Chapitre V. Vers une armée d’occupation ?
Pratiques et organisation de l’hivernage
p. 363-416
Texte intégral
1Très vite, à partir du moment où il devint évident que le retrait total des forces romaines avait cessé d’être envisagé et qu’on maintiendrait sur place, d’une année sur l’autre, un contingent à peu près équivalent de légionnaires sous l’autorité des magistrats régulièrement envoyés dans la péninsule Ibérique, la nécessité de pourvoir au cantonnement de ces troupes durant la mauvaise saison engendra assurément l’émergence de pratiques routinières qui contribuèrent à banaliser ce que les sources latines appellent les hiberna, c’est-à-dire les quartiers d’hiver. Ceux-ci n’avaient rien d’une nouveauté, mais il est certain que les guerres d’expansion consécutives à la seconde guerre punique, et particulièrement celles qui se sont déroulées en Hispania, en ont généralisé l’usage1. Désormais, au cours de son obligation légale de service, le miles devait s’attendre, le cas échéant, à demeurer fréquemment sous les armes entre deux campagnes. Cette évolution était loin d’être négligeable. Elle eut nécessairement des répercussions dans l’organisation logistique comme dans de nombreux domaines de la vie du soldat2. Or, les intervalles entre les opérations militaires sont, en règle ordinaire, délaissés par les sources anciennes plus attirées par le fracas de la bataille. Ce déséquilibre tend à masquer le fait qu’à partir du IIIe siècle une partie essentielle de l’histoire des armées républicaines s’écrit en dehors du moment de la campagne elle-même. Ainsi, les troupes inactives entre octobre et mars formaient autant de soldats disponibles sur de longues durées pour d’éventuelles tâches de garnison. Si, comme il ressort du chapitre précédent, l’organisation d’un réseau de praesidia se laisse difficilement appréhender, peut-être est-ce simplement parce qu’un tel réseau s’inscrivait dans cette dimension de la guerre et de la conquête moins couverte par la documentation. Il convient, par conséquent, de rassembler le peu d’éléments dont nous disposons pour éclairer les conditions de l’hivernage des légions et évaluer leur rôle dans les dispositifs de contrôle des territoires conquis.
I. — LE DÉVELOPPEMENT D’INFRASTRUCTURES PERMANENTES ?
2Hivernage et fait urbain. — L’établissement d’un camp d’hiver : histoire et archéologie.
3Le maintien des légions d’Hispanie dans les provinces, d’une année sur l’autre, tendait dans les faits à les ériger en armée permanente. Les hiberna apparaissent donc comme l’élément qui est susceptible de symboliser le mieux, à première vue, la traduction concrète sur le terrain de cette situation de fait. Pour cette raison, on s’attendrait à pouvoir mettre en évidence le retour régulier des armées dans des lieux destinés à cette fonction et marqués par son empreinte. Pourtant, il ne semble pas que le cantonnement des troupes pour l’hiver se soit accompagné de la mise en place d’une quelconque infrastructure spécifique. Malgré l’importance des villes pour l’établissement des quartiers d’hiver, on ne saurait en effet conclure à l’existence de villes de garnison dans le contexte des hiberna ; de même, contrairement à une idée répandue, l’archéologie n’atteste pas clairement l’existence de camps permanents ou semi-permanents destinés à cet usage.
HIVERNAGE ET FAIT URBAIN
4À quel niveau se situe le rapport entretenu par les hiberna avec la ville ? À plusieurs reprises, en effet, la localisation des quartiers d’hiver est explicitement rapportée à des toponymes de villes : en 218/217, Gn. Scipion s’installa à Tarragone3 ; en 212/211, P. Scipion passa l’hiver peut-être à Castulo, tandis que son frère faisait de même dans une ville dont le nom est souvent rapproché de celui d’Urso4 ; entre 210 et 206, Scipion l’Africain ou ses lieutenants hivernèrent également à Tarragone5 ; par la suite, d’autres noms apparaissent : Conistorgis en 151/1506, Kαρπησός (Carteia ?) en 147/1487, Cordoue à plusieurs reprises, en 152, 144/143, 74/73 et 48/478, ou Castulo en 97/969. La liste est maigre, compte tenu du peu d’intérêt manifesté pour ces détails par les auteurs gréco-latins. Un contexte urbain associé aux hiberna apparaît cependant en d’autres occasions. Ainsi, pendant les guerres celtibéro-lusitaniennes, les généraux en déroute cherchèrent refuge à l’intérieur des villes alliées où ils prirent alors, nous dit-on, leurs quartiers d’hiver : ce fut le cas de C. Plautius, vaincu par Viriathe en 146, et de Q. Pompeius, repoussé devant Numance en 14010. Il est bien malaisé toutefois de déterminer de quelles villes il pouvait s’agir et les travaux sur ces campagnes se hasardent rarement, faute de données, à proposer des hypothèses11. L’important est ici de souligner que la ville est présentée comme un lieu fréquent d’hivernage. Cependant, ce constat n’implique pas que, dans les faits, les armées fussent toujours logées à l’intérieur des murs.
5Les pratiques attestées hors de l’Hispania montrent sans ambiguïté que les armées romaines tendaient volontiers à exploiter les infrastructures urbaines existantes12. La banalité du logement en ville est illustrée par le fait qu’interdire celui-ci aux soldats constituait l’une des punitions les plus durement ressenties. Fin 211, les troupes de Marcellus demeurées en Sicile après le départ de leur général se plaignaient de ne pas avoir le droit de passer l’hiver dans des oppida13 ; cette décision ne concernait sans doute pas la totalité des contingents présents dans la province, mais touchait seulement leur complément issu de l’armée d’Apulie, déshonorée par sa fuite l’année précédente, et à laquelle le sénat avait, comme aux vaincus de Cannes, imposé des mesures vexatoires14. Près d’un siècle et demi plus tard, l’un des griefs retenu par l’armée d’Orient contre Lucullus, lors de la guerre contre Mithridate, fut également de lui avoir constamment refusé de passer la mauvaise saison dans les villes grecques15. Inversement, afin de s’attacher leurs soldats, les généraux des guerres civiles rivalisèrent de surenchère en ce domaine : en 85-84, Sylla imposa aux villes côtières d’Asie Mineure de loger ses soldats auxquels chacun de leurs hôtes devait en outre verser seize drachmes par jour et offrir les repas16 ; en 48, le pompéien Metellus Scipion chercha également à amadouer ses soldats en leur assignant des quartiers d’hiver dans les villes les plus riches comme Pergame17.
6La péninsule Ibérique ne semble pas avoir représenté une exception sur ce plan. Un texte célèbre de Plutarque insiste ainsi sur le fait que la popularité de Sertorius parmi les populations indigènes reposait en grande partie sur l’obligation qu’il avait imposée à ses troupes de loger hors les murs en 82 :
Mais c’est surtout en les libérant de l’obligation de loger les troupes qu’il se fit aimer. Il força les soldats à fixer leurs quartiers d’hiver dans les faubourgs et il fut le premier à y dresser sa tente (trad. R. Flacelière, CUF)18.
7Cet épisode atteste a contrario que les soldats romains étaient jusque-là fréquemment hébergés pendant l’hiver chez l’habitant. Ainsi, quelques années auparavant, en 97/96, la réaction de violence de la population de Castulo avait été dirigée contre des légionnaires installés à l’intérieur de la ville, dans les maisons19. Enfin, dans la lettre qu’il envoya au sénat durant l’hiver 75/74 pour se plaindre des sacrifices consentis par lui et son armée depuis leur arrivée dans la Péninsule, Pompée plaçait la violence des combats contre un adversaire supérieur en nombre à égalité avec le fait de ne pas avoir passé l’hiver dans les villes :
… Et j’ai passé l’hiver non dans les villes, et pour faire ma cour aux troupes, mais dans les camps, au milieu des plus redoutables ennemis, dans les camps, au milieu des plus redoutables ennemis (trad. A. Ernout, CUF)20.
8En vertu de ces témoignages, on ne peut douter que les quartiers d’hiver urbains ont représenté une réalité importante de l’Hispania de la conquête. Il n’est pas impossible toutefois, comme le suggère prudemment J. Harmand, que ce type de cantonnement fût moins répandu en Occident qu’en Orient, doté d’une tradition urbaine plus ancienne et plus riche21. Il convient cependant de ne pas se contenter de raisonner seulement sur la base des agglomérations principales. En effet, aucune des grandes villes n’avait vraisemblablement la capacité d’accueillir dans ses murs une légion entière et encore moins plusieurs. L’habitude majoritaire semble plutôt avoir été celle d’une répartition systématique des troupes.
9De ce point de vue, l’exemple de Tarragone est particulièrement révélateur. C’est la ville dont le nom est le plus souvent mis en rapport avec les hiberna, en tout cas pour la période de la seconde guerre punique22. Pourtant, le détail des mouvements de troupe, lorsqu’il est connu, exclut le cantonnement des armées sur place. À son arrivée fin 211, le futur Africain dut en effet quitter la ville (profectus ab Tarracone) pour se rendre dans les quartiers d’hiver des soldats déjà présents dans la Péninsule23. Une fois les nouveaux soldats installés à leur tour (in hiberna milites noui deducti), Scipion retourna à Tarragone (Scipio […] Tarraconem concessit). Une formule similaire est employée par Tite-Live pour l’année 207 : dimissique in hiberna legionibus […] ipse Tarraconem concessit24. L’opposition apparaît donc très marquée entre, d’une part, la résidence du général en chef et, d’autre part, celle des soldats. Le discours tenu devant le sénat par Fabius Maximus en 205 pour mettre en garde les patres contre le projet de Scipion de porter la guerre en Afrique confirme l’idée d’une répartition habituelle des légions en plusieurs garnisons autour de Tarragone : voulant opposer le littoral hostile de l’Afrique aux conditions favorables rencontrées par Scipion à son débarquement dans la péninsule Ibérique, Fabius insista sur le fait que celui-ci, en quittant Tarragone, avait marché en sécurité au milieu des garnisons romaines (ab Tarracone deinde iter per praesidia romana)25. À l’inverse, aucune source ne mentionne jamais explicitement un regroupement de l’armée à l’intérieur de la ville. L’idée répandue selon laquelle Tarragone intra-muros aurait constitué à partir de cette époque le principal centre d’hivernage des légions de Citérieure ne repose donc sur aucun fondement.
10Il faut ainsi se garder de penser que la ville où hivernait le général ou le gouverneur abritait également son armée. Plus probablement, lorsque celle-ci logeait chez l’habitant, elle devait se trouver distribuée dans des agglomérations secondaires alentour ou bien, plus loin, sur le territoire d’une cité voisine26. De ce point de vue, il est intéressant de remarquer qu’en 97/96, au moment de l’incident survenu à Castulo, Sertorius, alors tribun militaire, agit comme s’il était le plus haut gradé et qu’il n’y avait pas d’autorité supérieure présente dans la ville27. Clairement, Titus Didius hivernait ailleurs et il est vraisemblable que seule une partie de l’armée se trouvait alors à Castulo. Peut-être le reste était-il distribué dans d’autres villes de Citérieure, plus septentrionales, sous les ordres des autres tribuni. Quoi qu’il en soit, les mentions régulières d’une dispersion des forces au début de l’hiver ou de leur rassemblement au printemps, en début de campagne, suffisent à permettre de généraliser les conclusions tirées du cas de Tarragone28.
11On le voit, le lien entre villes et hiberna, aussi incontestable soit-il, n’en demande pas moins à être nuancé. Si Salluste nous apprend qu’en 74/73 Metellus Pius avait établi ses quartiers d’hiver à Cordoue avec deux légions, cela ne signifie pas que ces dernières stationnaient intra-muros29. D’ailleurs, le contexte même du passage, relatif à un tremblement de terre dans la région, invite à réfléchir en termes plus larges. Il faut renoncer à imaginer que l’élection périodique de Cordoue comme lieu d’hivernage par les gouverneurs d’Ultérieure, première manifestation de l’évolution progressive de cette ville vers la capitalité, se soit traduite par le développement parallèle de structures d’accueil stables pour les légions30. Manifestement, même lorsque les sources associent les hiberna à une agglomération précise, cela n’exclut pas qu’il faille comprendre « sur le territoire de cette cité ». Ainsi, lorsque Polybe écrit que Scipion, après la bataille de Baecula, se retira pour l’hiver à Tarragone avec son armée, il précise que celle-ci prenait ses quartiers dans la région31. La géographie des quartiers d’hiver devient par conséquent délicate à dresser car, liée à la ville, elle ne se confond cependant pas avec elle. Dans ces conditions, il convient de nuancer ce qui apparaît au premier abord comme une imprécision des textes. La simple mention de zones géographiques plus ou moins vagues (Celtibérie, Turdétanie, Carpétanie, Pyrénées, Lusitanie) ou de noms de peuples (Vaccaei, Vascones) ne tient pas seulement au peu d’intérêt des auteurs anciens à donner davantage de détails32. Elle suggère aussi que, dans certains cas, le phénomène des quartiers d’hiver excédait le territoire d’une seule cité.
L’ÉTABLISSEMENT D’UN CAMP D’HIVER : HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIE
12Il n’est pas facile de déterminer comment s’organisait concrètement la répartition des armées sur les territoires et si le logement chez l’habitant constituait la solution la plus courante. Les témoignages relatifs à la région de Tarragone, bien que parmi les plus détaillés dont nous disposons, demeurent néanmoins obscurs. Ainsi, la formulation de Tite-Live, à propos de la tournée d’inspection de 211/210, ne permet pas d’exclure que les légions de Scipion hivernaient dans des camps situés à proximité des villes alliées : tout en les associant, il distingue en effet les ciuitates sociorum des hiberna exercitus33. Faut-il accorder une valeur technique à cette description ? Ou bien l’auteur veut-il simplement suggérer qu’en visitant les ciuitates, le général romain se rendait par la même occasion dans les hiberna installés dans ces villes ? Rien ne permet véritablement de trancher34. En revanche, on peut rappeler que l’interdiction frappant les soldats de Sicile la même année n’était pas limitée à leur présence à l’intérieur même des oppida (ne in oppidis hibernarent), mais s’étendait à une zone de dix milles autour des villes (neue hiberna propius ullam urbem decem milibus passuum aedificarent)35. Sachant que le sénat entendait faire preuve d’une grande sévérité envers ces soldats, on aurait là a contrario les deux cas de figure principaux qui définissaient à l’époque les quartiers d’hiver d’une armée romaine. Peut-être le terme hiberna était-il alors exclusivement réservé aux cantonnements sous forme de camp36. Néanmoins, ce n’est plus le cas, semble-t-il, au milieu du Ier siècle où sa valeur est plus générale37. Le vocabulaire livien présente la même ambiguïté. C’est essentiellement le contexte qui fournit alors des indices, pas toujours concluants, pour décider du sens à donner au terme hiberna (castra ou bien installation intra-muros). Ainsi, les quartiers d’hiver de Fulvius Flaccus en Celtibérie en 181/180 se divisaient peut-être en plusieurs camps : si l’on en croit le discours de son successeur Sempronius Gracchus devant le sénat, les villes de la région ne présentaient pas toutes une loyauté très assurée et le préteur avait probablement cherché à leur faire sentir la présence de ses troupes38. L’ampleur de ce déploiement demeure néanmoins incertaine.
13Face à l’impossibilité de parvenir à des conclusions plus précises, il suffit, dans l’état actuel de notre documentation, de constater que les armées d’Hispania ne suivaient pas un modèle unique et immuable d’hiberna : en fonction des circonstances, elles prenaient leurs quartiers d’hiver soit réparties dans quelques agglomérations alliées, soit installées dans des camps prévus à cet effet. Ceux-ci demeuraient toutefois à proximité d’une ou de plusieurs villes, selon les cas : les dix milles, c’est-à-dire environ quinze kilomètres, évoqués par Tite-Live pour 211 représentent sans doute une limite supérieure39. En règle ordinaire, on peut supposer en effet que ces camps n’étaient pas établis à plusieurs heures de marche des centres dont ils tiraient une partie de leur ravitaillement quotidien40. Des communications constantes existaient même sans doute entre les deux, au point que la ville, sans accueillir physiquement les soldats de façon permanente, ne s’en trouvait pas moins étroitement intégrée au dispositif d’hivernage. On sait ainsi qu’à l’hiver 77/76, Sertorius fit construire des quartiers d’hiver à proximité de la ville de Castr aAelia (hibernaculis secundum oppidum quod Castra Aelia uocatur aedificatis) et que, tout en logeant lui-même dans son camp, il tenait dans la journée une assemblée à l’intérieur de la ville (ipse in castris manebat ; interdiu conuentum sociarum ciuitatium in oppido agebat)41. Peut-être la forme hibernaculis reflète-telle ici une certaine dispersion sur le territoire de la cité42.
14En dehors de ces données très générales, il faut reconnaître que les caractéristiques des castra hiberna ne sont pas mieux attestées dans la documentation concernant la péninsule Ibérique que celles des cantonnements urbains auxquels ils offraient une alternative. Les mentions les concernant sont finalement rares et parfois difficiles à interpréter clairement. C’est le cas par exemple de l’épisode de 195, commenté précédemment au sujet du praesidium d’Emporion43. Tite-Live rapporte que Caton construisit à proximité de la ville grecque un camp que l’auteur appelle castra hiberna, dans l’attente de la fin de la saison hivernale, impropre aux opérations militaires44. L’interprétation littérale de ce passage, parfois défendue, ne semble guère vraisemblable45. La chronologie restituée du départ de Rome du consul ainsi que celle de ses premiers mouvements autour du port grec impliquent que Caton n’a pu faire construire ce camp qu’au printemps, voire à la mi-juillet, c’est-à-dire à un moment où la saison de campagne était déjà bien commencée46. La contradiction a été depuis longtemps relevée par G. De Sanctis et on s’accorde aujourd’hui à penser avec lui que Tite-Live, à la suite de Caton, emploie de façon atypique le terme castra hiberna au lieu de castra statiua47. Par là, il désignerait en fait seulement une base arrière d’opération48. Cette solution n’est pas entièrement satisfaisante. Elle n’explique pas pourquoi le camp établi par le consul n’aurait pas pu être de simples aestiua dont on sait qu’ils jouaient en principe le rôle de base de repli au cours de la campagne49. Est-ce parce que Caton savait qu’il serait amené à y demeurer davantage que quelques jours50 ? Au Ier siècle, par exemple, le premier cantonnement de Pompée au début de l’hiver 75/74, alors qu’il était encore soumis à la pression de Sertorius, prit la forme de castra statiua où il resta quelques jours (aliquot dies)51. En ce qui concerne Caton, l’argument de la durée n’est cependant pas définitif52.
15Il faut se résoudre à avouer notre impuissance à lever toutes les obscurités de ce texte déroutant. Toutefois, si effectivement Caton applique le terme hiberna à un camp construit en été, c’est peut-être simplement parce que celui-ci partageait un certain nombre de caractéristiques avec les quartiers d’hiver. On sait en effet que ces derniers étaient sans doute, en règle générale, bâtis en dur : les sources opposent clairement l’usage de la tente, réservé aux aestiua, aux baraquements habituels des hiberna53. Sauf exception, un certain soin présidait manifestement à la qualité d’exécution de ces bâtiments destinés à permettre à l’armée d’affronter plusieurs mois d’hiver. L’auteur anonyme du Bellum Hispaniense relève ainsi, comme une anomalie liée aux circonstances, la médiocrité de ceux dont disposaient les Césariens lors du siège d’Ategua :
… Ils avaient emporté avec eux des matelas pour combler les fossés et des crochets pour détruire, avant de les incendier, les cabanes couvertes de chaume que les nôtres avaient construites en guise de quartiers d’hiver (trad. N. Diouron, CUF)54.
16Un siècle auparavant, dans des conditions autrement plus difficiles, ce fut précisément l’incapacité des soldats de Fulvius Nobilior à ériger des abris suffisants à l’intérieur du camp où, contrairement aux prévisions, les revers subis devant Numance les avaient contraints à rester pendant l’hiver, qui les livra aux rigueurs extrêmes du climat, provoquant la mort de nombre d’entre eux55. Tout au long de notre période, il semble donc que la notion d’hiberna, lorsqu’elle ne recouvre pas celle de cantonnements urbains, a correspondu à une castramétation plus élaborée que celle du camp de marche susceptible d’être abandonné et détruit chaque jour. C’est sur ce modèle qu’il convient d’imaginer les quartiers d’hiver installés par Scipion Émilien sur le territoire de Numance en 134/133, avant sa translation définitive au pied de l’oppidum lui-même au cours du printemps suivant56. Appien définit ces hiberna comme χάραξ, c’est-à-dire un camp fortifié, peut-être afin de le distinguer du campement ordinaire (στρατοπεδεία).
17En dépit de la faiblesse de la documentation, on peut conclure que les castra hiberna construits dans la péninsule Ibérique présentaient, comme il se doit, une stabilité et une solidité supérieures à celles des castra aestiua temporaires. Pour autant, ce constat banal ne suffit pas pour envisager le développement ex nihilo d’infrastructures permanentes ou semi-permanentes liées aux besoins des armées de la conquête. Pas davantage que dans le cas d’éventuels cantonnements urbains, nous ne disposons en effet de traces indiscutables d’une telle évolution, bien que plusieurs vestiges aient été régulièrement mis en relation avec des quartiers d’hiver de ce type. Parmi eux, on compte ainsi, à proximité de Numance, trois des cinq camps de Renieblas (I, III et V) ainsi que deux camps antérieurs à la circonvallation autour de l’oppidum arévaque (Castillejo I et II). Cáceres el Viejo, en Estrémadure, complète cet ensemble. Imposantes et, selon toute vraisemblance, solidement bâties, ces constructions soulèvent cependant, quant à leur nature exacte, de nombreuses interrogations que la diffusion hégémonique des interprétations schulténiennes a eu tendance à voiler jusqu’à une date assez récente.
18Reconnu dès 1908 par A. Schulten et fouillé ensuite entre 1909 et 1912, l’ensemble de ruines situées sur la colline de la Gran Atalaya (Renieblas), à quelques sept kilomètres à vol d’oiseau à l’est de Numance (Garray), dans la province de Soria, présente un enchevêtrement de murs à partir duquel l’archéologue allemand a proposé de restituer cinq camps romains, numérotés de I à V et datés entre 195 et 75 av. J. -C. (fig. 19, p. 376)57. Leur chronologie relative est fondée essentiellement sur la superposition de certaines portions d’enceintes ainsi que sur des critères morphologiques58. Le camp III, le mieux conservé (fig. 20, p. 377), a livré des éléments de structures internes dont la correspondance du plan avec la description transmise par le livre VI de Polybe est longuement soulignée par A. Schulten59. Par conséquent, on admet généralement une datation du milieu du IIe siècle, confirmée par le peu de matériel provenant du site : un fragment d’amphore portant le timbre d’un potier dont la production a été abondamment retrouvée dans les niveaux de destruction de Carthage invite, très prudemment, à placer l’occupation du camp III dans un même horizon chronologique60 ; surtout, peu utilisées par les premiers travaux comme élément de datation, les trente-huit monnaies romaines retrouvées ont été rapportées depuis par M. H. Crawford à la période 206-150, tandis que la reprise de l’étude par J. Hildebrandt a abouti à proposer un intervalle plus resserré entre 157 et 146 pour la datation absolue du camp III61. Ces arguments numismatiques ont souvent donné du crédit à la tentative initiale d’A. Schulten pour parvenir à une identification encore plus précise. Il interprétait ainsi le site comme celui du camp d’hiver de Fulvius Nobilior en 153/152, après l’ultime défaite du consul contre les Numantins62. On sait en effet par Appien que l’armée romaine se réfugia alors à l’intérieur du camp que Nobilior avait fait établir auparavant à vingt-quatre stades ἀπὸ σταδίων τεσσάϱων ϰαὶ εἴϰοσιν), soit environ quatre kilomètres, de Numance63. Cette proposition a été majoritairement suivie depuis64. Ses fondements sont pourtant extrêmement fragiles.
19Ainsi, la pertinence de l’argument topographique a été récemment mise en doute parJ. Pamment Salvatore au motif que la distance indiquée parAppien est très inférieure à la distance réelle séparant Gran Atalaya de Garray65. Toutefois, selon nous, une telle lecture littérale des chiffres donnés par l’historien alexandrin ne peut pas plus invalider la théorie traditionnelle qu’elle ne suffit à la fonder. L’argument manque donc de force, même si l’appel de l’auteur à la prudence (il préfère se contenter de l’appellation « Camp III » plutôt que « Camp de Nobilior ») mérite d’être entendu. Plus décisive nous semble l’insistance avec laquelle Appien souligne que le camp où se retira Nobilior n’avait pas été prévu pour y passer l’hiver, ce qui, outre l’interruption de son ravitaillement, contribua à décimer son armée66. Si l’on en croit notre source principale, les hiberna de 153/152 tenaient donc plus de l’abri de fortune que de la construction soignée qui, selon A. Schulten lui-même, présida à l’édification du camp III67.
20En outre, la superficie totale du site est inconnue, puisque la partie sud de l’enceinte ainsi qu’un tronçon de la partie occidentale manquent totalement. L’estimation proposée par l’archéologue allemand repose en réalité sur un a priori, celui de la place théoriquement nécessaire à l’effectif supposé de l’armée de Nobilior, soit deux légions avec leurs socii et leurs auxiliaires : on aboutit ainsi à un carré irrégulier de près de cinquante hectares68. Or, si les structures dégagées dans la partie septentrionale du site peuvent éventuellement correspondre aux baraquements d’une légion et de ses contingents alliés, rien ne permet d’affirmer qu’elles étaient reproduites symétriquement dans la partie méridionale comme le pensait A. Schulten69. Nombreuses sont ainsi les interprétations qui découlent exclusivement du présupposé que le site abritait bien le camp d’hiver du consul de 153. L’exemple le plus caricatural concerne une structure de forme allongée, située à l’extérieur du mur occidental du camp III : celle-ci est arbitrairement considérée comme une étable à éléphants, car Appien affirme que Nobilior disposait de dix de ces bêtes, fournies par le roi Massinissa70.
21La plupart des arguments traditionnellement avancés pour identifier précisément Renieblas III au lieu d’hivernage de Nobilior en 153/152 illustre bien, selon nous, les limites d’un raisonnement principalement fondé sur les sources littéraires. En effet, en dehors de la circonvallation de Numance, il ne paraît guère possible d’obtenir des datations très précises71. Il est donc préférable de conserver les amplitudes larges que nous imposent les lacunes de la documentation72. Par conséquent, mettre en relation des vestiges moins bien conservés encore que Renieblas III avec des hiberna identifiables est d’autant plus aventureux.
22Ainsi, attribuer Renieblas I, comme le fait A. Schulten, aux quartiers d’hiver de Caton en 195 devant Numance suppose d’admettre qu’un texte d’Aulu-Gelle (NA, XVI, 1, 3) fait bien allusion à la venue du consul au pied de l’oppidum arévaque, ce qui est loin d’être évident, nous l’avons vu73. Par ailleurs, les restes matériels du site sont bien trop insuffisants pour évaluer ne serait-ce qu’approximativement sa superficie ou son plan74. Il en va de même de Castillejo I et II, situés sous un camp présumé ayant appartenu à l’ouvrage de siège édifié par Scipion afin d’encercler Numance en 133 (fig. 21, p. 380) : le premier est considéré par A. Schulten comme le camp d’hiver de Marcellus en 152/151 et le second comme celui de Pompeius en 14075.
23Comme dans le cas de Renieblas III, ces deux propositions reposent entièrement sur une interprétation de l’information fournie par Appien : selon ce dernier, Marcellus aurait établi son camp à cinq stades de la ville (ϰαὶ πέντε σταδίους), soit près d’un kilomètre, ce qui correspond environ à la distance séparant Numance de la colline de Castillejo76 ; la même source affirme que Pompeius aurait passé l’hiver 140/139 à proximité de la ville77. On retrouve ici exactement les problèmes précédemment évoqués. Si Castillejo I est bien le camp de Marcellus, comme pourrait le suggérer l’indication topographique, alors il ne peut s’agir d’hiberna, car Appien évoque l’établissement du camp (παϱεστϱατοπέδευεν) dans le contexte du début de la campagne de 151, au moment où Marcellus attend l’arrivée de son successeur (Ὁμὲν δὴ Λούϰουλλος ὥδευεν). Il est donc clair que Marcellus, qui avait hiverné à une plus grande distance, s’était rapproché de Numance (ἐπὶ Νομαντίαν ἐχώϱει) à l’arrivée du printemps et avait établi là un nouveau camp, lequel ne peut donc être qu’un camp de marche78. En revanche, si l’on admet que les structures de Castillejo I ne peuvent appartenir qu’à un camp d’hiver, il faut alors écarter l’hypothèse relative au camp de Marcellus, c’est-à-dire suivre le raisonnement exactement inverse de celui d’A. Schulten79. En ce qui concerne Castillejo II, le parallèle avec Renieblas III apparaît encore plus net, puisqu’Appien précise bien que les soldats de Pompeius ne disposaient pas de baraquements en dur80. Ces difficultés incitèrent d’ailleurs le général à se retirer assez rapidement, au cours même de l’hiver, dans les villes alliées, ce qui signifie que l’armée n’eut pas le temps de remédier à cette absence initiale de constructions stables81. Quand bien même la première phase de l’hivernage aurait impliqué la mise en place d’élévations en pierre pour protéger les tentes du vent, il resterait à démontrer que l’emplacement du camp de Pompeius a pu correspondre à la colline de Castillejo82. Oraucun indice ne permet de l’étayer dans les textes.
24Enfin, A. Schulten mettait Renieblas V en relation avec l’hivernage de Titurius, légat de Pompée, dans la région du Duero en 75/74, attesté par Salluste83. La découverte sur place d’une monnaie, un as oncial daté à l’époque par E. J. Haeberlin de 82 av. J. -C., lui fournissait un terminus post quem convergent84. Sa restitution du périmètre de l’enceinte (60 ha) comme celle du plan interne du camp furent par conséquent entièrement guidées par cette conviction initiale, en dépit de la très faible quantité de vestiges retrouvés (fig. 22)85. La faiblesse de cette démarche a été mise en évidence depuis par le réexamen du matériel numismatique. Celui-ci a en effet abouti à relativiser la valeur d’un tel critère dans la datation absolue du site. D’après M. H. Crawford, la datation de l’as oncial sur laquelle se fonde en grande partie l’argumentation du savant allemand devrait être remontée vers 11086. Le numismate anglais ne rejette pas pour autant l’hypothèse sertorienne car l’occupation du camp a pu être, selon lui, postérieure à cette date. Cependant, comme l’exemplaire ne provient pas des niveaux de construction, il ne permet pas en réalité d’écarter une chronologie antérieure, suggérée par les huit monnaies romaines restantes, datables du IIe siècle. Reprise par J. Hildebrandt, l’analyse métrologique de ces dernières montrerait, d’après lui, que le camp V est en fait contemporain de la circonvallation de 133 ou légèrement postérieur87. Ce faisant, cet auteur rejoint une intuition exprimée dès 1911 par E. Fabricius88. Toutefois, la méthode suivie par J. Hildebrandt, fondée sur l’idée d’un déclin du poids moyen de la monnaie romaine de bonze au cours du IIe siècle, n’est pas en elle-même exempte de toute critique89. En outre, l’auteur exclut trop commodément de son catalogue la monnaie la plus tardive (n° 183 d’E. J. Haeberlin), évoquée précédemment90. D’une manière générale, même si J. Hildebrandt admet qu’un total de quinze monnaies constitue la limite inférieure à la possibilité technique d’une étude sérielle, il importe de souligner la difficulté à raisonner sur des quantités aussi réduites91. Pour la même raison, il est permis de rester tout aussi sceptique devant la proposition alternative avancée récemment par M. Dobson : comme la production d’as cesse à Rome entre 146 et 114, cet auteur croit possible de parvenir à des datations fines en comparant la proportion d’as romains retrouvés parmi les monnaies de bronze provenant respectivement de Renieblas V et des sites de la circonvallation de 13392. Il en conclut qu’un cinquième (voire un neuvième) des bronzes de la circonvallation sont romains, tandis qu’à Renieblas V, on atteint la moitié, si bien que ce dernier site est à ses yeux antérieur à 13393. Selon lui, il pourrait alors s’agir du camp de Mancinus en 13794. Or le texte d’Appien invoqué à cette fin ne soutient en rien cette hypothèse gratuite95. Il ne nous paraît guère raisonnable d’entreprendre de telles statistiques sur les proportions d’as romains à partir des quelques exemplaires subsistants, le plus souvent d’origine inconnue96. La prudence observée par J. Pamment Salvatore nous semble donc préférable. Relevant les multiples obscurités du dossier, celui-ci se contente d’envisager une fourchette chronologique large, entre les dernières décennies du IIe et le tout début du Ier siècle97. Les données exploitables du matériel céramique ne permettent pas, selon nous, de remettre en cause la nécessité de conserver un intervalle aussi étendu98. Une utilisation du site au début du Ier s. ne peut être en effet totalement écartée99. En tout état de cause, dans l’état actuel du dossier, rien n’autorise à préciser davantage et encore moins à attribuer ces vestiges à des opérations militaires bien identifiées.
25Il faut donc se résigner à rejeter l’idée que les découvertes archéologiques autour de Numance correspondent à des camps d’hiver explicitement mentionnés par les sources littéraires. Ce constat est d’autant plus nécessaire que, dans l’état actuel de la documentation et malgré les efforts d’A. Schulten, il reste au fond bien délicat d’interpréter avec un degré suffisant de certitude l’organisation des différentes structures, aussi bien entre elles qu’à l’intérieur même des périmètres reconnus comme ceux des camps. A. Schulten interprétait ainsi dans Renieblas III un édifice central comme étant le praetorium de Nobilior tandis que l’espace non bâti à proximité correspondait selon lui au forum, sur le côté oriental duquel il pensait reconnaître une série de tabernae100. L’emplacement du praetorium, de même que l’existence des boutiques, sont toutefois très mal établis et procèdent avant tout de la conviction qu’avait l’archéologue allemand de les localiser à ces mêmes places, sur un plan restitué devant davantage à la théorie polybienne qu’à la réalité du terrain101. Cette confusion des genres s’explique en grande partie par la méthode employée qui, faute de financement et en raison de l’état de conservation du site, se limita en grande partie à des relevés topographiques et à des fouilles superficielles102. Par conséquent, de nombreuses obscurités demeurent. Au fond, il faut même reconnaître que la superposition de cinq camps n’est, en soi, pas si claire. A. Schulten lui-même n’écartait pas ainsi l’idée que le camp II pouvait en réalité n’être qu’une annexe du camp III103. En revanche, ce qu’il considérait sans hésitation comme une autre annexe du même camp, destinée à abriter les troupes auxiliaires de Nobilior, présente des caractéristiques morphologiques qui font douter de leur relation architectonique et chronologique104. M. Dobson a d’ailleurs récemment défendu l’hypothèse qu’il s’agirait en fait d’un camp postérieur indépendant auquel il donne le nom de camp VI105. Le même auteur suggère également l’existence possible d’un septième camp, correspondant au rempart retrouvé à l’ouest du camp IV auquel A. Schulten pensait qu’il appartenait106. Sans reprise de fouilles, ces discussions manquent toutefois d’éléments solides sur lesquels appuyer une démonstration définitive, mais elles montrent néanmoins que la lecture traditionnelle de ces vestiges, issue des travaux de l’archéologue allemand, ne peut être acceptée de manière inconditionnelle107. La prise de conscience croissante de cet état de fait a conduit une équipe allemande à relancer, entre 1997 et 2001, l’étude planimétrique de la Gran Atalaya afin de faire bénéficier notre connaissance du site des importantes avancées techniques en matière de relevés108. Bien que les résultats de cette entreprise demeurent à l’heure actuelle trop limités, il est certain que pourrait émerger une vision du site et de sa composition assez différente de celle que nous avons aujourd’hui109.
26Ce bref survol suggère que le dossier archéologique relatif aux castra hiberna dans la péninsule Ibérique est finalement établi avec beaucoup moins de certitude qu’on a parfois tendance à le penser. De ce point de vue, l’utilisation de la pierre dans la construction de ces édifices est trop souvent apparue comme une confirmation suffisante aux arguments discutables tirés des sources littéraires110. Ainsi, à l’objection forte, émise précédemment, consistant à remarquer qu’à l’hiver 153 Nobilior s’était retiré dans ses castra aestiua et non dans des hiberna préalablement édifiés, A. Schulten opposait par avance l’idée que le consul s’était contenté de faire remplacer les tentes du camp d’été préexistant par des baraquements en dur dont seule la partie inférieure serait aujourd’hui visible sur le terrain111. Encore récemment, l’hypothèse d’une telle pétrification a conduit à supposer que les mesures des contubernia de Renieblas III correspondaient exactement à celles des tentes originelles112. Quand bien même cet argument serait recevable, ce qui reste à démontrer, il ne s’ensuit pas que l’utilisation de la pierre ait été exclusive, ni même prépondérante. Le bois était en effet parfaitement adapté à une structure durable offrant une protection adéquate contre le froid et les intempéries113. De fait, l’élévation actuelle des structures sur les sites autour de Numance et à Renieblas n’est pas suffisante pour en déduire que les murs ne constituaient pas seulement une composante des enceintes et des baraquements114. On peut remarquer que beaucoup des vestiges attribués, faute de traces de structures internes, à des camps d’été (c’est le cas à Renieblas II et IV) n’en sont pas moins pourvus de restes d’enceintes en pierre tout à fait similaires115. La disponibilité en matière première ne saurait à elle seule tout expliquer. Lorsque Mancinus en 137 quitta le camp où il s’était enfermé, il emmena son armée se réfugier, à une plus grande distance de Numance, sur l’emplacement de l’ancien camp de Nobilior inutilisé, semble-t-il, depuis près de seize ans116. Le vocabulaire employé par Appien (χαράϰωμα) comme la mention de l’existence de ce camp après une aussi longue durée pourraient plaider à première vue en faveur de structures stables en dur, ce que dément aussitôt la suite du récit :
Au lever du jour, il s’y enferma, bien qu’il ne fût muni ni de son équipement ni de ses défenses (trad. P. Goukowsky)117.
27Il est clair que l’état des castra de Nobilior ne permettait pas au consul d’envisager de résister à la pression des Numantins qui, selon Appien, l’avaient rapidement encerclé. L’épisode est tu parles autres sources qui se contentent d’évoquer la reddition honteuse de l’armée118. Peut-être l’auteur alexandrin a-t-il cherché à dramatiser son récit en plaçant la défaite de Mancinus dans la continuité, chronologique et topographique, de celle de Nobilior. Mais, si son information se révélait fiable, elle pourrait suggérer que les défenses élevées en 153/152 ne ressemblaient en rien à une muraille du type de celle qu’on restitue ordinairement pour Renieblas III. Si cela avait été le cas, il est probable que le camp du consul, où qu’il se situât en réalité, aurait été réutilisé entre-temps119. Or, même sur la colline de la Gran Atalaya (qui n’a peut être rien à voir avec ces événements précis, ainsi qu’il a été dit précédemment), on a éprouvé le besoin d’empiler au fil du temps les camps successifs. Ce palimpseste suggère, en dépit de toutes les difficultés de lecture qu’il nous oppose, que l’emploi de la pierre n’implique pas un bâti destiné à une durée particulièrement prolongée, synonyme d’une pratique de camps d’hiver semi-permanents en Hispania120.
28En outre, il faut tenir compte du fait que les camps fouillés autour de Numance et à Renieblas ne sont peut-être pas très représentatifs de la castramétation ordinaire de la conquête121. En particulier, les éléments composant la circonvallation de Scipion Émilien en 133 ne sont pas pour la plupart, de l’aveu même d’A. Schulten, assimilables à de véritables camps légionnaires (fig. 23, p. 390)122.
29Certains travaux récents remettent d’ailleurs en question les identifications proposées par le savant allemand pour certaines des structures de la circonvallation, notamment Raza — parfois appelé La Rasa (fig. 24 et 25)123. Dans ces conditions, on peut aller jusqu’à se demander si ces sites peuvent tout simplement continuer à servir de points de référence pour une typologie des camps militaires républicains d’Hispanie. Construits au moins partiellement en dur, selon un plan souvent difficile à reconnaître, ils n’étaient pas pour autant destinés à affronter les rigueurs de l’hiver puisque le siège de Numance, commencé au début du printemps 133, s’acheva vraisemblablement à la fin de l’été de cette même année. Mises en série et comparaisons trouvent ainsi leurs limites, lorsque l’on cherche à s’appuyer sur les différents sites connus pour illustrer concrètement les contours d’un phénomène comme celui des quartiers d’hiver et plus largement celui des conditions de cantonnement des légions, tant lors de la campagne que lors de la trêve hivernale. En dehors de la circonvallation de 133, qu’il faut toutefois placer dans une catégorie à part, aucun vestige n’est suffisamment contextualisé pour permettre d’en identifier avec précision et certitude la fonction, du moment que les structures intégrant la pierre ne peuvent plus être retenues comme un critère absolu d’identification124.
30Même si l’on pouvait définitivement démontrer que certaines de ces structures appartenaient bien à des hiberna de la conquête, rien n’indique toutefois que leur occupation ait excédé quelques mois d’hiver125. Or la réutilisation périodique de telles fortifications est un élément indispensable pour envisager la possibilité que Rome ait pu développer en Hispania, dans le cadre de l’organisation annuelle de l’hivernage des légions, un système plus stable que dans d’autres provinces de l’imperium. Seul, parmi les nombreux vestiges mis au jour, Cáceres el Viejo fait peut être exception sur ce plan. Situé à 2,5 km au nord-est de l’actuelle ville de Cáceres, il s’agit d’un vaste uallum rectangulaire, bien visible sur les photographies aériennes et couvrant près de vingt-cinq hectares (fig. 26, p. 394). Exploré une première fois par A. Schulten en 1910, il fit l’objet d’une campagne de fouille entre 1927 et 1930 dont les résultats ont été publiés en trois fois126. Aux yeux de l’archéologue allemand, il ne faisait aucun doute qu’il s’agissait des quartiers d’hiver de Metellus Pius en 79-78127. Son argument principal était cependant d’ordre purement philologique puisqu’il identifiait le site à l’établissement ayant donné son nom à la future Castra Caecilia mentionnée par Pline l’Ancien128. Le matériel numismatique qu’il avait lui-même déposé au musée de Cáceres a d’ailleurs permis de nuancer, voire de contester, cette datation très précise. Ainsi, M. Beltrán Lloris, reprenant en 1973 l’inventaire d’A. Schulten en le comparant avec les exemplaires encore identifiables dans les fonds du musée, a proposé de remonter la chronologie aux toutes premières années du Ier siècle129. À l’inverse, J. Hildebrandt est revenu en dernier lieu à une chronologie plus proche de celle initialement fixée : tout en confirmant la datation des derniers deniers vers 93-92, cet auteur estime en revanche que les monnaies les plus récentes sont en réalité d’autres pièces, à savoir des semisses compris dans un intervalle entre 90 et 80130.
31Ces deux révisions possèdent chacune leurs limites : la démarche de M. Beltrán reproduit au fond celle d’A. Schulten en substituant seulement, sans davantage d’arguments, une identification toponymique à une autre131 ; quant à la méthode suivie par J. Hildebrandt, elle est similaire à celle employée par cet auteur à propos des camps de Numance et donc susceptible de faire l’objet des mêmes réserves132. Ces tentatives ont montré néanmoins la difficulté à faire correspondre les données numismatiques à un cadre aussi étroit que la période 79-78. Une amplitude chronologique plus large, étendue au premier tiers (voire à la première moitié) du Ier siècle, tend par conséquent à s’imposer actuellement, à juste titre, dans l’historiographie133. Les données fournies par le reste du matériel, notamment céramique, ne contredisent pas une telle hypothèse134. À l’intérieur de cet intervalle, il semble désormais moins satisfaisant de rapporter la fondation et l’occupation de Cáceres el Viejo à une campagne militaire déterminée, comme le croyait A. Schulten. Pour cette raison, l’hypothèse d’une utilisation du site limitée aux années 94-93, comme l’a défendu M. Beltrán, doit être également écartée.
32En effet, l’apport fondamental de la monographie de G. Ulbert en 1984 fut de démontrer définitivement que les caractéristiques du site, telles qu’elles apparaissent du reste dans les rapports de 1927-1930, ne sont guère compatibles avec une occupation éphémère. Cet aspect n’avait pas échappé à A. Schulten lui-même qui, afin de ne pas renoncer à sa théorie initiale, préféra, pour expliquer le soin apporté à la construction, insister sur le goût immodéré du luxe que certaines sources attribuent à Metellus Pius135. L’incongruité de l’argument a été suffisamment soulignée par G. Ulbert136. Non seulement les vestiges ont livré des indices d’une construction très soignée et solide mais certains édifices présentent des traces de remaniement ou de restauration, ce qui, joint à l’accumulation de matériel varié (vaisselle en plomb, outils, statuette votive de Minerve, antéfixes, pesons), exclut un abandon trop rapide137. Ces remarques sont particulièrement importantes : elles font de Cáceres el Viejo le seul site de la péninsule Ibérique éventuellement susceptible d’être mis en relation avec une présence militaire durable sous la République. Il n’est guère évident toutefois d’estimer à combien de temps une telle occupation a pu correspondre138. Dans son étude numismatique accompagnant l’ouvrage de G. Ulbert, J. Hildebrandt a cru pouvoir mettre en évidence une circulation monétaire sur au moins une décennie, peut-être deux, jusque vers la fin des années 80 ou le début des années 70139. Comme ces deux auteurs admettent l’idée d’une destruction violente par le feu, la guerre de Sertorius leur fournit alors un terminus ante quem identique à celui d’A. Schulten140. Cette conclusion nous paraît prématurée car elle implique que l’incendie a entièrement détruit le camp. Or, la couche de cendre est totalement absente dans la partie septentrionale141. Surtout, les fouilles étant demeurées superficielles et très localisées, le problème de la représentativité des éléments mis au jour (murs et matériel) est soulevé, faute de véritable stratigraphie142.
33Ces réserves impliquent de ne pas accorder une importance démesurée à l’apparente inexistence de traces d’une réoccupation ultérieure à la décennie 80, invoquée pourtant par tous les auteurs cités précédemment. Il se pourrait simplement qu’elles soient très malaisées à repérer dans l’état actuel du dossier143. Ceci est d’autant plus vrai que les structures dégagées au début du siècle résistent elles-mêmes à l’interprétation : le bâtiment V a été identifié par A. Schulten comme le praetorium uniquement en raison de sa localisation centrale, sur le point le plus élevé du site144. Préconçue, cette conclusion n’est guère appuyée par d’autres considérations145. En fait, il s’agit plus probablement de plusieurs bâtiments et non d’un seul146. Quant aux baraquements des troupes, aucun sondage n’a pu en localiser147. A. Schulten avait fini par en conclure que seuls les bâtiments principaux étaient construits en dur, les soldats logeant sous la tente148. Plus vraisemblablement, comme l’a fait remarquer G. Ulbert, le grand nombre de gros clous en fer figurant parmi les trouvailles de matériel suggère que les habitations devaient être majoritairement en bois, sans doute sur une base de pierre (« Sockelmäuerchen ») détruite depuis par les labours149. Parfaitement concevable, on l’a vu, cette éventualité ajoute une difficulté supplémentaire, selon nous, à la question de la datation, car ces constructions ont pu être alors refaites ou réaménagées plusieurs fois sans laisser de traces visibles. Or, si la céramique ne contredit pas l’idée que le site ait pu être détruit en 78, elle ne le démontre pas non plus : les formes retrouvées ont circulé en effet depuis la première moitié jusqu’au dernier tiers du Ier siècle, voire au-delà150. Le choix de les rapporter à une extrémité de cet intervalle plutôt qu’à l’autre n’est donc pas toujours convaincant151. Certains éléments, comme le double fossé qui entoure l’enceinte, font d’ailleurs plutôt penser à des réalisations de la seconde moitié du Ier siècle152. Une partie du matériel (outils, vaisselle de bronze, lampes) n’est pas précisément datable, hormis d’un long Ier siècle. Enfin, on ne peut écarter la possibilité que le site puisse également livrer, lors de nouvelles excavations, des trouvailles plus tardives encore. Un fragment de céramique sigillée avait ainsi déjà été signalé dans le rapport de 1932153. Par ailleurs, la présence de monnaies récentes dans le fonds du Musée de Cáceres a fait l’objet de discussions polémiques quant à leur provenance exacte154. Il est très vraisemblable, comme l’a remarqué M. Beltrán, que certaines de ces monnaies impériales aient été mélangées après coup aux exemplaires déposés par A. Schulten auxquels très peu d’intérêt avait été accordé avant la fin des années 1950155. En revanche, ce n’est peut-être pas le cas de tous les exemplaires, car il est certain que le catalogue publié au début du siècle ne reprenait pas l’intégralité des trouvailles du savant allemand156. Dans ce cas, l’argument principal en faveur de la datation communément admise s’en trouverait fragilisé d’autant157.
34En l’état actuel de la documentation, l’appartenance de Cáceres el Viejo à l’époque républicaine demeure la plus probable, de même que le maintien en activité du site sur une durée assez longue158. Le contexte de son occupation demeure cependant obscur, dans la mesure où il n’est guère possible d’affirmer avec certitude si l’utilisation du site fut seulement antérieure à la guerre sertorienne, comme le croit G. Ulbert, ou bien également postérieure, comme d’autres l’ont écrit159. Peut-être faut-il envisager des réoccupations successives, entraînant une transformation progressive de la morphologie du camp et de sa conception160. Dans l’ignorance concernant ce point, rien ne permet d’affirmer avec certitude qu’il a rempli une fonction identique de castra hiberna tout au long de son existence161. Il faut même reconnaître qu’il est finalement bien délicat de chercher à insérer Cáceres el Viejo dans une typologie des camps légionnaires républicains162. Sa particularité indéniable en fait plutôt un hapax déconcertant dans le cadre de la conquête, au point qu’on a pu, non sans arguments, remettre en question jusqu’à sa nature militaire163. En effet, à l’inverse des sites impériaux où l’épigraphie comme les estampilles des tuiles attestent sans ambiguïté la présence de l’armée, l’identification des établissements militaires républicains repose avant tout sur des observations empiriques (forme de l’enceinte, plan des structures en dur, localisation stratégique, présence d’armes) dont nous avons rappelé au chapitre précédent qu’elles formaient une grille d’analyse nécessaire mais non suffisante164. Faute de chronologie assurée et en raison des incertitudes pesant sur l’interprétation globale du site, on ne saurait donc considérer Cáceres el Viejo comme un témoin incontestable des conceptions romaines en matière d’hiberna dans l’Hispania de la conquête, et encore moins de leur évolution au cours du Ier siècle. Au contraire, tout indique, nous allons le voir maintenant, que l’organisation des quartiers d’hiver des légions impliquait leur déplacement régulier plutôt qu’une implantation durable.
II. — HIBERNA ET PRAESIDIA
35Le déplacement périodique des quartiers d’hiver. — Défense et surveillance des territoires conquis.
36La difficulté à mettre en évidence des quartiers d’hiver récurrents, organisés de façon permanente ou semi-permanente, ne tient pas seulement aux aléas d’une documentation trop lacunaire et d’interprétation souvent malaisée. Elle reflète également les contours d’une pratique dont la finalité n’était pas de fournir un instrument de militarisation des espaces pour le contrôle des territoires. Les caractéristiques mêmes des hiberna, telles qu’elles se laissent percevoir, s’opposent en effet à l’idée d’un stationnement prolongé, pensé en fonction d’une protection à long terme des territoires provinciaux.
LE DÉPLACEMENT PÉRIODIQUE DES QUARTIERS D’HIVER
37Les différents lieux d’hivernage mentionnés dans les sources ont été énumérés précédemment165. Peu nombreux, ils sont rarement identiques, ou alors de manière trop vague, comme, par exemple, les mentions réitérées de la Celtibérie ou de la Lusitanie, si bien qu’aucune forme de spécialisation géographique des hiberna ne peut être véritablement dégagée. Si Tarragone ou Cordoue reviennent plus fréquemment dans les textes, on ne peut en tirer aucune conclusion d’ordre global : la résidence du général ou du gouverneur, on l’a vu, n’impliquait pas nécessairement la présence de l’armée sur place. Tout se passe comme si, très vite, les nécessités politiques liées à l’organisation progressive des provinces avaient amené le magistrat chargé de les administrer à fixer en un lieu donné l’exercice de sa charge civile, tandis que l’armée de conquête continuait à changer régulièrement, voire annuellement, de quartiers d’hiver. Nous manquons cependant de documents attestant une norme en la matière. Toutefois, une anecdote rapportée par Frontin suggère qu’en règle ordinaire l’habitude romaine n’était pas de conserver d’une année sur l’autre les mêmes lieux d’hivernage :
Le consul Aulus Manlius avait appris que les soldats avaient conspiré dans leurs quartiers d’hiver en Campanie pour égorger leurs hôtes et s’emparer de leurs richesses : il fit répandre le bruit qu’ils auraient les mêmes quartiers à l’hiver suivant ; en déjouant ainsi le plan des conspirateurs, il sauva la Campanie d’un péril grave, et, dès que l’occasion se présenta, punit les coupables de ce complot (trad. P. Laederich)166.
38Le contexte de l’épisode n’est pas tout à fait clair, car d’autres sources, en particulier Tite-Live, attribuent ce stratagème à Caius Marcus Rutilius en 342, au cours des guerres samnites167. Il semble toutefois que l’on puisse conférer une valeur d’exemplum à ce récit. Bien qu’il ne concerne pas l’Hispania, il n’y a pas lieu de penser que la conception des hiberna était radicalement différente en terre ibérique. Plusieurs éléments allant dans ce sens sont en effet à prendre en compte.
39D’une part, la dispersion de l’armée au moment de l’hiver ne correspondait pas seulement à un choix. Elle répondait avant tout au souci de faciliter le ravitaillement de troupes nombreuses, immobiles plusieurs mois durant. Les modes d’approvisionnement des hiberna sont encore plus mal connus que leur organisation générale168. L’importance du rôle des villes alliées a cependant été rappelé précédemment : une grande part des difficultés rencontrées par Pompée, à l’hiver 75/74, découla précisément de son incapacité à obtenir la collaboration des agglomérations auprès desquelles il avait envisagé, dans un premier temps, d’établir ses quartiers d’hiver169. Nul doute que la mise à contribution, de gré ou de force, des populations locales et de leurs ressources déterminait largement la localisation des cantonnements de l’armée au cours de la mauvaise saison170. On sait, en effet, combien la présence des légions représentait une charge écrasante pour les cités obligées de les accueillir sur leurs territoires.
40Hormis le passage de Plutarque auquel il a déjà été fait allusion, les témoignages relatifs à la contrainte énorme représentée par les hiberna sont quasiment inexistants en ce qui concerne la péninsule Ibérique171. En revanche, ils sont suffisamment bien attestés dans tout le monde romain pour que l’on puisse considérer qu’il s’agit là, non pas d’une exception, mais plutôt d’un déséquilibre de la documentation. Ainsi, en 218, après la bataille de la Trébie, les restes des armées des consuls Ti. Sempronius Longus et P. Cornelius Scipion se réfugièrent à Plaisance, puis dans un second temps, une fois la campagne terminée, Scipion en conduisit une partie à Crémone, afin, nous dit Tite-Live, que la même colonie n’ait pas à supporter le cantonnement d’hiver de deux armées172. Dans le même esprit, le consul Fabius ordonna à l’automne 215à Claudius Marcellus qui assurait la défense de Nole de renvoyer à Rome les soldats dont il n’avait pas immédiatement besoin, afin d’alléger la charge des socii173. Un siècle et demi plus tard, cette charge était transférée aux alliés provinciaux, souvent traités avec beaucoup moins d’égards174. Dans une lettre à Atticus datée du 13 février 50, Cicéron évoque ainsi les lourdes compensations financières consenties par certaines cités de Cilicie afin de se voir exemptées de quartiers d’hiver175. Ce thème des cités alliées opprimées par le poids de l’hivernage revient d’ailleurs régulièrement dans la bouche de l’orateur qui avait dressé quelques années auparavant, dans le Pro lege Manilia, un constat assez sombre de la situation générale176. De même, la révolte d’Ambiorix contre Césaren 54 est nettement mise en relation avec le désir des Éburons d’en finir avec le fléau des hiberna, symboles du joug romain177. Dans le contexte hispanique où la nécessité de stationner les troupes se reproduisait chaque hiver, il est probable que, tout au long de notre période, les autorités romaines ont cherché à répartir d’une année sur l’autre le fardeau pesant sur les populations alliées. La mise en place d’une rotation paraît de ce point de vue la solution la plus naturelle. Elle permettait d’éviter l’épuisement rapide des ressources à l’échelle de chaque territoire mais aussi de ménager autant que possible les systèmes d’alliances qui formaient un aspect essentiel de la domination romaine sur ces régions.
41D’autres considérations, peut-être plus déterminantes encore, intervenaient à une échelle plus vaste pour limiter le maintien des hiberna à un même endroit pendant trop longtemps. En effet, au fur et à mesure de la progression romaine vers l’intérieur de la Péninsule, il était vraisemblablement devenu de moins en moins judicieux de rapatrier l’ensemble de l’armée vers la zone littorale orientale après chaque campagne, comme ce fut le cas durant la seconde guerre punique. Ainsi, dès l’année 181/180, il semble bien que la région de Tarragone n’accueillait déjà plus les armées de Citérieure pendant la mauvaise saison : Fulvius Flaccus hivernait alors, si l’on en croit Tite-Live, en Celtibérie, avec son armée178. Le récit de l’arrivée de son successeur, Sempronius Gracchus, au printemps 180 suggère que cette situation résultait d’une évolution amorcée dès la décennie précédente. En effet, le gouverneur entrant fit parvenir un courrier à Flaccus pour le prévenir de la date de son arrivée, mais aussi pour lui demander de conduire son armée à Tarragone179. Comment comprendre cette requête si l’annonce de la date prochaine du débarquement de Gracchus avait suffi pour que Flaccus ramenât ses troupes à Tarragone ? L’anomalie de la procédure est confirmée par le fait que le premier prit la peine de justifier sa demande : « c’était là qu’il voulait licencier les vétérans, répartir les renforts et organiser toute l’armée » (trad. C. Gouillart)180 Cette précision indique, selon nous, que la pratique n’était déjà plus automatique : si l’habitude avait encore été de ramener chaque hiver l’armée vers la ville côtière, une telle explication s’avérait inutile. Pour cette raison, il nous semble qu’il convient de ne pas situer non plus à côté de Tarragone le camp où se rendit Scipion Émilien à son arrivée en 134181. L’expression employée ensuite par Appien ἐλθὼν δὲ ἐμπόρους) a conduit A. Schulten à supposer que le camp des soldats ne pouvait se trouver qu’à proximité du port où débarqua Scipion182. Selon lui, l’armée qui hivernait en Carpétanie était revenue à Tarragone à la fin de l’hiver pour y attendre son nouveau chef183. Mais H. Simon a démontré de manière convaincante que, plus vraisemblablement, c’était Scipion qui fit le déplacement vers un camp d’hiver gangrené par l’inactivité et envahi par les charlatans et les prostituées184.
42Les mentions éparses des sources suggèrent qu’au cours du IIe siècle, les lieux d’hivernage se sont ainsi déplacés d’est en ouest, au gré de la progression de la conquête. Peut-être faut-il établir un parallèle avec la prédilection du gouverneur d’Ultérieure pour Cordoue, passé le milieu du IIe siècle. Le détail des sources est malheureusement insuffisant pour aller au-delà de ce premier constat. On peut simplement relever une certaine convergence avec l’évolution des zones d’opérations (Turdétanie, Carpétanie, Celtibérie, Lusitanie). A priori, les quartiers d’hiver reproduisaient, toutes proportions gardées, le principe des aestiua qui accompagnaient la guerre là où elle se trouvait. Ils doivent par conséquent être réinscrits dans le cadre d’une pratique itinérante. La mobilité caractérisait donc aussi bien les infrastructures des hiberna que celles utilisées lors des campagnes militaires proprement dites. Par conséquent, à l’échelle de la conquête, le contraste entre la stabilité des premières et la fugacité des secondes ne doit pas être exagéré. Installés pour plusieurs mois, les hiberna avaient sans doute un impact assez fort sur l’économie des territoires concernés et mettaient en contact, parfois brutalement, les populations locales avec la réalité de la Rome conquérante. Mais, déplacés ailleurs pour l’hiver suivant, en fonction des impératifs des opérations militaires, ils ne marquaient pas pour autant durablement ces espaces de leur empreinte matérielle. Cette logique conjuguant stabilité à court terme et mobilité à long terme explique pour une grande part le paradoxe apparent consistant à ne pas pouvoir associer nettement les quartiers d’hiver des légions permanentes d’Hispania à une infrastructure, urbaine ou castrale, fixe et bien définie. En cela, les pratiques romaines dans la péninsule Ibérique ne différaient guère de ce que l’on connaît pour d’autres théâtres d’opérations à l’époque de l’expansion.
DÉFENSE ET SURVEILLANCE DES TERRITOIRES CONQUIS
43Souligner le caractère itinérant des quartiers d’hiver des légions suffit à montrer que les armées de conquête n’étaient pas plus attachées à un territoire particulier lors de la trêve hivernale que lors de la saison guerrière. En effet, on ne peut pas parler d’un lieu d’hivernage type : les légions ne privilégiaient pas les capitales provinciales ni leur voisinage et ne se retiraient pas systématiquement au cœur des zones précocement pacifiées du littoral oriental. Il faut maintenant se demander si le déplacement des hiberna, parallèlement à l’extension de la domination romaine sur la Péninsule, était lié à leur éventuel rôle dans le dispositif de contrôle des espaces provinciaux. Peut-on considérer que ce mouvement accompagnait les différentes étapes de la progression de la conquête dans le but de sécuriser les régions nouvellement soumises par le maintien d’une présence militaire au-delà de la période de la campagne elle-même ?
44Il faut tout d’abord éviter de se méprendre sur la signification revêtue par la fréquente dispersion des troupes propre à la mauvaise saison. Rien ne permet d’imaginer en effet que la répartition des soldats en plusieurs hiberna alimentait un réseau d’établissements militaires donnant naissance à une ligne défensive. Un épisode se rapportant à l’année 175 est parfois invoqué en ce sens. Tite-Live rapporte ainsi une révolte des Celtibères à l’arrivée du préteur Appius Claudius :
Ils se soulevèrent à l’arrivée d’Appius Claudius et commencèrent la guerre par un brusque assaut lancé contre le camp romain (trad. P. Jal, CUF)185.
45Le pluriel employé ici (castrorum Romanorum) ne se réfère en rien à une série de camps, comme on a pu l’écrire186. Il désigne plus simplement, selon l’usage le plus courant du terme, le camp de marche (castra) du préteur187. Le contexte implique du reste que l’attaque des Celtibères se produisit alors que, pour étouffer la rébellion naissante, les troupes du préteur s’étaient portées à la rencontre de l’armée rassemblée par les ennemis au début du printemps188. La formule concise de Tite-Live a pour seul but de planter le décor de l’action : ce furent les Celtibères qui prirent les premiers l’initiative de l’offensive en cherchant à surprendre les Romains, dans leur camp, au petit jour189. À cette occasion, pas plus que dans le reste de la documentation, nous n’avons mention d’un réseau d’hiberna confronté à une attaque ou bien servant de protection aux territoires sous domination romaine.
46Lorsqu’elle existait, la dispersion des cantonnements pour l’hiver demeurait en effet trop limitée dans l’espace pour offrir cette protection. Il faut imaginer, nous l’avons vu, que les armées se répartissaient dans les agglomérations secondaires, sur le territoire d’une cité plus importante, ou se trouvaient regroupées dans plusieurs camps autour d’un oppidum. Les données nous manquent pour tenter d’évaluer les subdivisions effectuées à cette occasion190. Cependant, il est peu probable que le fractionnement des forces ait été très important, ni qu’il ait couvert une grande superficie. Il s’agissait en effet de ne pas isoler un corps de troupe, ce qui l’aurait rendu vulnérable. Surtout, il importait de pouvoir regrouper l’armée rapidement. On sait ainsi qu’en 182, le préteur d’Ultérieure, contraint de rassembler des soldats trop dispersés en raison du laisser-aller consécutif à la maladie de son prédécesseur, ne put rien accomplir d’autre cette année-là :
Fulvius, après la prise de cette place, et Publius Manlius, qui s’était contenté de réunifier l’armée précédemment dispersée et n’avait accompli aucun autre fait mémorable, conduisirent leurs armées dans leurs quartiers d’hiver (trad. C. Gouillart, CUF)191.
47Le texte est intéressant, car il montre que, dans le cas de Manlius, l’installation des soldats dans leurs quartiers d’hiver succéda à leur regroupement. Il est donc clair que, même si l’hivernage imposait ensuite une nouvelle dispersion, celle-ci ne devait pas cette fois excéder un certain degré. Il fallait donc trouver un équilibre entre la cohésion indispensable de l’armée et le besoin de répartir la charge du ravitaillement.
48Il est difficile toutefois, faute de sources suffisamment explicites, d’estimer le seuil jugé tolérable de cette répartition territoriale. Nous ne disposons pas, pour la péninsule Ibérique, de documents aussi attentifs à ces détails que les commentarii laissés par César concernant la guerre des Gaules, dans lesquels l’auteur décrit l’emplacement des cantonnements, leur nombre, et explique les raisons ayant présidé à ses choix. Il est frappant par exemple de constater qu’à l’hiver 54/53, alors que César affirme avoir été contraint de répartir ses légions entre un nombre inhabituellement élevé de cités, la superficie de territoire concernée ne dépassait pas, selon ses propres dires, cent milles, soit environ cent cinquante kilomètres192. Or, cette précision est destinée à minimiser aux yeux du lecteur le risque pris par le général en éparpillant ses troupes d’une manière aussi inhabituelle, car cette décision favorisa peu après l’attaque de plusieurs de ces camps par les Éburons et leurs alliés qui les considéraient alors comme suffisamment isolés les uns des autres. Il est donc probable qu’en règle ordinaire, la dispersion des légions était beaucoup plus modérée, même si elle variait vraisemblablement en fonction du degré de pacification des territoires où le général décidait d’implanter ses cantonnements. Dans quelle mesure peut-on transposer ces ordres de grandeur à la péninsule Ibérique ? On prendra garde de s’aventurer à le faire trop précisément. Les généraux d’Hispania disposaient habituellement d’effectifs beaucoup plus réduits que ceux de César puisqu’ils se limitaient le plus souvent à une seule légion, peut-être même incomplète lors de la période hivernale193. Il est donc possible d’envisager dans ces provinces une division des forces nettement plus restreinte, quand l’armée ne se contentait pas tout simplement d’un seul camp194. Quel que fût le degré de dispersion retenu, il tenait sans doute davantage aux fluctuations du nombre des soldats qu’à une volonté programmée de quadriller un espace195.
49Par conséquent, les quartiers d’hiver n’ont guère pu constituer la composante privilégiée d’un véritable cordon protecteur des territoires passés sous domination romaine196. On le voit bien en 146 lorsque Plautius, ayant essuyé une sévère défaite face à Viriathe, prit ses quartiers d’hiver, si l’on en croit Appien, « en plein été » (ἐϰ μέσου θέρους), laissant le chef lusitanien ravager impunément la région alentour197. Le même scénario se répéta en 142 sous le commandement d’un certain Quin(c)t(i)us, mal identifié198. Dans les deux cas, la prise des quartiers d’hiver ne correspond pas à l’arrivée effective de la mauvaise saison, mais signifie une mise en retrait des armées romaines dont le repli sur des territoires alliés, dans ou à proximité des villes, ne donne naissance à aucune ligne défensive, bien au contraire. L’objectif est alors principalement d’éviter le combat et non d’opter pour une nouvelle stratégie moins tournée vers l’offensive. En effet, la période hivernale, qui se prolongeait d’octobre à avril environ, se concevait avant tout comme une interruption des opérations militaires. Ainsi, lorsqu’à l’été 186 l’arrivée tardive des nouveaux préteurs provoqua la suspension des combats, celle-ci entraîna aussitôt l’envoi des armées dans leurs cantonnements d’hiver199. En ce sens, les hiberna sont toujours associés à une période de repos nécessaire pour les soldats200. D’ailleurs, le risque d’une coupure trop nette, fréquemment rappelé dans les sources, souligne combien cette trêve s’opposait, dans son principe, au moment de la campagne dont elle pouvait devenir le double négatif : le piège de quartiers d’hiver trop confortables, menant à l’abus des plaisirs et à la mollesse, constitue l’un des topoi les plus fameux de la littérature gréco-romaine201. Il ne fait aucun doute que, dans l’esprit des auteurs anciens, la fin de la saison de campagne marquait l’entrée dans une parenthèse d’inactivité forcée dépourvue de la dimension épique digne d’être relatée. Le récit de Tite-Live en témoigne amplement. Il est ainsi généralement rythmé par l’entrée des armées dans leurs quartiers d’hiver, qui achève le récit des opérations militaires, et leur sortie, qui annonce le début de la narration suivante.
50Les hiberna constituaient ainsi une respiration entre deux campagnes. Moment de transition, ils marquaient le temps des bilans comme celui des préparatifs. L’hiver était mis à profit par le général consciencieux pour affûter l’efficacité de son armée. Les soldats se remettaient des fatigues et des dangers tout en poursuivant les exercices susceptibles de leur donner, à la campagne suivante, l’assurance et les moyens nécessaires pour vaincre l’adversaire. La reprise en main de l’armée par Scipion en 134, bien qu’elle se soit effectuée au début du printemps, reflète sans doute de manière hypertrophiée ce qui aurait dû être fait pendant la mauvaise saison pour garder les hommes sous une stricte discipline (τῶν ἰδίων ἐγϰρατῶς)202. Outre le retour à un style de vie plus austère, l’exigence principale de Scipion fut la mise en œuvre de l’exercice (γυμνάσαι) qui s’effectua ici sous la forme de manœuvres complexes dans la région alentour (τὰ oὖν ἀγχοτάτω πεδία πάντα περιιὼν)203. Le maintien d’un entraînement militaire régulier formait sans doute une part importante du quotidien du soldat au cours de l’hiver204. De son côté, le général veillait à la préparation de la campagne suivante, soit par le renouvellement de l’équipement205, soit par la collecte d’informations indispensables206. Il consolidait également à cette occasion les alliances existantes ou en créait de nouvelles207. Progressivement, au fur et à mesure de la construction administrative provinciale, il employa aussi la mauvaise saison à rendre la justice et à arbitrer les conflits entre les alliés : en 77/76, Sertorius, qui revendiquait la légitimité de son autorité, tenait, on l’a vu, une assemblée des cités alliées dans la ville auprès de laquelle il avait édifié ses hiberna208 ; en 48, Q. Cassius se consacra à rendre la justice à Cordoue, mais ce cas de figure se distingue du précédent car les légions du légat césarien hivernaient alors en Lusitanie209. La dimension civile croissante de l’activité du gouverneur durant l’hiver souligne, à notre avis, tout en la renforçant, la distinction qui avait toujours existé entre le moment des opérations militaires et celui des quartiers d’hiver210.
51Destinés à extraire les soldats des rigueurs de la campagne, les hiberna ne pouvaient donc servir à organiser militairement une hypothétique ligne de défense provinciale avec laquelle ils ne se confondaient assurément pas. Les quartiers d’hiver ne nous semblent pas pouvoir être interprétés comme un dispositif de frontière, ainsi qu’il a été parfois proposé de le faire sur la foi des quelques exemples liés aux guerres numantines et sur celui de Cáceres el Viejo211. Le cas de Fulvius Nobilior en 154, en particulier, ne saurait en constituer une preuve puisque ce général fut contraint par la rupture de ses lignes de communications, on l’a vu, à hiverner dans un camp qui n’était pas à l’origine prévu à cet effet212. Quant à Cáceres el Viejo, trop d’incertitudes subsistent encore pour assurer qu’il s’agissait bien d’un camp d’hiver installé au cœur d’une zone instable213. Rien ne permet de penser, de toutes façons, que ces exemples illustrent les conditions régulières d’hivernage. Au contraire, tout indique que les généraux romains évitaient en règle générale de demeurer stationnés, loin de leur base, en territoire hostile ou peu sûr. La tentative avortée de Pompeius en 140, par exemple, pour passer la mauvaise saison devant les murs de Numance incita rapidement le consul à ramener au cours même de l’hiver son armée vers l’arrière, c’est-à-dire vers les villes alliées situées dans des zones sous domination romaine214. Ce choix suffit à montrer que ce repli constituait en réalité la norme et que les hiberna se trouvaient toujours placés en deçà des régions où se déroulaient les combats durant la campagne. Au désengagement opérationnel temporaire des légions correspondait ainsi, d’un point de vue géographique, leur mise à l’écart du contact direct avec l’ennemi. Cet aspect des quartiers d’hiver nous paraît fondamental dans la mesure où il nous oblige à renoncer à associer étroitement ces infrastructures à des systèmes de fronts et de glacis, planifiés sur le long terme. Plus simplement, les hiberna étaient systématiquement placés dans des zones pacifiées où les légions au repos bénéficiaient du soutien logistique exigé des populations alliées.
52Toutefois, ce constat ne signifie pas que la localisation des quartiers d’hiver échappait totalement aux préoccupations relatives au contrôle des territoires nouvellement conquis. Quelques passages de Tite-Live attestent ainsi la poursuite d’opérations militaires au cours des mois d’hiver. Par exemple en 193, le préteur de Citérieure fut contraint de livrer plusieurs combats :
En Espagne Citérieure, C. Flaminius prit la place d’Illucia chez les Oretani, puis ramena les soldats dans les quartiers d’hiver, et pendant l’hiver, quelques combats sans intérêt historique eurent lieu contre des raids de brigands plutôt que d’ennemis, mais avec des succès variés et non sans pertes en hommes (trad. R. Adam, CUF)215.
53Le dédain marqué par l’auteur pour ces escarmouches ne peut en masquer les difficultés réelles. En effet, la saison hivernale compliquait sérieusement le déroulement de l’activité militaire : le mauvais état des routes entravait la circulation, les intempéries perturbaient le physique comme le moral du soldat et surtout, la difficulté pour se procurer des vivres en quantité suffisante augmentait. Mais, en soi, rien n’empêchait de combattre en hiver. La saisonnalité de la guerre représentait une convention que le général pouvait choisir, à ses risques et périls, de ne pas respecter ou pouvait se voir obligé d’enfreindre.
54Selon nous, la différence majeure avec les engagements de la campagne d’été réside surtout dans la moindre envergure de ces affrontements. Ils sont plus ponctuels et plus locaux. En 184/183, le préteur de Citérieure partit ainsi assiéger une ville des Suessétans puis, la ville prise, se retira à nouveau dans ses quartiers d’hiver, et Tite-Live de conclure : « ensuite l’hiver fut calme également dans la province citérieure » (trad. A. -M. Adam, CUF)216. Le texte ne précise pas les motifs du siège de la ville, mais laisse deviner quelque agitation chez les Suessétans, vite réprimée par la rapidité de réaction du préteur217. Il faut donc imaginer la période hivernale traversée de la sorte par des interventions de faible durée qui n’engageaient peut-être pas la totalité des effectifs, mais maintenaient de loin en loin un certain degré d’activité proprement militaire. La guerre durant les mois d’hiver n’était pas étrangère aux Romains, mais elle devait rester limitée218. Par conséquent, rien n’assure qu’il faille réserver à César une audace particulière en la matière, comme on le croit parfois. Au contraire, le proconsul des Gaules affirmait lui-même, selon Hirtius, l’imprudence de se lancer dans une opération de grande envergure en cette saison :
La raison, d’ailleurs, lui disait qu’une guerre tant soit peu importante ne pouvait pas être entreprise en hiver (trad. L. A. Constans, CUF)219.
55Cependant, comme tout général romain, il n’excluait pas d’y avoir recours en cas de besoin. Le souci de ne pas laisser se développer un nouveau bastion pompéien en Ultérieure le poussa ainsi, afin d’engager la confrontation au plus tôt, à ne pas attendre le printemps 45 pour s’y rendre : ce faisant, il devança certes l’attente de l’adversaire mais souffrit en revanche du froid et des privations, tout comme les généraux de Citérieure un siècle plus tôt devant les murs de Numance220. En 218, Cn. Scipion dut également organiser en plein hiver des raids contre les peuples qui avaient fourni des troupes à Hasdrubal pour ravager les terres des alliés des Romains. Après avoir pris « en peu de jours (dies paucos) » la capitale ilergète, Atanagrum, Scipion se porta contre celle des Ausétans à laquelle il coupa toute possibilité de recevoir des renforts avant d’en mener le siège dans des conditions difficiles221. La reddition finalement obtenue, l’armée romaine revint vers Tarragone dans ses quartiers d’hiver (Tarraconem in hiberna concessit reditum est)222.
56Les impératifs du maintien de l’ordre pouvaient donc régulièrement conduire les préteurs des Hispaniae à tirer momentanément des hiberna leurs troupes, ou une partie d’entre elles, pour se livrer à des représailles ou bien faire rentrer dans le devoir une cité à la soumission fluctuante. Ces opérations, et notamment les sièges, pouvaient atteindre parfois une certaine durée (trente jours dans le cas du siège de la capitale ausétane en 218), ce qui imposait sans doute la construction d’abris pour les soldats. Cependant, les sources distinguent généralement ces cantonnements provisoires des hiberna proprement dits, où le général rapatriait ensuite ses troupes223. Ainsi, même lorsque des opérations sont mentionnées durant l’hiver, les hiberna demeurent extérieurs à l’action en cours224. L’armée les quitte pour se porter contre l’adversaire et y revient une fois sa tâche accomplie, mais leur position en retrait n’est jamais remise en cause. Ces campagnes en miniature supposent toutefois que la base à partir de laquelle s’effectuent ces opérations soit située à proximité des zones susceptibles d’être gagnées par des troubles.
57On ne peut douter par conséquent que de telles considérations intervenaient à l’heure du choix, par les généraux d’Hispania, d’un lieu où établir leurs hiberna, à l’image de ce que César nous décrit pour la phase finale de la guerre des Gaules225. En 180, on l’a vu, Ti. Sempronius Gracchus rappela ainsi au sénat que la pacification revendiquée par son prédécesseur en Celtibérie était avant tout fondée sur la crainte inspirée à certaines cités nouvellement soumises par les quartiers d’hiver installés ponctuellement sur leurs territoires226. Il est probable que Fulvius Flaccus avait effectivement souhaité ne pas compromettre l’éclat de sa victoire en retirant ses troupes trop loin de la région où il avait porté ses armes227. En effet, une fois le souvenir de la défaite estompé, les peuples vaincus prenaient parfois promptement le chemin de la révolte : on sait ainsi qu’en 152, en se retirant pour hiverner en Ultérieure, Marcus Atilius remit en cause les acquis d’un audacieux raid effectué en Lusitanie228. Pour cette raison, les gouverneurs des provinces d’Espagne plaçaient sans doute plus volontiers les quartiers d’hiver de leurs armées à proximité des régions récemment conquises229. En ce sens, les hiberna permettaient d’exercer une surveillance ou une pression sur les nouveaux alliés. On ne saurait toutefois parler d’un véritable dispositif de contrôle territorial. Si l’on en croit les dires de Sempronius Gracchus, le système possédait de ce point de vue des limites évidentes (ulteriores in armis sunt)230. De fait, la présence de quartiers d’hiver ne sécurisait guère que la zone à proximité immédiate (uicina hiberna). Il est toutefois impossible de savoir exactement jusqu’à quelle distance s’exerçait ce contrôle. Le successeur de Flaccus exagère vraisemblablement l’agitation de la Celtibérie afin d’éviter le rapatriement des ueteres milites (d’où le prudent : ut quidem ego audio). Où Flaccus avait-il placé ses hiberna ? Parmi les paucae ciuitates citées dans le texte, peut-être faut-il compter Aebura et Contrebia, dont le préteur de 182 avait reçu la soumission au cours de la campagne précédente231. Mais nous n’avons aucun moyen de le savoir avec certitude. Gracchus menaça le sénat de choisir des lieux pacifiés (loca pacata) pour ses quartiers d’hiver232. Cela suggère que Flaccus hivernait donc dans une zone faiblement pacifiée233. Les cas de figure variaient vraisemblablement selon les circonstances. En fonction de la situation, l’appréciation finale revenait sans doute au général présent sur le terrain.
58Bien que situés en arrière des zones de combat et le plus souvent groupés autour d’un centre urbain, les quartiers d’hiver de l’armée de conquête n’en manifestaient pas moins la présence intimidante du conquérant aux yeux des populations avoisinantes. Ainsi, ils pouvaient constituer assurément un facteur de stabilisation des territoires et servir en particulier à la protection des alliés qui les accueillaient le temps de la mauvaise saison. Cependant, cette fonction s’exerçait à une échelle très réduite et se limitait à la durée de l’hivernage, lequel s’effectuait généralement dans une autre région l’année suivante. En outre, l’installation des quartiers d’hiver pouvait aboutir à un résultat inverse, en poussant les populations à la révolte en raison de la charge représentée par l’entretien de troupes nombreuses. Par conséquent, il convient de ne pas surestimer la part prise par les hiberna dans le contrôle territorial exercé par Rome au niveau provincial. Bien réelle, mais ponctuelle, leur participation à la défense et à la surveillance des territoires conquis n’autorise pas à conclure à la mise en place de dispositifs permanents ou semi-permanents destinés à assurer militairement la maîtrise progressive de la Péninsule.
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59Les hiberna de la conquête n’ont pas laissé sur les territoires hispaniques une empreinte aussi profonde que les forteresses impériales du Nord-Ouest. Sans rejeter complètement la possibilité d’interpréter ainsi des structures comme celles de Renieblas III ou de Cáceres el Viejo, il nous semble néanmoins nécessaire de demeurer très prudent dans les conclusions auxquelles les fouilles de ces sites, souvent très partielles, permettent de parvenir. Par ailleurs, aucune infrastructure urbaine ne saurait être mise directement en relation avec un hivernage répété des légions. Sans doute, l’état actuel de notre documentation explique-t-il, en partie, ces réserves. En effet, les niveaux républicains des sites urbains sont généralement mal connus, tandis que très peu des enceintes attribuées à d’éventuels camps romains en dur ont fait l’objet de fouilles suffisantes. Cependant, tel qu’il apparaît au fil des textes, le caractère itinérant de quartiers d’hiver, déplacés de campagne en campagne en fonction de la progression romaine, suggère plutôt que Rome n’éprouva pas le besoin de développer des infrastructures durables pour loger ses troupes durant la mauvaise saison. Vraisemblablement, la trêve hivernale n’aboutissait qu’à une stabilisation limitée dans le temps et dans l’espace des armées romaines. Pour cette raison, les camps d’hiver n’étaient pas avant tout destinés à sécuriser les territoires provinciaux et ne contribuèrent pas, selon nous, à faire évoluer les armées d’Hispania vers des tâches nouvelles d’occupation. Dans le prolongement de la campagne, les armées romaines d’Hispania demeuraient des armées mobiles, et c’est dans ce cadre qu’il faut replacer leur rapport aux espaces péninsulaires.
Notes de bas de page
1 L’origine de la pratique remonterait en fait au siège de Véies, si l’on en croit Tite-Live, V, 2, 1, Plutarque, Cam., II, 8, et Florus, I, 6 (= II, 6).
2 On peut se demander par exemple dans quelle mesure elle modifia la sociabilité militaire, en facilitant la diffusion d’un esprit de corps plus fort que chez les légionnaires des premiers siècles de la République. La documentation manque cependant pour vérifier la réalité d’une transformation aussi discrète et progressive des mentalités. Voir cependant les remarques suggestives de N. Rosenstein, « Republican Rome », p. 206, qui estime que, dans le contexte d’une armée levée à partir d’un corps civique sans cesse plus volumineux, l’introduction de l’organisation manipulaire avait certainement représenté une première étape dans ce processus : « Breaking the phalanx into smaller blocks allowed the men of each maniple to develop a far greater degree of cohesiveness among themselves than they would have had as individuals within the mass of a phalanx. »
3 Tite-Live, XXI, 61, 11 et XXII, 19, 5.
4 Appien, Ib., 16 : Καστολών et Ὀϱτών. L’identification avec Castulo et Urso a été proposée par A. Schulten, FHA, III, p. 92, qui remarque toutefois qu’il faudrait peut-être lire Λοϱϰῶνι (Ilurci ? Lurci ?) au lieu de Ὀϱσῶνι. Tout en rejetant la pertinence de cette correction, J. S. Richardson dans son édition récente du texte d’Appien, doute que Gnaeus Scipion se soit avancé aussi au sud et suggère (p. 119) une erreur de l’historien grec, rarement soucieux d’exactitude géographique. Même scepticisme chez C. Leidl, Appians Darstellung des 2. punischen Krieges in Spanien, p. 172, et B. D. Hoyos, « Generals and Annalists », p. 79.
5 Scipion hiverna à Tarragone en 211/210 (Tite-Live, XXVI, 20, 1 et 4 ; XXVI, 41, 1), en 210/209 (Polybe, X, 20, 8 ; Tite-Live, XXVII, 17, 6), en 209/208 (Polybe, X, 34, 1 et X, 40, 12), en 207/206 (Tite-Live, XXVIII, 4, 4 ; XXVIII, 13, 4) et en 206/205 (Polybe, XI, 33, 7 ; Tite-Live, XXVIII, 16, 10).
6 Appien, Ib., 58.
7 Appien, Ib., 63. Sur l’équivalence probable Carpessos/Carteia chez cet auteur voir : R. C. Knapp, Aspects of the Roman Experience in Iberia, p. 148, et les commentaires de P. Goukowsky (p. 103, n. 19) et J. S. Richardson (pp. 109 et 155) dans leurs éditions respectives du texte d’Appien. Dès l’Antiquité, existait en effet une tradition identifiant à tort Carteia à la mythique Tartessos, voir A. Schulten, Tartessos, p. 128 et M. Bendala Galán et alii, Carteia, pp. 31-32.
8 Polybe, XXXV, 2, 2 ; Appien, Ib., 65 ; Salluste, Hist., II, 28 M = III, 32 GM ; Bell. Alex., XLIX, 1.
9 Plutarque, Sert., III, 6 ; le texte donne Κάστλων, mais on s’accorde à penser qu’il s’agit bien de Castulo. Voir F. García Morá, « La primera estancia de Quinto Sertorio en Hispania : Cástulo », p. 148. L’auteur n’écarte pas la possibilité que l’épisode rapporté par Plutarque se soit déroulé plutôt l’hiver suivant. Il n’y a pas lieu de douter que les troupes dont il est question se trouvaient à l’intérieur de la ville dans le cadre des hiberna, contrairement à ce qu’affirme J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 135, n. 258.
10 Appien, Ib., 64 (Plautius) ; Appien, Ib., 79 (Pompeius).
11 Ni H. G. Gundel, « Viriato », p. 182, ni H. Simon, Roms Kriege in Spanien, p. 93, ne s’y risquent à propos de Plautius. Il est peu probable cependant que les villes où se sont réfugiés les soldats aient été situées à proximité immédiate du lieu de la défaite, ordinairement placé dans la Sierra de San Vicente, à soixante kilomètres au nord-ouest de Tolède. Avec A. Schulten, « Viriato », p. 140, il est préférable de penser que Plautius et son armée se sont retirés en Ultérieure, c’est-à-dire au sud du Guadalquivir. On sait ainsi qu’en 142, il y avait une garnison à Itucca (Tucci) [Appien, Ib., 66]. Peut-être celle-ci avait-elle fait partie des villes vers lesquelles se dirigèrent les soldats quatre ans auparavant. En ce qui concerne Pompeius, on admet souvent, à la suite d’A. Schulten, Numantia I, p. 359, qu’il prit ses quartiers d’hiver dans la moyenne vallée de l’Èbre ou dans la vallée du Jalón.
12 Un bref survol des sources confirme que l’utilisation des villes pendant l’hiver était relativement courante chez les Romains sur l’ensemble des théâtres d’opération : Tite-Live, XXVII, 40, 11 ; XXXIII, 29, 2 ; XLI, 12, 7 ; XLII, 67, 8 ; XLV, 8, 8 ; XLV, 26, 11 ; Appien, Ill., 33, 4 ; Salluste, Iug., C, 1 ; Cicéron, Pro lege Manilia, XXXIX, 4 ; In Pis., LXXXVI, 9 ; Ad Att., V, 21, 7 ; César, BG, II, 35, 4 ; III, 1, 3 ; V, 24, 1. Il n’y a donc pas lieu de croire que G. Veith, « Die Römer », p. 420, a raison d’écrire que les Romains y étaient ordinairement défavorables. Voir à ce sujet les remarques de J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 134. Depuis, une étude plus systématique de la question a d’ailleurs confirmé que la pratique était effectivement chose courante sous la République : T. Ñaco del Hoyo, « Milites in oppidis hibernabant », pp. 63-90. Pour cet auteur, il s’agissait d’abord pour les généraux d’un moyen de se décharger sur les provinciaux de l’entretien d’une partie de leurs troupes durant les mois d’hiver. Mais il mentionne également la volonté de contrôle politique d’une région ou la recherche de sécurité auprès des alliés. Voir cependant les nuances apportées par N. Rosenstein, Rome at War, p. 134, qui pense que les généraux romains préféraient limiter les cantonnements en ville pour des raisons sanitaires.
13 Tite-Live, XXVI, 21, 16.
14 Tite-Live, XXVI, 1, 10.
15 Plutarque, Lucullus, XXXIII, 4.
16 Plutarque, Sylla, XXV, 2.
17 César, BC, III, 31, 4.
18 Plutarque, Sert., VI, 8 : Μάλιστα δὲ τῶν ἐτησταθμιῶν ἀπαλλάξας ἠγαπήθη· τοὺς γὰϱ στρατιώτας ἠνάγϰαζεν ἐν τοῖς πϱοαστείοις χειμάδια πήγνυσθαι, πρῶτος αὐτὸς οὕτω ϰατασϰηνῶν.
19 Plutarque, Sert., III, 6.
20 Salluste, Hist., II, 98, 5 M = II, 82, 5 MG : « … hiememque in castris inter saeuissumos hostis, non peroppida neque ex ambitione mea egi ».
21 J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 135. L’auteur reconnaît néanmoins qu’on ne peut suivre G. Veith, « Die Römer », p. 420, dans l’idée que César n’avait jamais recours aux hiberna urbains. Sur la réévaluation nécessaire du phénomène urbain dans la péninsule Ibérique, voir supra, pp. 53-55.
22 Voir supra, p. 365, n. 5.
23 Tite-Live, XXVI, 20, 1.
24 Tite-Live, XXVIII, 4, 4.
25 Tite-Live, XXVIII, 42, 3. Contrairement à ce que suggère O. Olesti-Vila, « El control de los territorios del Nordeste Peninsular », p. 121, nous persistons à penser que ces praesidia évoqués par Fabius dans le discours que lui prête Tite-Live ne correspondent pas à un réseau établi en vue d’assurer le contrôle de cette région, même « al menos para un periodo inicial de la conquista », et que leur existence ne peut se comprendre que dans le contexte propre aux opérations de la seconde guerre punique.
26 R. C. Knapp, Aspects of the Roman Experience in Iberia, p. 148 : « normal procedure for wintering was for the general to take up residence in a major town and to disperse his troops to other towns in the area ».
27 Plutarque, Sert., III, 5.
28 Polybe, III, 99, 9 ; Tite-Live, XXV, 32, 1 ; Tite-Live, XXVI, 41, 2 ; Appien, Ib., 38 ; Tite-Live, XXXIX, 30, 1 ; Tite-Live, XL, 16, 10 ; Bell. Alex., LI, 3.
29 Salluste, Hist., II, 28 M = III, 32 GM.
30 Par conséquent, on ne saurait que souscrire à la mise en garde récente d’A. U. Stylow, « De Corduba a Colonia Patricia », p. 79 : « El hecho de que llegara a seruna de las residencias preferidas porlos generales romanos para pasar el invierno no implica de suyo la existencia de unas instalaciones militares de envergadura en la propia ciudad, puesto que las tropas o bien acampaban en los alrededores, o, con más probabilidad aún, en otras ciudades de la zona. » En cela, l’auteur rappelle à juste titre que la présence de murailles dès la fondation n’a pas de raison particulière d’être rapportée à une éventuelle présence de l’armée : il s’agit au contraire d’un monument public habituel des villes de cette époque.
31 Polybe, X, 40, 12.
32 Celtibérie (Tite-Live, XL, 35, 13 ; XL, 39, 1 ; Appien, Ib., 89 ; Salluste, Hist., II, 94 M = II, 77 MG) ; Turdétanie (Appien, Ib., 55) ; Carpétanie (Appien, Ib., 83) ; Pyrénées (Appien, BC, I, 110), Lusitanie (Appien, BC, I, 110 ; Bell. Alex., LI, 2 ; Cicéron, Ad Fam., X, 33, 3). Plutarque, Sert., XXI, 8, affirme qu’en 75/74, Pompée passa l’hiver πεϱὶ Βαϰϰαίους, tandis que Salluste, Hist., II, 93 M (= II, 76 MG) mentionne in Vascones. A. Schulten, Sertorio, p. 156, n. 563, croit à une confusion de Plutarque et ne retient que le témoignage de Salluste, tout en reconnaissant que le projet initial de Pompée était sans doute d’installer ses quartiers d’hiver dans la Meseta ; d’autres, à la suite de B. Maurenbrecher, pensent que la mention de Plutarque indique que Pompée avait effectivement commencé à hiverner chez les Vaccéens avant de se transporter chez les Vascons en raison de problèmes de ravitaillement, comme le suggère Salluste (tum Romanus <exe> rcitus frumenti gra <tia> remotus in Vascones est). Voir notamment F. García Morá, Un episodio de la Hispania republicana, p. 264. Pour sa part, Ph. O. Spann, Quintus Sertorius and the Legacy of Sulla, pp. 119-129 et n. 71, a proposé la solution inverse, l’hivernage chez les Vaccéens succédant à l’échec de celui chez les Vascons. Dernièrement, C. F. Konrad, « A New Chronology of the Sertorian War », pp. 180-182, a défendu l’idée que Pompée s’était en réalité réfugié en Gaule, après avoir tenté d’hiverner chez les Vascons.
33 Tite-Live, XXVI, 20, 1.
34 D’autant plus que pouvaient exister parfois des solutions mixtes, si l’on en croit deux textes relatifs à deux époques et deux aires géographiques très différentes : Tite-Live, XXXIII, 29, 2 : proximum bello quod erat, in latrocinium uersi alios in hospitiis, alios uagos per hiberna milites ad uarios commeantes usus excipiebant (« ils se tournèrent alors vers ce qui était le plus proche de la guerre, le brigandage, attaquant les soldats par surprise, les uns chez leurs hôtes, les autres quand ils circulaient çà et là, lors des quartiers d’hiver, pour des besoins variés », trad. G. Achard, CUF), et César, BG, VIII, 5, 2 : Caesar erumpentes eo maxime tempore acerrimas tempestates cum subire milites nollet, in oppido Carnutum Cenabo castra ponit atque in tecta partim Gallorum, partim quae coniectis celeriter stramentis tentoriorum integendorum gratia erant inaedificata, milites conpegit. (« César, ne voulant pas exposer les soldats aux rigueurs de la mauvaise saison qui était alors dans son plein, campe dans la capitale des Carnutes, Cénabum, où il entassa ses troupes partie dans les maisons des Gaulois, partie dans les abris qu’on avait formés en jetant rapidement du chaume sur les tentes » trad. L. A. Constans, CUF).
35 Tite-Live, XXVI, 1, 10.
36 Techniquement, c’est ce qu’il désigne : RE, 3, 1766 ; TLL, 2689-2690.
37 G. Veith, « Die Römer », p. 420, a montré que chez César, l’emploi du terme hiberna est générique, par opposition à castra statiua désignant plus particulièrement le camp d’hiver fixe. J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 104, n. 35, fait cependant part de ses doutes.
38 Tite-Live, XL, 35, 13 : Paucae ciuitates, ut quidem ego audio, quas uicina maxime hiberna premebant in ius dicionemque uenerunt, ulteriores in armis sunt. (« Peu de cités, du moins d’après ce que j’entends dire, sont tombées en notre pouvoir et sous notre domination : celles que la proximité de nos quartiers d’hiver soumettait à la plus forte pression ; mais les cités plus éloignées sont en armes », trad. C. Gouillart, CUF). Gracchus force sans doute le trait pour éviter le rapatriement de l’armée demandé par Fulvius Flaccus ; la version présentée par le légat de ce dernier se contente de reconnaître que la région est celle de pacatos barbaros nondum satis assuetos imperio (« de barbares soumis, mais pas encore suffisamment accoutumés à la souveraineté romaine » : Tite-Live, XL, 36, 2).
39 Tite-Live, XXVI, 1, 10. Le camp dressé par Caton en 195se trouvait ainsi seulement à trois milles d’Emporion (Tite-Live, XXXIV, 13, 2). Sur son lien éventuel avec les hiberna, voir infra, pp. 372-373.
40 Un fragment des Histoires de Salluste, ordinairement rapporté à l’hiver 75/74, montre l’impossibilité pour Pompée comme pour Sertorius de demeurer cantonné à un endroit où les cités les plus proches ne leur fournissaient aucun ravitaillement pour leurs quartiers d’hiver (Salluste, Hist., II, 93 M = II, 76 MG). Comme il a été rappelé précédemment, l’épisode est situé par les commentateurs tantôt en Celtibérie, tantôt chez les Vascons.
41 Tite-Live, frgt. XCI, 3. En aucun cas le texte de Tite-Live ne permet donc de penser que Castra Aelia correspondait au nom du camp sertorien lui-même, comme l’affirme de façon erronée M. Luik, « Die römischen Militäranlagen der iberischen Halbinsel », p. 235 (nº 12).
42 C’est du moins l’hypothèse suggérée par F. García Morá, Un episodio de la Hispania republicana, p. 164.
43 Voir supra, pp. 348-350.
44 Tite-Live, XXXIV, 13, 2.
45 Elle a conduit certains historiens à affirmer que Caton n’était pas arrivé en Citérieure avant l’automne 195. Il aurait alors passé l’hiver dans son camp et entamé ses opérations au printemps 194. Cette hypothèse a été développée notamment par H. Tränkle, Cato in der vierten und fünften Dekade des Livius, p. 22. Sur les nombreuses objections à cette théorie, voir A. E. Astin, Cato the Censor, p. 309.
46 Une datation vers mai-juin est la plus courante : P. Fraccaro, « Le fonti per il consolato di M. Porcio Catone », p. 220 ; J. Martínez Gázquez, La campaña de Catón en Hispania, p. 174 ; A. E. Astin, Cato the Censor, pp. 34 et 308-310. La date de la mi-juillet a été défendue par R. C. Knapp, « Cato in Spain », p. 31.
47 G. De Sanctis, Storia dei Romani, t. IV (1), p. 388. Selon lui, Tite-Live reproduirait un usage catonien peu usuel du terme hiberna. Il est suivi par R. C. Knapp, « Cato in Spain », p. 32, n. 42, qui estime que la précision de Tite-Live (cum iam id tempus anni appeteret quo geri res possent) est précisément destinée à en avertir le lecteur. L’emploi de castra hiberna par Caton est attesté par le fragment 35 M (sed ubi anni tempus uenit castra hiberna).
48 A. E. Astin, Cato the Censor, p. 310, estime ainsi que Tite-Live ne commet pas d’erreur sur le sens dans lequel Caton utilise le terme : « The very fact that he does not take castra hiberna in its literal sens is a strong indication that this narrative gave him positive reason to take it otherwise. »
49 Tite-Live, XXXIV, 16, 1, insiste sur l’habileté de Caton qui a manœuvré de façon à placer l’armée ennemie entre ses légions et son camp, afin d’empêcher que ses soldats puissent nourrir l’espoir de s’y réfugier. Cette fonction est ordinairement celle du camp de marche. Voir F. E. Adcock, The Roman Art of War under the Republic, pp. 15-16 ; J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, pp. 129-131 ; P. Cagniart, « Victori receptaculum, victo perfugium », pp. 230-233 ; Pour contourner la difficulté, R. C. Knapp, « Cato in Spain », p. 32, suggère ingénieusement que Caton avait en réalité construit par avance les hiberna où il prévoyait de ramener ses troupes une fois la campagne terminée. Mais ce faisant, il ne tient pas compte de la suite du récit, car il est bien précisé qu’après sa victoire contre l’armée ennemie, Caton leva le camp avant de se diriger vers Tarragone (Tite-Live, XXXIV, 16, 6). Sur cette question, voir supra, p. 350.
50 On pense en effet que les camps ne présentaient pas toujours la même apparence suivant la durée prévue des opérations. Voir à ce sujet les remarques de J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 104.
51 Salluste, Hist., II, 93 M = II, 76 MG : <Pom> peius aliquot dies <cas> tra statiua habuit, <mo> dica ualle disiunctis <ab eo> hostibus (« séparé de l’ennemi par une petite vallée, Pompée établit un camp stable durant quelques jours »).
52 En 181, Fulvius Flaccus se tint enfermé dans son camp perdies aliquot (Tite-Live, XL, 30, 5) afin d’endormir la méfiance de l’ennemi. Le nombre de jours, non précisé, ne devait pas être négligeable, si l’on en croit l’expression de Tite-Live : tot dierum quiete (Tite-Live, XL, 31, 1). Une telle phase d’observation avant la bataille représente une constante de la guerre romaine (voir supra, pp. 195-196). En ce qui concerne Caton, il est difficile d’estimer le temps écoulé entre la construction du camp et la bataille d’Emporion, car Tite-Live se contente de notations trop vagues (Tite-Live, XXXIV, 13 : ubi satis admodum et suorum et hostium animos est expertus [« lorsqu’il se crut sûr des dispositions de ses troupes et de celles des ennemis »]). R. C. Knapp, « Cato in Spain », p. 32, avance quatorze jours, mais cette estimation est totalement arbitraire.
53 Tite-Live, XXXVII, 39, 2 ; XLV, 28, 10 ; Plutarque, Lucullus, XXXIII, 4, 2. Voir à ce sujet J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, pp. 121-122.
54 Bell. Hisp., XVI, 2 : secumque extulerunt culcitas ad fossas complendas et harpagones ad casas, quae stramenticiae ab nostris hibernorum causa aedificatae erant, diruendas et incendadas. Voir aussi Dion Cassius, XLIII, 32, 7.
55 Appien, Ib., 47 : Καὶ ὁ Νωβελίων άπιστῶν ἅπασιν ἐν τῷ στϱατοπέδῳ διεχείμαζε, στεγάσας ὡς ἐδύνατο, ϰαὶ τὴν ἀγοϱάν ἔχων ἔνδον ϰαὶ ϰαϰοπαθῶν αὐτῆς τε τῆς ἀγοϱᾶς τῇ ὀλιγότητι ϰαὶ νιϕετοῦ πυϰνότητι ϰαὶ ϰϱύους χαλεπότητι, ὥστε πολλοὶ τῶν στϱατιωτῶν οἳ μὲν ἐν τοῖς ϕϱυγανισμοῖς, οἳ δὲ ϰαὶ ἔνδον ὑπὸ στενοχώϱίας ϰαὶ ϰϱύους ἀπώλλυντο. (« Et Nobilior, se défiant de tous, demeura tout l’hiver dans son camp. Il construisit des abris comme il put et, n’ayant d’autre possibilité de ravitaillement qu’à l’intérieur du camp, il souffrit de la rareté du ravitaillement lui-même ainsi que de l’épaisseur des neiges et de la sévérité du froid glacial, si bien que de nombreux soldats trouvèrent la mort, certains au cours des corvées de bois, d’autres aussi à l’intérieur du camp, sous l’effet du confinement et du froid glacial », trad. P. Goukowsky, CUF).
56 Appien, Ib., 89.
57 Les résultats de ces fouilles initiales ont été consignés dans A. Schulten, Numantia IV.
58 Ibid., p. 22. Le camp III recouvrant selon lui la partie orientale des camps I et II, il est considéré comme postérieur ; de même, le rempart nord du camp II recouvre les baraques du camp I, tandis que le rempart du camp IV traverse une partie des baraques du camp III. Enfin, comme le camp V coupe l’angle sud-ouest du camp III et la partie sud du camp IV, il est jugé être le plus récent.
59 Ibid., pp. 119-126.
60 Ibid., pp. 284-305 ; J. Pamment Salvatore, Roman Republican Castrametation, p. 25.
61 RRCH, p. 74 (nº 558), propose un intervalle entre 206 et 150 ; J. Romagosa, « Las monedas de los campamentos numantinos », p. 89 ; H. J. Hildebrandt, « Die Römerlager von Numantia », pp. 240-245 et 265 ; A. Jimeno Martínez et A. M. Martín Bravo, « Estratigrafía y numismática. Numancia y los campamentos », p. 185.
62 A. Schulten, Numantia IV, p. 41.
63 Appien, Ib., 46.
64 H. Simon, Roms Kriege in Spanien, p. 26 ; A. García y Bellido, « El ejército romano en Hispania », p. 67 ; J. M. Blázquez Martínez et R. Corzo Sánchez, « Luftbilder römischer Lager aus republikanischer Zeit in Spanien », p. 682 ; Á. Morillo Cerdán, « Fortificaciones campamentales de época romana en España », pp. 153-154 ; Id., « Campamentos romanos en España a través de los textos clásicos », p. 388 ; M. J. Dobson, The Roman Camps at Numantia, p. 294 ; M. Luik, « Die römischen Militäranlagen der iberischen Halbinsel », p. 228 ; Á. Morillo Cerdán et J. Aurrecoechea (éd.), The Roman Army in Hispania, p. 278 (avec prudence).
65 J. Pamment Salvatore, Roman Republican Castrametation, pp. 21-23. Précisons qu’il raisonne à partir d’un stade équivalant à 208 m et non à 177,60 m.
66 Appien, Ib., 47 (voir supra, p. 374, n. 55).
67 Les restes inégalement conservés du mur d’enceinte suffisent à donner l’impression d’une construction particulièrement puissante : mesurant entre quatre et cinq mètres de large, le mur à double parement et à remplissage, édifié en appareil irrégulier de blocs de pierre cyclopéens, est muni sur sa face interne de nombreuses tours ou plate-formes carrées, de taille variable, et sur sa face externe, en saillie, de deux tours semi-circulaires. Voir A. Schulten, Numantia IV, p. 53, qui estime la hauteur de ce rempart à au moins trois mètres. Si l’on admet avec lui (p. 47) que la restitution de l’intégralité de son périmètre atteint les 2.550 mètres, soit environ celui du rempart d’une ville italienne moyenne de l’époque, on peut s’interroger sur l’intérêt de construire une telle muraille pour quelques mois. Sur la question de la construction en pierre, voir infra, pp. 387-389.
68 A. Schulten, Numantia IV, p. 48. Il ne tient pas compte cependant des nombreuses pertes qui, dans le contexte de la déroute, ont dû notablement réduire l’effectif total de départ.
69 Ibid., pp. 91-93, suivi par M. J. Dobson, The Roman Camps at Numantia, p. 143. En revanche, cette hypothèse est critiquée à juste titre par J. Pamment Salvatore, Roman Republican Castrametation, notamment p. 39.
70 Appien, Ib., 46 ; A. Schulten, Numantia IV, p. 90, voit la confirmation de son hypothèse dans le fait que selon lui, les éléphants ne devaient pas être logés à l’intérieur même du camp. Curieusement, M. J. Dobson, The Roman Camps at Numantia, p. 294, accepte sans difficulté l’interprétation de ces vestiges comme un argument en faveur de la datation de 153.
71 De manière générale, la tentation d’obtenir des données assurées (« gesicherte Daten ») est rejetée, à raison, par H. J. Hildebrandt, « Die Römerlager von Numantia », p. 239.
72 Voir à ce sujet la prudence revendiquée, à juste titre, par J. Pamment Salvatore, Roman Republican Castrametation, pp. 21-29, dans l’attribution des différents camps à des opérations militaires identifiables. Préférant se contenter d’une chronologie relative (synthétisée dans sa figure 2.3, p. 28), il conclut : « It can be seen that it is not possible to construct a complete chronology for the Roman Republican camps in Spain that will bear the weight of criticism. »
73 Á Capalvo Liesa, Celtiberia, pp. 139-140. Sur l’interprétation de Renieblas I, voir A. Schulten, Numantia IV, pp. 33-37, suivi par J. M. Blázquez Martínez et R. Corzo Sánchez, « Luftbilder römischer Lager aus republikanischer Zeit in Spanien », p. 683, J. M. Blázquez Martínez, « Campamentos romanos en la Meseta hispana en época romano republicana », p. 98, M. Luik, « Die römischen Militäranlagen der iberischen Halbinsel », p. 228 (mais nuancé depuis dans Id., Die Funde aus den römischen Lagern um Numantia, p. 18, n. 71). Davantage de prudence est montrée par d’autres travaux : A. García y Bellido, « El ejército romano en Hispania », p. 67, admet une datation large entre 195 et 179 ; Á. Morillo Cerdán, « Fortificaciones campamentales de época romana en España », p. 153, et aussi Id., « Campamentos romanos en España a través de los textos clásicos », p. 386, qui souligne que « carecemos de pruebas fehacientes que respalden esta atribución » ; les études les plus récentes se montrent plus tranchées et rejettent entièrement l’attribution à Caton : J. Pamment Salvatore, Roman Republican Castrametation, p. 21, et M. J. Dobson, The Roman Camps at Numantia, p. 293.
74 J. Pamment Salvatore, Roman Republican Castrametation, p. 33, conteste pour cette raison la restitution proposée par A. Schulten qu’il juge hasardeuse et même contradictoire avec les vestiges ; de même, M. J. Dobson, The Roman Camps at Numantia, pp. 138-140, estime que la trop grande médiocrité des restes conservés invalide l’étude détaillée qu’en offre le savant allemand.
75 A. Schulten, Numantia III, pp. 171-172.
76 Appien, Ib., 50.
77 Appien, Ib., 78.
78 Il est du reste difficile d’imaginer qu’un général romain ait choisi d’hiverner si près d’une ville ennemie.
79 En effet, c’est précisément parce qu’à ses yeux, aucun autre général n’a hiverné sous les murs de Numance avant Pompeius que A. Schulten, Numantia III, p. 175, privilégie Marcellus.
80 Appien, Ib., 78 : Καὶ οἱ στϱατιῶται, ϰϱύους τε ὄντος ἐν ἀστέγῳ σταθμεύοντες ϰαὶ πϱῶτον ἄϱτι πειϱώμενοι τοῦ περὶ τὴν γώϱαν ὕδατός τε ϰαὶ ἀέϱός ϰατὰ γαστέϱα ἔϰαμνον, ϰαὶ διεϕθείϱοντο ἔνιοι. (« Les soldats, qui bivouaquaient en plein air alors qu’il gelait et n’avaient même pas eu le temps de s’adapter à l’eau et à l’air du pays, étaient atteints de dysenterie et quelques-uns en mouraient », trad. P. Goukowsky, CUF).
81 Appien, Ib., 79.
82 M. J. Dobson, The Roman Camps at Numantia, p. 296, cherchant à concilier les données du terrain avec le témoignage d’Appien, estime ainsi que les maigres vestiges attribuables au camp II n’impliquent pas une construction entièrement en dur. Mais parallèlement, il suggère (p. 201), non sans contradiction, qu’A. Schulten a eu trop tendance à attribuer la plupart des structures à Castillejo III et que la partie occidentale de Castillejo II pourrait être occupée par des baraques.
83 Salluste, Hist., II, 94 M = II, 77 MG : Titurium legatum cum cohortibus quindecim in Celtiberia hiemem agere iussit praesidentem socios (« il ordonna à son légat Titurius de passer l’hiver en Celtibérie avec quinze cohortes et de veiller sur les alliés »). Voir A. Schulten, Numantia IV, pp. 182-183. Il est suivi par J. M. Blázquez Martínez et R. Corzo Sánchez, « Luftbilder römischer Lager aus republikanischer Zeit in Spanien », p. 688, et A. García y Bellido, « El ejército romano en Hispania », p. 67.
84 E. J. Haeberlin dans A. Schulten, Numantia IV, pp. 182 et 247 (nº 183).
85 J. Pamment Salvatore, Roman Republican Castrametation, pp. 119-120 : « The plan which was published by Schulten […] in which the whole camp is restored on paper to show accomodation for a force in excess of one legion is therefore, purely imaginary. […] There must be a strong suspicion that Schulten tailored his interpretation of these barracks in order to support his ideas concerning the presence of legionary cohorts in Camp V. »
86 RRCH, p. 5 ; RRC, nº 308/41.
87 H. J. Hildebrandt, « Die Römerlager von Numantia », p. 268. Il est suivi par A. Jimeno Martínez et A. M. Martín Bravo, « Estratigrafía y numismática. Numancia y los campamentos », p. 186.
88 E. Fabricius, « Über die Ausgrabungen in Numantia », p. 379.
89 Voir les réserves émises par M. H. Crawford, Coinage and Money under the Roman Republic, p. 90, n. 14, et R. C. Knapp, « Spain », p. 19. Ces critiques ont conduit Á. Morillo Cerdán, « Fortificaciones campamentales de época romana en España », p. 154, et M. Luik, « Die römischen Militäranlagen der iberischen Halbinsel », p. 231, à se contenter d’exposer les différentes hypothèses chronologiques sans chercher à trancher. Depuis, Id., Die Funde aus den römischen Lagern um Numantia, p. 19, a pris plus nettement position contre l’hypothèse de J. Hildebrandt : en particulier, il ne croit guère possible d’attribuer précisément les trouvailles de monnaies aux différentes phases d’occupation du site de Renieblas.
90 H. J. Hildebrandt, « Die Römerlager von Numantia », p. 268, le justifie par deux arguments : 1) cette monnaie, trop tardive par rapport aux autres, ne peut être selon lui qu’un hapax ; 2) sa provenance exacte est obscure. Mais J. Pamment Salvatore, Roman Republican Castrametation, p. 27, a montré le caractère erroné de la seconde affirmation.
91 Il est d’ailleurs significatif que le total retenu (quinze monnaies) corresponde à celui des trouvailles de Renieblas V, si on ajoute aux pièces romaines les exemplaires indigènes. Ce critère a donc surtout l’avantage de permettre d’inclure le site dans l’étude.
92 M. J. Dobson, The Roman Camps at Numantia, p. 45. D’accord en cela avec J. Hildebrandt, il exclut également l’as oncial, jugé atypique.
93 Il exclut les trouvailles de Castillejo de son calcul, au motif que leur attribution exclusive au camp III n’est pas possible à déterminer.
94 M. J. Dobson, The Roman Camps at Numantia, p. 295.
95 Appien, Ib., 80. Au contraire Mancinus vaincu s’enferma d’abord dans son camp de marche (στρατόπεδον) avant de s’enfuir de nuit vers celui anciennement occupé par Nobilior.
96 M. J. Dobson, The Roman Camps at Numantia, p. 45, mentionne ainsi cinq as à Renieblas V qui lui servent de base de réflexion. Ils correspondent aux numéros 98, 195, 196, 199 et 200 du catalogue qu’E. J. Haeberlin avait dressé pour A. Schulten et qu’on retrouve sous les numéros 176, 178 et 181 dans celui de J. Hildebrandt (qui procède par regroupement de types). Il les compare avec sept exemplaires trouvés autour de Numance, dont un seul est localisé avec précision, à Castillejo, site dont il a décidé de ne pas tenir compte. Ce total est légèrement différent de celui donné par le catalogue de J. Hildebrandt qui signale également un as trouvé à Castillejo, mais ajoute onze exemplaires d’origine inconnue. Cet ensemble est donc trop mal établi pour permettre une statistique comparée avec les monnaies indigènes retrouvées.
97 J. Pamment Salvatore, Roman Republican Castrametation, p. 27.
98 En ce sens, une tentative récente pour rapporter la céramique du site au contexte du siège de Numance nous paraît présenter un certain nombre de limites. Voir E. Sanmartí-Grego, « Nouvelles données sur la chronologie du camp de Renieblas V à Numance », pp. 417-430. L’auteur a révisé les céramiques fines et les amphores trouvées par A. Schulten et a confronté ses résultats avec le produit d’une prospection menée sur place en 1986 (essentiellement des fragments d’amphores). Le matériel de Renieblas V se divise en différentes catégories dont la plupart (céramique campanienne B, amphores gréco-italiques, amphores Dressel 1A) correspond à un horizon chronologique compris entre le milieu du IIe siècle et le début, voire le milieu, du Ier siècle. Voir M. Py (éd.), Dictionnaire des céramiques antiques. Comme E. Sanmartí admet d’emblée la datation de 135-130 proposée par J. Hildebrandt (« le fait que l’on y retrouve des monnaies un peu plus récentes que 133 ne doit pas mettre en cause la datation scipionienne de ce camp »), il privilégie par conséquent cette hypothèse par rapport à toutes les autres. Or, le lot le plus important de céramiques est formé parles amphores gréco-italique ou bien Dressel 1A, encore majoritaires au milieu du Ier siècle. La céramique plus ancienne est très peu représentée (quatre fragments de Campanienne A, dont un seul est identifiable et provient d’une assiette Lamboglia 36, toujours en usage au Ier siècle). La comparaison avec le matériel de Peña Redonda n’est pas non plus décisive et montre seulement que Renieblas V se situe peut-être chronologiquement plus près du siège de Numance que de Cáceres el Viejo. N’oublions pas non plus que ce matériel provient des fouilles, parfois superficielles, effectuées par A. Schulten (ce fut le cas à Renieblas V) ou de simples prospections. Avant tout, la datation de Renieblas Ven 133 est l’occasion pour E. Sanmartí de proposer des chronologies plus fines pour certaines céramiques retrouvées sur place et jusqu’à présent mal connues, notamment une production locale nommée par l’auteur CC. NN. (attestée pourtant jusqu’en 75 av. J.-C. selon M. Py [éd.], Dictionnaire des céramiques antiques, p. 80) ou bien un type d’amphore ovoïde d’origine italique. Selon nous, il n’échappe donc pas au risque de l’argument circulaire, comme le montre sa remarque au sujet de ce dernier type (p. 424) : « En tout cas, ce qui restera désormais comme un fait acquis, c’est la datation de ces fragments trouvés à Renieblas V dans le courant des années immédiatement antérieures à 133 av. J. -C. » Seul un fragment de col d’amphore punique pourrait être daté de la fin du IIe siècle, s’il s’agit bien du type 3 d’Uzita. Mais l’auteur reconnaît lui-même (p. 425) que la pièce aujourd’hui perdue n’est plus connue que par un dessin à la fiabilité douteuse.
99 Une occupation du camp V à l’époque sertorienne a pu ainsi être défendue de nouveau par des travaux récents : M. Luik, « Fibeln vom Typ Alesia aus dem römischen Lagern um Numantia », pp. 463-479 ; J. Gómez-Pantoja et F. Morales Hernández, « Sertorio en Numancia », pp. 303-310 (qui se fondent toutefois sur la découverte d’une balle de fronde inscrite au nom de Sertorius, dont la provenance n’est pas assurée). Dans sa notice pour Á. Morillo Cerdán et J. Aurrecoechea (éd.), The Roman Army in Hispania, p. 279, M. Luik estime qu’aucune autre chronologie que le début du Ier siècle n’est admissible.
100 A. Schulten, Numantia IV, pp. 104-106.
101 J. Pamment Salvatore, Roman Republican Castrametation, p. 69 ; M. J. Dobson, The Roman Camps at Numantia, p. 176. D’une manière générale, tout en reconnaissant à juste titre la validité globale des conclusions d’A. Schulten, ces auteurs contestent en bien des points la restitution de détail effectuée par celui-ci, notamment concernant la morphologie et la taille des baraquements ou bien l’attribution arbitraire d’un type de troupes à certaines parties du camp (cavaliers, extraordinarii, officiers, auxiliaires). M. Dobson insiste ainsi (ibid., p. 21) sur le fait que la tendance de l’érudit allemand à plaquer le schéma polybien sur des vestiges plus complexes et très adaptés à la topographie n’est nulle part plus sensible qu’à Renieblas III, lui reprochant « to tend to fit the archaeology to Polybius, rather than having a more objective approach of using Polybius merely as an aid in the interpretation of the remains ».
102 Les comptes rendus qu’A. Schulten publia de ses campagnes avant ses gros ouvrages de synthèse l’attestent de manière éloquente. Ainsi, A. Schulten, « Mes fouilles à Numance et autour de Numance », p. 378 : « Une circonstance heureuse a facilité le travail. Les murailles des cinq camps étaient en majeure partie encore reconnaissables sur le sol, si bien que beaucoup pouvaient être relevées sans aucune fouille. » Pour lui, le camp III est à ce titre « un commentaire monumental de Polybe ». Un peu avant en effet, il constatait, enthousiaste (p. 376) : « Mais ma Fortuna Hispaniensis m’est restée fidèle, et ce que refusait Numance m’a été accordée par “La Gran Atalaya”, la colline de Renieblas : à savoir un camp complet d’après le schéma de Polybe. »
103 A. Schulten, Numantia IV, pp. 39 et 115. Pour leur part, M. J. Dobson, The Roman Camps at Numantia, pp. 142 et 293, comme J. Pamment Salvatore, Roman Republican Castrametation, pp. 24 et 33, se montrent extrêmement prudents, préférant ne pas se prononcer nettement en faveur de l’une ou l’autre hypothèse.
104 Il s’agit de l’ensemble accolé au côté sud-est du camp III. Voir A. Schulten, Numantia IV, pp. 111-117. Voir les critiques de J. Pamment Salvatore, Roman Republican Castrametation, p. 24, qui relève la présence de titula défendant l’accès à la porte de ce rempart, ce qu’on ne constate jamais pour les six portes identifiées du camp III. Il n’exclut donc pas la postériorité de cette structure adjacente.
105 M. J. Dobson, The Roman Camps at Numantia, pp. 177-180.
106 Ibid. pp. 183.
107 En l’absence de données nouvelles, la proposition de M. Dobson d’identifier un camp VI n’est cependant pas très convaincante. Trop dépendante des plans d’A. Schulten, elle prend surtout appui sur une interprétation différente de l’organisation des rares structures internes retrouvées dans cette zone dont l’auteur prétend qu’elle contraste nettement avec celle des baraques du camp III. Il reconnaît cependant que « with so few remains having been found from within the interior, little can be concluded about its overall layout » (p. 180). Cela ne l’empêche pas de proposer d’y placer le camp d’hiver de Scipion Émilien en 134. La prudence de J. Pamment Salvatore, Roman Republican Castrametation, pp. 77-78, qui rejette toute interprétation trop tranchée, est selon nous préférable.
108 P. Breuer, M. Luik et D. Müller, « Zur Wiederaufnahme archäologischer Forschungen in den römischen Lagern bei Renieblas », pp. 125-145 ; M. Luik, « Die römischen Lager bei Renieblas », pp. 771-778.
109 M. Luik, « Die römischen Lager bei Renieblas », p. 773, souligne en particulier que les campagnes de 1997-2000 ont déjà permis de mettre en évidence un certain nombre de différences notables entre les structures observables sur le terrain et le plan qu’en a dressé le général A. Lammerer en 1910 pour la publication d’A. Schulten. Or rappelons que c’est précisément ce plan, par ailleurs remarquable compte tenu des techniques de l’époque, qui sert encore aujourd’hui de fondement aux discussions érudites sur le site. Les principaux résultats de cette révision du site ont été publiés à la fin de l’année 2006 : M. Luik et D. Müller, Renieblas, Lager V. Si cette publication ne remet pas en cause pour l’instant la superposition traditionnelle des cinq camps (p. 14), elle propose néanmoins une lecture plus fine de la partie septentrionale de l’enceinte, où une vingtaine de tours internes ont été identifiées ainsi que deux portes. Une partie de l’enceinte orientale et des structures internes dans l’angle nord-oriental ont également fait l’objet d’une révision. Les questions de chronologie, pourtant fondamentales, ne sont pas discutées.
110 La formule lapidaire utilisée par A. García y Bellido, « El ejército romano en Hispania », p. 67, pour définir Renieblas V illustre à merveille cette démarche : « De piedra, por tanto de invierno (castra hiberna) ».
111 A. Schulten, Numantia IV, p. 49 ; à sa suite, Á. Morillo Cerdán, « Fortificaciones campamentales de época romana en España », p. 154, estime qu’à ce moment, « Nobilior tiene tiempo para construirun campamento estable, porque los arevacos no interfieren ».
112 J. Pamment Salvatore, « RomanTents “Replicated” in Stone-Built Barracks of the 2nd Century BC in Spain », pp. 23-31. La démonstration est cependant affaiblie par le fait que nous ignorons dans une large mesure la taille des tentes d’époque républicaine. Cette lacune oblige d’ailleurs l’auteur à tirer l’essentiel de son information du pseudo-Hygin et des comparaisons avec les forteresses impériales du Haut-Empire en Grande-Bretagne.
113 César, BG, V, 39, 1 et V, 40, 2, attestent ainsi que le camp d’hiver de Quintus Cicéron à Atuatuca en 53 était construit en bois.
114 J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 114, estime à juste titre impossible de savoir si les murs étaient ou non prolongés d’une palissade en bois. Mais cette solution paraît toutefois la plus vraisemblable. Pour l’Empire, on connaît ainsi des exemples, en Germanie, où les tentes étaient protégées des rigueurs du climat par des auvents de bois et des écrans de pierre : voir J. -M. A. W. Morel, « Tents or Barracks ? », p. 379. Pour l’Hispania républicaine, une solution similaire est exclue, sans arguments suffisants, par J. Pamment Salvatore, « Roman Tents “Replicated” in Stone-Built Barracks of the 2nd Century BC in Spain », p. 24 ; elle est en revanche envisagée par M. J. Dobson, The Roman Camps at Numantia, pp. 210-214, dans le cas de Castillejo II.
115 L’enceinte attribuée au camp IV semble ainsi atteindre trois mètres à la base. A. Schulten, Numantia IV, p. 143, concluait pourtant à des castra aestiua.
116 Appien, Ib., 80 : δείσας ἄπυϱον τὴν νύϰτα διήγαγεν ὅλην, ἐν σϰότῳ ϕεύγων ἐς ἔϱημον τὸ Νωβελίωνός ποτε χαϱάϰωμα (« Saisi de frayeur, il passa la nuit entière sans allumer de feux et s’enfuit à la faveur des ténèbres vers l’ancien camp, désert, de Nobilior », trad. P. Goukowsky).
117 Appien, Ib., 80 : Καὶ μεθ᾽ ἡμέϱαν ἐς αὐτὸ συγϰλεισθείς, οὔτε ϰατεσϰευασμένον οὔτε ὠχυϱωμένον.
118 Tite-Live, Per., LV, 8 ; Plutarque, Tib. Gracch., 7 ; Velleius Paterculus, II, 1, 3 ; Florus, I, 34 (= II, 18) ; Orose, V, 4, 20.
119 La question de savoir si une réutilisation des camps était ordinairement envisagée est défendue par A. Schulten, Numantia IV, p. 117, mais discutée par J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 134.
120 Ainsi, la spécificité que J. Pamment Salvatore, « Roman Tents “Replicated” in Stone-Built Barracks of the 2nd Century BC in Spain », pp. 23-24, attribue à la péninsule Ibérique en la matière ne repose sur rien de véritablement tangible. L’auteur a, du reste, considérablement nuancé son propos par la suite, J. Pamment Salvatore, Roman Republican Castrametation, p. 140 : « A point of apparent contradiction here is that the barracks of the supposed winter-camp at Renieblas III were also of stone or certainly of stone footings but the camp was almost certainly not intended to be held for an indefinite length of time. »
121 Voir à ce sujet les remarques d’Á. Morillo Cerdán, « Conquista y defensa del territorio en la Hispania republicana », notamment pp. 71-72.
122 A. Schulten, Numantia III, pp. 19-20 : des sept sites reconnus par lui comme des établissements militaires (Castillejo III, Peña Redonda, Dehesilla, Raza, Valdevorrón, Alto Real, Travesadas), seuls les deux premiers semblent partager, à ses yeux, certaines caractéristiques avec le camp légionnaire polybien. Il pense également trouver des traces secondaires d’occupation militaire à Molino et Vega, interprétés comme des « Uferkastelle ». J. Pamment Salvatore, Roman Republican Castrametation, p. 80, tout en admettant la liste établie par A. Schulten, juge néamoins que ni Castillejo III ni Peña Redonda ne présentent, dans leurs structures, une ressemblance avec le plan polybien.
123 D’une manière générale, la tendance actuelle est en effet à critiquer la composition générale de la circonvallation. E. Sanmartí et J. Principal Ponce, « Las cerámicas de importación, itálicas e ibéricas, procedentes de los campamentos numantinos », p. 36, s’appuient ainsi sur un examen du matériel céramique pour contester l’appartenance de Raza, Dehesilla et Alto Real aux structures du siège ; dans deux publications, F. Morales Hernández, « La circunvalación escipiónica de Numancia », pp. 283-291, et Id., « Una reinterpretación de la circunvalación escipiónica de Numancia », pp. 227-241, rejette également le site de Raza et propose en revanche d’ajouter trois sites supplémentaires (Valdelilo, Peña del Judío et Cañal), soulignant que la coexistence de deux camps et de sept fortins (Molino et Vega étant comptés à part, en tant que « fuertes de ribera ») est plus cohérente avec le témoignage d’Appien (Ib., 90) ; cette interprétation du texte est partagée, mais avec des conclusions différentes, par M. J. Dobson, The Roman Camps at Numantia, p. 301, qui suggère que ces « nine Scipionic sites » ne comprennent pas Raza mais incluent Molino, Vega et aussi Saledilla, pourtant rejeté par Schulten lui-même (A. Schulten, Numantia III, p. 242), sans qu’il soit toutefois possible de déterminer quels sont les camps et quels sont les fortins. Le cas particulier de Raza a été repris dernièrement par ces deux derniers auteurs dans une publication commune : M. J. Dobson et F. Morales Hernández, « Why La Rasa was not a Camp of the Scipionic Siege of Numantia », pp. 104-111. Ils proposent d’interpréter les structures retrouvées sur cette colline comme les vestiges d’un camp antérieur (avec une préférence de leur part pour celui de Marcellus en 152). On trouvera un bilan critique (mais incomplet) des révisions apportées successivement aux interprétations d’A. Schulten dans A. Jimeno Martínez, « Numancia. Campamentos romanos y cerco de Escipión », pp. 159-176, dont l’intérêt est notamment de rappeler (pp. 168-169) que les conclusions de l’archéologue allemand avaient fait l’objet de sérieuses critiques dès 1914 de la part de l’abbé S. Gómez Santacruz. Sur cette intéressante controverse, voir également A. Jimeno Martínez et J. I. de la Torre Echávarri, « Gómez Santacruz, Schulten y el pensamiento de su época », pp. 551-575, et Id., Numancia, símbolo e historia, pp. 164-167. Dernièrement, F. Morales Hernández, « Los campamentos y fuertes romanos del asedio de Numancia », pp. 251-258, a proposé une version modifiée de son hypothèse : désormais, s’il estime toujours que Castillejo et Peña Redonda sont les deux camps, il propose une liste différente pour les sept forts (Travesadas, Valdevorrón, Molino, Dehesilla, Peña del Judío, Alto Real, Vega) dont les superficies restituées sont revues à la baisse. Outre une localisation nouvelle des fortins gardant le Duero, un tracé sensiblement modifié de la circonvallation est aussi proposé. Cette ultime restitution est essentiellement fondée sur des prospections et demanderait à être validée par des fouilles. C’est cet état du dossier qui est repris désormais dans Á. Morillo Cerdán et J. Aurrecoechea (éd.), The Roman Army in Hispania, pp. 249-262.
124 L’association de Renieblas III avec des quartiers d’hiver demeure néanmoins l’hypothèse la plus plausible, même si rien ne permet de mettre précisément ce site en relation avec ceux de Fulvius Nobilior en 153/152 plutôt qu’avec un autre épisode, comme par exemple celui du χάραξ de Scipion Émilien en 134/133 (Appien, Ib., 89). En effet, le camp d’hiver de Scipion a pu ensuite servir de base logistique pour l’armée du siège. Ainsi, le trésor de 115 victoriats trouvé dans le camp III et attribué par A. Schulten au passage de Mancinus en 137 pourrait tout aussi bien être rapporté à la période du siège, quelques années plus tard. Son enfouissement est datable en effet de la seconde moitié du IIe siècle : H. J. Hildebrandt, « Die Römerlager von Numantia », p. 251. En tout état de cause, quitte à proposer prudemment une identification pour le camp mentionné par Appien, Renieblas III nous semblerait préférable à Renieblas V, défendu dernièrement par F. Morales Hernández, « Una reinterpretación de la circunvalación escipiónica de Numancia », pp. 238-239.
125 Bien qu’elle ne débouche pas sur une réinterprétation des trouvailles, la révision récente du matériel retrouvé sur le site à l’époque des fouilles montre que l’essentiel de celui-ci peut être rapporté au milieu du IIe siècle, mais que certains objets plus récents suggèrent une réutilisation du site par la suite, au Ier siècle : M. Luik, Die Funde aus den römischen Lagern um Numantia, p. 172. L’auteur reconnaît toutefois la difficulté de parvenir sur ce point à des conclusions fermes.
126 Le détail de la bibliographie est donné en p. 288, n. 47. Sur la première prospection, voir A. Schulten, « Ein römisches Lager aus dem sertorianischen Krieges », col. 75-106 ; sur les fouilles de 1927-1930, voir A. Schulten et R. Paulsen, « Castra Caecilia » (1928), col. 1-30 ; Id., « Castra Caecilia » (1930), col. 37-88 ; Id., « Castra Caecilia » (1932), col. 334-388.
127 A. Schulten et R. Paulsen, « Castra Caecilia » (1928), col. 29. Cette datation très précise, établie dès le premier rapport, a considérablement influencé son interprétation du site, comme ce fut le cas auparavant pour Renieblas III. Voir aussi A. Schulten, Sertorio, pp. 97-98.
128 Sur les nombreuses incertitudes relatives à l’emplacement de Castra Caecilia et sur la fragilité de l’hypothèse concernant son lien avec Cáceres el Viejo, voir supra, pp. 287-290.
129 M. Beltrán Lloris, « Problemas de la arqueología cacereña », p. 269. Selon lui, les quatre-vingtquatorze monnaies romaines républicaines mentionnées appartiennent à une période plus ancienne : les as de bronze sont datables du courant du IIe siècle, tandis que les deniers d’argent ne dépassent pas le tout début du Ier siècle. La pièce la plus récente est un denier de C. Malleolus datable de 93 av. J.-C. Par conséquent, à ses yeux, l’abandon du site ne peut être de beaucoup postérieure à cette date.
130 H. J. Hildebrandt, « Die Münzen aus Cáceres el Viejo », pp. 296-297.
131 M. Beltrán Lloris, « Problemas de la arqueología cacereña », pp. 297-298. S’appuyant sur son terminus ante quem de 93, il propose d’attribuer la fondation de Cáceres el Viejo, non à Caecilius Metellus, mais à P. Licinius Crassus, proconsul d’Ultérieure dans les années 96-94, si bien qu’il s’agirait selon lui, non de Castra Caecilia, mais de Castra Liciniana. Il estime en outre que « el campamento de Cáceres el Viejo pudo serdestruido después de su partida a Roma ». Sur l’interprétation discutable du toponyme Liciniana, voir supra, p. 286.
132 Voir supra, p. 382.
133 Elle est ainsi admise par Á. Morillo Cerdán, « Fortificaciones campamentales de época romana en España », pp. 157-158 ; J. Pamment Salvatore, Roman Republican Castrametation, p. 27 ; M. Luik, « Die römischen Militäranlagen der iberischen Halbinsel », p. 235 ; Á. Morillo Cerdán et J. Aurrecoechea (éd.), The Roman Army in Hispania, pp. 224-227 (N. Hanel).
134 M. Beltrán Lloris, « La cerámica del campamento de Cáceres el Viejo », pp. 14-16 ; G. Ulbert, Cáceres el Viejo, p. 203. Ces deux études mettent ainsi en avant le faciès républicain du matériel. G. Ulbert reconnaît cependant qu’une chronologie plus fine n’est pas possible en dehors des données fournies par la numismatique.
135 A. Schulten et R. Paulsen, « Castra Caecilia » (1932), col. 345.
136 G. Ulbert, Cáceres el Viejo, p. 47.
137 Ibid., p. 46 : dans plusieurs bâtiments (VI, VIII, IX, X, XI), on a ainsi retrouvé des restes de pavement d’argile en losange (pl. 56A) ; dans d’autres (V, VIII et XII), des tuiles plates ou creuses, ainsi que des canalisations (V, VIII, XII) ; l’édifice considéré comme un temple (VIIIa) possédait vraisemblablement une couverture de toit en plomb. Des fortifications solides entouraient ces constructions internes : protégée par un double fossé, la muraille, de quatre mètres d’épaisseur, se compose de deux murs parallèles entourant un remblai de terre et de pierres : ibid., pp. 17-19. Sur les traces de remaniements, voir ibid., p. 47.
138 J. L. Sánchez Abal, « Sertorio, Metello y Castra Caecilia », pp. 26-27, a ainsi remarqué que l’indéniable solidité de la construction, si elle atteste sans doute une intention d’implantation sur la longue durée, ne prouve pas, en revanche, que cette occupation a effectivement eu lieu. Il croit pour sa part que Cáceres el Viejo est bien Castra Caecilia et a bien été construit dans une perspective de long terme, mais que Metellus fut obligé par l’évolution des événements de modifier ses plans au bout de deux ans.
139 H. J. Hildebrandt, « Die Münzen aus Cáceres el Viejo », p. 297 : « Alle aus den Fundmünzen ablesbaren Hinweise sprechen für einen kontinuierlichen Geldverkehr in Cáceres el Viejo von mindestens zehn Jahren. Nach oben hin bleibt man auf Vermutungen angewiesen, doch bestehen auch für zwei Jahrzehnten keine Widersprüche. »
140 G. Ulbert, Cáceres el Viejo, p. 47 : la plupart des objets a été retrouvée in situ dans une couche d’incendie repérable dans toute la partie sud du site (entre les bâtiments VI et XIII) ; la couverture en plomb du toit de l’édifice interprété comme un temple a également été retrouvée fondue. Pour l’auteur, « denn an einem katastrophalen Ende des Lagers ist nicht zu zweifeln ».
141 A. Schulten et R. Paulsen, « Castra Caecilia » (1930), col. 59 ; le fait est relevé également par G. Ulbert, Cáceres el Viejo, p. 47.
142 Sur l’absence de stratigraphie suffisante, voir G. Ulbert, Cáceres el Viejo, p. 15. Sur le caractère partiel des fouilles, voir ibid., pp. 11-14 et pp. 44-45 : « Bei derkritischen Durchsicht der Grabungsgefunde mußte wir die selektive, punktuelle und oft flüchtige Grabungsart Schultens häufig seher bedauern. Kein Bereich wurde in Ruhe, gründlich und vollständig untersucht. […] Dies erschwert eine Beurteilung und Interpretation des Grabungsbefundes erheblich. »
143 De ce point de vue, on peut espérer que de nouvelles informations seront apportées par les futures fouilles qui ont été annoncées en vue de la création d’un parc archéologique sur le site, en relation avec le programme de mise en valeur touristique « Alba Plata » : R. Cañas Aparicio, M. L. González Fernández et J. A. Abásolo, « Proyecto de excavación y adecuación del yacimiento de Cáceres el Viejo », pp. 281-286. Dans le cadre de ce projet, il est prévu de mener de front plusieurs fouilles, aussi bien en divers endroits de l’enceinte (notamment dans l’angle nord-ouest et sur les différentes portes) que dans l’intérieurdu site (en particulierà l’emplacement des structures déjà mises au jour par A. Schulten). À notre connaissance, aucun résultat des premières interventions n’a pourle moment été publié.
144 A. Schulten et R. Paulsen, « Castra Caecilia » (1930), col. 41-44.
145 G. Ulbert, Cáceres el Viejo, p. 35 : « Schulten war, schon bevor er den Spaten an derhöchsten Stelle des Lagers beim Gehöft Cáceres el Viejo ansetzte, überzeugt, das Praetorium zu finden, das nach seinen Überlegungen und ersten Grabungsfahrungen nur dort gelegen haben konnte. So hat er denn sämmtliche Baureste als zum Praetorium gehörig interpretiert. »
146 Ibid., p. 35 : l’auteur se montre très prudent dans l’analyse de ce complexe : « Unser Versuch, ohne vorgefaßte Meinung den Baubefund zu beschreiben, führte zu einer Auflösung des Komplexes in verschiedene Bautrakte mit verschiedener Funktion, deren bauliche Zusammengehörigkeit schwerzu beweisen ist. Dennoch wird man zunächst daran festhalten müssen, daß hier das Hauptgebaüde des Lagers lag. Die Forschung, die sich mit dem Praetorium-Problem befaßte, konnte natürlich wenig mit dem Torso anfangen. » Il distingue notamment un entrepôt (horreum) et une maison à atrium (Hofhaus). Mais, dans la conclusion générale (p. 194), il admet finalement, sans convaincre, qu’à leurs côtés pouvait effectivement se trouver le praetorium : « Schulten hatte sicherrecht, wenn erim Bau Van zentraler und höchster Stelle das Praetorium sieht ».
147 Dans un premier temps, le bâtiment XI avait été interprété comme un hemistrigium : A. Schulten et R. Paulsen, « Castra Caecilia » (1930), col. 52 ; mais cette conclusion fut écartée ensuite : Id., « Castra Caecilia » (1932), col. 340-343.
148 A. Schulten et R. Paulsen, « Castra Caecilia » (1932), col. 344.
149 G. Ulbert, Cáceres el Viejo, p. 46. Il estime très plausible que les techniques de fouille de l’époque n’aient pas été en mesure de repérer une méthode plus légère de construction.
150 La céramique commune d’importation italique est dominée par la Campanienne B (Lamb. 1-5) : G. Ulbert, Cáceres el Viejo, pp. 165-170 ; très courant dès la seconde moitié du IIe siècle, ce type de céramique a continué cependant d’être exporté par les ateliers campaniens jusqu’aux dernières décennies avant notre ère. La Lamboglia 5, bien représentée à Cáceres el Viejo, traverse en fait tout le Ier siècle (M. Py [éd.], Dictionnaire des céramiques antiques, pp. 151-152). L’absence de Campanienne A, soulignée comme un fait hautement significatif par M. Beltrán Lloris, « La cerámica del campamento de Cáceres el Viejo », p. 14, n’est pourtant pas totale : G. Ulbert signale deux bords de Lamboglia A36 (nos 533-534), tout en les considérant négligeables d’un point de vue chronologique. Cette forme, bien qu’apparue à la fin du IIIe siècle, demeure cependant en vigueur jusqu’au dernier tiers du Ier siècle. Le matériel amphorique présente les mêmes amplitudes : ibid., p. 9, inventorie deux fragments de bord de Dressel 1A, mais cette attribution a été rejetée par G. Ulbert, Cáceres el Viejo, p. 182. Selon ce dernier (p. 187), seuls quatre catégories sont identifiables : Dressel 1B, 1C, Lamboglia 2et Beltrán 85. Aucune ne remonte au-delà de 100 av. notre ère. Mais il reconnaît lui même : « Auf deranderen Seite fanden wirkeine Anhaltspunkte dafür, daß sie noch in die frühaugusteische Zeit reichten, sie sind also kaum jüngerals caesarisch. » Il est donc assez difficile de trancher. D’ailleurs, les Dressel 1B, apparues à la fin du IIe siècle, sont surtout répandues dans la seconde moitié du Ier siècle (M. Py [éd.], Dictionnaire des céramiques antiques, p. 53).
151 Le fait est d’ailleurs reconnu par G. Ulbert, Cáceres el Viejo, p. 193 : « Die genannten Fundgruppen von Cáceres el Viejo heben sich als Serien in ihrerinneren Zusammensetzung ebenso deutlich von derFormenwelt des zweiten Jahrhunderthälfte, vorallem des letzten Drittels des Jahrhunderts… » C’est admettre qu’on ne peut exclure, du point de vue de la céramique au moins, une datation post-césarienne.
152 A. Schulten et R. Paulsen, « Castra Caecilia » (1932), col. 339, affirment qu’en dehors de Cáceres el Viejo, les premiers exemples connus de doubles fossés de ce type sont d’époque césarienne. Pour eux, le site estréménien en constituerait donc le prototype. Ils sont suivis par J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, pp. 114 et 119, ainsi que par G. Ulbert, Cáceres el Viejo, p. 22. Mais on pourrait également, avec G. Arias, « Cáceres el Viejo guarda aún su secreto », p. 237, y voir au contraire un indice de datation basse. G. Ulbert reconnaît en effet (p. 193) qu’il est impossible de savoir si les éléments de défense (muraille, portes et fossés) sont « ein-oder mehrperiodig ». J. Pamment Salvatore, Roman Republican Castrametation, p. 131, qui décrit le fossé, n’aborde pas la question.
153 A. Schulten et R. Paulsen, « Castra Caecilia » (1932), col. 373. Ce fragment figure également dans le catalogue de M. Beltrán Lloris, « La cerámica del campamento de Cáceres el Viejo », p. 14, comme une forme Drag. 27. G. Ulbert, Cáceres el Viejo, p. 189, affirme qu’il a disparu, si bien qu’on ne peut en vérifier l’identification. Tout en doutant qu’il s’agisse bien de terra sigillata, cet auteur admet une datation d’époque impériale mais estime, comme M. Beltrán, qu’il s’agit d’une perte casuelle, d’autant plus que son contexte stratigraphique est incertain, ajoutant toutefois : « Ich erwähne das Fundstück vor allem deshalb, weil es zeigt, wie genau man kaiserzeitliches Fundmaterial registriert hätte, falls solches in größerer Zahl während der Grabungen zum Vorschein gekommen wäre. »
154 A. Schulten et R. Paulsen, « Castra Caecilia » (1932), col. 343, mentionnent un follis de Maxence, qu’ils considèrent insignifiant en regard des 283 pièces retrouvées, dont 94 monnaies romaines républicaines, 157 monnaies indigènes, 2 monnaies grecques et 27 monnaies non identifiées. Toutefois, sur ce total, il n’en subsiste que 127 seulement au musée de Cáceres, dont 24 monnaies romaines républicaines. En revanche, la classification du fonds numismatique du musée en 1956 a révélé que les caisses étiquetées « campamento de Cáceres el Viejo » contenaient de nombreuses monnaies impériales. C. Callejo Serrano, El origen y el nombre de Cáceres, p. 65, en a dénombré une soixantaine (des grands bronzes d’Auguste, d’Antonin le Pieux, de Faustine II, de Dèce et de Gordien auxquels s’ajoutent des petits bronzes de Constantin II et de Théodose).
155 M. Beltrán Lloris, « Problemas de la arqueología cacereña », p. 258. Cet auteur pense même qu’aucune de ces monnaies impériales ne provient de Cáceres el Viejo. Selon lui, une si grande quantité de monnaies impériales n’aurait pu échapper à l’attention de l’archéologue allemand et de ses collaborateurs : si ces monnaies avaient fait partie du lot originel, elles n’auraient pas manqué de figurer dans leur catalogue, au même titre que le follis de Maxence.
156 H. J. Hildebrandt, « Die Münzen aus Cáceres el Viejo », dans G. Ulbert, Cáceres el Viejo, p. 268, intègre ainsi à son inventaire des monnaies de bronze tardives mentionnées par Von Bahrfeld dans A. Schulten et R. Paulsen, « Castra Caecilia » (1932), col. 348 : « Die sonst noch vereinzelt gefundenen römischen Kupfermünzen sind zufällig dort in Verlust geratene Stücke sehr viel späterer Zeit. » Mais J. Hildebrandt se déclare incapable de savoir à quoi correspondent ces pièces, absentes du catalogue originel. G. Arias, « Dos alemanes tras las huellas de Schulten », p. 279, pensant pour sa part qu’il s’agit des monnaies répertoriées par C. Callejo, conclut qu’A. Schulten a délibérément passé sous silence les éléments qui contrariaient sa conviction initiale.
157 Face aux difficultés posées par l’interprétation des structures et les chronologies souvent amples du matériel, c’est en effet l’argument numismatique qui a raison des hésitations de l’archéologue et de l’historien. Le fait est très sensible chez M. Beltrán Lloris, « La cerámica del campamento de Cáceres el Viejo », p. 3, qui rappelle d’emblée la datation de l’année 93, proposée dans son article précédent : « De este modo, y dada la enorme importancia de los yacimientos con fechas conocidas para la datación de los materiales aparecidos en su contexto, y como segunda parte del trabajo de revisión mencionado, presentamos una selección de las principales formas cerámicas encontradas en dicho lugar, que corroboran en unos casos la cronología propuesta y en otros se benefician de las fechas generales asignadas. » Mais on retrouve aussi cette tendance dans l’ouvrage pourtant rigoureux de G. Ulbert, ce qui explique que, tout en privilégiant la longue durée, il accepte paradoxalement l’identification avec Castra Caecilia. En effet, celle-ci ne fait aucun doute pour son collaborateur, J. Hildebrandt, qui affirme (p. 296) : « War Cáceres el Viejo das römische Castra Caecilia und wurde es 78 v. Chr. zerstört ? Die Antwort kann lauten : ja ! ». À la même question, G. Ulbert répond donc également par l’affirmative (p. 200) : « Da der Ort nach derplinianischen Notiz und nach dem Itinerarbei der Colonia Norba, d. h. also doch wohl dem heutigen Cáceres zu suchen ist und da ferner die archäologisch-numismatischen Quellen für ein Ende des Lagers während des Sertorianischen Krieges sprechen, könnte man die Frage positiv beantworten. »
158 On ne saurait ainsi suivre F. García Morá, Un episodio de la Hispania republicana, pp. 94-95, qui préfère y voir un camp d’été de l’année 79.
159 G. Ulbert, Cáceres el Viejo, pp. 192-201 ; l’alternative a été défendue par J. J. Sayas Abengochea, « Estacionamiento de tropas en Lusitania y el campamento de Cáceres », pp. 242-245, avant la parution de la monographie du précédent : admettant une fondation d’époque sertorienne, il suggère que le camp a pu continuerà servirde quartiers d’hiver par la suite. Il le met notamment en relation avec le stationnement des deux légions de Petreius avant la guerre civile (p. 240) et avec l’hivernage des troupes de Cassius en 48 (p. 244). La démonstration ne nous paraît pas décisive, dans la mesure où l’auteur accorde beaucoup d’importance à la comparaison avec une série d’établissements militaires en Lusitanie, dont nous avons vu supra (p. 289) que la cohérence chronologique et fonctionnelle était loin d’être prouvée. Malgré ces réserves, il convient toutefois de ne pas écarterd’emblée une datation basse pour le site.
160 G. Ulbert, Cáceres el Viejo, p. 201 : « Ob es von Anfang an als solches geplant war, diese Frage ist ebensowenig sicherzu beantworten. »
161 Ibid., p. 194, qui n’exclut pas qu’il ait servi à un moment de « Winterlager », préfère toutefois parler (p. 201) de « Standlager » ou de « Basislager » ; de même J. Pamment Salvatore, Roman Republican Castrametation, pp. 140-143, privilégie le terme de « legionary base » ; pour un avis inverse, voir L. A. Curchin, « Roman Frontier Concepts in the Spanish Interior. Configuration and Ideology », p. 68 : cet auteurestime que « this camp served as winter quarters during the Roman conquest of Lusitania ».
162 Se contenter de qualifier le site de « campamento de transición », comme le fait Á. Alonso Sánchez, « Los campamentos romanos como modelo de asentamiento militar : “Cáceres el Viejo” », pp. 195-208, n’apporte rien au débat, bien au contraire. Pour sa part, tout en réaffirmant avec force sa conviction qu’il s’agit d’un camp romain, G. Ulbert, Cáceres el Viejo, p. 194, insiste sur le fait qu’il n’est pas possible pour le moment de répondre de manière satisfaisante aux questions relatives à la fonction de ce camp et aux catégories de troupes qu’il abritait. En dépit de la tentative récente de J. Pamment Salvatore, Roman Republican Castrametation, pp. 140-143, ce constat est toujours valable aujourd’hui.
163 G. Arias, « Cáceres el Viejo guarda aún su secreto », pp. 233-270, a proposé ainsi de manière provocatrice d’interpréter le site non comme un camp mais comme une ville romaine qu’il identifie à Norba. Cette théorie se heurte selon nous à certaines contradictions : pour mettre en doute le caractère militaire du site, l’auteur s’appuie entre autres sur le fait qu’A. Schulten n’a pas retrouvé de baraquements. Or cette absence généralisée de structures en dur est à notre sens encore plus problématique en ce qui concerne une ville romaine ! Àl’inverse, parce qu’il considère cette hypothèse comme une « reine Spekulation » (p. 8), G. Ulbert évacue trop rapidement les nombreuses objections pertinentes de G. Arias qui ont le mérite de souligner les multiples difficultés du dossier. D’ailleurs, G. Ulbert reconnaît lui-même, non sans paradoxe, que le site (p. 201) « besitzt Elemente, die man eher bei einem kaiserzeitlichen Standlager, ja sogarlieberin einerzivilen Siedlung erwarten würde ».
164 Voir supra, p. 322. Les conclusions de G. Ulbert, Cáceres el Viejo, p. 197, illustrent d’ailleurs assez bien la prégnance de cette grille de lecture : « Cáceres el Viejo, ein im Gelände sichtbares, gewaltiges römisches Bauwerk muß nach Größe, Struktur der Wehranlagen, nach Baubefunden im Inneren und nach Waffenfunden primärein römisches Legionslager spätrepublikanischer Zeit gewesen sein. Es liegt an der “Via de la Plata” […]. Seine militarisch-strategische Funktion war durch seine Lage nördlich der Wasserscheide zwischen Guadiana und Tajo gegeben. »
165 Voir supra, pp. 364-365.
166 Frontin, Strat., I, 9, 1 : Aulus Manlius consul, cum comperisset coniurasse milites in hibernis Campaniae, ut iugulatis hospitibus ipsi res inuaderent eorum, rumorem sparsit, eodem loco hibernaturos ; atque ita dilato coniuratorum consilio Campaniam periculo liberauit et ex occasione nocentes puniit.
167 Tite-Live, VII, 38-39 ; voir aussi Denys d’Halicarnasse, XV, 3, et Appien, Samn., 1, 1.
168 P. Erdkamp, Hunger and the Sword, p. 47, souligne ainsi le silence des sources sur la question, tout en rappelant la nécessité d’intégrer cette dimension à la réflexion.
169 Salluste, Hist., II, 93 M = II, 76 MG. Voir supra, p. 371, n. 40.
170 Àtitre de comparaison, voir le cas de César obligé à l’hiver 54/53 de répartir ses légions entre un plus grand nombre de cités, en raison de récoltes moins abondantes (César, BG, V, 24, 1). Sur les mécanismes d’acquisition du ravitaillement, voir infra, pp. 579-608.
171 Plutarque, Sert., VI, 8.
172 Tite-Live, XXI, 56, 9.
173 Tite-Live, XXIII, 48, 2. Là n’était pas toutefois la seule raison : le but était également de permettre à l’État de faire des économies en licenciant les soldats pendant l’hiver.
174 T. Ñaco del Hoyo, « Milites in oppidis hibernabant », pp. 73-74, souligne toutefois que les abus fréquemment attestés par les sources pour les Ier s. ont néanmoins provoqué la mise en place progressive d’une législation destinée à les prévenir ou à les réprimer, législation dont on trouve un écho dans plusieurs documents importants concernant l’Orient, tels que la loi de Cnide ou la Lex Antonia de Termessibus. Sur cette évolution de l’attitude romaine, voir également J.-L. Ferrary, « La lex Antonia de Termessibus », notamment pp. 448-457.
175 Cicéron, Ad Att., V, 21, 7. À rapprocher des accusations formulées contre L. Pison à l’été 57 (De prou. cons, V, 19).
176 Cicéron, De Imp. Cn. Pomp., XIII, 38 : Vtrum pluris arbitramini per hosce annos militum uestrorum armis hostium urbis an hibernis sociorum ciuitates esse deletas ? (« Croyez-vous que, pendant ces années, les villes ennemies détruites par les armes de vos soldats soient plus nombreuses que les cités alliées que leurs quartiers d’hiver ont ruinées ? », trad. A. Boulanger, CUF).
177 César, BG, V, 27, 11 : quod cum faciat et ciuitati sese consulere, quod hibernis leuetur et Caesari pro eius meritis gratiam referre (« … ce faisant, il concilie les intérêts de son peuple qui serait débarrassé des quartiers d’hiver avec la reconnaissance qu’il doit à César », trad. L. A. Constans, CUF).
178 C’est ce que laisse penser Tite-Live, XL, 35, 13 ; par conséquent, c’est de ces hiberna situés en Celtibérie pacifiée que le préteur tira son armée au printemps 180 pour aller ravager les territoires encore indépendants, dans l’attente de l’arrivée de son successeur (XL, 39, 1).
179 Tite-Live, XL, 39, 3 : ut Q. Fuluium certiorem faceret Tarraconem exercitum adduceret.
180 Tite-Live, XL, 39, 4 : ibi dimittere ueteranos supplementaque distribuere et ordinare omnem exercitum sese uelle. Voir le commentaire plus développé de cet épisode supra, pp. 148-149.
181 Appien, Ib., 84.
182 Appien, Ib., 85 ; A. Schulten, Numantia I, p. 368. En outre, aux yeux de cet auteur, seul un grand port (« heute wie damals derSitz alles Lasters ») pouvait abriter la foule de prostituées, de marchands et de devins qui gravitaient alors autour des soldats et dont Appien nous dit qu’ils furent chassés par Scipion dès son arrivée. Mais Plutarque, Apoph. Scip., XVI, se contente d’évoquer l’arrivée de Scipion dans le camp Ἐπεὶ δ ἐλθὼν εἰς τὸ στρατόπεδον), de même que Valère-Maxime, II, 7, 1 (eodem momento temporis quo castra intravit, edixit ut…). La formule d’Appien peut parconséquent être un raccourci rhétorique. Ni Tite-Live, Per., LVII, 1-5, ni Frontin, Strat., IV, 1, 1, ni Florus, I, 34 (= II, 18), qui rapportent tous les mesures disciplinaires de Scipion, ne donnent d’indices sur la localisation du camp.
183 Appien, Ib., 83, dit en effet que Calpurnius Pison, prédécesseur de Scipion, prit ses quartiers d’hiver & en Kαρπητανίᾳ.
184 H. Simon, Roms Kriege in Spanien, p. 176, n. 85.
185 Tite-Live, XLI, 26, 1 : Rebellarunt sub aduentum Ap. Claudi orsique bellum sunt ab repentina oppugnatione castrorum Romanorum.
186 J. M. Blázquez Martínez et A. Montenegro Duque (dir.), Historia de España, t. II (1), p. 73 : « En Tito Livio se dice simplemente que los celtíberos se apoderaron repentinamente de los campamentos romanos : ab repentina oppugnatione castrorum romanorum. Se trataría, pues, de los castella donde convivían indígenas con las guarniciones romanas. »
187 Le reste du récit ne laisse d’ailleurs aucun doute sur l’emploi des plus traditionnels du terme (Tite-Live, XLI, 26, 3) : Ap. Claudius, signo proposito pugnae ac paucis adhortatus milites, tribus simul portis eduxit. Obsistentibus ad exitum Celtiberis primo par utrimque proelium fuit, qui propter angustias non omnes in faucibus pugnare poterant Romani. (« Appius Claudius fit hisser le signal du combat et, après leur avoir adressé quelques mots, fit sortir ses troupes par trois portes en même temps. Les Celtibères faisant obstacle à leur sortie, la lutte fut d’abord égale des deux côtés car, en raison de l’étroitesse des issues, les Romains ne pouvaient pas tous prendre part à la lutte dans un espace resserré », trad. P. Jal, CUF).
188 C’est ce que suggère la mention du camp ennemi, bien distingué des cités d’origine des combattants ennemis (Tite-Live, XLI, 26, 5) : Castra etiam eo die expugnata debellatumque ; nam qui superfuere proelio, in oppida sua dilapsi sunt. (« Le même jour, on s’empara de leur camp et on mit fin à la guerre, car ceux qui avaient survécu au combat se dispersèrent dans leurs cités », trad. P. Jal, CUF).
189 L’auteur développe d’ailleurs aussitôt son idée (Tite-Live, XLI, 26, 2) : Prima lux ferme erat, cum uigiles in uallo quique in portarum stationibus erant, cum uidissent procul uenientem hostem, ad arma conclamauerunt. (« Il faisait à peine jour quand les sentinelles du retranchement et les soldats de garde aux portes, ayant vu venir l’ennemi de loin, crièrent aux armes », trad. P. Jal, CUF).
190 F. García Morá, « La primera estancia de Quinto Sertorio en Hispania : Cástulo », p. 152, a suggéré qu’en 97/96 Sertorius disposait d’une cohorte sous ses ordres. Il déduit en effet un peu hâtivement de Polybe, VI, 33, 5, que les tribuns commandaient trois manipules. Or ce texte, décrivant la répartition des charges à l’intérieur du camp, ne reflète pas une situation généralisable (les triarii et les uelites en sont exclus notamment). Par conséquent, rien ne permet de penser qu’il puisse servir à étayer une hypothèse sur l’effectif présent à Castulo lors des événements décrits par Plutarque. La prudence de J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome, p. 352, qui commente brièvement le passage, est préférable : « le niveau des effectifs est inconnu ».
191 Tite-Live, XL, 16, 10 : Fuluius hoc oppido capto, P. Manlius exercitu tantum in unum coacto qui dissipatus fuerat, nulla alia memorabili gesta re exercitus in hiberna deduxerunt.
192 César, BG, V, 24, 7 : atque harum tamen omnium legionum hiberna […] milibus pasuum centum continebantur (« d’ailleurs, l’étendue du territoire occupé par les quartiers d’hiver de toutes les légions […] ne dépassait pas cent milles », trad. L. A. Constans, CUF). Le total des troupes concerné représente sept légions et cinq cohortes. César a placé à part une légion, confiée à L. Roscius et envoyée à plus grande distance, chez les Esuviens.
193 Sur la question des effectifs, voir supra, pp. 87-134.
194 Toutefois, des divisions en petites unités étaient théoriquement concevables : en 170, lors de la guerre contre Persée, le consul Hostilius envoya ainsi mille hommes hiverner à Ambracie (Tite-Live, XLIII, 17, 10).
195 À titre de comparaison, Plutarque, César, XXIV, 1, met ainsi en relation la dispersion plus grande des hiberna en 54, non pas avec la mauvaise récolte dont parle César, mais avec l’accroissement de ses effectifs.
196 L’hypothèse de F. García Morá, « La primera estancia de Quinto Sertorio en Hispania : Cástulo », pp. 150-151, selon laquelle les hiberna de Didius en 97/96 s’inséraient dans un dispositif de contrôle des zones métallifères de la Sierra Morena ne nous paraît pas pouvoir être soutenue, pour deux raisons. D’une part, l’auteur s’appuie sur le besoin des généraux d’Hispania de s’autofinancer. Mais une telle logique est selon nous absente de la conquête, comme il est démontré infra, pp. 478-524. D’autre part, il invoque l’importance de Castulo comme centre minier. Mais, là aussi, il faut prendre garde de ne pas surestimer cet aspect, comme l’a récemment rappelé Cl. Domergue, « Castulo, ville minière d’Hispanie ? », pp. 139-154. Ce dernier insiste sur le fait que la prospérité de la ville tenait moins à un hypothétique contrôle des mines, dont on ignore tout, qu’à son rôle de nœud routier et à la culture de l’olivier.
197 Appien, Ib., 64.
198 Appien, Ib., 66. Ce magistrat romain envoyait cependant fréquemment des troupes, commandées par un soldat originaire d’Italica, contre Viriathe.
199 Tite-Live, XXXIX, 21, 10 : Et nisi successor aduentu suo inhibuisset impetum uictoris, subacti Celtiberi forent. Noui praetores ambo exercitus in hiberna deduxerunt. (« Et si l’arrivée d’un successeur n’avait arrêté l’élan du vainqueur, les Celtibères auraient été soumis. Les nouveaux préteurs conduisirent tous les deux les troupes dans leurs quartiers d’hiver », trad. A.-M. Adam, CUF).
200 Cette nécessité est particulièrement bien exprimée par un passage du Bellum Gallicum qui, s’il ne s’applique évidemment pas à la péninsule Ibérique, reflète une préoccupation générale, partagée par tous les chefs (César, BG, VIII, 1, 1) : Omni Gallia deuicta Caesarcum a superiore aestate nullum bellandi tempus intermississet militesque hibernorum quiete reficere a tantis laboribus uellet. (« Toute la Gaule étant soumise, César, qui avait passé l’été précédent à faire la guerre sans répit, voulait que ses soldats pussent au moins dans leurs quartiers d’hiver jouir du repos et se remettre de tant de fatigues », trad. L. A. Constans, CUF).
201 L’exemple le plus célèbre reste celui d’Hannibal à Capoue (Tite-Live, XXIII, 18, 10), mais le reproche est courant, aussi bien chez les Romains que chez leurs ennemis : on peut citer le cas d’Antiochus à Chalcis (Tite-Live, XXXVI, 11, 3-5) ou de Crassus en Syrie (Plutarque, Crass., XVII, 8). Le soupçon de complaisance au sujet des quartiers d’hiver constituait une arme politique redoutable pour discréditer un adversaire, comme Scipion l’Africain l’apprit à ses dépens (Tite-Live, XXXVIII, 51, 1).
202 Appien, Ib., 84.
203 Appien, Ib., 86.
204 Ce constat est confirmé par de nombreux exemples extra-ibériques : Plutarque nous apprend ainsi a contrario ce que les Romains avaient coutume de faire dans leurs hiberna (dénombrement des armes, revue de troupes, exercice) lorsqu’il rapporte les coupables négligences de Crassus en Syrie (Plutarque, Crass., XVII, 9) : οὐ γὰϱ ὅπλων ἀϱιθμὸν ἐξετάζων οὐδὲ γυμνασιῶν ποιούμενος ἁμίλλας (« car il ne faisait pas de revue ni de dénombrement des armes et n’organisait pas d’exercices », trad. R. Flacelière, CUF, modifiée).
205 Le cas le mieux attesté est celui de Sertorius lors de l’hiver 77/76, grâce à un fragment conservé de Tite-Live. Le général marianiste profita de la mauvaise saison pour organiser des ateliers publics (officina publica) destinés à la fabrication d’armes, afin de remplacer celles, usagées, de ses soldats (frgt. XCI, 4) : Arma ut fierent pro copiis cuiusque populi, per totam prouinciam edixerat ; quibus inspectis referre uetera arma milites iussit quae aut itineribus crebris aut oppugnationibus <…> facta erant, nouaque iis per centuriones diuisit. (« Il avait fait savoir par édit dans toute la province quelle quantité d’armes devait être fabriquée proportionnellement aux ressources de chaque peuple ; après en avoir fait l’inspection, il ordonna à ses soldats de rapporter toutes les vieilles armes qui étaient devenues (?)… à la suite, soit des marches fréquentes, soit des sièges… et il leur en fit distribuer de nouvelles par les centurions », trad. P. Jal, CUF). Un souci similaire est attribué à Scipion l’Africain par Polybe, X, 20, 5, et Tite-Live, XXVI, 47, 2, selon qui Carthagène fut transformée en atelier de guerre après sa capture en 209.
206 C’est dans ses quartiers d’hiver que Scipion se renseigna sur Carthagène (Polybe, X, 7-8). Sur le processus d’acquisition de l’information, voir infra, pp. 451-463.
207 Scipion consacra ainsi tout l’hiver (hiemem totam) 210/209 à regagner la confiance des Barbares (reconciliandis barbarorum animis) en partie par des cadeaux (partim donis), en partie par la libération des otages et des prisonniers (partim remissione obsidum captiuorumque) : Tite-Live, XXVII, 17, 1 ; c’est aussi dans son quartier d’hiver qu’il reçut la visite du roi Edeco, venu lui offrir son amitié (Polybe, X, 34, 4) ; quelques années auparavant, ce fut durant la trêve hivernale que son père et son oncle avaient recruté les deux milles Celtibères qui causèrent leur perte (Tite-Live, XXV, 32, 1).
208 Tite-Live, frgt. XCI, 3.
209 Bell. Alex., XLIX, 1 : Cassius legionibus in hiberna dispositis ad ius dicendum Cordubam se recepit. (« Cassius, une fois ses légions installées dans leurs quartiers d’hiver, gagna Cordoue pour y rendre la justice », trad. J. Andrieu, CUF).
210 C’est en tout cas ce que suggère une lettre de Cicéron, datée de juillet 51, où le récent proconsul de Cilicie déclare vouloir consacrer le reste des mois d’été aux affaires militaires et l’hiver aux affaires judiciaires (Cicéron, Ad Att., V, 14, 2 : erat mihi in animo recta proficisci ad exercitum, aestiuos mensis reliquos rei militari dare, hibernos iurisdictioni).
211 L. A. Curchin, « Roman Frontier Concepts in the Spanish Interior. Configuration and Ideology », p. 68.
212 Voir supra, p. 378.
213 Voir supra, p. 400.
214 Appien, Ib., 78. Sur la localisation possible de ces villes, voir supra, p. 365, n. 11.
215 Tite-Live, XXXV, 7, 7 : C. Flaminius in citeriore Hispania oppidum Illuciam in Oretanis cepit, deinde hibernacula milites deduxit et per hiemem proelia aliquot nulla memoria digna aduersus latronum magis quam hostium excursiones, uario tamen euentu nec sine militum iactura sunt facta.
216 Tite-Live, XXXIX, 42, 1 : quieta deinde hiberna et citerior prouincia habuit.
217 Il s’agissait sans doute d’une opération préventive, inspirée par des considérations similaires à celles animant César en 52/51 envers les Carnutes de Cenabum (César, BG, VIII, 6, 1) : Caesar tempore anni difficillimo cum satis haberet convenientes manus dissipare, ne quod initium belli nasceretur. (« César jugea qu’il suffisait d’avoir dissipé, durant la saison la plus rigoureuse de l’année, les rassemblements qui se formaient, pour écarter tout risque de voir éclater une guerre », trad. L. A. Constans, CUF).
218 Au fond, Polybe ne dit pas autre chose lorsque, désignant les guerres celtibères comme une « guerre de feu », il constate que la mauvaise saison n’interrompait pas du tout l’ensemble des opérations (Polybe, XXXV, 1, 5).
219 César, BG, VIII, 6, 1 : quantumque in ratione esset, exploratum haberet sub tempus aestiuorum nullum summum bellum posse conflari.
220 Dion Cassius, XLIII, 32, 7.
221 Tite-Live, XXI, 61, 9-10 : nec obsessos alia ulla res quam iniqua oppugnantibus hiemps tutabatur. Tringinta dies obsidio fuit, perquos raro unquam nix minus quattuor pedes alta iacuit adeoque pluteos ac uineas Romanorum operuerat ut ea sola ignibus aliquotiens coniectis ab hoste etiam tutamentum fuerit (« quant aux assiégés, ils n’avaient rien pour les aider, sinon l’hiver peu propice aux assiégeants. Le siège dura trente jours, pendant lesquels l’épaisseur de la neige fut rarement inférieure à quatre pieds : elle avait à ce point recouvert les fascines et les tonnelles des Romains qu’à elle seule elle constitua même une protection contre les torches enflammées que l’ennemi lançait de temps en temps sur eux », trad. P. Jal, CUF).
222 Tite-Live, XXI, 61, 11.
223 Bell. Hisp., XVI, 1, emploie ainsi une périphrase (hibernorum causa) pour désigner les mauvaises cabanes édifiées à la hâte par les Césariens devant Ategua.
224 En 218, Tite-Live, XXI, 61, 6, précise bien que l’expédition d’Hasdrubal sur le territoire des alliés fidèles aux Romains (agros fidelium Romanis sociorum) avait incité Gn. Scipion à quitter ses quartiers d’hiver, mais le récit implique que ceux-ci n’étaient pas directement installés sur les territoires concernés.
225 César, BG, VIII, 54, 4.
226 Tite-Live, XL, 35, 13 : Paucae ciuitates, ut quidem ego audio, quas uicina maxime hiberna premebant, in ius dicionemque uenerunt. (« Peu de cités, du moins d’après ce que j’entends dire, sont tomées en notre pouvoir et sous notre domination : celles que la proximité de nos quartiers d’hiver soumettait à la plus forte pression », trad. C. Gouillart, CUF).
227 C’est ainsi que son légat présenta la situation dans sa réponse à Gracchus devant le sénat (Tite-Live, XL, 36, 2) : Itaque negare non posse quin rectius sit etiam ad pacatos barbaros, nondum satis assuetos imperio exercitum mitti. (« Aussi ne pouvait-il nier qu’il était plutôt opportun d’envoyer une armée contre des Barbares qui, même s’ils étaient pacifiés, n’étaient pas encore suffisamment accoutumés à la souveraineté romaine », trad. C. Gouillart, CUF).
228 Appien, Ib., 58.
229 César, BG, II, 35, 4.
230 Tite-Live, XL, 35, 13.
231 Tite-Live, XL, 30, 3 et XL, 33, 1
232 Tite-Live, XL, 35, 14 : Quae cum ita sint, ego iam hinc praedico, patres conscripti, me exercitu eo qui nunc est, rem publicam administraturum ; si deducat secum Flaccus legiones, loca pacata me ad hibernacula lecturum neque nouum militem ferocissimo hosti obiecturum. (« Dans ces conditions, sénateurs, je vous déclare d’ores et déjà qu’avec l’armée actuelle, j’assumerai les devoirs de ma charge ; mais si Flaccus ramène avec lui ses légions, je choisirai des endroits pacifiés pour mes quartiers d’hiver et je n’exposerai pas de nouvelles recrues au plus belliqueux des ennemis », trad. C. Gouillart, CUF).
233 La chose est concevable : on peut rapprocher à titre de comparaison la décision prise par Cicéron en tant que gouverneur de Cilicie à la fin de son mandat (Cicéron, Ad Att., V, 20, 5) : hinc exercitum in hiberna agri male pacati deducendum Quinto fratri dabam (« j’ai remis l’armée entre les mains de mon frère Quintus qui lui fera prendre ses quartiers d’hiver dans une région encore mal pacifiée », trad. L.-A. Constans et J. Bayet, CUF) ; voir aussi Cicéron, Ad Fam., XV, 4, 10 : Exercitum in hiberna dimisi ; Q. fratrem negotio praeposui ut in uicis aut captis aut male pacatis exercitus conlocaretur. (« J’ai fait prendre à mes troupes leurs quartiers d’hiver ; j’ai chargé mon frère Quintus de les faire cantonner dans les bourgs qui avaient été pris ou qui étaient encore mal pacifiés », trad. L.-A. Constans et J. Bayet, CUF) ; de même, César n’hésita pas en Gaule à planter ses hiberna chez les peuplades qu’il venait de vaincre (César, BG, III, 29, 3 et V, 53, 3). Mais le proconsul des Gaules disposait alors, répétons-le, de forces beaucoup plus importantes que les généraux d’Espagne.
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