Précédent Suivant

Chapitre VIII. Les fournitures aux armées

Une décentralisation indispensable mais partielle

p. 545-609


Texte intégral

1Les armées romaines d’Hispania ne devaient pas seulement être payées mais aussi ravitaillées en fournitures diverses, parmi lesquelles la nourriture des hommes et des animaux occupait une place prépondérante. Contrairement à la solde dont l’acheminement depuis Rome tout comme son versement effectif aux soldats demeuraient finalement ponctuels, le besoin des armées en matériel, mais surtout en vivres, représentait une exigence quotidienne. Par conséquent, le problème se posait en des termes forts différents. Ainsi, il n’était guère envisageable de compter uniquement sur des importations italiennes. Plus que le stipendium, c’est donc le ravitaillement des armées qui imposa aux généraux romains d’organiser progressivement des prélèvements directs auprès des populations soumises. Encore est-il nécessaire de préciser les modalités de cette évolution. Deux difficultés interviennent en effet. D’une part, il convient de définir ce qu’il faut entendre par intendance militaire. Dans le contexte de l’exercitus républicain, la prise en charge de la totalité des besoins logistiques de l’armée et des soldats par l’État ne va pas de soi. Une distinction doit donc être établie entre les fournitures qui relevaient effectivement des circuits officiels de distribution et celles qui y échappaient. En fonction de la part relative des unes et des autres, il est évident que l’organisation des campagnes militaires outre-mer ne revêtait pas la même signification. D’autre part, en ce qui concerne les éléments dont ils avaient la responsabilité, les magistrats menant la guerre dans les provinces hispaniques se trouvaient face à une alternative. La première possibilité consistait à faire venir ces produits par convois de l’extérieur et notamment de l’Italie, la seconde à se procurer le nécessaire sur place. Dans ce cas, ils pouvaient purement et simplement s’en emparer de force, l’obtenir par le biais d’un prélèvement régulier, ou bien encore l’acheter. Ainsi, après avoir examiné les aspects relevant de la compétence de l’intendance militaire, nous tâcherons de préciser quelles furent les combinaisons privilégiées par Rome dans ses provinces hispaniques pour l’entretien de ses armées.

I. — FRUMENTUM COMMEATUSQUE : LA PART DES FOURNITURES OFFICIELLES

2L’alimentation du soldat. — Les déductions sur la solde. — Guerre et paix.

3D’après la description de l’organisation des institutions militaires livrée par Polybe dans son livre VI, la nourriture (σίτος) faisait l’objet d’une retenue sur la solde versée aux légionnaires1. Dans le texte où il est question de cette déduction, l’historien grec renvoie manifestement aux différentes rations de blé (σιτομετϱοῦται) qu’il mentionne au passage précédent2. Cela signifie par conséquent que celles-ci étaient fournies par l’État romain et prises en charge par l’intendance. Étant donné la place du blé et de ses dérivés dans l’alimentation antique, on a pensé parfois que ces fournitures, déduites du montant brut du stipendium, couvraient l’essentiel sinon la totalité des besoins du soldat3. Ce faisant, on a admis une exclusivité de ces distributions étatiques dans l’approvisionnement global de l’exercitus républicain. Certes, le rôle crucial de l’administration dans le ravitaillement des armées des IIe et Ier siècles ne fait aucun doute, même si l’infrastructure mise en place à cette époque n’avait sans doute pas encore atteint le degré de sophistication de celle du Haut-Empire4. Toutefois, l’intervention de l’intendance ne portait que sur une partie de l’alimentation du soldat, laquelle était en réalité plus variée que la documentation ne nous le laisse généralement percevoir. En effet, la volonté d’assurer l’accès au blé (frumentum) répondait avant tout à des exigences opérationnelles qu’il est indispensable de prendre en compte.

L’ALIMENTATION DU SOLDAT

4Nos connaissances sur les habitudes alimentaires du légionnaire ont été profondément renouvelées depuis une trentaine d’années5. L’un des acquis les plus importants de cette révision a été de mettre définitivement en évidence la grande variété des denrées ordinairement consommées par les armées romaines. Bien qu’établi pour le Haut-Empire, pour lequel les sources archéologiques offrent un précieux complément grâce à l’analyse des résidus de faune et de flore trouvés dans les camps de Grande-Bretagne et de Rhénanie, ce constat peut être toutefois étendu dans ses grandes lignes à la période antérieure, objet de deux études récentes destinées à faire désormais autorité6.

5Bien que l’état de notre documentation ne permette pas d’obtenir une vision très détaillée, il suffit néanmoins pour admettre que le soldat des armées républicaines d’Hispanie, conformément à ce que l’on observe d’une manière plus générale pour les IIe et Ier siècles, suivait un régime alimentaire très proche de celui des populations civiles, urbaine et rurale, dominé par la triade méditerranéenne (blé, vin, huile) qui se généralisa à Rome et en Italie au début de notre période. Par conséquent, les céréales en formaient naturellement la base, comme l’attestent les mentions récurrentes du terme frumentum dans les textes à propos des questions de ravitaillement. En 215, les Scipions avertirent ainsi par lettre le sénat de leurs difficultés pour s’en procurer7. Les dépêches envoyées à Rome par Marcius afin d’annoncer ses victoires en 211 s’accompagnaient également d’une demande similaire8. Au cours du IIe siècle, les mesures prises par Caton en 195et par Fulvius Flaccus en 180 témoignent du souci constant d’approvisionner en céréales les légions de Citérieure9. En 49 encore, la bataille d’Ilerda fut dans une grande mesure déterminée par l’accès aux ressources en grains de la même province. Consommé sous forme de bouillies, de pain ou de galettes, le frumentum de ces armées se composait normalement de blé et ne différait pas en cela de l’ordinaire des Romains du temps qui, contrairement aux Grecs, lui donnèrent très vite la préférence sur l’orge10. Dès la seconde guerre punique, la distribution de rations d’orge faisait ainsi partie des mesures punitives, si l’on en croit le traitement réservé aux légions de Cannes reléguées en Sicile11. L’orge constituait également un substitut avéré en cas de disette ou de pénurie de blé12. Cela ne prouve pas toutefois que son usage était strictement limité à de telles circonstances. Il convient peut être de ne pas surestimer, à partir de ces seuls exemples, le monopole du blé dans la consommation des légions. L’orge est ainsi mentionné par Appien aux côtés du σῖτος dans les aliments dont disposaient les troupes de Lucullus assiégeant en 152 la ville vaccéenne d’Intercatia13. Or, bien que le contexte du passage soit celui de difficultés aiguës de ravitaillement, il est probable que celles-ci ne provenaient pas avant tout de l’insuffisance du blé disponible14. Quant aux quelques passages relatifs aux punitions, ils se contentent en fait d’affirmer que le général ou le sénat avaient alors substitué intégralement l’orge au blé dans les rations des soldats. Il n’est pas impossible par conséquent que ce fût l’exclusion totale du blé plutôt que le recours à l’orge qui tenait lieu de châtiment. Rien n’interdit donc de penser que coexistaient en règle générale, dans l’approvisionnement des légions, plusieurs variétés de grains, parmi lesquelles on retrouvait les compléments usuels de l’alimentation italienne (orge et millet)15. Les trouvailles faites dans les camps d’époque augustéenne, en Grande-Bretagne et sur le Rhin, attestent en tout cas une gamme assez étendue de céréales16. Même s’il faut tenir compte du décalage chronologique et de la différence de contexte géographique, il est concevable que les armées républicaines aient également conservé un régime en céréales moins éloigné, en règle générale, des habitudes civiles que les sources ne le laissent parfois penser17. La primauté accordée au blé est cependant incontestable.

6L’huile et le vin constituaient un complément indissociable du frumentum18. Les sources ne sont guère prolixes à ce sujet. Cependant, elles suffisent à rejeter l’opinion traditionnelle selon laquelle ces produits ne tenaient qu’une place tout à fait secondaire dans l’alimentation quotidienne des légionnaires. L’épisode d’Intercatia mentionné précédemment, et qui constitue l’un des rares témoignages explicites sur l’ordinaire du soldat au cours des guerres menées dans la Péninsule, montre sans ambiguïté les conséquences d’une absence de ces denrées fondamentales, même sans manque de grains :

Comme il n’y avait ni vin, ni sel, ni vinaigre, ni huile, ils se nourrissaient de blé, d’orge et de viande en quantité — cerf et lièvre bouillis sans sel : ils étaient en proie à la dysenterie, dont beaucoup mouraient même (trad. P. Goukowsky, CUF)19.

7On ne saurait mieux exprimer l’idée que le ravitaillement des troupes, tout en dépendant en grande partie des céréales, n’en reposait pas moins sur un équilibre plus large qu’on ne pouvait durablement rompre sans risque, ce qu’indique notamment la place accordée au sel dans la description d’Appien20. En effet, l’utilisation de ce produit ne se limitait pas, loin de là, à l’accommodation ou à la conservation de la viande. La bouillie elle-même (puls)se préparait en incorporant de l’huile et du sel au blé cuit dans l’eau21. Par ailleurs, personne n’ignore que, pour transformer les céréales en pain ou en galettes, l’ajout d’eau et de sel est indispensable, si bien qu’une alimentation fondée sur le blé implique le recours à ceux-ci22. À cet ensemble s’ajoutait la consommation de vin dont la pénurie de 152 atteste également la banalité. La nature de celui que buvaient les légionnaires sous la République n’est pas bien déterminée. Il existait sans doute, comme pour la nourriture solide, des différences en fonction de l’origine sociale de chacun et de sa position dans la hiérarchie. En particulier, les officiers n’avaient manifestement pas pour coutume de partager la posca des soldats, un mélange de vinaigre et d’eau qu’on a parfois interprété à tort comme du vin piqué23. Caton était ainsi considéré comme une exception digne d’admiration parce que, lors de son voyage vers la Citérieure en 195, il se contenta de la même boisson que l’équipage de son navire24. L’inverse était plus fréquent, comme l’illustre l’exemple de ces officiers qui, en 137, ramenaient à Rome de grandes quantités d’or dans les amphores qui leur avaient servi à transporter du vin de qualité (uinum) jusqu’en Celtibérie25. Lorsque la troupe consommait également du vin, ce dont les sources ne permettent pas de douter, elle n’avait pour sa part accès qu’à une catégorie vraisemblablement très inférieure, mais néanmoins appréciée des soldats26.

8En dehors de ces quelques produits de base dont l’absence était durement ressentie, il est certain que les armées d’Espagne se nourrissaient de bien d’autres denrées dont le détail est cependant difficile à connaître. Relatant un stratagème de Sempronius Gracchus en 180 ou 179, Frontin affirme que le préteur de Citérieure attira l’ennemi affamé dans un piège en accumulant dans son camp momentanément déserté une très grande quantité de nourritures de toutes sortes (omnibus esculentis)27. De quoi se composait ce stock ? Aucune certitude n’est possible. On peut malgré tout suggérer que pouvaient y figurer des fruits dont on sait que les légions en campagne n’hésitaient pas à dépouiller les arbres du voisinage28, mais aussi des légumes secs29 et des plantes ramassées30, ou bien du fromage31. Un épisode de la disette éprouvée par les Pompéiens après la bataille d’Ilerda en 49 atteste en effet que les troupes disposaient d’animaux producteurs de lait, lequel pouvait sans doute servir à fabriquer du fromage32. La présence de bétail révèle également la place tenue par la consommation régulière de viande, trop souvent sous-estimée par l’historiographie moderne jusqu’à une date récente33. La description du camp romain par Polybe inclut du reste un espace favorisant le parcage de ces bêtes, entre les tentes et le rempart34. Les mesures prises par Scipion Émilien à son arrivée en Citérieure en 134 conduisent à une conclusion similaire : obligeant ses soldats à renoncer à tout ustensile superflu, il autorisa uniquement la possession d’une broche (ὀβελός), d’une marmite (χύτϱα) et d’une coupe (ἔχπωμα)35. Il est tentant de considérer cette énumération comme un résumé abstrait des besoins minimaux du soldat en matière de cuisine36. La coupe servait évidemment à la boisson, aussi bien pour l’eau que pour la posca ou le vin, mais aussi comme instrument de mesure37. La marmite, dont Appien précise qu’elle était de bronze (χάλϰη), permettait de cuire la puls ou bien la viande quand la broche n’était pas utilisée à cet effet38. Les mesures de Scipion contraignaient en effet la troupe à manger la viande seulement rôtie (ὁπτά) ou bouillie (ζεστά)39. Cette consigne, rapportée par Appien, ne doit pas être considérée comme l’indice d’un régime carné exceptionnel, accompagnant le sévère entraînement auquel le consul soumit ses soldats démoralisés et gagnés par le laisser-aller40. Plutarque montre bien au contraire que cette portion de viande s’ajoutait aux dérivés du blé, dans l’esprit d’un retour à une alimentation plus conventionnelle que celle adoptée par les soldats livrés à eux-mêmes au cours de l’hiver41. Dans cet ordinaire, la place accordée aux salaisons n’apparaît pas clairement dans les sources42. En revanche, les armées d’Hispania consommaient manifestement de la viande fraîche, transportée sous forme de bétail sur pied43. La présence de tels troupeaux est attestée à plusieurs reprises : c’est le cas en 206, lors des opérations de Scipion contre les Ilergètes, ou bien en 61, lors de la campagne de César contre les Lusitaniens, au cours desquelles l’un ou l’autre parti chercha à susciter la convoitise de l’ennemi en lâchant les bêtes qui suivaient la troupe44. En 134 enfin, Scipion Émilien redoutait une attaque sur sa colonne encombrée de bétail45. Malgré la faiblesse de l’information, on peut admettre que les légions d’Espagne se trouvaient régulièrement dans la situation de convoyer du bétail en abondance, notamment des bœufs, mais aussi des porcs, des moutons ou des chèvres46. Le gibier complétait éventuellement cette ressource principale. On a vu en effet que les soldats de Lucullus en 152 mangeaient en quantité cerfs et lièvres47. Même si, dans ce cas, la proportion en fut peut-être anormalement élevée, il est certain que la chasse offrait aux légions une alternative moins exceptionnelle qu’on ne le pense parfois48. Des ossements de cerf retrouvés à Cáceres el Viejo pourraient être interprétés dans le même sens, si le caractère militaire du site et sa datation étaient définitivement confirmés49.

9Ce bref survol est par nature incomplet, faute de sources suffisantes, et on peut supposer que les armées romaines ne se limitaient pas strictement aux aliments dont il a été fait mention. Les circonstances ou les ressources locales fournissaient certainement l’occasion d’améliorer très souvent l’ordinaire. Rappelons encore une fois que, sans l’apport de l’archéologie, nous ignorerions en effet la plus grande partie des produits dont se nourrissaient les garnisons d’époque impériale. Il convient par conséquent de ne pas confondre les limites de notre documentation avec celles de l’alimentation de l’exercitus républicain. Contrairement à une idée répandue, J. Harmand n’écarte pas ainsi la possibilité que les soldats aient connu un régime plus sain que les populations civiles : ils semblent en particulier avoir évité les aliments qui ne favorisent pas la digestion, comme le chou ou le navet, consommés en revanche en quantité par les paysans50. Bien que plausible, l’hypothèse d’un régime alimentaire amélioré pour les militaires est difficile à étayer51. Peut-être les vertus accordées par Caton à la consommation de viande dans la forme physique du soldat peuvent-elles néanmoins aller dans ce sens, en traduisant un souci réel d’adapter le type de nourriture aux besoins spécifiques des militaires52. Une préoccupation similaire explique sans doute également, au moins en partie, la part accordée au blé, vraisemblablement supérieure à celle qu’il occupait dans l’alimentation civile53. Quoi qu’il en soit, l’important est surtout de souligner ici la complexité représentée par le fait de procurer à un nombre d’hommes considérable l’ensemble des aliments dont les sources suggèrent que les armées disposaient en règle générale54. Compte tenu de leur variété, il est nécessaire de se demander si la majorité relevait bien de la responsabilité du questeur et de l’intendance des légions.

LES DÉDUCTIONS SUR LA SOLDE

10La distinction nécessaire entre alimentation et distributions n’est pas toujours suffisamment claire dans l’historiographie55. Elle est pourtant fondamentale. Doit-on envisager que tout ce qui était manifestement nécessaire au légionnaire faisait l’objet d’un approvisionnement organisé par les autorités militaires ? Les tentatives pour calculer l’apport respectif de chaque denrée dans la consommation journalière du soldat aboutissent généralement à considérer que les principales au moins (blé, viande, vin et huile) étaient fournies aux légionnaires sous forme de rations déduites de la solde, le reste étant laissé à la charge de chacun56. Il est probable pourtant que ce fut seulement sous l’Empire que l’huile et le vin furent progressivement inclus dans les fournitures étatiques57.

11Pour l’époque républicaine en effet, nous ne disposons d’aucun indice probant en ce sens58. Certes, le terme employé par Polybe pour désigner la nourriture (σῖτος) déduite de la solde est distinct de celui par lequel l’auteur mentionne les rations de blé (πυϱός) des soldats romains et alliés59. Pour cette raison, le mot σῖτος, qui signifie ordinairement « blé » et par extension « nourriture », pourrait être ici compris dans son sens le plus large. On ne peut donc rejeter en principe l’idée que, dès le IIe siècle, l’ensemble des principales fournitures, parmi lesquelles l’huile et le vin, ait fait l’objet de retenues60. L’interprétation contraire nous paraît néanmoins préférable. Le contexte du passage implique que l’historien grec ne fasse allusion, dans ce cas précis, qu’aux céréales (blé et orge) et donc, pour le légionnaire, seulement au froment61. Polybe n’envisage pas a priori que d’autres aliments aient été inclus dans les rations distribuées aux soldats. Comment comprendre alors ce décalage avec ce que nous avons dit précédemment de la variété manifeste du régime alimentaire des armées républicaines ? Dans la mesure où une omission de la part de Polybe sur ce point est improbable, il faut ou bien supposer que la situation a changé au cours de la période postérieure ou bien, dans le cas inverse, démontrer pourquoi les déductions effectuées sur la solde des légions pour les vivres n’ont toujours concerné que le blé.

12Le texte polybien est le seul à faire explicitement état de ces déductions pour la nourriture. La difficulté consiste donc à déterminer si, parmi le vocabulaire employé dans le reste de la documentation, il est possible de déceler la trace de retenues supplémentaires, distinctes de celles portant sur le blé. Outre le frumentum, qui correspond au σῖτος de Polybe, les auteurs latins mentionnent fréquemment les termes cibus, cibaria ou commeatus dont le sens n’est pas toujours clair. Certains historiens admettent néanmoins que cette terminologie reflète l’existence de rations complétant celles de froment.

13Ainsi, J. Harmand, sceptique quant à la variété des denrées fournies au légionnaire dans les armées précésariennes, estime en revanche que le balancement frumentum commeatusque relevé fréquemment chez César correspond à une innovation du proconsul des Gaules. Celui-ci aurait introduit, en plus des fournitures de blé (frumentum),de nouvelles distributions officielles (commeatus),dans lesquelles la viande en particulier tiendrait désormais une place essentielle62. Cette proposition est toutefois affaiblie par deux éléments : d’une part, l’auteur tend à minimiser la consommation de produits non céréaliers dans les armées républicaines avant le milieu du Ier siècle et, d’autre part, il ne tient pas non plus compte de l’emploi fréquent du terme commeatus chez Tite-Live pour la période antérieure. Or, plusieurs fois, l’historien latin désigne ainsi de façon générique l’approvisionnement des armées d’Espagne au cours de la seconde guerre punique : pour 217, le terme est appliqué à la cargaison des convois partis d’Italie63 et, pour 211, à la collecte de vivres organisée par L. Marcius pour pourvoir le camp où il a rassemblé les restes de l’armée des Scipions64. Il n’est guère vraisemblable que, dans ces contextes, la seule mention du commeatus fasse référence à des aliments autres que les céréales. Au contraire, l’arrivée des convois au printemps 214 est signalée par la formule cum hi commeatus uenerunt alors qu’elle faisait directement suite à la requête des Scipions portant sur l’envoi de blé à leur armée au début de l’hiver précédent65. Tite-Live précise bien du reste que l’affermage des fournitures, effectué cette année-là, concerna les uestimenta, frumentum hispaniensi praebenda quaeque alia opus essent naualibus sociis66. Ainsi, le frumentum pouvait être inclus dans le commeatus dont le sens premier, rappelons-le, est celui de « passage » et de « circulation »67. Par extension, les convois de vivres figurent d’ailleurs parfois sous cette mention dans les sources, si bien que Tite-Live rapporte même qu’à l’été 207, la destruction de la flotte carthaginoise près des côtes de Sicile, en donnant la maîtrise de la mer aux Romains, permit d’acheminer vers Rome magni commeatus frumenti68. L’expression montre donc que les deux termes ne sont pas mutuellement exclusifs.

14Il est en néanmoins excessif de restreindre la notion de commeatus au seul aspect technique du transport, comme a tendance à le faire J. Roth, et de considérer que le terme désignait tout envoi de vivres entre Rome et les provinces69. Les textes sont en effet moins précis et se contentent la plupart du temps de mentionner indifféremment de cette façon tout type de ravitaillement70. Le terme est d’ailleurs utilisé de la sorte par Salluste, contemporain de César71. Le corpus césarien lui-même atteste très fréquemment cet emploi ordinaire. Pour ce qui concerne l’Hispania, on en relève des exemples lors de la bataille d’Ilerda en 49 ou lors des sièges d’Ategua et de Cordoue en 4572. À l’occasion des difficultés rencontrées par l’armée césarienne lors de la crue du Sicoris, l’auteur du Bellum Ciuile prend soin de distinguer les fournitures de blé interrompues (frumentum)des convois acheminant un ravitaillement plus général depuis l’Italie et la Gaule (maximi commeatus qui ex Italia Galliaque ueniebant in castra)et bloqués par la montée des eaux73. De même, au cours de cette campagne, quand César fait référence à l’approvisionnement en blé proprement dit, il mentionne la res frumentaria, manifestement plus spécifique que le commeatus74. Par conséquent, lorsque ce dernier est explicitement opposé au frumentum, il paraît clair que la valeur générale du terme sert moins à qualifier un certain type de ravitaillement qu’à mettre en relief la singularité de l’approvisionnement en grain. L’expression frumentum commeatusque ne désigne donc pas deux catégories de fournitures officielles, comme le suggère à tort J. Harmand. Elle souligne plutôt, comme le pense A. Labisch, qu’à l’intérieur du ravitaillement de l’armée, le blé, à la différence du reste des denrées, se distinguait en cela qu’il était seul à faire, comme le dit Polybe, l’objet de rations déduites de la solde à un prix fixé75. Dans sa signification restreinte, le commeatus regroupait ainsi l’ensemble des vivres, quels qu’ils soient, qui n’étaient pas pris en charge par l’intendance76.

15Rien, dans nos sources, ne permet de définir une autre distinction que celle-ci. Sur la foi d’un passage du Bellum Ciuile, J. Roth a proposé d’interpréter les termes cibus ou cibaria de la manière qui vient d’être rejetée pour celui de commeatus77. L’intérêt de cette hypothèse est de contribuer à réfuter définitivement l’assimilation erronée de ces termes avec une ration de grain transformée en pain ou en biscuit78. En effet, un tel vocabulaire renvoie originellement à la nourriture dans son acception la plus générale et pas seulement aux dérivés du blé79. Valère-Maxime, par exemple, souligne le fait que Caton, lors de sa traversée vers la Citérieure en 195, partagea l’ordinaire de l’équipage qu’il définit simplement ainsi : eodem cibo eodemque uino quo nautae80. On retrouve ici une ambiguïté identique à celle concernant le commeatus : l’emploi générique du terme n’est jamais clairement distingué de son sens technique éventuel81. Peut-on malgré tout penser que le cibus aurait pu correspondre, avant la période impériale, à des rations fournies par l’État aux soldats et destinées à équilibrer le frumentum82 ? Le texte allégué par J. Roth à cette fin paraît avoir trait plutôt à des gratifications sous forme de victuailles83. Par ailleurs, aucune source ne vient, pour l’époque qui nous concerne, confirmer clairement une telle définition du cibus/cibaria. Au contraire, dans le cadre des campagnes hispaniques, les quelques mentions du mot tendraient à montrer plutôt l’inverse.

16Le terme cibaria apparaît notamment à l’occasion des préparatifs que les généraux d’Hispania demandaient à leurs troupes d’effectuer au moment de partir en opérations. En 206, simulant à Carthagène un départ de ses troupes restées loyales afin de tromper la vigilance des mutins du Sucro, Scipion ordonna aux premières de prévoir des vivres pour plusieurs jours : et cibaria dierum aliquot parare iubentur84. En 195, Caton, aussi peu désireux de diviser ses forces que de s’aliéner ses alliés par un refus direct, employa une ruse similaire pour abuser la délégation ilergète venue lui réclamer de l’aide :

… Il fit donner l’ordre au tiers des soldats de chaque cohorte de cuire promptement de la nourriture afin de la porter sur les navires (trad. M. Nisard, modifiée)85.

17Le stratagème du consul est relaté aussi par Frontin86. En quoi consistaient ces préparatifs ? Comme le frumentum n’est pas mentionné et qu’il est inconcevable que les soldats soient partis en expédition sans blé, il se pourrait, à première vue, que l’expression cibaria parare recouvre l’ensemble des opérations de distribution, y compris frumentaires, destinées à doter chacun du nécessaire87. Le repas pris avant le combat est d’ailleurs appelé cibus, comme le montrent les dispositions prises en 206 par Scipion l’Africain avant la bataille d’Ilipa88. Les cibaria sont aussi ce que Scipion Émilien obligea ses soldats à porter eux-mêmes au moment où, en 134, il restaura la discipline de l’armée de Citérieure89. Si l’on en croit l’abréviateur de Tite-Live, la ration de blé était comprise dans ce paquetage90. On sait en effet que les généraux romains avaient l’habitude de fixer au moment des préparatifs la quantité de grain à emporter en fonction de la durée supposée des opérations : c’est le cas de Metellus marchant contre Lacobriga en 78 ou d’Afranius et Petreius au départ d’Ilerda en 4991. Toutefois, frumentum et cibaria ne sont pas équivalents : la documentation suggère plutôt que le second terme, lorsqu’il apparaît dans un contexte militaire, désigne plus globalement ce qui, dans le paquetage du soldat, est lié à son alimentation quotidienne92. Logiquement, il s’appliqua sous l’Empire à la totalité des rations légionnaires et c’est sous cette forme qu’il apparaît régulièrement dans les textes écrits alors93. Cela ne signifie pas pour autant qu’à l’époque républicaine toutes les composantes des cibaria provenaient également de distributions officielles94. Peut-être, à ce sujet, faut-il accorder une attention particulière à la diversité des pratiques possibles recouvertes par le verbe parare employé par Tite-Live et Frontin. Signifiant « préparer », il est susceptible, manifestement, d’inclure parfois la cuisson et la transformation des aliments, comme on le voit pour 195, mais ne l’implique pas nécessairement. En 206, par exemple, les préparatifs se limitaient au rassemblement des vivres en vue de l’expédition. Les sens secondaires du verbe (« acquérir », « se procurer ») n’interdisent pas de supposer alors que cette collecte pouvait excéder le simple recours aux entrepôts militaires. Il est intéressant à ce titre de constater qu’aussi bien en 206 qu’en 195, un délai identique de trois jours fut donné aux soldats pour achever leurs préparatifs95. Cet intervalle leur laissait la possibilité de compléter leur ration de blé par des produits, tels l’huile ou le sel, disponibles auprès des marchands gravitant autour des légions. Les trop grandes lacunes de nos sources ne permettent malheureusement pas de confirmer cette impression96.

18En revanche, il semble préférable de ne pas conclure trop vite, sur la seule mention du commeatus ou des cibaria à côté du frumentum, à l’existence de rations non céréalières dont Polybe n’aurait pas parlé ou qui auraient été établies à la période suivante. Les témoignages dont nous disposons à ce sujet demeurent trop vagues et trop peu convaincants pour fonder solidement une telle hypothèse en ce qui concerne l’exercitus républicain. Tout indique au contraire que les déductions effectuées sur la solde pour la nourriture se limitaient effectivement au blé fourni par l’intendance.

19Comment comprendre une telle restriction ? En ce qui concerne les armées précésariennes, J. Harmand avance la difficulté de cumuler plusieurs retenues similaires pour les vivres97. L’argument n’est guère satisfaisant. Il est vrai que, en dépit des difficultés pour parvenir à des estimations chiffrées satisfaisantes, les déductions pour le blé représentaient probablement une proportion non négligeable du montant théorique de la solde légionnaire98. À partir des données livrées par Polybe, on estime ainsi la ration mensuelle de frumentum à un maximum de quatre modii italiques99. Sa contrepartie monétaire, retenue sur la solde des légionnaires, représentait donc au plus, sur la base d’un denier le modius, un tiers du stipendium mensuel d’un miles gregarius100. Incontestablement élevée, cette estimation est toutefois surestimée car la déduction s’effectuait à un prix fixé par l’État. Or celui-ci était sans doute très inférieur au prix du marché libre, si bien que l’on peut ramener le poids relatif de la retenue pour le blé à seulement un sixième environ de la solde mensuelle101. En outre, ce barème rendait la déduction journalière invariable : sauf lorsque les distributions officielles venaient à manquer, le soldat était par conséquent assuré de ne pas subir les fluctuations du prix des blés qui caractérisaient les économies préindustrielles102. Dès la seconde guerre punique, le reliquat de la solde mensuelle, soit près de huit deniers et demi, demeurait donc constant et offrait ainsi des possibilités d’achat non négligeables103. Au IIe siècle, un litre de vin ordinaire coûtait environ entre un et deux as104. Or, il est très improbable que les soldats, sous la République, en aient consommé une telle quantité par jour105. Par conséquent, on peut admettre que chaque légionnaire dépensait beaucoup moins de six deniers par mois lorsqu’il achetait du vin. Par ailleurs, on estime pour la période impériale la consommation d’huile à raison de 0,07 litre par jour et de vinaigre à 0,15 litre (essentiellement pour la posca), ce qui, rapporté à la base mensuelle choisie ici, représente des quantités raisonnables (2,1 et 4,5 litres) dont le coût pouvait parfaitement être couvert par le reste de la solde106. Nous manquons de données pour le sel, sans doute plus onéreux, mais utilisé en quantités encore moindres. Il faut aussi tenir compte du fait qu’en Hispania, les prix étaient généralement fort inférieurs à ceux pratiqués à Rome et en Italie, ce dont témoigne pour le milieu du IIe siècle un passage des Histoires de Polybe107. Ainsi, dépourvu du souci de s’approvisionner en blé et mis à l’abri des chertés éventuelles, le soldat disposait individuellement de moyens financiers suffisants pour acquérir certains des compléments indispensables à son alimentation quotidienne, d’autant plus qu’il s’agissait de petites quantités108. Rappelons en effet, pour finir, que ce régime alimentaire, bien que diversifié, n’en conservait pas moins, en règle ordinaire, la frugalité propre à celui des couches inférieures et moyennes de la population rurale dont les légionnaires étaient majoritairement issus109.

20Si, en ce qui concernait l’alimentation, les déductions se limitaient au blé, d’autres types de retenues, en revanche, sont bien mentionnées par Polybe. Elles concernaient les vêtements et les armes. Néanmoins, il n’est pas certain que les disponibilités financières du soldat, une fois le blé décompté de la solde, se trouvaient systématiquement amputées par cette seconde obligation, malgré ce qu’affirme J. Harmand110. Ces retenues supplémentaires restaient en effet irrégulières et surtout sujettes à d’importantes variations selon les individus et selon les circonstances111. Bien qu’il soit difficile d’en déterminer la périodicité, les déductions portant sur les vêtements étaient sans doute les plus fréquentes112. La modification apportée au système par Caius Gracchus en 123 le suggère : en instaurant la gratuité de la fourniture des uestimenta, le tribun exprimait manifestement la volonté d’alléger la charge la plus lourde, après le frumentum, pour le budget du soldat113. Cette mesure fut supprimée par la suite, peut-être à l’époque de César114. Elle contribua néanmoins, pendant la première moitié du Ier siècle au moins, à soulager la solde d’une ponction régulière et non négligeable. Par contraste, seules les armes de remplacement, semble-t-il, étaient concernées par les déductions115. En effet, la nouvelle recrue se présentait à l’enrôlement sans armes116. Elle recevait seulement, au moment de l’incorporation dans l’une ou l’autre catégorie de la légion (uelites, hastati, principes et triarii), des instructions pour s’équiper, avant d’être renvoyée momentanément dans ses foyers117. L’acquisition par chacun de son matériel avait sans doute lieu durant ce laps de temps. Cela signifie qu’à l’époque que décrit Polybe, l’État ne fournissait pas la panoplie initiale, même aux plus pauvres118. Chacun s’équipait à ses frais et les fournitures officielles permettaient seulement de reconstituer progressivement les pièces d’armement endommagées ou perdues lors des combats119. En 134, Scipion Émilien réprimanda ainsi l’un de ses légionnaires dont le bouclier n’était pas d’une taille réglementaire :

… À un autre qui portait son bouclier de façon trop malhabile, [il disait] qu’il portait un bouclier plus grand qu’il n’était de règle, mais qu’il ne l’en blâmait pas, puisqu’il se servait mieux de son bouclier que de son épée (trad. P. Jal, CUF)120.

21Il est possible cependant qu’au cours du IIe et surtout du Ier siècle, l’État ait commencé à se charger d’équiper entièrement ses soldats dès l’incorporation, peut-être contre une déduction de solde, mais nous n’en avons pas de preuve décisive121. La standardisation indéniable de la panoplie à cette époque ne saurait en tenir lieu. Sensible dans l’évolution des casques simplifiés de type Montefortino au IIe siècle puis Coolus-Mannheim à partir des premières décennies du Ier siècle, elle témoigne du développement incontestable d’une production en série adaptée à une demande massive et à une logique de réduction des coûts de fabrication122. Il reste cependant difficile de dire dans quelle proportion ces armes étaient issues d’ateliers privés ou publics123. La généralisation d’un type relativement uniforme de casque, offrant une bonne protection pour un coût modeste, peut en effet s’expliquer par d’autres facteurs qu’une normalisation liée à la mise en place de fournitures officielles. L’ample diffusion de ces productions italiennes pouvait ainsi, tout en orientant les goûts, répondre simplement à la demande de conscrits majoritairement moins fortunés124. Jusqu’à la fin de la République, la plupart des soldats continuaient donc probablement à acquérir leurs armes, dont ils restaient ensuite propriétaires.

22Les besoins en armes de remplacement suffisent à expliquer les mentions d’ateliers de fabrication dans le contexte de la campagne ou de sa préparation. Toutes ces fabriques n’ont pas eu l’ampleur de celle installée par Scipion l’Africain en 209 à Carthagène, lorsque la ville entière fut transformée en un véritable atelier de guerre125. Durant l’hiver 77, Sertorius procéda à une création similaire dans la moyenne vallée de l’Èbre126. Dans les deux cas, le contexte de la seconde guerre punique comme celui de la guerre civile ont conduit à la mise en place d’une infrastructure d’envergure inhabituelle, conçue vraisemblable comme une réponse provisoire aux priorités du moment127. Il s’agissait de donner une importance accrue aux bases logistiques dont chaque général prenait soin de se doter avant d’entamer les opérations128. En 136, Aemilius Lepidus, sur le point de lancer une offensive contre les Vaccéens, avait fait construire une forteresse qui servait à stocker du blé et à construire des machines de guerre129. Ces bases arrières abritaient sans doute des ateliers qui fabriquaient les armes nécessaires, tandis que les soldats se livraient aux menues réparations à l’intérieur du camp de marche130. Ce dernier disposait en outre d’une réserve permanente, alimentée peut-être depuis ces bases : c’est sans doute à partir du contenu d’une tel arsenal que Petreius fut capable, en 49, d’armer sa suite (armat familiam)lors de la fraternisation avortée des soldats pompéiens et césariens131. Il est difficile de préciser davantage. Ainsi, il n’est pas certain que l’appel adressé par Sertorius en 77 aux villes alliées, avant la mise en place de l’officina publica, revête une valeur d’exemple et puisse être généralisé132. Le chef rebelle ne semble pas d’ailleurs avoir considéré comme une prestation régulière l’aide apportée par ces villes pour la fabrication des armes133. Quoi qu’il en soit, il est très clair que les distributions des armes fabriquées dans les ateliers romains placés dans les bases, ou bien fournies par les alliés, servaient au renouvellement des pièces usagées134. Comme ces armes de rechange étaient retenues sur la solde, il n’y a pas de raison de penser que les soldats n’en devenaient pas propriétaires tout autant qu’ils l’avaient été des précédentes héritées de la famille ou acquises en Italie avant le départ135.

23Ces différentes retenues contribuent à éclairer la signification à accorder à celles concernant le blé. Les déductions n’ont jamais porté que sur quelques catégories de vivres ou de matériel. L’État n’entendait pas fournir, en nature, l’intégralité de la nourriture, de même qu’il ne fournissait pas toutes les armes, ni peut-être tous les vêtements136. Ces rations et ces distributions ne couvraient qu’une partie des besoins du soldat. Le reste de la solde, versé en numéraire, devait en principe lui permettre de se procurer le reste : le stipendium, on l’a vu, fonctionnait en effet comme une indemnité destinée à couvrir les frais que le conscrit était inévitablement amené à supporter au cours de son service137. Par conséquent, les fournitures en nature ne représentaient que ce dont l’État estimait être de sa responsabilité de ne pas laisser entièrement au bon vouloir du miles comme aux aléas du marché. En somme, la puissance publique prenait soin d’assurer le maintien opérationnel minimum de ses troupes. C’est ce que souligne le contraste, au moment des difficultés de ravitaillement d’Afranius et Petreius en 49, entre les légionnaires pompéiens qui disposaient encore de blé et les auxiliaires qui, faute de pouvoir s’en procurer, désertèrent en masse138. Blé, armes de rechange et vêtements constituaient ainsi autant de fournitures stratégiques qui, pour cette raison, faisaient l’objet d’un approvisionnement particulier dans le cadre de la campagne. Il est ainsi essentiel de bien distinguer les contextes, opérationnels ou non, dans lesquels apparaissent les mentions relatives au ravitaillement et aux fournitures. Ils déterminaient en effet les modalités d’acquisition et de consommation des biens et notamment des denrées alimentaires.

GUERRE ET PAIX

24L’omniprésence du frumentum dans les sources est incontestable. Comme on l’a vu, elle a conduit de nombreux historiens à minimiser, voire à négliger, le recours régulier à d’autres produits dans l’alimentation légionnaire, ce que démentent des mentions éparses et moins évidentes. L’attention privilégiée portée par la majorité des auteurs anciens aux céréales nous renvoie en effet une image déformée et déformante des problèmes du ravitaillement. Cette particularité de notre documentation n’est pas toujours suffisamment prise en compte. Dans cet esprit, W. Groenman-van Waateringe a récemment suggéré que la place tenue par le blé dans l’approvisionnement des légions s’expliquait en réalité par la difficulté chronique à s’en procurer en quantités suffisantes, difficulté aggravée suivant les régions et les circonstances139. Cette analyse a le mérite de souligner que le blé apparaît de manière quasi-exclusive dans les textes tout simplement parce que, contrairement aux autres denrées, il constituait, dans le cadre des opérations militaires, la préoccupation majeure des généraux et de leur intendance. En revanche, l’argument de sa rareté ne parvient pas à en fournir une explication convaincante. La base du raisonnement est en effet assez contestable : W. Groenman-van Waateringe s’appuie sur des statistiques comparées portant sur le seul corpus césarien pour montrer que la plus grande fréquence des mentions d’approvisionnement en blé correspond à des régions, comme la Gaule ou l’Espagne, où, selon cet auteur, l’accès en était rendu moins aisé par les traditions agraires ou les conditions climatiques140. Le faible nombre de références au frumentum dans le bellum Alexandrinum paraît ainsi à l’auteur montrer que l’approvisionnement en blé y posa moins de difficultés qu’ailleurs, ce qu’il met en relation avec le rôle bien connu de l’Égypte comme grenier de Rome. C’est oublier que l’Espagne a rempli également cette fonction dès les débuts de la présence romaine, dans une mesure moindre certes, et que les très nombreux silos retrouvés sur les sites de la Péninsule attestent sans ambiguïté l’ampleur de la production céréalière locale141. L’insistance particulière du récit césarien sur la question du frumentum à propos de la bataille d’Ilerda tient à d’autres raisons, circonstancielles plutôt que géographiques : d’une part, la crue du Sicoris, qui paralysa entièrement les lignes de ravitaillement de César, et d’autre part le contexte de la guerre civile commençante, dans la mesure où n’avaient pas encore basculé hors du camp pompéien les villes de Citérieure et leurs stocks. Ce double facteur explique que la campagne de 49 fut parmi celles où l’armée césarienne rencontra les problèmes les plus aigüs de ravitaillement en blé.

25Ni reflet d’une alimentation militaire exclusivement basée sur les céréales, ni réponse ponctuelle aux ressources inégales des terrains d’opération, la prise en charge par l’État de l’approvisionnement des troupes en blé doit être comprise comme une mesure permanente destinée avant tout à faciliter le déroulement des campagnes et le maintien de la mobilité optimale des armées. En effet, de ce point de vue, le blé présentait par rapport à d’autres aliments, comme la viande par exemple, des avantages décisifs qui ont contribué à le convertir en une arme à part entière. Ainsi, pour une armée nombreuse et mobile comme l’était l’exercitus républicain, la commodité du grain, aussi bien en ce qui concerne son transport que son stockage, est manifeste142. Facilement mesurable en rations journalières, il pouvait intégrer le bagage individuel du soldat en quantités variables selon le nombre de jours prévus de campagne143. Cet atout rend donc peu probable l’existence d’une norme fixe concernant le volume de blé transporté par le légionnaire144. En outre, le légionnaire recevait son blé non moulu et le transportait ainsi. La nourriture préalablement préparée, en particulier le biscuit, n’eut sans doute pas, sous la République, l’importance que l’historiographie lui a souvent accordée145. En effet, la préparation quotidienne de la nourriture qui, à la différence des armées modernes, était à la charge de chaque miles, assurait une plus grande flexibilité146. La transformation en farine s’effectuait ainsi au fur et à mesure au moyen de meules manuelles portatives, dont plusieurs exemplaires ont été retrouvés à Cáceres el Viejo, voire, à défaut, de simples pierres superposées147. À partir de cette farine grossière, le choix de fabriquer de la bouillie, des galettes ou du pain était dicté par le rythme des opérations148. Surtout, les qualités nutritives du blé en faisaient l’aliment idéal pour des hommes astreints à des efforts violents et prolongés, comme les marches, les combats et les travaux de terrassement149. La préférence qui lui fut donnée sur l’orge ne s’explique pas autrement150. Distribué en quantités bien supérieures à celles en vigueur dans l’alimentation civile, le blé procurait ainsi, selon l’intensité de l’effort fourni, de 75% à 90% des calories nécessaires151. C’est donc parce que cette céréale représentait un élément essentiel de l’efficacité de l’armée en campagne qu’elle faisait l’objet de distributions et qu’elle figure de manière privilégiée dans des récits antiques privilégiant le moment des opérations.

26Il est en effet essentiel de distinguer une armée en campagne, mobile et majoritairement nourrie de blé, d’une armée au repos, statique et à l’alimentation plus diversifiée152. Au cours de la campagne, les distributions de froment, lorsqu’elles étaient normalement assurées, soulageaient avant tout le miles du souci de chercher sa nourriture quotidienne. D’autres rations n’étaient pas indispensables de ce point de vue car, outre les réserves d’huile et de vinaigre dont le légionnaire disposait sans doute dans ses bagages, il savait pouvoir compter sur d’autres apports. En particulier, le butin constituait une source complémentaire en fruits frais ou en viande. On sait ainsi que le soldat, en vertu du serment (sacramentum), prêté lors de l’incorporation, n’était pas obligé de remettre le produit de la cueillette à son chef, au titre de prise collective, mais qu’il pouvait le conserver à titre personnel153. La viande, pour sa part, provenait en partie de razzias sur le lieu des combats ou dans les zones environnantes. En 134, Scipion Émilien considérait ainsi comme une évidence qu’une armée au retour d’une expédition de ravitaillement ramenât avec elle du bétail154. Selon J. André, les troupeaux étaient plus difficile à dissimuler que le grain pour les paysans155. Toutefois, la prudence des populations civiles en 49 compliqua grandement la tâche des Césariens au moment des difficultés causées par la crue du Sicoris156. Le bétail pouvait aussi faire l’objet auprès des alliés de réquisitions en nature157. Quoi qu’il en soit, les occasions étaient nombreuses pour le soldat en campagne de se procurer des vivres sans débourser un as, ce que confirme l’aigreur des mutins du Sucro en 206158.

27Les armées en campagne étaient également suivies par des marchands159. La perspective de racheter le butin encombrant les troupes les attirait autant que celle de fournir aux soldats les produits qui ne relevaient pas de l’intendance militaire. En 209, après la prise de Carthagène, Scipion fit cadeau de trente bœufs (triginta bubus) à Laelius160. Bien que ces bêtes ne figurent pas, au contraire du blé et de l’orge, dans l’énumération du butin fournie par Tite-Live, il fait peu de doute qu’elles avaient été prises à l’ennemi. Savoir ce que le bénéficiaire pouvait faire d’une telle quantité de bétail n’est pas clair. On peut supposer que ces bœufs ont ensuite suivi l’armée avec les bagages, afin de pourvoir, au fur et à mesure, à la consommation personnelle de Laelius et de sa familia. Le lieutenant de Scipion a pu également en céder une partie aux marchands présents sur place161. Ceux-ci ajoutaient alors ces bêtes aux troupeaux avec lesquels ils accompagnaient les armées qu’ils contribuaient ainsi à approvisionner en viande de boucherie. La distinction, dans le bétail présent dans le train de bagages, entre celui pris à l’ennemi et celui acheté aux fournisseurs, n’est pas toujours évidente. En 206, les animaux utilisés par Scipion pour attiser la convoitise des Ilergètes avaient été, si l’on en croit Tite-Live, rapta pleraque ex hostium agris162. Mais la version de Polybe ne permet pas d’écarter l’idée qu’il s’agissait plutôt de bêtes appartenant à des marchands163. Ces exemples ne sauraient toutefois permettre de conclure à un approvisionnement en viande majoritairement effectué par des fournisseurs privés164. D’une manière générale, les mercatores proposaient surtout les denrées que le butin permettait moins facilement d’obtenir, comme les épices, le vin, l’huile ou le vinaigre165. Loin d’être composés seulement de Romains ou d’Italiens, ils comptaient sans doute parmi eux de nombreux indigènes cherchant à profiter du marché offert par l’imposante concentration d’hommes que représentaient les armées romaines166. Certains produits de luxe, comme les poignards ouvragés de la Meseta, sont sans doute parvenus jusqu’aux officiers supérieurs par ces voies commerciales167.

28Au cours de la campagne, l’armée tirait donc son ravitaillement de trois sources : l’intendance, le butin et les marchands. Chacune de ces sources d’approvisionnement privilégiait un certain type de produit. En raison de la valeur tactique et stratégique du blé qu’elle prenait en charge, l’intendance occupait alors la place principale. Les deux autres sources demeuraient secondaires et le rôle du marché, bien que non négligeable, était le moins important168. L’alimentation des soldats faisait en effet l’objet d’une sévère surveillance pendant les opérations. La consommation de vin, notamment, devait être alors entièrement prohibée, comme on sait que ce fut le cas sous l’Empire169. Les mesures disciplinaires de Scipion Émilien en 134montrent en outre, on l’a vu, que la préparation de la viande se limitait normalement à ses deux modes de cuisson les plus simples170. Le moment de la guerre entraînait ainsi un déséquilibre en faveur du blé et, par conséquent, privilégiait les circuits officiels de distribution.

29Si le marché cédait durant cette période le pas à l’intendance et à la praeda, il n’en allait pas de même lorsque les légions prenaient leurs quartiers d’hiver. Les possibilités de butin diminuaient alors considérablement, autant du fait de la saison que parce que l’habitude d’établir les hiberna en territoire allié réduisait les opportunités de pillage. Les soldats se tournaient donc massivement vers les marchands issus des villes voisines ou venus s’installer à proximité des campements. Le pouvoir d’attraction de castra légionnaires devait être très important : à son arrivée, Scipion Émilien chassa deux mille prostituées du camp de son prédécesseur et un nombre non précisé, mais sans doute fort élevé, de marchands, devins et autres charlatans171. Ayant touché leur solde, les soldats se livraient aux plaisirs et complétaient leur ration de blé par une nourriture plus élaborée, copieusement arrosée du vin interdit pendant la campagne. En 97, les habitants de Castulo firent la pénible expérience de ces excès172. Cette amélioration de l’ordinaire excédait probablement les possibilités offertes par le reliquat de la solde, une fois effectuées les retenues pour le blé, les armes de rechange et les vêtements. Mais dans un contexte de garnison, où la discipline était souvent moins sévère, la ration de grain non moulu pouvait devenir elle-même l’objet d’un petit commerce de la part de ceux qui la recevaient173. Les soldats n’hésitaient guère à se livrer à de telles transactions, comme le rappelle, non sans cruauté, l’évocation par Lucain de la disette éprouvée par les Césariens lors de la crue du Sicoris174. En outre, les possibilités économiques des légionnaires ne se limitaient pas au numéraire dont ils disposaient. Ils troquaient en effet directement le produit de leur butin de campagne, parfois abondant. On sait ainsi que les esclaves s’échangeaient facilement contre du vin175. Un tel phénomène a été bien mis en évidence par A. Tchernia pour la Gaule, dans un contexte civil176. Or les soldats romains recevaient fréquemment des esclaves à titre de prise de guerre177. L’importance accordée par les historiens modernes au blé distribué et l’attention portée au montant net de la solde ont contribué à minimiser excessivement la place tenue par l’ensemble de ces échanges, peu visibles dans la documentation, bien qu’ils aient formé sans conteste le quotidien des troupes stationnées en garnison. En dehors du frumentum, le légionnaire couvrait ainsi ses besoins réguliers ou somptuaires sur le marché libre dont l’apport devenait prépondérant dès lors que l’armée demeurait cantonnée pour un certain temps en un même lieu.

30La difficulté à identifier sans ambiguïté sur le terrain des établissements militaires républicains ne permet pas de proposer, à partir de la documentation archéologique, une analyse de ces flux commerciaux et de leur composition. Les sites numantins, seuls à pouvoir être mis en toute certitude en relation avec l’armée romaine, ont livré un matériel insuffisant pour tenter une estimation du volume total des amphores arrivées sur place178. Il s’agit pour l’essentiel d’amphores vinaires Dressel 1A179. En raison de la réglementation probable sur la consommation de uinum par le soldat en campagne, le contexte du siège a conduit E. Sanmartí à penser que ces récipients servaient plutôt à acheminer la posca, attestant ainsi sa fourniture officielle par l’intendance180. Une telle explication n’est guère satisfaisante. Elle repose en grande partie sur l’idée que les mercatores, après avoir été chassés du camp d’hiver, ne sauraient avoir été admis à approcher ensuite de la circonvallation. Or, on sait que, lors du siège de Carthage dix ans auparavant, Scipion Émilien lui-même avait autorisé l’accès à son camp de fournisseurs privés, sous réserve que ceux-ci respectassent certaines conditions181. Rien ne s’oppose donc à ce qu’il en fût allé de même à Numance. Sur le plan disciplinaire, la question n’était pas l’existence d’une telle voie d’approvisionnement, mais la nécessité de veiller à ce qu’elle ne proposât pas à la troupe des aliments incompatibles avec la poursuite des opérations militaires. Par conséquent, les achats effectués par le général, sa cohors amicorum et les officiers supérieurs peuvent sans doute suffire à expliquer les amphores vinaires des sites numantins, comme le pense du reste A. Tchernia182. Pour parvenir à une conclusion différente, il faudrait que la présence de Dressel 1, par exemple, constituât en Hispania un marqueur privilégié du ravitaillement des armées, ce qui n’est pas le cas. Ce type d’amphore est retrouvé sur la plupart des sites indigènes de la Péninsule183. Il témoigne avant tout d’un essor des échanges entre l’Italie et l’Espagne dont les besoins des armées de conquête ne formaient qu’un aspect184. Qu’une partie du vin importé en péninsule Ibérique ait été destinée aux soldats n’implique pas que cet approvisionnement se fît séparément, dans un cadre public185. Au contraire, tout indique que les produits autres que le blé parvenaient essentiellement jusqu’aux armées romaines par des circuits privés, attirés depuis l’Italie ou l’Espagne par les opportunités qu’offraient des centres consommateurs aussi importants que les légions186.

31Pas plus en Hispania qu’ailleurs, le légionnaire romain n’était entièrement pris en charge par l’intendance pour ses besoins élémentaires. Il convient en effet de ne pas confondre les rations proprement dites et l’alimentation en général que les premières ne recouvrent pas, loin s’en faut. L’administration militaire ne se préoccupait pas de la fourniture de l’ensemble des biens utiles à l’entretien de ses troupes. Plus encore qu’on ne l’a dit, elle se concentrait sur ceux dont dépendait immédiatement l’efficacité opérationnelle des armées : le blé (frumentum), les armes de rechange (arma) et les vêtements (uestimenta).Tout cela représentait déjà d’énormes quantités à rassembler et à acheminer. Par conséquent, c’est seulement à propos de ces quelques éléments qu’il convient d’examiner la mise en place éventuelle par Rome, dans le cadre des provinces hispaniques, de systèmes de prélèvements en relation avec l’entretien des armées de conquête.

II. — LES CIRCUITS DE L’INTENDANCE

32« Bellum se ipsum alet ».— L’envoi de fournitures et le rôle des publicains. — Fiscalité, réquisitions, achats : les contributions des provinces ibériques.

33L’intendance militaire ne doit pas être définie, sous la République, comme une infrastructure destinée à organiser l’intégralité de l’approvisionnement des armées. Inversement, elle ne se réduit pas non plus strictement aux fournitures individuelles analysées précédemment. Il fallait en effet que les magistrats chargés de cette tâche, en particulier les questeurs, assurent également l’acquisition du matériel collectif indispensable (outils, ustensiles, chariots, bêtes de somme) ou du moins, pour ce qui est par exemple des tentes ou des machines de guerre, celle des matériaux nécessaires à leur confection. Dans tous les cas, l’alternative consistait pour l’État à tout exporter depuis l’extérieur des théâtres d’opération ibériques, et notamment depuis l’Italie, ou bien au contraire à tirer sur place la plus grande partie de ces éléments. Lorsque ceux-ci étaient disponibles, il va de soi que la seconde solution représentait de bien des façons la tendance naturelle. Les denrées volumineuses et périssables, comme le blé, avaient évidemment avantage à être rassemblées à proximité des zones d’opération afin d’éviter les inconvénients liés au transport maritime. Cependant, bien que cette évidence mérite d’être rappelée, elle ne saurait suffire à qualifier le processus de conquête des Hispaniae comme un simple transfert des mécanismes logistiques vers les territoires péninsulaires. De ce point de vue, l’obligation concrète, pour une armée, de vivre sur le terrain doit être nuancée et surtout soigneusement distinguée de l’instauration d’une taxation provinciale en nature.

« BELLUM SE IPSUM ALET »

34Lorsqu’au début de l’été 195, Caton débarqua ses troupes à proximité de la ville d’Emporion, il prit une initiative appelée à connaître un certain retentissement dans l’historiographie moderne :

Pour que ce délai ne laisse pas place à l’inaction, il employa tout ce temps à exercer ses soldats. C’était justement l’époque de l’année où les blés des Espagnols étaient sur les aires à battre. C’est pourquoi Caton défendit aux fournisseurs d’en acquérir et les renvoya à Rome, en disant : « La guerre doit se nourrir elle-même.  » Après avoir quitté Emporion, il brûla et dévasta le territoire ennemi ; il y répandit partout la fuite et la terreur (trad. M. Nisard modifiée)187.

35Le panache de la déclaration du consul, en frappant les esprits, a converti l’épisode en une illustration paradigmatique de l’habitude prêtée à juste titre à Rome de faire retomber autant que possible l’entretien de la guerre, et en particulier l’approvisionnement en blé des armées, sur les ressources mêmes des régions où se déroulaient les opérations188. Ce rapprochement, sans être illégitime, est cependant à l’origine d’un malentendu. La décision de Caton répondait en effet à des motifs bien précis qu’il est difficile de séparer du contexte de révolte d’une partie des populations du nord-est de la Péninsule.

36Bien qu’il soit peu probable que l’ensemble de la Citérieure et, encore moins, la totalité des deux provinces aient alors échappé au contrôle de Rome, il est certain qu’à son arrivée, le consul fut confronté à une opposition ouverte dans l’arrière-pays d’Emporion189. Si certains peuples, comme les Ilergètes, demeuraient fidèles à Rome, ils subissaient cependant une forte pression de la part des révoltés et n’étaient guère en mesure d’apporter leur aide aux légions. Au contraire, ils en réclamaient plutôt190. De son côté, Caton se trouvait vraisemblablement en état d’infériorité numérique, comme l’indique sa répugnance à diviser ses troupes191. Cette situation lui imposait de parvenir à un double objectif : mettre progressivement ses propres soldats en confiance tout en déstabilisant la coalition ennemie. Pour cela, il était nécessaire de causer le plus de tort possible à cette dernière en évitant toutefois dans l’immédiat la confrontation directe. Le pillage des territoires révoltés s’offrait de ce point de vue comme la solution évidente : en s’attaquant aux provisions de l’adversaire à leur source, l’armée romaine monopolisait ainsi l’accès aux ressources locales et poussait l’autre parti à engager le combat dans une position défavorable192. Le consul ne faisait qu’appliquer ici un précepte classique de la guerre hellénistique et romaine193. Après avoir pris la mesure de la situation, Caton employa donc délibérément ses troupes à dévaster la région194. Par conséquent, le choix de nourrir la guerre par la guerre correspondait avant tout à un calcul stratégique et non, comme on l’a parfois supposé, à un simple souci d’épargner les deniers publics195. Que le consul ait ensuite mis en valeur son empressement à limiter les dépenses de l’État est le produit et non la cause de ces circonstances196.

37Il est important de bien souligner que la décison théâtrale de Caton intervenait à un moment particulièrement propice à la prédation de blé en quantité suffisante pour nourrir ses troupes. Le général avait constaté en effet que son arrivée coïncidait avec le moment où, comme on l’a vu : erat forte tempus anni ut frumentum in areis Hispani haberent197. Parfois mal comprise, cette phrase ne signifie pas que le blé était à cette époque serré dans les granges (horrea), mais au contraire qu’il était encore disposé sur les aires de battage (areae)198. Cette phase de la récolte correspondait à un moment où la production était particulièrement vulnérable à un parti de fourrageurs199. Le texte de Tite-Live précise bien que le renvoi de ses fournisseurs (redemptores)fut consécutif à ce constat200. En effet, renseignement pris, Caton savait être en mesure de parvenir à faire vivre son armée sur le pays à cette époque de l’année. Sa stratégie reposait donc sur la certitude d’une disponibilité momentanée en grain201. On sait en effet que, plus la saison de campagne était avancée, plus les réserves de blé d’une région diminuaient, au fur et à mesure de leur consommation comme de leur dissimulation par les populations202. Ainsi, la détresse des Césariens lors de la crue du Sicoris en 49 fut aggravée par l’époque de l’année choisie pour lancer les opérations203. Par conséquent, l’exemple de 195 montre que le pillage des récoltes représentait une composante à part entière de la guerre romaine dont on ne saurait négliger l’apport, mais il en souligne aussi, a contrario, les limites.

38L’expédition que l’on appelle frumentatio et qui consistait à tirer directement le grain des champs ou des granges demeurait fondamentalement aléatoire dès lors qu’il s’agissait d’approvisionner quotidiennement une armée entière. Mobilisant des effectifs toujours importants, elle ne pouvait se révéler vraiment rentable que sur une superficie suffisante et sans pression trop forte de l’armée adverse204. Ce fut le cas en 195. Beaucoup de conditions, on le voit, devaient donc être réunies pour permettre aux légions de se fonder intégralement sur une telle source de ravitaillement sans risque de s’en voir trop facilement restreindre, voire interdire, l’accès. En 151, les Celtibères détruisirent ainsi ce qu’ils ne purent emporter dans leur fuite devant Lucullus, gênant de ce fait le ravitaillement du consul205. Par conséquent, lorsqu’elle n’était pas utilisée à dessein contre l’adversaire, la frumentatio représentait surtout un expédient face à l’interruption toujours possible des lignes de ravitaillement ordinaires. En 79, Metellus, retenu devant Lacobriga alors qu’il avait ordonné à ses soldats de n’emporter que cinq jours de blé, dut se résoudre à envoyer son lieutenant Aquinus à la recherche de grain206. Un fragment des Histoires de Salluste, également relatif à la guerre sertorienne, montre que le pillage des champs ennemis était un palliatif naturel à une situation de disette207.

39En enlevant à l’ennemi ses moyens de combattre et en terrorisant les populations rurales, le pillage constituait une arme stratégique redoutable, mais non un moyen fiable et régulier d’approvisionnement. On ne saurait le confondre avec les réquisitions imposées aux-villes alliées, quel qu’ait pu être parfois leur niveau de brutalité208. C’est la raison pour laquelle on ne peut interpréter l’attitude de Caton comme une évolution vers une recherche croissante d’autonomie des armées d’Hispania destinée à alléger les charges de l’administration de l’Urbs en matière logistique209. Les ressources que le consul de 195 entendait exploiter ne provenaient pas en effet de prélèvements sur la production des territoires demeurés fidèles à Rome210. Au contraire, la capacité de son armée à se passer des circuits ordinaires de fourniture de blé est explicitement mise en relation par Tite-Live avec les représailles envers les seuls Ibères révoltés (profectus ab Emporiis agros hostium urit uastatque : omniafuga et terrore complet)211. C’est donc précisément l’expulsion volontaire de ces peuples hors de la protection garantie par la fides romaine qui permit d’envisager le recours au pillage systématique de leurs territoires. La distinction entre hostes et socii est ici fondamentale, comme le montre l’attitude des préteurs de 205au moment de traverser le pays ausétan dans le but de se porter contre l’armée d’Indibilis et Mandonius :

… Ils parvinrent jusqu’à l’ennemi en traversant le territoire des Ausétans, pourtant hostiles, en imposant à leurs soldats une conduite pacifique, comme s’il s’agissait d’un pays paisible (trad. P. François modifiée)212.

40Les récits de la conquête regorgent d’allusions à des légions dévastant ainsi les champs ennemis213. Vivre sur le pays, au sens où l’entend Caton en 195, est donc une notion étroitement liée à la présence de l’armée en territoire hostile214. Pillage et frumentatio, souvent difficiles à bien distinguer l’un de l’autre, remplissent à ce titre une fonction à part entière dans la conduite des opérations militaires215. L’armée ne pouvait guère se permettre les mêmes libertés sur les terres de ses alliés, à moins de prendre le risque de s’aliéner ces populations. La lettre des Scipions au sénat en 215, dans laquelle ils se déclaraient incapables de subvenir sur place à leurs besoins en blé, montre qu’à cette date les généraux romains veillaient à ne pas remettre en question les acquis de leur diplomatie par une attitude trop brutale216. Les plaintes des ambassadeurs hispaniques en 171 rappelaient de même la différence de traitement attendue entre un allié (socius)et un ennemi (hostis)217. La provision de grain à partir du pillage était donc toujours une mesure circonstancielle qui n’excluait pas, bien au contraire, d’autres sources d’approvisionnement simultanées218. La déroute d’Aemilius devant Pallantia en 136 s’explique sans doute en grande partie par l’obligation dans laquelle le consul se trouvait alors de compter sur les seules ressources du territoire vaccéen219.

41Les généraux romains ne tiraient donc que très partiellement leur blé directement de la zone même des combats. En revanche, il y avait d’autres provisions dont la collecte quotidienne sur le terrain était inévitable. L’eau et le bois de chauffe, notamment, faisaient l’objet de corvées obligatoires dont les sources laissent ponctuellement entrevoir la place dans la routine légionnaire. L’eau potable en particulier représentait un problème logistique majeur, dans la mesure où l’on estime au minimum à deux litres par jour la consommation d’un homme, sans parler de celle des animaux220. Il était donc impossible d’en stocker en quantité suffisante. L’envoi de soldats ou de calones hors du camp afin de puiser l’eau était indispensable. L’existence de ces expéditions quotidiennes nous est en général révélée à l’occasion d’une attaque dirigée contre elles, car l’adversaire avait doublement intérêt à s’en prendre à ces groupes vulnérables221.

42En effet, tout bouleversement durable de cet approvisionnement avait immédiatement des conséquences catastrophiques222. Scipion Émilien, menacé par les embuscades celtibères en 134, se vit contraint à ses risques et périls d’emprunter en plein été un itinéraire plus long et dépourvu de points d’eau en nombre suffisant223. En 49, le harcèlement incessant des aquatores pompéiens par la cavalerie césarienne obligea Afranius et Petreius à fortifier leur ligne d’accès à la source près de laquelle ils étaient campés224. La stratégie de César finit cependant par porter ses fruits, puisque les Pompéiens, réduits à établir leur camp loin de tout point d’eau et incapables de défendre leurs corvées contre la cavalerie ennemie, durent se résoudre à capituler, faute de ravitaillement en eau225. La collecte de bois, importante notamment pour la cuisine et l’éclairage, donnait lieu à des sorties tout aussi fréquentes226. Enfin, la nourriture des chevaux et des animaux de bât représentait un impératif incontournable. Outre l’orge que cavaliers romains et alliés recevaient en rations, elle reposait essentiellement sur de très grandes quantités de fourrage qu’il fallait pour cette raison se procurer au jour le jour dans les environs du camp227. Le stockage de tels volumes, difficilement réalisable, ne semble pas avoir été l’habitude majoritaire : en 49, Fabius emmenait chaque jour (cum cotidiana consuetudine) ses légions fourrager228. Comme l’armée romaine ne transportait pas ce type d’approvisionnement sur de longues distances, l’accès à des pâturages constituait également un facteur déterminant dans le déroulement des opérations militaires229. Les zones de fourrage étaient âprement disputées entre les armées adverses et les textes abondent en mention d’expéditions débouchant sur une confrontation généralisée230. Un stratagème élaboré par Sertorius en 76 aboutit ainsi au massacre d’une légion entière, envoyée par Pompée se ravitailler sans méfiance à quelque distance du camp231.

43L’approvisionnement en eau (aquatio), en bois (lignatio)et en fourrage (pabulatio),constituait donc, avec le ravitaillement en blé, ce dont l’armée en campagne ne pouvait se passer. L’énumération donnée par César pour justifier la reddition des Pompéiens en 49 en témoigne de façon éloquente :

Enfin, coupé de tout, sans fourrage depuis trois jours déjà pour les animaux retenus à l’intérieur du camp, sans eau, sans bois, sans blé, l’ennemi demande à parlementer (trad. P. Fabre, CUF)232.

44L’importance manifestement accordée à ces éléments ainsi que l’abondance des occurrences relatives aux opérations de fourrage dans nos sources ont contribué parfois à mettre sur le même plan l’ensemble de ces préoccupations. Mais les Romains ne jugeaient pas nécessaire, ni même envisageable, de se procurer l’eau, le bois et le fourrage autrement que depuis la zone de campagne, à la différence du blé233. C’est la distinction insuffisante entre ces différentes conceptions qui, dans une grande mesure, est à l’origine de l’importance excessive accordée par l’historiographie à la frumentatio, trop souvent confondue avec la pabulatio234. Les deux opérations n’étaient pas exclusives : les détachements envoyés chercher du fourrage pouvaient ramener du blé, s’ils en trouvaient, tandis que les expéditions organisées pour moissonner rapportaient sans doute du foin. Couper les blés verts fournissait également du fourrage tout en privant l’ennemi de sa prochaine récolte, comme le montre l’exemple de Scipion Émilien en 134 devant Numance235. En outre, le souci de ne pas multiplier les occasions d’éparpiller dangereusement les soldats amenait vraisemblablement les généraux à combiner le plus possible les différentes opérations de collecte. Toutefois, seule la pabulatio représentait une obligation quotidienne en raison des énormes quantités requises et de l’absence de solution alternative.

45Une partie des besoins vitaux de l’armée de conquête ne pouvait donc être satisfaite que sur le terrain. Cependant, il ne s’agissait pas de ceux normalement pris en charge par l’État et qui faisaient l’objet de déductions sur la solde. L’armée romaine en campagne ne vivait sur le pays que pour ce qu’il était impossible de se procurer autrement. Les ressources naturelles en eau, en bois et en fourrage des territoires où les légions opéraient dictaient incontestablement le rythme et la configuration de la guerre. Cette forte contrainte, indissociable du déplacement de milliers d’hommes et d’animaux sur de grandes distances, apparaissait comme un mal inévitable. Elle impose de ne pas interpréter trop vite le fait de vivre sur le pays comme une recherche délibérée d’autonomie, bien au contraire. Ainsi, lorsque Caton entend nourrir la guerre par la guerre et renvoie ses fournisseurs de blé, c’est une décision stratégique et tactique à court terme qu’il préconise, et non une solution logistique. En effet, dans le ravitaillement en blé des soldats, la frumentatio resta ordinairement secondaire et le pillage marginal.

L’ENVOI DE FOURNITURES ET LE RÔLE DES PUBLICAINS

46Si, en ce qui concerne les fournitures étatiques, la tendance privilégiée par Rome avait été de substituer entièrement à un ravitaillement centralisé une autosuffisance toujours plus grande des armées d’Hispania, on s’attendrait à ce que l’exploitation accrue des territoires péninsulaires, aussi bien ennemis qu’alliés, ait entraîné parallèlement un abandon progressif des envois effectués depuis l’Italie. Or, les données fournies par les sources, en dépit de leur caractère lacunaire, ne vont pas dans ce sens. Le nécessaire continua d’être régulièrement expédié aux armées d’Espagne tout au long de notre période. La prise de Carthagène en 209 fut ainsi destinée à faciliter ces exportations236. Des convois sont attestés à plusieurs reprises au cours de la seconde guerre punique237. On sait même que l’un d’eux, parti d’Ostie, fut intercepté au début de l’été 217 par la flotte carthaginoise à proximité de Cosa238. Assurément, beaucoup d’autres, parvenus sans encombre, n’ont pas laissé de trace dans notre documentation. Les réclamations successives des généraux d’Hispania auprès du sénat suffisent à suggérer qu’il s’agissait de la pratique ordinaire239. Seul le contexte de crise postérieur à la bataille de Cannes explique la suspension momentanée de ces transports240. De fait, en 205, l’une des objections de Fabius Maximus à l’expédition en Afrique projetée par Scipion fut précisément l’incapacité du Trésor à assurer un ravitaillement suffisant241.

47Les remarques effectuées à ce sujet à propos de la solde peuvent donc s’appliquer également aux fournitures de blé, d’armes et de vêtement qui sont renseignées en partie par les mêmes textes242. Bien que la précision quod mitti soleret ne qualifie grammaticalement que le terme stipendium dans le discours prononcé par les légats de Fulvius Flaccus en 180 devant le sénat, il ne fait aucun doute que le blé, que le gouverneur de Citérieure dispensait également l’assemblée d’envoyer in eum annum, faisait l’objet de la même exportation annuelle que l’argent de la solde243. En affectant de permettre d’en épargner exceptionnellement la livraison, dans le contexte d’une pacification définitive de la province (confectam prouinciam), le propréteur espérait sans doute appuyer efficacement sa demande de triomphe auprès de ses pairs244. L’épisode atteste assurément que l’économie ostentatoire des deniers publics alimentait dans certains cas la rivalité aristocratique245. Cependant, comme le geste de Flaccus ne pouvait obtenir autant d’impact si l’extorsion rendait régulièrement inutile le ravitaillement organisé par le sénat, cet épisode démontre surtout qu’à cette époque les armées d’Hispania, à l’instar de l’ensemble des forces lancées à la conquête de la Méditerranée, demeuraient dépendantes de la métropole pour la distribution des fournitures déduites de la solde246. Le maintien d’une certaine forme de centralisation dans le ravitaillement des armées exprimait en outre, comme pour le stipendium, l’autorité souveraine du sénat sur les généraux pourvus de l’imperium247. L’importance des convois en provenance de Rome est suggérée enfin par un passage de Tacite, exaltant l’antique capacité de l’Italie à approvisionner l’ensemble de ses troupes outre-mer, par contraste avec la situation connue sous le règne de Claude, où la ville de Rome elle-même était chroniquement menacée par une pénurie de grain248.

48Le problème consiste à déterminer dans quelle mesure cet apport externe s’est effectivement maintenu à partir du milieu du IIe siècle, dans le cas de l’Hispania, alors que le contrôle de Rome sur les territoires péninsulaires ne cessait de se renforcer. En effet, le silence des sources, en particulier d’Appien, sur la question de l’acheminement du ravitaillement aux armées pour la période des guerres celtibéro-lusitaniennes, ménage la possibilité d’une évolution sur ce plan. Ainsi, on estime parfois que les guerres civiles du Ier siècle, en affaiblissant l’autorité du sénat sur les provinces, imposèrent à Rome de réinstaurer, à l’occasion de la guerre sertorienne, une pratique tombée auparavant en désuétude249. Il est certain que les difficultés de ravitaillement éprouvées par les généraux des armées sénatoriales, et notamment par Pompée, provenaient des perturbations occasionnées par la stratégie de harcèlement de Sertorius et la mainmise de celui-ci sur les ressources de régions fertiles comme la vallée de l’Èbre et la côte levantine250. Cet inconvénient était alors compensé par l’approvisionnement que les ennemis du général rebelle étaient susceptibles de recevoir en permanence depuis l’extérieur, comme le révèle l’analyse que Sertorius fit de la situation militaire à ses lieutenants au cours de l’hiver 77251. L’enjeu des campagnes suivantes fut ainsi la maîtrise du littoral et l’apogée du succès de Sertorius se produisit lorsque celui-ci parvint à couper ses adversaires à la fois de leurs lignes terrestres et maritimes252. Le redressement des généraux du parti sénatorial imposait la reprise de ports capables d’accueillir les navires chargés de provisions sans lesquels leur efficacité opérationnelle se trouvait réduite. Peut-être un fragment de Salluste a-t-il ainsi trait aux efforts de Pompée pour sécuriser des lignes de ravitaillement entre l’Italie et la péninsule Ibérique253. Très corrompu, le texte a été parfois mis en relation avec une tentative d’un lieutenant pompéien pour s’emparer d’Emporion254. Le recours massif au blé gaulois, par l’intermédiaire des réquisitions de Fonteius, évoquées par Cicéron lors du procès de celui-ci, appartenait sans doute à ces tentatives de compenser la perturbation des liaisons maritimes jusqu’à une date très avancée de la guerre sertorienne255. Le transport de fournitures militaires vers les provinces hispaniques demeura donc, au Ier siècle, une donnée fondamentale de l’organisation des armées de conquête dans la mesure où il leur permettait, le cas échéant, de ne pas dépendre uniquement des ressources aléatoires des territoires où se déroulaient les guerres256. Toutefois, l’attitude des légats pompéiens en 49, drainant tout leur blé des deux provinces, montre de la part de ceux-qui les gouvernaient une capacité indéniable à mobiliser les ressources des Hispaniae257.

49Il semble donc possible d’admettre que, au cours du IIe siècle, la commodité incita le pouvoir romain à ravitailler autant que possible les armées sur place. Dans cette évolution vers un approvisionnement organisé de façon croissante à partir la province, il est peu probable qu’intervenaient d’autres considérations, en particularité la volonté de se dégager du monopole des publicains. Traditionnellement, on estime en effet que l’équipement des armées romaines, lorsqu’il relevait de l’État, était assuré, comme la plupart des contrats publics (publica),par des entrepreneurs privés, les publicani, qui le prenaient à ferme et assuraient son acheminement jusqu’aux théâtres d’opération258. Pratique usuelle dans l’Antiquité, l’affermage (locatio) des dépenses et des revenus de l’État dispensait celui-ci de mettre en place une infrastructure administrative lourde et permettait aux fermiers de dégager un profit substantiel, non sans malversations dans certains cas259. Ainsi, selon certains historiens, le remplacement de l’envoi régulier de fournitures aux armées d’Hispania par l’exploitation directe des provinces aurait eu pour objectif de dispenser le sénat de ces intermédiaires souvent gourmands260. Toutefois, la place tenue par les publicains dans le ravitaillement des armées ne doit pas être surestimée. Il s’agit en réalité d’une idée qui ne se fonde guère que sur un seul texte relatif, précisément, aux armées d’Hispania. L’épisode est pour cette raison bien connu : en 215, afin de satisfaire aux demandes formulées par les Scipions au début de l’hiver, le sénat fit appel à ses intermédiaires habituels :

Il fallait que le préteur Fulvius se présentât à l’assemblée pour faire connaître au peuple les besoins de l’État et appeler ceux qui s’étaient enrichis grâce aux adjudications à accorder un délai de paiement à l’État à qui ils devaient l’accroissement de leur fortune et à se charger des livraisons nécessaires pour l’armée d’Espagne, à condition que, lorsqu’il y aurait de l’argent dans le trésor, ils fussent remboursés les premiers. Telles furent dans l’assemblée les paroles du préteur qui fixa le jour où il mettrait en adjudication les vêtements et le blé à fournir à l’armée d’Espagne et toutes les autres choses dont on avait besoin pour les matelots (trad. P. Jal, CUF)261.

50La représentativité de cet exemple isolé est ordinairement admise, au motif que le contexte particulier de cette année-là, où l’épuisement du Trésor imposa que l’affermage se fît à crédit contrairement à l’habitude, suffit à expliquer l’attention portée aux faits par Tite-Live, désireux d’exalter par ce biais le dévouement des Romains de l’époque à la chose publique (hi mores, eaque caritas patriae per omnes ordines uelut tenore uno pertinebat)262. Par conséquent, le silence ordinaire des sources sur cette question n’est pas jugé contradictoire : il indiquerait seulement que les contrats publics étaient fermement établis dès cette période et que le système fonctionnait en règle générale sans accrocs263.

51Il nous semble néanmoins que plusieurs éléments vont plutôt dans le sens d’une exception, liée aux difficultés posées par l’ampleur nouvelle de l’effort consenti pendant la seconde guerre punique et par l’inadaptation momentanée des infrastructures publiques à cette situation264. Le fait que l’État ait accepté sans rechigner en 215 les exigences inouïes des trois societates regroupant dix-neuf hommes représentait assurément une contrepartie du paiement à crédit265. Toutefois ce dernier ne constituait pas en soi l’originalité de la situation, car ce type de paiement caractérisa l’ensemble des marchés publics à partir de cette période, comme le montrent les événements de l’année suivante266. Or, il semble que les avantages spéciaux accordés en 215 aient été reconduits par la suite. On sait ainsi qu’au printemps 212, deux individus, Titus Pomponius de Veies et Marcus Postumius de Pyrgi, furent convaincus de fraude : ils avaient déclaré de faux naufrages et en avaient également organisés de vrais, coulant de vieux navires chargés de marchandises sans valeur en prétendant qu’il s’agissait de fournitures destinées aux armées267. Dans la mesure où l’incident entraîna selon Tite-Live une agitation orchestrée lors du procès par le groupe des publicains solidaires des accusés, l’épisode entier a été suspecté, à juste titre, d’avoir fait l’objet d’une réinterprétation par l’historien latin à la lumière des luttes politiques de la fin de la République268. On s’accorde cependant à penser que le scandale lui-même n’est pas anachronique et que les deux hommes appartenaient en réalité aux dix-neuf personnes ayant répondu en 215 à l’appel du sénat269. Or, rien ne permet de l’affirmer : au contraire, la probité de la première opération est explicitement soulignée par Tite-Live270. Celui-ci se contente de dire que Pomponius et Postumius avaient échafaudé leur escroquerie

parce que l’État garantissait contre les risques de tempête (a ui tempestatis) les fournitures expédiées aux armées (quae portarentur ad exercitus)271.

52Tout se passe en fait comme si, à partir de 215, l’insolvabilité du Trésor avait poussé l’État romain, plusieurs années de suite, à proposer exceptionnellement aux individus chargés des contrats publics des conditions avantageuses pour qu’ils acceptent de soumissionner l’approvisionnement des armées, assuré jusque-là par les magistrats. Puisque ces garanties supplémentaires offertes par l’État distinguaient la mise à ferme des fournitures militaires de celle des autres dépenses effectuées elles aussi à crédit, il faut en conclure qu’elles étaient censées en réalité protéger les particuliers contre des risques qu’ils ne prenaient pas d’ordinaire dans les opérations d’affermage. En raison de sa nouveauté, ce système introduisit également un type inédit de fraude dont le scandale de 213/212 constituait le révélateur272. La documentation suggère donc que les contrats publics ne concernaient pas le ravitaillement et l’équipement des armées avant 215 et que le recours ponctuel à une telle mesure fut provoqué par les circonstances particulières de la seconde guerre punique273. On sait ainsi qu’en 209, pour adjuger les vêtements réclamés par l’armée d’Espagne, le sénat employa une partie de l’or issu de la taxe sur les affranchissements (uicesima libertatis) qui, depuis l’année 357, était réservé aux cas d’extrême urgence :

… Tout l’or qui restait fut utilisé pour la mise en adjudication contre argent comptant de la fourniture des vêtements nécessaires pour l’armée qui faisait la guerre en Espagne, en raison de l’opinion favorable qu’on avait d’elle et de son général (trad. P. Jal, CUF)274.

53Faut-il en conclure que les publicains, une fois la seconde guerre punique terminée, ne jouèrent plus le même rôle dans l’intendance militaire ? Une telle hypothèse a été émise récemment par P. Erdkamp à propos du ravitaillement en blé qui constituait, comme on l’a vu, la préoccupation principale des autorités275. Selon lui, l’État romain se procurait le blé militaire à partir de plusieurs sources qui ne lui imposaient pas de recourir aux services de ces intermédiaires276. Les achats effectués directement par les magistrats romains en Italie ou les indemnités réclamées aux ennemis vaincus, comme Carthage ou encore la monarchie séleucide, mettaient ainsi régulièrement à la disposition du sénat de grandes quantités de grain qui pouvaient être ensuite dirigées là où les nécessités des guerres de conquête exigeaient la présence de légions277. Les dons ou les contributions des alliés alimentaient également ces disponibilités dans une proportion importante. Surtout, les dîmes de Sicile et de Sardaigne ont constitué aux yeux de P. Erdkamp de véritables greniers militaires. En général, on estime que leur produit était affecté d’abord au ravitaillement de Rome, ensuite à celui des armées et qu’en cas de guerre importante, la levée d’une seconde dîme servait exclusivement aux légions278. Mais en réalité, il est probable que l’approvisionnement des troupes l’emportait systématiquement et qu’avant les lois frumentaires de Caius Gracchus en 123, le produit des dîmes parvenait à Rome seulement si les besoins militaires le permettaient279. Il est donc vraisemblable que les convois à destination de la péninsule Ibérique, évoqués précédemment, furent en partie alimentés par le blé sarde et sicilien issu de la dîme régulière280. Prenant appui sur ces éléments importants, P. Erdkamp remarque que, si la participation des publicains à la mise à ferme des revenus de l’État est relativement bien couverte par la documentation, leur rôle dans l’approvisionnement en blé de l’armée n’est pas, pour sa part, attesté en dehors de l’épisode de 215 auquel il accorde peu de foi. Ainsi, dans sa description fameuse des différentes catégories de contrats publics, Polybe ne fait nulle mention du ravitaillement militaire281. Tout en admettant que l’énumération de l’historien grec n’est sans doute pas exhaustive, l’auteur considère comme peu probable que le domaine le plus rentable de ce type d’activité ait été omis s’il avait existé à cette époque282. Cependant, l’argument n’est pas définitif : Polybe ne fait pas non plus état de la perception des impôts, en dehors de la scriptura sur l’ager publicus283. L’interprétation du passage dépend donc étroitement de la date de sa rédaction et de l’époque à laquelle renvoient les sources utilisées par Polybe pour traiter des institutions romaines. On ne saurait se montrer trop prudent quant à la signification à accorder aux silences des sources en ce domaine. Ainsi, connue par une copie grecque de Cnide récemment découverte et datée vers 100, la lex de prouinciis praetoriis suggère qu’existaient bien à cette période des procédures de locatio du ravitaillement en blé, au moins pour les armées de Macédoine284. Le texte, très mutilé, ne permet pas cependant d’aller plus loin, notamment en ce qui concerne l’identité des adjudicataires.

54L’obscurité de la question provient en grande partie des difficultés à définir ce que recouvre précisément le terme publicanus à l’époque républicaine et à saisir dans quelle mesure il peut être associé aux circuits de l’intendance militaire. Affecté d’un sens très général, le vocable regroupe, selon la majorité des historiens, à la fois les collecteurs d’impôt et les fournisseurs d’État285. Or, en règle générale, ces derniers sont plutôt désignés comme des redemptores286. Aussi, le publicanus, au sens strict, était-il peut-être seulement celui qui prenait à ferme la perception des uectigalia publica populi Romani287. Cette distinction permettrait d’expliquer la rareté des mentions de publicains en relation avec le ravitaillement des armées. De fait, pour 215, le texte de Tite-Live évoque ceux qui redempturis auxissent patrimonia, c’est-à-dire ceux qui avaient l’habitude de passer des contrats publics288. Cette périphrase renvoie donc probablement au groupe des redemptores289. En 195, il est intéressant de noter que les fournisseurs renvoyés par Caton à Rome étaient également appelés ainsi290. En 73, c’est encore cette catégorie de fournisseurs qui est attestée auprès des légions de Pompée par un fragment de Salluste291. Par conséquent, puisque la nature des soumissionneurs de contrats militaires dont nous avons trace hors de la péninsule Ibérique n’est la plupart du temps pas spécifiée, il est tentant de penser qu’il s’agissait toujours de redemptores, italiens ou provinciaux292. L’apparition ponctuelle du terme publicani dans ce contexte chez Tite-Live serait due à une imprécision de l’historien augustéen, contribuant à entretenir la confusion terminologique293. En dépit du récit livien pour 215, l’activité des grandes societates publicaines, qui émergent en réalité dans la seconde moitié du IIe siècle, ne peut être clairement mise en relation avec les fournitures aux armées. La prise à ferme des fournitures militaires se faisait sans doute à une moindre échelle et portait peut-être de façon privilégiée sur certaines prestations. En particulier, l’État confiait sans doute la fabrication ainsi que la livraison des armes et des vêtements déduits de la solde légionnaire à des entrepreneurs italiens réguliers294. Dans ce cas, la locatio s’apparentait davantage à un simple achat de la part du Trésor, dans la mesure où les biens affermés devenaient propriété de l’État295. L’équipement en arma et uestimenta était ensuite expédié à l’armée dans les provinces296. Néanmoins, il n’est pas toujours aisé de distinguer ce qui faisait exactement l’objet du contrat et si ce dernier était unique ou s’intégrait, comme c’est plus probable, dans une chaîne complexe d’intermédiaires297.

55Selon nous, le soutien logistique que Rome apportait aux légions combattant dans la péninsule Ibérique n’excluait pas l’appel à des fournisseurs sous contrat. Cette pratique appartenait pleinement à la tradition administrative antique et il paraît peu plausible d’imaginer que l’armée romaine ait constitué une exception notoire en la matière. L’affermage n’était pas incompatible avec un certain contrôle de l’État et c’est du reste précisément ce que cherche à rappeler Polybe dans le texte sur les marchés publics mentionné précédemment298. L’une des limites de la théorie de P. Erdkamp, qui repose largement, on l’a vu, sur l’utilisation par les autorités romaines des ressources en blé procurées parles dîmes de Sicile et de Sardaigne, est de minimiser dans ce cadre le caractère indirect de la perception. En effet, la fourniture du grain et son acheminement jusqu’au port relevaient de la responsabilité des décimateurs tandis que le transport vers l’Italie ou vers les armées stationnées dans les provinces était en règle générale confié à des armateurs avec lesquels les magistrats passaient un contrat distinct299. On ne saurait donc tirer complètement argument de la place tenue par la production de ces deux îles dans le ravitaillement des légions pour étayer l’idée de circuits entièrement étatiques et les opposer ensuite, par contraste, à l’affermage des armes et des vêtements, comme le fait cet auteur. L’important n’est donc pas une improbable absence des procédures d’affermage des fournitures militaires mais, plutôt, le fait qu’elles n’ont jamais représenté, contrairement à ce que laisse croire l’épisode de 215, une solution unique, ni même peut-être majoritaire, aux défis logistiques de la conquête. De ce point de vue, l’apport essentiel du travail de P. Erdkamp est d’avoir mis en évidence que l’État romain ne dépendait pas d’un système unique pour l’approvisionnement et l’équipement de ses armées300. Ainsi, parallèlement à la locatio, les magistrats pratiquaient l’achat direct tandis qu’aux transporteurs sous contrats s’ajoutaient les flottilles de bateaux de transports réquisitionnés, comme ceux que Caton ordonna (edicto peroram maritimam misso)de rassembler au printemps 195, au moment de son départ vers la Citérieure301. De la même façon, des convois envoyés depuis l’Italie ou depuis les autres provinces coexistaient avec les prélèvements effectués à l’intérieur des Hispaniae, parmi lesquels la taxation occupait d’ailleurs une place qui reste maintenant à préciser.

FISCALITÉ, RÉQUISITIONS, ACHATS : LES CONTRIBUTIONS DES PROVINCES IBÉRIQUES

56En fonction de ses besoins, Rome employait indifféremment les ressources de son empire à l’entretien des armées qui le façonnaient progressivement. Organisés ou permis par le sénat, l’envoi vers les Hispaniae de blé depuis la Sicile, la Sardaigne ou la Gaule, l’acheminement d’armes et de vêtements depuis l’Italie, s’inscrivaient dans cette logique. Par conséquent, il est impensable que les terres fertiles de la péninsule Ibérique n’aient pas également été mises, au même titre, à contribution. Comment s’effectuait cette participation en nature ? Résultait-elle avant tout d’un système régulier de taxation mis en place dans les provinces hispaniques ? Il faut reconnaître l’extrême difficulté à parvenir à des conclusions solides sur ce point pourtant essentiel, faute de sources suffisamment explicites. Quelques orientations très générales peuvent néanmoins être tracées.

57Notre connaissance des mécanismes par lesquels Rome prélevait les productions hispaniques est particulièrement lacunaire. Deux textes seulement éclairent très imparfaitement la situation en ce qui concerne les produits du sol et notamment le blé. Le premier, et le plus connu, provient des Verrines. Il atteste que, dans le premier quart du Ier siècle, les provinces d’Espagne, comme les cités puniques d’Afrique, avaient été affectées de ce que Cicéron appelle un uectigal certum, à la différence de la Sicile et de l’Asie, dont le système reposait sur la dîme (decuma) :

Entre la Sicile et les autres provinces, juges, il y a une différence dans le système de l’impôt territorial : aux autres provinces, ou bien il est imposé une redevance fixe qu’on appelle stipendiaire, comme c’est le cas des Espagnols et de la plupart des cités puniques, en récompense de notre victoire et en punition de nous avoir fait la guerre ; ou bien, il a été établi une ferme adjugée par les censeurs, comme c’est le cas de l’Asie en vertu de la loi Sempronia (trad. H. de la Ville Mirmont, CUF)302.

58Ce passage a surtout servi à mettre en évidence l’hétérogénéité des structures fiscales de la Rome républicaine, partagées entre redevances fixes et variables, en fonction des circonstances dans lesquelles les provinces venaient à passer sous domination romaine303. Toutefois, certains pensent que, loin de décrire l’intégralité de la fiscalité provinciale républicaine, Cicéron n’évoque ici que les formes de prélèvement sur la production agraire (in agrorum uectigalium ratione)304. Bien que séduisante, une telle interprétation est sans doute trop restrictive, comme l’a montré dernièrement J. France305. Néanmoins, en principe, rien n’empêche que le uectigal certum stipendiarium ait pu être versé en nature par une partie au moins des communautés concernées306.

59Le second document est relatif à l’année 171 : selon Tite-Live, une ambassade de plusieurs populi de la Péninsule se présenta devant le sénat afin de protester contre le traitement reçu de la part de deux gouverneurs de Citérieure, M. Titinius (178-176) et P. Furius Philus (174-173), ainsi que de celle d’un de leurs collègues d’Ultérieure, M. Matienus (173)307. À l’issue d’un procès de repetundis, le sénat, sans permettre la condamnation des trois hommes, prit cependant un certain nombre de mesures en faveur des Hispani dont Tite-Live nous rapporte le contenu :

Pour l’avenir, le sénat prit cependant des mesures en faveur des Espagnols, à savoir — ce fut le résultat obtenu par eux — qu’un magistrat ne devait pas fixer le prix du blé ni forcer les Espagnols à lui vendre leurs vingtièmes à un prix arbitrairement fixé par lui ; il lui était interdit d’installer des préfets dans leurs cités pour faire rentrer l’argent (trad. P. Jal, CUF)308.

60À partir de ce passage, on a déduit qu’existait dans la première moitié du IIe siècle une taxe proportionnelle sur le blé, qu’on trouve désignée dans la bibliographie sous le terme uicesima (ou uicensuma) Hispaniarum, c’est-à-dire équivalente à un vingtième de la récolte, soit la moitié d’une dîme309. Le rapport existant ou non entre les deux systèmes attribués ainsi aux Hispaniae à un siècle d’intervalle, n’est pas parfaitement clair. J. S. Richardson a relevé avec raison que l’énoncé de Cicéron, en opposant sans ambiguïté decuma et uectigal certum, invite à rejeter l’idée, proposée notamment par M. Rostovtzeff, que la uicesima ait pu constituer la seule forme prise en Hispania par l’impôt provincial310. Il est certain en effet, comme le souligne la plupart des travaux, que les deux procédés de taxation doivent être soigneusement distingués, l’un étant fixe et l’autre variable311. Pour la même raison, contrairement à ce que propose J. Muñiz Coello, rien ne permet de définir la uicesima seulement comme la partie du stipendium qui, selon les ressources de la région, était versée en nature312. Il est peu probable également d’y reconnaître deux étapes successives de la fiscalité provinciale, comme l’ont suggéré certains en imaginant qu’un prélèvement à taux fixe (uectigal certum)se serait substitué à un système de quotité (uicesima)à la suite de l’épisode de 171313. Plus vraisemblablement, coexistaient un impôt, qui pouvait lui-même être versé en partie en blé, et une uicesima variable, selon des modalités et une chronologie que nous sommes dans l’incapacité de préciser, mais sans que ces deux types de prélèvement se situent nécessairement sur le même plan : il faut en effet tenir compte du fait que la mention par Tite-Live de la uicesima pour 171 intervient dans le contexte d’un conflit autour d’une procédure d’aestimatio. Ceci nous renverrait donc plutôt à une catégorie bien précise de prélèvement, similaire au frumentum in cellam des Verrines, et donnant moins lieu à une perception en nature qu’à une conversion en argent314. Malheureusement, l’état de notre documentation ne permet guère d’aller au-delà de ces considérations assez vagues.

61Quoi qu’il en soit, on ne peut guère douter que Rome se préoccupa très tôt de drainer une partie du blé péninsulaire315. Les transformations décelables dans les structures agraires péninsulaires à partir de l’arrivée des Romains et notamment au cours du IIe siècle suggèrent, malgré la faiblesse des témoignages archéologiques, un premier souci d’organiser et peut-être de contrôler en partie la production, au moins dans certaines régions316. Par ailleurs, l’existence d’une uicesima, si elle est bien avérée, supposait que les magistrats romains fussent en mesure d’évaluer la capacité contributive des populations qui y étaient soumises. Toutefois, l’ampleur de cette organisation est incertaine : sous la République, les Hispaniae n’apparaissent pas clairement comme des prouinciae frumentariae, même au Ier siècle où les frumentationes destinées à la plèbe romaine accrurent la pression sur les fiscalités provinciales. L’envoi massif de blé à Rome en 203 constituait assurément une mesure ponctuelle liée à la cherté provoquée par la guerre en Italie317. En 123 encore, l’arrivée d’une grande quantité de grain hispanique jusqu’à l’Urbs résultait de l’initiative personnelle d’un gouverneur, Fabius, sans doute désireux de se gagner ainsi les faveurs de la plèbe aux élections suivantes à une époque où la question frumentaire était devenue une composante à part entière des luttes politiques internes318. Parvenu à notre connaissance en raison de la réprimande adressée par le sénat à l’instigation de Caius Gracchus, ce cas n’était vraisemblablement pas isolé, mais l’indemnisation accordée aux provinciaux à cette occasion montre que le prélèvement de ce blé outrepassait les limites des prélèvements ordinaires. Ces exemples prouvent néanmoins que les ressources en blé de la Péninsule étaient suffisantes pour donner lieu à des exportations, au moins ponctuelles319. En revanche, contrairement à la situation en vigueur en Sicile, il ne semble pas que, dans la péninsule Ibérique, la taxation ait systématiquement donné lieu à une collecte de grain. Rien n’assure en effet que le uectigal certum en vigueur au début du Ier siècle rapportait un produit en nature. Cicéron le rapproche dans son texte de la locatio censoria d’Asie dont le but consistait à rapporter des revenus en argent, à la différence de la dîme sicilienne dont la spécificité, comme l’a rappelé Cl. Nicolet, était de procurer directement du blé à Rome320. Dans son discours, l’orateur distingue sur ce critère la contribution de la Sicile de celles du reste des provinces : alors que la première contribuait en nature, les autres, fixes ou variables, rapportaient du numéraire au Trésor321.

62Même si les sources font donc complètement défaut pour étayer solidement l’hypothèse d’une alimentation régulière de greniers militaires parle biais de la fiscalité provinciale, une telle possibilité demeure néanmoins la plus probable322. Le sénatus-consulte de 171, cité précédemment, prohibait essentiellement deux choses : d’une part, nous l’avons vu, la pratique de l’aestimatio du blé par les gouverneurs ; d’autre part, l’obligation faite aux provinciaux de vendre le vingtième de leurs récoltes à un prix imposé par ces magistrats. Ces décisions suggèrent que les Hispani se plaignaient en 171 de deux types d’abus distincts de la part des gouverneurs. En premier lieu, les fraudes auxquelles donnaient lieu le mécanisme de conversion en argent d’un prélèvement en nature. En second lieu, le fait de ne pas respecter le prix fixé par le sénat pour la uicesima, qui correspondait sans doute à un achat forcé de blé, similaire à ce qu’on connaît pour le Ier siècle en Sicile323. De l’affaire de 171, il ressort donc que, dès les débuts de sa présence en péninsule Ibérique, Rome avait entrepris d’exploiter à son compte, en vertu de son droit de conquête, les ressources en blé des territoires soumis à son contrôle. Cette exploitation se faisait vraisemblablement, dans le second quart du IIe siècle, sous la forme d’un impôt gratuit, matérialisant la sujétion des populations, et de ventes forcées. L’extension concrète de ce système de taxation n’est pas possible à déterminer : le nombre des ambassades de 171 n’est pas précisé, pas plus que la localisation des populi concernés. Le plus vraisemblable est de supposer que cette taxation s’étendait à l’ensemble des territoires correspondant aux deux provinces créées en 197. Une partie de son produit, lorsqu’il était versé en nature, servait à la consommation du gouverneur et de l’administration provinciale. Une autre devait être destinée aux armées stationnées dans la Péninsule. La mention, en 180 encore, de convois réguliers vers la péninsule Ibérique, sans doute depuis l’Italie et la Sicile, suggère, selon toute vraisemblance, que le produit de la collecte de blé par le biais de l’impôt ne couvrit pas immédiatement les besoins de l’armée de conquête324. Peut-être le maintien prolongé d’un apport extérieur, dont rien ne précise qu’il correspondait à l’intégralité du blé nécessaire, permettait-il également, en diversifiant les sources d’approvisionnement, de garantir le renouvellement des stocks pour la campagne325.

63Outre la taxation progressivement mise en place, les magistrats chargés des provinces continuaient cependant à recourir à l’intérieur des Hispaniae aux réquisitions et même aux achats pour se procurer les grandes quantités de blé requises pour l’entretien de leurs armées. Il est difficile de déterminer la proportion relative de ces différents procédés, mais l’impression laissée est celle d’une grande souplesse. Rome utilisait en fonction des circonstances tous les moyens envisageables pour obtenir la denrée essentielle à la conduite de ses guerres. Les généraux exigeaient ainsi des ennemis vaincus des indemnités en nature dont les sources précisent qu’elles étaient directement destinées aux légions. Les mieux attestées sont celles imposées en 206 et 205 aux Ilergètes326. Tout au long de la conquête, de telles réquisitions ont assurément sanctionné la défaite de nombreux adversaires. L’absence du blé dans l’énumération des réclamations faites aux Vaccéens en 152 et 143 n’est pas nécessairement contradictoire : ces demandes intervenaient à l’issue de sièges où les réserves des villes indigènes comme celles de la région alentour se trouvaient manifestement épuisées327. L’exemple de Var en Ultérieure en 49 montre que de lourdes contributions en grains grevèrent les villes que le légat pompéien soupçonnait de sympathie pour César328. Ces obligations s’ajoutèrent au produit de l’impôt puisqu’elles touchèrent les citoyens romains établis dans la province329.

64En dépit de ces nombreuses possibilités de taxation ou d’extorsion, il est néanmoins douteux, comme l’a remarqué J. Harmand, que l’État romain ait pu parvenir à développer un ravitaillement militaire entièrement gratuit330. Le recours à l’achat auprès des populations indigènes, très peu mentionné par les auteurs anciens est certainement sous-estimé dans l’historiographie331. Il semble ainsi que les fournisseurs que Caton renvoya à Rome en 195 aient eu à l’origine pour tâche d’acheter du blé (frumentum parare) aux populations alliées de la région332. À la fin de notre période, l’une des difficultés rencontrées par César en 49 fut précisément l’augmentation considérable du prix du blé des environs d’Ilerda causée autant par la concentration des réserves accumulées dans la ville que par la crainte de la disette333. Ainsi, l’organisation de l’intendance profita sans conteste de la régularisation progressive des contributions hispaniques en nature par le biais de la fiscalité provinciale, mais ne s’y limita jamais strictement. Par conséquent, le ravitaillement des armées, tout en sollicitant sans cesse davantage les populations locales, ne se confondit pas avec le développement d’une infrastructure administrative dont les finalités ne furent pas seulement militaires.

***

65La conduite quasi-permanente d’opérations militaires dans la péninsule Ibérique de la fin de la seconde guerre punique au début des guerres civiles poussa naturellement Rome à rechercher autant que possible à se procurer sur place une partie importante du ravitaillement et de l’équipement des armées de conquête. Les ressources naturelles des Hispaniae, notamment en blé, se prêtaient sans difficulté à ce transfert de l’organisation logistique de l’Italie vers la province. La signification à accorder à cette décentralisation de l’entretien des troupes doit cependant être nuancée, car le mouvement demeura partiel et ne reposa pas entièrement sur l’infrastructure administrative progressivement mise en place dans les Hispaniae. En effet, l’État romain n’organisait pas l’intégralité des fournitures des armées et ne répondait pas à tous leurs besoins logistiques. Une part importante relevait par la force des choses des efforts quotidiens des légions pour se procurer sur place ce qu’elles ne pouvaient transporter en grandes quantités, comme l’eau, le bois ou le fourrage. Par ailleurs, les légionnaires restaient responsables de l’acquisition de la plupart des aliments qui composaient leur ordinaire : le butin ou le marché libre y pourvoyaient pour l’essentiel. En conséquence, mis à part pour certains produits importés d’Italie, cette part du ravitaillement s’effectuait par définition sur le terrain des opérations ou à proximité. Le recours aux ressources locales caractérisait donc toujours, dans une certaine mesure, les armées romaines sur n’importe quel théâtre d’opération. Les fournitures rassemblées par l’intendance et traditionnellement envoyées d’Italie concernaient avant tout quelques éléments sensibles (blé, vêtements, armes de rechange) autour desquels s’organisaient les mécanismes logistiques et qui faisaient l’objet de distributions officielles aux légionnaires, en échange de retenues sur leur solde. Dans ce contexte de fournitures étatiques cruciales mais réduites, l’évolution de leur provenance ne se fit pas unilatéralement dans le sens d’une ponction croissante en péninsule Ibérique même. Les obstacles techniques à l’acheminement de vivres depuis l’Italie ou depuis d’autres provinces n’avaient ainsi rien de décisif : malgré les énormes quantités requises, les bateaux de transport appartenant à des armateurs sous contrat ou bien réquisitionnés par l’État pouvaient effectuer tout au long de la saison de campagne autant d’allers-retours qu’il était nécessaire vers les ports hispaniques à partir desquels les magistrats chargés de la guerre dans les provinces ibériques approvisionnaient les réserves de leurs bases opérationnelles. Une telle solution demeura d’ailleurs fréquemment employée jusqu’à la fin de notre période, en fonction des aléas divers liés aux conflits. L’État romain disposait d’un appareil administratif suffisant pour y faire face, sans être obligé de dépendre complètement des entrepreneurs privés, et notamment des publicains, afin de rassembler les fournitures militaires. Parmi les fournitures dont se chargeaient les magistrats, le blé fut de plus en plus fourni par les terroirs hispaniques, pour des raisons évidentes. C’est aussi le domaine le mieux documenté. Néanmoins, même à la fin de la République, le frumentum destiné aux armées semble n’avoir jamais correspondu ni au simple pillage des territoires ennemis, ni, à l’inverse, au seul produit d’une fiscalité provinciale dont les contours et le contenu demeurent par ailleurs trop mal connus. Ainsi, dans la mesure où il était l’élément central du ravitaillement des armées et aussi dans la mesure où il témoignait, aux yeux des contemporains eux-mêmes, de la capacité de la res publica à mener ses conquêtes outre-mer, l’approvisionnement en blé synthétise, en quelque sorte, la

Notes de bas de page

1 Polybe, VI, 39, 15.

2 Polybe, VI, 39, 13-14.

3 G. Veith, « Die Römer », p. 413.

4 P. Cosme, Armée et bureaucratie dans l’Empire romain, pp. 171-206.

5 L’étude pionnière en la matière est celle de R. W. Davies, « The Roman Military Diet », pp. 122-142. La question a ensuite fait l’objet de nombreux travaux. En dernier lieu, voir : P. Le Roux, « Le ravitaillement des armées romaines sous l’Empire », pp. 403-424 ; M. Junkelmann, Panis militaris ; J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War.

6 P. Erdkamp, Hunger and the Sword, pp. 27-31. L’auteur livre, par la même occasion, la première étude d’ensemble portant spécifiquement sur le ravitaillement des armées à l’époque républicaine. La question a été également longuement traitée la même année par J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, dans une perspective plus générale. La parution simultanée de ces deux ouvrages a comblé une lacune importante de l’historiographie sur la période.

7 Tite-Live, XXIII, 48, 4.

8 Tite-Live, XXVI, 2, 4.

9 Tite-Live, XXXIV,, 12 (Caton) ; XL, 35, 4 (Flaccus).

10 J. André, L’alimentation et la cuisine à Rome, pp. 50-51.

11 Frontin, Strat., IV, 1, 25 ; il semble que cette punition ait été assez courante : Polybe, VI, 38, 6 ; Tite-Live, XXVI, 13, 9 ; Plutarque, Marc., 24, 6. Sur cet emploi de l’orge, voir J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 182 ; J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 18 ; P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 35.

12 César, BC, III, 47, 6 ; Bell. Afr., 67.

13 Appien, Ib., 54.

14 Contrairement à ce qu’affirme par exemple P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 35, n. 36

15 Ces deux céréales tenaient une place importante en Italie : J. André, L’alimentation et la cuisine à Rome, p. 55.

16 M. Junkelmann, Panis militaris, pp. 103-103.

17 On peut par conséquent se demander jusqu’à quel point le constat de J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 182, sur l’emploi exclusif du froment, ne dépend pas trop des lacunes de notre documentation.

18 Leur importance est soulignée par J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, pp. 25-26, et P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 34.

19 Appien, Ib., 54 : οἴνου γὰϱ οὐϰ ὄντος οὐδ᾽ ἁλῶν οὐδ᾽ ὄξους οὐδ᾽ ἐλαίου πυϱοὺς ϰαὶ ϰϱιθὰς ϰαὶ ἐλάϕων ϰϱέα πολλὰ ϰαὶ λαγωῶν χωϱίς ἁλῶν ἑψόμενα αιτούμενοι ϰατεϱϱήγνυντο τὰς γαστέϱας, ϰαὶ πολλοὶ ϰαὶ ἀπώλλυντο. De façon intéressante, J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 25, compare ce passage avec les paroles que Dion Cassius place dans la bouche de la reine Boudicca, laquelle affirme que les Romains ont besoin de pain, de vin et d’huile et que, si l’une de ces choses vient à manquer, ils périssent (Dion Cassius, LXII, 5, 5-6).

20 J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 189, insiste sur l’importance de ce condiment comme sur la difficulté de s’en procurer (par exemple César, BC, 2, 37, 5) ; J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, pp. 40-41, souligne pour sa part qu’une carence trop forte en sel ne permet pas au corps humain de retenir son eau, ce qui explique en partie les troubles dont ont souffert les soldats de Lucullus en 152.

21 J. André, L’alimentation et la cuisine à Rome, pp. 60-61 ; J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 45.

22 J. André, L’alimentation et la cuisine à Rome, pp. 63 et 65-66 ; J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 47.

23 A. Tchernia, Le vin de l’Italie romaine, pp. 11-13, a bien montré qu’il fallait distinguer la posca de l’acetum, c’est-à-dire du vin vinaigré ; J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 38, admet la probabilité de la consommation de posca par l’armée romaine, dans la mesure où celle-ci était très répandue dans les couches inférieures de la société romaine (Plaute, Mil. Glor., III, 2, 837 et Trunc., II, 7, 610). Mais il rappelle qu’elle n’est jamais directement attestée dans un contexte militaire, à la différence de l’acetum.

24 Frontin, Strat., IV, 3, 1 ; Valère-Maxime, IV, 3, 11 ; Pline, NH, XIV, 91. Sur les habitudes de Caton, voir aussi Plutarque, Cat. Maior, I, 10.

25 Plutarque, C. Gracc., II, 10.

26 Les amphores vinaires (Dressel 1) retrouvées sur les sites numantins pourraient ainsi confirmer l’impression plus générale laissée par les textes (notamment Salluste, Iug., XLIV, 5). Voir E. Sanmartí Grego, « Las ánforas romanas del campamento numantino de Peña Redonda », pp. 130-161 ; Id., « Nouvelles données sur la chronologie du camp de Renieblas V à Numance », p. 427 ; il n’est pas évident cependant que ces trouvailles témoignent de la consommation de la troupe ; néanmoins, A. Tchernia, Le vin de l’Italie romaine, p. 19, ne doute pas que les armées romaines ont toujours représenté des centres importants de consommation de vin, sans exclure toutefois (p. 99) que l’importation de crus italiens ait pu coexister avec une production locale insuffisante pour couvrir en totalité les besoins de l’armée. P. Sáez, Agricultura romana de la Bética, t. I, pp. 50-51, souligne de ce point de vue que le développement d’un vignoble excédentaire en Hispania n’est attesté que très tardivement ; plus généralement, sur l’importance du vin dans l’alimentation légionnaire, voir J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 37.

27 Frontin, Strat., II, 5, 14.

28 Afin de mettre en valeur la rigueur de la discipline de l’armée d’Aemilius Scaurus en 115, Frontin, Strat., IV, 3, 13, rapporte que trois arbres situés au pied même de son camp portaient encore leurs fruits à son départ, ce qui suggère le contraire de la pratique ordinaire. Sur l’approvisionnement en fruits (poma), voir J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, pp. 42-43. Pour l’Empire, des traces matérielles en ont été fréquemment retrouvées sur les sites : M. Junkelmann, Panis militaris, p. 142.

29 J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, pp. 33-34.

30 J. André, L’alimentation et la cuisine à Rome, pp. 48-49, rappelle ainsi que les légumes, cultivés ou sauvages, étaient une composante essentielle de l’alimentation romaine. Peut-être moins massivement consommés à la ville qu’à la campagne, dont étaient issus en grande majorité les légionnaires, ils comptaient alors une centaine d’espèces, parmi lesquelles une part importante provenait de la simple cueillette. Il est difficile d’imaginer que ces habitudes n’étaient pas conservées, au moins en partie, lors du service militaire où les occasions de semblables récoltes ne manquaient pas.

31 J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 34 ; J. André, L’alimentation et la cuisine à Rome, p. 154.

32 Lucain, Pharsale, IV, 313-319 : rituque ferarum distentas siccant pecudes et lacte negato/sordidus exhausto sorbetur ab ubere sanguis. (« À la manière des bêtes, ils dessèchent les mamelles tendues des bestiaux et, quand le lait leur est refusé, un sang horrible est tiré du pis épuisé », trad. A. Bourgery et M. Ponchont, CUF). Consommé aussi fréquemment comme boisson, le lait entrait en outre parfois dans la composition de la puls. Voir J. André, L’alimentation et la cuisine à Rome, p. 61 ; M. Junkelmann, Panis Militaris, p. 128 ; J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 45.

33 G. Veith, « Die Römer », p. 413, H. M. D. Parker, The Roman Legions, p. 220, ou, plus récemment, A. Labisch, Frumentum commeatusque, pp. 37-38, ont excessivement minimisé l’alimentation carnée du légionnaire ; ce point de vue a été réfuté à l’origine par F. Stolle, Der römische Legionär und sein Gepäck, pp. 19-20, puis par J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, pp. 186-188. Ce dernier a toutefois trop tendance à en restreindre la pratique au seul exercitus césarien, dans la mesure où il distingue insuffisamment consommation et fournitures (voir infra, p. 554). R. W. Davies, « The Roman Military Diet », pp. 126-128 et 138-141, a contribué à réévaluer définitivement la consommation ordinaire de viande par les légions. Celle-ci est désormais couramment admise, autant pour l’époque impériale (P. Le Roux, « Le ravitaillement des armées romaines sous l’Empire », p. 404 ; M. Junkelmann, Panis Militaris, pp. 154-163) que pour la période républicaine (J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 27 ; P. Erdkamp, Hunger and the Sword, pp. 31-32).

34 Polybe, VI, 31, 13.

35 Appien, Ib., 85 ; Plutarque, Apopht. Scip. Aem., 15. Si l’on en croit Frontin, Strat., IV, 1, 1, il s’agissait là de tout ce qui présentait à ses yeux une utilité véritable pour les expéditions. P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 32, n. 18, rappelle néanmoins l’objection selon laquelle cet argument ne prouve pas une consommation quotidienne, pas plus que le glaive ne prouve que les soldats se battaient tous les jours. Une telle comparaison ne nous paraît pas décisive, car la viande se mangeait aussi bouillie.

36 Voir en ce sens les brèves remarques de C. Herrero González, C. Santapau Pastor et D. Sanfeliu Lozano, « Vajilla y alimentación en los campamentos numantinos », pp. 369-375.

37 E. Sanmartí Grego et J. Principal Ponce, « Las cerámicas de importación, itálicas e ibéricas, procedentes de los campamentos numantinos », p. 68, estiment que cette coupe était sans doute métallique, tout comme la broche et la marmite, car la précision d’Appien aurait concerné seulement les mesures prises par Scipion envers la vaisselle susceptible d’être associée à un objet de luxe, ce que n’étaient pas la céramique campanienne B ou la céramique à parois fines dont un grand nombre d’exemplaires ont été retrouvés surplace. La répartition des formes montre que la campanienne B, la plus nombreuse, est dominée par les plats et les bols destinés aux aliments solides (viande, poisson) ou semi-solides (bouillie), tandis que la céramique à parois fines privilégie les récipients à liquides. Par conséquent, outre les trois éléments fixés par leur général pour faire la cuisine, il est probable que les légionnaires de 134-133 conservaient l’accès à une vaisselle de type commun pour consommer ensuite les aliments. Sur ce matériel, voir en dernier lieu J. Principal Ponce, « Vajilla de barniz negro de los campamentos del cerco numantino », pp. 269-279, qui fait état, parmi les trouvailles à Numance et à Renieblas, de 36 individus pour la Campanienne A (dont seuls 22 sont identifiables) et 68 pour la Campanienne B. L’ensemble représente 69,38% du matériel céramique retrouvé (à l’exclusion des amphores).

38 J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 50, suggère que la broche pouvait servir en outre à cuire des fruits ou des légumes.

39 Appien, Ib., 85. Ces deux modes de cuisson, les plus courants, n’étaient pas les seuls. On pouvait également faire griller la viande ou la préparer selon des techniques plus sophistiquées. Voir J. André, L’alimentation et la cuisine à Rome, p. 147. Nul doute que la mesure de Scipion intégrait une dimension moralisante. Mais on ne saurait la réduire à une volonté d’empêcher les soldats de gaspiller leur temps « on “gourmet” cooking », comme l’écrit J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 49. Tout en comportant un aspect disciplinaire, par l’interdiction notamment des plats préparés (comme les isicia ou les ofellae) que les soldats se procuraient peut-être chez des spécialistes présents parmi les nombreux marchands chassés à l’arrivée du général, Scipion a sans doute aussi voulu éviter d’éventuels problèmes de salubrité. La préférence accordée à la viande bouillie dans le monde romain tenait en effet autant à sa piètre qualité qu’aux conditions d’abattage, à tel point que la viande rôtie elle-même était la plupart du temps bouillie auparavant. Une consigne similaire est attribuée par Frontin à Q. Metellus à son arrivée en Numidie en 109 (Strat., IV, 1, 2) : cum insuper prohibuisset alia carne quam assa elixave milites uti (« il avait en outre interdit à ses soldats de consommer de la viande non rôtie ni bouillie », trad. P. Laederich).

40 On sait en effet que, pour des raisons d’assimilation par l’organisme, la viande ne saurait se substituer entièrement ni principalement à un régime ordinairement centré sur les céréales. Voir à ce sujet P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 31.

41 Plutarque, Apopht. Scip. Aem., 15.

42 J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, pp. 29-30, admet pourtant un recours prononcé à la viande salée ou fumée, bien adaptée selon lui aux exigences opérationnelles. J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 188, se montre plus prudent (« les proportions de la viande fraîche et des salaisons ne sauraient être précisées »). Il est improbable cependant que les légions aient pu s’en passer totalement. R. W. Davies, « The Roman Military Diet », p. 138, rappelle ainsi que, selon Apicius, I, 7, 1, la viande ne peut être conservée plus de quelques jours en été sans être salée.

43 Dans cette perspective, et à la suite de R. W. Davies, « The Roman Military Diet », p. 140, J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 31, insiste à juste titre sur le rôle que tiennent les sacrifices réguliers dans l’apport de viande fraîche aux soldats, notamment celui du suouetaurilia pratiqué lors de la lustratio précédant la bataille. Les actions de grâce à la suite d’une victoire constituaient une occasion supplémentaire.

44 Polybe, XI, 32, 2, et Tite-Live, XXVIII, 33, 2 (pour206) ; Dion Cassius, XXXVII, 52, 5 (pour61).

45 Appien, Ib., 87.

46 On sait par Polybe, II, 15, 3, qu’à l’époque où il écrit, le porc formait en Italie la principale viande de boucherie aussi bien pourles populations civiles que pourles armées. La région dont il est question dans ce passage est la plaine padane. Varron, LL, V, 111, évoque également deux façons d’apprêter la chair de porc en usage dans l’armée. Sur la place du porc dans l’alimentation romaine, voir J. André, L’alimentation et la cuisine à Rome, pp. 136-138. Il est difficile d’affirmer si ce primat de la viande porcine était maintenu en ce qui concerne les armées d’Hispania. Rien ne s’y oppose toutefois, puisque l’élevage de ces bêtes est bien attesté pour la Péninsule (Polybe, XXXIV, 8, 8 ; Varron, RR, II, 4, 11 ; Strabon, III, 162).

47 Voir supra, p. 548.

48 J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 31, considère pourtant l’épisode de 152 comme une anomalie. D’après Appien, il semble néanmoins que ce fut surtout le mode de consommation (sans sel) et non le type de viande qui contrariait les habitudes des soldats. Sur cette question, voir aussi A. Schulten, Numantia I, p. 169.

49 A. Schulten et R. Paulsen, « Castra Caecilia » (1930), col. 85-86 ; Id., « Castra Caecilia » (1932), col. 384 ; G. Ulbert, Cáceres el Viejo, pp. 190-191. La majorité des restes (24 contre 11) provient d’animaux d’élevage (porc, chèvre, bœuf), mais la part du cerf est loin d’être négligeable. Sur les ambiguïtés d’interprétation du site, voir supra, pp. 399-401.

50 J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 181, n. 238. Sur cette caractéristique de l’alimentation paysanne, voir J. André, L’alimentation et la cuisine à Rome, p. 227.

51 J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, pp. 43-44, admet cependant que « the diet of the Roman soldier was excellent, both in quality and quantity ». Il y voit confirmation dans le fait que les doléances des mutins de Pannonie en 14 ap. J. -C. (Tacite, Ann., I, 35) ne comportent aucune plainte relative à la nourriture. Sa conclusion s’appuie en outre sur des estimations assez précises des quantités consommées selon les aliments. Mais il n’est pas évident que ces restitutions soient toujours systématiquement transposables pour l’époque qui nous concerne.

52 Plutarque, Cat. Maior, IV, 3.

53 P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 35.

54 D’autant plus qu’il faut tenir compte du fait que les combattants n’étaient pas les seules bouches à nourrir. Les légions comprenaient en effet une grande quantité de valets d’armée, des esclaves, des muletiers dont le vocabulaire utilisé par les textes (calo, lixa, apparitor, muliones) ne permet pas toujours d’entrevoir la fonction exacte. Certaines mentions (par exemple Frontin, Strat., II, 4, 6 et 8) attestent que leur nombre pouvait tromper l’ennemi sur la taille réelle des armées romaines, mais leur effectif ordinaire demeure inconnu. On hésite en général à en proposer une estimation, même si l’on s’accorde à penser que ces non-combattants étaient en nombre nettement inférieur à celui des soldats : G. Veith, « Die Römer », p. 454 ; M. Marín y Peña, Instituciones militares romanas, p. 368 ; J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 157 ; A. K. Goldsworthy, The Roman Army at War, pp. 295-296. Récemment, J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 114, a donné un ratio d’un non-combattant pour quatre soldats et admet ainsi 1.200 calones pour une légion de 4.800 hommes ; P. Erdkamp, Hunger and the Sword, pp. 41-42, plus prudent (« we have no idea of their actual number »), avance cependant une proportion égale à 20% du nombre des combattants. Rien ne permet de savoir en revanche s’ils partageaient le régime alimentaire des légionnaires. On peut supposer que c’était le cas.

55 En témoigne l’obscurité des pages de J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, pp. 182-190.

56 P. Erdkamp, Hunger and the Sword, pp. 42 ; J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 26. Ce dernier inclut également les légumineuses, le sel et le fromage.

57 P. Garnsey et R. Saller, L’Empire romain, p. 163 ; P. Le Roux, « Le ravitaillement des armées romaines sous l’Empire », p. 405 ; M. Junkelmann, Panis Militaris, p. 87.

58 A. Tchernia, Le vin de l’Italie romaine, pp. 16-17, rejette ainsi l’éventualité de rations de vin, mais aussi d’huile, avant Auguste ; à l’inverse, E. Sanmartí Grego, « Las ánforas romanas del campamento numantino de Peña Redonda », pp. 154-155, en se fondant sur le fait que les amphores Dressel 1A de Peña Redonda se répartissent essentiellement en deux types de pâtes, affirme que le vin bu par les troupes du siège de Numance provenait d’acquisitions effectuées par l’intendance militaire sur quelques grands fundi du Latium ou de l’Étrurie. L’argument, qui porte sur un échantillon trop limité de pièces, n’est cependant guère probant. En réalité, la conviction de l’auteur repose sur la supposition (p. 157) que Scipion avait interdit l’accès de la circonvallation aux mercatores, « con lo que, de seresto cierto, quedaría claro que las ánforas vinarias presentes en los campamentos son el fruto de compras realizadas porla annona militar ». Or, cette mise à l’écart des fournisseurs privés est peu probable (voir infra, p. 577). Plus récemment, E. Sanmartí Grego et J. Principal Ponce, « Las cerámicas de importación, itálicas e ibéricas, procedentes de los campamentos numantinos », p. 67, ont d’ailleurs nuancé cette analyse à propos du vin, tout en conservant l’idée d’un ravitaillement officiel de posca.

59 Polybe, VI, 39, 13-15.

60 C’est notamment l’avis de P. A. Brunt, « Pay and Superannuation in the Roman Army », p., et de J. -G. Rathé, « La rémunération du soldat romain d’après Polybe, VI, 39, 12-15 », p. 128.

61 Si l’on interprète littéralement Polybe, il est certain que les déductions effectuées portaient aussi bien sur le blé consommé par les hommes (πυρὁς) que sur l’orge destiné aux montures des cavaliers (ϰριθή). Cette lecture pose cependant un problème : contrairement aux fantassins, les equites devaient payer mensuellement deux médimnes de blé et sept médimnes d’orge. Une telle retenue était susceptible d’amputer considérablement leur stipendium, pourtant trois fois plus élevé que celui du légionnaire, puisqu’il équivalait à neuf fois la valeur de la ration de blé réclamée au miles. Or, il est inconcevable que la solde nette du cavalier ait été trois fois moins importante que celle du simple fantassin. Cependant, comme l’a montré P. Marchetti, Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, p. 199, le problème disparaît si l’on tient compte de l’indemnité (aes hordearium) que les cavaliers recevaient annuellement pour l’entretien de leurs chevaux et qui était accordé en plus de la triple solde (Tite-Live, I, 43, 9 ; Festus, 91L ; Gaius, Inst., IV, 27). Dans ces conditions, l’orge pouvait donc tout à fait être déduit de leur solde.

62 J. Harmand, « Un aspect de la réforme militaire césarienne : l’alimentation de l’armée », pp. 23-30, et notamment p. 27. L’auteur s’appuie sur César, BG, I, 48, 2 ; III, 3, 1 ; VI, 4 ; VII, 3 ; VII, 32, 1. Voir aussi J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, pp. 181 et 185.

63 Tite-Live, XXII, 11, 6 (commeatum) ; Tite-Live, XXII, 22, 2 (magno commeatu).

64 Tite-Live, XXV, 37, 7 (commeatus).

65 Tite-Live, XXIII, 49, 5. La lettre des Scipions ne laisse aucun doute quant à leurs besoins (Tite-Live, XXIII, 48, 4).

66 Tite-Live, XXIII, 48, 12. Sur la question des publicani, voir infra, pp. 593-601.

67 On le trouve sous cette forme en droit privé ; voir G. Humbert, « Commeatus », p. 1402 ; voir notamment Plaute, Mil., 142 et 468 ; Stich., 452. Pour cette raison sémantique, la permission donnée aux soldats est appelée également commeatus : lorsqu’en 141, Q. Metellus chercha à nuire à Q. Pompeius qui venait le remplacer à la tête de l’armée envoyée contre Numance, il distribua ainsi sans modération les autorisations de départ (Valère-Maxime, IX, 3, 7) : commeatus petentibus neque causis excussis neque constituto tempore dedit. Sur ce sens du mot, voir aussi Tite-Live, III, 46, 9-10 ; XXXIII, 29, 4 ; Cicéron, Verr., V, 62.

68 Tite-Live, XXVIII, 4, 7. Pour un emploi similaire, voir Salluste, Hist., II, 47 M (= II, MG) et III, 6 M (= III, 7 MG).

69 J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, pp. 156-157, fait trop systématiquement de commeatus l’équivalent de « supply lines ».

70 Cet usage un peu vague est bien attesté chez Tite-Live : XXII, 39, 11 ; XXVI, 9, 5 ; XXVII, 39, 19 ; XXVIII, 41, 11 ; XXXII, 15, 7 ; XXXIV, 19, 8 ; XXXV, 44, 7 ; XXXVI, 7, 17 ; XXXVII, 7, 9 ; XXX-VIII, 41, 9 ; XL, 41, 2 ; XLII, 31, 8 ; XLIII, 22, 10 ; XLIV, 6, 12. Voir aussi Cicéron, Pro Balb., IX, 23 et surtout XVII, 40 qui distingue commeatus de frumentum.

71 Salluste, Bell. Iug., XXVIII, 7 ; XLIII, 3 ; LXXXVI, 1 ; XC, 2 ; C, 1.

72 César, BC, I, 43, 2 (pour 49) ; Bell. Hisp., V, 3 et XXVI, 4 (pour 45).

73 César, BC, I, 48, 4.

74 César, BC, I, 54, 5 (rem frumentariam) ; I, 60, 5 (re frumentaria) ; I, 72, 1 (re frumentaria) ; I, 73, 1 (re frumentaria).

75 A. Labisch, Frumentum commeatusque, pp. 37-38 et 41.

76 C’est en ce sens, nous semble-t-il, qu’il faut comprendre Végèce, III, 3, qui distingue frumentum, pabulatum et commeatus.

77 J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 25, à propos de César, BC, III, 53, 5 : « The frumentum and cibaria, however, that Caesar doubled as a reward to one of his units were both clearly part of the soldiers’regular issue. In this context, frumentum clearly meant the grain ration and cibaria a ration of food other than grain. »

78 Sur cette acception traditionnelle de cibaria, voir G. Veith, « Die Römer », p. 331.

79 E. Fournier, « Cibaria », pp. 1141-1142 ; Salluste, Iug., XLV, 2 interdit d’ailleurs de confondre le cibus avec le panis : ne quisquam in castris panem aut quem alium cibum coctum uenderet (« de ne pas vendre dans le camp du pain ou quelque autre nourriture toute cuite »). Sur la définition large de cibaria, voir aussi les remarques de P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. : « Cibaria is a general term forfood ».

80 Valère-Maxime, IV, 3, 11. Voir aussi Frontin, Strat., IV, 3, 1.

81 Une anecdote rapportée par Frontin à propos de la campagne de Tiberius Gracchus en 179 invite ainsi à relativiser la rigueur avec laquelle les deux termes apparaissent dans nos sources (Frontin, Strat., III, 5, 2) : Ti. Gracchus, Lusitanis dicentibus in X annos cibaria se habere et ideo obsidionem non expauescere, « undecimo », inquit, « anno uos capiam » Qua uoce perterriti Lusitani, quamuis instructi commeatibus, statim se dediderunt. (« Les Lusitaniens avaient dit à Tiberius Gracchus qu’ils avaient des vivres pour dix ans et que pour cette raison ils ne redoutaient nullement un siège : “Alors, leur répondit-il, je vous prendrai la onzième année”. Terrifiés par cette parole, les Lusitaniens, malgré les importantes provisions dont ils disposaient, firent immédiatement reddition », trad. P. Laederich).

82 Ainsi Plutarque, Crass., XIX, 5, a parfois conduit à supposer que d’autres denrées, comme les légumineuses, faisaient bien partie des rations régulières à cette époque : J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, pp. 188-189 (avec réserves toutefois) et J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 25. Ce texte pose toutefois des difficultés spécifiques qui ont été soulignées par M. Rambaud, « Légion et armée romaines », p. 430, et P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 34, n. 30.

83 César, BC, III, 53, 5 : cohortemque postea duplici stipendio, frumento, ueste, cibariis militaribusque donis amplissime donauit (« Il accorda ensuite à la cohorte double solde et distribua très largement blé, vêtements, nourriture et décorations militaires », trad. P. Fabre). J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 25, n. 116, insiste sur la distinction établie ici par César entre les cibaria et les dona militaria pour affirmer que les premiers ne peuvent être des récompenses. C’est, nous semble-t-il, se méprendre sur le sens de dona militaria qui ne désigne que les décorations (notamment hasta pura, torques, phalères) : V. A. Maxfield, The Military Decorations of the Roman Army, pp. 55-67, et M. Feugère, Les armes des Romains, p. 63. Dans le contexte de la victoire de Dyrrachium en 48, César offrit tout simplement à ses soldats méritants de la nourriture de toute sorte. De fait, en règle générale, César utilise cibus/cibaria de manière conventionnelle : César, BG, I, 5, 3 ; III, 18, 6 ; VI, 10, 2.

84 Tite-Live, XXVIII, 26, 3.

85 Tite-Live, XXXIV, 12, 6 : denunciari militum parti tertiae ex omnibus cohortibus iubet ut cibum quem in naues imponant mature coquant.

86 Frontin, Strat., IV, 7, 31 : tertiam partem militum cibaria parare et naues ascendere (« il ordonna au tiers de ses soldats de préparer des vivres et de s’embarquer », trad. P. Laederich).

87 Il n’y a pas de raison de croire, comme on le déduit parfois de l’épisode de 195, que l’ordre donné par le général ignorait le frumentum, lequel désigne toujours le grain non moulu, parce qu’il portait en réalité sur la fabrication à l’avance de pain ou de biscuits. Dans ce cas, assurément, la préparation de l’expédition incluait manifestement la cuisson (coquere) des aliments composant le cibum. Mais il ne s’agissait pas pour autant forcément de pain. Il faut tenir compte en effet de la difficulté de cuire de grandes quantités de nourriture à bord d’un navire : J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 44. Le contexte d’un transport maritime suffit donc à expliquer qu’en 195 la nourriture destinée à être embarquée (quem in naues imponant)pour la durée du trajet fut préalablement préparée. On peut comparer ce passage à Tite-Live, XXIX, 25, 6, qui décrit une situation similaire. On ne peut donc généraliser au cas de 206 où il s’agissait d’une opération entièrement terrestre.

88 Frontin, Strat., II, 1, 1 : continuit in horam septimam suos, quibus praeceperat, ut quiescerent et cibum caperent (« il retint ses troupes dans le camp jusqu’à la septième heure, avec l’ordre de se reposer et de se nourrir », trad. P. Laederich). Cet emploi de cibus, attesté par Salluste Iug., XCI, 3, ne semble pas un anachronisme de Frontin. Il est resté en vigueur par la suite comme l’indique Végèce, III, 11.

89 Frontin, Strat., IV, 1, 1 : portare complurium dierum cibaria imperabat ; cette exigence est à comparer avec celle de Metellus en 109 (Salluste, Iug., XLV, 2 : miles cibum et arma portaret) ou de Marius en 107 (Frontin, Strat., IV, 1, 7 : uasa et cibaria militis in fasciculos aptata furcis imposuit).

90 Tite-Live, Per., LVII, 2 : militem cotidie in opere habuit et XXX dierum frumentum ad septenos uallos ferre cogebat (« il fit travailler tous les jours les soldats qu’il forçait à porter, avec leur ration de blé de trente jours, jusqu’à sept pieux chacun », trad. P. Jal, CUF). La signification exacte de ce passage est toutefois très discutée, comme il ressort de l’étude de J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, pp. 69-70.

91 Plutarque, Sert., 13, 7 (Metellus) ; César, BC, I, 78, 1 (Afranius et Petreius).

92 Polybe, rapportant l’épisode du simulacre de 206, utilise l’expression ἐφόδια παρεσϰεάυσθαι (« de tenir prêtes des provisions pour un certain temps »), sans allusion au σῖτος ou au πυρός (Polybe, XI, 26, 6).

93 M. Junkelmann, Panis Militaris, p. 86.

94 Afin d’étayer sa définition des cibaria comme fourniture officielle autre que le blé, J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 26, s’appuie, outre sur César, sur des sources beaucoup plus tardives, comme les ostraka de Pselkis (notamment SB 6970 = Fink, nº 78. 18), datés de la fin du IIe siècle de notre ère, voire du début du IIIe siècle, ou encore le Code Théodosien (VII, 4, 6), daté de la fin du IVe siècle. Or, la signification que ces textes accordent aux cibaria est le résultat d’une évolution et non l’équivalent, en mieux documenté, des réalités républicaines, contrairement à ce que les raccourcis contestables de l’auteur peuvent laisser croire.

95 Polybe, XI, 26, 6 ; Tite-Live, XXXIV, 12, 6.

96 Le recours des soldats au marché libre fait cependant peu de doutes. Un passage de Tite-Live, relatif à la guerre contre Persée, montre que le général romain attend de ses soldats (XLIV, 34, 3-4) qu’ils aient de la nourriture toujours prête (cibum paratum) en cas d’ordres inopinés (ad subita imperia). Le cibus paratus est généralement interprété comme des rations pré-cuisinées, notamment de biscuits (J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 52). Mais l’expression peut tout simplement vouloir dire que le soldat devait prévoir à l’avance, en cas de départ précipité, de disposer du nécessaire qui ne lui était pas fourni.

97 J. Harmand, « Un aspect de la réforme militaire césarienne : l’alimentation de l’armée », p. 26 : « au-delà du ravitaillement frumentaire, les denrées de distribution ont été peu nombreuses. En eût-il été autrement que toute la rétribution du rationnaire y fût passée ».

98 Sur les discussions autour de l’évaluation du montant du stipendium, voir supra, pp. 503-508.

99 Polybe, VI, 39, 13-14 : le fantassin, romain ou allié, recevait par mois environ deux tiers de médimne tandis que le cavalier romain en touchait deux et le cavalier allié un médimne un tiers. Comme dans le cas de la solde, les conversions des unités de mesure grecques en unités romaines ont suscité de nombreuses controverses, bien que l’on s’accorde aujourd’hui à admettre que le μέδιμνος de Polybe équivalait à environ six modii. Sur cette base, la ration mensuelle de blé se montait donc à quatre modii. Voir en dernier lieu, M. Junkelmann, Panis Militaris, p. 91, J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 19, et P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 27, n. 2, d’accord en cela avec les travaux classiques de G. Veith, « Die Römer », p. 328 et de J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 184. Mais cette évaluation est peut-être trop haute. F. W. Walbank, A Historical Commentary on Polybius, t. I, p. 722, estime en effet que le μέδιμνος employé par Polybe équivalait à seulement 4,5 modii,car il faudrait raisonner sur la base d’un médimne attique et non pas sicilien. Il est suivi par A. Labisch, Frumentum commeatusque, pp. 31-33, et P. Marchetti, Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, p. 244, n. 2. Dans ce cas, la ration mensuelle du fantassin se monterait ainsi à trois modii de blé seulement. Un calcul intermédiaire de trois modii un quart est proposé par J. -G. Rathé, « La rémunération du soldat romain d’après Polybe, VI, 39, 12-15 », pp. 143-144, selon qui le médimne « attique » de Polybe est différent de celui d’Athènes et correspond à une mesure d’Italie du sud dont on trouve des parallèles chez Caton.

100 Cette estimation est la plus répandue dans l’historiographie : J. Marquardt, De l’organisation militaire chez les Romains, p. 139 ; T. Frank, An Economic Survey of Ancient Rome, t. I, p. 192 ; J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 264 ; P. Marchetti, Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, p. 247 ; J. Muñiz Coello, « Sobre el abastecimiento al ejército romano durante la conquista de Hispania », p. 244. Certains auteurs, comme G. R. Watson, « The Pay of the Roman Army. The Republic », pp. 118-119, se contentent toutefois d’admettre l’importance des déductions, sans proposer d’ordre de grandeur. Ailleurs, cet auteur rejette cependant comme exagérée l’idée, émise par H. M. D. Parker, que le soldat conservait moins de la moitié de sa paie brute : H. M. D. Parker, The Roman Legions, p. 214 ; G. R. Watson, The Roman Soldier, p. 90.

101 Pour le blé, le prix d’un denier le modius est estimé à partir de Cicéron, Verr., III, 196. Or le passage montre que l’État romain paie alors un prix très supérieur à celui du marché. Il faut donc chercher un autre référent. H. C. Boren, « Studies Relating to the Stipendium Militum », p. 435, suggère par exemple que le prix fixé pour les soldats correspondait à celui des distributions frumentaires gracchiennes dont on sait qu’elles équivalaient au plus bas prix antérieur à la hausse : « the gracchan grain price […] was in fact the price of grain to the soldiers ». Au lieu d’un denier par modius, il faudrait donc raisonner sur la base de quatre as seulement, correspondant selon lui aux six as un tiers mentionnés par Tite-Live, Per, LX pour la période postérieure à la retarification du denier. Il conclut que la déduction annuelle pour le frumentum ne pouvait donc dépasser vingt deniers, soit un sixième du stipendium annuel. Pour cette raison, il juge que l’estimation d’une déduction équivalente à un tiers de la solde est « much too high ». Il est rejoint par J. -G. Rathé, « La rémunération du soldat romain d’après Polybe, VI, 39, 12-15 », pp. 139-140. Rappelons cependant que le prix fixé par la loi gracchienne ne correspondait pas au prix le plus bas possible : à la fin du IIIe ou au début du IIe siècle, certaines distributions extraordinaires à Rome pour lutter contre les disettes s’effectuaient entre 2 et 4 as le modius (Tite-Live, XXX, 26, 5-6 ; XXXI, 4, 6 ; XXXI, 50, 1 ; XXXIII, 42, 8) ; au milieu du IIe siècle, en période d’abondance en Italie, le modius se vendait même à 1,7 as (Polybe, II, 15, 1) ; enfin, en 74, pour combattre la cherté sévissant à Rome, Seius vendit du blé à seulement un as le modius (Cicéron, De Off., II, 58 ; Pline, NH, XVIII, 4, 16). Sur ces questions, voir C. Virlouvet, « Les lois frumentaires d’époque républicaine », p. 18.

102 Ce point a été bien mis en évidence par P. Marchetti, Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, p. 246 ; il n’est donc pas possible de suivre P. A. Brunt, « Pay and Superannuation in the Roman Army », p. 53, qui pense, sur la foi de Bell. Afr., XLVII, 4, que les soldats étaient soumis aux aléas du marché du blé. Au contraire, le texte du continuateur césarien évoque seulement la cherté des vivres (propter annonae caritatem ante parta consumpserant), ce qui suggère que l’obligation d’acheter les denrées en dehors du blé avait épuisé pour cette raison la totalité de leur solde. De fait, la conséquence ne fut pas la disette, mais l’impossibilité pour les légionnaires d’effectuer aucune autre dépense, alors que les conditions de la traversée ne leur avaient pas permis d’emporter leurs bagages (uas) ni leurs serviteurs (mancipium) ni rien du nécessaire (nec ullam rem quae usu militi). Le récit conclut qu’ils furent donc obligés pour la plupart de passer la nuit sous de mauvais abris (reliqui ex uestimentis tentoriolis factis atque harundinibus storiisque contextis permanebant) au lieu de tentes.

103 Même en conservant le ratio d’un tiers ordinairement admis, six deniers par mois pouvaient couvrir des frais de nourriture en plus du frumentum. Voir à ce sujet la remarque de bon sens formulée par G. R. Watson, The Roman Soldier, p. 90 : « we may assume that the amount remaining, whatever it was, normally sufficed to meet the soldier’s needs. Had it been otherwise, we should certainly have heard of repeated mutinies and insubordination over this issue ».

104 La valeur d’un as est donnée par A. Burnett, La numismatique romaine, p. 97 ; mais nous n’avons en fait aucun prix donné pour le vin ordinaire pour la République. Par comparaison avec l’huile, dont nous savons qu’à Delos elle se vendait plus cher de moitié ou des deux tiers que le vin, T. Frank, An Economic Survey of Ancient Rome, t. I, p. 193, propose plutôt d’estimer le prix d’une amphore de 26 litres à 5 deniers, soit près de 2 as le litre avant la retarification.

105 Le ratio d’un litre par homme et par jour a été proposé par P. Middleton, « The Roman Army and Long Distance Trade », p. 76 ; cette estimation est considérée comme une « exagération grossière, en tout cas pour la République » par A. Tchernia, Le vin de l’Italie romaine, p. 18.

106 Caton, De Agric., XXII, 3, donne le demi-litre d’huile à un demi sesterce. Une amphore de 26 litres coûtait donc environ 10 deniers. Voir T. Frank, An Economic Survey of Ancient Rome, t. I, p. 193. Sur les estimations de volumes consommés, voir P. Le Roux, « Le ravitaillement des armées romaines sous l’Empire », p. 404 (vinaigre) et 409 (huile).

107 Polybe, XXXIV, 8, 7-10 (= Athénée, VIII, 330c), qui donne une série de prix pratiqués en Lusitanie : ϰαὶ ὁ μὲν τῶν ϰϱιθῶν Σιϰελιϰὸς μέδιμνός ἐστι δϱαχμῆς, ὁ δὲ τῶν πυϱῶν ἐννέα ὀβολῶν Ἀλεξανδϱεινῶν τοῦ δ᾽ οἴνου δϱαχμῆς ὁ μετϱητὴς ϰαὶ ἔϱιϕος ὁ μέτϱιος ὀβολοῦ ϰαὶ λαγώς. τῶν δ ἀϱνῶν τϱιώβολον ϰαὶ τετϱώβολον ἡ τιμή. ὗς δὲ πίων ἑϰατὸν μνᾶς ἄγων πέντε δϱαχμῶν ϰαὶ πϱόβατον δνεῖν. τάλαντον δὲ σύϰων τϱιῶν ὀβολῶν, μόσϰος δϱαχμῶν πέντε ϰαὶ βοῦς ζύγιμος δέϰα. τὰ δὲ τῶν ἀγϱίων ζῴων ϰϱέα σχεδὸν οὐδὲν ϰατηξιοῦτο τιμῆς, ἀλλ ἐν ἐπιδόσει ϰαὶ χάϱιτι τὴν ἀλλαγὴν ποιοῦνται τούτων.. (« Un médimne sicilien d’orge y vaut une drachme ; la même quantité de blé neuf oboles d’Alexandrie. Le métrète de vin coûte une drachme. Un chevreau de taille convenable vaut une obole, de même qu’un lièvre. Le prix d’un agneau est de trois ou quatre oboles. Un porc gras pesant cent mines coûte cinq drachmes ; un mouton deux ; un talent de figue, troisx oboles ; un bœuf de labour, dix drachmes et un veau, cinq. La viande des animaux sauvages n’a pour ainsi dire aucune valeur marchande ; on la donne pour rien ou on l’offre pour faire plaisir… », trad. D. Roussel). Sur ce texte, voir le commentaire de R. Étienne, « Polybe et le vin lusitanien », pp. 395-400, repris dans R. Étienne et F. Mayet, Le vin hispanique, pp. 15-20, sous le titre « Le vin de Lusitanie : un vin pour la troupe au milieu du IIe siècle avant Jésus-Christ ». Il revient sur l’équivalence de ces prix en monnaie romaine, déjà proposée par T. Frank, An Economic Survey of Ancient Rome, t. I, p. 197, dont il corrige certaines menues erreurs. Enfin, on sait par Martial, X, 96 que, sous l’Empire, le coût de la vie en Hispania était toujours très inférieur à celui de Rome.

108 Ce constat théorique ne préjuge pas, cependant, de la manière dont le soldat usait réellement du numéraire qu’il touchait effectivement. En effet, si l’on en croit Végèce, II, 20, l’épargne forcée fut instituée sous l’Empire pour éviter des excès, qui devaient par conséquent être fréquents : ne per luxum aut inanium rerum comparationem ab ipsis contubernalibus posset absumi. Plerique enim homines et praecipu pauperes tantum erogant, quantum habere potuerint (« pour que les soldats ne dissipassent tout par la débauche et les folles dépenses. La plupart des hommes, surtout les plus pauvres, dépensent à mesure qu’ils reçoivent », trad. M. Nisard).

109 Sur l’alimentation des milieux populaires à Rome et en Italie, voir les remarques finales de J. André, L’alimentation et la cuisine à Rome, pp. 229-230.

110 J. Harmand, « Un aspect de la réforme militaire césarienne : l’alimentation de l’armée », p. 26 ; voir aussi G. Veith, « Die Römer », p. 412.

111 P. A. Brunt, « Pay and Superannuation in the Roman Army », p. 53, rappelle que, d’après Végèce, II, 14, la vérification de l’état des armes et des vêtements était laissée à l’appréciation des centurions. Les plaintes des mutins de 14 ap. J.-C. suggèrent qu’un certain arbitraire pouvait régner en la matière (Tacite, Ann., I, 17, 6) ; d’autre part, en fonction des aléas de la campagne, les besoins de chaque soldat en ce domaine ne pouvaient être homogènes.

112 Les uestimenta sont ainsi régulièrement associés au frumentum dans les besoins des armées en fournitures (Tite-Live, XXVII, 10, 11).

113 Plutarque, C. Gracchus, V, 1. Le montant de la déduction concernant les vêtements est impossible à connaître, mais il était sans doute assez élevé. On estime en effet d’après Plutarque, Cat. Maior, IV, 4, que le coût de l’habillement complet (toge, tunique, chaussures) d’un Romain moyen pour une année atteignait probablement 100 deniers dans la première moitié du IIe siècle. Voir T. Frank, An Economic Survey of Ancient Rome, t. I, p. 194. La transposition de cet ordre de grandeur à l’équipement légionnaire est toutefois délicate. On ne sait pas exactement ce que l’État fournissait comme uestimenta.

114 Tacite, Ann., I, 17, 4, atteste qu’à la mort d’Auguste les prélèvements pour les vêtements étaient de nouveau en vigueur. On suppose généralement que c’est César qui, après avoir doublé le montant du stipendium, rétablit cette déduction : G. R. Watson, « The Pay of the Roman Army. The Republic », pp. 118-119 ; Id., The Roman Soldier, pp. 90-91 ; J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 196 ; Cl. Nicolet, Le métierde citoyen, pp. 158-159.

115 Polybe, VI, 39, 15.

116 Polybe, VI, 21, 6.

117 Polybe, VI, 26, 1 : Τοιούτην δὲ ποιησάμενοι τὴν διαίϱεσιν οἱ χιλίαϱχοι, ϰαὶ ταῦτα παϱαγγείλαντες πεϱὶ τῶν ὅπλων, τότε μὲν ἀπέλυσαν τοὺς ἄνδϱας εἰς τὴν οἰϰείαν (« Après avoir procédé à cette répartition et avoir donné ces instructions au sujet de l’armement, les tribuns renvoient les hommes dans leurs foyers pour le moment », trad. R. Weil, CUF). Ce passage intervient après la description de l’équipement de chaque ordo. Les tribuns veillaient sans doute à ce que chacun respecte les consignes en matière d’armement.

118 C’est ce que suggère en tout cas un discours prêté au roi Persée pour l’année 171 (Tite-Live, XLII, 52, 11) : arma illos habere ea quae sibi quisque parauerit paupermiles, Macedonas prompta ex regio apparatu (« Ceux-là [les Romains] avaient pour armes ce que chaque soldat, pauvre comme il était pouvait se procurer ; les Macédoniens tiraient les leurs des ateliers royaux », trad. P. Jal, CUF). Dans la mesure où le point de vue du roi macédonien est jugé diffamatoire, on trouve plus souvent l’idée contraire dans la bibliographie : P. A. Brunt, « Pay and Superannuation in the Roman Army », p. 60, pense que les déductions évoquées par Polybe s’ajoutaient à celles « with which the recruit no doubt had to equip himself on enlistment » ; Cl. Nicolet, Le métierde citoyen, p. 156, affirme quant à lui que, « bien que rien ne nous le dise », l’existence de la solde impliquait la fourniture des armes et de l’équipement aux frais de l’État. Ailleurs, il affirme plus nettement encore que, les déductions portant seulement sur les armes de remplacement des légionnaires, « la panoplie qu’ils recevaient à l’incorporation était donc fournie gratuitement » (Id., « Le stipendium des alliés italiens avant la Guerre sociale », pp. 2-3).

119 P. Marchetti, Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, p. 248, relève d’ailleurs à juste titre qu’à l’époque de la seconde guerre punique, ce remplacement n’était peut-être même pas encore systématique, comme le laisse penser la nuance d’éventualité introduite par Polybe.

120 Tite-Live, Per., LVII, 3 : alii scutum parum habiliterferenti, amplius eum scutum iusto ferre, neque id se reprehendere, quando melius scuto quam gladio uteretur ; des anecdotes similaires sont également rapportées à propos, non plus de la taille, mais de la décoration de l’arme, manifestement personnalisée par chaque soldat : Plutarque, Apoph. Scip., 18 : Ἐτέϱου δὲ θυϱεὸν ἐπιδείξαντος εὖ ϰεϰοσμημένον, « Ὀ μὲν θυϱεός, εἷπεν, ὦ νεανία, ϰαλός, πϱέπει δὲ Ῥωμαῖον ἄνδϱα μᾶλλον ἐν τῇ δεξιᾷ τὰς ἐλπίδας ἔχειν ἢ τῇ ἀϱιστεϱᾷ ». (« Un autre lui montrant un bouclier bien décoré, “Le bouclier, dit-il, mon garçon, est beau, mais il convient à un soldat romain de mettre ses espérances dans la main droite plutôt que dans la gauche” », trad. F. Fuhrmann, CUF) ; Frontin, Strat., IV, 1, 5 : Scipio Africanus, cum ornatum scutum elegantius cuiusdam uidisset, dixit non mirari se, quod tanta cura ornasset, in quo plus praesidii quam in gladio haberet. (« Scipion l’Africain avait remarqué un bouclier décoré avec un raffinement excessif : “je ne suis pas surpris, dit-il au soldat, que tu aies décoré avec tant de soin une arme sur laquelle tu comptes plus que sur ton épée” », trad. P. Laederich).

121 Il n’y a pas grand-chose à tirer de ce point de vue du mot d’esprit du tribun Valerius, ironisant sur la sévérité des lois somptuaires de Caton envers les femmes (Zonaras, IX, 17).

122 G. Waurick, Helme in Caesars Heer ; M. Feugère, Casques antiques, pp. 37-49 ; M. Junkelmann, Römische Helme, notamment pp. 52-66.

123 J. Paddock, « Some Changes in the Manufacture and Supply of Roman Bronze Helmets under the Late Republic and Early Empire », pp. 143-144, a montré que les timbres figurant sur certains exemplaires de casques Montefortino suggèrent une diffusion relativement étendue de la production, mais que la totalité de ces marques (y compris RON et FR) doivent être mises en relation avec des ateliers privés ; M. Feugère, Les armes des Romains, p. 84, préfère quant à lui ne pas se prononcer quant au statut des fabriques où sont produits en masse les casques destinés à l’armée romaine ; P. Cosme, Armée et bureaucratie dans l’Empire romain, pp. 174-175, suggère un système double où les soldats du rang, surtout à partir du Ier siècle, étaient entièrement équipés par l’État, tandis que les officiers continuaient à s’approvisionner chez les artisans des villes italiennes.

124 M. Feugère, Casques antiques, p. 39. Bien que cet auteur admette un équipement étatique minimum à partir de Marius, il signale (p. 43) que même la version la plus simplifiée du casque au Ier siècle présente une variante coulée assez soignée, ce que confirme la présence d’un décor à la base du timbre, et une autre, beaucoup plus fruste et légère. Il est tentant d’y lire les contrastes qui subsistaient encore entre les possibilités économiques des conscrits.

125 Polybe, X, 20, 6-7 ; Tite-Live, XXVI, 51, 7-8 ; XXVII, 17, 7.

126 Tite-Live, frgt. XCI, 5.

127 Rien ne dit que les ateliers de Carthagène soient restés en fonction après 206 et aint servi de modèle à d’autres. Au contraire, il est bien spécifié que Scipion avait promis aux ouvriers de les libérer une fois la guerre finie (Polybe, X, 17, 9 ; Tite-Live, XXVI, 47, 2). Quant à Sertorius, son initiative de 77 est présentée comme une innovation, ce qui suggère qu’il ne disposait pas d’ateliers semblables ailleurs dans la Péninsule. Dernièrement, tout en admettant l’absence, en temps ordinaire, de grands ateliers spécialisés, F. Quesada Sanz, « Armamento indígena y romano republicano en Iberia », pp. 75-96, a défendu l’idée que les armées romaines faisaient néanmoins fabriquer une partie de leurs armes sur place, peut-être en utilisant les petits ateliers urbains préexistants « en un modelo mixto de control militar directo y adquisición » (p. 87). Il souligne notamment (p. 81) qu’en raison des similitudes réelles existant entre les panoplies indigènes et celle des Romains, le recours à ces ateliers locaux ne devait pas poser de problème particulier. Séduisante, l’argumentation ne parvient pas toutefois à démontrer de façon satisfaisante l’existence d’un contrôle public, même partiel, sur cette production : en revanche, l’auteur a sans doute raison de rappeler que les soldats romains ont très bien pu, si besoin, utiliser des armes indigènes, dont la typologie était moins éloignée des leurs qu’on ne le pense ordinairement.

128 Voir supra, pp. 443-450.

129 Appien, Ib., 81.

130 À titre de comparaison, voir Bell. Afr., XX ; sur l’existence de ces ateliers, voir P. Cosme, Armée et bureaucratie dans l’Empire romain, pp. 185-186.

131 César, BC, I, 75, 2 ; sur l’interprétation de ce passage en ce sens, voir J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 195.

132 Tite-Live, frgt. XCI, 4 : Arma ut fierent pro copiis cuiusque populi, pertotam prouinciam edixerat. (« Il avait fait savoir par édit dans toute la province quelle quantité d’armes devait être fabriquée proportionnellement aux ressources de chaque peuple », trad. P. Jal, CUF).

133 Tite-Live, frgt. XCI, 6 : Conuocatis deinde omnium populorum legationibus et ciuitatium gratias egit quod, quae inperata essent, sine detrectatione praestissent. (« Ayant convoqué ensuite les délégations de tous les peuples et cités, il les remercia pour avoir exécuté de bonne grâce les ordres qu’il leur avait donnés », trad. P. Jal, CUF).

134 Tite-Live, frgt. XCI, 4 : quibus inspectis referre uetera arma milites iussit, quae aut itineribus crebris aut oppug<nationibus…> facta erant, nouaque iis per centuriones diuisit. (« Après en avoir fait l’inspection, il ordonna à ses soldats de rapporter toutes les vieilles armes qui étaient devenues <…> à la suite, soit des marches fréquentes, soit des sièges <…> et leur en fit distribuer de nouvelles par les centurions », trad. P. Jal, CUF).

135 P. Cosme, Armée et bureaucratie dans l’Empire romain, pp. 175-176, admet pour sa part que les armes fournies par la cité à la recrue ne devenaient pas sa propriété, le prélèvement effectué sur la solde constituant plutôt une sorte de caution. Mais le texte sur lequel il s’appuie (Plutarque, Crass., X, 2) ne nous semble pas aller clairement dans ce sens : dans le contexte d’un abandon massif de leurs armes par les soldats lors d’une déroute, il rapporte plutôt une mesure disciplinaire qui s’ajoutait sans doute à la déduction effectuée normalement en cas de remplacement.

136 Le détail de ce qui était distribué comme vêtements n’est guère clair dans les sources. J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 196, refuse ainsi de se prononcer. On ne dispose d’aucun document similaire à ceux fournis par les papyrus d’époque impériale qui distinguent les retenues in uestimentis de celles caligas fascias (papyrus latin de Genève nos 1 et 4). Voir P. Cosme, Armée et bureaucratie dans l’Empire romain , p. 238. Est-ce à dire que, sous la République, seules toges et tuniques étaient fournies ? Lorsqu’en péninsule Ibérique, des contributions sont imposées à des vaincus ou réclamées à des alliés, il n’est effectivement fait explicitement mention que des saga et togae (Tite-Live, XXIX, 3, 5) ou des σάγου (Appien, Ib., 54 ; Diodore, XXXIII, 16, 1). En dehors de la reddition des Arévaques en 143, à l’occasion de laquelle, selon Diodore (XXXIII, 16, 1), les Romains demandèrent également trois mille cuirs (βύϱσας), qui pouvaient du reste servir à de nombreux usages (tentes, housses de boucliers), il n’est fait nulle part mention de fabrication et de distribution de chaussures à l’armée. La documentation est trop pauvre pour décider si cette lacune est véritablement significative.

137 Sur cette question, voir supra, pp. 509-511. En ce sens, il est vain de réfléchir, pour l’époque républicaine, en terme d’épargne à partirde la solde légionnaire, rendue possible ou impossible selon l’ampleur des déductions. Contrairement à ce qu’on connaît pour des périodes postérieures, l’objectif n’était pas alors d’offrir cette opportunité au soldat, mais simplement de lui rembourser les frais occasionnés parsa conscription. Le butin ou les récompenses se chargeaient parailleurs de lui fournirles dividendes de sa bravoure. Il faut donc se demander, malgré le mutisme de la documentation, si l’appauvrissement social et économique du soldat au Ier siècle, au lieu de donner naissance à des fournitures désormais gratuites, n’avait pas plutôt imposé le recours à un système d’avance, première forme du uiaticum impérial, destiné à pallier la difficulté du conscrit à se procurer le nécessaire en début de campagne, puisque la solde, on l’a vu, était versée dans son intégralité seulement à l’issue de celle-ci.

138 César, BC, I, 78, 1-2 : caetrati auxiliaresque nullam, quorum erant etfacultates ad parandum exiguae et corpora insueta ad onera portanda. Itaque magnus eorum cotidie numerus ad Caesarem perfugiebat (« mais les caetrati et les auxiliaires n’en avaient point du tout parce que leurs ressources pour s’en procurer étaient restreintes et qu’ils n’étaient pas habitués à porter un chargement. Aussi, chaque jour, de nombreux soldats de ces corps désertaient, pour passer dans le camp de César », trad. P. Fabre, CUF).

139 W. Groenman-van Waateringe, « Classical Authors and the Diet of Roman Soldiers », pp. 261-265, et notamment p. 261 : « Thus the emphasis placed on the corn supply of the Roman Army, based on the frequent mentioning of it, is mainly caused by the scarceness of corn in general and the large amounts needed, and only partly by its importance for the diet of the Roman soldier. »

140 Ibid., p. 262. La représentativité de l’échantillon, comptabilisé en volume brut de mentions (additionnant en outre blé, fourrage, eau, bois et bétail) ainsi qu’en nombre de pages de l’édition Penguin Classics, ne nous paraît guère évidente. Il faudrait tenir compte de la nature de chaque passage (un même épisode peut être cité à plusieurs reprises) comme du contexte de chaque campagne : les problèmes logistiques ne se posaient pas de façon identique pendant la guerre des Gaules et pendant les guerres civiles.

141 D’importantes exportations de blé sont attestées dès 203 à destination de l’armée d’Afrique (Tite-Live, XXX, 3, 2) et de l’Italie (Tite-Live, XXX, 26, 5) ; d’autres ont dû avoir lieu par la suite, mais nous n’en avons trace que pour123 (Plutarque, C. Gracch., VI, 2) et 49 (César, BC, 2, 18). La fertilité du sol hispanique est régulièrement citée par les auteurs anciens : à ce sujet, voir J. M. Blázquez Martínez, Economía de la Hispania romana, pp. 202-204, et J. J. Van Nostrand, « Roman Spain », p. 129. Les problèmes de la production céréalière ibérique ont surtout été étudiés, d’un point de vue archéologique, pour la Catalogne : F. Gracia Alonso, « Producción y comercio de cereal en el NE de la Península Ibérica entre los siglos VI-II a. C. », pp. 91-113 ; J. Burch, « L’ús de sitges en época republicana al nord-est de Catalunya », pp. 207-216. Surle blé de l’Ultérieure, voir P. Sáez, Agricultura romana de la Bética, pp. 116-117.

142 Ce point a été bien souligné par R. W. Davies, « The Roman Military Diet », p. 138.

143 En 78, Metellus, calculant qu’il mettrait deux jours à prendre la ville de Lacobriga, donna ses consignes en conséquence à ses troupes, qui reçurent l’ordre de n’emporter du blé que pour cinq jours (Plutarque, Sert., XIII, 7).

144 Depuis les travaux pionniers des historiens allemands avant la première guerre mondiale, on admet souvent que le soldat romain portait une quantité invariable de blé : G. Veith, « Die Römer », p. 424 ; A. Labisch, Frumentum commeatusque, p. 34 ; M. Junkelmann, Panis Militaris, pp. 89-90. Récemment, P. Erdkamp, Hunger and the Sword, pp. 76-80, a critiqué à juste titre cette restitution qui prend appui sur deux sources tardives (Ammien Marcellin et la vie d’Alexandre Sévère dans l’Histoire Auguste) transposées abusivement à la période républicaine sur la foi d’une interprétation erronée de Cicéron, Tusc., II, 37 et César, BG, I, 15, 5. Cet auteur conclut qu’à partir des données disponibles (Salluste, Iug., LXXV, 3 ; Plutarque, Sert., 13, 4 ; Appien, Pun., 108 ; César, BG, VII, 74, 2 ; BC, I, 78, 1), on ne saurait aboutir à une norme fixe. En revanche, J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, pp. 70 et 78, admet cinq jours de rations.

145 P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 37, réfute ainsi le modèle trop rigide d’une alternance de deux jours de biscuits avec un jour de pain, proposée par F. Stolle, Der römische Legionär und sein Gepäck, pp. 11-12 ; il reproche notamment à cette hypothèse de négliger les inconvénients du biscuit, en particulier la lourde préparation requise, pour n’insister que sur ses avantages, comme sa conservation. Pour leur part, A. K. Goldsworthy, The Roman Army at War, p. 291 et J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, pp. 50-52, continuent à admettre l’existence de rations de biscuits. Mais ces deux auteurs généralisent à partir d’exemples tardo-impériaux.

146 J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, pp. 44-45, insiste sur cette dimension essentielle du fonctionnement logistique de l’armée romaine. Il montre qu’il convient d’écarter l’hypothèse de F. Stolle, Der römische Legionär und sein Gepäck, p. 9, selon laquelle existaient des boulangeries communes qui préparaient le pain pour les soldats.

147 Sur l’emploi de simples pierres : Virgile, Aened., I, 179. Le recours à des meules manuelles était sans doute plus fréquent. Sur celles trouvées en Estrémadure : G. Ulbert, Cáceres el Viejo, pp. 128-129. L’une d’entre elles, conservée entière, comporte un axe métallique composé d’une pointe de pilum. Sur les différents types de meules utilisés par l’armée romaine, voir M. Junkelmann, Panis Militaris, pp. 113-127.

148 Le contrôle était ainsi gardé sur le temps nécessaire à la préparation de la nourriture. Il fallait en effet beaucoup plus de temps pour transformer le grain en pain qu’en bouillie. Sur ces questions, voir P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 36, et J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 49. Ce dernier rappelle qu’un four n’était pas obligatoire pour cuire le pain romain qui pouvait parfois se faire sur des foyers ouverts. Sur l’ancienneté du pain cuit directement sous la cendre, voir J. André, L’alimentation et la cuisine à Rome, p. 68.

149 P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 35.

150 Selon Galien, le blé avait été à l’origine substitué à l’orge dans les rations des soldats en raison de son caractère plus nourrissant (Galien, VI, 507).

151 P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 30.

152 Ibid., p. 35, a bien mis en évidence que c’était lors des quartiers d’hiver que le régime alimentaire du soldat se rapprochait sans doute le plus de celui des populations civiles.

153 Aulu-Gelle, NA, XVI, 4, 2 ; voir R. W. Davies, « The Roman Military Diet », p. 132, et J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 42.

154 Appien, Ib., 87.

155 J. André, L’alimentation et la cuisine à Rome, p. 146.

156 César, BC, I, 48, 6 : pecora, quod secundum poterat esse inope re subsidium, propter bellum finitimae ciuitates longius remouerant (« Le bétail, qui aurait pu être, dans cette disette, à défaut de blé, un secours précieux, les habitants des villes voisines, à cause de la guerre, l’avaient éloigné », trad. P. Fabre, CUF) ; Lucain, Phars., IV, v. 90 : Non pecorum raptus faciles (« les rapt des troupeaux ne sont pas faciles »).

157 César, BC, I, 52, 4 : Caesar iis ciuitatibus quae ad eius amicitiam accesserant quom minor erat frumenti copia, pecus imperabat. (« César réclamait aux villes qui avaient fait alliance avec lui du bétail lorsque le blé était trop rare », trad. P. Fabre, CUF).

158 Tite-Live, XXVIII, 24, 6.

159 Leur présence est parfois explicitement mentionnée : Tite-Live, XXVIII, 22, 3 (à propos de la trahison d’Astapa en 206) ; Plutarque, Tib. Gracch., 5 (à propos de la défaite de Mancinus en 137). Sur le rôle de ces marchands, voir J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, pp. 96-101, qui insiste sur le flou de la terminologie sous laquelle ils apparaissent dans les sources, et P. Erdkamp, Hunger and the Sword, pp. 119-120, qui souligne que les armées les toléraient d’autant plus volontiers qu’elles en avaient besoin pour se débarrasser d’un butin qui pouvait finir par gêner les opérations ; sur leur importance au cours des guerres en Hispania, voir A. García y Bellido, « Los mercatores, negotiatores y publicani como vehículos de romanización en la España preimperial », pp. 497-512 ; J. M. Blázquez Martínez, Economía de la Hispania romana, pp. 217-220 ; J. Muñiz Coello, El sistema fiscal en la España romana, p. 109 ; Id., « Sobre el abastecimiento al ejército romano durante la conquista de Hispania », pp. 248-249 ; ce dernier en fait cependant uniquement les interlocuteurs du questeur et minimise la vente directe aux soldats, qui était pourtant, selon nous, la plus importante. Voir en dernier lieu, R. Rubio, « Comercio y comerciantes en la Hispania republicana », pp. 167-175.

160 Tite-Live, XXVI, 48, 14.

161 La vente de butin, notamment d’esclaves, à des mercatores immédiatement après une victoire est bien attestée pour les campagnes hispaniques : Tite-Live, XXI, 60, 8 ; XXIV, 42, 11 ; XXVII, 19, 2 ; Appien, Ib., 40 ; Tite-Live, XXXIV, 16, 10 et 21, 6 ; XXXV, 1, 12 ; XXXIX, 42, 1 ; Per., XLIX ; Valère-Maxime, IX, 6, 2 ; Appien, Ib., 68 ; 72 ; 98 ; 99 ; Plutarque, Sert., III, 10 ; Sert., XXV, 6 ; Dion Cassius, XLIII, 39, 2. À ces mentions explicites, il faut rajouter celles, plus nombreuses encore, où il est simplement fait allusion au nombre de prisonniers faits par les Romains à l’issue d’un combat. En 134, afin d’obliger ses soldats à porter eux-mêmes leurs bagages, Scipion Émilien vendit toutes les bêtes de somme (Tite-Live, Per., LVII, 5).

162 Tite-Live, XXVIII, 33, 2.

163 Polybe, XI, 32, 2 : τινα θϱέμματα τῶν παϱεπομένων τῷ στϱατοπέδῳ (« quelques bestiaux qui suivaient l’armée »). L’expression est ambiguë. La traduction de Raymond Weil, dans la CUF, préfère développer comme suit : « du petit bétail appartenant à des gens qui suivaient l’armée » ; c’est également ainsi que P. Moret, « Les Ilergètes et leurs voisins dans la troisième décade de Tite-Live », p. 155, comprend le passage (« emprunté à des gens qui suivaient l’armée romaine »).

164 Le premier contrat connu d’achat de bétail passé par l’armée romaine nous est livré par une tablette retrouvée en Frise et datée du Ier siècle de notre ère (AE, 1920, 42). Voir P. Cosme, Armée et bureaucratie dans l’Empire romain, p. 183.

165 G. Veith, « Die Römer », p. 413 ; J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 101.

166 R. C. Knapp, Aspects of the Roman Experience in Iberia, pp. 151-152, estime que ce phénomène constituait l’une des occasions, pacifique, les plus importantes de contact entre les Romains et les Barbares ; voir aussi P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 119.

167 Sur l’origine probablement hispanique du pugio romain, voir supra, pp. 249-250.

168 G. Veith, « Die Römer », p. 413 ; A. Labisch, Frumentum commeatusque, p. 42 ; P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 120.

169 A. Tchernia, Le vin de l’Italie romaine, p. 18.

170 Voir supra, pp. 551-552.

171 Tite-Live, Per., LVII, 2 ; Appien, Ib., 85 ; Plutarque, Apoph. Scip., 15 ; Frontin, Strat., IV, 1, 1 ; Valère-Maxime, II, 7, 1.

172 Plutarque, Sert., III, 6.

173 Le fait est bien mis en évidence par un épisode fort connu de la guerre contre Jugurtha en 109 (Salluste, Bell. Iug., XLIV, 5) : praeterea frumentum publice datum uendere, panem in dies mercari (« en outre, ils vendaient le blé donné par l’État, et achetaient leur pain au jour le jour », trad. A. Ernout, CUF). J. André, L’alimentation et la cuisine à Rome, p. 72 yvoit un signe d’acculturation alimentaire : dès la fin du IIe siècle, les classes populaires auraient fait selon lui preuve d’un goût plus prononcé pour le pain que pour la bouillie ou les galettes ; de même, J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 185, met l’épisode en relation avec un recrutement urbain de l’armée pré-marienne aux habitudes moins frustres. Mais ces hypothèses ne tiennent pas compte du fait qu’en période de cantonnement, les légionnaires avaient en principe loisir de fabriquer eux-mêmes leur pain à partir de leur ration de grain. La signification de l’épisode est donc à chercher ailleurs, en particulier dans le contexte de relâchement considérable de la discipline dans l’armée du proconsul Sp. Albinus : c’est la paresse des soldats, préférant acheter leur pain tout boulangé plutôt que de se fatiguer à le préparer, que stigmatise ici Salluste comme signe visible de la décadence morale de l’armée. L’une des premières mesures de Metellus pour restaurer la discipline fut d’ailleurs d’interdire la vente dans le camp de pain ou de toute autre nourriture cuisinée (Salluste, Bell. Iug., XLV, 2 : ne quisquam in castris panem aut quem alium cibum coctum uenderet ).

174 Lucain, Phars., IV, v. 93-98 : Iamque comes sempermagnorum prima malorum/saeua fames aderat, nulloque obsessus ab hoste/miles eget ; toto censu non prodigus emit/exiguam Cererem. Pro lucri pallida tabes !/Non dest prolato ieiunus uenditorauro. (« Et déjà la compagne habituelle des grands fléaux, la faim cruelle, s’avançait ; sans être assiégé par l’ennemi, le soldat est dans le besoin ; sans prodigalité il achète de toute sa fortune quelques poignées de blé. Ô pâle corruption des gains ! Il se trouve des vendeurs à jeun que séduit l’offre de l’or », trad. A. Bourgery et M. Ponchont, CUF). Sur la confusion fréquente du soldat et du marchand, voir les remarques de Cl. Nicolet, Le métierde citoyen, pp. 165-166.

175 La description des débordements de l’armée d’Albinus en Afrique est encore de ce point de vue très éloquente (Salluste, Bell. Iug., XLIV, 5) : lixae permixti cum militibus diu noctuque uagabantur et palantes agros uastare, uillas expugnare, pecoris et mancipiorum praedas certantes agere eaque mutare cum mercatoribus uino aduecticio et aliis talibus (« les cantiniers, mêlés aux soldats, rôdaient nuit et jour, et dans leurs vagabondages, ravageaient les champs, prenaient les fermes d’assaut, enlevaient à l’envi les hommes et le bétail qu’ils échangeaient à des marchands contre du vin d’importation et autres denrées de ce genre », trad. A. Ernout, CUF).

176 SelonA. Tchernia, Le vin de l’Italie romaine, pp. 93-94, le vin italien était importé en Gaule par les négociants italiens dans le but de se procurer en échange des esclaves et du minerai ; voir aussi Id., « Italian Wine Trade in Gaul at the End of the Republic », pp. 87-104. Pour le minerai, Cl. Domergue, Les mines de la péninsule Ibérique dans l’Antiquité romaine, p. 356, a montré que ce modèle n’est pas applicable à la péninsule Ibérique. En revanche, on ne peut douter que les esclaves formaient une monnaie d’échange aussi recherchée, ce dont les légionnaires devaient profiter.

177 En 209, les prisonniers faits à Carthagène qui ne furent pas recrutés dans la flotte ou attachés aux ateliers publics, furent ainsi répartis entre les soldats par les tribuns (Polybe, X, 19, 8).

178 E. Sanmartí Grego, « Las ánforas romanas del campamento numantino de Peña Redonda », p. 157 et Id., « Nouvelles données sur la chronologie du camp de Renieblas V à Numance », p. 421.

179 E. Sanmartí Grego, « Las ánforas romanas del campamento numantino de Peña Redonda », p. 151.

180 Ibid., p. 158 ; E. Sanmartí Grego et J. Principal Ponce, « Las cerámicas de importación, itálicas e ibéricas, procedentes de los campamentos numantinos », p. 66.

181 Appien, Lib., 116 : Toῖç δ ἐξιοῦσιν οὐδ᾽ ἐπανελθεῖν δίδωμι, πλὴν εἴ τις ἀγοϱὰν ϕέϱοι, ϰαὶ ταύτην στϱατιωτιϰήν τε ϰαὶ ψιλήν. Ἔσται δὲ ϰαὶ τούτοις χϱόνος ὡϱισμένος, ἐν ᾧ τὰ ὄντα διαθήσονται, ϰαὶ τῆς πϱάσεως αὐτῶν ἐγὼ ϰαὶ ὁ ταμίας ἐπιμελησόμεθα. (« Je n’autorise pas non plus les partants à revenir, sauf s’ils apportent du ravitaillement, et encore devra-t-il être d’une frugalité militaire. Et même ceux-là se verront assigner un horaire fixe pour proposer leurs marchandises dont le questeur et moi-même surveillerons la vente », trad. P. Goukowsky, CUF).

182 A. Tchernia, Le vin de l’Italie romaine, p. 16. Le portrait d’austérité et de sobriété que les auteurs anciens dressent de Scipion Émilien, ne saurait être incompatible avec une telle interprétation, contrairement à ce qu’affirme E. Sanmartí Grego, « Las ánforas romanas del campamento numantino de Peña Redonda », p. 158.

183 M. Beltrán Lloris, Las ánforas romanas en España, p. 317 ; récemment, J. Molina Vidal, La dinámica comercial romana entre Italia e Hispania Citerior, pp. 205-207, a nuancé un peu cette hégémonie reconnue à la Dressel 1 en montrant que si ce type d’amphore était largement majoritaire sur les sites littoraux au nord du Cap de la Nao, c’est-à-dire entre Emporion et Dianium, sa proportion se réduisait à moins de 50% au sud de ce cap, c’est-à-dire entre Dianium et Carthagène. Ce déséquilibre reflète, selon l’auteur, l’existence de circuits commerciaux différenciés correspondant à deux routes maritimes distinctes.

184 A. Tchernia, Le vin de l’Italie romaine, pp. 98-99 ; J. Molina Vidal, La dinámica comercial romana entre Italia e Hispania Citerior,, appelle pour sa part à la prudence à l’heure de déterminer qui étaient réellement les consommateurs des vins italiens importés en Hispania.

185 De ce point de vue, l’hypothèse de P. Middleton, « The Roman Army and Long Distance Trade », pp. 75-80, selon laquelle le ravitaillement militaire en vin, assuré par l’intendance, créait dans son sillage un trafic civil parasite, paraît mal étayée par la documentation. Que la physionomie de ce « long distance civilian trade » ait évolué en Gaule en fonction du déplacement des armées vers d’autres régions ne démontre pas que ce commerce civil s’adaptait à la réorientation de la « official supply line ». Il se contentait de suivre la demande.

186 Sur les sites numantins, on distingue ainsi différents types de pâtes pour les amphores italiques. E. Sanmartí Grego, « Nouvelles données sur la chronologie du camp de Renieblas V à Numance », p. 427, suggère que les pâtes les plus courantes, trouvées en abondance également àTarragone, appartenaient peut-être à des récipients réutilisés en péninsule Ibérique pour transporter la production locale ; quant aux amphores cylindriques CC. NN., de type punique, elles ont pu contenir des conserves de poisson : Id., « Las ánforas romanas del campamento numantino de Peña Redonda », pp. 143 et 150.

187 Tite-Live, XXXIV, 9, 11-12 : ut ne mora quidem segnis esset, omne id tempus exercendis militibus consumpsit. Id erat forte tempus anni ut frumentum in areis Hispani haberent : itaque, redemptoribus uetitis frumentum parare ac Romam dimissis, bellum, inquit, se ipsum alet. Profectus ab Emporiis agros hostium urit uastatque : omnia fuga et terrore complet.

188 G. Veith, « Die Römer », p. 453 ; A. Labisch, Frumentum commeatusque, p. 205 ; J. Martínez Gázquez, La campaña de Catón en Hispania, p. 57 ; R. C. Knapp, Aspects of the Roman Experience in Iberia, p. 165, n. 2 ; A. E. Astin, Cato the Censor, p. 36 ; J. Muñiz Coello, « Sobre el abastecimiento al ejército romano durante la conquista de Hispania », p. 247 ; Id., El sistema fiscal en la España romana, pp. 53-54 ; J. M. Blázquez Martínez, « El sistema impositivo en la Hispania romana », p. 73 ; J. S. Richardson, « The Spanish Mines and the Development of Provincial Taxation », p. 150 ; Id., Hispaniae, pp. 88 et 93 ; P. Garnsey, « L’approvisionnement des armées et la ville de Rome », p. 32 ; T. Ñaco del Hoyo, « La presión fiscal romana durante las primeras décadas de la conquista de Hispania », p. 343 ; Id., Vectigal incertum, pp. 147-148.

189 Sur l’ampleur de la révolte, voir supra, pp. 34-37.

190 Tite-Live, XXXIV, 11, 8 : id si nullum sit, si sibi a consule negetur, deos hominesque se testes facere, inuitos et coactos se, ne eadem quae Saguntini passi sint patiantur, defecturos et cim ceteris potius Hispanis, quam solos, perituros esse. (« Si cette aide leur manquait, si le consul leur opposait un refus, les dieux et les hommes pourraient témoigner qu’ils seraient contraints et forcés de faire défection, afin de ne pas subir le même sort que les Sagontins. Ils aimaient mieux succomber avec le reste des Espagnols que de périr seuls », trad. M. Nisard modifiée).

191 Tite-Live, XXXIV, 12, 1.

192 La destruction du ravitaillement ennemi était un aspect du pillage aussi important, voire davantage, que l’opportunité de se procurer soi-même des provisions. Voir J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, pp. 150 et 305 ; P. Erdkamp, Hunger and the Sword, pp. 123-124.

193 Sur le recours fréquent au pillage pour aguerrir une armée, voir J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 151.

194 Cet emploi des troupes est explicitement associé à une mise à l’épreuve de leur moral et de leur capacité manœuvrière (exercendis militibus). Toute la première partie de la campagne de 195 consista à renforcer ce double aspect par le biais du saccage systématique des terres des populations hostiles, ce que montre sans détour Tite-Live, XXXIV, 13, 2-6 : inde per occasiones, nunc hac parte, nunc illa, modico praesidio castris relicto, praedatum milites in hostium agros educebat. Nocte ferme profiscisebantur ut et quam longissime a castris procederent et inopinatos opprimerent. Et exercebat ea res nouos milites et hostium magna uis excipiebatur, nec iam egredi extra munimenta castellorum audebant. Ubi satis admodum et suorum et hostium animos est expertus, conuocari tribunos praefectosque et equites omnes et centuriones iussit. Tempus, inquit, quod saepe optastis, uenit, quo uobis potestas fieret uirtutem uestram ostendendi. Adhuc praedonum magis quam bellantium militastis more : nunc iusta pugna hostes cum hostibus conseretis manum ; non agros inde populari sed urbium opes exhaurire licebit (« et, laissant la garde de son camp à une garnison peu nombreuse, il envoyait ses soldats piller le territoire ennemi, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, suivant les occasions. Ils partaient le plus souvent pendant la nuit, afin de pouvoir s’avancer à grande distance du camp et tomber à l’improviste sur l’ennemi. Il exerçait ainsi ses nouveaux soldats et faisait un grand nombre de prisonniers, si bien qu’au bout de peu de temps les ennemis n’osèrent plus sortir de leurs places fortes. Lorsqu’il se crut sûr des dispositions de ses troupes et de celles des ennemis, il fit rassembler les tribuns, les préfets, tous les chevaliers et les centurions. Il est venu, leur dit-il, le moment que vous avez souvent désiré, où il vous sera possible de montrer votre valeur. Jusqu’à présent, vous avez plutôt fait la guerre en brigands qu’en soldats. Maintenant, il s’agit de se mesurer avec l’ennemi en bataille rangée ; il vous sera permis, non plus de dévaster des campagnes, mais de vous emparer des richesses des villes », trad. M. Nisard modifiée).

195 En cela, l’attitude de Caton ressemblait à celle de n’importe quel général romain. J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 153, insiste sur le fait que le choix de porter la désolation sur un territoire relevait entièrement de la décision du commandant et n’était donc pas, pour cette raison, un recours systématique.

196 Plutarque, Cat. Maior, V, 7.

197 Tite-Live, XXXIV, 9, 12.

198 A. E. Astin, Cato the Censor, p. 308 ; J. S. Richardson, Hispaniae, p. 82 : « As this was the time of year when the Iberians were harvesting and threshing out their corn, Cato was able to use these raids to provide the necessary foodstuffs for his troops » ; R. C. Knapp, « Cato in Spain », p. 29 : « the area is clearly the threshing floor, not the storeroom ».

199 R. C. Knapp, « Cato in Spain », p. 30 ; P. Erdkamp, Hunger and the Sword, pp. 131-132.

200 Et non postérieur au pillage, comme l’affirme J. S. Richardson, Hispaniae, p. 82.

201 Sans doute, la fertilité propre à la région n’est pas non plus à négliger, mais il nous semble que là n’était pas le motif principal de la décision de Caton, contrairement à ce que suggère J. Martínez Gázquez, La campaña de Catón en Hispania, p. 159 (« quien ante la riqueza agrícola que se presenta a sus ojos en plena época de recolección piensa que podrá alimentar a su ejército »). La période de l’année à laquelle le consul commençait ses opérations constituait le facteur essentiel. Voir à ce sujet les remarques de P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 133.

202 P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 133. Il souligne que la disponibilité en grains dans une zone donnée était à son point le plus bas juste avant la moisson, à un moment où les stocks de la moisson précédente étaient presque entièrement consommés. Ni l’hiver, ni la période de soudure au début du printemps, ne constituaient donc des conditions idéales pour tirer le blé des territoires ennemis ; J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 136, nuance néanmoins ce constat en affirmant que les études menées surles économies de subsistance révèlent qu’au printemps, entre 30% et 50% de la récolte précédente pouvait encore se trouver stocké par les paysans. Toutefois, la période de l’année déterminait évidemment la quantité de grain disponible. Un bon général devait en outre tenir compte, suivant les régions, des variations de la date de la moisson et de celle des semailles.

203 César, BC, I, 48, 5 : Tempus autem erat difficillimum quo neque frumenta in acervis erant neque multum a maturitate aberant. (« C’était d’autre part une époque spécialement défavorable où il n’y avait plus de blé dans les réserves et où la récolte n’était pas loin d’être mûre », trad. P. Fabre, CUF). Àcela s’ajoutaient les précautions prises parAfranius qui avait rassemblé les stocks des villes alentours à l’intérieur d’Ilerda.

204 Sur les contraintes de la frumentatio, voir P. Erdkamp, Hunger and the Sword, pp. 125-130. Selon lui, elle ne pouvait être conduite que par des forces importantes, parfois jusqu’à plusieurs légions. Un effectif réduit était trop vulnérable. La capacité de mener avec succès la collecte de blé dépendait donc du rapport de force entre les adversaires : une armée redoutant son adversaire ne pouvait se le permettre. L’auteur conclut à juste titre : « Tactical strength was there fore a necessary condition for successfully living off the land » ; dans le même esprit, J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 130, montre que la frumentatio ne pouvait pas être une occupation quotidienne des légions parce qu’elle requérait un nombre élevé de soldats et ralentissait considérablement la progression de l’armée : « it was often a major military operation ».Voir aussi les remarques similaires d’A. K. Goldsworthy, The Roman Army at War, p. 292.

205 Appien, Ib., 52.

206 Plutarque, Sert., XIII, 10.

207 Salluste, Hist., II, 95 M (= II, 78 MG) : Ii saltibus occupatis Termestinorum agros inuasere frumentique ex inopia graui satias facta. (« Ayant occupé toutes les passes, ils envahirent les champs des Termestins et firent une grande récolte de blé après avoir souffert une grande pénurie. ») Le passage est ordinairement mis en relation avecles troupes de Titurius, légat de Pompée, qui hiverna en Celtibérie en 75.

208 La limite entre la réquisition et le pillage n’était sans doute pas toujours évidente auxyeux des populations concernées. Mais, en principe, la réquisition consistait à obtenir du ravitaillement auprès des alliés, tandis que le pillage concernait exclusivement les territoires ennemis. Voir à ce sujet les remarques de J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 117, selon qui la différence réside dans le fait que, dans le premier cas, les provisions sont amenées jusqu’à l’armée, alors que dans le second, c’est celle-ci qui va elle-même les chercher.

209 Cette interprétation courante, mais erronée, est résumée par l’étude de J. Muñiz Coello, El sistema fiscal en la España romana, notamment p. 54 : « A partir de Catón pues, hay que pensar que los ejércitos dependieron menos del suministro senatorial, si bien resultaría desmesurado decir que este tipo de relación se cortó totalmente en el futuro. »

210 C’est pourtant comme une volonté de réquisition auprès des stipendarii que de nombreux commentateurs comprennent le projet de Caton, à l’image de J. Muñiz Coello, « Sobre el abastecimiento al ejército romano durante la conquista de Hispania », p. 250 : « La declaración de Catón para el 195 sólo podía tener sentido con el respaldo de las tribus aliadas que allegaran el suficiente trigo al ejército romano. » Une telle interprétation est partagée par J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 156, par T. Ñaco del Hoyo, « La presión fiscal romana durante las primeras décadas de la conquista de Hispania », p. 343, et, dernièrement, par J. M. Roldán Hervás et F. Wulff Alonso, Citerior y Ulterior, pp. 472 et 528. Toutefois, il s’agit clairement d’une confusion. J. S. Richardson, Hispaniae, p. 82, a insisté avec raison sur le fait que le passage de Tite-Live indique sans ambiguïté que le consul choisissait entre acheter le blé chez les alliés ou le piller chez les ennemis.

211 Tite-Live, XXXIV, 9, 12.

212 Tite-Live, XXIX, 2, 1 : peragrum Ausetanum hostico tamquam pacato clementer ductis militibus ad sedem hostium peruenere.

213 On ne citera ici que quelques exemples, parmi les plus significatifs : Gracchus en Celtibérie en 179 (Tite-Live, XL, 49, 1) ; Lucullus devant Intercatia (Appien, Ib., 53) ; Scipion Émilien sur le territoire des Vaccéens en 134 (Appien, Ib., 87) ; le même général sur le territoire de Numance (Appien, Ib., 89) ; Sertorius en 76 dans la haute vallée de l’Èbre (Tite-Live, frgt. XCI, 12) ; Lucullus et Galba en Lusitanie (Appien, Ib., 59) ; Brutus en Lusitanie (Appien, Ib., 71).

214 Le pillage effectué dans un autre contexte était sévèrement puni, aux dires de Caton lui-même (Frontin, Strat., IV, 1, 16) : M. Cato memoriae tradidit in furto comprehensis intercommilitones dextras esse praecisas aut, si lenius animaduertere uoluissent, in principiis sanguinem missum. (« Marcus Caton a rapporté que l’on coupait la main droite aux soldats surpris à voler, en présence de leurs compagnons d’armes, et que si l’on voulait les punir moins sévèrement, on leur pratiquait une saignée devant le quartier général », trad. P. Laederich). J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 149, comparant ces mesures à celles données par Polybe, VI, 37, 9 à propos du larcin commis à l’intérieur même du camp, en déduit à juste titre que la punition évoquée par Caton s’appliquait au préjudice porté aux populations civiles. Du reste, le sacramentum contenait également un engagement du soldat à ne pas voler une valeur supérieure à un sesterce par jour dans un espace de dix mille pas autour du camp (Aulu-Gelle, NA, XVI, 4, 2).

215 On ne peut exclure qu’en plus de ce rôle tactique, ces deux opérations aient pu également servir au consul de 195 à acculer ses propres hommes à la lutte sans merci. Renvoyer les redemptores pouvait ainsi apparaître comme un moyen d’afficher ouvertement devant ses troupes sa confiance en la suite des opérations, comme le suggère A. E. Astin, Cato the Censor, p. 36. Peutêtre faut-il alors rapprocher cette initiative du renvoi de la flotte vers Marseille ordonné par Caton afin d’amener ses soldats à ne pas espérer en la fuite (Appien, Ib., 40). Ce parallèle, proposé par J. Martínez Gázquez, La campaña de Catón en Hispania, p. 173, est assez séduisant. Obliger son armée à dépendre de sa valeur pour son ravitaillement vital appartient d’ailleurs au registre des exempla appréciés des Anciens : Frontin rapporte ainsi qu’au cours de la guerre contre les Cimbres et les Teutons, Marius se contenta d’indiquer le camp ennemi aux soldats qui lui réclamaient l’eau dont l’imprévoyance des metatores les avait privés (Plutarque, Marius, XVIII, 6-7 ; Frontin, Strat., II, 7, 12 ; Florus, I, 38, 8-9). Pour 195, Tite-Live attribue au fait d’avoir éloigné les soldats de leur camp et de la flotte le mérite dans la victoire de Caton à la bataille d’Emporion (Tite-Live, XXXIV, 16, 1).

216 Tite-Live, XXIII, 48, 4 : Quod ad stipendium attineat, si aerarium inops sit, se aliquam rationem inituros, quomodo ab Hispanis sumatur ; cetera utique ab Roma mittenda esse : nec aliter aut exercitum aut prouinciam teneri posse. (« Pour ce qui concerne la solde, si le Trésor est vide, ils trouveront un moyen quelconque de la prélever sur les Espagnols ; tout le reste, en tout cas, doit être envoyé de Rome ; autrement, en effet, ni l’armée ni la province ne pouvaient être conservées », trad. P. Jal, CUF).

217 Tite-Live, XLIII, 2, 2.

218 Par exemple, lors de la guerre contre Philippe V en 200-199, le consul Sulpicius, alors qu’il traversait le territoire des Dassaretii, privilégia les ressources abondantes du pays sur les stocks de grain qu’il transportait avec lui et auxquels il ne toucha pas (Tite-Live, XXXI, 33, 4-5).

219 Appien, Ib., 82 ; récemment, P. Erdkamp, Hunger and the Sword, pp. 122 et 132-133, a proposé de mettre en rapport les difficultés rencontrées par les Romains dans l’intérieur de la Péninsule au IIe siècle avec l’éloignement depuis le littoral qui les contraignait à accorder une place excessive à la frumentatio, accroissant ainsi les aléas des opérations. Selon lui, cette nécessité aurait directement été à l’origine du changement de date de l’entrée en charge des consuls en 153, qui permettait à ceux-ci d’assurer un début de campagne à l’époque de la moisson. Cette hypothèse intéressante se heurte toutefois à la traduction pratique de cette mesure institutionnelle dans les faits. J. S. Richardson, Hispaniae, p. 128, a en effet montré son peu d’efficacité dans l’avancée de la date d’arrivée effective des magistrats dans leur province.

220 J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 119. Les chevaux et les bêtes de somme nécessitent chacun jusqu’à quinze ou trente litres quotidiens. L’auteur donne donc, pour une armée de 40.000 hommes, une estimation de 80.000 litres par jour, auxquels il faut ajouter 600.000 litres pour les animaux.

221 Les soldats de Sertorius partis chercher de l’eau sont décimés par les Maurétaniens en 82 (Plutarque, Sert., XIII, 5) ; en 49, César obtint des renseignements de soldats ennemis, capturés alors qu’ils étaient partis à la provision d’eau (César, BC, I, 66, 1 ; Frontin, Strat., I, 8, 9) ; inversement, en 45, ce sont des cavaliers pompéiens qui massacrèrent des soldats césariens chargés de cette corvée et en capturèrent quelques-uns (Bell. Hisp., XXI, 2).

222 J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, pp. 35-36, rappelle qu’un homme peut survivre plusieurs semaines sans nourriture, mais que, sans eau, il périt au bout de quelques jours seulement. Sur la nécessité de disposer en outre d’une eau de bonne qualité : Polybe, VI, 40, 9 ; Végèce, Epit., III, 2.

223 Appien, Ib., 88 : Ὃ δὲ μαθών ἐξέϰλινε τῆς ὁδοῦ ϰαῖ μαϰϱοτέϱαν ἦγε ϰαὶ δυσενέδϱευτον, νυϰτός τε ὁδεύων διὰ τὸ δίψος ϰαὶ ϕϱέατα ὀϱύσσων, ὧν τὰ πλέονα πιϰϱὰ εὑϱίσϰετο. Τοὺς μὲν οὖν ἄνδϱας ἐπιμόχθως πεϱιέσωσεν, ἵπποι δέ τινες αὐτοῦ ϰαὶ ὑποζύγια ὑπὸ τῆς δίψης ἀπώλοντο. (« À cette nouvelle, Scipion modifia son itinéraire et emprunta une route plus longue qui se prêtait mal aux embuscades. Son armée étant assoiffée, il cheminait de nuit et creusait des puits dont la plupart furent trouvés saumâtres. Il sauva donc ses hommes, non sans épreuves, mais quelques chevaux moururent de soif ainsi que des bêtes de somme », trad. P. Goukowsky, CUF).

224 César, BC, I, 73, 2-3 : Haec consiliantibus eis nuntiantur aquatores ab equitatu premi nostro. Qua re cognita, crebras stationes disponunt equitum et cohortium alarium legionariasque intericiunt cohortis uallumque ex castris ad aquam ducere incipiunt ut intra munitionem et sine timore et sine stationibus aquari possent. (« Tandis qu’ils tiennent conseil, arrive la nouvelle que la corvée d’eau est pressée par notre cavalerie. Au su de cet engagement, ils établissent un réseau serré de postes formés par la cavalerie et les cohortes auxiliaires ; entre ces postes, ils placent des cohortes légionnaires et ils entreprennent de mener une ligne de tranchées du camp jusqu’au point d’eau, de façon à pouvoir s’y ravitailler à l’abri du retranchement, en toute tranquillité et sans qu’il soit besoin de poste », trad. P. Fabre, CUF).

225 César, BC, I, 81, 1 et 4-5 : Tum uero neque ad explorandum idoneum locum castris neque ad progrediendum data facultate consistunt necessario et procul ab aqua et natura iniquo loco castra ponunt. […] Sed quantum opere processerant et castra protulerant, tanto aberant ab aqua longius et praesentii malo aliis malis remedia dabantur. Prima nocte aquandi causa nemo egreditur ex castris. (« Alors les Pompéiens, à qui César rend impossible toute recherche d’un endroit propice pour camper, comme aussi toute progression, sont contraints de s’arrêter et d’établir leur camp loin de tout point d’eau et sur un terrain défavorable. […] Mais plus ils prolongeaient leurs retranchements et plus ils portaient leur camp en avant, plus aussi ils se trouvaient éloignés de l’eau : c’était donner aux maux présents d’autres maux pour remèdes. La première nuit, personne ne sort du camp pour aller à l’eau », trad. P. Fabre, CUF). Lucain, Phars., IV, 292-299 : Iamque inopes undae primum tellure refossa/occultos latices abstrusaque flumina quaerunt ;/nec solum rastris durisque ligonibus arua,/sed gladiis fodere suis, puteusque cauati/montis ad inrigui premitur fastigia campi./Non se tam penitus, tam longe luce relicta/merserit Asturii scrutator pallidus auri. (« Maintenant, privés d’eau, ils creusent d’abord la terre poury chercher des sources secrètes ou des cours d’eau perdus ; ils fouillent le sol, non seulement avec des bêches et des houes solides, mais avec leurs propres glaives et un puit creusé dans le mont est poussé jusqu’au niveau de la plaine arrosé. Le pâle chercheur de l’or asturien ne s’enfonce pas si profondément si loin de la lumière du jour », trad. A. Bourgery et M. Ponchont, CUF). Voir aussi sur cet épisode Frontin, Strat., II, 1, 11.

226 Comme dans le cas des aquatores, les lignatores apparaissent dans les sources surtout lorsqu’ils sont soumis à la pression de l’ennemi (Tite-Live, XXV, 34, 4 ; XL, 30, 9 ; Dion Cassius, XXII, 78, 2 ; Appien, Ib., 65 ; Bell. Hisp., XXVII).

227 J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 125, donne à titre de comparaison l’exemple de la Guerre civile américaine, où « daily forage requirement were three times as great in tonnage as subsistence requirements ».

228 César, BC, I, 40, 3.

229 J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 194 ; J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, pp. 118 et 128-129 ; P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 129. Ce dernier a toutefois nuancé (p. 40) l’importance relative du pâturage au cours des campagnes sous des climats méditerranéens. La composition du ravitaillement des chevaux et des bêtes de somme dépendait évidemment beaucoup des saisons et des circonstances.

230 Ces heurts étaient si fréquents que Tite-Live prend la peine de mentionner les exceptions. Par exemple en 181, alors que Fulvius Flaccus campait non loin du camp celtibère, les deux armées se rendaient à la pabulatio et à la lignatio sans chercher à se gêner mutuellement (neutri alteros impedientes) : Tite-Live, XL, 30, 9. Rappelons cependant que Flaccus cherchait précisément à endormir la méfiance de son adversaire par l’inaction.

231 Frontin, Strat., II, 5, 31 : Sertorius in Hispania, cum apud Lauronem oppidum uicina castra Pompei castris haberet et duae tantummodo regiones essent, ex quibus pabulum peti posset, una in propinquo, altera longius sita, eam quae in propinquo erat subinde a leui armatura infestari, ulteriorem autem uetuit ab ullo armato adiri, donec persuasit aduersariis, tutiorem esse quae erat remotior. […] Quam cum petissent Pompeiani, Octavium Graecinum cum decem cohortibus in morem Romanorum armatis et decem Hispanorum leuis armaturae et tarquitium Priscum cum duobus milibus equitum ire iubet ad insidias tendendas pabulatoribus. […] Cum deinde Pompeiani securi oneratique pabulo de reditu cogitarent et hi quoque, qui in statione fuerant, quiete inuitati ad pabulum conligendum dilaberentur, emissi primum Hispani uelocitate gentili in palantes effunduntur et conuulnerant confunduntque nihil tales exspectantes. (« Sertorius, en Espagne, avait un camp voisin de celui de Pompée, près de la ville de Lauro : voyant qu’il n’y avait que deux régions, dans les alentours, où l’on pouvait aller chercher du fourrage, l’une proche, l’autre plus éloignée des deux camps, il donna l’ordre de faire continuellement ravager la plus proche par ses troupes légères, mais interdit d’envoyer ne serait-ce qu’un seul homme armé dans la plus éloignée, jusqu’au moment où ses adversaires seraient convaincus que la plus éloignée était la plus sûre. Dès que les Pompéiens y furent allés, il donna l’ordre à Octavius Graecinus, avec dix cohortes armées à la romaine et dix cohortes de troupes légères espagnoles, ainsi qu’à Tarquitius Priscus avec deux mille cavaliers, de s’y rendre pour tendre une embuscade aux fourrageurs. […] Ensuite, les Pompéiens, se croyant en sécurité, songeaient à repartir chargés de fourrage, et les hommes restés à faire le guet se laissèrent tenter par la tranquillité que venaient de connaître les autres dans leur mission et se dispersaient pour aller eux aussi faire du fourrage : c’est à ce moment que les Espagnols s’élancèrent en avant et tombèrent avec la vitesse qui les caractérise sur les Pompéiens épars, qui n’attendaient rien de tel, se firent accabler de blessures et mettre en déroute », trad. P. Laederich). Voir aussi Appien, BC, I, 109.

232 César, BC, I, 84, 1 : Tandem omnibus rebus obsessi, quartum iam diem sine pabulo retentis iumentis, aquae, lignorum, frumenti inopia, conloquium petunt.

233 Aulu-Gelle, NA, XVII, 2, 9 ; Claudius Quadrigarius, Ann., II, 36 (= HRR, I, 218).

234 Le fait a bien été relevé par A. Labisch, Frumentum commeatusque, p. 62, et P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 123, n. 1.

235 Appien, Ib., 87.

236 Tite-Live, XXVI, 43, 7.

237 Polybe, III, 106, 7 ; Tite-Live, XXII, 11, 6 ; XXII, 22, 1 ; XXIII, 49, 1 ; XXVII, 10, 13.

238 Tite-Live, XXII, 11, 6.

239 Tite-Live, XXIII, 48, 4 ; XXVI, 2, 4.

240 J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, p. 156.

241 Tite-Live, XXVIII, 41, 11-12 : Nam nunc quidam, praeterquam quod et in Italia et inAfrica duos diuersos exercitus alere aerarium non potest, praeterquam quod unde classes tueamur, unde commeatibus praebendis sufficiamus nihil reliqui est, quid ? periculi tandem quantum adeatur quem fallit ? (« Pour le moment, de toute façon, non seulement le Trésor ne peut alimenter deux armées sur deux points opposés, l’Italie et l’Afrique, non seulement il ne reste aucune ressource pour entretenir des flottes et assurer un ravitaillement suffisant, mais quoi enfin ? qui ne voit la gravité du risque que nous courons ? », trad. P. Jal, CUF).

242 Voir supra, pp. 484-490.

243 Tite-Live, XL, 35, 4. Sur l’interprétation de ce passage, voir supra, p. 485.

244 M. Salinas de Frías, « Quintus Fulvius Q. F. Flaccus », p. 74.

245 À comparer avec l’attitude de Caton, affectant d’éviter à l’État le coût du transport de son cheval de l’Espagne vers l’Italie (Plutarque, Cat. Maior, V, 7).

246 P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 115. En revanche, J. Muñiz Coello, El sistema fiscal en la España romana, p. 64, considère la déclaration de Flaccus comme le produit de « la euforia de los logros obtenidos », dans la mesure où, selon lui, « desde hacía ya varios años la guerra se alimentaba por sí misma ». Cette interprétation n’est pas soutenue par la documentation.

247 Polybe, VI, 15, 4 : Δῆλον γὰϱ ὡς δεῖ μὲν ἐπιπέμπεσθαι τοῖς στϱατοπέδοις ἀεὶ τὰς χοϱηγίας, ἄνευ δὲ τοῦ τῆς συγϰλήτου βουλήματος οὔτε σῖτος οὔτε ἱματισμὸς οὔτε ὀψώνια δύναται χοϱηγεῖσθαι τοῖς στϱατοπέδοιç. (« Il est évident en effet que des approvisionnements doivent être envoyés sans cesse aux légions ; or, sauf le consentement formel du sénat, ni blé, ni vêtements ni solde ne peuvent être fournis aux légions », trad. R. Weil, CUF).

248 Tacite, Ann., XII, 43 : At Hercule olim Italia legionibus longinquas in prouincias commeatus portabat, nec nunc infecunditate laboratur. (« Autrefois, par Hercule ! c’est l’Italie qui envoyait des vivres dans les provinces aux légions éloignées, et la terre ne souffre pas aujourd’hui de stérilité », trad. P. Wuillemier, CUF)

249 J. Muñiz Coello, « Sobre el abastecimiento al ejército romano durante la conquista de Hispania », pp. 251-252.

250 Plutarque, Pompée, XIX, 11.

251 Tite-Live, frgt. XCI, 9 : si traheretur bellum, hosti, cum mare ab tergo prouinciasque omnes in potestate haberet, nauibus undique commeatus uenturos ; ipsi autem, consumptis priore aestate quae praeparata fuissent, omnium rerum inopiam fore (« si la guerre se prolongeait, l’ennemi, avec la mer derrière lui et toutes les provinces en son pouvoir, verrait des navires lui apporter des vivres de partout ; mais lui, une fois épuisé tout ce qu’ils avaient préparé l’été précédent, connaîtrait une disette totale », trad. P. Jal, CUF).

252 Plutarque, Sert., XXI, 7 : ϰαὶ πάλιν ἐπῄει πολὺς γεγονὼς ϰαὶ πεϱιέϰοπτεν αὐτῶν τὴν μὲν ἀπὸ τῆς γῆς εὐποϱίαν ἐνέδϱαις ϰαὶ ϰυϰλώσεσι ϰαὶ τῷ πανταχόσε ϕοιτᾶν ὀξὺς ἐπιών, τὰ δ᾽ ἐϰ θαλάττης λῃστϱιϰοῖς σϰάϕεσι ϰατέχων τὴν παϱαλίαν (« Alors, redevenu fort, il se remit en campagne et coupa les vivres à l’ennemi du côté de la terre par des embuscades, des manœuvres d’enveloppement et des incursions effectuées en tous lieux avec une rapidité foudroyante ; du côté de la mer, il fit surveiller le littoral par des embarcations de pirates », trad. R. Flacelière, CUF).

253 Salluste, Hist., III, 6 M (= III, 7 MG) : tum> praemisso cum equi <tibus> Manio legato et par <te na> uium longarum ad <…> insulam peruenit, <ratus> improuiso metu <posse> recipi ciuitatem com <meati> bus Italicis oportu <nam> (« ayant envoyé alors son lieutenant Manius en avant avec la cavalerie et quelques navires, il atteignit l’île d’<…>, pensant que, par une attaque surprise, la ville qui était idéalement située pour recevoir le ravitaillement venu d’Italie, pouvait être reprise »).

254 Dans l’édition Teubner, B. Maurenbrecher (p. 112) demeure prudent et n’avance aucune hypothèse. Celle d’Emporion a été proposée ensuite, sur des critères topographiques, par A. Schulten, « Eine unbekannte Topographie von Emporion », p. 66, et Id., « Zu Sallust Hist. III. 6 », pp. 366-368.

255 Cicéron, Pro Font., VI, 13-14 ; il semble que cet envoi de blé n’ait eu lieu qu’une seule année (Salluste, Hist., II, 98, 9 M = II, 82, 9 MG) ; l’aide apportée spontanément par des cités alliées, comme Gades, fut également essentielle (Cicéron, Pro Balbo, XVII, 40).

256 C’est le sens des reproches adressés par Pompée au sénat en 75 (Salluste, Hist., II, 98 M = II, 82 MG). Il souligne en particulier l’épuisement de la Citérieure à cause de la guerre : Hispaniam Citeriorem, quae non ab hostibus tenetur, nos aut Sertorius ad internecionem uastauimus, praeter maritumas ciuitates <quae> ultro nobis sumptui onerique sunt. (« L’Espagne Citérieure, qui n’est pas occupée par l’ennemi, a été dévastée de fond en comble par moi ou par Sertorius, à l’exception des villes de la côte, qui ne sont pour nous qu’un surcroît de charges et de dépenses », trad. A. Ernout, CUF).

257 César, BC, I, 48, 5 ; cet effort s’explique aussi par la nécessité stratégique de restreindre l’accès des réserves de la Citérieure à César. Sur la plus grande marge de manœuvre des généraux des guerres civiles en la matière, de P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 102.

258 J. Marquardt, De l’organisation financière chez les Romains, pp. 380-383 ; T. Frank, An Economic Survey of Ancient Rome, t. I, p. 149 ; M. I. Rostovtseff, Histoire économique et sociale de l’Empire romain, p. 27 ; Cl. Nicolet, L’ordre équestre à l’époque républicaine, t. I, p. 321 ; E. Badian, Publicans and Sinners, p. 15 ; M. R. Cimma, Ricerche sulle società di publicani, p. 53 ; J. Muñiz Coello, El sistema fiscal en la España romana, p. 98 ; Cl. Nicolet, Rendre à César, p. 92 ; P. Garnsey, « L’approvisionnement des armées et la ville de Rome », p. 32.

259 Cl. Nicolet, Rendre à César, p. 93 ; toutefois, E. Badian, Publicans and Sinners, p. 25, juge que la fraude n’était pas généralisée, du moins avant la République tardive. Sur les publicains, voir en dernier lieu le recueil d’articles de Cl. Nicolet, Censeurs et publicains.

260 J. Muñiz Coello, « Sobre el abastecimiento al ejército romano durante la conquista de Hispania », pp. 246-247 ; Id., El sistema fiscal en la España romana, p. 54. Cette théorie suppose toutefois que la prise à ferme se faisait seulement en Italie même, ce qui n’est pas acquis. Rien n’interdit en principe qu’en péninsule Ibérique, les questeurs aient pu recourir à des services similaires. P. Garnsey, « L’approvisionnement des armées et la ville de Rome », p. 32, admet ainsi que les publicains pouvaient chercher surplace l’approvisionnement alimentaire. Il est vrai néanmoins que l’activité des grandes societates en Hispania est très mal attestée, sauf peut-être en qui concerne l’exploitation des mines d’État : Cl. Domergue, Les mines de la péninsule Ibérique dans l’Antiquité romaine, pp. 258-276. Cela dit, le ravitaillement des armées sur place pouvait impliquer des adjudicataires de moindre envergure.

261 Tite-Live, XXIII, 48, 10-12 : Prodeundum in contionem Fuluio praetori esse, indicandas populo publicas necessitates cohortandosque qui redempturis auxissent patrimonia ut reipublicae ex qua creuissent, tempus commodarent ; conducerentque ea lege praebenda, quae ad exercitum hispaniensem opus essent, ut, cum pecunia in aerario esset, iis primis solueretur. Haec praetor in contione edixit, <que diem> quo uestimenta, frumentum Hispaniensi exercitui praebenda, quaeque alia opus essent naualibus sociis, esset locaturus.

262 Le texte de Tite-Live précise en effet clairement que le problème du sénat était alors son insolvabilité : itaque, nisi fide staret respublica, opibus non staturam (« c’est pourquoi, si l’État ne maintenait pas son existence en faisant appel au crédit, il ne pourrait pas le faire avec ses ressources », trad. P. Jal, CUF) ; E. Badian, Publicans and Sinners, pp. 16-17, a souligné avec beaucoup d’insistance cet aspect du récit : selon lui, ce fut le recours au crédit qui représenta une innovation et non la mise aux enchères des fournitures militaires. Cet auteur est celui qui a le plus contribué à donner à ce texte valeur d’exemple. Il est suivi par J. S. Richardson, Hispaniae, pp. 39 et 57 ; Id., The Romans in Spain, pp. 28 et 39 ; L. A. Curchin, « Living Conditions of the Roman Soldier in Spain », p. 295 ; J. J. Ferrer Maestro, « Un caso de crédito privado al Estado romano », pp. 82-83, qui propose également une évaluation du coût global de la prestation.

263 E. Badian, Publicans and Sinners, pp. 20-21 : « If we do not hear more about contracts, we may take it that this was why : they were working well, and taken for granted. » L’auteur estime ainsi (p. 27) qu’au cours de la première moitié du IIe siècle, les publicani étaient chargés de l’intendance de toutes les guerres menées par Rome en Orient et en Occident.

264 C’est ce que suggère en tout cas le discours du tribun Lucius Valerius qui, en 195, rappelle la situation au lendemain de la bataille de Cannes pour défendre l’abolition de la lex Oppia en 185 (Tite-Live, XXXIV, 6, 13-14). Il nous paraît donc préférable de privilégier l’hypothèse d’un recours exceptionnel aux publicains en 215, défendue par certains : M. R. Cimma, Ricerche sulle società di publicani, p. 6-9 ; dans le même sens, mais avec des conclusions moins nettes : T. Ñaco del Hoyo, « Publicani, redemptores y el “vectigal incertum” en Hispania y Occidente », p. 373 ; Id., Vectigal incertum, p. 125.

265 Ces exigences sont détaillées par Tite-Live, XXIII, 49, 1-3 : exemption du service militaire pendant la durée du contrat et prise en charge par l’État des pertes dues à la guerre ou aux tempêtes.

266 Tite-Live, XXIV, 18, 10-11 : Cum censores ob inopiam aerarii se iam locationibus abstinerent aedium sacrarum tuendarum curuliumque equorum praebendorum ac similium his rerum, conuenere ad eos frequentes qui hastae huius generis asdsueuerant, hortatique censores <sunt> ut omnia perinde agerent locarent ac si pecunia in aerario esset : neminem nisi bello confecto pecuniam ab aerario petiturum esse. (« Comme les censeurs, en raison du vide du trésor, s’abstenaient de mettre en adjudication la charge et l’entretien des temples et celle de fournir les chevaux destinés aux chars des processions et autres choses semblables, vinrent les trouver en grand nombre ceux qui avaient l’habitude des ventes aux enchères de ce genre et ils incitèrent les censeurs à tout faire, à tout adjuger comme s’il y avait de l’argent dans le trésor ; personne, sinon à la fin de la guerre, ne demanderait de l’argent au trésor », trad. P. Jal, CUF). Le même épisode est rapporté par Valère-Maxime, V, 6, 8.

267 Tite-Live, XXV, 3-4. La fraude est antérieure au printemps 212 puisque Tite-Live précise qu’elle fut dénoncée au préteur urbain l’année précédente. À l’époque du procès, Titus Pomponius était prisonnier des Carthaginois après une tentative malheureuse d’engager le combat avec une troupe d’irréguliers contre Hannon dans le Bruttium à la fin de l’année 213 (Tite-Live, XXV, 1, 3).

268 L’existence, dès la fin du IIIe siècle, d’un ordo publicanorum organisé est en effet très peu vraisemblable. Voir E. Badian, Publicans and Sinners, p. 19 ; P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 116. Pourtant, J. J. Ferrer Maestro, « Un caso de crédito privado al Estado romano », p. 92, préfère voir dans ce coup de force des publicains un indice de leur pouvoir vis-à-vis de l’État. Mais il s’agit là d’une interprétation anachronique.

269 Cl. Nicolet, L’ordre équestre à l’époque républicaine, t. I, pp. 321-322 ; E. Badian, Publicans and Sinners, p. 18 ; M. R. Cimma, Ricerche sulle società di publicani, p. 69, n. 83 ; J. S. Richardson, Hispaniae, p. 39, n. 33. Dernièrement, J. J. Ferrer Maestro, « Un caso de crédito privado al Estado romano », p. 91 a suggéré que les trois societates s’étaient réparties les charges, la première s’occupant de la fourniture des victuailles, la seconde de celle des vêtements et la troisième du transport de l’ensemble, Pomponius et Postumius ayant alors fait partie de cette dernière.

270 Tite-Live, XXIII, 49, 4 : Quemadmodum conducta omnia magno animo sunt, sic summa fide praebita, nec quicquam <parcius militibus datum quam> si ex opulento aerario, ut quondam, alerentur. (« De même que toutes ces adjudications furent prises avec générosité, de même les fournitures furent livrées avec la plus grande probité et aucune <ne fut remise aux soldats avec plus de parcimonie que> si, comme autrefois, c’était un trésor opulent qui les alimentait », trad. P. Jal, CUF). Les arguments avancés par E. Badian, Publicans and Sinners, p. 17, n. 19, pour résoudre la contradiction et expliquer pourquoi Tite-Live ne mentionne que pour 213 une fraude survenue deux ans auparavant ne sont guère convaincants. Sur cette base, la distinction entre les épisodes de 215 et de 213/212 a été récemment défendue, à juste titre, par A. Mateo, Manceps, redemptor, publicanus, pp. 78-79. Il admet cependant que Pomponius et Postumius ont pu participer successivement aux deux contrats. Bien que plausible, une telle hypothèse n’est toutefois pas nécessaire.

271 Tite-Live, XXV, 3, 10.

272 Le cadre légal dans lequel s’inscrit cette fraude n’est pas clair cependant ; pour cette raison, P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 117, n. 120, doute de l’authenticité du récit.

273 D’accord en cela avec T. Frank, An Economic Survey of Ancient Rome, t. I, pp. 149-160, et A. J. Toynbee, Hannibal’s Legacy, t. II, p. 356.

274 Tite-Live, XXVII, 10, 13 : cetero auro usi sunt ad uestimenta praesenti pecunia locanda exercitui qui in Hispania bellum secunda sua fama ducisque gerebat.

275 P. Erdkamp, « The Corn Supply of the Roman Armies During the Third and the Second Centuries BC », pp. 168-191 ; voir aussi Id., Hunger and the Sword, pp. 84-120 ; il est suivi par J. Roth, The Logistics of the Roman Army at War, pp. 230-231.

276 Ce faisant, il réfute de manière convaincante l’hypothèse, exprimée par E. Badian, Publicans and Sinners, p. 16, selon laquelle c’était la faiblesse structurelle de l’administration romaine qui imposait le recours aux publicains et à leur organisation.

277 P. Erdkamp, « The Corn Supply of the Roman Armies During the Third and the Second Centuries BC », pp. 171-175 ; Carthage : Polybe, XV, 18 ; Tite-Live, XXX, 16, 10 ; Appien, Pun., 54 ; Antiochus : Polybe, XXI, 17 ; XXI, 43 ; XXI, 45 ; Tite-Live, XXXVIII, 13, 8 ; XXXVIII, 37, 7 ; XXXVIII, 38, 13. Bien que sans lien direct avec le ravitaillement des armées d’Espagne, plusieurs mentions attestent que des légats ou des préteurs pouvaient être envoyés par le sénat acheter du blé dans certaines régions italiennes, notamment en Étrurie et en Apulie, durant la seconde guerre punique (Tite-Live, XXV, 15, 4 ; XXV, 20, 2 ; XXVII, 3, 9) et la troisième guerre de Macédoine (Tite-Live, XLII, 27, 8). Même s’ils sont peu nombreux, ces exemples montrent toutefois qu’un tel processus d’acquisition était parfaitement concevable.

278 G. Rickman, The Corn Supply of Ancient Rome, p. 44 ; P. Garnsey, Famine and Food Supply in the Graeco-Roman World, pp. 193-194.

279 Rome étant essentiellement nourrie par l’agriculture italienne, les dîmes de Sicile et de Sardaigne ne revêtaient une importance vitale pour la ville qu’en cas de disette et de cherté. Le reste du temps, elles alimentaient les armées. T. Frank, An Economic Survey of Ancient Rome, t. I, p. 160 ; P. Garnsey, « L’approvisionnement des armées et la ville de Rome », p. 33 ; Cl. Nicolet, « Dîmes de Sicile, d’Asie et d’ailleurs », p. 216, n. 2 ; P. Erdkamp, « The Corn Supply of the Roman Armies During the Third and the Second Centuries BC », pp. 177-178 ; Id., Hunger and the Sword, p. 86. Ce dernier a montré (pp. 90-91) que, le volume de blé perçu au titre de la dîme n’étant pas très important, il ne pouvait suffire aux besoins des armées et donc encore moins répondre, simultanément, à ceux de la ville de Rome.

280 Lorsqu’elle est mentionnée, la seconde dîme de Sicile concerne toujours les armées d’Orient : c’est le cas pour les armées de Grèce en 198 (Tite-Live, XXXII, 27, 2), pour celles envoyées contre Antiochus en 191-189 (Tite-Live, XXXVI, 2, 12-13 ; XXXVII, 2, 12 ; XXXVII, 50, 9) et pour celle de la troisième guerre de Macédoine en 171 (Tite-Live, XLII, 31, 8). Elle témoigne de l’effort supplémentaire effectué à ces occasions et montre par là même que la dîme régulière n’y suffisait pas, sans doute parce qu’elle servait également aux armées d’Occident : P. Erdkamp, « The Corn Supply of the Roman Armies During the Third and the Second Centuries BC », pp. 177 et 179 ; Id., Hunger and the Sword, pp. 93-94.

281 Polybe, VI, 17, 2.

282 P. Erdkamp, « The Corn Supply of the Roman Armies During the Third and the Second Centuries BC », p. 171, et Id., Hunger and the Sword, p. 118. Cet argument est d’autant plus fort à première vue que l’hypothèse traditionnelle admet effectivement que c’était moins la collecte de l’impôt (uectigalia) que les ultro tributa, c’est-à-dire les contrats de service et de fournitures, en particulier pour l’armée, qui apportait aux publicani les opportunités de profit les plus importantes. Ainsi, E. Badian, Publicans and Sinners, p. 24.

283 Le fait a été relevé par Cl. Nicolet, L’ordre équestre à l’époque républicaine, t. I, p. 323, qui suggère qu’avant la lex de Asia de 123, ces revenus n’avaient pas encore pris pour les publicains l’importance considérable qu’ils occupent dans leur activité au Ier siècle.

284 M. H. Crawford, M. Hassal et J. M. Reynolds, « Rome and the Eastern Provinces at the End of the Second Century BC », pp. 195-220 ; J. -L. Ferrary, « Recherches sur la législation de Saturninus et Glaucia, I », pp. 619-660 ; M. H. Crawford, Roman Statutes, t. I, pp. 231-270, et notamment p. 259.

285 J. Marquardt, De l’organisation financière chez les Romains, p. 380 ; Cl. Nicolet, L’ordre équestre à l’époque républicaine, t. I, p. 320 ; E. Badian, Publicans and Sinners, p. 15 ; M. R. Cimma, Ricerche sulle società di publicani, p. 53.

286 RE, XI, s. v. « Publicanus », col. 1188.

287 Th. Mommsen, Le droit public romain, t. IV, pp. 126-129 et 136 ; F. Kniep, Societas publicanorum, pp. 1-4 ; en dernier lieu, A. Mateo, Manceps, redemptor, publicanus, pp. 69-72, selon qui publicanus désigne une catégorie particulière de redemptor et non l’inverse.

288 Tite-Live, XXIII, 48, 10.

289 Voir à ce sujet A. Mateo, Manceps, redemptor, publicanus, p. 78. Le fait que Pomponius et Postumius soient appelés publicani par Tite-Live (XXV, 1, 3 et XXV, 3, 9) ne contredit pas cette hypothèse puisqu’on a vu que rien ne prouve que les deux hommes appartenaient au groupe des dix-neuf personnes ayant conclu le marché en 215. Du reste, comme le remarque A. Mateo, les mêmes individus pouvaient fort bien porter une double casquette : « … nada impide pensarque ambos personajes, publicanos por dedicarse habitualmente tomas en arriendo vectigalia publica, interviniesen como redemptores en los arrendamientos de suministros ». L’importance anachronique conférée par Tite-Live à l’ordo publicanorum lors de cet épisode expliquerait alors qu’ils apparaissent comme publicains à ce moment du récit.

290 Tite-Live, XXXIV, 9, 12. P. Erdkamp, « The Corn Supply of the Roman Armies During the Third and the Second Centuries BC », pp. 170-171, a souligné cependant à juste titre le flou de l’expression itaque redemptoribus uetitis frumentum parare ac Romam dimissis, qui peut s’appliquer aussi bien à des fournisseurs en grain qu’à de simples transporteurs.

291 Salluste, Hist., III, 85 M (= III, 81 MG) : Perpernam forte cognoscit mulio redemptoris. (« Par hasard, le conducteur de mules d’un fournisseur reconnut Perperna. »).

292 Ainsi en Tite-Live, XLIV, 7, 12 et XLIV, 16, 4 : ces deux références concernent l’armée de Quintus Marcius en Macédoine en 169.

293 Ainsi, Tite-Live, XXIV, 18, 10-11 et XXXIV, 6, 11-13.

294 Le fait est avéré au début du Ier siècle pour les fournitures d’armes par Cicéron, In Pis., LXXX-VII : Videras enim, grandis iam puer, bello Italico repleri quaestu uestram domum, cum paterarmis faciendis tuus praefuisset. (« Tu avais vu, en effet, déjà adolescent, pendant la guerre italienne, votre maison s’enrichir lorsque ton père avait été chargé de la fabrication des armes », trad. P. Grimal, CUF).

295 A. Mateo, Manceps, redemptor, publicanus, p. 46 : « La actividad de los redemptores consistía aquí en obtener determinados bienes, ya fuera comprándolos a otros, ya fuera fabricándolos ellos mismos o encargando a otros su fabricación, para entregarlos conforme a las cláusulas de la lex locationis. »

296 P. Garnsey, « L’approvisionnement des armées et la ville de Rome », p. 32 ; P. Erdkamp, « The Corn Supply of the Roman Armies During the Third and the Second Centuries BC », p. 188.

297 P. Erdkamp, « The Corn Supply of the Roman Armies During the Third and the Second Centuries BC », p. 189, fait ainsi remarquer que, pour 169, le texte de Tite-Live (XLIV, 16, 4) montre que le contrat ne portait pas sur la cargaison elle-même, contrairement à ce qu’on prétend en général, mais seulement sur le transport de ces fournitures (toges, tuniques et chevaux) jusqu’aux armées de Macédoine. L’objection n’est pas décisive. Rien n’empêche qu’en aval, la remise de ces biens aux magistrats ait résulté d’un ou plusieurs autres contrats. L’État avait intérêt à fractionner ainsi son système d’adjudication entre des redemptores chargés de la fabrication et d’autres de la livraison.

298 Sa description du fonctionnement des publica s’insère effectivement dans une démonstration destinée à souligner le rôle essentiel du sénat dans la constitution romaine. Ce point a été très clairement mis en évidence par Cl. Nicolet, L’ordre équestre à l’époque républicaine, t. I, p. 323.

299 Cl. Nicolet, « Dîmes de Sicile, d’Asie et d’ailleurs », pp. 220-221, pour la situation au début du Ier siècle, à l’époque des Verrines. Il n’y a pas de raison de penser qu’il en allait différemment sur ce plan au siècle précédent.

300 P. Erdkamp, « The Corn Supply of the Roman Armies During the Third and the Second Centuries BC », pp. 183-187.

301 Tite-Live, XXXIV, 8, 4.

302 Cicéron, II Verr., III, 12 : Inter Siciliam ceterasque prouincias, iudices, in agrorum uectigalium ratione hoc interest quod ceteris aut impositum uectigal est certum, quod stipendiarium dicitur, ut Hispanis et plerisque Poenorum quasi uictoriae praemium ac poena belli, aut censoria locatio constituta est, ut Asiae lege Sempronia.

303 Th. Mommsen, Le droit public romain, t. VI, 2, p. 364 ; J. Marquardt, De l’organisation financière chez les Romains, p. 234 ; R. Cagnat, « Stipendium », pp. 1512-1515 ; J. S. Richardson, « The Spanish Mines and the Development of Provincial Taxation », p. 150 ; E. Frézouls, « La fiscalité provinciale de la République au Principat. Continuité et rupture », p. 17, n. 3 ; A. Lintott, Imperium Romanum, pp. 74-75.

304 Par exemple, en dernier lieu, M. A. Aguilar Guillén et T. Ñaco del Hoyo, « Fiscalidad romana y la aparición de la moneda ibérica. Apuntes para una discusión. II », pp. 75-78 ; voir aussi T. Ñaco del Hoyo, Vectigal incertum, pp. 242-243.

305 J. France, « Deux questions sur la fiscalité provinciale d’après Cicéron Ver. 3.12 », pp. 169-184 : selon lui, ce prélèvement ne pouvait être qu’une contribution fixe appuyée sur les communautés locales, dans lequel on doit reconnaître « un prototype du futur impôt provincial tributaire généralisé sous le Haut-Empire ».

306 Ibid., p. 182, souligne ainsi que chaque communauté devait probablement choisir « de recouvrer l’impôt dû à Rome sous la forme et sur l’assiette qu’elle souhaitait ». Le paragraphe précédent de Cicéron (II Verr., III, 11) implique toutefois que, en dehors de la Sicile, les versements en numéraire étaient peut-être majoritaires (voir infra, p. 605).

307 Tite-Live, XLIII, 2, 1-12.

308 Tite-Live, XLIII, 2, 12 : In futurum consultum tamen ab senatu hispanis, quod impetrarunt, ne frumenti aestimationem magistratus romanus haberet neue cogeret uicesimas uendere hispanos, quanti ipsi uellet, et ne praefecti in oppida sua ad pecunias cogendas imponeretur.

309 Pour un point de vue différent, voir A. Lintott, Imperium Romanum, p. 73, qui estime, sans convaincre, qu’il s’agissait en réalité d’un droit de douane (portorium).

310 RE, VII, s. v. « Frumentum », col. 153-154 (M. Rostovtzeff) ; J. S. Richardson, « The Spanish Mines and the Development of Provincial Taxation », p. 150.

311 J. J. Van Nostrand, « Roman Spain », p. 127 ; C. H. V. Sutherland, The Romans in Spain, p. 57, n. 32 ; J. S. Richardson, « The Spanish Mines and the Development of Provincial Taxation », pp. 149-150 ; M. Salinas de Frías, « El impacto económico de la conquista romana », pp. 133-134.

312 J. Muñiz Coello, El sistema fiscal en la España romana, pp. 72-75 ; Id., El proceso « de repetundis » del 171 a. C. (Livio, XLIII, 2), p. 36.

313 R. C. Knapp, Aspects of the Roman Experience in Iberia, p. 170, n. 16 ; P. Sáez, Agricultura romana de la Bética, pp. 124-125.

314 Sur la procédure d’aestimatio : Cicéron, II Verr., III, 189 ; sur sa pratique courante dans la péninsule Ibérique au Ier siècle en raison des contrastes entre les cours du froment selon les régions : Cicéron, II Verr., III, 192 ; sur le cas de 171, voir notamment J. Muñiz Coello, El proceso « de repetundis » del 171 a. C. (Livio, XLIII, 2), pp. 37-41, et T. Ñaco del Hoyo, « Uso y abuso de la aestimatio frumenti en la fiscalidad provincial romana tardorre publicana (I) », pp. 55-59 : celui-ci estime cependant que la uicesima mentionnée pour 171, qui serait donc, selon la terminologie cicéronienne, une altera uicesima, ne préjuge pas de l’existence d’un premier vingtième, proprement fiscal.

315 Ainsi O. Olesti-Vila, « El control de los territorios del Nordeste Peninsular », pp. 130-131, suggère de façon intéressante que l’apparition de nouveaux silos, concentrés en certains lieux, pourrait être en partie un reflet archéologique de prélèvements en nature.

316 R. Plana Mallart, « Le territoire d’Empúries. Première phase de l’implantation romaine », pp. 260-266 ; A. Prieto Arciniega, « Las transformaciones económicas de la Hispania Citerior durante la época republicana », pp. 91-97 ; O. Olesti-Vila, « El control de los territorios del Nordeste Peninsular », pp. 132-144 ; l’intervention en matière agraire demeura néanmoins fort limitée durant toute l’époque républicaine. Ainsi, le développement des uillae, qui entraîna une véritable recomposition des structures foncières, ne se produisit pas avant la seconde moitié du Ier siècle, comme le rappelle P. Sáez, « Transformaciones agrarias de la República al Imperio en la zona meridional hispana », pp. 99-102 ; l’idée d’une apparition plus précoce des uillae dans le Nord-Est, peut-être dès la fin du iie siècle, n’est toutefois pas totalement écartée : R. Jàrrega Domínguez, « El poblament rural i l’origen de les villae al nord-est d’Hispania », notamment pp. 291-295.

317 Tite-Live, XXX, 26, 6.

318 Plutarque, C. Gracch., VI, 2.

319 F. Gracia Alonso, « Producción y comercio de cereal en el NE de la Península Ibérica entre los siglos VI-II a. C. », pp. 107-108 ; J. Burch, « L’ús de sitges en época republicana al nord-est de Catalunya », p. 213.

320 Cl. Nicolet, « Dîmes de Sicile, d’Asie et d’ailleurs », p. 219. L’auteur insiste sur cette différence essentielle. Créée en 123, la locatio censoria d’Asie correspondait à une mise à ferme de l’ensemble des revenus fiscaux de la province, aussi bien indirects, comme les droits de douane (portoria) ou les taxes sur les pâturages (scriptura), que directs, tels les impôts à quotité sur les récoltes (decumae).Contrairement à la decuma de Sicile, la ferme d’Asie impliquait que le produit de ces revenus, et notamment celui des dîmes (sur le blé, l’huile ou le vin), devenait propriété des adjudicataires, Rome n’en percevant que la contrepartie en espèces. Stocké sur place par les publicains dans les entrepôts publics (custodia, παϱϕαυλακαί), ce blé était destiné à alimenter le marché libre d’Italie ou d’ailleurs.

321 C’est en effet sur la manière dont Rome se procure son blé que Cicéron se concentre afin d’éclairer les juges sur le tort causé par Verrès à la République (II Verr., III, 11) : Neminem uestrum praeterit, iudices, omnem utilitatem opportunitatem que prouinciae Siciliae, quae ad commoda populi Romani adiuncta sit, consistere in re frumentaria maxime. (« Cela n’échappe à aucun de vous, juges : tout le profit et toute l’utilité de cette province de Sicile, que nous nous sommes annexée pour le plus grand avantage du peuple romain, consistent surtout en ce qu’elle nous approvisionne de froment », trad. H. de la Ville Mirmont, CUF).

322 On sait qu’en 203, les préteurs d’Espagne envoyèrent du frumentum et des vêtements à l’armée d’Afrique (Tite-Live, XXX, 3, 2). Ce blé ne provenait certainement pas, à cette date, d’un système régulier de taxation. L’épisode montre néanmoins que Rome entendait utiliser les ressources des territoires hispaniques.

323 Le litige venait du fait que le magistrat chargé de la province cherchait à fixer des prix trop bas à la récolte afin d’exiger des quantités de blé supérieures à celles réclamées à l’origine. T. Ñaco del Hoyo, « Uso y abuso de la aestimatio frumenti en la fiscalidad provincial romana tardorre publicana (I) », p. 57, pense que la uicesima faisait aussi l’objet d’une aestimatio, mais rien ne le prouve. Au contraire, il s’agissait plutôt d’obtenir du blé en obligeant les populations à vendre le vingtième de leur production, comme l’a suggéré N. Mackie dans son compte rendu du livre de R. C. Knapp (p. 187). Néanmoins, contrairement à ce qu’avance cet auteur, l’existence de cette vente forcée ne nous paraît pas contradictoire avec, en parallèle, celle d’une taxe en nature sur les grains.

324 Même si la mise en place de l’impôt sur les récoltes accompagna la création des provinces, cela ne signifie pas qu’elle entraîna dès l’origine un fonctionnement optimal du système sur des territoires où Rome ne bénéficiait pas, comme en Sicile, d’une longue tradition en la matière. Ainsi, J. S. Richardson, « The Spanish Mines and the Development of Provincial Taxation », p. 150, a raison d’insister sur le fait que l’attitude de Caton en 195 se comprend mieux si le consul ne disposait pas pour sa campagne du produit du vingtième des récoltes ou de quelque autre mécanisme de prélèvement. Il est en revanche plus contestable d’en déduire une difficulté à faire remonter la création de la uicesima avant la fin de la propréture de Sempronius Gracchus en 179, comme le fait l’auteur. Il faut tenir compte également, on l’a vu, de la volonté de Caton de privilégier inhabituellement le pillage. Le fait que figurent seulement parmi les mesures prises par Caton avant son départ l’organisation d’une nouvelle taxation sur les mines n’est pas non plus un argument suffisant pour prouver l’absence d’une ponction fiscale sur les blés de la province. Si l’on admet que les victoires du consul ont effectivement réaffirmé l’autorité de Rome sur les territoires révoltés, alors la simple reprise des contributions antérieures ne nécessitait pas d’innovations administratives en la matière, contrairement au cas des mines jusque-là délaissées par le pouvoir romain.

325 P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 95, n. 37.

326 Tite-Live, XXIX, 3, 5 ; XXX, 3, 2.

327 Appien, Ib., 54 ; Dion Cassius, XXXIII, 16, 1. Les circonstances de la reddition d’Intercatia, relatées par Appien, sont les plus éloquentes : l’auteur précise en effet qu’elle fut provoquée par la pénurie qui sévissait autant dans l’armée romaine qu’à l’intérieur de la ville assiégée (ὁ γὰϱ λιμὸς ἀμϕοῖν ἥπτετο).

328 César, BC, II, 18, 5.

329 César, BC, II, 18, 4 : Quibus rebus perterritos ciuis Romanos eius prouinciae sibi ad rem publicam administrandam HS CLXXX et argenti pondo XX milia, tritici modium CXX milia polliceri coegit. (« Ces nouvelles ayant jeté une vive alarme parmi les citoyens romains de la province, il les contraignit à lui promettre pour l’administration des affaires publiques dix-huit millions de sesterces, vingt mille livres d’argent, cent vingt mille mesures de blé », trad. P. Fabre, CUF).

330 J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, pp. 168-169. Cet auteur défend ainsi l’idée d’une politique d’achat de César en Gaule (César, BG, I, 40, 11).

331 D’une manière générale, P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 98, insiste à juste titre sur le fait que les alliés provinciaux jouaient un rôle essentiel dans le ravitaillement des armées sur place mais que les sources se désintéressent de cette petite échelle. Il en va de même pour les relations avec les populations non soumises établies à proximité des zones d’opérations.

332 Tite-Live, XXXIV, 9, 11. J. S. Richardson, Hispaniae, p. 82.

333 César, BC, I, 52, 2.

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.