Chapitre VII. L’absence d’une fiscalité provinciale militaire
p. 477-543
Texte intégral
1La création des provinces de Citérieure et d’Ultérieure en 197 s’accompagna probablement du développement progressif d’un système de prélèvement mis en place par les autorités romaines, bien que la date de la création de cette fiscalité provinciale ainsi que ses formes mêmes demeurent fort discutées1. Malgré ces divergences parfois profondes dans l’historiographie, il est néanmoins admis par tous, en règle générale, que cette fiscalité, instaurée ou non sur une base systématique, prit appui sur les contributions financières exigées dans un premier temps des populations soumises afin de payer la solde des légions, suite aux difficultés éprouvées lors de la seconde guerre punique2. Ceux qui pensent que ces contributions furent ensuite régularisées sous la forme d’un système fiscal estiment que le produit de celui-ci continua alors à être en partie affecté au règlement du stipendium des légions stationnées en Hispania, soulageant ainsi l’aerarium d’une charge sans cesse croissante. Ceux qui, comme T. Ñaco del Hoyo, contestent l’existence de cette régularisation, lui substituent l’idée d’une « économie de guerre » fondée sur des réquisitions ponctuelles, dont la raison d’être demeure néanmoins l’entretien des légions combattant dans la Péninsule. Dans un cas comme dans l’autre, la réflexion s’articule donc autour de l’idée d’une recherche d’autofinancement de la part des armées d’Hispania. Cette hypothèse s’appuie sur une tendance attestée, de la part de Rome, à faire reposer le coût de la conquête sur les peuples conquis, tendance dont la suspension du tributum après 167 fournit l’indice le plus frappant. Ainsi, en ce qui concerne la péninsule Ibérique, le spectaculaire essor du monnayage indigène, reflétant la monétarisation accrue des deux provinces, est fréquemment mis en relation avec le besoin de payer la solde (stipendium) des légions. Selon nous, ce schéma, très répandu dans l’historiographie, associe toutefois deux phénomènes qu’il convient plutôt de distinguer : d’une part, l’existence de prélèvements fiscaux sous forme monnayée et, d’autre part, le besoin en numéraire lié au versement régulier de la solde. Sans rejeter par avance la possibilité d’une relation entre ces deux éléments, postuler un lien direct de causalité entre eux nous semble une interprétation abusive du dossier. En particulier, une telle hypothèse repose sur une généralisation à l’ensemble des émissions hispaniques de l’emploi supposé du monnayage d’Emporion au moment de la seconde guerre punique. En outre, la conclusion à laquelle aboutit cette théorie implique de la part de Rome un projet administratif de décentralisation du stipendium dont la réalité reste à prouver. Le financement des armées d’Espagne, et en particulier le versement de la solde légionnaire, est-il à l’origine de la création d’une fiscalité provinciale spécifique ? C’est la question que l’on se bornera à traiter dans ce chapitre, sans prétendre en revanche reprendre pour lui-même le dossier plus général de l’impôt provincial, qui excède les limites de cette étude.
I. — STIPENDIUM ET EXPLOITATION DES PROVINCES
2La seconde guerre punique : le recours aux expédients. — Le maintien d’envois depuis Rome tout au long de la conquête. — Butin et fiscalité régulière : la question d’un autofinancement.
3L’expérience romaine dans la péninsule Ibérique est celle d’une adaptation constante dans laquelle il n’est jamais aisé de distinguer ce qui ressort de la pratique régulière et ce qui relève de l’exception, particulièrement en ce qui concerne des domaines aussi peu couverts par la documentation que les questions financières relatives à l’armée. Débutée dans l’urgence et la confusion de la guerre d’Hannibal, la présence romaine en Hispania a dû souvent composer avec les exigences de l’instant, sans toutefois que celles-ci remettent durablement en question, semble-t-il, les principes d’une organisation qui paraît pourtant a priori inadaptée au maintien prolongé de deux armées dans des provinces éloignées.
LA SECONDE GUERRE PUNIQUE : LE RECOURS AUX EXPÉDIENTS
4En 215, les deux frères Scipions, qui commandent l’armée d’Espagne, adressent une lettre au sénat :
Mais ils manquaient d’argent pour la solde, de vêtements et de blé pour l’armée et de tout pour les matelots ; pour ce qui concerne la solde, si le trésor est vide, ils trouveront un moyen quelconque de la prélever sur les Espagnols ; tout le reste, en tout cas, doit être envoyé de Rome ; autrement, en effet, ni l’armée, ni la province ne pouvaient être conservées (trad. P. Jal, CUF)3.
5Cet épisode célèbre dit assez les difficultés rencontrées alors par les Romains pour subvenir aux besoins de leurs troupes outre-mer. La volonté explicitement affichée par les généraux de trouver un substitut sur place a été rapprochée des mutations qui affectent à cette époque le monnayage de la ville grecque d’Emporion, sur la côte catalane4. Celui-ci connaît en effet un développement massif que les numismates datent des années 216-215, précisément au moment où la crise du Trésor romain empêche l’arrivée de subsides depuis Rome5. L’emploi de l’atelier d’Emporion au profit des Romains ne fait guère de doute : la ville, dont la frappe de drachmes d’argent remonte au début du IIIe siècle, était au commencement du conflit la seule alliée de Rome ; c’est là que Cnæus puis son frère Publius ont successivement débarqué en 218 et 217, et installé leur camp. Surtout, à partir de 215, la métrologie des drachmes au revers de Pégase s’aligne sur le système romain : d’abord équivalente à celle des quadrigats romains, elle s’adapte ensuite à celle du denier6. Cette mutation des émissions d’Emporion trouve donc probablement son origine dans la nécessité où se trouvèrent les Scipions de disposer d’un numéraire indigène parallèle au monnayage romain. Il est toutefois hasardeux d’aller au-delà de cette constatation. L. Villaronga a cherché à montrer par exemple, en utilisant une méthode de probabilité, que le volume annuel des drachmes émises par Emporion, évalué à 21 coins de deniers par an correspondait approximativement au calcul théorique de 20 coins proposé par M. H. Crawford pour l’entretien annuel d’une légion7. Cette tentative ne semble guère convaincante, dans la mesure où elle repose sur des arguments irrecevables : l’auteur s’appuie sur une équivalence entre le volume des émissions carthaginoises et emporitaines pour prouver que ces dernières ont bien servi à couvrir les dépenses romaines dans la Péninsule pendant la guerre8. À supposer que cette équivalence ait existé, il faudrait en outre pour fonder un tel raisonnement que les besoins et les dépenses des deux armées ennemies aient été à peu près identiques, ce qui est fort peu probable9.
6Rien ne permet donc de prouver avec certitude que les émissions de drachmes d’Emporion, même incontestablement réorganisées par les Romains, aient principalement servi à payer la solde. Même en admettant que les Scipions ont bien essayé de bâtir à partir des structures existantes un système monétaire interne à la province — ce qui reste à prouver10 —, celui-ci n’a pas pu avoir pour but d’assurer le versement de la solde que le sénat s’était déclaré incapable de fournir, ou alors il s’est révélé inefficace.
7Un élément permet en effet de le penser. En 206, lorsque se produisit la mutinerie de la garnison du Sucro, en grande partie, sinon entièrement composée de soldats présents en Espagne avant 211, la principale revendication concerna le non-versement de la solde au jour fixé (uolgo stipendium non datum ad diem iactabatur)11. Tite-Live ne précise que vaguement la nature et les raisons de ce retard, se contentant de prêter à Scipion dans son discours une allusion à sa maladie12. En revanche, Polybe développe davantage les paroles du général à ses soldats :
Il est évident que vous avez été mécontents de moi parce que je ne vous versais pas la paie qui vous était due ; mais ce n’était pas à moi qu’il fallait vous en prendre : sous mon commandement, vous l’avez toujours touchée intégralement ; et si c’était Rome qui en était responsable, en ne vous réglant pas ce qui vous était dû depuis longtemps, fallait-il pour cela vous rebeller contre la patrie qui vous a nourris et lui faire la guerre, pour lui réclamer votre dû, ou venir m’en parler, venir demander à vos amis de vous appuyer et vous aider ? (trad. R. Weil, CUF)13.
8Ce que réclamaient les mutins, ce n’était donc pas leur paie de 206, qu’ils reçurent d’ailleurs plus tard dans l’année si l’on en croit Tite-Live14, mais celle antérieure à 210 qu’ils n’avaient pas touchée, du moins intégralement15. Quelle que fût la solution adoptée entre 215 et 211 par les Scipions16, elle ne permit donc certainement pas aux soldats de passer outre aux sacrifices exigés d’autres catégories de la population romaine après le désastre de Cannes17.
9Il faut se rappeler en effet que la crise de 215 n’est pas propre à l’armée d’Espagne. Tite-Live évoque également l’arrêt de tout envoi aux gouverneurs de Sicile et de Sardaigne la même année18. Cette période de la seconde guerre punique est un moment de crise du Trésor et plus généralement de crise de croissance des finances romaines, comme de la masse monétaire disponible, inadaptées à l’effort gigantesque imposé par la guerre. Les solutions de remplacement imaginées par les généraux sur place apparaissent ainsi comme des mesures fondamentalement temporaires19. L’argent confié à Scipion par le sénat en 210 suffit à montrer qu’un transfert de fonds depuis l’Italie restait la règle lorsque les conditions de la guerre et l’état du Trésor le permettaient20. Le fait que le même Scipion ait choisi Carthagène comme premier objectif stratégique est tout à fait révélateur à ce sujet. Désireux de faire comprendre à ses soldats l’intérêt de porter leurs efforts sur ce qui pouvait leur sembler une opération hasardeuse, le général prit soin de mettre en avant les avantages qu’il comptait en retirer, et notamment l’arrivée de convois :
Nous allons nous emparer en outre non seulement de la plus belle et de la plus riche des villes, mais de la plus utile qui soit, en raison de son excellent port, car c’est de là que provient en abondance, par terre et par mer, tout ce que réclame la conduite de cette guerre (trad. P. Jal, CUF)21.
10Scipion tirait là la leçon de l’échec de son père et de son oncle auxquels un tel relais avait fait cruellement défaut au moment de leur progression vers le sud. Carthagène pouvait désormais remplir une fonction identique à celle d’Emporion puis de Tarragone au nord de l’Èbre. Il n’est pas inintéressant de rapprocher cela du fait que, dans son discours aux mutins en 206, Scipion précisait que sous son commandement, la solde avait toujours été intégralement versée22. On ne saurait mieux exprimer l’importance des convois en provenance de Rome dans le déroulement des opérations militaires en Hispania.
11La rareté des mentions explicites de transferts de fonds, hormis celle des quatre cents talents confiés à Scipion en 210, n’est pas un argument décisif pour refuser cette idée. La réclamation de 215 implique en effet a contrario la pratique habituelle jusqu’à cette date. Même si Tite-Live ne le précise pas, il est légitime de supposer que la file des bateaux de transport (classis ingens agmine onerariarum), qui accompagne l’arrivée de P. Scipion en 217 à Tarragone avec vingt navires de guerre, servit à acheminer une partie des fonds nécessaires23. De même, Polybe nous apprend qu’à la fin de l’hiver 217, le sénat expédia aux généraux d’Espagne tous les équipements dont ils avaient besoin24. Rien ne s’oppose à ce que cet envoi comprît du numéraire. Au contraire, la formule utilisée par Tite-Live au sujet de la lettre de 215 suggère que les généraux d’Espagne n’avaient pas jusqu’alors cherché à se procurer de l’argent auprès des populations indigènes pour payer la solde25. Les difficultés de cette année-là peuvent donc s’expliquer uniquement par l’absence d’envois à la fin de l’hiver précédent. Les armées d’Espagne n’auraient ainsi pas touché leur solde de l’année 216 : en écrivant au sénat à la fin de la campagne de l’année suivante, les Scipions cherchaient donc à avertir les patres de ne pas prolonger cette situation. On aurait tort en effet de penser que la cessation de paiement ait pu apparaître à cette époque comme autre chose qu’une mesure extraordinaire. Évoquant le parallèle de la Sicile et de la Sardaigne, Valère-Maxime exprime cette idée avec force :
… Le sénat […] leur répondit que le Trésor ne pouvait faire face aux dépenses loin de Rome ; qu’il leur fallait en conséquence aviser aux moyens de subvenir par eux-mêmes à un tel dénuement. En écrivant une pareille lettre, le sénat faisait-il autre chose que se dessaisir de son pouvoir sur ces contrées et, en un mot, renoncer à la possession de la Sicile et de la Sardaigne ? (trad. P. Constant)26.
12Inséré dans un chapitre intitulé « De la nécessité », cet exemplum est placé, de façon très éloquente, juste après un paragraphe sur le recrutement d’esclaves dans l’armée romaine à la suite du désastre de Cannes. À lui seul, ce choix souligne combien l’épisode représente encore, aux yeux de l’auteur lui-même, qui écrit deux siècles après les événements, une mesure exceptionnelle et désespérée.
13En dépit de ces difficultés, la seconde guerre punique n’a pas remis en cause, dans son principe, l’acheminement de la solde depuis Rome27. Les empêchements ponctuels n’ont pas suscité l’émergence d’un nouveau système, mais plutôt imposé des sacrifices aux soldats qui ont dû accepter, bon gré mal gré, de ne plus être payés le temps qu’il faudrait pour redresser la situation28. D’ailleurs, la réclamation des arriérés de solde par les mutins de 206 correspondait, ce n’est pas un hasard, à la fin des opérations contre les Carthaginois dans la Péninsule et au redressement de la situation militaire de Rome. Ainsi, les difficultés majeures des généraux d’Espagne en matière de solde se limitèrent vraisemblablement aux années 215-211. Dès 210, on assista à un retour progressif à la normale. Contrairement à ce que l’on croit parfois29, cette amélioration ne résultait pas d’un accroissement du nombre des villes ou des peuples tributaires dû aux succès romains mais bien à la capacité retrouvée de la métropole d’assurer l’entretien de ses légions. Cette idée est étayée par le maintien des transferts de fonds en direction des armées d’Espagne au cours des périodes suivantes ainsi que par l’absence de mise en place d’un système fiscal spécifiquement destiné aux besoins militaires.
LE MAINTIEN D’ENVOIS DEPUIS ROME TOUT AU LONG DE LA CONQUÊTE
14Le récit de Tite-Live, que nous possédons jusqu’aux événements de l’année 167, suggère nettement l’origine romaine des fonds alloués aux gouverneurs de province pour régler le stipendium des légions. Il rapporte ainsi qu’en 180, Fulvius Flaccus, gouverneur de Citérieure, envoya des légats à Rome qui tentèrent de persuader le sénat d’accorder le triomphe à ce général en mettant notamment en avant l’inutilité d’envoyer la solde cette année-là :
Après avoir annoncé deux victoires, la soumission de la Celtibérie, la pacification de la province, et ajouté qu’il était inutile, pour l’année en cours, d’envoyer la solde, comme c’était l’usage, ou de faire parvenir du blé à l’armée… (trad. C. Gouillart, CUF, modifiée)30.
15On a vu parfois dans ce passage le moment où se mit en place un système régulier de prélèvements destiné à remplacer les envois antérieurs31. Cependant, Tite-Live précise bien qu’il s’agit d’une situation inhabituelle (in eum annum). La volonté affichée de Flaccus d’obtenir le triomphe implique également le caractère ponctuel de ces mesures dont le but était de se concilier les bonnes grâces de l’assemblée en affectant d’épargner, à titre exceptionnel et contrairement à ses prédécesseurs, les fonds publics. En revanche, il est bien précisé nec stipendio, quod mittit soleret, ce qui prouve incontestablement qu’à cette époque, l’argent de la solde parvenait encore de Rome chaque année32.
16Il est difficile, étant donné la faiblesse globale du dossier documentaire sur cette question, de tracer une évolution plus précise des modalités de fourniture de l’argent nécessaire à la solde des armées provinciales à partir de la seconde moitié du IIe siècle. Les difficultés rencontrées par Pompée et Metellus durant la guerre de Sertorius suggèrent toutefois que la pratique des envois s’était maintenue jusqu’à cette date. C’est précisément parce que les fonds provenaient encore de Rome, à une époque où le Trésor connaissait des crises récurrentes, que Pompée envoya sa célèbre lettre au sénat durant l’hiver 75-74 :
Fatigué d’écrire et d’envoyer des députés, j’ai épuisé toutes mes ressources personnelles et tout mon crédit, tandis que vous, dans un espace de trois ans, vous avez à peine couvert les frais d’une année. Par les dieux immortels, pensez-vous que je puisse suppléer au Trésor ou entretenir une armée sans blé et sans solde ? (trad. A. Ernout, CUF, modifiée)33.
17La responsabilité de l’État dans l’entretien de l’armée y est clairement réaffirmée. Il n’est pas sans intérêt de relever que ce rappel vient d’un homme qui, en levant trois légions à titre privé afin de venir en aide à Sylla en 83, contribua largement à la personnalisation des armées du Ier siècle34. En revanche, puisqu’il était envoyé contre Sertorius en étant officiellement investi du commandement d’une armée, Pompée attendait ce que la règle lui imposait, n’hésitant pas à menacer le sénat en cas de non-satisfaction35. Les consuls de 74, L. Lucullus et M. Cotta, s’employèrent à rassembler l’argent nécessaire36. M. H. Crawford émet l’hypothèse que l’émission de C. Postumius, la plus importante des années 70, pourrait dater de 74 et correspondre justement à l’argent frappé à Rome pour répondre aux besoins de Pompée37. Les difficultés de ce dernier, provoquées avant tout par l’évolution de la guerre et l’habileté de Sertorius, tenaient sans doute aussi à des rivalités internes à la politique romaine, les patres faisant payer à Pompée ses pressions pour obtenir le commandement de la guerre. Metellus, en effet, ne semble pas avoir éprouvé alors une pénurie aussi aiguë38. La question de la solde, dans la première moitié du Ier siècle, était donc encore un moyen de contrôle et de pression de la part du sénat. Ceci n’était évidemment possible que si les fonds provenaient toujours de l’aerarium Saturni.
18Ceci explique, d’ailleurs, pourquoi ce fut surtout à partir de cette période qu’apparurent des tentatives de financement des armées en partie sur le terrain, à un moment où les tensions entre certains généraux et le sénat tendirent à se multiplier39. Ainsi, la nécessité imposée par les circonstances amena Sylla à développer des solutions nouvelles lors de sa campagne d’Orient, puisqu’il se trouvait coupé du gouvernement de Rome avec lequel il était en conflit40. La prudence apprise des expériences antérieures incitait aussi les imperatores de la fin de la République à rechercher des alternatives : ce fut le cas de Pompée en Orient, peu désireux de renouveler les problèmes de la guerre contre Sertorius ; ce fut aussi celui de César en Gaule41. Les troubles des guerres civiles ont donné également naissance à des « émissions impératoriales » frappées dans les provinces42. On en connaît cependant très peu concernant l’Espagne43. Deux émissions de deniers de C. Annius sont mises en relation avec le proconsul C. Annius Luscus, envoyé par Sylla contre Sertorius, et donc datées de 82-81 ; elles sont successivement réalisées conjointement avec les questeurs L. Fabius Hispaniensis, puis C. Tarquitius44 ; deux autres émissions, de Q. Caecilius Metellus Pius et de Cn. Cornelius Lentulus, sont datées très probablement de 79 ou 78 pour les premières et 76/75 pour les secondes45. Enfin, des monnaies portant l’inscription MAGN. PRO. COS sont attribuées aux proquesteurs de Pompée en Hispania en 49, Cn. Calpurnius Piso46 et T. Varro47. Du côté césarien, une partie de la grande émission de deniers portant la mention CAESAR, dont la frappe aurait débuté en Gaule, se serait poursuivie au moyen d’ateliers mobiles sur les théâtres d’opération successifs : les trésors de Cataluña et de Figueras, situés tous deux dans le nord-est de la Péninsule, et celui de Liria, dans le Levante, contiennent ainsi un grand pourcentage de ces monnaies, ce qui a conduit à supposer une série d’émissions en 49, à l’occasion de la bataille d’Ilerda48.
19La difficulté réside dans l’identification du lieu de frappe et l’incertitude est finalement grande quant à la réalité d’une frappe sur le sol hispanique pour la plupart de ces monnaies49. M. H. Crawford a ainsi rejeté l’hypothèse, soutenue au contraire par M. Campo et L. Villaronga, d’une émission hispanique pour les frappes de Metellus50, les jugeant émises en Italie du nord, et il a également mis en doute l’origine de celles de Lentulus, sans écarter toutefois la possibilité d’une frappe en Espagne51. De même, il considère que les deniers de Calpurnius Piso et de Varro ont en fait été frappés par un atelier mobile de Pompée en Grèce52. Le numismate anglais pense par conséquent que seuls les deniers de C. Annius, L. Fabius et C. Tarquitius sont effectivement, dans une certaine mesure, des frappes réalisées en Espagne53. Il reste cependant douteux que, même si ces émissions ont bien été frappées hors d’Italie, elles aient toujours revêtu un caractère entièrement légal54. En tout cas, elles sont restées, pour autant qu’il est possible de le savoir, très marginales : aucune frappe romaine en Espagne n’est connue entre les deux petites émissions de victoriats datables de la première moitié de la seconde guerre punique et ces quelques émissions de deniers des guerres civiles55.
20Ces expédients ne se sont donc jamais substitués, loin s’en faut, aux ressources du Trésor : une lettre de Caelius à Cicéron datée d’août 51 atteste que la rétribution des légions pompéiennes d’Espagne demeurait toujours du ressort du sénat :
Mais voici que, comme il y avait une réunion du sénat au temple d’Apollon le 22 juillet et qu’à l’ordre du jour figurait la solde des troupes de Cn. Pompée, on parla de la légion que Pompée a portée au compte de C. César (trad. L. -A. Constans, CUF)56.
21En dépit de son ampleur et de son caractère exceptionnel, ce gouvernement des deux provinces d’Espagne, attribué pour cinq ans, puis renouvelé pour la même durée en 52, faisait donc bien l’objet d’un contrôle annuel des moyens qui lui étaient attribués :
Pompée fut maintenu par un vote dans le gouvernement de ses provinces pour une autre période de quatre ans et on lui accorda une somme annuelle de mille talents pour la solde et l’entretien de ses troupes (trad. R. Flacelière, CUF)57.
22Rien ne permet donc de supposer que le principe d’une fourniture de la solde des armées provinciales depuis l’aerarium Saturni en vertu d’une décision sénatoriale ait été remis en question entre les débuts de la présence romaine en péninsule Ibérique et les guerres civiles du Ier siècle. Si l’entretien des armées présentes sur le sol ibérique n’a pas donné lieu au développement d’un monnayage romain dans la province, il reste à établir dans quelle mesure les sommes considérables tirées de l’exploitation des deux provinces ont pu fournir une alternative ou un complément aux ressources du Trésor.
BUTIN ET FISCALITÉ RÉGULIÈRE : LA QUESTION D’UN AUTOFINANCEMENT
23Dès l’origine, la conquête romaine de la péninsule Ibérique a donné lieu à un drainage considérable de richesses. Très nombreuses sont ainsi les mentions relatives au butin dans les sources littéraires : pillage des camps carthaginois durant la seconde guerre punique58, butin obtenu sur les peuples et les villes indigènes tout au long des guerres du IIe siècle59. Métal précieux, sous forme brute ou sous forme de bijoux, de vaisselle, numéraire, hommes à revendre comme esclaves constituent les prises les plus fréquentes, en tout cas les plus relevées par les auteurs anciens.
24Les chiffres donnés par Tite-Live pour la période 206-169 ont fait l’objet d’estimations et de calculs dont le résultat est souvent discutable, mais qui donnent malgré tout un ordre de grandeur significatif : on estime en général que, parmi les richesses ainsi comptabilisées, le butin tiré des provinces espagnoles durant cette période atteint environ 47 millions de deniers60. La difficulté pour interpréter les chiffres liviens tient au fait qu’il s’agit seulement des sommes versées au Trésor au retour de campagne par le général ; or, le butin, dont celui-ci pouvait disposer à sa guise61, n’était pas toujours intégralement affecté à l’aerarium62. D’autre part, ces chiffres sont fréquemment interprétés globalement comme étant le produit à la fois des mines, des tributs et du butin63, ce qui est fort peu probable : ils ne concernent vraisemblablement que le butin proprement dit et leurs variations n’autorisent pas en elles-mêmes à étayer des hypothèses sur la régularisation progressive de la fiscalité provinciale64.
25Ce butin mettait donc à la disposition des chefs des armées engagées en Hispania des ressources variables, mais souvent considérables65. Toutefois, en dépit de son importance en volume et en valeur, il n’a pas été utilisé par les généraux romains pour pallier les carences du Trésor dans le versement de la solde, voire se substituer à lui, même temporairement, comme on a pu le supposer66. Si l’on en croit Zonaras, les Scipions continuaient en effet à envoyer le produit de ce butin à Rome au moment même où ils se trouvaient coupés des subsides du Trésor : un comportement curieux de la part de généraux réclamant par ailleurs de l’argent au sénat67. On pourrait objecter que seul l’excédent, une fois les besoins du stipendium satisfaits, a pu quitter l’Espagne68. Ce serait toutefois négliger plusieurs éléments. D’une part, comme on l’a vu, les soldats présents dans la péninsule Ibérique avant 211 ne semblent pas avoir été payés, ce qui serait incompréhensible si le butin servait aussi bien à payer la légion qu’à renflouer le Trésor ; d’autre part, les sources littéraires ne font pas état d’une telle utilisation de la praeda. Le texte de Tite-Live sur la prise de Carthagène, souvent considéré comme l’exemple-type de la gestion du butin par un général romain, insiste au contraire sur la spécificité de l’usage des sommes ainsi confisquées ; expliquant à ses soldats la valeur stratégique de leur future prise, Scipion ajoute en effet :
C’est ici qu’est tout l’argent des ennemis : sans lui, ils ne peuvent faire la guerre, car ils entretiennent des armées de mercenaires et, à nous, il sera de la plus grande utilité pour nous concilier les bonnes dispositions des barbares (trad. P. Jal, CUF)69.
26Nulle référence ici au stipendium de la légion70. L’accroissement par le butin des fonds disponibles permettait en fait au général de voir s’ouvrir devant lui un éventail élargi de possibilités pour faire la guerre. Certes, Polybe nous confirme bien que l’argent pris aux Carthaginois était venu alimenter la caisse de l’armée :
Après quoi, il remit aux questeurs tous les fonds publics carthaginois qu’il avait saisi. Ils se montaient à plus de six cents talents, de sorte que, s’ils étaient ajoutés aux quatre cents qu’il avait en venant de Rome, la somme totale de ses ressources était de plus de mille talents (trad. E. Foulon, CUF)71.
27Pourtant, la réunion de ces fonds ne suffit pourtant pas à prouver qu’ils étaient ensuite indistinctement utilisés aux mêmes types de dépenses. Ainsi, on ne pense plus aujourd’hui que Scipion frappa monnaie à son effigie à partir des shekels carthaginois issus des réserves de Carthagène72. Il est peu probable que l’argent carthaginois ait été refrappé sur place. En revanche, en plus de l’argent venu de Rome, Scipion disposait désormais de quoi subvenir à d’autres frais, tout aussi nécessaires : par exemple, rétribuer des mercenaires ou consolider par sa munificence les alliances avec les chefs ibères. Précisément, c’est à propos du printemps suivant immédiatement la prise de Carthagène que Tite-Live rapporte une offensive diplomatique de grande envergure de la part de Scipion :
P. Scipion, qui avait passé tout l’hiver à se concilier les bonnes dispositions des barbares, soit en leur offrant des cadeaux, soit en leur rendant des otages et des prisonniers, vit venir à lui Edesco, chef de guerre illustre parmi les Espagnols (trad. P. Jal, CUF)73.
28Il est tentant de voir là l’application des principes énoncés par le général romain dans le discours précédant l’attaque de la ville. Quant au recours aux mercenaires, il n’appartient pas en principe aux pratiques romaines, mais les généraux romains débauchaient parfois à prix d’argent ceux de l’adversaire pour affaiblir celui-ci74.
29Ainsi, en 195, Caton se proposa de faire une telle utilisation du butin. Mis en difficulté, il traita avec des mercenaires celtibères :
Ceux-ci demandèrent deux cents talents pour prix de leur secours. Tous les autres trouvaient indigne des Romains de consentir à payer des barbares pour leur assistance, mais Caton soutint qu’il n’y avait là rien de grave : vainqueurs, ils payeraient avec l’argent de l’ennemi, non avec le leur ; vaincus, il n’y aurait personne pour réclamer ni pour verser cet argent (trad. R. Flacelière, CUF)75.
30L’indignation du consilium de Caton révèle que les fonds publics ne pouvaient servir à payer des barbares plutôt que des citoyens. L’assurance donnée à cette occasion parle général d’employer non pas l’argent romain, mais le produit du butin pour acheter les mercenaires, permet de comprendre qu’il est nécessaire d’opérer des distinctions parmi les fonds gérés parles questeurs : une partie seulement était destinée à la solde et provenait de Rome. L’autre partie, mêlant fonds publics (uasarium, uiaticum, cibaria) et ressources diverses (dont le butin) couvrait le reste des dépenses76. De telles nuances sont rendues délicates par l’imprécision des sources. Nous ne croyons pas toutefois que l’emploi du terme stipendium dans le contexte précis du financement d’une armée puisse se référer à autre chose qu’à la solde elle-même77.
31H. C. Boren s’est appuyé sur trois passages du Bellum Iugurthinum pour suggérer que ce terme pouvait désigner l’ensemble des fonds alloués à un général pour une campagne78 :
- « On leva ensuite une armée destinée à l’Afrique et des décrets furent rendus pour régler sa solde et toutes autres dépenses militaires » (trad. A. Ernout, CUF)79 ;
- « La guerre se ralluma donc et Albinus se hâte de faire partir pour l’Afrique les vivres, le trésor de l’armée, tout le matériel militaire » (trad. A. Ernout, CUF)80 ;
- « À Lares où il a déposé l’argent de la solde et ses réserves de vivres » (trad. A. Ernout, CUF)81.
32Pourtant, dans ces trois passages, la mise en parallèle constante entre la solde d’une part, et les autres ressources de l’autre, nous paraît au contraire aller plutôt dans le sens d’une signification tout à fait restreinte du terme stipendium. Inversement, lorsque Cicéron évoque d’une manière générale les crédits alloués au gouverneur, il emploie plutôt le mot pecunia82. Il est donc raisonnable de penser que les différents postes de la fiscalité militaire étaient plus étanches qu’on ne l’a dit83. Le général ne pouvait pas interchanger à sa guise les fonds précisément calculés et fournis en vue du stipendium avec le produit du butin, aussi important fût-il84. Ce dernier a donc bien représenté une ressource essentielle des armées romaines, mais distincte du stipendium, auquel il ne saurait se substituer85. Dans ces conditions, la question de la fourniture de la solde ne pouvait être résolue par l’accumulation du butin.
33Reste que la praeda permettait sans doute aux généraux envoyés dans la péninsule Ibérique de faire accepter les fréquents retards dans le paiement de la solde. Plus que dans le développement d’un monnayage local de substitution, dont la finalité est peu claire, c’est plutôt vers le recours parallèle au butin qu’il faut se tourner pour comprendre la capacité des Scipions à continuer la guerre entre 215et 211. Ce n’est pas un hasard, on l’a vu, si la mutinerie de 206 intervint au moment du départ des Carthaginois de la Péninsule et Tite-Live explique le comportement des mutins parle fait
que des hommes habitués à vivre assez largement de rapines commises chez l’ennemi avaient vu leurs conditions de vie se réduire en temps de paix (quod in hostio laxius rapto suetis uiuere artiores in pace res erant)86.
34Pillages et récompenses forment, on le sait, un tout indissociable dans la pratique romaine de la guerre. L’attrait du butin, bien mis en évidence pour les armées romaines à partir de la seconde guerre punique, n’était pas seulement une conséquence des défaillances de la solde. Il correspondait pleinement à ce que les Romains attendaient d’une campagne militaire, assimilée à un munus, et ne se situait pas sur le même plan que le stipendium, surtout à une époque où la légion se recrutait encore essentiellement parmi les citoyens possédants. En 214, les Scipions, pourtant dépourvus de subsides de la part de la métropole, étaient ainsi à même de satisfaire leurs soldats87. Outre les pillages, ces derniers pouvaient compter sur les donatiua, une pratique bien attestée tout au long de notre période et dont le versement était laissé à la discrétion du général88. En aucun cas cependant, ces récompenses individuelles ou collectives n’ont alimenté ou constitué le stipendium proprement dit, avec lequel on ne saurait les confondre.
35Parallèlement au produit de la guerre qu’était le butin, les généraux responsables des provinces d’Espagne ont imposé des contributions aux peuples et aux villes alliées ou vaincues. Le contexte de la mention de ces prélèvements dans les sources peut laisser penser qu’ils étaient effectués dans le but de permettre le paiement des troupes romaines89. L’ambiguïté provient en partie de la signification accordée au terme stipendium : on pense en effet généralement que, en dehors de la paie des légions et de celle des socii, ce terme aurait fini, à la fin de la République, par désigner aussi un impôt direct de répartition levé dans les provinces et symbolisant leur dépendance à l’égard de Rome90. Cette interprétation courante a été récemment remise en question par les travaux de T. Ñaco del Hoyo91. Celui-ci souligne que, contrairement à une idée trop répandue, on ne trouve jamais dans les sources latines d’époque républicaine un tel emploi de stipendium, dans le sens d’impôt direct sur les provinciaux92. Il en conclut que, si les populations soumises ont bien fait l’objet de prélèvements dès la fin de la seconde guerre punique, ces contributions n’ont jamais été envisagées par le pouvoir romain comme étant permanentes, malgré un célèbre passage de Florus affirmant que Scipion l’Africain fit de l’Espagne une prouincia stipendiaria93. T. Ñaco del Hoyo défend en effet l’idée que le terme stipendiarius possède une valeur essentiellement politique, signifiant simplement « soumis » ou « sujet », c’est-à-dire susceptible de fournir au vainqueur de telles contributions en cas de besoin94. Par conséquent, selon lui, on ne saurait tirer argument de ce passage pour supposer que Scipion organisa cette taxation sous une forme régulière et définitive, comme on le fait parfois95. D’une manière générale, T. Ñaco del Hoyo nous paraît avoir démontré de façon convaincante que le témoignage des sources, tel qu’il se présente, ne permet jamais d’associer explicitement les faits rapportés par les auteurs anciens à l’instauration d’un système fiscal régulier et perpétuel, valable pour l’ensemble des provinces hispaniques96. Parmi les différentes propositions traditionnellement retenues, ni les mesures prises par Caton en 195 ni celles attribuées à Gracchus entre 180 et 179 ne peuvent être clairement mises en relation avec l’introduction d’un tel système97. En effet, dans les deux cas, il semble plutôt s’agir d’initiatives plus ponctuelles, sans souci d’organisation globale. Faut-il pour autant écarter l’idée même d’une fiscalité provinciale régulière, comme le suggère T. Ñaco del Hoyo98 ? Doit-on ainsi dissocier la décision de créer les provinces de Citérieure et d’Ultérieure en 197 de toute préoccupation fiscale de la part de Rome99 ? Cela paraît peu probable, bien que le dossier demeure finalement obscur, faute de sources suffisantes100. En effet, que Rome n’ait pas cherché à organiser à l’échelle de ses provinces hispaniques une taxation sous la forme d’un système global et unifié ne revient pas à dire que les communautés passées sous son contrôle n’étaient pas censées lui fournir des contributions régulières au titre de l’impôt, en vertu d’un principe général similaire à celui exprimé par Cicéron dans les Verrines101.
36Quoi qu’il en soit, l’existence de mécanismes de perception, qu’ils fussent réguliers ou non, est une chose. Leur relation avec le paiement du stipendium en est une autre. Il convient de ce point de vue de ne pas surinterpréter deux passages essentiels du récit livien, relatifs à des contributions ponctuelles. En 206, confronté à une mutinerie de grande ampleur, Scipion semble en effet avoir eu recours à un prélèvement de la solde directement auprès des indigènes, son but étant
après avoir envoyé des collecteurs partout à la ronde dans les ciuitates stipendiariae, de faire espérer le versement de la solde pour bientôt (trad. P. Jal, CUF)102.
37Toutefois, ce passage correspond en fait à un procédé qui est certainement resté isolé103. La version qu’en donne Polybe est en effet plus nuancée :
Il dit qu’il fallait garantir aux soldats le versement de leur solde ; pour rendre cette promesse crédible, la contribution imposée précédemment aux cités pour l’entretien de l’armée entière devrait être maintenant réunie ostensiblement et rapidement, comme si cet argent était destiné à payer la troupe (trad. R. Weil, CUF)104.
38La mesure prise par Scipion apparaît ainsi comme un détournement provisoire des mesures fiscales effectivement mises en place. Le texte de Polybe permet de prendre conscience, plus nettement que celui de Tite-Live, de la différence établie ordinairement entre les contributions exigées des cités stipendiaires et le versement de la solde. Afin de satisfaire les mutins, on feignit d’affecter le produit des contributions exigées des vaincus au paiement des arriérés. L’exemple de 206 est par conséquent insuffisant pour prouver que les contributions imposées aux peuples et cités vaincus servaient en temps normal à payer directement les troupes romaines, d’autant plus que l’utilisation finale du produit récolté alors par les exactores de Scipion n’est pas claire dans les sources. Tite-Live précise qu’à l’issue de la mutinerie, Scipion fit verser intégralement les arriérés aux soldats, ce qui impliquerait que l’argent collecté a bien été employé à cet effet105. Cette version est celle que l’on trouve aussi chez Dion Cassius, par l’intermédiaire de Zonaras106. Mais Polybe n’en dit rien, alors que son récit est le plus précis.
39Les deux seules mentions que nous possédons par ailleurs sont relatives aux révoltes ilergètes de 206 et 205. À l’issue de la première,
on exigea seulement le versement de l’argent permettant de payer la solde des soldats (trad. P. Jal, CUF)107.
40L’emploi de praestare avec stipendium est ambigu : il peut signifier « payer », mais aussi « garantir ». Dans ce cas, la contribution imposée à Mandonius serait une indemnité de guerre correspondant au montant de la solde de cette année-là, c’est-à-dire un remboursement au Trésor et non un versement direct aux soldats. Le stipendium duplex de l’année suivante paraîtrait alors plus compréhensible108. Face à la récidive des souverains ilergètes, l’amende est renforcée par un doublement, tandis que viennent s’ajouter d’autres prestations :
… On exigea d’eux cette année-là un stipendium duplex, du blé pour six mois, des manteaux et des toges destinés à l’armée, et l’on reçut des otages d’une trentaine de peuples (trad. P. François, CUF, modifiée)109.
41Le stipendium duplex ne serait donc pas une double solde, mais une indemnité correspondant à deux fois le montant de la solde annuelle110.
42L’attitude qui prévalait de la part des généraux romains était en effet de réclamer des indemnisations de guerre aux peuples vaincus111. Celle exigée de Carthage à la suite de la première guerre punique en constitue l’exemple le plus célèbre112. Dès ses premiers succès en Espagne en 218, Cn. Scipion s’était empressé de procéder ainsi. Le siège d’Atanagrum, capitale des Ilergètes, entraîna le paiement d’une première indemnité, puis celui de l’urbs Ausetanorum, la collection de vingt talents d’argent113. Cette pratique, habituelle, qui procurait d’importantes rentrées au Trésor, fonctionnait comme un remboursement indirect des dépenses engagées pour la guerre. On ne peut tout à fait écarter l’hypothèse qu’en 206, Scipion ait véritablement prélevé sur les populations indigènes l’argent versé ensuite aux soldats. Sans doute les liquidités dont il disposait à l’époque étaient-elles insuffisantes pour couvrir à la fois le règlement des plus anciens arriérés et de la solde de cette année-là. On a vu en effet que les sommes allouées par le sénat au général étaient précisément évaluées à Rome en fonction des besoins courants. Or, en 206, le Trésor ne devait pas pouvoir assurer davantage que la solde annuelle, et encore avec difficultés114. Toutefois, même en admettant ce point de vue, il faut aussitôt reconnaître le caractère incontestablement ponctuel, sinon exceptionnel, d’une telle mesure115. Il ne s’ensuit donc pas que ces prélèvements temporaires aient eu ordinairement pour but, ni au début ni par la suite, de fournir in situ la solde des armées stationnées dans la Péninsule. En revanche, ces contributions extraordinaires tendaient à accroître les revenus de l’État dont dépendait entre autres le versement du stipendium.
43Ainsi, le produit de la guerre et de l’exploitation des provinces ne contribuait pas directement à ce qu’on pourrait appeler une « fiscalité militaire ». Les ressources des provinces d’Espagne étaient principalement dirigées vers Rome où elles venaient grossir l’aerarium, c’est-à-dire l’ensemble des finances publiques. Parmi les dépenses de l’État, l’argent annuellement affecté aux armées d’Espagne occupait une part variable selon les besoins. Il faut donc raisonner à l’échelle de l’empire naissant tout entier : la suspension du tributum en 167 fut la conséquence du butin ramené de Macédoine par Paul-Émile, dont l’impact ne se limita donc pas aux affaires d’Orient. De même, les ressources tirées de la péninsule Ibérique n’étaient pas destinées à financer en priorité les guerres sur place. Ainsi, tout en se faisant le témoin d’une circulation des fonds liés à la guerre durant toute la conquête, les sources ne permettent pas de soutenir l’idée d’une recherche progressive de l’autosuffisance en matière de solde. Au-delà de cette constatation, il reste toutefois à vérifier si l’idée d’un acheminement régulier de l’argent de la solde depuis l’Italie est théoriquement et pratiquement concevable dans le contexte du fonctionnement et de l’évolution de la cité romaine de l’époque.
II. — DES TRANSFERTS DE FONDS DEPUIS ROME
44La forte valeur symbolique de la solde. — La possibilité matérielle du transport. — Une arrivée régulière de numéraire romain en péninsule Ibérique.
45L’envoi régulier de numéraire depuis Rome tout au long de la conquête ne se présente pas d’emblée comme la solution la plus rationnelle. C’est sans doute la raison pour laquelle on a généralement cherché à interpréter la leçon des sources dans le sens d’une « délocalisation » croissante de l’origine des fonds destinés au stipendium, que l’on suppose volontiers aussi souhaitable qu’inévitable. On a vu précédemment que les mentions dispersées des textes n’autorisent pas une telle lecture, pas plus que l’argument e silentio fondé sur la rareté des témoignages attestant précisément des transferts de fonds. Reste pourtant à expliquer pourquoi une évolution de ce type n’est pas apparue nécessaire et pourquoi, dans ce cas, les trouvailles de monnaie romaine en péninsule Ibérique sont aussi peu importantes pour cette période. En effet, si les nombreuses troupes stationnées en Hispania étaient bien payées avec de l’argent provenant de Rome, on s’attendrait à trouver des traces d’un afflux massif de monnaie romaine, ce qui n’est pas le cas avant l’extrême fin du IIe siècle avant J. -C.
LA FORTE VALEUR SYMBOLIQUE DE LA SOLDE
46Est-il concevable d’imaginer que Rome ait pu chercher à importer régulièrement la solde des troupes d’Espagne depuis la métropole plutôt que de la prélever sur place, auprès de villes indigènes qui s’engagent à cette époque dans un processus de monétarisation ? Rappelons avant tout que la solde n’est pas un salaire. Instituée selon la tradition vers 406-396, au moment du siège de Véies116, elle est considérée comme une indemnité destinée à compenser la durée croissante du maintien sous les armes, dans le cadre d’une armée civique fondée sur le principe de l’égalité géométrique117. Or, cette conception demeure celle en vigueur à Rome jusqu’à la fin de la République. Bien démontrée par P. A. Brunt118, la persistance de l’armée de conscription, en dépit du recours croissant au volontariat, implique que la conception du stipendium et, par conséquent, ses caractéristiques (montant, origine) aient, au fond, fort peu évolué entre la fin du IIIe siècle et l’époque de César. Décelable dans une documentation pourtant peu abondante, cette stabilité contribuait à diminuer le poids relatif de la solde dans les ressources du soldat, mais s’accompagnait paradoxalement d’une valorisation symbolique de cette rétribution dont le versement n’a jamais cessé d’être réclamé avec force par les troupes tout au long de la période.
47Le montant exact du stipendium reste une question des plus débattues, dans la mesure où l’obscurité des rares témoignages que nous possédons n’a pas permis de dégager une hypothèse pleinement satisfaisante. Le passage de Polybe qui nous fournit l’information essentielle est, en effet, difficile à interpréter du fait des problèmes de conversion des unités monétaires grecques en unités romaines :
Pour ce qui est de la solde, le fantassin romain reçoit deux oboles par jour, les centurions le double et les cavaliers une drachme (trad. R. Weil, CUF)119.
48De l’immense bibliographie relative à cette question, on peut dégager trois tendances majeures, qui correspondent à autant d’interprétations du rapport à établir entre la drachme polybienne et le denier romain dont la valeur respective est également discutée. Ceux qui admettent que Polybe utilise la drachme attique font correspondre à la solde journalière de 2 oboles pour le fantassin un montant d’1/3 de denier, soit 3 as 1/3 sur la base d’un denier à 10 as120. D’autres privilégient des étalons différents. G. R. Watson admet plutôt une drachme lourde et suggère alors une solde journalière d’1/2 denier, soit 5 as, toujours sur la base d’un denier à 10 as121. Enfin, P. Marchetti a proposé la valeur d’un quart de denier : cet auteur a cherché à montrer que la drachme polybienne vaut en réalité 12as, sur la base d’as onciaux retarifés valant un seizième de denier. Pour lui, 2 oboles équivalent ainsi à 4as onciaux et la solde est donc d’un quart de denier, soit un sesterce122. On le voit, aux difficultés de conversion s’ajoutent les variations des rapports entre la monnaie d’argent et celle de bronze, et en particulier l’épineux problème de la « retarification » du denier, datée du milieu du IIe siècle par la majorité des auteurs, notamment anglo-saxons, mais remontée au moment de la création du denier par P. Marchetti123.
49Il ne s’agit pas ici de chercher à prendre position dans une querelle érudite que l’état du dossier documentaire condamne jusqu’à nouvel ordre à l’impasse124. Retenons seulement certaines objections : d’une part, en dépit de l’ingéniosité des alternatives proposées, il est plus vraisemblable de penser que Polybe sous-entend dans son œuvre l’étalon monétaire le plus connu dans le monde hellénistique, c’est-à-dire la drachme attique125 ; d’autre part, il faut remarquer qu’outre le texte essentiel de Polybe, cette question du montant de la solde dépend étroitement du sens donné au passage des Annales de Tacite relatif à la mutinerie des légions de Pannonie en 14 ap. J. -C.126. La mention par Tacite d’un montant quotidien de 10 as a conduit la majorité des auteurs à considérer que le légionnaire touchait à l’époque 225 deniers par an (soit 10/16x360) et que ce chiffre correspondait forcément à la situation post césarienne puisqu’aucune réforme en ce sens n’est attestée à l’époque augustéenne127. Au fond, c’est ce calcul qui est à l’origine de la plupart des propositions d’interprétation alternative de la drachme polybienne, car celles-ci constituent en réalité autant de tentatives pour faire correspondre le montant de la solde annuelle à l’époque de Polybe avec la moitié de 225, dans la mesure où Suétone précise bien que César doubla la solde légionnaire128. C’est notamment la raison pour laquelle G. R. Watson a privilégié un montant de 5 as sextantaires dès le milieu du IIe siècle. De même, le texte de Tacite oblige P. Marchetti à postuler une hypothétique augmentation de la solde de 4à 5as à l’époque de Marius, pourtant jamais attestée par les sources129. Si l’on accepte l’équivalence d’une drachme et d’un denier, il est certain que le double des 120 deniers annuels de l’époque de Polybe peut difficilement correspondre à un total de 225130 : on obtient plutôt 240 deniers ou bien 150, selon que l’on admet que César a ou non renoncé au maintien du tarif préférentiel qui, selon Pline, fut appliqué à l’armée au moment de la retarification du denier131. Pour résoudre cet obstacle arithmétique, H. Zehnacker, qui pense que César n’a pas modifié la contrepartie officielle du denier en as, a fait remarquer la difficulté de convertir systématiquement les chiffres donnés par les sources en deniers132. Selon lui, la solde polybienne est à comprendre comme 1.200 as et, par conséquent, son doublement comme 2.400 as. Comme les 225deniers de 14ap. J. -C. équivalent alors à 3.600 as, il suppose qu’Auguste a procédé à une nouvelle augmentation, destinée à compenser la perte du taux préférentiel qu’il aurait supprimé133. Pour sa part, H. C. Boren a suggéré, dans le même esprit, une solution différente, mais qui aboutit à la même conclusion : pour cet auteur, c’est le doublement opéré par César qui constituerait en fait la compensation face à la disparition du taux préférentiel, la solde rabaissée à 75 deniers par la dévaluation passant alors à deux fois 75 deniers, c’est-à-dire un stipendium duplex134. Ces deux hypothèses sont séduisantes, car elles fonctionnent sur l’articulation d’unités simples. En revanche, elles impliquent dans les deux cas d’admettre une augmentation de la solde à l’époque d’Auguste, alors qu’une telle mesure n’est jamais attestée dans la documentation. Cette hypothèse est toutefois plus plausible que celle d’une augmentation par Marius, car elle s’inscrirait incontestablement dans le contexte de l’importante réforme de l’armée menée par le fondateur du Principat135.
50Quelle que soit la solution retenue, les difficultés ne manquent pas. En particulier, deux considérations, sur lesquelles nous reviendrons, interfèrent avec les restitutions proposées : d’une part, la périodicité du ou des versements et, d’autre part, le métal dans lequel ils étaient effectués. Ainsi, à une exception, tous les auteurs convertissent, on l’a vu, les as en deniers, alors qu’une telle opération n’est sans doute légitime que pour la période postérieure à la retarification, c’est-à-dire, très probablement, pour la seconde moitié du IIe siècle. De même, l’ensemble des calculs repose systématiquement sur un coefficient multiplicateur de 360 jours, ce qui est loin d’être évident puisque Polybe comme Tacite expriment chacun la valeur de la solde en fonction d’un montant journalier136. Ces incertitudes interdisent, pour le moment, toute conclusion trop ferme quant à la valeur exacte de la solde quotidienne sous la République. Dans le cadre de la présente argumentation, il suffit cependant de remarquer que, évaluée à 3 as 1/3 comme à 4 ou à 5 as onciaux avant l’époque de César, à 6 as 2/3 ou à 10 as par la suite, la solde quotidienne restait de toute façon très inférieure au peu que nous savons du niveau des salaires à la fin de la République : ainsi, selon Cicéron, vers 80 avant notre ère, un manœuvre gagnait 12 as par jour à Rome137. On comprend dès lors que la solde, dans l’esprit de tous, n’était pas considérée avant tout comme un moyen de subsistance138. Ainsi, le maintien d’un très faible montant tout au long de la période traduit moins l’incapacité des dirigeants de la cité sénatoriale à comprendre les difficultés sociales et économiques du soldat, comme le pensait J. Harmand, que la persistance d’une certaine conception de l’armée civique139. De même, P. Marchetti, soucieux de réconcilier son hypothèse d’un montant de 4 as avec le témoignage de Suétone, suggère que Marius, parallèlement à l’accueil des proletarii dans la légion, procéda à une augmentation à 5 as. Outre qu’une telle mesure n’est jamais attestée dans la documentation, il s’agirait d’un progrès bien dérisoire, si l’on accepte l’idée que la hausse aurait été motivée par le fait qu’une partie croissante des soldats se recrutait désormais parmi les couches les plus démunies de la population. Précisément, en doublant le montant de la solde, l’objectif de César n’était pas d’abord économique, mais politique et symbolique140. Il est donc probable que le stipendium ne représentait pas en soi un attrait suffisant, ni même une compensation sérieuse à un service prolongé. Dès la seconde guerre punique, la solde ne constituait plus, si cela avait jamais été le cas141, la ressource principale du soldat, à qui butin et donatiua offraient les véritables sources de profit. En ce sens, comme on a pu le voir au sujet de la mutinerie de 206, la réduction des perspectives de pillage mécontentait les soldats autant, sinon davantage, que l’irrégularité du versement de la solde.
51Il faut donc replacer le problème de la rétribution des soldats dans le contexte du fonctionnement global de la cité romaine où droits et devoirs se répondent à la mesure du statut personnel de chacun. Sans dénier totalement à la solde une fonction économique réelle puisqu’elle permettait sans doute au soldat de se livrer durant son service à de menus achats ou bien, comme ce sera le cas sous l’Empire, de se constituer un pécule avant de retourner à la vie civile, force est de reconnaître qu’elle n’était pas destinée à lui permettre de subvenir à ses besoins au-delà du strict nécessaire. Elle exprimait avant tout son appartenance à la communauté des citoyens. Cette dimension du stipendium nous semble essentielle. Elle implique en effet que l’argent nécessaire au paiement des soldats provienne exclusivement de l’aerarium.
52Un exemple fameux le démontre clairement. Ayant levé de sa propre initiative en 58 et 57 quatre nouvelles légions, venues ainsi s’ajouter aux quatre précédentes qui lui avaient été confiées en 59 par le sénat142, César chercha à obtenir que leur solde fût également payée par l’aerarium143. L’argument employé par Cicéron pour justifier son appui à cette demande est éloquent :
C’est à l’homme que j’ai fait une concession plus qu’à je ne sais quelle nécessité. J’estimais en effet que même sans ces subsides, le butin conquis antérieurement lui permettrait de conserver ses effectifs et de finir la guerre, mais j’ai pensé qu’il ne fallait pas restreindre, par notre lésinerie, l’éclat et la pompe de son triomphe (trad. J. Cousin, CUF)144.
53Bien qu’étranger au contexte ibérique, ce passage indique clairement que, contrairement à Pompée en 75, ce n’est pas le manque de moyens qui a poussé César à faire sa demande : il pouvait se passer des subsides de la République145. Il faut donc chercher sa motivation ailleurs, c’est-à-dire dans le souci de faire officiellement reconnaître le doublement de ses effectifs, en un mot de légitimer son initiative privée. En effet, la rétribution par l’État distinguait le légionnaire du mercenaire : c’est la raison pour laquelle le projet de Caton, en 195, de payer des troupes celtibères provoqua, on l’a vu, des remous dans son entourage, pensant qu’il comptait utiliser les fonds publics à cette fin146. L’aerarium, en fournissant le stipendium, reconnaissait par là le statut de citoyen du soldat. Rappelons à ce sujet que seule la solde des légionnaires était assurée par Rome : la paye des socii était versée par les cités alliées elles-mêmes et sa gestion était l’affaire, non du questeur, mais de leurs propres officiers147.
54Ainsi, la virulence des réclamations d’arriérés, fréquemment à l’origine de tentatives de mutineries, ne traduisait pas d’abord un désespoir économique, mais le souci de voir respecté un droit fondamental du citoyen mobilisé148. Accomplissant son devoir suprême, celui-ci attendait en retour un soutien de la part de l’État, émanation du populus. À l’origine, le stipendium était ainsi significativement alimenté par une contribution extraordinaire, le tributum, qui correspondait concrètement à une participation solidaire des citoyens non-combattants à l’effort de guerre149. La suspension du tributum à partir de 167, à la suite du fabuleux butin ramené par Paul-Émile après la bataille de Pydna, n’a pas altéré ce schéma d’ensemble. Désormais, l’aerarium Saturni, Trésor public du peuple romain, disposait de ressources suffisantes procurées par la conquête. En tant que munus, la guerre impliquait en effet le partage des dangers et des profits éventuels150. Le produit du butin et des contributions des provinces versé à l’aerarium était considéré comme la propriété collective du peuple romain et, à ce titre, son usage en vue du règlement du stipendium ne procédait pas d’un principe différent de celui de la contribution directe. Il s’agissait toujours d’affecter une part des revenus de l’État au financement des armées. Quelle que soit l’origine des fonds, c’est la transition par l’aerarium qui compte. Il est donc très important de souligner qu’à partir de 167, c’est à un financement indirect du stipendium par le produit des guerres de conquête que l’on assiste, et non à une pure et simple substitution d’une fiscalité provinciale à une fiscalité centrale.
55Ce principe général devait souffrir des entorses, mais celles-ci ne suffisent pas à dénier toute rigueur à la fiscalité militaire. Rome a sans conteste cherché à transférer chaque fois que possible les charges imposées par la conquête sur les provinciaux ou sur l’ennemi. Mais, dans le cas précis de la solde, le lien très fort entretenu par celle-ci avec l’aerarium interdisait de prélever directement l’argent auprès des provinciaux eux-mêmes151. Il convient donc de ne pas confondre ressources tirées des provinces et stipendium : les premières alimentaient le Trésor, dans lequel l’État puisait, entre autres, les moyens de financer les guerres. Les revenus de l’Hispania pouvaient ainsi répondre aux besoins d’autres fronts, voire à des dépenses non militaires152. En ce sens, les tentatives pour comparer terme à terme dépenses et recettes relatives à la péninsule Ibérique sont inutiles153 : la fiscalité des guerres d’Espagne, pas plus que celle des autres guerres, ne fonctionnait en circuit fermé. Les exigences liées à la maîtrise de postes budgétaires si variables ainsi que les prérogatives sénatoriales en matière financière n’incitaient donc pas à la décentralisation, en dépit des avantages matériels offerts par celle-ci. Polybe ne dit pas autre chose lorsqu’il insiste dans son livre VI sur l’importance de la question financière dans l’équilibre des pouvoirs entre sénat et magistrats154 : le contrôle de la fiscalité militaire représentait incontestablement pour le sénat l’un des moyens les plus efficaces de conserver la direction de guerres lointaines où l’autonomie croissante des généraux était inévitable et nécessaire155. Pour toutes ces raisons, l’aerarium Saturni devait rester la source logique de la solde légionnaire : gage de la légitimité des armées et de l’autorité de l’État, celle-ci conservait ainsi une valeur symbolique considérable alors même qu’elle représentait une part sans cesse amoindrie des possibilités économiques des soldats156.
LA POSSIBILITÉ MATÉRIELLE DU TRANSPORT
56Les limites techniques du transport dans l’Antiquité constituent un obstacle souvent mis en avant pour minimiser l’existence, voire la possibilité, de transferts de fonds réguliers sur de longues distances157. Calculés théoriquement, les volumes importants de métal nécessaires à l’entretien de l’armée peuvent en effet laisser supposer le recours à des navires de fort tonnage : selon les estimations, une légion coûterait environ de 550.000 à 600.000 deniers par an pour la solde, à l’époque de la seconde guerre punique158. Toutefois, il faut nuancer les difficultés qu’entraînerait l’acheminement d’une telle masse métallique. D’une part, il s’agit là de l’estimation du coût global d’une légion et non du numéraire physiquement transporté. Celui-ci pouvait être considérablement moindre. D’autre part, quand bien même la charge resterait importante, l’augmentation des capacités des navires, amorcée au début de la période hellénistique, se poursuit au milieu du IIe siècle : un tonnage moyen de 150 à 300 tonnes n’était alors pas rare159. En outre, cette charge était forcément répartie en convoi, ne serait-ce que pour limiter les pertes en cas de naufrage : en 217, l’arrivée de P. Scipion en Espagne s’accompagnait ainsi, selon Tite-Live, d’un grand nombre de bateaux de transport160. Enfin, et ce n’est pas l’argument le moins fort, on ne voit pas pourquoi ces transferts de fonds depuis Rome poseraient davantage de problèmes que les fréquents rapatriements de butin régulièrement attestés par les sources et admis, eux, sans discussion par les historiens modernes161. L’époque de la conquête est celle d’une circulation de richesses entre l’Italie et les provinces et, si le coût du transport maritime reste élevé dans l’Antiquité, la valeur intrinsèque de la cargaison contribuait à l’amortir.
57À cela s’ajoute le fait que de tels transferts avaient lieu seulement de façon ponctuelle. Bien qu’évaluée quotidiennement par Polybe dans son livre VI, il est en effet probable que la solde n’a longtemps donné lieu qu’à un unique versement en fin de campagne, le montant global étant alors calculé en multipliant le montant quotidien par le nombre de jours de campagne réellement effectués162. Si, à l’origine, le légionnaire avait besoin d’être physiquement présent à Rome pour recevoir sa solde, ce n’était déjà plus le cas à partir de la seconde guerre punique : tandis que les mutins de 206 réclamaient le paiement intégral des arriérés, Scipion se targuait en revanche de leur avoir toujours versé la totalité des sommes dues chaque année de son commandement163. Cette évolution, qui se poursuit tout au long des siècles suivants, est bien sûr liée à l’allongement de la durée des campagnes comme à l’éloignement des terrains d’opération164. Désormais, le questeur, assisté des tribuns, se chargeait du paiement jadis réservé aux tribuns du Trésor à Rome165. Cette opération donnait sans doute lieu à une cérémonie dont l’incident du Sucro en 206 nous permet d’entrevoir certains aspects :
… Et l’endroit une fois purifié, tous les soldats, appelés chacun nominalement devant les tribuns militaires, prêtèrent serment à P. Scipion, tandis que la solde leur était versée intégralement à l’appel de leur nom (trad. P. Jal, CUF)166.
58Le principe du versement unique ne fait pas toutefois l’unanimité. Sur la foi du témoignage de Varron, qui précise qu’à son époque le versement de la solde se faisait en plusieurs fois, par semestre ou par trimestre167, on pense parfois que la pratique de tels versements multiples aurait pu être introduite dès la fin du IIe siècle, peut-être avec Marius168. Toutefois, la citation de Varron n’est pas exempte d’ambiguïtés ; certains pensent notamment qu’elle ne renvoie pas à une évolution chronologique, mais à deux types de situation différents : si la campagne, débutant le 1er mars, c’est-à-dire au début de l’année, se finissait avant la fin juillet, elle était considérée comme une durée d’une demi-année ; si elle se prolongeait au-delà de cette date, elle était comptée comme une année entière. Dans les deux cas, il n’y aurait bien qu’un seul paiement en fin de campagne169. J. Harmand estime pour sa part qu’il était impossible aux généraux de la fin de la République de ne payer qu’une fois l’an des troupes désormais composées de proletarii170. La faiblesse de cet argument socio-économique en ce qui concerne la solde a toutefois été précédemment soulignée. Par ailleurs, rien dans la documentation relative à l’Hispania ne vient corroborer l’idée d’un double ou triple versement institutionnel. Au contraire, tout se passe comme si le paiement du stipendium était avant tout lié à l’arrêt, définitif ou provisoire, des opérations militaires. En 206, la réclamation des mutins correspondait ainsi à la fin des hostilités et au départ des armées carthaginoises :
Si la guerre était maintenant terminée et leur mission achevée, pourquoi ne retournaient-ils pas en Italie ? On réclamait aussi la solde avec plus d’arrogance qu’il ne convenait aux usages et à la retenue des militaires (trad. P. Jal, CUF)171.
59En 49, César, annonçant leur démobilisation aux soldats pompéiens qui venaient de capituler, entraîna le même type de réaction :
Petreius et Afranius, à qui les légions presque en révolte réclamaient leur solde, disaient que le jour n’était pas encore arrivé ; on demanda que la cause fût portée devant César, et sa décision donna satisfaction à chaque parti (trad. P. Fabre, CUF)172.
60Le vainqueur résolut la question en licenciant un tiers de l’armée sur place et le reste sur le Var. De ce point de vue, solde et licenciement sont ici clairement associés.
61Il ne faut pas en conclure pour autant que la paie était versée aux soldats uniquement au moment de la missio. En fait, elle concluait vraisemblablement chaque campagne et le montant annuel était acquitté en une fois : les allusions faites par Scipion en 206 au paiement de l’intégralité des sommes dues sont donc à interpréter par opposition à la pratique si fréquente des arriérés et non en raison d’une quelconque fragmentation officielle du paiement, jamais clairement attestée173.
62Dans les deux exemples cités précédemment, la réclamation tourne donc autour de l’échéance : les mutins de 206 se plaignaient que la solde n’avait pas été versée au jour fixé (stipendium non datum ad diem iactabatur)174, tandis que les généraux pompéiens arguaient du calendrier pour repousser le versement. Quel était ce « jour fixé » ? Les sources sont bien peu précises à ce sujet. Il est probable que cette date fut variable, peut-être décidée en vertu d’un édit du général lui-même en fonction des circonstances. C’est ainsi que procéda Scipion en 206 lorsqu’il fallut convoquer les mutins :
… Il fit aussi afficher immédiatement un édit en vertu duquel ils devaient venir chercher leur solde à Carthagène (trad. P. Jal, CUF)175.
63C’est également vraisemblablement le sens de la décision réclamée à César en 49 : elle réglait le détail d’une procédure dont le principe était acquis, mais dont l’application restait à définir. Il est toutefois difficile d’imaginer un arbitraire total en la matière. La paie de l’armée correspondait forcément à un moment donné, dont l’édit du général se contentait de préciser les modalités en fonction des circonstances. Puisque le règlement semble intervenir à l’issue de la campagne proprement dite, on peut supposer que, d’une manière générale, le choix du jour destiné à la cérémonie du versement était lié à la prise des quartiers d’hiver, laquelle dépendait du déroulement des opérations. Il est peu probable cependant que le numéraire nécessaire soit parvenu aux armées seulement à ce moment-là : sur le plan pratique, les fonds devaient être acheminés depuis Rome en même temps que le supplementum accompagnant le nouveau gouverneur. Or celui-ci n’arrivait dans sa province qu’au début de la nouvelle campagne d’été. La contradiction n’est qu’apparente puisque le numéraire provenant de Rome n’était pas employé immédiatement à régler la solde. Polybe précise bien en effet que les quatre cents talents confiés à Scipion en 210 étaient toujours dans les caisses de l’armée au moment de la prise de Carthagène176 ; de même, les demandes de subsides de la part de généraux, comme les Scipions en 215, Marcius en 211 ou Pompée en 75 accompagnaient toujours les rapports envoyés au sénat à la fin de la campagne et faisaient ainsi état des besoins pour la suivante. Sur cette base, l’argent envoyé de Rome, censé couvrir les dépenses de l’année à venir, était véritablement versé, en ce qui concerne le stipendium, uniquement à la fin des opérations elles-mêmes et devait être stocké dans l’intervalle, sous la surveillance du questeur177.
64Lourd à gérer du point de vue logistique, le transfert de fonds depuis Rome restait donc annuel, ce qui limitait les inconvénients du système. Cette périodicité était possible en raison du faible rôle de la solde dans le quotidien du légionnaire : il lui suffisait de pouvoir en disposer au moment de la prise des cantonnements d’hiver. D’autre part, il ne faut pas oublier que les chiffres indiqués par Polybe sont des valeurs brutes. L’auteur précise lui-même que le ravitaillement, les vêtements et les armes de rechange étaient déduits du montant global de la solde178. La part de ces déductions est impossible à calculer, mais on convient la plupart du temps de son importance179. Cet élément constitue du reste un argument supplémentaire en faveur d’un versement en fin de campagne : les vivres utilisés, les armes endommagées, les jours effectifs de service, tout cela ne pouvait être comptabilisé qu’après coup et seul le reliquat était versé en numéraire180. Dans les faits, le numéraire effectivement versé pour la solde des légionnaires était donc réduit. Cela relativise la question du volume de métal monnayé employé à cette fin. Par conséquent, si les calculs théoriques permettent d’évaluer approximativement le coût de l’entretien d’une légion, ils ne sauraient en revanche permettre d’en déduire la masse monétaire concrètement transportée vers la péninsule Ibérique afin de payer le stipendium. Elle devait être bien inférieure181. On le voit, techniquement, qualitativement et quantitativement, rien ne s’opposait à ce que l’État romain maintienne l’approvisionnement de ses armées en monnaie au cours de la conquête.
UNE ARRIVÉE RÉGULIÈRE DE NUMÉRAIRE ROMAIN EN PÉNINSULE IBÉRIQUE
65Même si l’hypothèse d’une provenance métropolitaine de la solde était avérée, force est de reconnaître que l’acheminement de cet argent en Hispania a laissé peu de traces sur place. Les numismates ne constatent pas de flux massif de numéraire romain avant l’extrême fin du IIe siècle182. Certains l’expliquent par le fait que le stipendium n’était peut-être pas versé intégralement en espèces au cours du IIe siècle. Toutefois, outre les problèmes qu’elle pose, cette objection ne suffit pas, en soi, à rendre compte de la pauvreté des trouvailles, étant donné l’importance et la permanence des contingents tout au long de cette période. En revanche, il faut rappeler qu’un tel contexte de pénurie, sur le plan archéologique, ne saurait fournir un argument décisif en lui-même, dans la mesure où il dépend étroitement d’un type de documentation, trésors et monnaies de site, qui ne reflète pas forcément de manière représentative l’état de la circulation monétaire à un moment donné183. À cette limite méthodologique s’ajoutent les énormes difficultés de datation qui contribuent aujourd’hui encore à fragiliser les débats numismatiques tout en compliquant l’intégration de ces données, pourtant essentielles, au discours historique184.
66Dans ce contexte, on remarquera que l’étonnement des numismates devant la faiblesse du nombre des pièces romaines dans les trésors datés de la seconde guerre punique et de la première moitié du IIe siècle concerne avant tout le monnayage d’argent185. Comme cette constatation les conduit par conséquent à mettre en doute l’utilisation même des monnaies romaines dans le paiement des troupes186, il nous semble nécessaire d’insister sur un point : à cette époque, les légions étaient-elles payées en argent ? Aussi curieux qu’il puisse paraître, cette question a été peu abordée pour la période républicaine187. On considère souvent que, dès la seconde guerre punique, les armées romaines étaient payées en argent188. Or, l’importance de la création, en plein conflit189, du système du denier traduisait l’inadaptation du système ancien face à la pression fiscale et monétaire imposée par la guerre, mais ne doit pas masquer le fait que, jusqu’au milieu du IIe siècle, la majeure partie des pièces émises à Rome demeurait des as de bronze190. La frappe du denier est alors encore minoritaire191. Tout porte à croire que, jusque vers 150, la solde des armées fut donc toujours payée en bronze192. Rappelons d’ailleurs que son versement a longtemps été assuré par les tribuns du Trésor dont le nom (tribuni aerarii) provenait, d’après le témoignage des juristes et des lexicographes, du fait qu’ils distribuaient à l’origine la solde sous forme d’espèces de bronze193. Par ailleurs, H. Zehnacker a montré que les variations d’unité dans la mention des donatiua chez Tite-Live pour la période 200-167 ne peuvent s’expliquer que si les paiements sont réellement effectués dans le métal correspondant, reflétant ainsi une substitution progressive des deniers aux as en ce domaine au cours de la première moitié du IIe siècle194. Dans la mesure où la dernière mention d’un donatiuum en as correspond au triomphe de Fulvius Flaccus sur les Ligures en 179 (Tite-Live, XL, 59, 2), on comprendrait mal, si cette hypothèse est correcte, que la solde fût déjà réglée en deniers pour l’ensemble de l’armée romaine avant cette date195. Toutefois, la dévaluation progressive de la monnaie de bronze, parallèlement à l’accroissement constant du volume des dépenses militaires, conduisit au remplacement du bronze par l’argent dans la seconde moitié du IIe siècle. On constate en effet à cette époque un arrêt des émissions de bronze et un essor considérable de celles d’argent. Le témoignage de Pline relatif à la retarification du denier, qu’il convient de situer autour de 141 comme on l’a vu, suggère du reste que désormais les soldats romains devaient bien être majoritairement payés en deniers196. Certes, l’unité de compte resta encore longtemps l’as conformément à l’habitude de l’État romain197. Probablement, l’emploi de l’as comme référence du montant quotidien de la solde jusqu’à Auguste reflète avant tout le fait que le taux n’atteignait pas l’équivalence d’un denier et qu’il fallait donc l’exprimer autrement198. En revanche, jusqu’au milieu du IIe siècle, le versement du stipendium devait se faire en bronze, si bien qu’il est absurde de tirer argument de la faiblesse de l’arrivée de l’argent romain dans la Péninsule pour conclure à l’absence d’un règlement de la solde en monnaie romaine.
67Il faut reconnaître toutefois que l’arrivée du bronze romain dans la péninsule Ibérique n’est pas mieux attestée que celle de l’argent199. Certes, les monnaies romaines trouvées dans les camps de Numance sont toutes de bronze, à l’exception d’une seule. Toutefois, même si les pièces les plus récentes sont largement antérieures aux camps eux-mêmes et remontent à 160 au moins200, le contexte de leur trouvaille correspond à un moment (133 av. J. -C.) où l’argent constituait déjà le métal majoritaire pour le paiement du stipendium. Reste que le degré d’usure des pièces et leur antériorité par rapport à la date du siège suggèrent une circulation importante et pourraient traduire la prééminence de ce type de monnaie dans la première moitié du IIe siècle201. Le manque d’intérêt des chercheurs pour le matériel de bronze jusqu’à une date récente contribue sans doute pour une large part à la faiblesse quantitative de la documentation en ce domaine202. Pour la période antérieure au Ier siècle, on dénombre en effet seulement sept trésors contenant de la monnaie de bronze romaine203. Mais il faut avant tout réinsérer cette pénurie dans le contexte général du monde romain dans lequel les trésors de bronze sont rares204. En effet, le bronze n’est pas un métal qui entraîne la thésaurisation : en premier lieu, son frai, c’est-à-dire l’usure des pièces, est supérieur à celui de l’argent, ce qui implique une meilleure conservation du second205. Ensuite, selon la loi de Gresham, la mauvaise monnaie chassant la bonne, l’argent est davantage thésaurisé que le bronze. Celui-ci, plus fragile, circule donc davantage dans le temps tout en étant moins présent dans les trésors. C’est le métal des transactions quotidiennes : les pièces de bronze sont en général des divisionnaires à faible pouvoir libératoire. L’étude des trésors, source principale des tentatives de mesure de la circulation monétaire, tend par conséquent à surreprésenter, d’une certaine façon, le numéraire en métal précieux, en or et surtout en argent. Pour cette raison, il convient de se méfier des relations quantitatives trop strictes établies entre le volume de pièces retrouvées et la quantité de monnaie ayant effectivement circulé. Le hasard des découvertes, les raisons concrètes de la transmission des exemplaires jusqu’à nous n’obéissent pas uniquement aux lois de la statistique.
68Ainsi, il faut tenir compte du fait que la faiblesse des trouvailles concernant les monnaies d’argent et de bronze n’a pas la même cause. Par conséquent, admettre que la monnaie romaine acheminée en péninsule Ibérique dans le but de régler la solde des armées de conquête se composait d’as de bronze jusqu’au milieu du IIe siècle, conformément à ce que l’on sait par ailleurs de l’organisation du monnayage romain de l’époque, permet dès lors de comprendre la rareté des monnaies d’argent retrouvées, sans qu’il s’agisse d’une hypothèse inconciliable avec l’absence de découvertes massives de bronze206. S’il est exact que l’argent ne devait pas arriver en grandes quantités, le bronze, quant à lui, finissait par disparaître de la circulation, soit par l’effet de l’usure, dans la mesure où il servait à régler les menus échanges quotidiens, soit qu’il se trouvât refondu puis refrappé par les indigènes eux-mêmes, soit enfin qu’il fût rapatrié à Rome par les soldats quittant la Péninsule, voire ramené sous forme de butin.
69Dans cette perspective, on ne saurait négliger la spécificité des sites numantins. Le retentissement du siège dans l’historiographie antique permet de les dater avec précision, ce qui leur confère, en matière numismatique, une valeur inestimable par rapport à n’importe quel trésor. Leur représentativité est toutefois discutable. Le pourcentage élevé (67 %) des monnaies romaines parmi les trouvailles du camp III de Renieblas, par exemple, tient peut-être essentiellement à l’isolement du camp. R. C. Knapp, analysant les découvertes effectuées dans les îles Baléares où ce pourcentage est également élevé, remarque qu’Ebusus fait exception et attribue cette singularité à l’existence d’un atelier local implanté depuis longtemps207. Il émet l’hypothèse qu’en ce qui concerne les échanges, un monnayage local était toujours préféré au monnayage romain : ce dernier n’aurait donc été utilisé, du moins au IIe siècle, qu’en l’absence d’émissions indigènes. Autrement, les pièces romaines mises en circulation par les soldats étaient en grande partie refondues, ce qui, à l’échelle de la Péninsule, pourrait en partie expliquer leur rareté dans les trouvailles. Enclaves militaires inhabituellement prolongées en pays ennemi, les camps de Scipion échappaient sans doute provisoirement à cette logique, sans que cela suffise pourtant à laisser des traces massives208. En effet, il a été constaté précédemment que le versement de la solde, après déduction des fournitures, était lié à la clôture de la campagne et aux quartiers d’hiver durant lesquels les possibilités de dépenses étaient plus nombreuses209. Au contraire, le dispositif de 133 appartenait au moment de l’offensive. Il est tout à fait révélateur à ce titre que la majorité des trésors de monnaie romaine de la fin du IIe siècle se concentre dans l’arrière-pays emporitain, sur la côte orientale et dans la vallée du Guadalquivir210. Même si les flux privés, liés aux intérêts italiens qui se multiplient alors dans ces régions, y contribuent sans doute pour une part211, il est probable que les zones concernées correspondent aussi aux cantonnements des armées durant l’hiver212. Les légions de la fin du IIe siècle et du Ier siècle, jusqu’aux guerres civiles des années quarante, étaient donc, selon toute probabilité, payées en deniers romains. L’étude des trésors qui attestent la pénétration croissante de ce numéraire dans la péninsule Ibérique pour cette période ne dément pas cette hypothèse et suggère en tout cas que les provinces d’Espagne étaient alors régulièrement alimentées en numéraire romain213, y compris au cours des guerres civiles214.
70Les difficultés du dossier numismatique exigent ainsi une certaine prudence, à l’heure de chercher à déterminer la relation entretenue par ces flux monétaires avec les armées de conquête. Il est certain qu’une partie de la monnaie romaine retrouvée dans la péninsule Ibérique échappe à la sphère strictement militaire215, même s’il est extrêmement difficile d’expliquer de manière satisfaisante les raisons précises de l’enfouissement des trésors qui constituent notre source privilégiée216. Toutefois, la confrontation de ce panorama monétaire avec ce que les textes nous laissent entrevoir de la nature et du paiement du stipendium incite à penser que les armées romaines employées à la conquête des provinces d’Espagne ont bien été payées en monnaie officielle romaine, transportée depuis l’Italie selon une habitude qui se crée à partir du moment, sans doute dès la fin du IIIe siècle, où ces troupes ne furent plus en mesure de revenir à Rome à chaque fin de campagne pour toucher leur solde. La difficulté à repérer cet approvisionnement régulier de numéraire sur le terrain n’est au fond guère surprenante et ne doit pas, par conséquent, être surestimée dès lors que les trouvailles ne se trouvent pas, comme nous pensons l’avoir montré, en flagrante contradiction avec l’évolution des caractéristiques du paiement des troupes légionnaires à l’époque. Si la monnaie romaine répondait bien aux besoins des armées, il faut dès lors remettre en question l’idée de la création à cette fin d’un monnayage de substitution auquel on a souvent voulu identifier les frappes indigènes.
III. — LA FONCTION DU MONNAYAGE INDIGÈNE
71La question du denier ibérique. — Un monnayage suscité par Rome ? — Le paiement de troupes auxiliaires.
72L’histoire de la péninsule Ibérique est incontestablement marquée, à partir de la seconde moitié du IIIe siècle, par une monétarisation croissante, contemporaine de la présence carthaginoise puis romaine217. La multiplication des travaux consacrés à l’étude des monnaies trouvées dans la péninsule Ibérique a ainsi permis l’identification d’un peu plus de deux cents ateliers indigènes dont la période d’activité est située entre le début du IIe siècle avant J. -C. et le règne de Caligula (voir la carte 7, p. 525, pour la localisation des ateliers antérieurs à César)218. Rapporté à la dizaine d’ateliers connus pour la période précédant la seconde guerre punique, ce chiffre traduit sans équivoque l’importance de la diffusion de la monnaie en Hispania à l’époque de la domination romaine. L’apparition de ces monnayages ne pouvant être regardée comme une coïncidence ou un phénomène marginal, se pose donc la question de leur fonction éventuelle en relation avec l’organisation progressive de l’administration provinciale. Parmi eux, le denier ibérique est celui dont la fonction militaire a été suggérée, en particulier comme moyen de paiement des armées de conquête à la place de la monnaie romaine. La réalité d’une pénurie de numéraire officiel ayant été remise en cause dans les pages qui précèdent, il convient donc d’examiner plus en détail la validité de cette hypothèse avant d’envisager une éventuelle dimension militaire de l’ensemble des émissions péninsulaires.
LA QUESTION DU DENIER IBÉRIQUE
73Le « denier ibérique » est une pièce d’argent à laquelle ses caractéristiques ont valu cette dénomination de la part des numismates modernes. Sa métrologie se rapproche en effet de celle du denier romain tandis que sa provenance et son type (tête d’homme sur l’avers/cavalier au revers et écriture) sont clairement ibériques219. L’équivalence ainsi établie avec la monnaie romaine est l’argument essentiel qui fonde la théorie d’une mise en place de ces émissions par Rome pour son propre usage220. Nombreuses sont pourtant les incertitudes qui pèsent sur l’apparition du denier ibérique, en particulier la date des premières frappes, sur laquelle l’accord des spécialistes ne s’est toujours pas fait. L’établissement de cette chronologie est difficile, car seule la monnaie romaine présente dans les trésors peut servir de critère en la matière. Or, on ne connaît pas de trésors de deniers ibériques avant la fin du IIe siècle, alors même que des trouvailles ponctuelles, comme celle des camps de Numance où figure un denier fourré de Bolskan, prouvent que la frappe du denier ibérique est antérieure à 133221. M. H. Crawford s’appuie sur cette double information pour défendre une datation tardive, autour de 155-154222. L. Villaronga privilégie au contraire l’argument métrologique pour préférer une datation haute, le poids du denier ibérique correspondant à ses yeux à celui du denier romain du début du IIe siècle223. On peut remarquer cependant que les critères techniques n’étant pas considérés comme définitifs en raison de leur fiabilité relative, chacune de ces positions reste en partie dépendante du moment où chacun place la nécessité pour Rome d’employer la nouvelle monnaie pour le financement de ses campagnes militaires224. Comme L. Villaronga pense, nous l’avons vu, que Rome s’est servie des drachmes d’Emporion pour payer ses légions et qu’il place la fin de ces frappes emporitaines au début du IIe siècle, cet auteur y voit un argument essentiel pour confirmer la création du denier ibérique à ce moment précis225. À l’inverse, M. H. Crawford recule l’arrêt des frappes d’Emporion et associe l’essor du denier ibérique au déclenchement des campagnes de la seconde moitié du IIe siècle, moment où le début de guerres d’importance a selon lui créé, à partir de 154, de nouveaux besoins226. On mesure dans ces conditions le risque d’un raisonnement circulaire, surtout si l’on considère qu’il faut écarter l’idée que Rome a suscité l’émergence de la monnaie d’argent de Citérieure pour financer la solde légionnaire des armées de conquête.
74Il semble néanmoins que les données numismatiques vont plutôt dans le sens d’une datation haute. Comme pour la monnaie romaine, le témoignage essentiel des trésors doit en effet être utilisé avec prudence, car il n’atteste au fond que la présence d’un certain nombre de pièces à un moment donné, moment d’ailleurs très difficile, en règle générale, à estimer avec précision. Aussi la représentativité d’un trésor par rapport à l’état de la circulation monétaire dans un cadre géographique et chronologique déterminé est-elle une préoccupation constante des numismates. L’argument e silentio est le plus délicat : l’absence d’un type de monnaie dans un trésor prouve-t-elle l’absence de sa frappe à l’époque ou bien seulement le fait qu’elle ne circulait pas dans la région ? La faiblesse de l’argumentation de M. H. Crawford, qui reconnaît pourtant ces limites227, est de se contenter de l’inexistence de trésors de deniers ibériques pour la plus grande partie du IIe siècle sous prétexte que la frappe des pièces contenues dans les premiers trésors connus ne saurait remonter longtemps avant leur date d’occultation228. Ce n’est pas l’avis de L. Villaronga qui estime notamment que les deniers de Kese, Iltirtasalirban et Auseken présents dans ces trésors témoignent par leur typologie et leur degré d’usure d’une circulation résiduelle issue de frappes remontant à la première moitié du IIe siècle229. L’analyse systématique des pièces, issues aussi bien des trésors que des trouvailles casuelles, lui permet ainsi de proposer une évolution plus contrastée de ces émissions en distinguant plusieurs phases dans l’évolution du monnayage. Si les fourchettes chronologiques proposées peuvent toujours être discutées dans le détail, compte tenu de la marge inévitable d’incertitude en ce domaine, le schéma global peut être retenu230. Même si les émissions initiales peuvent être vraisemblablement rabaissées de quelques décennies, on peut tenir pour possible l’apparition du denier ibérique dans la première moitié du IIe siècle, entre 195 et 154231.
75La préférence accordée à cette chronologie haute nous conduit paradoxalement à rejeter l’interprétation qu’en donne son principal défenseur : en effet, les deniers ibériques n’ont pu servir à payer les légions romaines, puisque leur frappe débute à une époque où celles-ci étaient, comme on l’a vu, payées en bronze232. Par ailleurs, les arguments quantitatifs reposant sur le volume des émissions, avancés par L. Villaronga, nous semblent irrecevables, pour les mêmes raisons que dans le cas des drachmes d’Emporion233. À cela s’ajoutent d’autres éléments. L’essentiel des frappes du denier ibérique est ainsi concentré dans l’intérieur des terres (carte 8) et son aire de circulation y est restreinte : il ne semble avoir pénétré ni la Catalogne, ni l’Andalousie234. Les seules émissions attribuables au littoral catalan sont celles d’Ausesken et de Kese, mais elles sont très faibles et peu claires235.
76Pour ce que l’on en sait, le denier ibérique aurait donc surtout circulé localement, à proximité de son lieu de frappe. M. H. Crawford y voit curieusement un argument supplémentaire en faveur de son emploi par les légions : selon lui, les soldats romains utilisaient cette monnaie pour acheter des fournitures dans les zones où cette monnaie était émise236. Cependant, outre le fait que rien ne prouve que les soldats en campagne aient eu besoin de numéraire pour leurs besoins individuels, il est au contraire plus probable, comme on l’a vu précédemment, qu’ils ne disposaient de leur solde qu’au moment des quartiers d’hiver. Si celle-ci leur était versée en monnaie indigène, on pourrait s’attendre à la retrouver localisée moins systématiquement dans l’intérieur de la Péninsule. Certes, les trouvailles du Haut-Guadalquivir ont été mises en relation par L. Villaronga avec des cantonnements de l’armée romaine à l’époque des guerres lusitaniennes, mais les preuves font défaut et les trésors de cette région font plutôt figure d’exceptions237.
77Si les éléments en faveur d’un emploi par l’armée romaine du denier ibérique ne sont guère concluants, il est en revanche révélateur que ce monnayage ait connu un développement important durant la guerre de Sertorius, où il a selon toute probabilité servi au financement des troupes du général rebelle. Les trésors datables de la période 82-72 suggèrent un essor considérable de certaines frappes pour cette période, en particulier celles des ateliers de Bolskan et de Sekobirikes238. Cette spécialisation suffit à prouver qu’il s’agissait d’un monnayage purement indigène, ce que Plutarque exprime du reste assez nettement :
Une autre preuve de cette grandeur d’âme, c’est que, tout en employant les armes, l’argent et les villes des Espagnols, il ne leur céda jamais, même en paroles, l’autorité suprême (trad. R. Flacelière, CUF)239.
78Si l’habitude antérieure avait été de se servir du numéraire ibérique pour payer les troupes romaines, cet éloge de Sertorius n’aurait pas de raison d’être. Il est assez logique par conséquent de voir disparaître la frappe du denier ibérique passé l’épisode sertorien : les trésors datables des guerres civiles entre Césariens et Pompéiens se composent en effet exclusivement de deniers romains, suggérant la disparition du denier ibérique de la circulation240. L’arrêt de sa production est à interpréter avant tout en fonction de sa dimension politique plus qu’en raison de son éventuel remplacement progressif par un numéraire d’argent romain qui, comme on l’a vu, arrivait déjà en abondance dans la Péninsule depuis la fin du IIe siècle. Il paraît clair, en effet, que le denier ibérique fut largement identifié à la cause sertorienne et que la défaite de celle-ci entraîna sa disparition241. Plus généralement, il faut replacer cette évolution dans le cadre de l’accélération du processus de romanisation succédant aux guerres civiles du milieu du Ier siècle : alors que l’on voit encore apparaître certaines frappes indigènes entre la fin des guerres sertoriennes et la mort de César, en revanche, après 44, seule la monnaie romaine semble désormais circuler242.
79Tout cela paraît renforcer l’idée que le denier ibérique ne s’est jamais substitué à la monnaie officielle d’argent de Rome, surtout si l’on se souvient que les caractéristiques du stipendium exposées précédemment rendent fort peu vraisemblable l’usage d’un monnayage indigène à cette fin. Il est important de remarquer à ce sujet que l’accord d’un certain nombre d’auteurs autour d’un paiement de la légion en monnaie indigène repose en grande partie sur une transposition du modèle élaboré pour la Grèce par A. Giovannini. Cet auteur suppose en effet que Rome paya les légions combattant en Grèce en monnaie grecque243. Il convient non seulement de se demander dans quelle mesure cette hypothèse est susceptible d’être transposée dans la péninsule Ibérique de la conquête mais également si elle est tout simplement juste. En effet, R. C. Knapp la rejette au motif que la tradition monétaire de l’Hispania ne pouvait être comparée à celle du monde grec244. Il faut aller plus loin. On peut ainsi ajouter que le raisonnement d’A. Giovannini s’articule essentiellement autour de deux arguments : d’une part, le constat de l’absence de circulation de toute monnaie d’argent romaine en Grèce avant l’époque impériale245 et, d’autre part, le fait que, jusqu’à la fin du IIIe siècle et la création du denier, le système monétaire romain séparait radicalement l’emploi du bronze et de l’argent246. Le lien entre ces deux constatations est assuré par son hypothèse principale : selon lui, lorsque Rome commença à éprouver le besoin de frapper une monnaie d’argent à partir de 269, elle en réserva l’usage aux besoins extérieurs, identifiés par l’auteur au financement « des campagnes militaires dans les régions où la monnaie d’argent était le moyen d’échange habituel », tandis que le bronze servait à la circulation intérieure247. Ainsi, les troupes envoyées en Illyrie et en Grèce dès la fin du IIIe siècle auraient été payées en argent monnayé à la grecque, puis frappé en Grèce même pour le compte de Rome.
80Cette hypothèse se heurte selon nous à une difficulté. Elle suppose d’accepter que toutes les légions romaines n’étaient pas toujours payées dans le même métal au même moment, ce qui paraît peu probable248. La fonction attribuée à la monnaie d’argent dans le système monétaire romain est ici en cause. Si l’on accepte plutôt une autre hypothèse, qui consiste à séparer l’organisation progressive du monnayage d’argent de la fiscalité publique romaine stricto sensu jusqu’au milieu du IIe siècle, le paradoxe s’atténue. Plus que l’improbable distinction intérieur/extérieur au sein du budget de l’État romain proposée par A. Giovannini, l’emploi parallèle du bronze et de l’argent reflétait peut-être davantage un fonctionnement étanche entre la fiscalité publique, fondée sur le bronze, et la pratique privée, employant l’argent de façon croissante. On sait ainsi que les guerres d’Illyrie du IIIe siècle sont largement causées parles plaintes des marchands italiens soumis à la pression de la piraterie illyrienne et il est légitime de penser que leurs transactions commerciales privées se faisaient sur la base d’une monnaie d’argent couramment utilisée dans les régions concernées par leur négoce249. La création du système-denier en 211 sanctionnait quant à lui une grave crise du système-bronze dans les finances publiques, amorçant ainsi l’évolution qui allait conduire progressivement à l’hégémonie du premier dans la seconde moitié du IIe siècle. Ainsi, l’absence de monnaie d’argent romaine en Grèce au IIe siècle pourrait tout aussi bien correspondre avant tout à un phénomène de refonte qui aurait conduit le denier romain, mis en circulation par les flux commerciaux, à être régulièrement absorbé par des monnayages grecs anciens et vigoureux. Comment du reste aurait-il pu en être autrement dans le contexte d’une liberté accordée par Rome et assumée par des cités jalouses de leur passé prestigieux ? Dans ce cas, il n’y a donc plus lieu de s’étonner que l’argent grec de cette époque ne porte pas la mention ROMA puisqu’il ne s’agissait en aucune façon d’une frappe effectuée pour le compte de Rome et destinée au stipendium250. Que Rome n’ait pas cherché à imposer sa monnaie à la Grèce est un fait certain. De là à en déduire, comme le fait A. Giovannini, qu’elle aurait indifféremment utilisé sa propre monnaie et celle des cités grecques dans le financement de ses guerres, il y a un pas qu’il faut éviter de franchir et d’appliquer ensuite mécaniquement à d’autres provinces de l’Empire251.
81Les caractéristiques des émissions du denier ibérique, pas plus que les habitudes de Rome en matière d’organisation monétaire provinciale, ne permettent donc d’affirmer que l’essor de ce monnayage, spécifique à tous égards, traduisait une volonté unilatérale de la métropole de délocaliser la production monétaire nécessaire à l’effort de conquête. Plus généralement, rien n’autorise à penser que l’ensemble des émissions indigènes ait d’ailleurs répondu à une impulsion donnée par l’autorité romaine.
UN MONNAYAGE SUSCITÉ PAR ROME ?
82L’effort déployé par les numismates pour établir une typologie des frappes indigènes depuis la seconde guerre punique a mis en évidence l’absence d’uniformité du paysage monétaire de la péninsule Ibérique tout au long de la conquête romaine. En premier lieu, le développement d’émissions de monnaies, d’argent comme de bronze, ne concerna pas l’intégralité du territoire. Les ateliers qu’il a été possible d’identifier avec un certain degré de certitude se concentrent en effet essentiellement dans deux régions (carte 7, p. 525)252 : le Nord-Est (Catalogne et vallée de l’Èbre) et le Sud (Andalousie), tandis que de nombreux peuples de la Péninsule sont restés totalement à l’écart du phénomène y compris jusque sous l’Empire : c’est le cas par exemple des Lusitaniens, des Callaïques, des Vettons, des Cantabres, des Astures ou des Vaccéens253. La frange littorale orientale, en particulier la côte levantine, forme un ensemble intermédiaire, comprenant un nombre d’ateliers réduit, aux émissions sporadiques254. Il est clair que les deux aires de plus forte densité correspondent aux zones les plus anciennement et les mieux contrôlées par le pouvoir romain. Ce sont aussi et surtout celles qui ont le plus été traversées par les différentes influences méditerranéennes (phénicienne, grecque, puis carthaginoise) qui, depuis le Ve siècle, ont contribué à y répandre l’usage de la monnaie. La main de Rome est par conséquent plus délicate à reconnaître que ne le laisserait supposer cette coïncidence avec les noyaux territoriaux de son implantation, d’autant plus que les phases de progression de la conquête ne ressortent pas nettement de l’évolution de ces monnayages.
83En effet, pour autant que les nombreuses difficultés de datation et d’attribution nous le laissent entrevoir, il ne semble pas que cette répartition géographique ait subi d’importantes modifications au cours de la période tardo-républicaine. Les régions dépourvues de frappes locales au IIe siècle le sont toujours à la fin du Ier, si bien qu’il est difficile de supposer que l’intégration de nouveaux territoires au domaine romain ait pu systématiquement entraîner la promotion de frappes indigènes255. À ce sujet, il est important de constater que certaines des cités qui ont constitué les points d’appui essentiels de l’avancée romaine ne semblent pas avoir développé d’émissions propres, comme c’est le cas des grandes villes romanisées du sud de la Péninsule : ni Hispalis, ni Carthagène ne peuvent être mises en relation avec un atelier, pas plus qu’Italica, un centre moins important cependant256. Cela ne signifie pas que ces villes aient pour autant ignoré l’usage de la monnaie, puisqu’une circulation de numéraire parfois importante y est attestée. Ce phénomène suggère qu’il convient de distinguer soigneusement frappe et emploi de la monnaie et permet de moduler la signification à attribuer à l’existence d’un atelier monétaire. Ainsi, la majorité des émissions indigènes furent frappées par des communautés dont elles constituent paradoxalement la seule trace257.
84D’autre part, un modèle uniforme est impossible à mettre en évidence pour l’ensemble de la Péninsule, contrairement à ce que l’on aurait attendu dans le cas d’une rationalisation du système monétaire par Rome. En particulier, chacune des deux provinces possède son identité. Ainsi, le denier ibérique est émis seulement en Citérieure où apparaissent par ailleurs les émissions d’argent, tandis qu’en Ultérieure, seul le bronze est frappé258. Certes, il n’est pas impossible que Rome ait eu tendance, dès l’origine, à traiter la Citérieure et l’Ultérieure comme deux provinces distinctes où les formules privilégiées auraient par conséquent pu être opposées. M. P. García-Bellido interprète de la sorte la grande homogénéité du monnayage de Citérieure : signe d’une politique délibérée de la part de Rome, elle suggérerait la volonté d’organiser sur des bases différentes les systèmes fiscaux de chaque province dans la mesure où l’exploitation des mines d’argent de la Sierra Morena aurait imposé à l’État romain la nécessité de prohiber la frappe de l’argent en Ultérieure259. Cette hypothèse oblige toutefois à admettre deux postulats contestables : d’une part, que la similarité des types monétaires de Citérieure traduit forcément l’intervention du pouvoir central, alors qu’elle peut tout aussi bien être seulement le produit d’un référent culturel260, d’autant plus que, dans le détail, l’uniformité des types doit être nuancée261 ; d’autre part, que l’exploitation des mines d’argent d’Ultérieure, et notamment de Carthagène, impliquait de facto la monopolisation de la matière première et de sa commercialisation par l’État romain. Au contraire, tout semble indiquer que l’argent, en dépit de sa valeur, n’était pas soumis à un régime différent des autres métaux, d’autant plus que le système d’affermage, qu’on s’accorde à reconnaître comme la solution privilégiée par Rome, laissait justement contre redevance la propriété de la production à l’exploitant et, par conséquent, assurait la liberté du marché de ce métal précieux262. On voit mal par ailleurs comment les cités émettrices de Citérieure auraient pu autrement se procurer le métal nécessaire à leurs frappes, même s’il est certain que l’État romain n’exploitait pas la totalité des mines argentifères de la Péninsule263. L’absence généralisée de frappes d’argent en Ultérieure a dû avoir d’autres causes que la volonté du pouvoir romain264.
85Dès lors, la mise en relation exclusive, pourtant couramment admise, de l’apparition de ces monnayages indigènes avec l’organisation d’une fiscalité provinciale devient difficile et procède largement de la tentation de faire coïncider les charnières essentielles de la conquête (expulsion des Carthaginois en 206, campagne de Caton en 195, mesures de Gracchus en 179, anéantissement de Numance en 133) avec autant d’étapes décisives d’une organisation administrative par ailleurs mal attestée265. La création des provinces d’Ultérieure et de Citérieure à partir de 197, comme toute transformation d’un territoire conquis en province, paraît impliquer, on l’a vu, une dimension fiscale incontestable. Même sans aller jusqu’à nier l’existence d’une imposition régulière, comme cela a été fait récemment, il faut toutefois reconnaître que la documentation, focalisée sur l’aspect militaire de la conquête, fournit peu d’indices probants d’une telle évolution266. Aussi, la forme prise par les redevances vraisemblablement dues par les communautés passées sous hégémonie romaine se laisse-t-elle difficilement appréhender. Sans doute ne faut-il pas imaginer qu’elles étaient toutes exigées en numéraire, ce qui expliquerait que certaines zones de la Péninsule soient restées longtemps à l’écart du phénomène monétaire267. La chose n’aurait rien d’extraordinaire, la souplesse des solutions adoptées par Rome dans la gestion de ses provinces étant une chose fréquemment admise268. Il suffisait au fond que la reconnaissance de son autorité fût matérialisée d’une manière ou d’une autre. Chaque communauté devait alors s’acquitter de ses obligations en fonction de la tradition qui était la sienne en matière d’accumulation de richesses. Si cette tradition comprenait l’usage de la monnaie, celle-ci a pu servir à payer l’impôt269. Cette hypothèse, tout en tenant compte de l’hétérogénéité du paysage péninsulaire, ne suppose pas toutefois que l’ensemble des émissions monétaires ait eu une fonction fiscale. En particulier, l’exclusivité du bronze d’Ultérieure s’y prête difficilement. Il est possible néanmoins que la multiplication de ces petites dénominations indigènes ait eu en grande partie pour but de servir de change à une monnaie d’argent romaine déjà bien présente dans cette province depuis le milieu du IIe siècle270. Dans ce cas, l’acquisition de deniers romains par le biais des échanges aurait pu fournir un stock suffisant aux cités contribuables indigènes pour le règlement de l’impôt271. Malheureusement, la question demeure obscurcie par les nombreuses incertitudes de datation et d’identification des différentes émissions. Quoi qu’il en soit, il faut renoncer de toute façon à affecter une fonction unique à un monnayage indigène dont, par ailleurs, les conquérants ne contrôlaient vraisemblablement pas l’apparition. Il n’est guère probable en effet que Rome ait jamais eu la volonté ni même les moyens de susciter pour son propre usage l’émergence d’ateliers locaux272.
86L’hétérogénéité de la production monétaire qui se développe dans les provinces d’Espagne à partir de la fin du IIIe siècle souligne la complexité du phénomène de monétarisation qui affecte alors la Péninsule et qu’on ne saurait réduire à une explication unilatérale. Outre que ses caractéristiques ne traduisent pas clairement une réponse à une demande fiscale, et même à supposer un projet d’autofinancement dont le peu de vraisemblance a été souligné précédemment, une telle configuration rend donc d’autant plus improbable le drainage de numéraire indigène par l’autorité romaine en vue du paiement du stipendium des légions. Toutefois, un certain nombre d’éléments suggèrent que, parmi tous les motifs envisageables pour rendre compte du développement de ces frappes, la dimension militaire n’est pas à écarter totalement.
LE PAIEMENT DE TROUPES AUXILIAIRES
87La mobilisation des ressources propres à la Péninsule dans l’effort de conquête incluait la fourniture de compléments en soldats à l’armée romaine, ainsi qu’il ressort du contenu des traités gracchiens273. Cette pratique reprenait le principe appliqué jadis lors de la conquête de l’Italie et la mise en place progressive de la formula togatorum274. L’information concernant l’Hispania est malheureusement insuffisante pour déterminer si le recrutement de troupes auxiliaires avait pris dans la province un tour aussi systématique275. Il est plus probable cependant que ces levées se faisaient au gré des besoins de chaque général, en fonction du théâtre où se déroulaient les opérations militaires276. Dans la mesure où l’on sait qu’avant la Guerre sociale, Rome ne fournissait pas la solde des socii italiens, laquelle était à charge des cités italiennes elles-mêmes277, il est tentant d’imaginer un fonctionnement similaire dans le cas des auxiliaires hispaniques, même si la question de leur paie est très obscure en raison des lacunes de la documentation278.
88De ce point de vue, la distribution chronologique et géographique du denier ibérique peut contribuer, nous semble-t-il, à éclairer la question. Les trouvailles de trésors comme les localisations d’ateliers identifiés se concentrent en effet essentiellement dans l’intérieur des terres (carte 8, p. 529), le long de la vallée de l’Èbre où se déroula la majeure partie de la progression romaine au cours du IIe siècle279. Or, si l’on cesse de ne s’intéresser qu’à la date exacte de création de ce monnayage pour se tourner plutôt vers une simple estimation de la période au cours de laquelle sa production semble avoir connu son apogée, on constate que c’est dans la seconde moitié du IIe siècle que l’apparition d’ateliers comme le volume des émissions paraissent s’accélérer : on estime ainsi à environ 199 puis 1.159 le nombre de coins utilisés entre les années 150 et le tournant du siècle, contre 109 pour le début du IIe siècle et 428 pour le premier tiers du Ier siècle, qui inclut l’épisode sertorien au cours duquel la frappe du denier ibérique a connu en quelques années un essor spectaculaire280. Bien entendu, ces chiffres sont à manier avec précaution, car ils reposent sur l’élaboration de modèles mathématiques à partir d’estimations du nombre originel de coins281. Ils ont l’avantage, toutefois, de fournir des ordres de grandeur relatifs utilisables. En détachant nettement les années 150-100, ces conclusions suggèrent une coïncidence entre l’augmentation des émissions de deniers ibériques et la conquête de la Celtibérie ainsi que de la haute et moyenne vallée de l’Èbre, pendant laquelle l’emploi de troupes auxiliaires augmenta probablement282. Il est dès lors tentant de supposer qu’il s’agit d’un monnayage employé en partie par les cités indigènes elles-mêmes pour payer les soldats employés par Rome comme auxiliaires283, d’autant plus que l’absence de régularité des émissions pourrait correspondre à la rotation des levées284.
89La localisation des ateliers connus va dans le même sens (carte 8, p. 529). Vers le milieu du IIe siècle, apparaissent Sesars et Bolskan en Suessétanie ainsi que Sekaisa, Konterbia et Arekoratas/Arekorata en Celtibérie ; Ikalkusken/Ikalesken, dans la région de Cuenca, constitue pour sa part la continuité d’une première émission de la période précédente285. Les frappes se multiplient ensuite et viennent s’ajouter aux précédentes : en Suessétanie, Belikiom et Sekia, en Celtibérie, Sekobirikes. De même, on date de cette époque les émissions de Kelse en Sédétanie. Les Vascons émettent alors également des deniers dans toute une série d’ateliers : Baskunes, Bentian, Arsaos, Turiasu286. Or, on peut, semble-t-il, rapprocher ces ateliers des régions de la Péninsule qui, d’après les textes, ont régulièrement fourni des auxiliaires aux Romains. Dès 195, Caton utilisa ainsi les services des Suessétans, profitant de leur rivalité traditionnelle, contre les Lacétans287, tandis que le recours à des contingents celtibères est régulièrement attesté durant les guerres de la seconde moitié du IIe siècle, et notamment pendant la guerre numantine288. Appien rapporte ainsi qu’en 154 Nobilior sollicita l’aide des peuples voisins de Numance, que Marcellus reçut l’année suivante cent cavaliers de la part d’Ocilis et que son successeur Lucullus réclama des cavaliers à Cauca289. Enfin, on estime en général que 30 à 40.000 hommes sur les 60.000 qui composaient l’armée de Scipion en 133 contre Numance furent fournis par les peuples et cités alentour290.
90Il est difficile d’être plus précis, car les sources littéraires nous donnent peu de détails concernant les zones de recrutement des auxiliaires : Tite-Live se montre ainsi très vague au sujet des levées effectuées par Fulvius Flaccus en 181 pour faire face à une grave rébellion en Citérieure291. Mais la vallée de l’Èbre, en raison de la précocité de l’implantation romaine, semble être incontestablement restée une région privilégiée de ce point de vue292, et ce jusqu’au début du Ier siècle, si l’on en croit le bronze d’Ascoli qui livre pour cette période les noms de trente cavaliers de la turma Salluitana293. Après avoir été très débattu294, le nom de cette unité est aujourd’hui interprété de préférence comme une référence à la cité de Salduie, future Caesaraugusta, dont les quatre premiers cavaliers (Sanibelser, Ilurtibas, Estopeles et Torsino) pourraient être originaires, puisque ce sont les seuls qui ne sont pas précédés d’un ethnonyme295. Les suivants sont en effets regroupés en neuf groupes ethniques : Bagarenses, […] licences, Ilerdenses, Begenses, Segienses, Ennegenses, Libenses, Suconsenses et Iluersenses. Tous ces peuples ne sont pas identifiés avec certitude, mais tous appartiennent sans aucun doute à la zone comprise entre les Pyrénées centrales et le cours moyen de l’Èbre, si bien qu’il est probable que Salduie ait servi de centre de recrutement pour toute la région, du moins au début de l’année 90296. Outre les Sédétans de Salduie et les Ilergètes d’Ilerda, on retrouve peut-être représentés les Vascons de Segia297. La convergence avec les zones de frappe du denier ibérique est remarquable, d’autant plus que les trésors composés exclusivement de cette monnaie sont également concentrés en Aragon, en Navarre et dans la Meseta : tout se passe comme si l’essor du denier ibérique avait correspondu à un moment de demande accrue de Rome en matière de troupes auxiliaires auprès des peuples limitrophes des théâtres d’opération. On ne saurait toutefois en inférer les formes que prenait ce recrutement298.
91La correspondance établie entre le développement des émissions de deniers ibériques et un système de rémunération de troupes auxiliaires ne présente, faute de documentation suffisante, aucun caractère strict. Il est peu probable qu’elle traduise la mise en place d’un système de stipendium à destination de ces contingents dont la levée ne devait pas se faire sur une base régulière. En revanche, elle suggère que les monnayages indigènes ont pu servir entre autres, dans les régions où ce cas de figure existait, à payer des soldats indigènes299. Cette hypothèse renforce ainsi la nécessité d’envisager leur apparition et leur usage dans une perspective plurifonctionnelle, à la mesure de la vitalité et de la diversité des sociétés péninsulaires préromaines. La documentation est toutefois trop lacunaire pour permettre de le vérifier pleinement.
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92La conquête de la péninsule Ibérique par les armées romaines au cours des iie et Ier siècles av. J. -C. n’a pas engendré de nouvelles pratiques en matière de financement de la solde. On considère généralement que celui-ci a reposé dès la seconde guerre punique sur une exploitation systématique des ressources provinciales sur place, progressivement régularisée par la mise en place d’un système fiscal dont les secousses provoquées par les troubles (révoltes des provinces, guerres civiles) entraînaient la suspension et imposaient des retours ponctuels à une prise en charge problématique depuis la métropole. Ce schéma doit être en réalité inversé. En raison de la nature du stipendium et de la faible part qu’il occupait dans la subsistance du légionnaire, le sénat n’avait pas besoin de favoriser la délocalisation de son approvisionnement dont il avait tout intérêt, au contraire, à conserver le contrôle. Ainsi, le montant de la solde a-t-il bien été acheminé régulièrement vers les provinces d’Espagne. Le recours à d’autres solutions resta marginal et doit être compris comme l’exception et non comme la règle, même s’il faut reconnaître que l’implication importante de la péninsule Ibérique dans les guerres civiles du Ier siècle multiplia à ce moment les difficultés pour assurer la fourniture normale du stipendium et contribua alors à développer de nouvelles pratiques. Ainsi, l’essor spectaculaire des monnayages locaux à partir du début du IIe siècle ne répondit pas au besoin de payer les troupes romaines : ni la nature de la solde, ni les caractéristiques des monnaies indigènes ne permettent d’envisager une telle hypothèse. En revanche, il est possible que certaines de ces frappes, notamment celle du denier ibérique, puissent être mises en relation avec le développement du recrutement auxiliaire.
Notes de bas de page
1 On trouvera le meilleur état de la question dans T. Ñaco del Hoyo, Vectigal incertum, notamment pp. 127-193 et 215-221, qui présente, pour finalement les rejeter, les différentes hypothèses concernant la création d’un système fiscal régulier dans les provinces ibériques. En effet, selon cet auteur, Rome n’aurait mis en place aucun système de ce type avant Auguste et les prélèvements antérieurs correspondaient seulement à des réquisitions effectuées en fonction des besoins des armées présentes sur place. Les principaux arguments de ce travail majeur ont été synthétisés et prolongés depuis dans Id., « Vectigal incertum. Guerra y fiscalidad republicana en el siglo II a. de C. », pp. 377-381 et 387-394.
2 J. S. Richardson, Hispaniae, pp. 58, 74 et surtout 122-123 : « The stipendium collected by Roman commanders in Spain from 218 down to 180 was payment for the Roman troops serving there. » Même idée développée par l’auteur dans « The Spanish Mines and the Development of Provincial Taxation », pp. 147-149, et dans The Romans in Spain, pp. 37, 74et notamment p. 80 : « the institutions of the taxation system had emerged from the need to supply the army with food and money ». Voir aussi : W. Dahlheim, Gewalt und Herrschaft, p. 104 ; J. Muñiz Coello, El sistema fiscal en la España romana, pp. 83-90 ; C. González Román, « Imperialismo, ejército ycirculación de riqueza en la Península Ibérica », p. 83.
3 Tite-Live, XXIII, 48, 4 : sed pecuniam in stipendium uestimentaque et frumentum exercitui et sociis naualibus omnia deesse. Quod ad stipendium attineat, si aerarium inops sit, se aliquam rationem inituros quomodo ab Hispanis sumatur ; cetera utique ab Roma mittenda esse : nec aliteraut exercitum aut prouinciam teneri posse.
4 L. Villaronga, « Uso de la ceca de Emporion por los romanos », pp. 209-214 ; cette idée d’un paiement des troupes romaines a été généralement acceptée, même si on considère souvent qu’il s’agit d’une cause parmi d’autres de l’essor de ce monnayage, et pas nécessairement la principale : M. Campo Díaz, « Els inicis de la conquesta d’Hispania. La moneda i el finançament de l’exèrcit romà », p. 13 ; Ead., « Les primeres monedes dels ibers. El cas de les imitacions d’Emporion », pp. 38-39 ; E. García Riaza, « La financiación de los ejércitos en época romano-republicana », p. 42.
5 P. Marchetti, Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, p. 385 ; M. H. Crawford, Coinage and Money underthe Roman Republic, p. 87 ; L. Villaronga, Numismática antigua de Hispania, pp. 110-111.
6 P. Marchetti, Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, p. 373 ; L. Villaronga, Numismática antigua de Hispania, p. 111.
7 L. Villaronga, « Uso de la ceca de Emporion por los romanos », pp. 209-214 ; RRC, p. 633 ; ce calcul est effectué sur la base d’un coin de droit pour 30.000 monnaies et sur la base d’un coût annuel de 600.000 deniers pour une légion.
8 Idée reprise encore récemment dans L. Villaronga, « La péninsule Ibérique », p. 54 : « La similitude de la masse des émissions carthaginoises frappées entre 221-215 av. J. -C. (59,1 coins/deniers-an) et 215-206 av. J. -C. (31,6) avec celle des Romains de 218-206 av. J. -C. (43,9) nous fait penser que l’atelier d’Emporion a émis ses drachmes pour financer l’armée romaine en péninsule Ibérique. » Le coin/denier est l’unité de mesure de la production de monnaies pouvant être effectuée par un coin de droit. Elle est admise ici par l’auteur à 20.000 deniers.
9 Il suffit de rappeler qu’outre les inégalités d’effectifs entre les deux armées, leur structure est différente : les Carthaginois emploient massivement des mercenaires (Polybe, VI, 52, 5 ; Diodore, XXIX, 6), ce qui n’est pas le cas de Rome. Ainsi, A. Burnett, La numismatique romaine, p. 19, signale qu’au cours du premier conflit romano-punique la quantité de métal précieux émis par Carthage est estimée à environ 70 fois celle de Rome ; de même, les frappes romaines restèrent longtemps moins abondantes que celles des principaux ateliers monétaires du sud de l’Italie, Naples et Tarente. A. Burnett explique cette différence par le fait que les monnaies de ces cités du sud servaient à payer des mercenaires.
10 P. Marchetti, Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, p. 384, va jusqu’à supposer que les deux frères, en encourageant le victoriat de Sagonte à partir de 212, ont tenté de recréer en Espagne les conditions de circulation monétaire de l’Italie, où avaient court des deniers et des victoriats, tandis que le développement des divisionnaires d’argent d’Emporion aurait eu pour but de pallier la pénurie de bronze, un dixième de drachme équivalant alors à un as sextantaire. On voit mal comment les généraux d’Espagne, même si la création du denier remonte à 214, comme le croit P. Marchetti, et non à 211, auraient pu vouloir recréer en Espagne un système à peine éclos en Italie même.
11 Tite-Live, XXVIII, 25, 6.
12 Tite-Live, XXVIII, 29, 12, qui évoque à ce propos un retard de quelques jours (diebus paucis).
13 Polybe, XI, 28, 3-6 : Ἐμοἰ δῆλον ὅτι δυσηϱεστήσασθε, διότι τὰς σιταϱχίας ὑμῖν οὐϰ ἀπεδίδουν ἀλλἀ τοῦτο ἐμὸν μὲν οὺϰ ἦν ἔγϰλημα ϰατὰ γὰϱ τὴν ἐμὴν ἀϱχὴν οὐδὲν ὑμῖν ἐνέλειπε τῶν ὀψωνίων εἰ δ᾽ ἄϱα ἐϰ τῆς Ῥώμης, διότι τὰ πάλαι πϱοσοϕειλόμενα νῦν οὐ διωϱθοῦτο, πότεϱον οὖν ἐχϱῆν ἀποστάτας γενομένους τῆς πατϱίδος ϰαὶ πολεμίους τῆς θϱεψάσης οὕτως ἐγϰαλεῖν ἢ παϱόντας λέγειν μὲν περὶ τούτων πρὸς ἐμέ, παϱαϰαλεῖν δὲ τοὺς θϱεψάσης οὕτως ἐγϰαλεῖν ἢ παϱόντας λέγειν μὲν πεϱὶ τούτων πϱὸς ἐμέ, παϱαϰαλεῖν δὲ τοὺς ϕίλους συνεπιλαβέσθαι. ϰαὶ βοηθεῖν ὑμῖν.
14 Tite-Live, XXVIII, 34, 11 affirme en effet qu’on exigea des Ilergètes vaincus le versement de l’argent (pecunia) qui servirait à payer la solde des soldats (ex qua stipendium militi praestari posset). Que Tite-Live fasse ici référence à un versement direct ou bien à un remboursement de la solde à régler, celle-ci ne peut être que différente du stipendium précédemment payé à l’issue de la mutinerie, évoqué en XXVIII, 29, 12 (purgatoque loco citati milites nominatim apud tribunos militum in uerba P. Scipionis iurarunt stipendiumque ad nomen singulis persolutum est) et auquel il est fait aussi allusion en XXVIII, 32, 1 (Scipio quum fide soluendi pariteromnibus noxiis innoxiisque stipendii tum uoltu ac sermone in omnes placato facile reconciliatis militum animis).
15 Si la proposition de P. Marchetti, Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, p. 258, à propos de l’argent amené de Rome par Scipion en 210 est juste, les 400 talents confiés à Scipion par le sénat (Polybe, X, 19, 1) correspondent à 1,8 million de deniers, c’est-à-dire à une somme qui, d’après ses calculs, couvrait l’arriéré de solde pour l’année 210 (évalué à 684.100 deniers) et les dépenses de 209 (évaluées à 1,2 million de deniers). Il va de soi que ces calculs ne fonctionnent que sur la base d’un talent cistophorique de 4.500 deniers, car P. Marchetti raisonne à partir d’une drachme équivalente à 3/4 de denier ; il en irait autrement si l’on choisissait plutôt le talent attique de 6.000 deniers, comme le fait M. H. Crawford, Coinage and Money under the Roman Republic, p. 61, qui donne une équivalence de 2,4 millions de deniers.
16 Peut-être faut-il rattacher à ces mesures d’urgence deux émissions de victoriats : RRC, nº 90/1 (double victoriat anonyme) et nº 96/1 (victoriat anonyme). M. H. Crawford date les pièces d’avant 211 (p. 23) : « The weight standard is high and the issue should be regarded as having been struck by Cn. or P. Scipio before their defeat by the Carthaginians in 211. » La conservation d’un coin ayant servi à cette émission à l’Instituto Valencia de Don Juan à Madrid étaye l’hypothèse d’une frappe sur place. Mais la quantité de pièces émises a été très faible. Sur la possibilité de telles frappes, voir aussi, M. P. García-Bellido, El tesoro de Mogente y su entorno monetal, p. 134 ; Ead., « El proceso de monetización en el Levante y Sur hispánico durante la Segunda Guerra Púnica », p. 331 ; Ead., « Roma y los sistemas monetarios provinciales », pp. 566-570, qui propose, sans convaincre, d’y ajouter plusieurs frappes d’argent inhabituelles (drachme, asses et semises), dont certaines seraient cependant plus tardives. Voir aussi sur ce point Ead., « La moneda “militar” en el proceso de helenización de Iberia durante la Segunda Guerra Púnica », pp. 296-297. En aucun cas on ne peut de toute façon considérer que ces émissions aient pu légalement se substituer à celles de l’aerarium. M. H. Crawford s’oppose ainsi à l’idée que les généraux aient détenu sur place le droit de frapper monnaie (RRC, p. 604).
17 Sur cette dimension de la mutinerie de 206, voir S. G. Chrissanthos, « Scipio and the Mutiny at Sucro (206 BC) », pp. 172-184.
18 XXIII, 21, 4-5.
19 E. García Riaza, « La financiación de los ejércitos en época romano-republicana », p. 41.
20 Polybe, X, 19, 1 ; Appien, Ib., 72.
21 Tite-Live, XXVI, 43, 7 : Potiemur praeterea cum pulcherrima opulentissimaque urbe, tum opportunissima portu egregio, unde terra marique quae belli usus poscunt suppeditentur.
22 Polybe, XI, 28, 4.
23 Tite-Live, XXII, 22, 1-3.
24 Polybe, III, 106, 7.
25 Ce point a été souligné à juste titre par E. García Riaza, « La financiación de los ejércitos en época romano-republicana », p. 41.
26 Valère-Maxime, VII, 6, 1 : senatus […] rescripsit aerarium longinquis expensis non sufficere ; proinde quo pacto tantae inopiae succurrendum esset ipsi uiderent. His litteris quid aliud quam imperii sui gubernacula e manibus abiecit ?
27 T. Ñaco del Hoyo, « La crisi financiera romana dels anys 216/215 a. C. », p. 298, a bien insisté sur le fait que l’incapacité du sénat à financer ses armées de Sardaigne, de Sicile et d’Espagne à ce moment n’a nullement débouché sur le développement d’un monnayage de substitution ou sur la mise en place d’un système fiscal régulier, mais a été compensée essentiellement par une série de mesures ad hoc (Tite-Live, XXIII, 21, 5 ; 21, 6 ; 32, 9 ; 48, 7) ; voir aussi T. Ñaco del Hoyo, Vectigal incertum, p. 133.
28 L’acceptation d’un tel sacrifice n’a rien d’improbable ; voir à ce sujet la description que fait Tite-Live du mouvement spontané de soutien des citoyens à l’État au printemps 214 : il rapporte que les soldats refusèrent de toucher leur solde et traitaient de mercenaires ceux qui l’acceptaient (XXIV, 18, 15).
29 J. Muñiz Coello, El sistema fiscal en la España romana, p. 41.
30 Tite-Live, XL, 35, 4 : cum duo secunda proelia, deditionem Celtiberiae, confectam prouinciam nuntiassent nec stipendio quod mitti soleret nec frumento portato ad exercitum in eum annum opus esse…
31 J. Muñiz Coello, El sistema fiscal en la España romana, p. 65 ; J. M. Blázquez Martínez, « El sistema impositivo en la Hispania romana », p. 73 ; J. S. Richardson, Hispaniae, p. 116.
32 Pour une réflexion allant dans un sens similaire, mais avec des arguments un peu différents : T. Ñaco del Hoyo, Vectigal incertum, pp. 156-157.
33 Salluste, Hist., II, 98 M (= II, 82 MG) : Fessus scribundo mittundoque legatos, omni opes et spes priuatas meas consumpsi, cum interim a uobis per triennium uix annuus sumptus datus est. Per deos immortalis, utrum uicem me aerarii praestare creditis an exercitum sine frumento et stipendio habere posse ? Dans ce contexte, une remarque de Cicéron, Pro Fonteio, 16 est délicate à interpréter, puisque l’orateur qualifie l’armée de Pompée de « considérable et magnifiquement pourvue (maximus atque ornatissimus) », lorsqu’elle hivernait en Gaule à l’époque où M. Fonteius y exerçait le commandement (M. Fonteio imperante). Or, la date à laquelle Fonteius a gouverné la Gaule Narbonnaise est très discutée : on trouvera un résumé de cet épineux dossier dans T. C. Brennan, The Praetorship in the Roman Republic, pp. 509-510, qui tranche en faveur de 77-75, plutôt que 76-74, 75-73 ou 74-72 ; ces incertitudes chronologiques expliquent les grandes variations qui existent dans l’historiographie à propos de l’hivernage de Pompée en Gaule : F. García Morá, Un episodio de la Hispania republicana, pp. 233 et 239, privilégie l’hiver 76-75 ; Ph. O. Spann, « M. Perperna and Pompey’s Spanish Expedition », p. 58, l’hiver 74-73 ; T. C. Brennan, The Praetorship in the Roman Republic, p. 511, l’hiver 77-76.
34 Plutarque, Pompée, VI, 5 ; Appien, BC, I, 80 ; Tite-Live, Per., LXXXV, 4 ; Cicéron, De imp. Cn. Pomp., 28 et 61 ; Velleius Paterculus, II, 29, 1 ; J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, p. 53, rappelle qu’il s’agissait là d’un fait sans précédent à Rome.
35 Plutarque, Pompée, XX, 1 ; voir aussi Plutarque, Sert., XXI, 8.
36 Plutarque, Lucullus, V, 3.
37 M. H. Crawford, Coinage and Money underthe Roman Republic, pp. 211-212 ; C. Marcos Alonso, « La moneda en tiempos de guerra. El conflicto de Sertorio », p. 92 ; de fait, un certain nombre de pièces issues de cette émission se retrouvent dans les trésors d’époque sertorienne au Portugal (Vila Nova, Santarém, Cabeça da Corte), comme l’a montré J. Ruivo, « O conflicto sertoriano no Ocidente hispânico. O testemunho dos tesouros monétarios », p. 97, et en Espagne (Nerpio), comme le signale J. M. Vidal Bardán, « Tesorillo de denarios romano-republicanos de Nerpio (Albacete) », pp. 41-50. Certains pensent que une partie des besoins des armées sénatoriales fut couverte également par les dernières émissions de drachmes d’Emporion : M. Campo Díaz, « Els exèrcits i la monetització d’Hispània (218-45 a. C.) », pp. 71-72. Cette hypothèse pose toutefois des problèmes similaires à ceux que nous avons évoqués à propos des émissions datables de la seconde guerre punique.
38 Ce qu’indiquerait peut-être Salluste, Hist., II, 34 M (= II, 80 MG) qui fait allusion à l’argent qui avait été confié à Metellus pour la guerre en Espagne (quae pecunia ad Hispaniense bellum Metellofacta erat). Sur la datation de ce fragment de la seconde moitié de 75, plutôt que de 76, comme le pensait B. Maurenbrecher, voir : C. F. Konrad, « Metellus and the Head of Sertorius », pp. 259-260 ; F. García Morá, Un episodio de la Hispania republicana, p. 264 ; Salluste, The Histories, éd. P. McGushin, t. I, p. 242.
39 Cl. Nicolet, « Armée et fiscalité », pp. 450-451.
40 C’est dans ce contexte, nous semble-t-il, qu’il faut interpréter Plutarque, Sull., 25, 2, selon qui Sylla imposa en 85auxcités d’Asie l’obligation de loger et de nourrir ses soldats, mais aussi de leur payer à chacun 4 tétradrachmes (50 pour les officiers). À tort, T. Ñaco del Hoyo et A. Prieto Arciniega, « Moneda e historia monetaria en la Hispania republicana », p. 216, y voient la preuve qu’en Asie le stipendium pouvait être payé en monnaie grecque. Ces auteurs oublient que le futur dictateur n’avait pas le choix, n’ayant plus accès aux fonds officiels, contrôlés par le parti adverse. Il s’agit donc plutôt d’un expédient caractéristique de cette période troublée des guerres civiles, riche en irrégularités.
41 Cicéron, Pro Balbo, XXVII, 61, fait allusion aux supplications accordées en septembre 57 à César pour ses succès en Gaule, en insistant sur le fait qu’il avait réussi à verser la solde, malgré les difficultés du Trésor (in angustiis aerari). Cl. Nicolet, « Armée et fiscalité », p. 451, accepte l’hypothèse que César recruta et solda à ses frais une partie importante de ses dix légions (Suétone, Div. Iul., XXIV, 2).
42 Selon l’expression de H. Zehnacker, « La numismatique de la République romaine », pp. 274-275.
43 RRC, nº 366/2a ; M. Campo Díaz, « Los denarios romano-republicanos acuñados en Hispania », pp. 53-64 ; L. Villaronga, Numismática antigua de Hispania, p. 238 ; M. H. Crawford, Coinage and Money underthe Roman Republic, p. 210 ; M. P. García-Bellido et C. Blázquez, Diccionario de cecas y pueblos hispánicos, t. II, pp. 319-323. Tous admettent qu’en dehors des quelques émissions faibles et isolées de victoriats durant la seconde guerre punique, dont il a déjà été question, on ne connaît aucune frappe de monnaie romaine effectuée dans la péninsule Ibérique antérieurement au déclenchement des guerres civiles dans la première moitié du Ier siècle.
44 RRC, nº 366/1-4. On connaît huit exemplaires de la première et un seul de la seconde. Un exemplaire supplémentaire de la première, signalé par J. Ruivo, « O conflicto sertoriano no Ocidente hispânico. O testemunho dos tesouros monétarios », p. 91, a été découvert dans les années 80 au Portugal, à Coiço (Penacova, Coimbra). Quatre autres exemplaires ont été également trouvés récemment à Santana de Carnota (Portugal), et répertoriés par M. B. C. S. De Guinea Barbosa, « Tesouros sertorianos aparecidos em território português », p. 303.
45 La première (RRC, nº 374) est connue par deux exemplaires, dont l’un porte la mention IMP et l’autre la mention Q. C. M. P. I. ; l’émission de Lentulus, questeur de Pompée, est également connue par deux exemplaires qui portent la mention EXS. C. (RRC, nº 393).
46 RRC, nº 446. L. Amela Valverde, « Acuñaciones de denarios romano-republicanos de Pompeyo Magno en Hispania durante el año 49 a. C. », p. 20, considère ce personnage comme le fils du Cn. Calpurnius Piso, mort en Espagne en 64 (Salluste, Cat., XIX, 5) et soutient qu’il ne faut pas le confondre avec M. Pupius Piso Frugi Calpurnianus qui opère sous les ordres de Pompée contre les pirates.
47 RRC, nº 447. On connaît deux exemplaires, qui posent de nombreux problèmes d’identification et de chronologie. En particulier, on discute pour savoir si le Varro dont il question sur les légendes monétaires peut être identifié à l’écrivain, légat de Pompée en Ultérieure en 49. C’est l’avis de L. Amela Valverde, « La amonedación pompeyana en Hispania », pp. 181-197, et Id., « Acuñaciones de denarios romano-republicanos de Pompeyo Magno en Hispania durante el año 49 a. C. », p. 21, qui cherche à démontrer que seuls Afranius et Petreius étaient légats, Varron ayant exercé en fait une autre magistrature (et donc la proquesture dont il est question sur les monnaies). Plus généralement, un état de la question est donné par le même auteur dans Id., « Emisiones militares pompeyanas del año 49 a. C. en Hispania », pp. 167-180.
48 RRC, nº 443 ; A. Arévalo González et M. Campo Díaz, « Las emisiones romanas y sus imitaciones en Hispania durante la República », p. 331. Sur la signification à accorder à ces émissions des guerres civiles, voir les remarques de F. Chaves Tristán, « Guerra y moneda en la Hispania del Bellum ciuile », notamment p. 237.
49 La découverte en 1994 dans la province de Saragosse d’un coin de revers de l’émission de L. Cassius Longinus, datée de 78 av. J. -C. et attribuée jusque-là à l’Italie par M. H. Crawford (RRC, nº 386), suggère désormais que la frappe a pu être réalisée dans la péninsule Ibérique. Cet exemple illustre la fragilité des attributions géographiques de ces émissions. Voir à ce sujet L. Villaronga, Denarios y quinarios ibéricos, p. 78. Toutefois A. Arévalo González et M. Campo Díaz, « Las emisiones romanas y sus imitaciones en Hispania durante la República », p. 330, estiment qu’il est impossible de se prononcer en l’état de la documentation.
50 RRC, p. 81, n. 8 et p. 390 ; à noter que M. Campo semble s’être finalement rangée à l’avis de M. H. Crawford : A. Arévalo González et M. Campo Díaz, « Las emisiones romanas y sus imitaciones en Hispania durante la República », p. 329 ; accord de C. Marcos Alonso, « La moneda en tiempos de guerra. El conflicto de Sertorio », pp. 88-89.
51 RRC, pp. 82 et 407 ; C. Marcos Alonso, « La moneda en tiempos de guerra. El conflicto de Sertorio », p. 91, juge pour sa part « bastante dudosa » une frappe dans la péninsule Ibérique.
52 RRC, p. 92. Contra L. Amela Valverde, « Acuñaciones de denarios romano-republicanos de Pompeyo Magno en Hispania durante el año 49 a. C. », p. 19, qui attribue cette émission à l’Espagne. Mais les arguments déployés à cette fin par l’auteur paraissent bien minces : le fait qu’on ait trouvé les quelques exemplaires restants en Espagne n’est pas déterminant. On sait bien qu’une partie des troupes de Pharsale a combattu en Afrique puis en Espagne, tandis que le besoin criant de numéraire (Sextus Pompée finit d’ailleurs par refrapper du bronze) a pu entraîner le réemploi des pièces sans nouvelle frappe. L’Espagne n’est donc pas un lieu d’émission plus plausible que l’Afrique, hypothèse défendue notamment par A. Alföldi, « Juba I und die Pömpeianer in Afrika ».
53 RRC, pp. 385-386. M. H. Crawford estime cependant que la première partie de ces émissions a été frappée dans le nord de l’Italie et la seconde en Espagne ; L. Villaronga, Numismática antigua de Hispania, p. 238, suppose pour sa part que peuvent être considérées comme italiennes les pièces du meilleur style et comme hispaniques les plus grossières.
54 RRC, p. 604 : « The issues of Sulla and the Sullani, of Caesar and his opponent, and of the Triumvirs and their contemporaries were in my view quite simply illegal. » Cette remarque, qui s’applique exclusivement aux monnayages des guerres civiles, doit pouvoir être étendue à ceux de la guerre de Sertorius. Comment comprendre les réclamations de Pompée si la possibilité lui avait été offerte de résoudre son problème de pénurie simplement en frappant monnaie ? Il n’est pas certain par ailleurs, comme on l’a vu, que les deniers de Metellus aient bien été frappés en Hispanie. L’incertitude portant sur le lieu de frappe pourrait ainsi expliquer pourquoi les émissions de Fabius et Tarquitius portent la marque EX S.C., démontrant leur caractère constitutionnel, à la différence des autres, notamment de celles attribuables à Pompée. En revanche, A. Arévalo González et M. Campo Díaz, « Las emisiones romanas y sus imitaciones en Hispania durante la República », p. 329, interprètent l’inscription comme attestant l’autorisation du sénat pour frapper ces pièces dans la province.
55 A. Arévalo González et M. Campo Díaz, « Las emisiones romanas y sus imitaciones en Hispania durante la República », pp. 326 et 330, insistent sur le fait que tout au long du IIe siècle, le numéraire romain présent en Hispania est frappé dans l’atelier de Rome et que les émissions « impératoriales » ont été ensuite très faibles en volume ; voir aussi M. Campo Díaz, « Els exèrcits i la monetització d’Hispània (218-45 a. C.) », pp. 62-64.
56 Cicéron, Ad fam., VIII, 4 : sed cum senatus habitus esset ad Apollinis a. d. XI K. Sex. et referretur de stipendio Cn. Pompeii, mentio facta est de legione ea quam expensam tulit C. Caesari Pompeius, quo numero esset, quoad pateretuream Pompeius esse in Gallia.
57 Plutarque, Pompée, LV, 12 : Ἐψηϕίσθη δ᾽ αὐτῷ τὰς ἐπαϱχίας ἔχειν εἰς ἄλλην τετϱαετίαν ϰαὶ χίλια τάλαντα λαμβάνειν ϰαθ᾽ ἕϰαστον ἐνιαυτόν, ἀϕ᾽ ᾧν θϱέψει ϰαὶ διοιϰήσει τὸ στϱατιωτιϰόν ; voir aussi Plutarque, César, 28, 8.
58 Tite-Live, XXI, 60, 9 ; XXIV, 42, 8 ; XXVII, 19, 2 ; Polybe, III, 76, 10-12, par exemple, et surtout butin de Carthagène, Tite-Live, XXVI, 47, 5-9 et Polybe, X, 19.
59 Tite-Live, XXIV, 42, 11 ; XXVIII, 4, 1 ; XXXI, 16, 3 ; XXXIV, 16, 3 ; XXXV, 1, 11-12 ; XXXIX, 42, 1 ; XL, 16, 9 ; XL, 49, 4 ; XLV, 4, 1 ; Appien, Ib., 71.
60 T. Frank, An Economic Survey of Ancient Rome, p. 138 ; R. C. Knapp, Aspects of the Roman Experience in Iberia, pp. 169 et 172 ; L. A. Curchin, Roman Spain, p. 60 ; J. M. Blázquez Martínez, « Economía de la Hispania romana republicana », p. 209 ; un total très supérieur a été proposé récemment par J. J. Ferrer Maestro, « El botín de Hispania (205-169 a. C.) », pp. 250-251, mais sur la base de calculs inacceptables.
61 I. Shatzmann, « The Roman General’s Authority over Booty », pp. 177-203. Voir aussi Tite-Live, XL, 16, 9, où le préteur Fulvius Flaccus abandonne à ses soldats le butin pris après la chute d’Uthicna en 182. Que le général ait joui d’un tel contrôle discrétionnaire sur l’utilisation du butin n’implique pas toutefois qu’il en ait eu la propriété, comme le croit I. Shatzmann. C’est ce qu’a bien montré récemment J. B. Churchill, « Ex qua quod uellent facerent », pp. 85-116, qui précise en outre que l’autorité du général ne concernait que les manubiae, c’est-à-dire la partie de la praeda qui était délibérément soustraite au pillage des soldats ; dans tous les cas, les ressources correspondant à ces manubiae demeuraient une propriété publique, dont le général était tenu de faire usage dans l’intérêt du peuple romain ; cette argumentation paraît sur ce point préférable à celle de M. Tarpin, « Le butin sonnant et trébuchant dans la Rome républicaine », pp. 365-376, qui estime que c’était seulement dans certaines circonstances (et notamment dans le cas d’une deditio) que l’autorité du général sur le butin cessait d’être absolue, le sénat et le peuple romain disposant alors d’un droit de regard sur l’utilisation de celui-ci.
62 E. Gabba, « Esercito e fiscalità a Roma in età repubblicana », p. 20.
63 T. Frank, An Economic Survey of Ancient Rome, p. 138 ; J. M. Blázquez Martínez, « Notas a la contribución de la Península Ibérica al erario de la República romana », pp. 175-182 ; Id., « Economía de la Hispania romana republicana », p. 211 ; C. González Román, « Economía e imperialismo », p. 142. De même, J. Muñiz Coello, El sistema fiscal en la España romana, pp. 74 et 335, assimile abusivement les chiffres des versements effectués par les généraux à l’aerarium au retour de la campagne au produit d’un impôt régulier qu’il appelle stipendium. Cette vue paraît d’autant moins légitime que l’auteur distingue artificiellement entre les versements antérieurs à 197, qui ne peuvent être selon lui interprétés comme le produit de l’exploitation fiscale (et notamment minière) et ceux postérieurs à cette date, qui attesteraient au contraire l’existence de prélèvements réguliers.
64 Voir ainsi les remarques d’E. Badian, Publicans and Sinners, pp. 30-32 ; J. S. Richardson, « The Spanish Mines and the Development of Provincial Taxation », p. 141 ; Cl. Domergue, Les mines de la péninsule Ibérique dans l’Antiquité romaine, p. 241. Ces auteurs ont démontré qu’il ne fallait pas inclure le produit de l’exploitation des mines dans les chiffres donnés par Tite-Live. En dernier lieu, E. García Riaza, « El cómputo del metal precioso en los botines de guerra hispano-republicanos », p. 121, a fort justement souligné le fait que tous les chiffres donnés par Tite-Live correspondent (sauf deux exceptions) à la célébration d’une ouatio ou d’un triomphe, si bien qu’ils ne peuvent correspondre au produit d’une fiscalité régulière.
65 M. Tarpin, « Le butin sonnant et trébuchant dans la Rome républicaine », pp. 368-369, montre bien que parmi le butin, il faut distinguer d’une part la praeda, c’est-à-dire tout ce que les soldats sont autorisés à piller (et éventuellement à revendre ensuite pour leur propre compte), et d’autre part les objets les plus précieux (notamment le numéraire), qui sont remis par le général au questeur ; c’est sans doute cette seconde catégorie qu’il faut identifier avec les manubiae, comme le suggère J. B. Churchill, « Ex qua quod uellent facerent », pp. 87-93, notamment p. 93 : « The circumstancial evidence (there is no otherevidence) leads to the conclusion that large and especially precious items were reserved against looting, and that these items were called, if one wanted to be precise, manubiae. […] the term manubiae was by the late Republic applied to everything that was not taken by the army in the prescribed looting process, but over which the Roman people still had a claim. »
66 Sur l’emploi du butin pour payer directement la solde : E. Gabba, « Esercito e fiscalità a Roma in età repubblicana », p. 20 ; M. Salinas de Frías, El gobierno de las provincias hispanas durante la República romana, p. 146 ; J. J. Ferrer Maestro, « “El Africano” en Hispania. Balance económico », pp. 135-146.
67 Zonaras, IX, 3. Le passage est à situer, du fait de la mention légèrement antérieure de l’envoi de Magon en Espagne après la bataille de l’Èbre, entre celle-ci et le départ d’Hasdrubal pour l’Italie. On peut donc admettre, avec la prudence requise, que les événements que le texte rapporte puissent être contemporains de la lettre envoyée par les Scipions au sénat.
68 C’est l’idée défendue, sur un plan plus général, par G. Fatás Cabeza, « Un aspecto de la explotación de los indígenas hispanos por Roma », p. 110, qui raisonne à tort en terme d’autofinancement. Voir aussi J. S. Richardson, The Romans in Spain, p. 74.
69 Tite-Live, XXVI, 43, 5 : hic pecunia omnis hostium, sine qua neque illi gerere bellum possunt, quippe qui mercennarios exercitus alant et quae nobis maximo usui ad conciliandos animos barbarorum erit.
70 Contrairement à ce que croit J. Muñiz Coello, El sistema fiscal en la España romana, p. 41, qui estime que la somme apportée depuis Rome en 210 suffisait à couvrir seulement les frais des quatre premiers mois, mais que Scipion n’en avait cure dans la mesure où il aurait prévu dès l’origine de se servir du butin de Carthagène. On voit que rien dans le discours du général, tel que le rapporte Tite-Live, n’appuie une telle idée, bien au contraire.
71 Polybe, X, 19, 1-2 : Μετὰ ταῦτα παϱεδίδου τοῖς ταμίας [τὰ χϱήματα], ὅσα δημόσια ϰατελήϕθη τῶν Καϱχηδονίων. ῏ Ην δὲ ταῦτα πλείω τῶν ἑξαϰοσίων ταλάντων, ὥστε πϱοστεθέντων τούτων oἷς παϱῆν αὐτὸς ἐϰ Ῥώμης ἔχων τετϱαϰοσίοις, τὴν ὅλην παϱάθεσιν αὐτῷ γενέσθαι τῆς χοϱηγίας πλείω τῶν χιλίων.
72 C’était l’hypothèse de E. S. G. Robinson, « Punic Coins of Spain and their Bearing on the Roman Republican Series », pp. 42-43, acceptée par H. H. Scullard, Scipio Africanus. Soldier and Politician, p. 28, n. 18 et p. 64 ; elle a été réfutée par L. Villaronga, Las monedas hispano-cartaginesas, p. 47, suivi par M. H. Crawford, Coinage and Money under the Roman Republic, p. 89.
73 Tite-Live, XXVII, 17, 1 : P. Scipio in Hispania cum hiemem totam reconciliandis barbarorum animis partim donis, partim remisione obsidum captiuorumque absumpsisset, Edesco ad eum, clarus inter duces Hispanos, uenit.
74 Chr. Hamdoune, Les auxilia externa africains des armées romaines, pp. 20-30, a attiré l’attention sur le problème de ces transfuges : mercenaires dans l’armée adverse, ils étaient forcément payés ensuite par les Romains. Sur cette question des mercenaires, voir infra, pp. 662-667.
75 Plutarque, Caton l’ancien, 10, 2 : Αἰτούντων δ᾽ ἐϰείνων τῆς βοηθείας διαϰόσια τάλαντα μισθόν, οἱ μὲν ἄλλοι πάντες οὐϰ ἀνασχετὸν ἐποιοῦντο Ῥωμαίους βαϱβάϱοις ἐπιϰουϱίας ὁμολογῆσαι μιστθόν, ὁ δὲ Κάτων οὐδὲν ἔϕη δεινὸν εἶναι, νιϰῶντας μὲν γὰϱ ἀποδώσειν ἀπὸ τῶν πολεμίων, οὐ παϱ᾽ αὑτῶν, ἡττωμένων δὲ μήτε τοὺς ἀπαιτουμένους ἔσεσθαι μήτε τοὺς ἀπαιτοῦντας ; voir aussi Plutarque, Apoph. Caton l’ancien, 24 et Frontin, Strat., IV, 7, 35, qui rapportent en substance la même anecdote.
76 En 134, par exemple, il est clair que les finances gérées par le questeur de Scipion Émilien durant la campagne de Numance sont de provenances différentes. Tite-Live, Per., LVII, 8 : Scipio amplissima munera missa sibi ab Antiocho, rege Syriae, cum celare aliis imperatoribus regum munera mos esset, pro tribunali [ea] accepturum se esse dixit omniaque ea quaestorem referre in publicas tabulas iussit : ex his se uiris fortibus dona <es> se daturum. (« Scipion, qui avait reçu des cadeaux considérables d’Antiochus, roi de Syrie, alors que les autres généraux avaient l’habitude de dissimuler les présents des rois, dit qu’il les recevrait devant son tribunal et ordonna à son questeur de les enregistrer tous dans la comptabilité officielle : c’est là qu’il prendrait les cadeaux à faire aux hommes courageux », trad. P. Jal, CUF).
77 Ainsi la définition qu’en donne J. Muñiz Coello, « Sobre el abastecimiento al ejército romano durante la conquista de Hispania », p. 243, nous paraît inacceptable : il estime en effet que « sustento, vestido y soldada constituyen los elementos principales del stipendium ». Tite-Live, XXIX, 3, 5, suffit à réfuter une telle idée : stipendium eius anni duplex et frumentum sex mensum imperatum sagaque et togae exercitui et obsides ab triginta ferme populi accepti.
78 H. C. Boren, « Studies Relating to the Stipendium Militum », p. 430 : « the term stipendium, when applied to the sum made available to a commander or governor in the later Republic, seems to mean all the money needed to support the army rather than soldiers’pay only ».
79 Salluste, Bell. Iug., XXVII, 5 : Deinde exercitus qui in Africam portaretur scribitur, stipendium aliaque quae bello usui forent decernuntur.
80 Salluste, Bell. Iug., XXXVI, 1 : Interim Albinus renouato bello commeatum, stipendium, aliaque quae militibus usui forent, maturat in Africam portare.
81 Salluste, Bell. Iug., XC, 2 : oppidum Laris, ubi stipendium et commeatum locauerat.
82 Cicéron, In Pis., II, 5.
83 Cette distinction parmi les fonds dont disposait le magistrat romain est peut-être exprimée par l’affectation progressive du produit du butin à des officiers spécialement chargés de le gérer, comme le suggère une lettre de Cicéron à Cn. Sallustius datée de juillet 50 (Cicéron, Ad fam., II, 17) : omnis enim pecunia ita tractatur, ut praeda a praefectis quae autem mihi adtributa est a quaestore curetur (« en effet le maniement de tous les fonds est entre les mains des préfets en ce qui concerne le butin, et du questeur pour les crédits qui m’ont été attribués », trad. L. -A. Constans, CUF). Au milieu du Ier siècle, le questeur paraît ainsi ne plus s’occuper que de la gestion des fonds provenant de l’aerarium. Il est tentant d’y voir le reflet d’une évolution qui aurait progressivement réparti entre deux officiers une comptabilité double jadis tenue parle seul questeur. Quoi qu’il en soit, il est probable toutefois que les praefecti employés par les gouverneurs à cette fin n’aient sans doute pas été sous la République des charges officielles. Voir à ce sujet, G. H. Stevenson, Roman Provincial Administration till the Age of the Antonines, p. 87.
84 Du reste, la même rigueur semble s’applique à l’utilisation du butin lui-même, comme le montre Tite-Live, XXXVI, 36, 2 où le sénat oppose une fin de non recevoirà la demande d’argent de Scipion en 191 afin de donner les jeux qu’il avait voués alors qu’il était préteur en Espagne : « Les sénateurs décidèrent donc que la célébration des jeux que quelqu’un aurait voués sans l’avis du sénat, de son propre chef, serait faite parprélèvement surle butin, à condition que l’argent ait été réservé à cet effet (si quam pecuniam ad id reseruasset), ou aux propres frais du responsable » (trad. A. Manuelian, CUF).
85 L’idée d’un paiement mixte du stipendium, avancée par T. Ñaco del Hoyo et A. Prieto Arciniega, « Moneda e historia monetaria en la Hispania republicana », p. 212, à la suite des suggestions de M. H. Crawford, est donc à rejeter en tant que définition officielle de la solde : le butin n’est pas une composante de la solde. Il reste vrai toutefois, comme on va le voir, que le butin permet de compenser la faiblesse et l’irrégularité du stipendium proprement dit.
86 Tite-Live, XXVIII, 24, 6. Considérant que les explications moralisantes données par les sources sont insatisfaisantes, S. G. Chrissanthos, « Scipio and the Mutiny at Sucro (206 BC) », p. 177, estime que ce fut en réalité l’insuffisance du butin distribué aux soldats par Scipion, lequel en réservait le produit pour attacher les élites indigènes à la cause romaine, qui provoqua, pour une grande part, le développement du mécontentement parmi les futurs mutins. Voir aussi T. Ñaco del Hoyo, Vectigal incertum, p. 136.
87 Zonaras, IX, 3.
88 Tite-Live, XXXI, 20, 2 (à l’occasion de l’ouatio de l’année 200) ; XXXIV, 46, 2 (distribution de Caton à ses soldats en 194) ; XL, 43, 7 (distribution de Flaccus en 179) ; XLI, 7, 1 (triomphe de 178) ; Pline, NH, XXXIII, 141 (donatiuum de 133, suite à la prise de Numance).
89 J. S. Richardson, « The Spanish Mines and the Development of Provincial Taxation », pp. 147-149 ; Id., Hispaniae, pp. 72-75 ; C. González Román, Imperialismo y romanización en la provincia Hispania Ulterior, p. 75.
90 J. Marquardt, De l’organisation financière chez les Romains, pp. 242-244 ; R. Cagnat, « Stipendium », p. 1512 ; A. Lintott, Imperium Romanum, pp. 74-79 ; J. France, « Tributum et stipendium », pp. 1-17.
91 T. Ñaco del Hoyo, Vectigal incertum, notamment pp. 201-203 ; Id., « Vectigal incertum. Guerra y fiscalidad republicana en el siglo II a. de C. », pp. 370-374.
92 T. Ñaco del Hoyo, Vectigal incertum, notamment pp. 46-50 ; Id., « Vectigal incertum. Guerra y fiscalidad republicana en el siglo II a. de C. », p. 372. Sa démonstration a été suivie depuis par J. France, « Les catégories du vocabulaire de la fiscalité dans le monde romain », pp. 340-344. Toutefois, celui-ci estime que, à partir de la fin du IIe siècle, le terme prend une signification nouvelle et désigne bien désormais un revenu régulier.
93 Florus, I, 33 (II, 17), 7 : non contentus Poenos expulisse, stipendiariam nobis provinciam fecit, omnes citra ultraque Hiberum subiecit imperio (« non content d’avoir chassé les Carthaginois, il fit du pays une province tributaire, soumit à notre pouvoir tous ceux qui habitent en deçà et au-delà de l’Èbre », trad. P. Jal, CUF).
94 T. Ñaco del Hoyo, Vectigal incertum, pp. 50-56 ; cette interprétation purement politique et juridique du mot a été dernièrement nuancée par J. France, « Les catégories du vocabulaire de la fiscalité dans le monde romain », pp. 344-345 pour qui le terme implique aussi, par définition, une dépendance financière : « stipendiarius s’applique plus spécialement aux entités soumises par la force, dont la redevance, et je dirais plutôt en ce cas l’indemnité, relève précisément de cette soumission ».
95 J. M. Blázquez Martínez, « El sistema impositivo en la Hispania romana », p. 72-74 ; J. S. Richardson, « The Spanish Mines and the Development of Provincial Taxation », p. 148, considère que le texte de Florus atteste bien le paiement d’un stipendium dès 206, mais que celui-ci changea de forme au cours du IIe siècle. Dans ses travaux ultérieurs, cet auteur se montre plus sceptique : Id., The Romans in Spain, p. 72.
96 M. À. Aguilar Guillén et T. Ñaco del Hoyo, « Fiscalidad romana y la aparición de la moneda ibérica. Apuntes para una discusión. I », pp. 281-288 ; Id., « Fiscalidad romana y la aparición de la moneda ibérica. Apuntes para una discusión. II », pp. 71-86 ; T. Ñaco del Hoyo et A. Prieto Arciniega, « Moneda e historia monetaria en la Hispania republicana », pp. 193-241 ; T. Ñaco del Hoyo, « La presión fiscal romana durante las primeras décadas de la conquista de Hispania », pp. 321-369 ; Id., Vectigal incertum, pp. 220-221 ; Id., « Vectigal incertum. Guerra y fiscalidad republicana en el siglo II a. de C. », pp. 378-380.
97 En faveur de 195 : C. H. V. Sutherland, The Romans in Spain, p. 53 ; voir aussi J. J. Van Nostrand, « Roman Spain », p. 127 ; en faveur de 180-179 : J. S. Richardson, Hispaniae, pp. 115-117 ; Id., The Romans in Spain, pp. 71-72.
98 Aux yeux de cet auteur, la notion même de fiscalité provinciale régulière, ce qu’il appelle le « système du stipendium », est, en ce qui concerne l’époque républicaine, une pure invention de l’historiographie moderne, remontant à Th. Mommsen et à J. Marquardt : T. Ñaco del Hoyo, Vectigal incertum, pp. 1-24.
99 Parce qu’elle représente un tournant jugé majeur dans l’attitude de Rome vis-à à-vis de la péninsule Ibérique, la date de 197 est celle qui est la plus souvent retenue dans l’historiographie, presque par défaut, pour supposer la mise en place d’une fiscalité régulière, dont on manque d’attestations nettes par ailleurs : E. Badian, Foreign Clientelae, p. 120 ; J. Muñiz Coello, El sistema fiscal en la España romana, pp. 50-51 (bien que les arguments employés pour le démontrer ainsi que l’interprétation du système lui-même nous paraissent très contestables) ; M. Salinas de Frías, El gobierno de las provincias hispanas durante la República romana, pp. 147-148. Pour sa part, S. L. Dyson, The Creation of the Roman Frontier, p. 187, a proposé d’attribuer à L. Stertinius, gouverneur d’Ultérieure entre 199 et 196, la tâche d’organiser le nouveau système fiscal. Cette solution inédite manque toutefois de preuve décisive (et l’envoi de Stertinius en Macédoine après Cynoscéphales pour aider Flamininus à organiser la région [Tite-Live, XXXIII, 27, 3-4] ne peut en tenir lieu).
100 Rappelons que Rome ne put, dans la péninsule Ibérique, s’appuyer sur un système de taxation préexistant, comme ce fut le cas ailleurs, notamment en Sicile.
101 Bien que rien n’assure que le uectigal certum mentionné par Cicéron pour le Ier siècle (Verr., II, 3, 6, 12) remonte au siècle précédent, il s’agit de l’hypothèse la plus probable à nos yeux. Sur cette question, voir la récente mise au point de J. France, « Deux questions sur la fiscalité provinciale d’après Cicéron Ver. 3.12 », pp. 169-184, qui argumente de façon convaincante en ce sens. Cet auteur rappelle notamment que l’idée d’un prélèvement forfaitaire sur les communautés sujettes, déterminé à l’avance par Rome, n’est pas incompatible avec celle d’une grande hétérogénéité des modes de versement, en fonction des contextes locaux et selon les besoins de l’État romain.
102 Tite-Live, XXVIII, 25, 9 : missis circa stipendiarias ciuitates exactoribus stipendii spem propinquam facere.
103 C’est aussi ce que pense T. Ñaco del Hoyo, Vectigal incertum, p. 137.
104 Polybe, XI, 25, 9 : Ἔϕη γὰϱ δεῖν ἀναδέξασθαι τοῖς στϱατιώταις τὴν τῶν ὀψων ίων ἀπόδοσιν χάϱιν δὲ τοῦ πιστεύεσθαι τὴν ἐπαγγελίαν, τὰς ἐπιτεταγμένας εἰσϕοϱὰς ταῖς πόλεσιν πῖϱότεϱον εἰς τὴν τοῦ παντὸς στϱατοπέδου χοϱηγίαν ταύτας νῦν ἁθϱοίζειν ἐπιϕανῶς ϰαὶ μετὰ σπουδῆς, ώς πϱὸς τὴν διόϱθωσιν τῶν ὀψωνίων γινομένης τῆς παϱασϰευῆς.
105 Tite-Live, XXVIII, 29, 12.
106 Zonaras, IX, 10.
107 Tite-Live, XXVIII, 34, 11 : pecunia tantummodo imperata ex qua stipendium militi praestari posset.
108 Sa signification est très discutée. En dernier lieu, voir T. Ñaco del Hoyo, « La deditio ilergeta del 205 a. C. », pp. 135-146, qui rejette avec raison l’idée que ce stipendium duplex appartenait à une fiscalité régulière ou bien l’instaurait. L’auteur admet cependant que l’argent réclamé aux Ilergètes fut versé aux soldats au titre de la solde.
109 Tite-Live, XXIX, 3, 5 : stipendium eius anni duplex et frumentum sex mensum imperatum sagaque et togae exercitui et obsides ab triginta ferme populi accepti.
110 T. Ñaco del Hoyo, Vectigal incertum, pp. 138 et 141 interprète ainsi à juste titre les versements ilergètes de 206 et 205 comme de simples indemnités de guerre.
111 Sur ce recours généralisé aux compensations, voir J. Muñiz Coello, « Sobre el abastecimiento al ejército romano durante la conquista de Hispania », p. 100 ; E. García Riaza, « Las cláusulas económicas en las negociaciones de paz romano-celtibéricas », pp. 515-520 et notamment p. 517, n. 12 ; Id., « La financiación de los ejércitos en época romano-republicana », p. 43-48, qui en souligne (p. 46) la dimension politique et symbolique ; T. Ñaco del Hoyo, Vectigal incertum, pp. 36-40.
112 Polybe, III, 27, 2-7.
113 Tite-Live, XXI, 61, 7-8.
114 Il est révélateur à ce sujet que les faiblesses du Trésor furent mises en avant par Fabius Maximus en 205 lorsqu’il chercha en 205 à dissuader le sénat d’approuver le projet de Scipion de passer en Afrique, Tite-Live, XXVIII, 41, 11 : Nam nunc quidam, praeterquam quod et in Italia et in Africa duos diuersos exercitus alere aerarium non potest… (« Pour le moment, de toute façon, non seulement le trésor ne peut alimenter deux armées sur deux points opposés, l’Italie et l’Afrique… », trad. P. Jal, CUF).
115 Il est à ce titre éloquent qu’au Ier siècle encore, il paraisse incongru, voire scandaleux, de prélever régulièrement l’argent de la solde sur les provinciaux, si l’on en juge par les reproches adressés par Cicéron à Pison au sujet de son gouvernement de Macédoine (In Pis., XXXVI, 88) : Quid ? Stipendium militibus per omnis annos a civitatibus, mensis palam propositis, esse numeratum ? (« Et que la solde de la troupe ait été, pendant toutes ces années, payée par les cités, dans des bureaux ouverts officiellement, qu’en dis-tu ? », trad. P. Grimal, CUF).
116 Tite-Live, IV, 59, 11 ; Diodore, XIV, 16, 5. La question de la date exacte d’apparition de la solde reste débattue. On la fait généralement remonter aux débuts de l’usage de la monnaie à Rome, que l’on situe aujourd’hui vers le début du IIIe siècle. Voir à ce sujet G. R. Watson, « The Pay of the Roman Army. The Republic », p. 113, et P. A. Brunt, « Pay and Superannuation in the Roman Army », p. 50. Toutefois, certains estiment qu’à l’origine, la solde n’était pas payée en monnaie et qu’une date plus proche de celle proposée par la tradition est envisageable : c’est, par exemple, l’avis d’A. Burnett, La numismatique romaine, p. 20. L’importance de la seconde guerre punique dans la monétarisation des pratiques ne fait cependant aucun doute.
117 Cl. Nicolet, Le métierde citoyen, p. 156 ; P. A. Brunt, « Pay and Superannuation in the Roman Army », p. 50.
118 P. A. Brunt, « The Army and the Land in the Roman Revolution », pp. 240-280.
119 Polybe, VI, 39, 12 : Ὀψώνιον δ᾽ οἱ μὲν πεζοί λαμβάνουσι τῆς ἡμέϱας δύο ὀβολούς, οἱ δὲ ταξίαϱχοι διπλοῦν, οί δ᾽ ἱππεῖς δϱαχμήν.
120 P. A. Brunt, « Pay and Superannuation in the Roman Army », p. 51 ; R. Thomsen, « The Pay of the Roman Soldier and the Property Qualifications of the Servian Classes », p. 194 ; M. H. Crawford, Coinage and Money under the Roman Republic, p. 146 ; H. Zehnacker, « La solde de l’armée romaine, de Polybe à Domitien », p. 106 ; H. C. Boren, « Studies Relating to the Stipendium Militum », p. 438 ; L. Pedroni, « Illusionismo antico e illusioni moderne sul soldo legionario », pp. 115-116. L’ensemble de ces auteurs donne la préférence à l’idée que le denier auquel se réfère Polybe est le denier de 10 as. Il faut donc écarter l’idée de H. M. D. Parker, The Roman Legions, p. 214, qu’après la retarification, un tiers de denier aurait correspondu à 5 as 1/3.
121 G. R. Watson, « The Pay of the Roman Army. The Republic », p. 119. Ce faisant, il suit en fait l’idée de H. B. Mattingly, « The Property Qualifications of the Roman Classes », p. 102, qui interprète les 2 oboles de Polybe comme égales à 2 as libraux. Ce raisonnement aboutit à remplacer l’équivalence de la drachme et du denier par celle de la drachme et d’un quadrigat d’argent fixé à un denier non retarifé et demi (15 as sextantaires), ce qui porte la solde quotidienne du fantassin à cinq as. Ce faisant, il se heurte à une objection majeure, formulée par R. Thomsen, « The Pay of the Roman Soldier and the Property Qualifications of the Servian Classes », p. 200 : cet auteur souligne que le quadrigat est depuis longtemps abandonné à l’époque où Polybe écrit. P. Marchetti, Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, p. 172, a également réfuté la théorie de H. Mattingly et de G. R. Watson d’une manière convaincante.
122 P. Marchetti, « Paie des troupes et dévaluations monétaires au cours de la seconde guerre punique », pp. 195-199, repris dans Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, p. 196. La drachme polybienne correspondrait ainsi, selon lui, à la drachme légère rhodienne. Il est suivi par Cl. Nicolet, Rome et la conquête du monde méditerranéen, t. I, p. 326, et par P. Cosme, Armée et bureaucratie dans l’Empire romain, p. 146. Pour sa part, A. Giovannini, « La solde des troupes romaines à l’époque républicaine », p. 262, aboutit au même résultat d’une solde journalière équivalant à un sesterce à l’époque de Polybe, mais sur la base d’une drachme de 8 oboles fort peu vraisemblable ; enfin, J. -G. Rathé, « La rémunération du soldat romain d’après Polybe, VI, 39, 12-15 », p. 137, aboutit également à un montant d’un sesterce par jour. Une variante du système suggéré par P. Marchetti a été dernièrement proposée par E. Lo Cascio, « Ancora sullo stipendium legionario dall’età polibiana a Domiziano », pp. 101-120.
123 RRC, I, pp. 55-65 et II, pp. 621-625 : M. H. Crawford, qui s’appuie en particulier sur l’apparition de la marque XVI au droit de certains deniers (nos 224-228), défend la date de 141 pour la retarification ; voir aussi M. H. Crawford, Coinage and Money underthe Roman Republic, pp. 144-145. P. Marchetti, Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, p. 190, écarte ces arguments et préfère interpréter littéralement Pline, NH, XXXIII, 45, qui rapporte cette modification à l’époque de la guerre d’Hannibal (Hannibale urguente), sous la dictature de Q. Fabius Maximus (Q. Fabio Maximo dictatore). H. Zehnacker, « La solde de l’armée romaine, de Polybe à Domitien », p. 107, souligne toutefois avec raison qu’il est préférable de se montrer très prudent envers les chronologies de Pline puisque le naturaliste date par ailleurs la création du système du denier de 269.
124 En témoigne l’aveu éloquent de M. H. Crawford dans Coinage and Money under the Roman Republic, p. 147 : « The question is fundamentally boring, since it cannot be resolved with certainty and inscriptional evidence may one day emerge which will settle the level of legionary pay in the time of Polybius. »
125 H. Zehnacker, « La solde de l’armée romaine, de Polybe à Domitien », p. 106, a en particulier justement insisté surle fait « que Polybe écrit pourun public cosmopolite, composé de l’aristocratie romaine hellénisée et de l’ensemble des Grecs cultivés, quelle que fût leur origine régionale. Dans tous ces milieux, Athènes est le symbole de la culture grecque ; lorsqu’on évoque la monnaie grecque de façon générale, c’est au numéraire attique qu’on se réfère ». Ainsi, l’hypothèse d’une autre drachme ne prend pas suffisamment en compte la nature du projet littéraire de l’historien grec. P. Marchetti, Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, p. 197, s’appuie sur Polybe, XXXIV, 8, 7-8, pour suggérer que la mention explicite de l’étalon alexandrin peut constituer une preuve de son utilisation exceptionnelle, mais ce fragment transmis par Athénée, VIII, 330c, est d’interprétation délicate.
126 Tacite, Ann., I, 17, 4 : Enimuero militiam ipsam grauem, infructuosam : denis in diem assibus animam et corpus aestimari. (« C’est que le service en lui-même était pénible, sans profit : dix as par jour, voilà le prix qu’étaient estimés une âme et un corps », trad. P. Wuillemier, CUF).
127 P. A. Brunt, « Pay and Superannuation in the Roman Army », p. 51 ; P. Marchetti, Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, p. 193.
128 Suétone, Div. Iul., XXVI, 5 ; J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 266, date cette mesure d’avant la fin de la guerre des Gaules, mais M. Rambaud, « Légion et armée romaines », p. 415, a démontré qu’il était peu probable qu’elle prenne place avant 47 et peut-être la grande mutinerie de novembre 47 y a-t-elle contribué : selon lui en effet, César, BC, III, 53, 5 suggère qu’en 48 un doublement de la solde était encore une mesure d’exception. L’argument n’est pas définitif (on peut doubler exceptionnellement une solde déjà augmentée structurellement), mais il est certain qu’un doublement généralisé n’a pu avoir lieu qu’à un moment où Césaren avait le besoin et les moyens, ce qui ne semble pas le cas avant 49.
129 P. Marchetti, Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, p. 195.
130 P. A. Brunt, « Pay and Superannuation in the Roman Army », p. 51, résoud la difficulté de façon peu convaincante en supposant que le terme employé par Suétone (duplicauit) n’a pas toujours le sens exact d’un doublement.
131 Pline, NH, XXXIII, 45 affirme que, en ce qui concerne la solde des troupes (in militari stipendio), le denier (denarius) a toujours (semper) été compté pour dix as (pro X assibus datus est). En dépit de ce témoignage, il est certain que cette mesure n’est plus en vigueur à la fin du règne d’Auguste : chacun s’accorde en effet à reconnaître que les 10 as quotidiens attestés pour 14 ap. J. -C. correspondent à un denier retarifé. P. Marchetti, Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, pp. 192-193, à la suite de R. Thomsen, « The Pay of the Roman Soldier and the Property Qualifications of the Servian Classes », p. 188, a ainsi définitivement réfuté la théorie de G. R. Watson, « The Pay of the Roman Army. The Republic », pp. 116-117, qui voyait dans ce passage l’indice d’une réduction de la solde. Toutefois, P. Marchetti (p. 194) n’y voit aucune contradiction avec le témoignage plinien (« la phrase […] ne signifie pas qu’on évalua toujours la solde en asses sextantaires mais seulement qu’on ne modifia pas sa contrepartie en monnaie d’argent »), tandis que H. Zehnacker, « La solde de l’armée romaine, de Polybe à Domitien », p. 119, a bien montré qu’il ne faut pas être abusé par l’emploi de l’adverbe semper par Pline, dans la mesure où sa description du système monétaire romain ne s’applique pas à une période postérieure à la première moitié du Ier siècle av. J. -C., et que ce taux préférentiel a fort bien pu disparaître ensuite. Voir également les remarques de L. Pedroni, « Illusionismo antico e illusioni moderne sul soldo legionario », pp. 120-121 et 124.
132 H. Zehnacker, « La solde de l’armée romaine, de Polybe à Domitien », p. 118. Cette pratique, destinée à faciliter le calcul des numismates, tend à occulter en effet un élément primordial : la solde légionnaire est toujours libellée en as dans nos sources. Pour cet auteur, il n’est pas nécessaire de penser que la solde quotidienne de 10 as remonte à une réforme de César.
133 Ibid., p. 119. L’augmentation correspondant à 1.200 as, cet auteur revient donc, mais sur des bases de départ plus solides, à l’hypothèse d’un stipendium duplex sous César, triplex sous Auguste, puis quadriplex sous Domitien, formulée initialement par A. von Domaszewski, « Der Truppensold der Kaiserzeit », pp. 218-241.
134 H. C. Boren, « Studies Relating to the Stipendium Militum », p. 448. Il s’appuie notamment sur le fait que le terme stipendium chez Suétone ne renvoie pas à la paye en général, mais à un montant spécifique de 75 deniers, devenu la règle depuis César. On voit que le raisonnement est identique à celui de H. Zehnacker puisqu’une unité de 75 deniers retarifés équivaut à 1.200 as. La différence réside dans le fait que H. C. Boren, en s’appuyant sur le témoignage de papyrus d’époque impériale ne faisant état que de trois stipendia, réfute l’idée d’un quartum stipendium sous Domitien, et interprète donc Suétone, Dom., VII, 3 (Addidit et quartum stipendium militi aureos ternos) comme une gratification équivalente à 3 aurei (c’est-à-dire 75 deniers, soit un stipendium).
135 H. Zehnacker, « La solde de l’armée romaine, de Polybe à Domitien », p. 119, explique cette augmentation comme une conséquence nécessaire de la réforme monétaire ayant entraîné l’abandon du tarif préférentiel et la réutilisation croissante du bronze. La dévaluation impliquée par l’abandon de ce taux explique alors les revendications des mutins de 14, qui exigeaient au fond le retour à une solde journalière d’un denier. Pour sa part, H. C. Boren, « Studies Relating to the Stipendium Militum », p. 450, voit plutôt la mesure comme une conséquence logique de la réforme militaire (professionnalisation de l’armée et nécessité de compenser l’absence de la praeda liée à la pax Augusta). Dans les deux cas, ces arguments sont plus solides que le souci économique prêté à Marius (voir infra, p. 508), dont une réforme d’envergure est par ailleurs loin d’être certaine. Voir en dernier lieu les observations de L. Pedroni, « Illusionismo antico e illusioni moderne sul soldo legionario », pp. 125-127.
136 H. Zehnacker, « La solde de l’armée romaine, de Polybe à Domitien », p. 111 ; J. -G. Rathé, « La rémunération du soldat romain d’après Polybe, VI, 39, 12-15 », pp. 138-139. Cet élément renvoie à la question des fractions de l’as. G. R. Watson, « The Pay of the Roman Army. The Republic », p. 114, et M. H. Crawford, Coinage and Money under the Roman Republic, p. 147, notamment, ont insisté sur leur absence de vraisemblance. Le premier juge indispensable que le référent quotidien évoqué en oboles parPolybe corresponde à une somme simple et compréhensible pour le soldat ; le second suppose plutôt un certain degré d’approximation de la part de Polybe. Toutefois, H. Zehnacker, « La solde de l’armée romaine, de Polybe à Domitien », p. 110, a rappelé à juste titre que le tiers d’un as n’est pas n’importe quelle fraction et correspond à une monnaie divisionnaire bien réelle, le triens.
137 Cicéron, Pro Roscio Comodeo, X, 28. M. Rambaud, « Légion et armée romaines », pp. 414-415, pense que « ni Marius, ni Sylla, ni aucun imperator n’ont trouvé nécessaire de l’augmenter parce que (la solde) était suffisante ». Cette affirmation est sans doute exacte, mais pas au sens économique où l’entend son auteur qui oublie ici que les montants évoqués par les sources sont des chiffres bruts ne tenant pas compte des importantes déductions, et qui surestime le déracinement du soldat de la première moitié du Ier siècle. Rien n’interdit en effet de penser qu’une partie importante des troupes devait, tout comme le journalier cité par Cicéron, nourrir également une famille sur sa rétribution.
138 L’idée développée par M. Feugère, Les armes des Romains, p. 257, selon laquelle la situation des soldats offrait plus de sécurité, sur le plan économique, que celle des civils, en raison de la garantie de la solde, semble ainsi très discutable.
139 J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 264. Il évoque même « un refus, plus ou moins affirmé, de prise en considération légale des résultats profonds de la réforme de 107 ». On voit bien combien la question dépend de l’évaluation de la réforme marienne par rapport à une éventuelle « prolétarisation » de l’armée.
140 Ibid., p. 269. Cet auteur, qui cherche à démontrer la pertinence du modèle césarien par rapport à la dégradation des armées sénatoriales du IIe siècle, pense surtout à un souci de relever le niveau de vie du soldat. Mais cette idée d’un « socialisme césarien » ne tient pas compte de la véritable nature de la solde. Du reste, J. Harmand reconnaît lui-même (p. 268) que, dans les faits, le doublement n’a pas changé grand-chose à la médiocrité du stipendium. Même M. Rambaud, « Légion et armée romaines », p. 415, qui croit pourtant en la viabilité économique de la solde, suggère que la mesure de César répondait avant tout à des « nécessités monétaires et politiques ».
141 Rappelons qu’au IIIe siècle, comme dans l’armée censitaire des débuts de la République, le légionnaire s’équipait et s’entretenait à ses frais, les plus pauvres étant dispensés de service.
142 César, en vertu de la lex Vatinia d’avril 59 qui lui confiait le gouvernement de la Gaule Cisalpine et de l’Illyricum, avait reçu trois légions auxquelles étaient venues s’ajouter une légion supplémentaire grâce au sénatus-consulte ajoutant la Narbonnaise à ce commandement.
143 Le problème du financement de l’armée des Gaules est obscur. J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, pp. 171 et 267, accepte la possibilité que César ait financé une partie seulement de son armée, comme le suggère Suétone, Div. Iul., XXIV, 2, ainsi que le vote d’un stipendium en 56, attesté par Cicéron, Ad fam., I, 7, 10 ; Cicéron, Pro Balbo, XXVII, 61 ; Plutarque, César, 21, 3 ; et Dion Cassius, XXXIX, 25, 1. L’hypothèse d’un financement autonome des 50 % d’augmentation entre 58 et 56 est admise par Chr. Meier, César, p. 254, et par Cl. Nicolet, « Armée et fiscalité », p. 451. Une chronologie alternative est proposée par M. Rambaud, « L’ordre de bataille de l’armée des Gaules », pp. 87-130, qui estime pour sa part que César disposait de neuf légions en 56.
144 Cicéron, De prov. cons., XI, 28 : homini plus tribui quam nescio cui necessitati. Illum enim arbitrabar etiam sine hoc subsidio pecuniae retinere exercitum praeda ante parta et bellum conficere posse ; sed decus illud et ornamentum triumphi minuendum nostra parsimonia non putaui.
145 Pour donner un ordre de grandeur, J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 267, évalue à 36,5 millions de sesterces l’entretien de toute l’armée des Gaules, alors que le tribut annuel imposé à la Gaule se montait à 40 millions.
146 Plutarque, Caton l’ancien, 10, 2.
147 Cl. Nicolet, « Le stipendium des alliés italiens avant la Guerre sociale », p. 3. La première mention de ces contributions apparaît pour 209 av. J. -C. avec l’affaire des douze colonies refusant de les acquitter. Rien ne prouve par ailleurs que la suspension du tributum en 167 se soit accompagnée également de l’arrêt de ces prestations, aggravant ainsi les inégalités entre Romains et Italiens qui devaient déboucher sur la Guerre sociale.
148 On ne mettra pas sur le même plan les mouvements destinés, à l’extrême fin de la période, à s’assurer que les imperatores distribuent bien les terres promises aux vétérans des guerres civiles : on retrouve ici la distinction à opérer entre stipendium et donatiuum soulignée précédemment.
149 Cl. Nicolet, Tributum, et Id., « Armée et fiscalité », p. 439. Pour lui, le tributum n’a jamais été permanent ni régulier : 1 pour 1.000 du capital représente à ses yeux un maximum et non le taux ordinaire. Au contraire, P. Marchetti, « À propos du tributum romain », p. 121, pense que le tributum, contemporain de la création de l’armée manipulaire liée à la classification servienne, c’est-à-dire, selon lui, d’une armée stable de quatre légions, a été institué comme une contribution fixe dès l’origine, soit un impôt de quotité, proportionnel à la fortune, pesant indistinctement sur tout le corps civique et dont le tarif (p. 129) était de 1 as pour 1.000. Selon lui, la référence de Denys d’Halicarnasse à un système de répartition concernerait ainsi une étape antérieure à la création de la solde monnayée. Cl. Nicolet, dans la discussion qui suit (p. 132), maintient que « le tributum — “impôt de répartition” — […] est un “principe”, un état de fait original et ancien (à l’origine même de l’institution), qu’on a sans doute simplifié dès que possible en recherchant chaque fois que possible la fixité du taux ».
150 Cl. Nicolet, Le métierde citoyen, p. 159.
151 Contra, F. Beltrán Lloris, « De nuevo sobre el origen y la función del denario ibérico », p. 110, qui estime que le ralentissement, voire la suspension, des émissions de deniers romains dans la première moitié du IIe siècle, s’explique par le fait que les dépenses militaires, et notamment la solde, pouvaient désormais être couvertes « con las emisiones de plata de la Hispania citerior y del mundo griego, donde se concentraba la mayor parte de la actividad militar romana » ; de même, E. García Riaza, « La financiación de los ejércitos en época romano-republicana », pp. 49-52, pour qui, selon les circonstances, une partie du stipendium pouvait être versée en monnaie locale, que les légionnaires auraient pu changer en monnaie romaine auprès des nummularii de Tarragone ou de Carthagène, avant de retourner en Italie ; pour sa part, M. Campo Díaz, « Els exèrcits i la monetització d’Hispània (218-45 a. C.) », pp. 62-67, pense que le financement de la solde reposait sur trois sources : l’exportation de numéraire depuis l’Italie, les frappes de monnaie romaine sur place et l’utilisation des monnayages locaux.
152 En 179, un programme de constructions publiques est ainsi financé grâce à l’intégralité du produit du revenu annuel de l’État, que le butin d’Espagne avait contribué à renforcer (Tite-Live, XL, 46, 16 et 51, 1-9).
153 Par exemple celle de J. Muñiz Coello, El sistema fiscal en la España romana.
154 Polybe, VI, 15, 4.
155 Cette idée d’une grande autonomie des généraux d’Espagne est l’acquis définitif de l’ouvrage de J. S. Richardson, Hispaniae. Elle pousse cependant cet auteur à minimiser le fait qu’en contrepartie, le sénat devait donc d’autant plus veiller à conserver des moyens de contrôle.
156 M. À. Aguilar Guillén et T. Ñaco del Hoyo, « Moneda y stipendium militar en la Hispania anterior al 133 a. C. », p. 279, relativisent à juste titre l’importance quantitative de la solde dans les ressources des légionnaires. En revanche, ils sous-estiment selon nous cette dimension symbolique et admettent peut-être trop rapidement l’idée exprimée par M. H. Crawford d’un versement effectué pour sa plus grande partie seulement au retour des soldats en Italie.
157 Peu étudiée pour la période républicaine, cette question a fait l’objet d’une mise au point pour la période impériale dans Th. Pekáry, « Les limites de l’économie monétaire à l’époque romaine », pp. 106-108. Voir aussi, du même auteur, Untersuchungen zu den römischen Reichstrassen.
158 RRC, p. 633, suivi par : E. Badian, Publicans and Sinners, pp. 29-31 ; P. A. Brunt, Italian Manpower, pp. 420 et 671-676 ; P. Marchetti, Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, p. 275. Pour sa part, K. W. Harl, Coinage in the Roman Economy, p. 42, estime que les frais d’équipement doublent cette somme.
159 L. Casson, Ships and Seamanship in the Ancient World, pp. 171-172 et surtout pp. 184-185. Voir aussi P. Pomey (éd.), La navigation dans l’Antiquité, p. 82.
160 Tite-Live, XXII, 22, 2.
161 Ainsi, loin de minimiser le volume de butin physiquement transporté à Rome, E. García Riaza, « Especie, metal, moneda. Consideraciones en torno a la cuantificación de las exacciones romanas en Hispania republicana », pp. 43-44, insiste au contraire sur la portée symbolique de tels transferts de richesses : ils constituaient la représentation tangible de la victoire obtenue dans un lieu lointain, inconnu de la majorité des spectateurs du triomphe.
162 P. A. Brunt, « Pay and Superannuation in the Roman Army », p. 50.
163 Polybe, XI, 28, 4. Rien ne permet de supposer en effet que la plus grande partie de la solde restait encore versée au retour à Rome, comme le défendent T. Ñaco del Hoyo et A. Prieto Arciniega, « Moneda e historia monetaria en la Hispania republicana », p. 212.
164 Il faut cependant tenir compte d’un fait important, souligné par A. J. Toynbee, Hannibal’s Legacy, t. II, pp. 60 et 73, à propos du service : entre la fin de la seconde guerre punique et 172, la plus grande concentration de troupes concerne la Ligurie et le nord de l’Italie (bassin du Pô et nord-ouest desApennins), c’est-à-dire des régions peu éloignées de Rome. Dans ce cas, il n’y avait pas de raison de transformer radicalement le système de la solde, uniquement parce que, sur un théâtre d’opération comme l’Espagne (qui ne mobilise jamais plus de quatre légions et souvent seulement deux), cela pouvait être plus pratique. Rome a donc dû simplement adapter légèrement son système par l’envoi des fonds. « During the years 200-168 BC, the average number of legions posted overseas (none was posted during this period in Sicily) was 4.7 out of an average total of 9.7. » Cela fait quand même la moitié des effectifs servant outre-mer : le problème existait donc, mais il faut le nuancer.
165 P. Cosme, Armée et bureaucratie dans l’Empire romain, p. 155.
166 Tite-Live, XXVIII, 29, 12 : purgatoque loco citati milites nominatim apud tribunos militum in uerba iurarunt stipendiumque ad nomen singulis persolutum est.
167 Varron, De vita populi Romani, apud Nonius Marcellus, p. 853L : stipendium appellabatur quod aes militi semenstre aut annuum dabatur.
168 P. A. Brunt, « Pay and Superannuation in the Roman Army », p. 52.
169 G. R. Watson, « The Pay of the Roman Army. The Republic », p. 118, n. 1 : pour lui, Auguste a été le premier à fixer des règles en la matière. Voir aussi Tite-Live, XLV, 2, 10.
170 J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 270.
171 Tite-Live, XXVIII, 24, 7-8 : si debellatum iam et confecta prouincia esset, cur in Italiam non reuehi ? Flagitatum quoque stipendium procacius quam ex more et modestia militari erat.
172 César., BC, I, 87, 3 : Petreius atque Afranius cum stipendium ab legionibus paene seditione facta flagitarentur, cuius illi diem nondum uenisse dicerent, Caesarut cognosceret postulatum est, eoque utrique quod statuit contenti fuerunt.
173 Dans un discours que lui prête Dion Cassius pour l’année 49, César rappelle à ses soldats que ceux-ci avaient toujours reçu leur solde intégralement et à jour fixe (Dion Cassius, XLI, 28, 1). Toutefois, ce texte a fait l’objet d’interprétations opposées. P. A. Brunt, « Pay and Superannuation in the Roman Army », pp. 50-51, et R. Thomsen, « The Pay of the Roman Soldier and the Property Qualifications of the Servian Classes », p. 204, y voient un argument en faveur de l’existence d’un triple paiement annuel. Mais il est plus satisfaisant de penser que César se contentait de faire à ses soldats la même promesse en ce qui concerne la nourriture et l’argent : celle d’un approvisionnement régulier et complet. Ce passage de Dion Cassius illustre donc ici par la négative les affres du quotidien du légionnaire républicain qui devait le plus souvent se contenter d’avances sur solde, sans certitude de toucher le reliquat avant longtemps. Cette situation rappelle significativement celle des mutins de 206.
174 Tite-Live, XXVIII, 25, 6.
175 Tite-Live, XXVIII, 25, 10 : et edictum subinde <pro> positum ut ad stipendium petendum conuenirent Carthaginem.
176 Polybe, X, 19, 1-2.
177 C’est ce que semble indiquer du reste Salluste, Bell. Iug., XC, 2, déjà cité (oppidum Laris, ubi stipendium et commeatum locauerat). Ce système pouvait souffrir des exceptions : une lettre de Cicéron, datée de juillet 51, rapporte que son prédécesseur, Appius, avait payé à ses troupes leur solde complète jusqu’en juillet de l’année suivante (Ad Att., V, 14, 1). Cette disposition particulière répondait toutefois à la nécessité d’apaiser une sédition naissante.
178 Polybe, VI, 39, 15.
179 P. A. Brunt, « Pay and Superannuation in the Roman Army », pp. 52-53 ; J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 264 ; H. C. Boren, « Studies Relating to the Stipendium Militum », pp. 435-436. Sur cette question, voir infra, pp. 564-565.
180 Ce point a été justement souligné par H. C. Boren, « Studies Relating to the Stipendium Militum », p. 435. Il est par conséquent d’autant plus difficile de comprendre pourquoi sa conviction d’un versement annuel l’amène, p. 433, à minimiser le témoignage de Polybe sur la base quotidienne du calcul du stipendium : si les déductions ne pouvaient être que globales, elles intégraient aussi certainement des retenues (des amendes par exemple) dont la prise en compte reposait forcément sur cette base quotidienne. Versement annuel et calcul journalier n’ont donc rien d’incompatible, au contraire.
181 Peut-être pas autant, toutefois, que ne le supposent T. Ñaco del Hoyo et A. Prieto Arciniega, « Moneda e historia monetaria en la Hispania republicana », p. 212, qui, non contents d’affirmer que les armées en campagne se contentaient de la praeda, estiment qu’une large partie de la solde était versée aux soldats seulement à leur retour à Rome, si bien qu’ils ne croient pas nécessaire d’imaginer une arrivée de monnaie romaine en Hispania. Cette hypothèse néglige de prendre en compte le fonctionnement du système sur la longue durée : nombreux furent les moments, au cours des IIe et Ier siècles, où il n’était guère possible d’amasser un butin considérable, tandis que la tendance croissante au maintien des légionnaires sur place plusieurs années consécutives, même moins extrême qu’on a pu parfois l’écrire, a empêché une grande partie des effectifs, dès le début du IIe siècle, de pouvoir continuer à toucher leur solde seulement au retour ; voir aussi M. À. Aguilar Guillén et T. Ñaco del Hoyo, « Moneda y stipendium militar en la Hispania anterior al 133 a. C. », pp. 288-289, auxquels on peut faire les mêmes objections, mais qui relativisent à juste titre les besoins réels en métal monnayé dans l’entretien des armées de conquête. Ils soulignent en particulier qu’il faut tenir compte de la proportion parfois très forte de troupes alliées, dont la solde n’était pas versée pas l’État romain.
182 P. P. Ripollès Alegre, « Los hallazgos de moneda romano-republicana en la Tarraconense y Baleares », pp. 91-126 ; L. Villaronga, « La monnaie d’argent en Espagne », p. 116 ; M. H. Crawford, Coinage and Money under the Roman Republic, p. 97 ; T. R. Volk, « The Composition, Distribution and Formation of Roman Republican Coin Hoards from S. Hispania, c. 100 BC », p. 360. L. Villaronga a nuancé cependant sa position initiale : dans L. Villaronga, « La péninsule Ibérique », p. 67, il cherche à relativiser cette pénurie.
183 Sur les précautions nécessaires dans l’étude des trésors, voir notamment H. Zehnacker, « La numismatique de la République romaine », p. 272, et en dernier lieu K. W. Harl, Coinage in the Roman Economy, p. 14. De même, F. Chaves Tristán, Los tesoros en el sur de Hispania, p. 28, souligne bien que l’intérêt d’un trésor est surtout de donner à connaître ce qui était considéré comme ayant de la valeur à l’époque. Elle insiste en particulier sur la fréquente présence d’orfèvrerie et de joyaux à côté des monnaies elles-mêmes, ce qui tend à montrer que ces dernières étaient avant tout thésaurisées pour leur valeur en métal précieux (p. 487).
184 Il suffit pour cela de constater les débats que soulèvent encore aujourd’hui la date de création du denier ibérique ou même, dans une moindre mesure, celle du denier romain. Sur le premier, T. Ñaco del Hoyo et A. Prieto Arciniega, « Moneda e historia monetaria en la Hispania republicana », pp. 199-200 ; sur le second, A. Hersh, « Notes on the Chronology and Interpretation of the Roman Republican Coinage », pp. 19-36, et P. Marchetti, Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, p. 301, ont cherché à réviser la chronologie proposée par M. H. Crawford. Voir aussi dernièrement : F. et X. Calicó, Denarios romanos anteriores a J. C. y su nuevo método de clasificación ; W. T. Loomis, « The Introduction of the Denarius », pp. 338-355.
185 M. H. Crawford, Coinage and Money under the Roman Republic, p. 90 ; L. Villaronga, « La monnaie d’argent en Espagne », p. 112 ; P. P. RipollèsAlegre, « Circulación monetaria en Hispania durante el periodo republicano y el inicio de la dinastía Julio-Claudia », p. 130.
186 M. H. Crawford, Coinage and Money under the Roman Republic, p. 91 : « Its seems improbable that the Roman troops serving in Spain were paid entirely or even predominantly with Roman coinage. »
187 Jusqu’ici, la discussion sur ce problème s’est en effet focalisée sur l’armée impériale. C. H. V. Sutherland, « The Intelligibility of Roman Coin Types », p. 53, croit ainsi à une prédominance du bronze, contre T. R. Volk, « Mint Output and Coin Hoards », pp. 142-155, et K. W. Harl, Coinage in the Roman Economy, p. 16.
188 P. Marchetti, « Paie des troupes et dévaluations monétaires au cours de la seconde guerre punique », p. 215 ; récemment, K. W. Harl, Coinage in the Roman Economy, pp. 26 et 30, a même placé le passage du bronze à l’argent encore plus tôt, dès avant 218.
189 La date généralement admise aujourd’hui par les numismates est 213-211, suivant en cela la proposition de M. H. Crawford (RRC, p. 23). P. Marchetti, Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, pp. 301 et 507, a proposé de la remonter à 214, et M. P. García-Bellido, El tesoro de Mogente y su entorno monetal, p. 127 de la rabaisser à 209.
190 A. Burnett, La numismatique romaine, p. 44 ; en outre, H. Zehnacker, « La numismatique de la République romaine », p. 286, observe que, sans l’influence grecque, il est probable que Rome n’eût connu longtemps que le monométallisme du bronze.
191 RRC, I, p. 74 : M. H. Crawford admet même l’idée que la frappe du denier a pu être interrompue entre 170 et 157.
192 M. H. Crawford, Coinage and Money underthe Roman Republic, p. 72 ; il est suivi par M. Campo Díaz, « Els exèrcits i la monetització d’Hispània (218-45 a. C.) », pp. 66-67 et 75-76.
193 P. Cosme, Armée et bureaucratie dans l’Empire romain, p. 155.
194 H. Zehnacker, « Monnaie de compte et prix à Rome au IIe siècle avant notre ère », p. 40. Selon lui, dans la comptabilité publique, les sommes payées en bronze sont comptées en as, les sommes payées en argent sont comptées en deniers, les comptes des deux métaux étant soigneusement distincts.
195 Il semble que cette substitution soit intervenue dans les donatiua associés aux théâtres d’opération les plus riches avant de se généraliser : d’abord en Orient, puis en Espagne et enfin en Gaule-Ligurie. Cette évolution confirme que l’attrait des différentes guerres outre-mer n’était pas identique.
196 Pline, NH, XXXIII, 45. Le passage de l’as au denier dans le versement de la solde est forcément antérieur à la retarification proprement dite, sans quoi on ne comprendrait pas le sens de l’établissement du tarif préférentiel à ce moment. Il est probable cependant que le changement de métal n’est pas intervenu très longtemps avant.
197 H. Zehnacker, « Monnaie de compte et prix à Rome au IIe siècle avant notre ère », p. 41. L’auteur reconnaît toutefois l’usage parallèle du sesterce dans les finances publiques dès la première moitié du IIe siècle.
198 D’où la revendication des mutins en 14 ap. J. -C. qui se plaignaient de ne toucher que 10 as et non un denier (Tacite, Ann., I, 17).
199 Ainsi, F. Chaves, « Indigenismo y romanización desde la óptica de las amonedaciones hispanas de la Ulterior », p. 110, a insisté sur les limites de notre connaissance de la pénétration de bronzes romains en Hispania ; même constat chez A. Arévalo González et M. Campo Díaz, « Las emisiones romanas y sus imitaciones en Hispania durante la República », p. 318 ; voir aussi M. Campo Díaz, « Els exèrcits i la monetització d’Hispània (218-45 a. C.) », pp. 66-67.
200 Leur datation précise n’est toutefois pas toujours aisée. La monnaie la plus récente est un as oncial du type Janus/proue qui porte la légende OPEI et que M. H. Crawford date entre 208 et 150 : RRCH, nº 557.
201 Contrairement à M. H. Crawford, Coinage and Money under the Roman Republic, p. 91, qui interprète ces décalages comme l’indice d’une arrivée intermittente et sporadique du monnayage romain en Espagne, R. C. Knapp, « Spain », p. 19, souligne avec raison la longévité de certaines émissions : « … the massive bronze issues by Romans during those years and the fiduciary nature of the coinage meant that even in Augustus’s day the bulk of bronze in circulation was from that early period ». Le scepticisme de M. H. Crawford provient surtout du fait qu’il défend l’idée que les dépenses de l’État étaient systématiquement couvertes en monnaie nouvelle, ce qui est loin d’être certain, comme le rappellent A. Burnett, La numismatique romaine, p. 94, et K. W. Harl, Coinage in the Roman Economy, p. 18.
202 Pour la période qui nous concerne, la réflexion des numismates concerne principalement la monnaie d’argent, tandis que la monnaie de bronze attire peu leur attention. Ce fait a été relevé en particulier par F. Chaves Tristán, « Tesaurizaciones de monedas de bronce en la Península Ibérica. La República y el inicio del Imperio : nuevos datos. I », p. 375, qui a souligné que ce déséquilibre n’est pas propre à la péninsule Ibérique, mais concerne aussi l’Italie elle-même. Voir aussi Ead., « Consideraciones sobre los tesorillos de monedas de bronce en Hispania. República e inicios del Imperio romano. II », p. 267, et Ead., « Los hallazgos numismáticos y el desarrollo de la Segunda Guerra Púnica en el sur de la Península Ibérica », p. 615, n. 9.
203 F. Chaves Tristán, Los tesoros en el sur de Hispania, pp. 569-600. Elle insiste avec raison sur le fait que l’apparition de bronzes romains dans les trésors les plus récemment exhumés, comme celui d’El Cerro Macareno, dans la province de Séville, renforce l’idée qu’une plus grande attention à ces pièces de peu de valeur est susceptible de modifier l’aspect du dossier documentaire.
204 M. H. Crawford, Coinage and Money under the Roman Republic, p. 95 ; F. Chaves Tristán, « Consideraciones sobre los tesorillos de monedas de bronce en Hispania. República e inicios del Imperio romano. II », pp. 271-272. On connaît 16 trésors italiens datés entre 208 et 150 et 3 seulement entre 150 et 92.
205 J. -C. -M. Richard et L. Villaronga, « Recherche sur les étalons monétaires en Espagne et en Gaule du Sud antérieurement à l’époque d’Auguste », p. 87.
206 A. Arévalo González et M. Campo Díaz, « Las emisiones romanas y sus imitaciones en Hispania durante la República », p. 319, estiment ainsi que le plus grand nombre de trouvailles de bronzes romano-républicains dans la péninsule Ibérique concerne les années 218-194et se localise dans la zone côtière de Citérieure, ce qui suggère que ce numéraire « debió llegarcon los primeros contingentes romanos ».
207 R. C. Knapp, « Spain », p. 24.
208 Les monnaies romaines des camps de Numance correspondent à des quantités très faibles : une dizaine de pièces pour les camps de Scipion (dont trois seulement à Castillejo, considéré comme le quartier général) ; trente-huit pour les camps I, II et III de Renieblas, six pour le camp IV et neuf pour le camp V, à Renieblas également. Sur ces trouvailles, voir E. J. Haeberlin, dans A. Schulten, Numantia IV, pp. 235-256 ; J. Romagosa, « Las monedas de los campamentos numantinos », pp. 87-96 ; H. J. Hildebrandt, « Die Römerlager von Numantia », pp. 238-271.
209 Sur les achats effectués par les légionnaires dans les hiberna, voir infra, pp. 575-577.
210 M. H. Crawford, Coinage and Money under the Roman Republic, p. 98 ; C. Blázquez Martínez, « Tesorillos de moneda republicana en la Península Ibérica. Addenda a Roman Republican Coin Hoards », pp. 105-142 ; L. Villaronga, Tresors monetaris de la Península Ibérica anteriors a August, pp. 78-80 et 92.
211 M. H. Crawford, Coinage and Money under the Roman Republic, p. 98 ; F. Chaves Tristán, Los tesoros en el sur de Hispania, p. 550.
212 Logiquement, certains indices laissent penser qu’il en allait de même pour le numéraire de bronze : P. López Sánchez, « Tesorillo de monedas de bronce “Alt Empordà II-1987” », pp. 87-94, souligne qu’on trouve en général les as romains dans les trésors proches des points de débarquement des navires romains (Empúries 4, Escombrera Martí [Gérone], L’Illa Pedrosa [Gérone]).
213 L. Villaronga, « La péninsule Ibérique », pp. 58 et 67 ; F. Chaves Tristán, Los tesoros en el sur de Hispania, p. 550 : elle estime que la monnaie romaine se fait plus fréquente en Ultérieure à partirdes années 155 et surtout 138-132. Plus généralement, elle insiste avec raison sur le fait qu’en dehors du stipendium lui-même, la présence romaine impliquait dès l’origine, et plus encore avec l’organisation des provinces en 197, l’arrivée de numéraire officiel destiné à régler la plus grande partie des frais divers, comme le ravitaillement de l’armée ou l’entretien de l’entourage du gouverneur. Cet approvisionnement en numéraire est renforcé à la fin du IIe siècle par des flux privés croissants (p. 572).
214 L. Amela Valverde, « La circulación monetaria romano-republicana durante la guerra sertoriana según las ocultaciones de la época (82-72 a. C.) », p. 29, estime ainsi que la guerre de Sertorius ne semble pas avoir affecté la circulation du denier romain et que le numéraire romain est même plus abondant qu’auparavant. Ce point de vue a été nuancé par M. B. C. S. De Guinea Barbosa, « Tesouros sertorianos aparecidos em território português », p. 302, qui admet toutefois le grand nombre des monnaies officielles romaines dans les trésors portugais de l’époque.
215 F. Chaves Tristán, Los tesoros en el sur de Hispania, pp. 574-576, rejette avec raison l’idée que les soldats romains pouvaient être à l’origine de la plupart des enfouissements ; accord de M. Campo Díaz, « Els exèrcits i la monetització d’Hispània (218-45 a. C.) », notamment p. 75, qui estime cependant que cette dissociation entre la circulation monétaire et l’armée s’accentue surtout à partir de la seconde moitié du IIe siècle.
216 Ce qui rend très aléatoire toute tentative en ce sens, comme par exemple celle de J. de Alarcão, « O contexto histórico dos tesouros republicanos romanos em Portugal », p. 2.
217 C. Alfaro Asins et alii, Historia monetaria de Hispania antigua, p. 14 ; M. P. García-Bellido, « Los ámbitos de uso y la función de la moneda en la Hispania republicana », p. 177 ; Ead, « Sobre la moneda de los íberos », pp. 109-126 ; P. P. Ripollès Alegre, « Coinage and Identity in the Roman Provinces : Spain », pp. 80-87.
218 Les résultats de ce long travail d’identification des émissions ont été récemment synthétisés dans plusieurs gros catalogues : L. Villaronga, Corpus Nummum Hispaniae ante Augusti Aetatem ; J. M. Abascal et P. P. Ripollès, Monedas hispánicas ; M. P. García-Bellido et C. Blázquez, Diccionario de cecas y pueblos hispánicos, t. I et II.
219 L. Villaronga, Denarios y quinarios ibéricos, p. 14, souligne que le poids théorique de cette pièce (3,99 gr) ainsi que sa haute teneur en argent en font un équivalent du denier romain réduit ; M. H. Crawford, Coinage and Money under the Roman Republic, p. 91, remarque en outre que le système, associant monnaies de bronze et d’argent, auquel il s’intègre, fait aussi penser au denier romain ; M. P. García-Bellido, « Origen y función del denario ibérico », p. 97, rappelle toutefois qu’aucune source antique ne mentionne jamais le terme de « denier ibérique ». Voir aussi, Ead., « Roma y los sistemas monetarios provinciales », pp. 563-564.
220 L. Villaronga, Denarios y quinarios ibéricos, p. 14 : « En resumen, los romanos autorizan la acuñación de los denarios ibéricos, con las características de su propia moneda, el denario, con su peso y metal, pero dejando a los indígenas el uso de su tipología y su escritura. »
221 Ibid., p. 47, et aussi M. P. García-Bellido, « Origen y función del denario ibérico », p. 103, qui insiste sur le fait que les trésors du début du IIe siècle (195-180) sont abondants et contiennent beaucoup de monnaies d’argent, mais aucun denier ibérique ; elle fait remarquer, p. 105, que l’unique exemplaire du denier de Bolskan des camps de Scipion s’accompagne de nombreuses monnaies de bronze ibérique ordinairement associées au denier, ce qui plaide en faveur d’un terminus ante quem pour ce dernier. Comme ces bronzes se retrouvent aussi à Renieblas III, ce terminus pourrait être selon cet auteur plutôt 154 que 133. Même conviction chez M. H. Crawford, Coinage and Money under the Roman Republic, p. 93, qui toutefois tient seulement compte des trouvailles des camps de Scipion et fait donc du terminus de 154 davantage un terminus post quem. Sur les monnaies des camps de Numance, voir : E. J. Häberlin dans A. Schulten, Numantia IV, pp. 255-283 ; RRCH, nos 118, 557, 558, 562.
222 M. H. Crawford, Coinage and Money under the Roman Republic, p. 95. Il suit en cela l’hypothèse de G. K. Jenkins, « Notes on Iberian Denarii from the Cordova Hoard », pp. 57-69. Mais il n’exclut pas que la frappe du denier ibérique ait pu débuter dès 180-178, à la suite des mesures de Gracchus.
223 L. Villaronga, Denarios y quinarios ibéricos, p. 55. Ce type d’argument, suivi dans un premier temps par M. H. Crawford, « The Financial Organisation of the Republican Spain », pp. 80-84, a été depuis rejeté par le numismate britannique dans Coinage and Money under the Roman Republic, p. 93 : tout en reconnaissant que les deniers de Bolskan du trésor de Cordova présentent une analogie avec la métrologie du premier denier romain, il estime que cela ne suffit pas à prouver leur contemporanéité, car il croit que le denier romain du IIe siècle n’a pas circulé dans la péninsule Ibérique avant les années 150 et que, par conséquent, toute création indigène de cette période aurait pris pour patron un modèle antérieur, quand bien même le poids du denier romain ailleurs en Méditerranée était depuis longtemps abaissé.
224 Ce risque d’un raisonnement circulaire à propos de la datation de l’apparition du denier ibérique doit être rapproché de celui qui complique plus généralement le débat sur le domaine fiscal, comme l’ont bien montré T. Ñaco del Hoyo et A. Prieto Arciniega, « Moneda e historia monetaria en la Hispania republicana », p. 200. Voir aussi T. Ñaco del Hoyo, Vectigal incertum, pp. 215-221.
225 L. Villaronga, Denarios y quinarios ibéricos, p. 55 : « Además de los aspectos numismáticos en que hemos ido basando nuestra exposición, existen les necesidades financieras de los romanos para sostenersu ejército ya a principios del siglo II a. C., al terminarse la acuñación de las dracmas emporitanas. » Les trouvailles de drachmes d’Emporion passée cette date lui semblent relever d’une circulation résiduelle, bien que les nombreux exemplaires des trésors de Segaró et La Barroca, datables de 111, suggèrent la continuité des frappes emporitaines jusqu’à la fin du IIe siècle, comme l’a montré A. M. de Guadán, « Cronología de las acuñaciones de plata de Emporion y Rhode », p. 48, qui croit même pouvoir rabaisser la date de la fin de ces frappes jusqu’au premier quart du Ier siècle ; il est suivi par M. P. García-Bellido, « Origen y función del denario ibérico », pp. 112-113, qui interprète de même le trésor de Oristá, datable de 74. Pour sa part, M. Campo Díaz, « La moneda griega y su influencia en el contexto indígena », pp. 47-48, admet une poursuite des frappes de l’atelier d’Emporion jusqu’à la fin du IIe siècle, mais attribue néanmoins les ultimes émissions des années 70 au contexte bien particulier des guerres sertoriennes.
226 M. H. Crawford, Coinage and Money under the Roman Republic, p. 95.
227 Ibid., p. 91.
228 Ibid., p. 94.
229 L. Villaronga, Denarios y quinarios ibéricos, p. 47 ; le mauvais état de certaines pièces avait été du reste généralement souligné : G. K. Jenkins, « Notes on Iberian Denarii from the Cordova Hoard », p. 58 ; R. C. Knapp, « The Date and Purpose of the Iberian Denarii », p. 6 ; M. H. Crawford, « The Financial Organisation of the Republican Spain », pp. 85-87 ; P. Marchetti, Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique, pp. 425-430. Toutefois P. P. Ripollès Alegre, « Circulación monetaria en Hispania durante el periodo republicano y el inicio de la dinastía Julio-Claudia », p. 132, a émis des doutes sur l’origine du degré d’usure de ces pièces.
230 L. Villaronga, Denarios y quinarios ibéricos, pp. 67-68, suggère le début des frappes au début du IIe siècle (représentées par les émissions de Kese, Iltirta/Iltirtasalirban, Auseken et Ikalkusken), suivies dans la première moitié du IIe siècle par une autre série (Sesars, Bolskan, Sekaisa, Konterbia, Arekorata, Ikalkusken) ; la seconde moitié du IIe siècle aurait vu la multiplication des frappes (Bolskan, Belikio, Sekia, Iltirtasalirban, Kelse, Sekaisa, Baskunes, Bentian, Arsaos, Turiasu, Arekoratas, Arekorata, Oilaunu, Ikalkusken) ; enfin, poursuite des frappes dans le premier tiers du Ier siècle (Bolskan, Belikio, Turiasu, Arsakoson, Kolounioku, Sekobirikes, Sekotias, Ikalkusken). Une chronologie légèrement différente, situant le début des frappes plutôt dans la première moitié du IIe siècle, est proposée par A. Domínguez Arranz, « Las acuñaciones ibéricas y celtibéricas de la Hispania Citerior », p. 192.
231 R. C. Knapp, « Spain », p. 23, et M. P. García-Bellido, « Origen y función del denario ibérico », p. 103, s’appuient ainsi sur l’absence de denier au cavalier à Ullastret, un oppidum vraisemblablement détruit vers 195, pour défendre une chronologie postérieure à cette date. L’hypothèse d’une datation haute est partagée également par F. Beltrán Lloris, « Sobre la función de la moneda ibérica e hispano-romana », p. 898 ; Id., « De nuevo sobre el origen y la función del denario ibérico », pp. 112-113. C’était du reste la première position de M. H. Crawford, « The Financial Organisation of the Republican Spain », p. 82.
232 Notons ainsi que la proposition de datation basse retenue finalement par M. H. Crawford, en dépit des caractéristiques du monnayage, est en fait largement destinée à résoudre ce paradoxe, puisque le savant anglais est justement celui qui a le mieux insisté sur cette exclusivité du bronze dans le versement de la solde légionnaire jusque dans les années 150.
233 L. Villaronga,« La péninsule Ibérique », pp. 57-69, repris et condensé dans Id., Denarios y quinarios ibéricos, pp. 74-78. Si l’on peut admettre l’utilité de tels calculs pour tenter d’obtenir un ordre de grandeur relatif à l’évolution du volume des émissions, on ne saurait comparer terme à terme ce qui ne reste malgré tout que des hypothèses très aléatoires. Il est significatif que l’auteur souligne p. 77, qu’en ce qui concerne la première moitié du IIe siècle, il aboutit à une quantité insuffisante de deniers ibériques pour alimenter une seule légion romaine, ce qui l’amène à suggérer paradoxalement qu’à cette époque, l’envoi de numéraire depuis Rome s’imposait encore.
234 L. Villaronga, Denarios y quinarios ibéricos, p. 80, limite ainsi l’aire de circulation du denier ibérique à la Meseta ainsi qu’à l’Aragon actuel.
235 R. C. Knapp, « Spain », p. 22, distingue nettement ces monnayages de ceux de l’intérieur ; M. P. García-Bellido, « Los ámbitos de uso y la función de la moneda en la Hispania republicana », p. 196, estime pour sa part que la Kese mentionnée par les inscriptions monétaires ne peut pas être identifiée avec Tarragone.
236 M. H. Crawford, Coinage and Money under the Roman Republic, p. 94.
237 L. Villaronga, Denarios y quinarios ibéricos, p. 80. Ainsi, F. Chaves Tristán, Los tesoros en el surde Hispania, p. 513, a réfuté son hypothèse.
238 G. K. Jenkins, « Notes on Iberian Denarii from the Cordova Hoard », pp. 57-69, et Id., « ACeltiberian Hoard from Granada », pp. 135-146, a attiré l’attention surle fait que, non seulement les émissions de Bolskan ne peuvent toutes être mises en relation avecla guerre sertorienne, mais encore que cet atelier fut loin d’être le seul, voire même le plus important, utilisé par Sertorius. Accord de P. P. Ripollès Alegre, « Circulación monetaria en Hispania durante el periodo republicano y el inicio de la dinastía Julio-Claudia », p. 137 ; L. Villaronga, Denarios y quinarios ibéricos, p. 78, estime aussi le volume des émissions de Sekobirikes un peu supérieur à celui des frappes de Bolskan, et ajoute celles de Turiasu. Voir en dernier lieu C. Marcos Alonso, « La moneda en tiempos de guerra. El conflicto de Sertorio », pp. 93-97.
239 Plutarque, Sert., XXII, 6 : ἔπειτα τὸ χϱώμενον ὅπλοις ϰαὶ χϱήμασι ϰαὶ πόλεσι ταῖς Ἰβήϱων μηδ᾽ ἄχϱι λόγου τῆς ἄϰϱας ἐξουσίας ὑϕίεσθαι πϱὸς αὐτούς.
240 L. Villaronga, Denarios y quinarios ibéricos, p. 82, estime à 0,68 % la proportion de ce monnayage dans les trésors de cette période et considère, p. 51, les trente-cinq exemplaires trouvés dans les huit trésors connus (Alcalá de Henares, Almadenes de Pozoblanco, Carthagène, Catalogne, El Centenillo, Lliria, Mentesa et San Mamede deVila Real) comme l’indice d’une circulation résiduelle.
241 P. P. Ripollès Alegre, « Circulación monetaria en Hispania durante el periodo republicano y el inicio de la dinastía Julio-Claudia », p. 140 ; on se demande toutefois s’il convient d’aller aussi loin que M. P. García-Bellido, « Origen y función del denario ibérico », p. 107, qui estime que le type au cavalier à la lance s’est converti du même coup en emblème de l’indépendance face à Rome. Elle s’appuie pour cela sur la modification de l’iconographie monétaire après les guerres sertoriennes, les symboles civiques romains (couronnes, magistrats) se substituant fréquemment au cavalier. Toutefois, elle reconnaît elle-même que Bolskan conserva néanmoins la représentation du cavalier dans son répertoire et on voit mal comment l’ancienne capitale sertorienne, devenue municipe augustéen par la suite, aurait pu continuer à afficher cette image si celle-ci constituait en soi un manifeste prosertorien ou « anti-romain ».
242 P. P. Ripollès Alegre, « Circulación monetaria en Hispania durante el periodo republicano y el inicio de la dinastía Julio-Claudia », p. 140, suggère ainsi qu’il est possible de dater les émissions bilingues de la Citérieure (Saitabi, Kili, Saguntum, Kelse, Usekerte) entre 72 et 44 ; mais ensuite les monnaies portant l’écriture ibérique disparaissent de la documentation. Voir aussi L. Villaronga, Numismática antigua de Hispania, pp. 232-242.
243 A. Giovannini, Rome et la circulation monétaire en Grèce au IIe siècle av. J. -C., p. 33. Il estime en effet que « le denier n’a été utilisé en Grèce, ni comme monnaie de compte, ni comme moyen de paiement » (p. 28).
244 R. C. Knapp, « Spain », p. 25, rejette ainsi l’idée que la péninsule Ibérique aurait connu des nummularii avant la période impériale, comme le suggère L. Villaronga, dans « Incontro di studio su “Stato e moneta a Roma fra la tarda Repubblica e il primo Imperio”. Discussione », p. 221, en s’appuyant sur le trésor d’Albacete. En effet, celui-ci doit être daté du règne de Tibère et ne permet pas d’étendre des conclusions à la période républicaine. M. P. García-Bellido, « Los ámbitos de uso y la función de la moneda en la Hispania republicana », p. 189, qui refuse également l’emploi de monnaie indigène pour payer les armées romaines, insiste pour sa part sur la difficulté de penser l’économie antique comme un tout chronologique et géographique.
245 A. Giovannini, Rome et la circulation monétaire en Grèce au IIe siècle av. J.-C., pp. 28-29.
246 Ibid., p. 31.
247 Ibid., pp. 32-33.
248 Ibid., pp. 31-32, accepte en effet l’idée que, en temps normal, les armées romaines étaient payées en bronze.
249 Il est intéressant de noter à ce sujet que tous les exemples cités par A. Giovannini pour prouver la non circulation du denier dans la Grèce du Ier siècle sont effectivement relatifs à des paiements privés. Voir notamment p. 29 : « Les Romains eux-mêmes font leurs affaires en Grèce avec de l’argent grec. » Il cite ainsi le prix d’un affranchissement à Orchomène d’Arcadie en 80 (IG, V, 2, 345), les prêts des Cloatii à la cité de Gythion vers 75 (Sylloge3, 748, l. 10, 35 et 40) ou celui de L. Aufidius Bassus aux Téniens (IG, XII, 5, 860, l. 21-23), et enfin les économies en cistophores réalisées par Cicéron au cours de son proconsulat (Cicéron, Ad Att., XI, 1, 2).
250 Tout en rappelant le souci du sénat de contrôler étroitement le stipendium, A. Giovannini, Rome et la circulation monétaire en Grèce au IIe siècle av. J. -C., p. 35, préfère néanmoins interpréter cette absence de référence à Rome comme la manifestation d’une politique délibérée des Romains soulignant leur respect de la liberté accordée au monde grec.
251 M. H. Crawford, Coinage and Money underthe Roman Republic, p. 132, croit ainsi que l’exemple de la Grèce poussa Rome à mettre en place la frappe du denier ibérique ; il est suivi par F. Beltrán Lloris, « De nuevo sobre el origen y la función del denario ibérico », p. 110.
252 M. P. García-Bellido, « Los ámbitos de uso y la función de la moneda en la Hispania republicana », p. 177 ; Ead., « Sobre la moneda de los íberos », pp. 110-111.
253 Ead., « Sobre la moneda de los íberos », pp. 113-114.
254 M. P. García-Bellido et P. P. Ripollès Alegre, « La monnaie. Prestige et espace économique des Ibères », p. 211, précisent ainsi que ni Edeta, ni Dianium, ni Ilici (Elche) n’ont frappé monnaie. Valentia (Valence) émet tardivement.
255 M. P. García-Bellido, « Los ámbitos de uso y la función de la moneda en la Hispania republicana », p. 178 ; Ead., « Sobre la moneda de los íberos », p. 111.
256 Ead., « Origen y función del denario ibérico », p. 98 : Italica et Hispalis n’ont ainsi frappé monnaie qu’à l’époque impériale.
257 On peut citer par exemple : Salpesa, Cerit, Osset, Laelia, Vesci, Iptuci, Arsa.
258 P. P. RipollèsAlegre, « Circulación monetaria en Hispania durante el periodo republicano y el inicio de la dinastía Julio-Claudia », p. 129. Précisons toutefois qu’à l’intérieur même de ces deux ensembles, des nuances sont nécessaires, puisque la frappe du denier ibérique en Citérieure ne concerne pas la frange littorale où, à partir de la seconde moitié du IIe siècle, domine également le bronze.
259 M. P. García-Bellido, « Los ámbitos de uso y la función de la moneda en la Hispania republicana », pp. 191-192. L’auteur attribue cette réorganisation aux mesures de Caton en 195 (Tite-Live, XXXIV, 21, 7).
260 R. C. Knapp, « Spain », p. 26, a ainsi relevé que les monnayages celtiques ont tendance à copier des types existants dans les régions voisines. De même, L. Villaronga, Denarios y quinarios ibéricos, p. 19, a bien montré que la division du type au cavalier, entre un porteur de palme et un porteur de lance, correspondait à l’imitation de deux types distincts.
261 Il n’est pas sans intérêt de souligner que ce sont justement les variations typologiques de détail (tête barbue/imberbe ; chevelure ; décor) qui fournissent une partie des critères de datation des étapes des différentes émissions de deniers ibériques. En outre, L. Villaronga, Denarios y quinarios ibéricos, pp. 66-67, met ainsi parfaitement en évidence l’attribution de chaque symbole à une aire géographique déterminée : la palme caractérise les deniers catalans, sédétans et ceux de la vallée duJalón ; la lance est privilégiée par les Celtibères et les Suessétans ; l’épée figure sur les émissions vascones, tandis que les deniers d’Ikalkusken présentent un cavalier muni d’un bouclier rond. Sur ces contrastes entre les émissions de Citérieure, voir aussi F. Burillo Mozota, « Celtiberia. Monedas, ciudades y territorios », pp. 167-170.
262 Cl. Domergue, Les mines de la péninsule Ibérique dans l’Antiquité romaine, pp. 376-377. Il est important de souligner à ce sujet que, si la prise à ferme de l’exploitation des mines était vraisemblablement confiée en règle générale à des publicani, ceux-ci ne correspondaient pas tous pour autant aux grandes societates, comme le croit M. P. García-Bellido. Cl. Domergue (p. 264) a ainsi bien mis en évidence la coexistence de différents types d’exploitants dans le cas des mines de Carthagène. Cette remarque paraît essentielle, car elle permet d’écarter l’argument selon lequel l’interdiction de la frappe de l’argent en Ultérieure serait une conséquence de la collusion d’intérêts au sein de l’oligarchie romaine entre les sénateurs et les membres des grandes sociétés de publicains.
263 Ce point a été rappelé par Cl. Domergue, Les mines de la péninsule Ibérique dans l’Antiquité romaine, p. 276. Rappelons que le contrôle des mines de Carthagène et leur intense exploitation dès le début du IIe siècle par Rome n’impliquent pas qu’il en soit allé de même pour le reste des secteurs miniers de la Sierra Morena, contrairement à ce qu’affirme M. P. García-Bellido. Celle-ci se contredit du reste en suggérant que les villes de Citérieure achetaient le métal auprès des exploitants de la Sierra Morena : cette hypothèse n’est guère compatible en effet avec son interprétation d’une confiscation de la production d’argent par l’État romain.
264 Ibid., p. 380, ne discute que la question du monnayage de la vallée de l’Èbre, et laisse par conséquent ce problème sans solution ; R. C. Knapp, « Spain », p. 29, attribue le phénomène à un approvisionnement suffisant de la province en argent romain dès le milieu du IIe siècle.
265 Sur ce problème méthodologique, voir les remarques judicieuses de R. C. Knapp, « Spain », p. 19.
266 Voir supra, pp. 497-499.
267 M. P. García-Bellido, « Los ámbitos de uso y la función de la moneda en la Hispania republicana », p. 182, a ainsi suggéré que, chez les Vaccéens, certains types de bijoux aient pu avoir valeur de monnaie.
268 J. Marquardt, De l’organisation financière chez les Romains, p. 229 ; É. Person, Essai sur l’administration des provinces romaines sous la République, p. 169 ; G. H. Stevenson, Roman Provincial Administration till the Age of the Antonines, p. 68 ; A. Lintott, Imperium Romanum, pp. 70-80.
269 On a parfois proposé que les cités frappant monnaie aient servi de relais entre les populations indigènes et le pouvoir romain pour le paiement de l’impôt. Fonctionnant comme des centres de perception, elles auraient drainé les richesses de leur territoire avant de les convertir en monnaie à l’usage de Rome. Pour la Citérieure, voir : F. Burillo Mozota, « La jerarquización del hábitat de época ibérica en el valle medio del Ebro. Una aplicación de los modelos locacionales », pp. 215-228 : M. P. García-Bellido et A. Pérez Almoguera, « Las cecas catalanas y la organización territorial romano-republicana », pp. 48-52. Pour l’Ultérieure, S. Keay, « The Romanisation of Turdetania », pp. 288-292. Aucun des schémas proposés n’est toutefois entièrement satisfaisant.
270 L. Villaronga, « Assaig-balanç dels volums de les emissions monetaries de bronze a la Península Ibèrica », p. 29 ; F. Chaves Tristán, « Indigenismo y romanización desde la óptica de las amonedaciones hispanas de la Ulterior », p. 110 ; Ead., « Las acuñaciones latinas de la Hispania Ulterior », pp. 315-316.
271 On retrouverait alors en partie un modèle de fonctionnement proche de celui imaginé par K. Hopkins, « Taxes and Trade in the Roman Empire », pp. 101-125. Bien que séduisant, ce modèle demeure toutefois concrètement indémontrable et se heurte surtout à quantité de difficultés en ce qui concerne la période républicaine. Sur ce point, voir Ch. Howgego, « Coin Circulacion and the Integration of the Roman Economy », pp. 5-21.
272 F. Chaves Tristán, « Numismática antigua de la Ulterior », pp. 99-122, pense ainsi qu’il fallait l’autorisation de Rome pourfrappermonnaie. Cette question est aujourd’hui généralement tranchée par la négative : R. C. Knapp, « Spain », p. 19, et M. P. García-Bellido, « Los ámbitos de uso y la función de la moneda en la Hispania republicana », p. 188. Cette dernière, tout en acceptant l’idée que Rome a pu organiser les monnayages existants, refuse qu’elle en ait été à l’origine ; voir aussi Ead., « Sobre la moneda de los íberos », p. 122 ; depuis, F. Chaves a renoncé à sa première position : F. Chaves Tristán, « Indigenismo yromanización desde la óptica de las amonedaciones hispanas de la Ulterior », p. 120.
273 Appien, Ib., 44. Il paraît clair que de telles exigences ont accompagnées la conclusion des accords avec les populations locales dès la seconde guerre punique (voir Polybe, X, 38, 5). Sur cette question, voir infra, pp. 669-672.
274 Polybe, VI, 21. V. Ilari, Gli italici nelle strutture militari romane, pp. 57-86, a montré la spécificité de la contribution italienne qui n’a sans doute pas été dès l’origine fixée à un montant précis.
275 Ibid., p. 88, a toutefois nuancé le caractère rigide du recrutement des socii en Italie. Le sénat pouvait certaines années faire appel à une seule région italienne. Le plus souvent Rome n’utilisait pas l’ensemble des contingents italiens prévus par la formula togatorum. Reste que le montant des effectifs était fixé unilatéralement par le sénat.
276 J. M. Roldán Hervás, Los hispanos en el ejército romano de época republicana, p. 39. Voir aussi infra, pp. 679-680.
277 Cl. Nicolet, « Le stipendium des alliés italiens avant la Guerre sociale », p. 3.
278 J. M. Roldán Hervás, « Los reclutamientos romanos en el valle del Ebro, en época republicana », p. 105, se contente ainsi de suggérer que « estas tropas eran pagadas con la plata conseguida de la explotación de la Península » ; pour sa part, L. Villaronga, Numismática antigua de Hispania, p. 167, a supposé que les auxiliaires étaient payés en monnaie indigène par les Romains, ce qui a été réfuté à juste titre par R. C. Knapp, « Spain », p. 35, n. 82, qui fait remarquer qu’on se trouverait alors dans le cas d’un recrutement de mercenaires, « a status seldom attested fornatives in the Roman army in Spain » ; M. À. Aguilar Guillén et T. Ñaco del Hoyo, « Moneda y stipendium militar en la Hispania anterior al 133 a. C. », p. 282, admettent que le paiement des auxilia hispaniques devaient être à la charge des cités indigènes qui les fournissaient.
279 Sur la conquête de cette région : N. Dupré, « La place de la vallée de l’Èbre dans l’Espagne romaine », p. 139 ; F. Beltrán Lloris, M. Martín-Bueno et F. Pina Polo (éd.), Roma en la cuenca media del Ebro, notamment, pp. 15-42.
280 L. Villaronga, Denarios y quinarios ibéricos, pp. 75-76.
281 F. de Callataÿ, G. Depeyrot et L. Villaronga, L’argent monnayé d’Alexandre le Grand à Auguste, p. 8 : « La plupart des méthodes se proposent comme but de retrouver à partir du nombre de coins de droit attestés (d) dans une population déterminée (n), le nombre total de coins originels utilisés (D). » Pour l’ensemble des frappes, bronze et argent, se référer en dernier lieu, pour la péninsule Ibérique, à L. Villaronga, « La masa monetaria acuñada en la Península Ibérica antes de Augusto », pp. 7-14.
282 Sur le recours plus fréquent aux auxilia à cette époque, voir J. M. Roldán Hervás, Los hispanos en el ejército romano de época republicana, p. 41. Il pense que la systématisation des levées d’auxiliaires, sur la base des conditions similaires à celles prévues par les traités gracchiens, fut rendue nécessaire en Citérieure par les difficultés posées par les guerres celtibères.
283 Voir en ce sens : R. C. Knapp, « The Date and Purpose of the Iberian Denarii », pp. 16-18, qui propose à ce sujet l’hypothèse d’un « monnayage de frontière » ; F. Beltrán Lloris, « Sobre la función de la moneda ibérica e hispano-romana », pp. 905-906 (mais finalement minoré par le même auteur dans « De nuevo sobre el origen y la función del denario ibérico », p. 114) ; M. Campo Díaz, « Els exèrcits i la monetització d’Hispània (218-45 a. C.) », pp. 69-70 ; le désaccord exprimé par M. P. García-Bellido, « Los ámbitos de uso y la función de la moneda en la Hispania republicana », p. 178, sous prétexte que la création d’ateliers n’évolue pas en fonction de la conquête, ne nous paraît pas reposer sur des arguments décisifs : elle ne tient pas compte des variations de détail analysées par L. Villaronga, et ignore également la question déterminante du volume des émissions.
284 C’est le cas par exemple de Sesars en Suessétanie, qui a frappé une importante émission, mais unique, au IIe siècle, ou bien de Oilaunu, Sekotias, Arsakos et Kolounioku en Celtibérie dont les frappes dans le premier tiers du Ier siècle sont peu nombreuses.
285 L. Villaronga, Denarios y quinarios ibéricos, p. 55.
286 Ibid., p. 55. Les émissions principales de Turiasu se font toutefois au Ier siècle, et notamment durant la guerre de Sertorius : L. Villaronga estime qu’on ne peut attribuer à la période antérieure que les exemplaires qui ne présentent pas les trois signes ibériques sur l’avers et que ceux-ci témoignent d’une « rara y corta emisión » ; de même, celles de Sekobirikes restent faibles dans la seconde moitié du IIe siècle et connaissent leur apogée par la suite.
287 Tite-Live, XXXIV, 20, 1 atteste que la majorité des troupes auxiliaires de Caton se composait de la jeunesse des Suessétans (suessetanae iuuentutis) ; voir aussi Frontin, Strat., III, 10, 1.
288 N. Santos Yanguas, « Los celtíberos en el ejército romano de época republicana », pp. 181-202.
289 Appien, Ib., 47 ; 48 ; 50-52.
290 Appien, Ib., 90. Voir H. Simon, Roms Kriege in Spanien, p. 179 ; A. Schulten, Numantia III, p. 42 ; J. M. Roldán Hervás, Los hispanos en el ejército romano de época republicana, pp. 41-42.
291 Tite-Live, XL, 30, 2, qui se contente de dire que Flaccus en avait levé « autant que possible (quanta poterat) ». Voir pp. 668, 673 et 680.
292 J. M. Roldán Hervás, « Los reclutamientos romanos en el valle del Ebro, en época republicana », p. 115.
293 CIL, I2, 709 = CIL, VI, 37045 = ILS 8888.
294 La dérivation du nom de la turma de celui de la cité est le plus répandu : A. García y Bellido, « La participación de los mílites hispanos en la historia romana durante el siglo I a. de J. C. », pp. 49-54 ; N. Criniti, L’Epigrafe di Asculum di Gn. Pompeio Strabone, p. 183 ; U. Schmoll, « Turma Sallvitana », pp. 304-311 ; mais on a objecté qu’il pouvait s’agir plutôt du nom du commandant (Salluitus ou Salluitor) : voir notamment J. M. Roldán Hervás, Hispania y el ejército romano, p. 32, n. 2 ; J. J. Sayas Abengochea, « Los vascones y el ejército romano », p. 109. Quant à P. Le Roux, L’armée romaine et l’organisation des provinces ibériques, p. 39, il laisse le dossier ouvert, tout en rapprochant le terme de pratiques plus tardives où un nom en -ana se rapporte à une unité dont le commandant est absent. Depuis, revenant sur sa première interprétation, J. M. Roldán Hervás, « El bronce de Ascoli en su contexto histórico », p. 131 [p. 123], a répondu à cette réserve : « El sufijo-ana, utilizado en la adjectivación del étnico que precisa el nombre de la turma, parece, a mi entender, un uso común y constante en la denominación de cuerpos de tropas. » D’une manière générale, cet auteur estime désormais que le Bronze de Contrebia, publié en 1980 clôt définitivement le dossier en faveur de l’interprétation géographique, en attestant la permutabilité Salduie/Salduba. Il est suivi sur ce point par L. Amela Valverde, « La turma Salluitana y su relación con la clientela pompeyana », p. 80, n. 4 et par F. Pina Polo, « ¿Por qué fue reclutada la turma Salluitana en Salduie ? », p. 198.
295 N. Criniti, L’Epigrafe diAsculum di Gn. Pompeio Strabone, pp. 194-195 ; J. M. Roldán Hervás, « El bronce de Ascoli en su contexto histórico », p. 123.
296 Les Ilerdenses sont d’Ilerda (Lérida) et les Segienses de Segia (Ejea de los Caballeros). Mais le reste est plus délicat à déterminer : le cavalier Bagarense pourrait venir de la région de Jaca, le Begense de celle d’Ilerda, les Libenses peut-être de Leiva (La Rioja) et les Suconsenses entre Salduie et Ilerda ; nous ignorons en revanche totalement où se trouvaient les Ennegenses. Sur les différentes propositions de l’historiographie au sujet de ces identifications, voir la mise au point récente de L. Amela Valverde, « La turma Salluitana y su relación con la clientela pompeyana », p. 83-85, avec rappel de la bibliographie antérieure, repris dans Id., Las clientelas de Cneo Pompeyo Magno en Hispania, pp. 87-92 ; le choix de Salduie comme centre de recrutement, plutôt que celui d’une ville plus importante comme Ilerda par exemple, s’expliquerait essentiellement pour des raisons pratiques, liées au contexte particulier de la Guerre sociale, selon F. Pina Polo, « ¿Por qué fue reclutada la turma Salluitana en Salduie ? », pp. 202-203 : sa situation de port fluvial aurait ainsi joué un rôle déterminant, car elle permettait l’acheminement rapide des auxiliaires vers Tarragone, puis l’Italie. Dernièrement, T. Ñaco del Hoyo, « Rearguard Strategies of Roman Republican Warfare in the Far West », pp. 152-154, a argumenté en faveur de l’existence de plusieurs centres du même type dans la vallée de l’Èbre.
297 J. J. Sayas Abengochea, « Los vascones y el ejército romano », p. 109.
298 Sur cette question délicate, voir p. 682.
299 P. Otero Morán, « Uso y función de las monedas ibéricas », p. 121 ; M. Campo Díaz, « Els exèrcits i la monetització d’Hispània (218-45 a. C.) », pp. 69-70 ; T. Ñaco del Hoyo, « Rearguard Strategies of Roman Republican Warfare in the Far West », p. 151. Dernièrement F. López Sánchez, « Los auxiliares de Roma en el valle del Ebro y su paga en denarios ibéricos », pp. 287-320, a apporté de nouveaux arguments, fondés notamment sur l’iconographie de ces monnayages, qui tendraient à renforcer l’hypothèse défendue ici. Pour cet auteur, il ne fait aucun doute que les deniers ibériques furent émis par des cités alliées pour financer les troupes auxiliaires qu’elles fournissaient à Rome. Toutefois, dans la mesure où il privilégie pour la majorité de ces émissions une chronologie beaucoup trop basse selon nous (entre 133 et 90 av. J. -C.), il cherche ensuite à expliquer l’essor de ce monnayage par un recours accru aux auxilia externa dans un contexte de pénurie de troupes légionnaires en Hispania, à un moment où Rome connaissait selon lui des difficultés aiguës de recrutement. Cette seconde partie de son argumentation nous semble beaucoup moins convaincante que la précédente (voir à ce sujet supra, pp. 169-170).
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