 325-336 ; A. Nussbaum, Historia del derecho internacional, pp. 335-357 ; P. Evangelisti, « Per uno studio dellà testualità politica francescana », pp. 581-582 ; Id., I francescani e la costruzione di uno Stato, passim.
48 Vue d’ensemble dans S. Péquignot, « L’ambassadeur dans les miroirs des princes ».
49 Sur les miroirs des princes, voir W. Berges, Die Fürstenspiegel ; H.-H. Anton et al., « Fürstenspiegel » ; J.-P. Genet, « L’évolution du genre des Miroirs des Princes » ; J. Krynen, L’Empire du roi, pp. 170-204. Pour la péninsule Ibérique, B. Palacios Martín, « El mundo de las ideas políticas » ; J. M. Nieto Soria, « Les miroirs des princes dans l’historiographie espagnole » ; A. Rucquoi et H. Bizzarri, « Los espejos de príncipes en Castilla ».
50 Il n’existe pas d’édition intégrale dans la version latine (De Regimine principum Libri III, Rome, 1556, réimpression Minerva, Francfort, 1968). Ont été consultés ici les incunables en traduction catalane : Gilles de Rome, Libre del Regiment dels princeps, éd. N. Spindeler, Barcelone, 1480 et éd. J. Luschner, Barcelone, 1498. Le livre se trouve aussi dans certaines bibliothèques barcelonaises du XIVe siècle (J. Hernando i Delgado, Llibres i lectors a la Barcelona del s. XIV, t. I, doc. 77).
51 Gilles de Rome, Libre del Regiment dels princeps, t. III, chap. xix. Dans la couronne d’Aragon, les miroirs des princes postérieurs ne sont pas plus explicites, notamment le De regimine principum de l’infant Pedro d’Aragon, rédigé en 1356. Sur ce texte, voir A. Beauchamp, « De l’action à l’écriture ».
52 Cet ouvrage comportait une partie disparue sur les messagers « Lo quint [tractat] és dels misatgés dels reys » (J. M. Sola-Solé, El Llibre de doctrina del rei Jaume d’Aragó, p. 95).
53 Sur le Secretum Secretorum, voir W. F. Ryan et C. B. Schmitt, Pseudo-Aristotle ; J. Kraye et al., Pseudo-Aristotle in the Middle Ages. Sur son importance dans la couronne d’Aragon, voir L. Cifuentes i Comamala, La ciència en català, pp. 97-105, qui signale (p. 102) la présence en 1322 d’un exemplaire en catalan de ce texte dans la bibliothèque royale. Le texte est cité ici dans la version longue de Philippe de Tripoli, qui circula en péninsule Ibérique. Ont aussi été consultées les traductions postérieures en catalan contenues dans les manuscrits BNE, n° 921 et n° 1474.
54 T. Frenz et P. Herde, Das Brief-und Memorialbuch des Albert Behaim, pp. 327-328. Pour la version catalane, BNE, ms. 921, ffos 22v°-23r° (rubrique de missatges).
55 R. Fubini, Quattrocento fiorentino ; D. E. Queller, Early venetian Legislation on Ambassadors ; Cl. I. Kyer, The papal Legate.
56 Dans le cas français, Hélène Millet constate même qu’« ici [à la fin du Moyen Âge], le cadre institutionnel manque sur lequel pourrait s’appuyer une étude de la diplomatie fondée sur les personnes » (H. Millet, « La place des clercs dans l’appareil d’État », p. 243). L’entreprise a pourtant été tentée pour les envoyés (Gesandten) des puissances européennes européennes à la fin du XVe siècle (voir W. Höflechner, Die Gesandten der europäischen Mächte).
57 Études partielles sur le personnel de cour et les officiers du roi : J. E. Martínez Ferrando, Jaime II de Aragón ; I. Baiges i Jardí, Els registres Officialium.
58 ACA, C, reg. 334-339, reg. 251-254, reg. 235-239, reg. 347 et 1521.
59 Fichier-type de la base de données « ambassades de Jacques II » reproduit en annexe III (CD-ROM).
60 Voir annexe I (CD-ROM).
61 J. Revel (textes présentés et rassemblés par –), Jeux d’échelles.
62 O. Mattéoni, Servir le prince, pp. 258-272 et passim.
63 Extrait d’un pouvoir remis à Pere Boyl pour une ambassade à Avignon en 1318 : « … confisi de industria, fide et legalitate vestri dilecti consiliarii et magistri rationalis nostri Petri de Boyl… » (ACA, C, reg. 337, f° 184v°[2]).
64 ACA, C, reg. 334, ffos 25r°, 26r° (5 juin 1301, Barcelone).
65 « … Nosque apertissime cognoverimus quod negocium possessionis valis predicte quam recuperavimus industria, sollicitudine et diligentia vestris votivum et debitum finem fuerit assequtum, scimusque vos de toto negocio et suis omnibus circumstantiis plenissime melius alio informatum ; propterea tenentes et firmo quod si vos in premissi fueritis ipsius proprietatis questio pro iure et parte nostris utilius producetur ad finem, ex hiis rationibus moti, discretionem vestram attente rogamus quatenus negotio interesse … » (J. Reglá Campistol, La lucha por el Valle de Arán, t. II, doc. 58, pp. 345-346 [27 février 1314, Valence]). Pour le contexte, ibid., t. I, pp. 232-233.
66 « … Eidem domino regi Karolo ea omnia ex parte nostra, cum ea maturitate diligencia reverencia et honore quibus deceat, curetis refferre et exprimere oraculo vive vocis… » (ACA, C, reg. 254, ffos 63v°-64r° [17 août 1297, Valence]).
67 ACA, C, reg. 252, f° 147v°[1].
68 ACA, C, reg. 339, ffos 364v°-365r° (31 octobre 1326, Barcelone).
69 « … Huc usque cum omni fide profecta discretione multaque sollicitudine […] non sine laboribus et expensis frequenteque fatigacione discrasiaque persone in dubiis temporibus et viis nunc viariis nostre terre suam personam ultra ipsius toleranciam exponendo… » (ACA, C, reg. 337, f° 285r°[1] [4 décembre 1316, Naples]).
70 C. Olivera Serrano et I. Pastor Bodmer, « La diplomacia castellana y Alfonso V el Magnánimo » ; I. Beceiro Pita, « La importancia de la cultura en las relaciones peninsulares » ; N. Jaspert, « Wort, Schrift und Bild ».
71 D. E. Queller, The Office of Ambassador, pp. 149-157 ; G. P. Cuttino, English Diplomatic Administration, pp. 95-96.
72 A. Reitemeier, Aussenpolitik im Spätmittelalter, pp. 345-370.
73 En se basant presque exclusivement sur les ambassades à la curie pontificale, l’historien distinguait celles dirigées par trois individus de celles menées par un seul homme, les plus nombreuses. Il assignait un poids mineur aux ambassades à deux têtes, et distinguait dans la composition des legationes de Jacques II le souci d’une représentation des différents états sociaux de la Couronne (H. Finke, Acta Aragonensia, t. I, pp. clx-clxi).
74 V. Salavert y Roca, « El tratado de Anagni » ; A. Kiesewetter, Die Anfänge der Regierung König Karls II. von Anjou, pp. 275-298.
75 ACA, C, reg. 336, ffos 67r° sq., A. Forey, The Fall of the Templars, pp. 157 sq.
76 Les historiens s’accordent pour estimer à environ 500.000 le nombre d’habitants en Catalogne au début du XIVe siècle (T. N. Bisson, Història de la Corona d’Aragó, p. 175 ; G. Feliu, « La demografia baixmedieval catalana », p. 31). En revanche, la population aragonaise a récemment été réévaluée, de 250.000 à 450.000 habitants (J. Á. Sesma Muñoz et C. Laliena corbera [coord.], La población de Aragón en la Edad Media, p. 14). Pour le royaume de Valence, dont la population connaît une croissance importante à la fin du XIIIe siècle, l’estimation est plus difficile, mais il est plausible que 200.000 habitants y résident vers 1300 (A. Furió, Història del País Valencià, pp. 82-83, 91-93).
77 J. N. Hillgarth, The Problem of a Catalan Mediterranean Empire, p. 20. Ce résultat contredit les indications données par Heinrich Finke dans son introduction aux Acta Aragonensia, pour lequel les clercs sont peu nombreux dans les ambassades envoyées à l’étranger par le roi d’Aragon.
78 Sur le chapitre cathédral de Santa Eulàlia del Camp (Barcelone), voir N. Jaspert, Stift und Stadt.
79 P. Evangelisti, « Per uno studio dellà testualità politica francescana », pp. 574-576.
80 Sur ces liens, voir pp. 388-395.
81 Voir les notices en annexe I (CD-ROM), notices 44, 122, 131, 143, 235.
82 Ibid., annexe I (CD-ROM), notices 198, 246
83 Jofre de Foix, abbé de Foix et archidiacre de Tarragone ; Bonanat abbé de Santes Creus et Ramon, abbé de Ripoll. Voir leurs notices en annexe I (CD-ROM), notices 30, 73, 267.
84 AHCB, CC, Sèrie I : LC, 1-10 ; J. F. Boscà, Memorial Històric, édition partielle des registres par C. Batlle et al., El « Llibre del Consell ».
85 Ramon Ricart, employé en 1304 pour l’affaire de la leude majorquine, constitue une exception (ACA, C, reg. 239, f° 26v° (II) [1]).
86 Seize des citoyens de Barcelone ambassadeurs exerceront comme jurats, onze comme conseillers (consellers). Bernat Safont, Berenguer de Sarrià et Guillem de Mirambell ont été jurats avant d’être ambassadeurs, alors que Pere Sacosta fut d’abord ambassadeur, puis jurat (voir annexe I [CD-ROM], notices 90, 206, 303).
87 J. Sobrequès i Callicò (dir.), Història de Barcelona, t. III, pp. 278 et 311, n. 12.
88 J. M. de Palacio, « Contribución al estudio de los burgueses y ciudadanos honrados de Cataluña » ; Ch.-E. Dufourcq, « “Honrats”, “mercaders” et autres » ; J. Fernández Trabal, « De “prohoms” a “honrats” », qui ne prend pas en compte la première moitié du XIVe siècle.
89 Voir néanmoins l’étude de plusieurs familles dans C. Batlle et al., El « Llibre del Consell ».
90 Voir les notices en annexe I (CD-ROM) ; S. P. Bensch, Barcelona i els seus dirigents, passim.
91 I. Beceiro Pita, « La importancia de la cultura en las relaciones peninsulares » ; pour l’Italie du XVe siècle, voir P. Gilli, « Culture et diplomatie en Italie ».
92 C. Guiu et S. Péquignot, « Historiographie catalane, histoire vive ».
93 Le représentant le plus significatif de ce courant est Antoni Rubió i Lluch. Cette perspective d’affirmation identitaire et nationale — où l’exaltation devant la richesse des Archives de la Couronne d’Aragon constitue un topos obligé — se retrouve dans Martí de Barcelona, « La cultura catalana durant el regnat de Jaume II ».
94 A. Rubió i Lluch, Documents per l’historia de la cultura catalana mig-eval, t. II, pp. lxiii-lxvi, lxxix-cxv ; E. Serra Ràfols, Una universidad medieval ; R. Gaya Massot, « El chartularium universitatis Ilerdensis » ; La Universitat de Lleida ; M. Pesset, « La fundación y el fuero universitario de Lérida ».
95 A. de la Torre y del Cerro (dir.), Documentos para la Historia de la Universidad de Barcelona, t. I ; J. Perarnau, « L’“Ordinacio studii Barchinone et rectoris ejusdem” » ; J. Hernando i Delgado, « L’ensenyament a Barcelona ». L’université de Barcelone ne fut fondée qu’en 1450.
96 J. Miret i Sans, « Escolars catalans al Estudi de Bolonia » ; A. García García, « Escolares ibéricos en Bolonia » ; P. Bertran Roigé, « Estudiants catalans a la Universitat de Bolonya ».
97 H. Denifle, Chartularium Universitatis Parisiensis, t. I-II. Pour Montpellier, outre le cartulaire de l’université, voir L’Université de Montpellier.
98 S. P. Bensch, Barcelona i els seus dirigents, pp. 347-348 ; T. de Montagut Estraguès, « El règim jurídic dels juristes de Barcelona ».
99 Francesc de Luna, Pere Batlle, Pere de Vilarasa, Ramon Calvet, Pere Desprat, Andrea Maciani, Berenguer Desmàs, Berenguer de Sarrià, Bernat de Segalars, Bernat Sabadia. Voir annexe I (CD-ROM), notices 25, 39, 90, 176, 179, 286, 303, 308, 343.
100 Miguel del Corral, Ramon de Masquefa, Joan Borgunyó. Voir annexe I (CD-ROM), notices 33, 70, 198.
101 Pere de Calders et Guillem Galvany sont étudiants à Bologne en 1269, Ramon Manresa en 1285 et Pere Llobet, qualifié de « catelonia », en 1289 (P. Bertran Roigé, « Estudiants catalans a la Universitat de Bolonya », p. 133, n. 77, p. 141). La fréquence de ces patronymes en catalan rend l’identification incertaine.
102 Pere Costa, étudiant originaire d’Elne (ibid., p. 141).
103 Ramon d’Avinyó reçoit le 30 octobre 1307 de l’évêque de Barcelone Ponç de Gualba 100 sous « in subsidium sui studii » (J. Perarnau, « L’“Ordinacio studii Barchinone et rectoris ejusdem” », p. 182).
104 Ponç Carbonell (J. E. Martínez Ferrando, Jaime II de Aragón, t. II, p. 190), Bernat Esquerrer (Martí de Barcelona, « La cultura catalana durant el regnat de Jaume II », p. 222) et Bernat de Montalegre à qui l’on prête en 1284 un Décret pour cause d’études (J. Mas, « Notes documentals de llibres antichs a Barcelona », p. 164).
105 Miguel del Corral écrit ainsi à Jacques II « … quod ipse [Charles de Valois] iret illuc cum filiis suis et faceret son leyau poer, suum fidele posse, quia multum tenebatur … » (ACA, C, CR de Jaume II, caixa 128 [AG], n° 51 [24 août 1324, Paris]), éd. partielle H. Finke, Acta Aragonensia, t. I, doc. 323, pp. 483-486, ici p. 484, cote erronée).
106 A. H. de Oliveira Marques, « As relações diplomaticas ».
107 « … Sant pare, vós me manàs ir, que yo proposàs aquest fet en consistori e donàs-me dia a diluns, e yo, sant pare, no són clergue ne són letrat, que sabés proposar en latí, e dupte-me, que, si yo recomptava la bona affeccion, que monsenyor lo rey ha en aquests affers, que alguns dels cardenals no m’entesessen mon lenguatge, e per ço era mon enteniment, que el sagristà de Malorques, qui és açí en la cort e és de conçel de monsenyor lo rey, recomptàs en latí aquest fet, e ja n’avia parlat ab ell, e ara, sant pare, vos havets tramés a mi soptosamente e yo, per obehir vostra manament, són vengut tost davant vos, si que no he pugut fer demanar ell ; perquè sant pare, si vós volets, que en ma lengua recompte la bona intenció, que monsenyor lo rey ha en aquestes affers, yo ho faré. E el respos-me tantost : Digats-ho, que bé us entendrem. E lavors yo començe e fiu ma proposició e recompte-li, segons que Déus mils me ministra, la bona intenció, que vós haviets en aquests fets de servir Déu e la sancta esgleya e ell. E com yo agui finada ma proposició, el me dix, que bé m’avien entès e que no m’hi calia demanar savi ne mestre en teologia, que yo havia be recomptada vostra intenció, la qual entenia, que era bona, santa e devota e aytal com devia ésser de príncep cathòlic… » (H. Finke, Acta Aragonensia, t. III, doc. 164, pp. 345-351, ici p. 348).
108 Par exemple, ACA, C, reg. 336, ffos 107r°[2]-108r° ; reg. 338, ffos 5r°-9v° ; reg. 339, ffos 215v°-216r°.
109 Lettre des ambassadeurs à Jacques II : « … e nós dixem-li que la havíem e que la li daríem, mas que era en romanç, e ell dix-nos que ell entenia bé nostre romanç mas no el sabria legir, mas que tantost lo tornassem en latí que molt volenters lo legiria e hi estudiaria. E nós, senyor, havem lo tornat en latí e havem hi fet I poch de pròlec, e així com les paraules anaven al senyor rey de Mallorches van a vos, e puis covinentment mudat e adobat havem-ne tret tot zo que vós, senyor, senyelas e ancara alscuns capítols que en alcuna cosa eren contra nostra missatgeria… » (V. Salavert y Roca, Cerdeña y la expansión mediterránea de la Corona de Aragón, t. II, doc. 340, pp. 426-427 [9 mars 1309, Mondragón]).
110 Sur ces sources notariées, voir J. Hernando i Delgado, Llibres i lectors a la Barcelona del s. XIV, t. I, pp. 11-12.
111 J. Mas, « Notes documentals de llibres antichs a Barcelona », p. 164.
112 Ibid., pp. 238-239.
113 J. Hernando i Delgado, Llibres i lectors a la Barcelona del s. XIV, t. I, doc. 29, pp. 73-75.
114 Ibid., t. I, doc. 15, pp. 53-54.
115 M. de Barcelona, « La cultura catalana durant el regnat de Jaume II », doc. 50, p. 267.
116 J. E. Martínez Ferrando, « La Cámara Real en el Reinado de Jaime II », doc. 82, p. 111.
117 J. Hernando i Delgado, Llibres i lectors a la Barcelona del s. XIV, t. I, doc. 32-34, pp. 78-80.
118 ACB, Div. A, perg. n° 1863, éd. partielle J. Hernando i Delgado, Llibres i lectors a la Barcelona del s. XIV, t. I, doc. 41, pp. 89-90 (23 décembre 1326, Barcelone). Bernat de Fonollar lègue ensuite 2.000 sous au chanoine Guillem de Torrelles ad opus librorum (ibid., t. I, doc. 40, pp. 88-89 [24 mai 1326, Barcelone]).
119 Martí de Barcelona, « La cultura catalana durant el regnat de Jaume II », doc. 241, pp. 210-211.
120 J. Hernando i Delgado, « Una biblioteca privada pluridisciplinar del segle XIV ».
121 « … Unum tractatum sive summam magistri Johannis Burgundi canonici Maioricensis, metrice factam, continentem quod papa possit cedere et renunciare, et est glosata et illuminata et est scripta in duobus quadernis… » (A. Rubió i Lluch, Documents per l’historia de la cultura catalana mig-eval, t. II, p. xxx, n. 3).
122 Martí de Barcelona, « La cultura catalana durant el regnat de Jaume II », p. 227, n. 120, p. 228, n. 139. Sur Pere Marsili, voir S. M. Cingolani, La memòria dels reis, pp. 152-153.
123 Martí de Barcelona, « La cultura catalana durant el regnat de Jaume II », doc. 375, pp. 424-425 (26 février 1322, Tortosa).
124 Ibid., doc. 372, p. 423 ; A. Rubió i Lluch, Documents per l’historia de la cultura catalana mig-eval, t. I, doc. LVII, p. 64 ; H. Finke, Acta Aragonensia, t. II, p. 931.
125 28 avril (Marseille), 6 juin (Naples), 2 juillet (Palerme) et 9 juillet 1308 (Gênes) ; 4 et 31 octobre 1312 (Godalest) ; 20 décembre et fin décembre 1313 (Palerme), 22 février 1323 (Messine) [V. Salavert y Roca, Cerdeña y la expansión mediterránea de la Corona de Aragón, t. II, doc. 250, pp. 304-305 ; doc. 255, pp. 313-314, doc. 257, pp. 316-317, doc. 472, pp. 607-608, doc. 480-481, pp. 616-623 ; ACA, C, CR de Jaume II, caixa 34, n° 4269 (éd. partielle H. Finke, Acta Aragonensia, t. I, p. 576 [4]) ; caixa 35, n° 4436, caixa 149 (ES), n° 553].
126 Rapports comme procureur du royaume de Murcie : ACA, C, CR de Jaume II, caixa 8, n° 1110, n° 1132.
127 V. Salavert y Roca, Cerdeña y la expansión mediterránea de la Corona de Aragón, t. II, doc. 480, pp. 616-617.
128 Ibid., t. II, doc. 472, pp. 607-608.
129 « E segons, senyor, que hom diu en Aragó : poretz fer d’una vía dos mandados, aver Serdeya e tractar la pau » (ibid., t. II, doc. 481, p. 620).
130 « Senyor, ben sabets vós el senyor rey en Jacme, vostre avi, el senyor rey en Pere, vostre pare, quant conqueriren en lur temps, que no avíen més tresor que vós, sal que avíen tresor de bones gens e leyals, axí con vós, senyor, avets » (ibid.).
131 Berenguer de Finestres se rend en mission à Gênes et à Rome pour le compte de Jacques II avant janvier 1297 (ACA, C, reg. 264, f° 419r°). Au mois de juin de la même année, il doit se rendre avec Guillem Llull auprès de Charles d’Anjou en Provence pour réclamer les sommes nécessaires à l’expédition de Sicile de Jacques II contre son frère Frédéric III, une mission qui se solde par un échec (ACA, C, P. de Jaume II, n° 820 [6 juin 1297, Tarascon]). Or, il a déjà concédé auparavant plusieurs prêts importants à Alphonse III et à Jacques II, obtenu en 1292 en paiement de 150.000 sous de Barcelone qui lui étaient encore dus d’un prêt à Alphonse le droit d’exporter de Sicile 25.000 salmes de blé (G. La Mantia, Codice diplomatico dei re aragonesi di Sicilia, t. II, doc. 84, pp. 106-108, doc. 210, p. 220), et la trace de ses prêts à la monarchie apparaît fréquemment dans les registres du mestre racional (par exemple, ACA, RP, MR 623, ffos 53v°-54r°). Sur sa chute, voir S. P. Bensch, « La primera crisis bancaria de Barcelona ».
132 K. Schwarz, Aragonische Hofordnungen, p. 25.
133 Manque déjà déploré par J. Lalinde Abadía, La Gobernación general en la Corona de Aragón, p. 258.
134 L. González Antón, Las uniones aragonesas, t. I, pp. 402-410 ; L. Klüpfel, Verwaltungsgeschichte des Königsreiches Aragon, p. 12 ; J. Trenchs Odena, Casa, Corte y cancillería de Pedro el Grande ; V. Ferro, El dret Públic Català, pp. 42-44 et, pour la période postérieure, P. Corrao, Governare un regno.
135 « Façemos vos saber que nos vos entendemos luego enviar el arçediagno de Taraçona, amado consellero nuestro o alguno otro de nuestro consello por algunos feytos que son a serviçio de Dios e a grant plaçer de nos, e a honra e pro vuestro … » (ACA, C, reg. 251, f° 82r°-v° [12 octobre 1312, Pertusa]).
136 H. Schadek, « Die Familiaren der sizilischen und aragonesischen Könige », p. 207 ; Id., « Le rôle de la familiaritas royale » ; Id., « Die Familiaren der aragonischen Könige » ; J. Vincke, « Los familiares de la Corona aragonesa ». Sur les familiares, voir aussi M. Kintzinger, Westbindungen im spätmittelalterlichen Europa, pp. 141-228.
137 « The affinity, that is the servants, retainers, ant other followers of a lord, was the most important political grouping in medieval society » (C. Given Wilson, The Royal Household and the King’s Affinity, p. 203).
138 H. Schadek, Die Familiaren der sizilischen und aragonischen Könige, p. 291.
139 Sauf indication particulière, les informations qui suivent proviennent des listes établies par H. Schadek, Die Familiaren der sizilischen und aragonischen Könige.
140 Charles Ier d’Anjou aurait disposé d’un millier de familiers (N. Jaspert, « Wort, Schrift und Bild », p. 294).
141 « … Quia innocuit nobis e certo referentibus fidedignis, quod Bartholomeus Aysivol naturalis noster vester familiaris est adeo in vestris serviciis et vestris secretis negociis circunexus[?] quod in eo poterimus confidenter confidere et queque comittere, inducti ex hoc, loquti sumus ipsi Bartholomeo de quibusdam valde secretis vobis presentialiter exponendis. Plenam igitur fidem adhibere poteritis, hiis que dictus Bartholomeus ex nostra parte vobis duxerit exponenda … » (ACA, C, reg. 338, f° 11v°[2] [18 août 1318, Barcelone]).
142 H. Finke, Acta Aragonensia, t. I, doc. 161, p. 244 (13 juin 1304, Saragosse) ; ACA, C, reg. 336, f° 25r°-v° (24 septembre 1310, Barcelone).
143 Un seul ambassadeur familier de Jacques II, Ramon de Montrós, l’est aussi d’un autre souverain, Denis, roi du Portugal (voir annexe I [CD-ROM], notice 225).
144 Voir annexe I (CD-ROM), notices 29, 41, 52, 59, 61, 103, 130, 163, 261.
145 « … Cogitantes quod scribentis intentum latius sermo exprimit quam scriptum, illa Guillelmo Lulii communi familiari vestro et nostro fideli utique vestro relationi commisimus, ut ea vobis ex parte nostra, prout ad nos deducta sunt, referat viva voce… » (ACA, C, P. de Jaume II, carp. 199 [EI], n° 9 [7 février 1298, Aix-en-Provence]).
146 H. Schadek, Die Familiaren der sizilischen und aragonischen Könige, p. 276.
147 ACA, C, P. de Jaume II, carp. 205 [EI], n° 301 (28 juin 1304, Aversa).
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