Chapitre VI
Informer et désinformer : l’art du politique
p. 225-271
Texte intégral
1L’information, sa collecte, sa diffusion et son utilisation servirent, comme dans toutes les guerres de l’époque moderne, à tenter de mobiliser les peuples et à concentrer l’effort de guerre. Informer consiste à diffuser des nouvelles : les derniers faits militaires, le cours d’une négociation, ou encore la vie d’un prince et de sa famille au travers des mariages, des naissances et des décès. Au xviie siècle, le contrôle de la diffusion de l’information, sous toutes ses formes, se renforça. Il s’agissait de maîtriser l’image du souverain et d’expliquer ses décisions, tant à l’intérieur du royaume qu’à l’extérieur, notamment en soutenant des formes de propagande1. L’image du monarque était également utilisée afin de consolider les liens entre les sujets et leur souverain2.
2L’historiographie3 a déjà souligné les difficultés de l’étude de l’information et de son analyse. Lucien Bély a mis en évidence les modalités de la collecte de l’information et de sa circulation dans une Europe des princes polarisée par les cours, tandis qu’Hélène Duccini4 et Ana Álvarez López5 ont analysé les stéréotypes qu’elle contribuait à fabriquer. L’information apparaît centrale dans les stratégies déployées par les princes pour obtenir l’appui de leurs sujets. Cette dynamique était renforcée si le conflit prenait les allures d’une guerre civile. La guerre de Succession fut à l’origine d’une abondante production imprimée, bien étudiée déjà par Maria Teresa Pérez Picazo6.
3Dans le cadre de la succession d’Espagne, l’objet historique que constitue l’information, considérée dans une acception large, permet une nouvelle fois de soulever la question de l’existence et de la force de « l’union » entre les deux couronnes. En effet, l’utilisation de l’information dans le conflit révèle-t-elle une stratégie concertée des couronnes de France et d’Espagne, une utilisation commune et un partage ? En d’autres termes, comment les rapports nouveaux créés par les liens familiaux entre les princes se traduisirent-ils dans le champ de l’information ?
4Étudier l’information dont disposait Amelot soulève également la question de l’interaction de cette dernière avec le cours de ses négociations. En effet, l’ensemble des connaissances dont il disposait pouvait l’amener à prendre, différer ou modifier une décision. Une information, réelle ou fausse, pesait sur le cours des affaires. L’annonce du retour d’un navire français de la mer du Sud, c’est-à-dire du Pacifique où il était interdit de commercer pour les sujets du roi de France, provoquait l’ire des officiers espagnols et contrecarrait parfois ses projets. Il devenait plus difficile d’obtenir l’accord ou la bienveillance des membres du despacho ou du Conseil des Indes aux projets de réforme du commerce que l’on tentait d’imposer. La nouvelle que le négociant malouin La Chipaudière Magon avait obtenu une permission du roi de France d’envoyer un navire aux Indes déclencha par exemple une colère d’Amelot. Dans une lettre du 22 février 1707, il accusait les ministres Chamillart et Pontchartrain de ruiner ses efforts et sa mission. Il s’efforçait d’établir une relation de confiance entre les sujets des deux monarchies, quand les ministres accordaient des permissions pour aller aux Indes. Considérées par le Conseil des Indes comme de véritables provocations et insultes à son autorité, elles faisaient naître de nombreuses « plaintes », parfois relayées directement par le duc d’Albe, ambassadeur de Philippe V auprès de Louis XIV7. Amelot rendait ainsi Chamillart et Pontchartrain responsables du refus des Espagnols de consentir à un nouveau plan pour le commerce des Indes qui aurait facilité l’accès des Français aux possessions espagnoles8. La négociation se confondait souvent avec le contrôle d’une nouvelle et de sa diffusion.
5Amelot avait aussi accès aux circuits d’information propres à la Monarchie Catholique, lors des séances du despacho, où l’on lisait les correspondances interceptées et les documents envoyés par les informateurs des ministres espagnols9. C’est lors d’une réunion de ce cabinet qu’il apprit par une lettre de l’ambassadeur du roi d’Espagne à Paris que trois vaisseaux malouins étaient partis vers l’Amérique espagnole, contrevenant une nouvelle fois à toutes les lois des Indes10. Amelot ne cacha pas à Pontchartrain sa colère d’avoir appris une telle nouvelle au despacho. Ce ministre était en effet chargé de délivrer les passeports. Il lui souligna la difficulté à justifier de tels agissements alors que le roi s’était engagé à ne plus autoriser de navires à aller aux Indes.
6À l’inverse, comme le manque d’information faisait naître des rumeurs, il appartenait à l’ambassadeur de démentir les bruits qui pouvaient nuire à la réputation des deux couronnes. Il était en quelque sorte chargé de l’image de l’union des couronnes et de sa promotion dans les territoires de la monarchie hispanique. En 1707, lorsque les armées de Louis XIV perdirent le contrôle de l’État de Milan, il fallut renoncer à ces territoires. Une capitulation fut signée le 13 mars 1707 entre Charles de Vaudémont, gouverneur du Milanais, et le prince Eugène. Au mois d’avril suivant, la cour de Madrid ne possédait toujours pas d’exemplaire de la capitulation et en ignorait même les principaux articles. Amelot fit part à Louis XIV de son inquiétude, car le bruit courait que les royaumes de Naples et de Sicile étaient également cédés à l’archiduc, ainsi que le Milanais et la couronne d’Aragon :
V. M. juge que je n’oublie rien pour faire connoitre la fausseté de ces bruits, mais je serais plus en état de le faire efficacement si V. M. vouloit bien envoyer au roy son petit-fils une copie de la convention ou capitulation signée le 13 mars11.
7Chamillart reconnut quelque temps plus tard que le Milanais avait été évacué sans que Philippe V en ait été informé préalablement12. Intermédiaire du Roi Catholique, Amelot ne cacha pas à Louis XIV, dans un passage entièrement codé, que son petit-fils aurait préféré être averti avant la signature13.
8Un imprimé hollandais, par lequel fut publiée la nouvelle de la capitulation, s’avéra finalement fort opportun pour Louis XIV. En effet, cette publication visait sans doute à cultiver la défiance des ministres espagnols à l’encontre du roi de France, accusé de gouverner, par l’intermédiaire de son petit-fils, au seul bénéfice de son royaume. Dans une lettre envoyée à Amelot, Louis XIV notait que cette publication, qui devait éventer un secret, était la bienvenue puisqu’elle permettait de démentir un faux bruit. La publication de la capitulation et l’imprimé constituaient l’unique sujet de cette lettre, dont voici le principal extrait :
Monsieur Amelot, j’ay receu vos lettres du 17 et du 20 du mois dernier, l’une par l’ordinaire, l’autre par le courrier que mon neveu m’a depesché. Je ne doute pas que le prince de Vaudémont n’ait envoyé au roy d’Espagne, la capitulation signée pour la sortie de mes troupes et des siennes hors de l’Italie. Comme elle a d’ailleurs esté publiée par mes ennemis mesmes et imprimée en Hollande, on ne sauroit plus ignorer qu’elle ne contient aucun article qui ait rapport au royaume de Naples et de Sicile, et, par conséquent, les suppositions faictes de la cession de ces deux royaumes se peuvent aisément détruire14.
9Outre l’imprimé hollandais, les articles de la capitulation furent imprimés en castillan à Barcelone dès l’année 1707. Un exemplaire est conservé dans la collection des Fullets Bonsoms de la Biblioteca de Catalunya15. Il s’agit d’une capitulation aux conséquences uniquement militaires et qui n’évoquait dans aucun des 43 articles signés, le sort du royaume de Naples ni de celui de Sicile. Amelot eut ainsi tout le plaisir de renforcer sa position à la cour en dénonçant ce qui se révélait n’être qu’une rumeur. Louis XIV avait seulement retiré ses troupes, c’étaient les opposants à un rapprochement des cours de Madrid et Versailles qui avaient diffusé la fausse idée d’une cession.
10L’information, qu’elle soit de nature, commerciale, militaire ou diplomatique, pouvait ainsi parasiter le travail d’Amelot, rendre plus difficile ses négociations et entrer en contradiction avec le souhait de rapprocher les deux couronnes. Il faut donc envisager l’ensemble des connaissances et nouvelles susceptibles d’infléchir le cours des actions d’Amelot pour apprécier l’importance de ces interactions. Prêter attention à l’information dont l’ambassadeur disposait est d’autant plus nécessaire qu’il avait aussi accès, par sa fonction et son crédit auprès du roi, à certains renseignements tenus secrets, par exemple d’éventuelles négociations de paix ou le départ de navires français pour le Pacifique.
I. — L’information : une réalité complexe
11La notion d’information recoupe des modalités et des réalités si diverses qu’il est difficile de pouvoir en donner une définition unique, simple et définitive. En dépit des attentions dont elle a fait l’objet, elle reste une réalité complexe, une notion utilisée par les historiens pour comprendre et analyser une production multiforme. Elle revêtait à l’époque moderne des formes très variées : manuscrite, imprimée, écrite ou orale.
12Avant le xxe siècle, le mot lui-même était employé dans un sens fort différent. Le mot « information » est un dérivé d’informer16. Dans l’ancien français, il signifiait « donner une forme à » (1174) et s’écrivait enformer. Dans sa forme pronominale, « informer » était synonyme de « mettre au courant » ou « faire savoir » (1392). Dans le domaine judiciaire, il renvoyait à l’instruction, notamment en matière criminelle (1538). C’est d’ailleurs dans ce domaine que le substantif « information » apparut, pour désigner l’enquête (1323, faire des enformations, c’est-à-dire procéder à des enquêtes judiciaires). Au xive siècle, « information » acquit le sens courant de renseignement que l’on obtient de quelqu’un. Par extension, son pluriel désignait toutes les connaissances d’un domaine particulier. Il avait de surcroît au xve siècle un sens didactique, aujourd’hui disparu, celui de « donner une forme ». L’acception actuelle du mot « information » remonte en réalité au xixe siècle, et plus particulièrement à la IIIe République, qui connut un essor sans précédent de la presse. Dans le sillage de Zola, il s’agissait d’une connaissance que l’on apportait au public (1886). Si le développement de la presse favorisa un usage croissant du mot « information », les historiens ne se sont pas trompés lorsqu’ils ont cherché à en comprendre les ressorts, les sources et les circuits à l’époque moderne. Des études comme Le journalisme d’Ancien Régime17, ou d’autres sur le rôle des gazettes ont bien mis en évidence le lien entre l’existence des premières formes de journalisme et de l’information en général, que celle-ci soit de nature politique ou économique18. En Espagne également, le lien étroit entre le développement de l’imprimerie et la diffusion des nouvelles a déjà été souligné19. La naissance de l’imprimerie affecta si profondément l’information, que l’on parle de « révolution de l’imprimerie20 ». L’imprimerie bouleversa les modes de diffusion de l’information en décuplant sa capacité à circuler. Dès lors, elle devint un vecteur de la propagande des princes et des États et constitua un pilier sur lequel s’appuya l’État moderne naissant21. L’information circulait sous des formes très diverses. La gazette, le libelle, le pamphlet, les nouvelles à la main, mais aussi les rapports envoyés aux ministres, les billets rédigés par des espions ou des informateurs constituaient autant de supports pour faire connaître le sort d’une bataille, les luttes de factions dans une cour, les décisions des princes ou la fidélité des grands seigneurs.
13La notion d’information peut donc être utilisée sans anachronisme pour tenter d’analyser ses caractères, ses modalités et ses formes d’instrumentalisation par Amelot. Elle s’articule autour de trois paramètres : celui de la source ou du canal, celui du thème ou de l’objet de l’information, et enfin celui des espaces concernés. L’auteur d’une information, c’est-à-dire la source, est étroitement lié au canal qu’elle emprunte. Les gazettes sont, par exemple, liées aux gazetiers, dont la profession voit ses caractères se préciser et s’individualiser de plus en plus au cours du xviie siècle. La famille Renaudot en est un exemple. Toutefois, la professionnalisation des gazetiers ne fut pas complète : ils exerçaient souvent par ailleurs un autre métier. Les gazettes étaient échangées entre de nombreuses capitales. Les villes hollandaises, comme La Haye, Amsterdam ou Rotterdam, possédaient de nombreux titres parmi lesquels plusieurs titres francophones. Le Refuge concentrait de nombreux opposants à Louis XIV, par exemple les protestants après la révocation de l’édit de Nantes en 1685. Outre les gazettes, on trouve les nouvelles à la main, qui étaient le plus souvent anonymes et circulaient clandestinement. Les donneurs d’avis renseignaient ainsi sur la vie d’une cour et ses intrigues. Des mémoires manuscrits parvenaient également aux princes. De la part d’espions, ils portaient sur un point précis, comme le commerce avec l’Amérique ou le comportement d’une personne dont on soupçonnait la fidélité, comme les officiers espagnols durant la guerre de Succession.
14Le thème ou le sujet constitue le second critère qui permet d’appréhender l’information. En effet, celle-ci renvoyait généralement à des questions militaires, diplomatiques, politiques ou encore commerciales. Les gazettes, les nouvelles à la main, les rapports des consuls, des espions et des marchands évoquaient souvent les récentes batailles, les conclusions d’un accord, la circulation des navires. Une forme d’actualité internationale du moment.
15Enfin, analyser l’information à un moment donné nécessite toujours de s’interroger sur l’espace géographique dans laquelle elle s’inscrit. La lecture des lettres d’Amelot et des correspondances qui lui étaient adressées invite à reconsidérer le rôle de certains espaces. L’Amérique espagnole se trouve ainsi centrale dans ses dépêches avec Pontchartrain. Cela n’est pas surprenant pour un secrétaire d’État de la marine mais cet intérêt dépassait de très loin le seul souci d’ouvrir le commerce américain aux sujets du roi de France. Il s’agissait d’un espace dont il fallait s’assurer le contrôle car il permettait de financer la guerre par ses ressources en métaux précieux. Il n’était pas un théâtre d’affrontements lointains mais un enjeu de l’information pour tous les belligérants. L’issue de la guerre en Europe dépendait de son contrôle. Chamillart et Torcy s’en préoccupaient tout autant que leur collègue du département de la marine. C’est dans ce triptyque (source, thème, espace) que l’information doit être analysée. Il permet ainsi d’en saisir les formes et les effets de manière diachronique et synchronique.
16Le développement de l’information et sa diffusion de plus en plus large au cours du xviie siècle sont des phénomènes qui se vérifient tant dans le royaume de France que dans la monarchie espagnole. Il convient donc souligner que si les guerres de religion puis la Fronde en France marquèrent un développement inédit et une circulation accrue des informations, la guerre des Segadors et les révoltes de Catalogne et d’Aragon au milieu du siècle leur assurèrent le même élan dans la Monarchie Catholique22. En déchaînant les passions religieuses et politiques, les conflits civils décuplaient l’audience ou l’écho des nouvelles. Puisque connaître les mouvements des armées ou le sort d’une bataille, prévenir le sac des villes et des récoltes importaient au plus grand nombre, la diffusion des nouvelles sous des formes les plus diverses devenait un enjeu de taille. Pour les populations, il s’agissait de se mettre à l’abri en sauvant ce qui pouvait l’être et de garantir leurs moyens de subsistance. Pour les princes, l’objectif était de s’assurer leur soutien pour mener la guerre et donc payer les troupes. Dès lors, des campagnes de libelles pouvaient naître : entre deux compétiteurs pour un trône, deux confessions religieuses ou des conceptions différentes de l’autorité royale, chaque camp tentait de mobiliser ses partisans par la persuasion.
17La Fronde en France, la guerre des Segadors, la Glorieuse Révolution de 1688 en Angleterre représentaient autant de précédents à la guerre de Succession d’Espagne, durant laquelle des enjeux internationaux et ceux des familles ou des dynasties régnantes furent étroitement liés à des problématiques internes, comme l’organisation des rapports entre l’autorité royale et les différentes composantes de la monarchie (royaumes, ordres).
18Pour parler de l’information, on employait d’autres mots, préférant la nommer par des réalités concrètes et matérielles (le libelle, le pamphlet, la nouvelle, le billet, puis le journal) qu’elle recouvrait plutôt que par un terme qui aurait englobé tous ces sens. Toutefois, cela ne signifie pas que la réalité n’existait pas. Des colloques et des congrès ont mis en évidence la fécondité de la notion d’information pour appréhender les sociétés anciennes. La question reste inséparable de celle de son audience et de sa réception, plus ou moins insaisissable dans les sociétés de l’époque moderne. Il est évident que la perméabilité des nouvelles diffusées à l’écrit dépendait de la maîtrise de la lecture. Toutefois, ne pas savoir lire n’interdisait pas de prendre parti. Les images et les gravures, comme les caricatures, pouvaient en partie pallier l’illettrisme. Elles furent largement employées dans les Almanachs ou même diffusées isolément, notamment les caricatures, ou encore placardées sur les murs. De plus, l’écrit n’avait pas seulement comme vocation d’être lu. Ses usages pouvaient être bien plus divers comme le souligne Fernando Bouza, spécialiste de l’écriture et de ses pratiques au Siècle d’or. Ainsi, on distribuait des prières qui avaient selon la croyance populaire des vertus curatives. Il ne s’agissait pas de réciter un texte, ce qui eût nécessité de savoir lire, mais simplement de l’avoir sur soi. L’architecte Francisco de Mora déclara en 1610 avoir soulagé une douleur dentaire avec l’un des écrits de sainte Thérèse de Jésus en le plaçant sur sa mâchoire. L’écriture apparaît ici comme une amulette ou un talisman pour celui qui le possédait23. L’écrit, dont l’usage se confondait souvent avec des formes de dévotion ou de superstition, était doté d’une valeur performative très forte et de pouvoirs presque magiques. On portait de nombreuses « lettres de protection », appelées nóminas ; les soldats d’infanterie inscrivaient sur leur peau le testament d’un héros militaire pensant ainsi sauver leur vie24. L’écrit pouvait même être sacré. On a trouvé ainsi dans une rivière un petit galet blanc sur lequel est inscrit « Philippe V. doit / régner / 170025 ». Conservé au musée archéologique de Madrid, il ne pouvait qu’apparaître prophétique puisqu’il fait référence à un passage de l’Apocalypse de Jean (2,1), selon lequel le Vainqueur recevrait une petite pierre blanche avec son nom inscrit dessus. Des témoignages du même ordre ont été enregistrés en faveur de l’archiduc, comme cette déposition notariale d’un moine augustin assurant qu’il avait trouvé en ville un melon portant l’inscription « Vive Charles III et Don Juan Basset26 ». Les deux revendiquaient une manifestation d’élection divine en leur faveur. Des hosties sont tour à tour retrouvées aux couleurs de l’archiduc ou teintées de sang au passage de ses troupes, offrant ainsi deux significations totalement contradictoires mais utiles aux partisans des deux souverains27.
19Il n’est donc pas étonnant que l’écrit, sous toutes ses formes et dans ses multiples usages, ait fait l’objet de toutes les attentions de la part de ceux qui avaient à exercer une forme d’autorité. Surveiller la parution et la diffusion de ces documents faisait partie de l’activité d’un ambassadeur. Le travail d’Amelot consistant surtout à informer le roi, il convient de s’intéresser plus précisément aux caractères de l’information durant son ambassade à Madrid. Elle mêlait ce que l’on appelle l’information diplomatique, c’est-à-dire l’ensemble des nouvelles concernant la vie des princes, des cours, de leurs États et des relations qu’ils entretenaient entre eux ; les nouvelles militaires, comme l’avancement d’un siège, les coups d’éclat ; mais aussi la vie économique avec le produit des récoltes, la vitalité du commerce et la circulation des marchandises.
20L’information constitue l’un des champs privilégiés de l’étude des relations entre les princes à l’époque moderne. Dans son étude sur les envoyés de Philippe II et Philippe III, Alain Hugon distingue parmi les différents types d’information, ce qu’il appelle les « activités de liaisons », c’est-à-dire le travail des agents sur place, la politique intérieure française, la politique étrangère, les questions militaires et enfin, plus rarement, les questions économiques et religieuses28. La profusion des avis émis et envoyés à Madrid dépendait de la conjoncture politique, du diplomate (certains se montraient très zélés), ou encore des possibilités que le trésor royal offrait pour payer des informateurs. Ainsi, en 1610, la crise politique, l’assassinat d’Henri IV et la régence de Marie de Médicis expliquent le nombre très important des avis émis depuis la France vers Madrid29. Toutefois, dans l’information qu’un envoyé transmettait à son souverain, il faut différencier celle qu’il obtenait directement, c’est-à-dire les nouvelles qu’il recevait lui-même ou par le biais de ses informateurs, de celle qu’il pouvait collecter dans les imprimés diffusés. Dans cette dernière catégorie, il convient d’éclaircir le rôle particulier joué par les gazettes.
II. — Les nouvelles venues par les gazettes
21Les premières gazettes (gacetas ou gazetas), relations (relaciones), ou feuille d’avis (avisos) hispanophones ont fait l’objet d’études dès la fin du xixe siècle. Pascal Gayangos, José Altabella, Juan Pérez de Guzmán y Gallo et Juan Pedro Criado Domínguez jetèrent les bases de l’étude de la presse espagnole. Toutefois, l’historiographie espagnole s’est plus intéressée à la presse de la seconde moitié du xviiie siècle qu’aux premières années du règne de Philippe V30. Si ces dernières ont fait l’objet d’études récentes, la dimension « idéologique » ou propagandiste31 a retenu l’attention au détriment de la production, de la circulation et de la diffusion. Les études fouillées et exhaustives sur la presse au début du xviiie siècle font toujours défaut32.
22Après les premiers pas constitués par les chroniques médiévales manuscrites, ce que l’on appelle aujourd’hui communément « le journalisme » se développa réellement avec la mise au point de l’imprimerie au xve siècle et la possibilité de diffuser à grande échelle33. Les gazettes sont en quelque sorte les ancêtres de nos journaux. Elles étaient parfois le seul moyen de savoir ce qu’il advenait sur un théâtre lointain. Ainsi en 1705, Amelot informait Pontchartrain que les gazettes de Hollande rapportaient le siège de la colonie portugaise de Sacramento34 par les Espagnols de Buenos Aires35. L’adhésion du roi de Portugal à la Grande Alliance avait en effet eu des conséquences militaires pour ses possessions militaires, notamment la prise de Sacramento le 10 septembre 170436.
23Canal majeur de l’information, et notamment de celle en provenance du Nouveau Monde, les gazettes de Hollande ont été étudiées par Michel Morineau et lui ont permis de proposer une nouvelle périodisation des arrivées de métaux précieux en Europe en montrant que celles-ci augmentèrent dans les dernières années du xviie siècle et les première années du xviiie37. Les gazettes contribuent donc à éclairer l’appréhension des événements économiques ou politiques, à une époque où toute nouvelle était fragile, peu sûre et sujette à de nombreuses transformations au cours de son chemin de diffusion.
24Tout au long du xve et du xvie siècle, les formes manuscrites et imprimées de la communication collective coexistèrent et se développèrent parallèlement. Au xviie siècle, les relaciones, c’est-à-dire les récits d’événements précis comme la naissance d’un prince ou le sort d’une bataille, connurent un développement continu et régulier, qui pour les premiers historiens de la presse comme Pascal Gayangos ou Eulogio Varela, n’était pas sans liens avec le sentiment de décadence de la monarchie au xviie siècle38 et les crises qui l’affectèrent39. Comme Renaudot marqua la gazette en France, le Sévillan Andrés Almansa y Mendoza joua un grand rôle dans la diffusion de relaciones à Madrid au xviie siècle. Publiées régulièrement, celles-ci étaient composées comme des lettres adressées à un seigneur sévillan qui les livrait au public40. José Pellicer Ossau de Salas y Tovar et Jerónimo de Barionuevo marquèrent également le règne de Philippe IV par leurs périodiques. Le premier rédigea entre 1639 et 1644 des avisos históricos dans lesquels il traitait de la politique internationale, des campagnes militaires et des grands événements de la cour. Le second publia aussi des avisos, mais entre 1654 et 1656. Il s’intéressait davantage à la vie de cour et sur un mode plus ironique41.
25Les avisos correspondaient à ce que l’on appelait alors en France des « notices », c’est-à-dire des documents, le plus souvent imprimés, qui portaient une nouvelle à la connaissance du public. Les gazettes étaient elles-mêmes composées de plusieurs notices. Le mot aviso en espagnol est un dérivé de avisar qui signifiait « avertir, prévenir, conseiller ». Aviso est ainsi employé dans le quatrième livre de l’Amadis (1508) dans le sens de « donner connaissance à quelqu’un »42. L’emploi du singulier indiquait davantage le conseil, l’avertissement ou l’avis, alors que la forme plurielle désignait les nouvelles au sens large du terme.
26Dans les années 1640, Barcelone apparaissait comme le premier centre d’impression de relaciones et de gacetas. La rébellion du principat de Catalogne contre Philippe IV, la reconnaissance de Louis XIII comme comte de Barcelone et plus généralement la guerre entre le royaume de France et la Monarchie Catholique favorisèrent la diffusion d’imprimés dans les années 1642-164443.
27Madrid et Barcelone ne furent pas les seules cités à être touchées par ce phénomène de diffusion de la presse : Séville avait pareillement sa gazette. La gazette de Madrid parut vraisemblablement pour la première fois en 1661. Elle fut publiée sous le titre Relación o Gazeta de algunos casos particulares, assi Politicos, como militares, sucedidos en la mayor parte del Mundo, hasta fin de Diziembre de 166044. Elle se divisait en rubriques géographiques — Paris, Londres, La Haye et Vienne — d’où provenaient la plupart des nouvelles. Elle contenait aussi des extraordinarios qui étaient autant de suppléments. À partir de 1677, la Gazeta ordinaria de Madrid paraissait tout d’abord les samedis, puis les mardis, et ce jusqu’au cours du xviiie siècle. Durant le règne de Charles II, le recours à l’imprimé et aux écrits publics lors des affrontements entre Juan José de Austria et la reine régente contribua encore à en développer l’audience. Ambitieux, le bâtard de Philippe IV comprit l’utilité de l’écrit pour mobiliser ses partisans. Il se livra ainsi à une véritable « guerre de plume », selon la belle expression d’Héloïse Hermant, pour défendre ses intérêts45. La Gazeta fut étroitement liée à son parcours. Apparue sous le titre Gazeta Nueva en 1661, elle devint la Gazeta ordinaria de Madrid lorsque Charles II nomma Juan José de Austria Premier ministre en 1677. Ce dernier avait su trouver dans la personne de Francisco Fabro Bremundan un précieux collaborateur pour faire de la gazette un instrument à son service. L’existence mouvementée du périodique se signale à travers les nombreux changements d’appellation et la publication irrégulière de ses numéros. En 1697, Juan de Goyeneche obtint le privilège d’imprimer la gazette. Elle parut dorénavant chaque semaine sous le titre Gaceta de Madrid. Par une cédule royale, Philippe V confirma à Goyeneche son privilège46. Il lui réservait le monopole de publier des nouvelles d’ordre politique, contribuant ainsi un peu plus à faire de cette gazette l’organe officiel de la couronne.
28Outre la gazette de Madrid, il convient de citer les gazettes de Séville, de Saragosse ou encore de Málaga. Au début du xviiie siècle, les gacetas étaient nombreuses. En 1706, on comptait ainsi une gazette à Alcalá, Madrid, Burgos, Grenade, Murcie47 et Séville. Ce foisonnement fut bientôt contrôlé par le pouvoir et il fallut attendre 1829 pour voir une autre gazette que la gaceta officielle être diffusée dans la monarchie48.
29Le nombre des gazettes qui parurent durant la guerre de Succession souligne combien le pouvoir peinait à contrôler les impressions, à les interdire et à faire respecter le monopole de Goyeneche. Parallèlement au développement des gazettes et à leur diffusion spectaculaire durant le conflit, chaque camp publiant des noticias, avisos, etc., la littérature dite de cordel connut aussi un essor sans précédent. Il s’agissait d’une littérature considérée parfois comme populaire, mais qui était étroitement structurée par les partisans de Charles III et de Philippe V qui s’affrontaient à travers elle49. Pour chacun des belligérants, les gazettes constituaient un outil de mobilisation des peuples en leur faveur. C’était un moyen pour encourager ses partisans. Aussi, chaque victoire d’un camp faisait l’objet de relations imprimées, parfois directement intégrées dans les gazettes.
30Si le souci de l’imprimé était réel, cela ne signifie pas pour autant que l’on puisse parler d’opinion publique. Cette notion divise encore largement les historiens. Longtemps, on a estimé qu’en France, l’opinion publique serait née vers le milieu du xviiie siècle. Toutefois, les travaux portant sur la presse, la littérature pamphlétaire, les mazarinades et les guerres de libelles aux temps de la Ligue ont soulevé la question de l’existence ou non d’une réaction populaire face à ces écrits. Les arguments développés dans l’entourage des princes permettaient-ils de mobiliser le public ? Au-delà des cercles lettrés, la réponse semble à l’évidence négative. Pourtant, on peut se demander si l’énergie déployée à écrire était réellement un effort vain ? A défaut de convaincre, les affrontements textuels permettaient de porter la contradiction à un adversaire en prenant le public à témoin. Ils offraient un autre espace d’affrontement.
31Que ce soit dans l’Espagne de Charles II ou lors de la guerre de Succession, le développement d’une littérature pamphlétaire instrumentalisée au maximum n’implique pas obligatoirement l’existence d’une « opinion publique ». La difficulté à dessiner les contours des différents publics rend problématique l’utilisation d’une telle notion50. Toutefois, cela n’interdit pas en sens inverse l’existence « d’un public », qu’il ne faut pas concevoir comme figé, sans évolutions ni recompositions en fonction des situations. Dans El Príncipe deliberante abstracto en idioma castellano [1670 ?], Sebastián de Ucedo affirmait ainsi à la fin du xviie siècle que « le public est une masse politique de volontés et de corps enlacés en une même vie, à la poursuite d’un même bonheur51 ».
32Dans tous les cas, l’attention portée par les cercles du pouvoir à tout ce qui était écrit, comme les réponses faites à des détracteurs ou la multiplication des placards, etc., invite l’historien à ne pas sous-estimer l’importance des écrits politiques et de propagande. Finalement, peu importe de savoir si, oui ou non, ces écrits parvenaient efficacement à obtenir le consentement, l’appui et l’effort des populations dans un conflit. C’est plus l’effet recherché que l’effet produit, qui mérite d’être analysé. L’idée selon laquelle la défense des intérêts du prince passait par l’écrit était communément admise, comme le souligne cette parole du maréchal de Tessé à Amelot : « Les hommes, Monsieur, se mènent comme vous scavez par la parole, et sur touttes les nations du monde, l’espagnole par le papier, l’écriture et l’imprimé52… ».
33Ce propos d’un homme qui fut à la fois homme de guerre et négociateur invite à se demander dans quelle mesure les pouvoirs tenaient compte de ces publications pour prendre ses décisions. En d’autres termes, la publication d’un imprimé ou la diffusion d’une nouvelle pouvait-elle susciter, accélérer ou retarder une réaction ?
Des mains des soldats à celles des négociateurs
34Durant la guerre de Succession, de nombreuses gazettes ou feuilles d’avis virent le jour sur les zones de front. On conserve ainsi de nombreux libelles, pamphlets, gacetas ou avisos qui constituaient autant d’interventions dans le débat entre pro-philippistes et pro-autrichiens.
35La Catalogne, l’Aragon et le royaume de Valence furent ainsi le théâtre de véritables campagnes d’affrontements par écrits interposés. Chaque camp avait ses imprimeurs et ses gazettes. La gazette de Madrid resta attachée à défendre les intérêts de Philippe V, puisqu’il maîtrisa la capitale de la Castille à l’exception de l’été 1706 et de l’automne 1710. Celle de Saragosse était austraciste, c’est-à-dire un organe officiel de Charles III : publiée entre 1706 et 1707, lorsqu’il avait le contrôle de la ville, elle décrivait les principaux événements militaires en diffusant des arguments susceptibles de souder les populations aragonaises autour de l’archiduc53. Francisco Revilla y Mendoza était ainsi chargé d’imprimer à Saragosse, comme Rafael Figueró à Barcelone ou Diego de Vega à Valence, les principales avancées du camp de la Grande Alliance. Ils étaient d’ailleurs imprimeurs royaux de Charles III (impressores reales de Carlos III).
36Si les imprimés de Rafael Figueró ont été remarquablement bien conservés jusqu’à nos jours, notamment à la Biblioteca de Catalunya, les autres gazettes austracistes furent souvent détruites dès que les armées de Philippe V reprenaient en main ces territoires54. Beaucoup sont encore inédites. Ces gacetas avaient rarement le titre de gazette. Elles étaient publiées avec une des mentions suivantes : Particulares noticias, Noticias ou Sinceras relación. Toutefois, la régularité de leur parution, le plus souvent hebdomadaire, leur unité de composition et l’ambition affichée de l’imprimeur en faisaient de véritables gazettes ou journaux.Comme la plupart des gazettes, elles reprenaient des nouvelles venues d’ailleurs. Si la Gaceta de Madrid publiait des informations venues de Paris, Londres, Vienne, Rotterdam et Barcelone, la gazette de Saragosse échangeait quant à elle les siennes avec Barcelone et Valence55, villes au pouvoir de l’archiduc. La circulation des nouvelles s’opérait ainsi à la fois au sein des espaces de chaque belligérant et, par des zones de porosités, entre des territoires de camps adverses.
37Qu’elles soient ou non favorables au pouvoir, les gazettes étaient soigneusement collationnées par les diplomates. Ainsi, durant la guerre, le marquis de Torcy recevait de nombreux exemplaires de feuilles imprimées qui étaient répandues partout en Europe. Avant de quitter Madrid dans l’urgence à l’été 1706, Amelot prit le temps de lui expédier la dernière gazette de Madrid56, ainsi que celle de Grenade57. En effet, la parution de la gazette madrilène fut interrompue entre le 22 juin et le 10 août 170658, lorsque le roi abandonna la capitale devant l’avancée d’une armée portugaise. À la fin de l’été, Philippe V reprit le contrôle de la ville et la gazette parut de nouveau normalement.
38On retrouve ainsi des exemplaires de gazettes ou d’avisos, parfois recopiés à la main, dans la Correspondance politique du ministère des Affaires étrangères. Les plus nombreux concernent les années 1706-1707, durant lesquelles les évolutions du front furent les plus marquantes : de la sortie de Madrid à l’été 1706, jusqu’à la reconquête de l’Aragon à l’été 1707, après la bataille d’Almansa, le sort plus qu’incertain des armes de l’un et l’autre camps contribua à donner d’autant plus de relief à ces périodiques. Ils aidaient chaque belligérant à mettre en valeur les succès de ses armées et donc, la légitimité de sa cause.
39Torcy appréciait beaucoup de pouvoir suivre les nouvelles. Il ne manquait pas de remercier ceux qui lui en envoyaient59. Il supervisa lui-même la publication de périodiques afin de défendre la politique de Louis XIV, en subventionnant directement des auteurs par exemple. Les Lettres d’un Suisse à un Français écrites de 1702 à 1709 par La Chapelle sont bien connues car Joseph Klaits les a analysées en détail60. Le ministre s’appuya aussi sur l’abbé Du Bos pour la rédaction des Intérêts de l’Angleterre mal entendus. Ces écrits servaient à contester ceux qui étaient défavorables à Louis XIV. Leurs auteurs recouraient souvent à une forme de rhétorique du dévoilement, c’est-à-dire qu’ils prétendaient porter à la connaissance du public des faits que l’on tenait dissimulés ou masqués. En 1706, Torcy créa pour assurer un suivi optimal de la circulation des nouvelles un bureau de presse, chargé de regrouper l’ensemble des informations contenues dans les gazettes et de procéder ensuite à des recoupements61. Ce travail lui permettait d’avoir une vision beaucoup plus complète de l’actualité et surtout de vérifier les nouvelles qui lui parvenaient.
40Les grands événements, comme les opérations militaires, la vie de cour ou le cours des négociations, trouvaient ainsi leur place dans les périodiques de l’époque. Comme ils ne pouvaient pas être publiés sans l’accord du prince sans courir le risque d’être saisis par la censure, la plupart répondaient à des objectifs politiques clairs. Ils étaient des organes pour la propagande d’un souverain, la défense de ses intérêts ou de sa politique. Il n’échappait à personne que les gazettes et les manifestes visaient à « exciter les peuples », selon la formule employée par Jérôme de Pontchartrain62, c’est-à-dire à prendre parti63.
41Mettre en valeur le comportement exemplaire de certains officiers, la fidélité des populations à la cause de l’un des deux compétiteurs, ou le retour héroïque de convois des navires contribuait à donner de la publicité à la bonne fortune du prince, et donc à la légitimité de son combat. Ainsi, le directeur de la compagnie de l’asiento à Panamá, le Sieur Cordier, écrivit à Pontchartrain pour le tenir au courant de la situation en Amérique. Il lui confia que Fernando Dávila, gouverneur de Panamá, avait reçu des lettres de l’archiduc et de la princesse de Danemark avec des manifestes et que, en officier zélé, il les avait fait brûler en place publique devant tous les officiers de la ville. Le Sieur Cordier suggérait donc de raconter cette marque de fidélité dans la gazette de Madrid64. L’arrivée de manifestes et de nouvelles avait représenté un réel danger puisque l’évitement d’un tel risque méritait, aux yeux du directeur de la compagnie de l’asiento à Panamá, d’être révélé. À travers les notices sélectionnées pour être publiées, apparaît en creux ce que les contemporains jugeaient utile de diffuser.
42En 1707, le marquis de Gironella65 adressa à José de Grimaldo un paquet de documents contenant toutes les gazettes et les imprimés abandonnés par les troupes de l’archiduc66. Parmi ceux-ci, un imprimé intitulé Noticias venidas de Italia, y traducidas en Español, de diferentes partes de Europa, publicadas en Milan a 5 de enero y en Barcelona a 9 de febrero de 1707 décrivait les principaux événements survenus à Milan, Vienne, Rome, Venise, Genève, mais également Livourne et La Haye, comme la nomination du marquis Pedro Visconti au poste de grand chancelier de Milan, la situation des révoltés de Hongrie, la prise de trois navires de guerre français et l’arrivée des courriers. Les nouvelles les plus diverses, parfois sans grand rapport entre elles, circulaient ainsi en Europe et en Amérique, trouvant un écho singulier puisqu’elles étaient reprises et recopiées en différents endroits.
43Il est très difficile de connaître l’audience réelle des gazettes. Si leur lecture ne fait pas de doute, il serait hasardeux d’en conclure qu’elles influençaient les opinions. Elles constituaient un outil de propagande sans que l’on puisse dire avec certitude si elles permettaient de convaincre. L’intérêt que Torcy, Amelot, Pontchartrain, ou les officiers du roi d’Espagne comme Gironella leur portaient ne suffit pas à attester de leur efficacité, c’est-à-dire à savoir si elles favorisaient la prise d’armes ou de parti en faveur de ceux qui tentaient d’instrumentaliser le champ politique. De même, l’agitation qu’elles pouvaient susciter n’est pas une preuve suffisante pour affirmer qu’elles permettaient de vaincre son adversaire sur le terrain des idées. On se heurte en réalité à la difficulté de mesurer ou d’évaluer la réaction qu’elles pouvaient provoquer.
44Même s’il n’existait pas à proprement parler d’opinion publique, le pouvoir ne se désintéressait pas des idées qui circulaient. Les discours tenus dans les gazettes pouvaient amener un prince à retarder ou différer une décision. Un mémoire anonyme conservé dans les papiers de la secrétairerie de Torcy permet de mesurer l’écho d’une nouvelle : il s’agit d’un document de 1704 préconisant la reconnaissance par Louis XIV du roi Stanislas de Pologne67, qui venait d’être imposé par le roi de Suède Charles XII au détriment d’Auguste de Saxe68.
45Lorsqu’il évoquait les motifs pour lesquels le roi de France devait procéder à cette reconnaissance, l’auteur du mémoire ajoutait qu’il importait de le faire en dépit « du bruit dans les gazettes69 ». En d’autres termes, Louis XIV devait reconnaître Stanislas sans se soucier des réactions. Il est intéressant de noter non pas l’agitation que cette décision risquait de susciter mais l’idée même que les discours tenus dans les gazettes puissent la retarder. En argumentant, l’auteur en venait à reconnaître qu’une décision du roi de France pouvait être prise en fonction de son écho dans la presse du temps. Cette note vraisemblablement rédigée dans les bureaux de Torcy montre à l’évidence qu’avant la prise de décision, il existait une forme d’évaluation de son accueil dans les imprimés. Il s’agissait d’une tentative, certes fragile mais bien réelle, d’anticiper la réception d’une décision par le public, sans que l’on sache toujours quel était celui qui était visé.
Entre cours et gazettes, un ambassadeur en danger
46Les ambassadeurs ne s’intéressaient pas seulement aux imprimés diffusés dans le pays où ils étaient en poste, ils manifestaient aussi une attention particulière pour les publications venues de loin. Amelot, lorsqu’il était à Madrid, s’inquiéta vivement auprès de Torcy de ce que des gazettes hollandaises diffusaient à son sujet, révélant ainsi le risque de discrédit auprès de son souverain qu’elles faisaient courir au diplomate. Un passage de la correspondance d’Amelot avec Torcy illustre cette tension que la publication d’imprimés imposait aux négociateurs et aux envoyés. En février 1709, l’ambassadeur adressa une dépêche à Torcy à laquelle il joignit un exemplaire de la gazette de Leyde, connue sous le nom Nouvelles extraordinaires venues par divers endroits. Cet exemplaire est resté introuvable tant dans les archives que dans les collections des bibliothèques. Toutefois, la réponse faite par Torcy à Amelot laisse entendre qu’il s’agissait d’une critique émise contre l’ambassadeur70. De plus, on apprend que la même information avait été reprise dans une autre gazette, celle de Rotterdam. Le ministre écrivait ainsi à Amelot :
La mesme sottise a esté répétée depuis dans la gazette de Rotterdam, et vous ne sçauriez croire combien de mauvais discours, mais moins grossiers et plus vraysemblable avoient esté répandus avant que ces deux gazettes parussent.
47Le sujet abordé était particulièrement délicat puisque Torcy faisait clairement allusion à des attaques touchant précisément l’ambassadeur et qui étaient développées dans les gazettes.
La fausseté est facile à découvrir quand on attaque des personnes comme vous Monsieur sur des matières telles que celles qu’on a traitées dans les mémoires envoyés aux gazetiers d’Hollande…
48En qualifiant de « fausseté » les critiques émises contre des personnes aussi estimées qu’Amelot, Torcy prenait de facto la défense de l’ambassadeur ou, au moins, cherchait à le rassurer. Enfin, le secrétaire d’État concluait ce passage par la difficulté à connaître « la disposition d’une nation » et à évaluer la quantité de mécontents. Il révélait ainsi que la critique lancée contre une initiative d’Amelot portait précisément sur l’impopularité que celle-ci risquait d’entraîner.
… il est plus difficile de pénétrer la vérité quand les avis regardent seulement la disposition de toute une nation, et comme il y a certainement beaucoup de malintentionnés, il est très aisé qu’on soit trompé sur leur nombre, sur leur crédit, et sur les dispositions qu’ils attribuent aux peuples toujours fondés sur quelques [illisible] effectives.
49À défaut de pouvoir lire la gazette de Leyde ou celle de Rotterdam auxquelles Amelot et Torcy faisaient référence, celle d’Amsterdam contient des éléments permettant d’éclaircir l’affaire71. En effet, dans la livraison du 8 janvier 1709, l’ambassadeur Amelot est nommément cité à propos d’une importante somme d’argent qu’il aurait prélevée sur les comptes de « la Chambre de Commerce de Séville » :
On continue de travailler à l’établissement des magasins, & Mr Amelot, ambassadeur de France, s’est servi, avec la permission du roi, de 400 mille pièces de huit appartenant à la Chambre de Commerce de Séville, venus par la dernière Flote au Passage, & dont S. M. a jugé à propos de se servir, en attendant qu’on ait terminé le procès qui est entre ledit ambassadeur & la Chambre de Séville, au sujet des comptes qu’ils ont à régler ensemble. On ne doute point que ceux de Séville ne fassent de grandes plaintes là-dessus.
50Il s’agissait soit de la Casa de Contratación, chargée d’organiser et de surveiller les convois entre la péninsule et l’Amérique espagnole, soit du consulat de Séville, qui était alors en procès avec la couronne. Le procès est ici imputé à Amelot, qui en était bien l’instigateur même s’il ne constituait pas l’une des parties.
51Cet exemple est éclairant à plusieurs titres. Tout d’abord, il souligne combien les ambassadeurs s’inquiétaient des discours tenus à leur égard dans les gazettes et éprouvaient le besoin de se justifier. Ainsi s’explique le geste d’Amelot adressant à Torcy un imprimé dont il pensait qu’il pouvait le desservir. Le second enseignement tient au sujet même qui est évoqué. Ce n’est pas tant le procès que la « mauvaise disposition » des populations qui était source d’inquiétude. Or, le marquis de Torcy rassura Amelot à propos de ceux qui ne manqueraient pas de faire « de grandes plaintes » car il jugeait bien difficile de les quantifier précisément.
52Aussi, à défaut de pouvoir parler « d’opinion publique » ou de l’effet réel et concret des gazettes sur les esprits et les convictions de chacun, force est de constater que ces publications pesaient directement sur l’action des princes et de leurs envoyés. D’abord, car ces derniers leur accordaient de l’importance. Le point de vue de Théophraste Renaudot selon lequel « les rois règnent principalement par leur réputation72 » était donc largement partagé. Le crédit politique et diplomatique d’un souverain dépendait effectivement de l’idée que les autres princes se faisaient de son armée, de ses richesses et de sa puissance. Ensuite, car déjouer les manœuvres d’un adversaire suppose de les connaître. À ce titre, les types d’informations recherchés révèlent ce qu’un prince jugeait utile de connaître, ses thèmes de prédilection sont un miroir de ses intérêts et permettent de sortir de la sinuosité des intrigues de cour, à quoi les dépêches diplomatiques ne sauraient être réduites.
III. — L’information diplomatique : la proximité du lointain
53Les données collectées par Amelot ou tout autre diplomate permettaient à Louis XIV d’avoir un panorama de la situation internationale. Comme dans tout conflit, le renseignement militaire, comme l’état des troupes, leur nombre, la désertion plus ou moins grande, entrait dans la stratégie du roi pour définir ses propres objectifs. Le second type d’informations concernait la situation diplomatique d’un prince, c’est-à-dire la solidité de ses alliances. Durant la guerre, Louis XIV maintint ainsi toujours ouverte la possibilité pour le Portugal et le duc de Savoie de changer de camp. Surveiller la cour permettait d’entrevoir les changements de ministres, les évolutions des rapports de forces entre les factions et, par là, l’éventualité d’un rapprochement ardemment désiré. La fidélité des grands seigneurs à leur souverain faisait aussi l’objet de longs développements, soulignant le poids des liens de fidélité personnels et l’ascendant de l’aristocratie sur certaines orientations politiques. La cour de Louis XIV, où pourtant l’autorité du roi était incontestée, était aussi traversée par des dissensions et des cabales73.
54Faire la guerre supposant des ressources, les informations à caractère financier devinrent de plus en plus recherchées au cours de l’époque moderne. Progressivement, l’état d’un trésor royal, les subsides envoyés par un allié furent davantage surveillés et relayés dans les cercles des princes.
Entre terre et mer, actualités militaires et nouvelles maritimes
55Deux types d’informations sont constamment relayés : le mouvement des troupes et les allées et venues des flottes et des escadres. Dès 1704, la péninsule Ibérique devint un théâtre d’affrontements. Les troupes anglo-hollandaises disposaient du Portugal comme base arrière pour mener leurs incursions. À partir de 1705, la Catalogne ouvrit un second front. La prise de Gibraltar en 1704 par l’amiral Rooke74 compliqua la situation des armées bourboniennes. En effet, le contrôle du détroit assurant le passage de la Méditerranée à l’Atlantique n’autorisait plus une navigation sécurisée des flottes. La présence anglaise à Gibraltar rendait difficile le commerce avec l’Amérique. Le désastre de Vigo en 1702, au cours duquel une partie de la flotte chargée de métaux précieux périt, met en évidence le rôle capital joué par les liaisons maritimes75. Les Pays-Bas espagnols et l’Italie dans son ensemble constituaient d’autres zones de front à surveiller. La révolte des Malcontents de Hongrie contre l’empereur Léopold servant parfaitement les intérêts de Louis XIV, elle faisait l’objet de nombreuses attentions. En 1703, Torcy avertissait Jean Orry à la cour d’Espagne pour le rassurer et lui dire que les révoltes menées par François Rákóczi donneraient tout le temps nécessaire pour la préparation de la guerre à l’ouest76. Après la chute du Milanais, Louis XIV espérait aussi que la situation hongroise interdirait à l’empereur de s’emparer du royaume de Naples77.
56La révolte des nobles hongrois avait éclaté en 1703. Après avoir proposé la couronne au roi de Pologne, ils avaient choisi un chef en la personne de Rákóczi, qui s’engagea dans des négociations avec Louis XIV78. La Hongrie paraît éloignée géographiquement mais il en est question dans plusieurs gazettes ou imprimés qui circulèrent en Espagne. L’évolution de la situation préoccupait tous ceux qui s’intéressaient à l’Empire. Elle est évoquée dans le Mercurio Veloz79, publié à Saragosse en juillet 170680, dans la Gazeta de Madrid du 19 janvier 1706, ou dans les papiers que le marquis de Gironella avaient envoyés à Grimaldo81. Homme de guerre, le marquis de Gironella était l’un des informateurs les plus précieux de José de Grimaldo. Leur abondante correspondance conservée à l’Archivo Histórico Nacional de Madrid souligne le caractère essentiel de son travail pour le secretario del despacho82. Parmi les documents qu’il lui envoya, il y avait notamment les Noticias de los felizes sucessos han tenido las armas cesare en Ungaria, que acà estavan ignorados, publicadas en Barcelona a 19 de enero 1707 [Notices des heureux succès des armées impériales en Hongrie, qui étaient ignorés jusqu’à maintenant, publiées à Barcelone, le 19 janvier 1707], dans lesquelles on apprenait que le maréchal Starhemberg s’était rendu maître des îles Scutz de Hongrie. Les victoires du prince Rákóczi sont également relatées dans les Narraciones históricas de Francisco de Castellví, austraciste notoire83.
57La situation de l’Empire était si étroitement liée aux affaires hongroises, que les secrétaires d’État l’évoquaient souvent avec leurs correspondants. Ce sujet vint à de nombreuses reprises sous la plume de Jérôme de Pontchartrain dans ses lettres destinées à Puyzieulx84. Il espérait que la rébellion des Malcontents durerait jusqu’aux négociations de la paix85. Le sort des Hongrois intéressait de près ou de loin tous les belligérants car il conditionnait la capacité militaire de l’empereur. D’ailleurs, le secrétaire d’État de la marine manifesta surtout ses inquiétudes à Puyzieulx, au moment où l’empereur Joseph tentait de ramener le calme par une déclaration de bonnes intentions et la promesse d’une amnistie86. La marche orientale de l’Empire se trouvait ainsi au cœur des enjeux et des luttes des princes européens.
58Torcy attira également l’attention d’Amelot sur les nouvelles venant de Hongrie. Un certain Stephano Barruchi de Raguse se chargeait ainsi de transmettre les nouvelles venant de Constantinople et de Hongrie au secrétaire d’État des affaires étrangères. Comme ce correspondant travaillait aussi pour le prince de Santo-Buono, alors ambassadeur de Philippe V auprès de la République de Venise, Torcy réclama pour lui la charge d’agent d’Espagne à Raguse :
Une des correspondances dont on se sert pour écrire à M. Desalleurs [Des Alleurs], est celle du Sr. Stefano Barruchi de Raguze, et l’on reçoit quelques fois, Monsieur, des nouvelles assez fraîches de Constantinople et de Hongrie, par cette route. M. le Prince de Santobuono ambassadeur du Roy Catholique à Venize, qui connoist ce correspondant, doit demander pour luy la charge d’Agent d’Espagne à Raguse, et a supplié Sa Majesté d’appuyer cette demande. Je luy ay répondu que je vous informerois des services que rend le Sr Barrichi, si vous entendez parler de cette affaire, vous pourrez facilité le succès, suivant ce que vous en jugerez, sur le rapport qui en sera fait87.
59Amelot était d’autant plus sensible aux affaires hongroises qu’il semble avoir, durant son ambassade à Venise, une vingtaine d’années auparavant, initié le suivi régulier et attentif de cette marche de l’Empire88. Lors de son ambassade à Madrid, il se chargea d’obtenir la Toison d’or pour le chef de révoltés hongrois. La remise du collier tarda car on hésitait à lui consentir le traitement d’un prince souverain89.
60En 1706, Louis XIV espérait que la diversion des Hongrois obligerait l’empereur à renoncer pour un temps à ses ambitions en Italie. Comme il l’écrivit à son ambassadeur à Madrid, il s’agissait du moyen le plus efficace pour conserver le royaume de Naples et de Sicile à son petit-fils :
Les troubles de Hongrie augmentent ; il faut que l’Empereur employe des forces plus considérables pour conserver le reste de ce royaume sous son obéissance. Ces diversions contribueront peut-être à maintenir la paix dans les royaumes de Naples et de Sicile, dans un tems où le roy catholique n’est pas en estat d’envoyer ou des troupes ou de l’argent pour leur deffense90.
61La situation militaire des différents fronts de l’Europe du Nord à l’Italie, de l’Afrique du Nord à la Hongrie était le premier point systématiquement évoqué dans les lettres entre Louis XIV et son ambassadeur. Amelot tenait le roi au courant des mouvements de troupes, de l’avancée des sièges ou encore de quelques coups d’éclat effectués par des détachements. Dans les moments les plus critiques, les marches des armées devenaient l’information centrale, comme à l’été 1706, lorsque Philippe V dut abandonner Madrid. La désertion des troupes et les trahisons attiraient de même l’attention du roi et de ses ministres91. Elles étaient un indicateur du moral des troupes, de l’état des forces ennemies et de leur capacité d’action. Un retard dans la solde ou le manque de pain étaient souvent synonymes de désertion. Les correspondances des gouverneurs font très souvent état des difficultés à pourvoir leurs troupes de l’équipement et de l’entretien nécessaires. Les lettres d’Amelot font écho aux difficultés quotidiennes pour assurer le ravitaillement et les fournitures de l’armée92. Chamillart comme Pontchartrain s’alarmaient souvent de la désertion dans les places espagnoles. Ils insistaient toujours pour que l’ambassadeur « prenne des mesures93 ». On veillait au moral des troupes. Pierre-Antoine Du Verger, ancien consul de la nation française à Lisbonne, le décrivait longuement à Pontchartrain depuis Cadix, où il s’était retiré94 et faisait office d’intendant des troupes95. La tête de pont vers l’Amérique espagnole méritait toutes les attentions. Sa garnison était ainsi l’objet de la vigilance de Du Verger qui veillait à l’équipement et au versement des soldes. Responsable d’opérations financières, ce dernier apparaît dans la documentation comme chargé de récupérer des fonds auprès du consulat de Cadix. L’organe de représentation des marchands refusait de rendre au duc d’Atrisco96, président du Conseil des Indes, 9 500 pesos qu’il avait avancés. Philippe V obligea le consulat à rendre cette somme au duc d’Atrisco qui choisit de la remettre à la Trésorerie de la guerre. Sur place, Pierre-Antoine Du Verger fut chargé de la transaction97.
62À l’inverse, l’ambassadeur se rassurait souvent en évoquant l’état de l’armée portugaise98, souvent jugé désastreux, et dont on enrôlait les soldats dans l’armée de Philippe V sans états d’âmes. Le mauvais équipement de l’armée et les désertions dont elle souffrait furent connus grâce à l’interception d’un courrier de Das Minas au roi Pierre II99. L’état des troupes était un élément que l’on aimait connaître. En 1706, dans les pires moments de la sortie de Madrid, Amelot était relativement rassuré par les rapports sur l’armée ennemie qu’il recevait. Un officier chargé des courriers de l’archiduc s’était rendu dans le camp de Philippe V pour y livrer tous ses paquets. Les lettres, qui furent rapidement lues car elles n’étaient pas chiffrées, insistaient toutes sur les problèmes d’argent, la désertion en masse des troupes et l’absence de vivres envoyées depuis deux mois100.
63Le chevalier Domingo Recco101, qui espionnait le principat de Catalogne, informait aussi régulièrement Chamillart de la désertion dans les troupes ennemies102. Même si ses données sont la plupart du temps imprécises car il ne fournissait jamais d’évaluations chiffrées, elles étaient sans doute jugées précieuses puisqu’il bénéficia des vives recommandations de Chamillart à qui Amelot promit d’agir en faveur de cet officier103. La désertion était un phénomène général dans les armées mais rien n’indique que la situation était pire dans l’un ou l’autre camp. On peut même penser que l’acheminement des soldes était plus aisé pour les armées bourboniennes puisque dans le camp impérial, les subsides provenant surtout d’Angleterre et de Hollande, les délais de paiement devaient être plus longs.
64Lorsque la fortune des armes servait un camp plutôt que l’autre, la diffusion des nouvelles de victoires ou d’actions engagées avec succès devenait stratégique. Les secrétaires d’État écrivaient ainsi rapidement à leurs correspondants pour les avertir. L’ambassadeur Puyzieulx représentait Louis XIV auprès des Cantons suisses. Au cours de cette mission, il lui appartenait de garantir le recrutement de troupes de mercenaires pour le roi de France et de s’opposer aux influences du représentant de l’empereur, Saint-Saphorin. Les Archives nationales comme celles du ministère des Affaires étrangères conservent les abondantes correspondances qu’on lui adressait pour le tenir informé de la situation militaire alors qu’il n’était pas directement concerné. Informer Puyzieulx permettait de diffuser les bonnes nouvelles depuis la Suisse jusque dans l’Empire. Amelot, comme Pontchartrain, lui écrivait régulièrement pour faire le point sur la situation des armées du roi dans la péninsule ou pour faire part des victoires104, comme lors de la capitulation d’Alcoy105. Cette guerre de « nouvelles » visait à exercer une pression psychologique sur l’adversaire.
65Outre les mouvements de troupes et la désertion, la circulation des flottes était surveillée. L’arrivée ou le départ d’un vaisseau, qu’il soit de guerre ou marchand, son passage près d’une côte donnaient lieu à des échanges de nouvelles. Le détroit de Gibraltar faisait ainsi l’objet d’une attention continuelle106. En 1706, lorsque Amelot apprit qu’une flotte ennemie avait de nouveau franchi le détroit, il fut rassuré pour Port-Mahon qu’il croyait menacé107. Le port de Lisbonne et de Barcelone où arrivaient les vaisseaux de la Grande Alliance faisaient l’objet de comptes rendus détaillés108. Les archives conservent ainsi des mémoires décrivant les escadres, les routes empruntées, mais aussi le nombre de tonneaux et de canons, et l’heure à laquelle elles ont été observées109. L’arrivée de la flotte anglaise en 1705, avec l’archiduc à son bord, fut l’objet d’une abondante correspondance entre Francisco Velasco, l’archevêque de Saragosse et José de Grimaldo à Madrid110.
66La destination, quand elle était connue, le nombre de vaisseaux, leur type, leur nationalité donnaient souvent lieu à des précisions supplémentaires111. Par un avis du 8 décembre 1705, venu du Portugal et dépêché à la cour de France par un courrier d’Amelot, le roi fut informé que dix vaisseaux portugais et quatre vaisseaux anglais mettaient la voile pour aller à Rio de Janeiro112. Deux mois plus tard, un autre avis informait de la préparation d’une flotte et des « grands préparatifs de Galloway113 ». Le 5 mars suivant, Amelot avait reçu d’autres nouvelles de Lisbonne par lesquelles il avait su que les trente-quatre vaisseaux qui mouillaient dans la capitale lusitanienne appareillaient114. L’ambassadeur supposa qu’ils partaient pour Barcelone.
67Secrétaire d’État de la marine, Jérôme de Pontchartrain appréciait lorsque Amelot lui donnait ce type de nouvelles115. Il lui en transmettait de son côté116. Le port de Barcelone et celui de Lisbonne concentraient l’attention, mais les littoraux n’étaient pas délaissés117. Pontchartrain pouvait ainsi donner des informations précises et circonstanciées sur les côtes d’Afrique du Nord118. Il alla jusqu’à proposer à Amelot de demander à des barques marchandes de garder la côte andalouse119, afin de mieux surveiller le passage des navires. Il savait également par ses correspondants que les côtes de Valence et les ports étaient ouverts aux vaisseaux génois venant de Lisbonne120. Il ne lui écrivait pas ceci pour l’impressionner par l’étendue de ses connaissances mais pour inviter l’ambassadeur à se plaindre de ces tolérances données aux Génois.
68La mer, dont la maîtrise était encore peu assurée, fut un champ d’affrontement durant toute la guerre. Voie de communication par excellence, les espaces maritimes ne constituaient pas seulement le prolongement de territoires en conflits, ils étaient totalement intégrés aux stratégies de combat. Les domaines maritimes et coloniaux plongèrent dans les conflits européens à partir du moment où ils n’étaient plus seulement le théâtre de combats éloignés mais devenaient les enjeux de la guerre de Succession. L’attention qui fut portée aux mouvements des flottes, lesquelles étaient par ailleurs plus faciles à dénombrer que les armées de terre, permet d’avoir des données très détaillées sur les escadres qui croisaient dans la Méditerranée.
69Le financement de la guerre étant en partie lié aux retours des convois de métaux précieux, la seule circulation des navires entre la péninsule et l’Amérique espagnole devenait une impérieuse nécessité pour le camp des Bourbons. L’espace caraïbe fut l’un des théâtres de première importance durant la guerre121 et Cadix le centre névralgique des ressources de l’armée des deux couronnes. La cité gaditane concentrait des troupes, surveillées par Pierre-Antoine Du Verger, et des vaisseaux du roi de France qui y stationnaient pour sa défense. Lorsque Louis XIV proposa que ces navires transportent le vice-roi du Pérou, récemment nommé, jusqu’à sa vice-royauté, il consulta Amelot. Ce dernier ne cacha pas au souverain son peu d’empressement pour cette mesure. Il ne voulait à aucun prix dégarnir la ville de Cadix, où les vaisseaux étaient nécessaires « dans un temps où ces mers sont remplies des flotes [sic] et des escadres ennemies122 ».
L’information d’un ambassadeur : un espion surveillé ?
70Si l’ambassadeur avait pour fonction d’informer le roi, il n’était pas le seul à avoir cette mission. Torcy aimait disposer de plusieurs canaux d’information. Au cours de la guerre de Succession, la situation créée par la présence d’un prince de la maison de Bourbon permettait au secrétaire d’État d’entretenir de nombreux correspondants. Outre Amelot, d’autres Français étaient susceptibles de tenir les ministres au courant des affaires : la princesse des Ursins, Orry, Daubenton, les missionnés de passage comme Blécourt ou Brancas, l’ancien ambassadeur Gramont, le représentant de Jacques III, le chevalier Toby Bourke123, et les maréchaux, comme Tessé ou Berwick. Le canal d’information pour le roi de France ne fut jamais unique. Cette multiplicité des sources tenait à l’union dynastique. Philippe V disposait d’une maison française autour de lui124 et sa montée sur le trône d’Espagne justifiait l’envoi de conseillers, d’ingénieurs comme Renaut et d’hommes de guerre qui pouvaient aussi écrire directement au ministre. La situation d’Amelot à Madrid se distinguait ainsi nettement de celles qu’il avait connues au cours de ses précédentes missions. Il pouvait également être surveillé par les Français de la maison française du roi venus en nombre. L’envoyé du Prétendant Jacques III, Toby Bourke, qui servait d’informateur à Torcy, le renseignait sur l’activité de l’ambassadeur. Il mettait par exemple en évidence la bonne entente entre l’ambassadeur et le maréchal de Berwick ou la princesse des Ursins125. Il permettait ainsi au ministre de ne pas dépendre du seul récit de l’ambassadeur et de confronter ses dires avec d’autres sources d’informations.
71L’ensemble de la documentation reçue à Versailles constituait un important gisement de connaissances pour le roi et Torcy mais servait de surcroît à transmettre ou assurer une connaissance du pays dans lequel se rendait le diplomate. Le roi faisait, par exemple, communiquer les lettres soigneusement gardées par ses envoyés à celui qu’il envoyait en mission pour leur succéder. Ainsi, Amelot put lire les dépêches du duc de Gramont avant de partir126, tout comme, au milieu du xviie siècle, l’archevêque d’Embrun avait eu accès aux lettres de ses prédécesseurs127. Lorsque Colbert de Croissy voulut former son fils, le futur marquis de Torcy, aux affaires étrangères, il lui fit étudier les dépêches anciennes128. Signe d’une tendance à la professionnalisation de la mission, cette utilisation des dépêches anciennes pour former les négociateurs et les instruire de la situation du pays où ils étaient envoyés explique aussi pourquoi les stéréotypes étaient repris par la plupart des diplomates.
72La constitution des archives trouve d’ailleurs son origine dans la volonté de transmettre aux ambassadeurs les archives de leurs prédécesseurs129. Le 22 décembre 1709, le roi prit en son Conseil la décision de créer un nouveau bureau des Affaires étrangères. Destiné à recueillir les papiers des agents, ce « Dépôt des Archives » du ministère fut installé au Louvre. Toutefois, un dépôt officieux des minutes existait déjà depuis le début du règne de Louis XIV. Son secrétaire d’État des affaires étrangères, le marquis de Torcy, avait obtenu du roi quelques pièces du vieux Louvre pour rassembler les papiers des négociations. Ce fonds comprenait toutes les affaires depuis 1661. En 1671, le roi avait donné l’ordre, en cas de décès de son secrétaire d’État des affaires étrangères Hugues de Lionne, d’apposer les scellés sur sa demeure afin de garantir les archives. Ces dernières furent matériellement organisées en 1688, lorsque la reliure complète de tous les volumes fut décidée.
73L’ensemble de ces documents, qui constituent aujourd’hui le fonds des séries Correspondance politique et Mémoires et documents du ministère des Affaires étrangères, livrent ainsi une forme de mémoire des relations extérieures de Louis XIV, mais aussi de toute l’information qui lui parvenait. Loin d’être uniquement composées des lettres des ambassadeurs ou des envoyés, ces séries contiennent aussi des mémoires anonymes, des rapports d’espions, des gazettes envoyées depuis l’étranger, et une multitude de feuilles volantes et de pamphlets. Les informations les plus sérieuses comme les rumeurs les plus farfelues ont ainsi souvent laissé une trace. Elles révèlent l’enchâssement de différents conflits à l’échelle de l’Europe et la dimension mondiale de la guerre de Succession d’Espagne.
74Analyser les nouvelles transmises par Amelot nécessite de recourir sans cesse aux autres voies d’information dont la cour de Versailles disposait. Aux dépêches de l’ambassadeur venaient en effet s’ajouter, dans le contexte particulier de la guerre de Succession, les renseignements donnés par les chargés d’affaires, les consuls, certains marchands ou des seigneurs de la cour. Cette situation plaçait l’ambassadeur dans une position inconfortable ou délicate, car il pouvait rapidement être nuancé ou contredit. Dans le cas de l’ambassadeur Amelot, cette surveillance passait par les nombreux Français présents à la cour de Madrid qui écrivaient directement à la cour de Versailles, comme la princesse des Ursins, Philippe V et son épouse, le marquis de Blécourt ou encore le chevalier de Bourke.
IV. — L’information « sonnante et trébuchante » ou du bon usage de l’argent dans les négociations
75On peut distinguer deux voies principales pour analyser les relations entre l’information et l’argent dans l’histoire des négociations. La première, connue et déjà en partie défrichée, est celle du paiement de l’information. Il s’agit par exemple de retrouver les modalités, les acteurs et les réseaux de tous ceux qui étaient prêts à payer pour savoir et connaître les principaux événements d’une cour étrangère. L’argent est alors un moyen de l’action diplomatique puisqu’il permet d’acquérir de l’information. La seconde voie d’étude des relations entre l’argent et l’information est celle où ces deux notions sont plus intimement mêlées, c’est-à-dire le moment où les questions financières et par extension économiques constituent le cœur d’une information. Elles n’en sont plus un moyen comme dans le premier type de relation mais elles deviennent constitutives l’une de l’autre.
76À première vue, il pourrait sembler anachronique d’évoquer « l’information économique et/ou financière » pour l’époque moderne. Cette expression résonne comme un écho à une notion contemporaine à laquelle nos sociétés sont habituées. L’historiographie n’a pas pour autant délaissée ce champ d’études130.
77Si la quantification de la richesse ne s’opère plus aujourd’hui de la même manière et sur les mêmes critères, la puissance économique d’un souverain ne laissait pas indifférents ses rivaux sur la scène internationale. Le nombre de troupes disponibles, la capacité militaire d’un État ou d’une principauté constituaient bien évidemment les premiers critères pour apprécier la puissance d’un prince. Ils n’étaient cependant pas les seuls : ses ressources, son commerce et l’abondance de ses États constituaient d’autres éléments recherchés. Par l’économie d’une puissance et de son prince, il faut entendre les finances, le commerce, la monnaie et toutes les activités productrices. L’information économique concernait, au début du xviiie siècle, surtout les finances et le commerce. Les finances d’un prince et celles de son État se confondaient largement. Il n’y avait pas de séparation nette. Le commerce quant à lui était considéré comme un moyen pour abonder le trésor royal, ainsi que le défendaient les thèses mercantilistes. L’organisation et la rationalisation progressive des finances fut un processus parallèle et intimement mêlé à celui de l’émergence et la construction de l’État, au sens moderne du terme.
78L’historiographie depuis les années 1980 s’est beaucoup intéressée à la notion d’État moderne131. Les interrogations soulevées par l’utilisation de ce concept ont favorisé de nombreuses études, portant sur la naissance d’une bureaucratie avec la multiplication des commissaires, l’organisation et la rationalisation de l’outil militaire, comme l’armée de Louis XIV132, le développement de la fiscalité et les nombreux offices dont elle avait besoin. Les études de ces différents instruments ont souvent permis de mettre en évidence le renforcement de l’administration monarchique. Michel Antoine a résumé ce lent processus d’accroissement de l’emprise fiscale en parlant d’un « État de finance » qui se serait substitué, au cours des xvie et xviie siècles, à un « État de justice ». L’essence du pouvoir régalien ne résidait plus tant dans le sceptre du roi que dans sa capacité à soumettre ses sujets à de nouveaux impôts.
79Dans le champ des relations internationales, les finances des princes et les liens entre celles-ci et les politiques extérieures restent encore en partie méconnus. Du point de vue de l’information, analyser les liens entre finances et relations internationales soulève deux questions. Comment ou dans quelle mesure un prince utilisait-il l’argent ou des bénéfices économiques pour obtenir des renseignements ? Comment les informations recherchées attestent-elles de l’importance accordée aux finances du prince ? La plupart des études portant sur la diplomatie à l’époque moderne insistent souvent, à un moment ou à un autre, sur l’importance de l’argent dans le cours des négociations, notamment pour l’obtention de renseignements. L’instruction laissée à Baltasar de Zúñiga en 1603 contenait la recommandation suivante : « Vous devez avoir un très grand soin à être attentif à pénétrer l’état des choses dudit royaume [de France], à voir où en sont les finances133… ».
80Communément désigné par le terme « fonds », l’argent est souvent envisagé dans les cas de corruption d’un ministre étranger, pour soutenir une alliance ou une faction dans une cour étrangère. Le versement pouvait être direct par le versement de subsides, ou plus discret sous la forme de cadeaux. La promesse d’une gratification, d’un cadeau, comme les bijoux, ou de quelques avantages servait à obtenir par exemple des informations134. La corruption d’un ministre ou d’un conseiller influent était considérée comme le moyen le plus sûr pour percer des secrets et pour vérifier l’écho de rumeurs ou de bruits135. Cette idée d’une diplomatie ne reculant jamais devant la dépense pour soutenir une négociation est confirmée par le jugement des contemporains. En 1671, le Hollandais, Grotius notait : « [La France] achète partout ce qu’elle ne peut pas conquérir136 ».
81Payer un ministre étranger constituait le meilleur moyen de le rendre conciliant pour une négociation ou d’obtenir des informations. Louis XIV le reconnut lui-même dans ses Mémoires de 1666 :
Il arrive souvent que des sources médiocres dispensées dans leur temps et avec jugement, épargnent aux États et des dépenses et des pertes incomparablement plus grandes. Faute d’un suffrage que l’on pouvait acquérir à bon marché, il faut quelques fois lever de grosses armées : un voisin qu’avec peu de dépense nous aurions pu faire notre ami, nous coûte quelque fois bien cher quand il devient notre ennemi137.
82Envoyé en Pologne, le marquis de Béthune écrivait aussi que là-bas « tout est possible pour de l’argent138 ». L’élection du roi de Pologne et la Diète polonaise favorisaient le rôle et la place des pensions et gratifications en tout genre pour mener une action diplomatique.
83L’interaction entre les finances et les négociations a souvent été étudiée sous l’angle de l’obtention de l’information139. Les historiens se sont intéressés à cette question afin de montrer comment la corruption servait à pénétrer les secrets d’un prince étranger et à connaître les ressorts de ses décisions. Toutefois, les questions financières ont rarement été considérées comme un champ ou un domaine de l’information. En effet, les finances ne constituaient pas seulement un moyen d’acquisition d’information, mais l’un des sujets ou des thèmes abordés dans les différents types d’imprimés. L’utilisation d’arguments financiers durant le conflit apparaît comme l’un des éléments participant à la conduite d’une mission diplomatique.
Subsides et cadeaux
a) De la théorie…
84Si les questions financières n’ont pas fait l’objet d’une étude globale et complète, on peut cependant retrouver des indices pour leur analyse dans de nombreux écrits politiques qui, dès la fin du Moyen Âge, permettent de souligner quelle l’attention, théorique et pratique, leur est portée. Il s’agit donc moins de savoir s’il existait des liens ou des interactions entre les finances et les relations internationales, que de retrouver comment les premières s’intégraient dans les secondes ou pouvaient être instrumentalisées par celles-ci. Analysées dans le cadre de l’information, les questions économiques, financières et commerciales soulèvent le problème de leur utilisation comme un argument de propagande : faisaient-elles l’objet de libelles, de pamphlets ou de placards ? Quels étaient les objectifs assignés à de tels supports ?
85Les ressources financières d’un prince et les liens économiques ou commerciaux entretenus avec les pays étrangers attiraient depuis longtemps l’attention des princes et de leur entourage. Cette préoccupation pour la puissance donnée par la richesse d’un État se retrouve dans la plupart des traités ou essais portant sur la figure du prince ou les arcanes de la politique.
86Depuis la fin du Moyen Âge, tous ceux qui s’intéressaient aux relations entre les princes insistaient sur l’importance de connaître les ressources financières de son allié ou de son adversaire. Au xive siècle, pour Christine de Pisan par exemple, un prince devait d’abord compter ses deniers avant d’entreprendre une bataille ou un conflit140. Deux siècles plus tard, le cardinal de Richelieu laissait un conseil similaire dans son Testament politique141. Il assimilait les finances d’un État à un « point d’Archimède ». La métaphore géométrique conférait à cette maxime l’intangibilité des lois mathématiques.
87Dans les ouvrages de théorisation sur la fonction de négociateur, le rôle de l’argent pour l’obtention d’informations est également présent. Régaler un ministre étranger était un moyen légitime pour obtenir des nouvelles. Dans son traité L’ambassadeur et ses fonctions, Abraham Wicquefort consacra la neuvième section de son second livre à cette question. Selon lui, « il est permis à l’Ambassadeur de corrompre les Ministres de la cour, où il négocie142 ». Il donnait ensuite une série d’exemples : Henri IV, se justifiant devant l’ambassadeur d’Espagne qui l’accusait de corrompre les ministres espagnols de la cour de Bruxelles ; le duc de Longueville, qui souhaita offrir un présent au député Reede de Nederhorst et à son secrétaire lors des négociations de Westphalie ; ou encore Philippe de Commynes, qui vantait les mérites de la corruption pour pouvoir « découvrir les affaires d’un prince143 ».
88Selon Commynes, l’usage d’un tel procédé ne contrevenait pas au droit des gens144. Abraham Wicquefort donne également l’exemple de l’arrestation du secrétaire de l’ambassadeur espagnol par Henri IV. Coupable d’espionnage pour le compte de son maître, le secrétaire de l’ambassadeur fut emprisonné, sans que la moindre critique soit émise à l’encontre du donneur d’ordre, c’est-à-dire l’ambassadeur lui-même145. À Venise, l’ambassadeur du roi de France, l’évêque de Montpellier, Guillaume Pelissier, avait acheté Massée Leone et les frères Canasses. Le Sénat vénitien punit sévèrement ces sujets sans pour autant émettre la moindre plainte contre l’envoyé français. Cette attitude paradoxale souligne que l’usage, sans être accepté ni légitime, était toléré tout en faisant parfois l’objet de punitions et de sanctions. Si Wicquefort accepte le recours à cette pratique, il interdit totalement de recevoir un cadeau.
89Wicquefort prenait toutefois de la distance avec les arguments de Commynes, d’Henri IV et les procédés de la République de Venise. Critiquant les exemples qu’il donnait, il notait que le droit des gens servait « à la conservation de la société civile146 », et qu’accepter la corruption revenait à défendre ceux qui portaient atteinte à la société dans son ensemble. Les propos de Wicquefort à la fin du xviie siècle marquaient finalement une étape : cette pratique était dorénavant plus répréhensible qu’auparavant.
90Recevoir un cadeau, une gratification ou toute autre faveur d’un prince étranger était le plus souvent prohibé. Les envoyés des Provinces-Unies, par exemple, avaient l’interdiction de recevoir un présent d’un souverain. Durant les négociations du traité de Westphalie, les Hollandais Reede de Nederhorst et son secrétaire refusèrent à ce titre un cadeau de Longueville : ils ne pouvaient accepter aucune sorte de « libéralité » tant que la négociation durait. Au xvie siècle, la reine Elisabeth Ire d’Angleterre fit arrêter Nicolas Clifford et Antoine Sherley car ils avaient accepté l’ordre de Saint-Michel de la part du roi de France. La reine Christine de Suède refusa aussi que le comte de la Guarde soit élevé à la dignité de Prince de l’Empire147, où il résidait en tant qu’ambassadeur. Les rapports entre l’ambassadeur et l’argent étaient fondamentalement ambigus. Si on lui reconnaissait le droit de corrompre, il ne pouvait l’être lui-même. Il lui était donc autorisé de recourir à des méthodes qui à l’inverse ne devaient avoir aucun effet sur lui.
91La plupart des grandes charges auliques et des missions à l’étranger interdisaient d’accepter des présents de souverains étrangers. C’était le cas des envoyés hollandais, comme nous venons de le voir, mais aussi des Français148 et des Espagnols. Le comte d’Aguilar (fils), envoyé en mission en novembre 1705 à Versailles, refusa ainsi un présent. Dans une dépêche adressée à Philippe V, il raconte comment l’introducteur des ambassadeurs, M. de Sainctot, lui montra la collection de médailles qui illustrait l’histoire de Louis XIV. Sainctot souhaita lui en offrir une, mais d’Aguilar déclina au prétexte qu’il exerçait la charge de capitaine des gardes du corps. À ce titre, il avait prêté serment de ne jamais recevoir un cadeau d’un prince étranger149.
b) … à la pratique
92Dans son traité sur l’Art de négocier, François de Callières considère les subsides, les gratifications et les diverses pensions versées à des ministres étrangers, comme une obligation du prince150. Pour Vera y Zúñiga, négociateur de Philippe IV à Venise, l’argent est un instrument du diplomate pour gagner des partisans à la cause de son maître. Dans le portrait qu’il dressa du bon ambassadeur, il livrait ses conseils sur ce sujet. Il donnait précisément l’exemple des Cantons suisses. Pour négocier avec les députés des Cantons suisses, quelques avantages pécuniaires, joints à de solides arguments, les rendaient plus attentifs.
… ici, le prétendant [c’est-à-dire le négociateur] rend visite à tous les députés à leur domicile. Comme il est possible à ces derniers de recevoir des cadeaux, il leur est aisé d’en satisfaire ; de sorte que si le prétendant déploie toute son astuce, accompagnée d’arguments et d’argent, il pourra obtenir de nombreux bénéfices de cette nation151.
93Les diètes étant toujours traversées par de multiples oppositions, soumises à des tensions, des rivalités et des concurrences entre leurs membres, elles offraient un cadre propice au développement de la corruption ou des pots-de-vin. Le corps helvétique redoutait particulièrement les sessions de la diète propices à ce type de pratiques152.
94Si la subornation des ministres et hauts personnages était courante, elle était rarement acceptée. La frontière entre le subside, dans le cas d’une alliance par exemple, et la corruption était ténue. Un prince qui acceptait des dons en argent risquait de voir sa réputation ternie. La publicité de tels usages n’allait pas sans risque. En 1704, lorsque Raymond-Balthazar Phélypeaux du Verger revint de sa mission en Savoie, il commit l’imprudence de diffuser une relation de son ambassade dévoilant des malversations du duc de Savoie ; il s’attira de la sorte l’inimitié de la duchesse de Bourgogne, fille du duc153.
95La pratique du subside était ancienne et parfois même reconnue dans un traité. Ce fut le cas au moins à trois reprises entre le roi de France et les Provinces-Unies, en 1624154, 1630155 et 1637156, lorsque Louis XIII finançait la rébellion des anciens sujets du Roi Catholique. Louis XIV reprit la politique de son père et durant la Régence, deux nouveaux traités furent signés entre le roi et les Provinces-Unies : le 29 février 1644 et le 13 mai 1646, le roi de France s’engagea à apporter des secours financiers157.
96Les princes de l’Empire étaient habitués à percevoir des fonds de la part du roi de France. L’électeur palatin signa ainsi un accord en 1656, par lequel il nouait une alliance avec Louis XIV en échange de subsides158. Le duc de Hanovre fit de même le 10 décembre 1672159. Durant la guerre de Succession, les électeurs de Cologne et de Bavière reçurent aussi des subsides, dont les remises étaient opérées par Samuel Bernard160.
97L’électeur de Brandebourg et plusieurs de ses ministres reçurent environ 4 millions de livres entre 1668 et 1688161. Le duc de Neubourg, l’électeur de Cologne et celui de Mayence profitaient également des libéralités de Louis XIV. Les électeurs de Saxe et de Bavière reçurent des subsides dans les années 1670 et des cadeaux furent envoyés à plusieurs députés des États-Généraux en 1663162. La Suède, traditionnelle alliée de la France dans le Nord, était aussi une destination des subsides. À l’occasion de la montée du duc d’Anjou sur le trône espagnol, le représentant de Louis XIV à Stockholm, Guiscard, dépensa près de 12 000 livres pour tenter d’arracher la reconnaissance du roi de Suède163.
98Durant son ambassade à Madrid, c’est la cour de Lisbonne qu’Amelot sollicita et surveilla avec attention en jouant le rôle d’intermédiaire pour l’envoi de subsides. Dès son arrivée en avril 1705, Amelot s’employa à transmettre des fonds à Lisbonne. Comme nous le verrons plus tard, il s’appuya sur une intermédiaire, Mme d’Elvas, et sur un réseau de moines164. Les moines et les religieux étaient des pièces maîtresses des services d’espionnage en Europe à l’époque moderne. Leur position ou leurs ambitions pouvaient les amener à confier un secret contre une somme d’argent ou un cadeau, souvent sous la forme d’un bijou165. L’habit ecclésiastique constituait un déguisement commode qui assurait à l’informateur, en vertu du rôle social des ministres de l’Église, une sécurité et un charisme dissuasif bien utiles.
Connaître et évaluer les ressources financières : une mission pour les diplomates
99Les subsides, les présents et les cadeaux ne servaient pas seulement à corrompre pour négocier. L’argent, de manière générale, faisait l’objet d’une instrumentalisation. Il importait à un prince de connaître la richesse de ses rivaux ou de leur faire croire qu’il était plus riche qu’eux. Dès lors, la richesse, réelle ou supposée, pouvait faire l’objet de mises en scène visant à exalter l’abondance ou la pauvreté d’un État.
100Les théoriciens du politique et de l’exercice des fonctions de négociateurs ne furent pas les seuls à s’intéresser à la question des ressources économiques d’un prince. La compétition entre les têtes couronnées dans la hiérarchie des princes, la rivalité entre les maisons Habsbourg et Bourbon, incitèrent leurs conseillers et leurs ministres à surveiller les richesses de leurs concurrents. C’est dans les cercles les proches du pouvoir que l’interaction entre finances et diplomatie suscita le plus de réflexions.
101Après Richelieu, la plupart des ministres de Louis XIV eurent à l’esprit la compétition commerciale avec les Provinces-Unies d’abord, l’Angleterre ensuite. Il s’agissait, dans un contexte empreint de mercantilisme, de développer les échanges afin d’asseoir la puissance économique du royaume pour mieux contrebalancer celle des rivaux.
102Toutefois, au-delà du simple conseil ou de l’avertissement, l’idée d’analyser précisément et exhaustivement les ressources financières — c’est-à-dire le moyen de payer des troupes — fut relativement tardive. C’est au milieu du xviiie siècle que l’on trouve les premières traces d’une volonté systématique de les prendre en compte avant toute décision. François Véron Duverger de Forbonnais livra ses réflexions sur les liens entre d’une part, la diplomatie, et d’autre part, le commerce ou les finances, dans une dissertation adossée à l’une de ses publications. Il étoffa la deuxième édition de ses Considérations sur les finances d’Espagne en 1755, avec des Réflexions sur la nécessité de comprendre l’étude du commerce et des finances dans celle de la politique (Paris, Frères Estienne). L’analyse du commerce et des finances d’un État et d’un prince permettait de mieux comprendre ses initiatives politiques et diplomatiques.
103Avant cette théorisation de Forbonnais, la dimension économique, commerciale ou financière était rarement envisagée. Si les finances d’un prince conditionnaient son potentiel militaire, cela n’avait pas pour autant donné lieu à des analyses systématiques ou exhaustives de la part de conseillers des princes ni de théoriciens du politique. Néanmoins, si les pensées de Forbonnais apparaissent comme le moment où ces préoccupations furent complètement intégrées dans l’ars gobernandi, leur prise en compte se fit progressivement du xve au xviiie siècle.
104Il convient donc de retrouver les moments, les événements et les documents où affleurent ces liens discrets mais réels entre les politiques extérieures des princes et les moyens qu’ils avaient à leur disposition pour les conduire.
105Outre les mentions sur les subsides et les pots-de-vin versés à des ministres étrangers, les relations entre les finances et la diplomatie apparaissent lors de l’instrumentalisation des premières dans la conduite de la seconde. En effet, l’état des finances d’un prince pouvait servir d’argument dans le cours d’une négociation et faire l’objet d’information ou d’une forme de « désinformation166 », pour employer un vocabulaire contemporain. Les questions financières se trouvaient ainsi parfois étroitement liées à la négociation elle-même.
106L’intoxication, en jetant le soupçon, était une pratique ancienne des envoyés. Dénoncer publiquement le versement d’une pension revenait à semer l’opprobre, ou au moins le soupçon, sur quelqu’un. Ainsi, après l’assassinat d’Henri IV, l’ambassadeur du Roi Catholique, Cárdenas167, accusa Sully de prévarication. Cherchant à le perdre aux yeux de la reine mère, Marie de Médicis, il le suspectait de recevoir une pension des Hollandais. Selon Cárdenas, les Provinces-Unies lui devaient 600 000 écus. Cette dénonciation calomnieuse n’eut pas les effets escomptés, à savoir la démission de Sully. L’ambassadeur cherchait à le perdre car il n’était pas favorable à un rapprochement avec l’Espagne. En réalité, la démission du surintendant était intervenue la veille168.
107Dans cet exemple, l’intoxication échoua mais elle montre comment le versement de subsides et de pensions pouvait être instrumentalisé pour servir une action diplomatique. Dénoncer Sully permettait de noircir le parti de la cour favorable à un climat d’apaisement avec les Provinces-Unies, ce qui n’était pas du goût de l’envoyé espagnol. Cet usage de l’intoxication par la calomnie était aussi ancien que l’activité diplomatique. L’argent, versé sous forme de pensions ou de subsides, servait une stratégie de dénigrement qui visait à décrédibiliser un adversaire.
108Hormis les subsides, les différents cadeaux que l’on offrait et les moyens à consacrer à la politique extérieure, la question des finances et du commerce se trouva peu liée à la diplomatie avant Colbert, qui fut sans doute le premier des ministres de Louis XIV à s’en préoccuper au point de charger les diplomates de les surveiller. Si la « guerre d’argent » de Jean-Baptiste Colbert contre les Provinces-Unies est connue, la vigilance qu’il exigea des diplomates envoyés à Madrid l’est beaucoup moins. Son action ne peut ainsi se réduire à la conduite d’une politique mercantiliste.
109Il prêtait particulièrement attention aux innovations monétaires et fiscales des États voisins, et de l’Espagne en particulier. La remise des dettes à la couronne que Juan de Austria ordonna en 1677 le préoccupa beaucoup. Inquiet de cette mesure, qui risquait de tarir les transferts de métaux précieux en France, Colbert prépara une instruction pour le marquis de Villars169, alors ambassadeur du Roi Très Chrétien à Madrid. Il le chargeait d’obtenir une série d’exceptions et d’amendements à ce projet. L’ambassadeur était ainsi officiellement chargé de défendre les intérêts commerciaux de la nation.
110Colbert consultait régulièrement les ambassadeurs pour obtenir des informations sur le commerce des pays étrangers170. À son frère Croissy alors ambassadeur à Londres, il fit la recommandation suivante : « Ne manquez pas d’examiner toujours tout ce qui concerne la consommation de nos vins, denrées et manufactures en Angleterre, et faites-vous en informer le plus soigneusement et le plus secrètement que vous pourrez171 ». Ce souci de mieux connaître le commerce des autres pays se retrouve dans les lettres d’instructions commerciales, comme celles laissées au marquis de Feuquières lors de sa mission en Suède en 1680. On lui recommandait de « bien reconnaître » comment développer le commerce franco-suédois, les variations du prix du sel, et les droits payés sur le vin.
111Les ambassadeurs pouvaient ainsi servir les intérêts financiers et économiques du royaume. Ils étaient sollicités dans leurs fonctions de négociateurs afin d’aider un dispositif qui mêlait étroitement les relations extérieures d’une part, et les impératifs économiques d’autre part. Les questions économiques ne se trouvaient pas seulement reléguées dans les derniers articles d’un traité mais participaient de plus en plus à l’élaboration d’une diplomatie.
112Il est difficile, avant la guerre de Succession d’Espagne, de mettre en évidence l’importance des questions économiques, tant la figure du « Roi de gloire », d’un souverain qui aimait la guerre, selon ses propres mots, et les logiques dynastiques semblaient l’emporter sur d’autres considérations. Mis à part le commerce, qui fut un enjeu de la guerre contre les Provinces-Unies (1672-1676) et un motif de l’acceptation du testament de Charles II, les préoccupations économiques, si elles apparaissaient, n’imposaient pas véritablement leurs impératifs ou leurs priorités172.
Publicité et finances : le double usage du crédit
113À défaut, les questions financières servaient à mobiliser l’opinion et à soutenir une action. Dans la guerre d’informations que se livraient les belligérants, les finances du prince apparaissent comme un argument utilisé sous diverses formes. Manuscrits, imprimés ou placards instrumentalisaient cette question pour mobiliser les populations.
114Pour mettre en évidence la vigueur et le pouvoir du jeune Louis XIV, l’archevêque d’Embrun, son ambassadeur auprès de Philippe IV, avait préparé un mémoire dans lequel il exaltait ses réformes financières173 afin de mieux impressionner le roi d’Espagne. Dans les instructions données au marquis de Feuquières en 1685, l’ordonnancement bienfaisant des finances du roi était à nouveau souligné. Il permettait d’entretenir des troupes « aguerries ». Dès lors, le marquis de Feuquières devait faire entendre aux principaux ministres du roi d’Espagne,
que rien n’étoit pour lors capable de faire le moindre obstacle aux puissantes armées de Sa Majesté composées de troupes très aguerries et parfaitement disciplinées, toutes animées ou par la présence de Sa Majesté ou par ses ordres, pourvues de tout ce qui peut être nécessaire aux plus grandes entreprises par les trésors infinis dont l’admirable conduite de Sa Majesté a rempli son épargne et qui augmentent encore tous les jours par l’application qu’elle veut bien y donner174.
115Les finances du Roi Très Chrétien ne faisaient pas seulement l’objet de mémoires destinés à impressionner les ministres étrangers. Elles trouvèrent également leur place dans la galerie des Glaces du château de Versailles. Une composition intitulée L’ordre rétabli dans les finances (1662), orne ainsi le plafond de la Grande Galerie du palais. Dans ce décor de glorification du monarque, un programme historique remplaça un programme mythologique, soulignant ainsi l’importance de la réorganisation financière dans l’imaginaire politique que la monarchie cherchait à diffuser175. L’ordre rétabli dans les finances, La protection accordée aux beaux-arts, Le rétablissement de la navigation et la Réformation de la justice constituaient un ensemble de quatre ovales placés autour du tableau central, Le roi gouverne par lui-même (1661). La renovatio imperii se trouvait ainsi illustrée au cœur du programme iconographique de la galerie176. L’ordre rétabli dans les finances invitait le visiteur à contempler l’action du souverain dans ce domaine, comme d’Embrun et Feuquières le mettaient en évidence dans leurs mémoires adressés au roi d’Espagne et à ses ministres. La composition trouvait ainsi sa place au milieu des triomphes diplomatiques représentés. Située à côté de La paix conclue à Aix-la-Chapelle, elle participait à illustrer les gloires du souverain, comme le faisaient La prééminence de la France reconnue par l’Espagne et La réparation de l’attentat des Corses (1664) dans le domaine diplomatique. Cette communication servait les intérêts du prince en tentant de susciter l’admiration. Jusqu’au xxe siècle, et plus particulièrement dans l’historiographie de la IIIe République, l’image d’un souverain veillant au bon ordre de ses finances est restée vivace. Elle en est venue à constituer une « image d’Épinal », tout comme la mythification de l’austère contrôleur général des finances Jean-Baptiste Colbert177.
116Comme dans la célèbre peinture Le roi gouverne par lui-même représentant le roi prenant la conduite de ses États, Louis XIV était ici l’initiateur de ce rétablissement. Dans ce tableau, le roi est assis et s’appuie sur le timon du gouvernement178. Désignés par sa main droite, les financiers, représentés sous la forme de Harpyes, sont chassés par Minerve. Aux pieds du roi, se trouvent la Fidélité et la France. La Fidélité tient un livre de comptes que le roi désigne de sa main gauche par une clé, qui semble être celle du trésor royal. Il manifeste ainsi qu’il est le seul ordonnateur de ses dépenses179, tandis que la figure de la Fidélité est une allégorie de la réforme de Colbert dans les finances180. C’est ce dernier qui avait introduit la comptabilité à partie double. Si le message n’était pas suffisamment clair, une inscription rappelait que « le meilleur des princes prend en main lui-même l’administration du trésor » (Ærarium ab ipso optimo principe administratum)181. La scène s’inspire peut-être d’une gravure anonyme du 21 octobre 1624, dans laquelle on voit La France demande[r] justice au roi contre ses financiers182.
117L’instrumentalisation des questions financières ne servit pas seulement à souligner l’effort de glorification du monarque mais devint aussi un outil de propagande contre ses adversaires. Dans la seconde moitié du siècle cependant, ces questions furent utilisées par les pamphlétaires pour nourrir l’opposition à la politique du roi de France et le décrier.
118Des placards, mais aussi des estampes, avaient pour objet les difficultés financières du roi. Après le temps de la glorification de L’ordre remis dans les finances du plafond de la galerie des Glaces, vint celui années de misère et de crises financières de la fin du règne. Plusieurs documents datant de la guerre de Succession d’Espagne attestent de cette instrumentalisation des finances par les ennemis de Louis XIV dans le cadre des relations internationales. Il ne s’agissait plus alors de glorifier mais de railler voire de décrédibiliser le roi de France, de faire de ses difficultés pécuniaires un argument à charge contre lui. Diffuser l’idée selon laquelle le roi ne pouvait plus payer ses dettes constituait le meilleur moyen de tarir ses emprunts, en ruinant la confiance des créanciers dans sa capacité à rembourser. Dans une Europe épuisée par les guerres, souligner les problèmes de trésor de Louis XIV servait à regonfler le moral de ses adversaires.
119Les compilations de documents publiés au début du xviiie siècle permettent d’analyser comment la question des finances du roi fut utilisée contre lui. Les finances, puis nous le verrons plus loin le commerce, apparaissent comme un élément des plaidoyers développés contre le roi de France. L’interaction entre arguments financiers et propagande se manifesta clairement au cours de la guerre de Succession.
120Guillaume de Lamberty compila au début du xviiie siècle une série de documents se rapportant à cette période. Né vers 1660 et mort en 1742, il a cherché à faire œuvre d’historien en rassemblant des imprimés, placards, lettres, déclarations et édits, qu’il a ensuite triés et présentés de manière chronologique. Allant au-delà du travail du compilateur, il analyse et présente les documents qu’il a choisis. Parmi eux, on trouve plusieurs placards illustrant l’utilisation politique du thème des finances du roi pour l’attaquer.
121L’un d’entre eux est un bon exemple de la manière dont les arguments financiers étaient employés pour détruire le crédit de Louis XIV et l’empêcher de pouvoir emprunter les fonds nécessaires pour financer la guerre. C’est en quelque sorte, pour paraphraser Clausewitz, la poursuite de la guerre par d’autres moyens qui seraient l’atteinte à la réputation de la solidité financière d’un trésor royal.
a) Avant les agences de notation : la réputation comme source de crédit
122Un placard intitulé Avis du Sr. Huguetan sur l’épuisement de la France183 et publié en 1709 permet de comprendre combien la réputation financière constituait un élément déterminant des stratégies pour assurer le crédit du roi. Jean-Henry Huguetan était originaire de Lyon. Il était issu d’une famille de libraires protestants, partie en Hollande à l’occasion de la révocation de l’édit de Nantes (1685)184. Émigré, il consentit toutefois à entrer dans des avances de fonds pour les armées de Louis XIV durant la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Au début de la guerre de Succession d’Espagne, le banquier Samuel Bernard l’engagea à fournir le paiement des troupes en Flandres. Le retard de paiement de ses créances et, surtout, l’interdiction faite par les Provinces-Unies de procéder à des remises de fonds vers la France ruinèrent ses efforts, et il passa à Genève.
123On retrouve l’écho de ses aventures dans les publications de l’époque. Ses écrits étaient aussi connus des contemporains, comme Mme Du Noyer (1663-1720), noble protestante du Refuge qui avait fait profession de nouvelliste185. Elle publia des Lettres historiques et galantes (Cologne, 1704), puis des Mémoires à partir de 1710. Ses ouvrages étaient édités chez Pierre Marteau186, éditeur à Cologne. Les différentes éditions qui circulèrent à Paris au début du xviiie siècle ne disposaient pas du privilège, ce qui laisse entendre que la diffusion de ces recueils fut clandestine en raison des propos peu favorables au roi et à sa politique qu’ils contenaient.
124Mme Du Noyer évoqua le sort du sieur Huguetan dans l’un de ses imprimés187. Retraçant son parcours, elle faisait semblant de répondre à une question posée à son sujet, procédé habituel des nouvellistes. À l’occasion d’un passage en France, les autorités tentèrent de retenir Huguetan pour l’arrêter. Il fit faux bond et réussit à repasser en Hollande. Selon Mme Du Noyer, Huguetan s’était aliéné les ministres de Louis XIV à cause de ses mémoires contre les finances du roi188. Dès lors, ils auraient cherché à le faire arrêter, y compris en Hollande. Depuis 1705, le banquier calviniste avait en effet déclenché et orchestré une violente campagne pamphlétaire contre les banquiers du roi de France189. Huguetan critiquait les billets de monnaie, initiative défendue par Samuel Bernard, avec qui ses rapports s’étaient dégradés190. Il soutenait qu’un
royaume qui dépense tous les années 170 millions de plus qu’il n’a de revenu, qui ne lève ces sommes que par des moyens extraordinaires et violents, et dont les intérêts dus s’accroissent d’environ 25 à 30 millions par an, ne peut pas se soutenir, à moins qu’il ne trouve les moyens de parvenir à une paix après laquelle il respire191.
125Huguetan avertit ensuite Heinsius et Marlborough de la situation financière du royaume et informa plusieurs gazetiers de l’état du crédit de Samuel Bernard, avec qui il était en conflit. La lettre envoyée à Heinsius est datée du 27 juillet 1707192. Huguetan proposait au grand pensionnaire de faire publier dans les gazettes l’effondrement du crédit de Samuel Bernard et des banquiers de la cour de France afin de bloquer leurs possibilités d’emprunts en Hollande193. Il avertit aussi Marlborough qui défendit la même idée devant les États-Généraux. Une résolution secrète atteste que la proposition fut étudiée sur ordre des députés194. La seconde tentative d’arrestation d’Huguetan en 1707 donna lieu à une seconde fuite rocambolesque195. Chamillart avait chargé un certain François Gautier d’arrêter le financier trop bavard. Le ministre de la guerre l’avait choisi sur la recommandation d’un autre banquier, Louis Yon, qui était sans doute intéressé puisque son frère, installé à Madrid, était l’un des hommes clés d’Amelot pour tout ce qui touchait au crédit du roi d’Espagne196.
126L’importance que les ministres du roi accordaient aux écrits évoquant les finances et l’écho de l’arrestation d’un banquier méritent ici d’être soulignés. Les publications d’Huguetan constituent le motif de son arrestation avancé par la nouvelliste. Toutefois, Mme Du Noyer semble confondre le mémoire rédigé par Huguetan en 1707, manuscrit et confidentiel, avec une pièce imprimée publiée plusieurs années plus tard, qui figure dans le recueil de Lamberty. Si ce n’est pas le cas, on peut en conclure qu’elle a eu accès au premier de manière clandestine, ce qui indiquerait qu’il ait été diffusé, sans avoir été imprimé. Cette seconde hypothèse est plausible puisque le beau-frère de Mme Du Noyer était un financier intéressé dans les fermes générales197.
127Les questions financières étaient jugées trop délicates pour que soit laissée une liberté de parole complète à leur sujet. Le mémoire présenté aux autorités hollandaises n’a pas été conservé, mais plusieurs documents, comme la lettre d’Heinsius et la résolution des Provinces-Unies, attestent de son existence. La tentative d’enlèvement préparée par Chamillart souligne quant à elle la dimension politique de ce mémoire. Le ministre ne pouvait tolérer qu’un écrit, qui risquait d’être publié, porte atteinte au crédit du principal banquier de la cour. L’importance des levées de fonds sur la place d’Amsterdam pour le paiement des troupes de Louis XIV interdisait de donner à la connaissance du public aucun élément qui eût pu les dissuader d’avancer de l’argent.
128Garder le secret était un impératif absolu pour les ministres du roi de France, faute de quoi une mauvaise publicité pouvait ruiner son crédit. Le secret des finances royales était étroitement gardé. En 1702, lorsque Olivier Vallée, le premier commis des finances, mourut, Chamillart s’empressa de faire apposer les scellés sur sa demeure, en raison des « papiers de conséquence » qui se trouvaient chez lui198.
129Si peu de mémoires, au sens de rapports ou notes, nous sont parvenus, Guillaume de Lamberty a pris soin d’en publier intégralement un dans son recueil. Or, il porte précisément sur ces questions financières. En 1709, lorsque le roi de France refusa de ratifier les préliminaires de paix, sa décision motiva les Provinces-Unies pour renouveler les interdictions d’exportation de blé en France ; elles défendirent aussi à nouveau de remettre des fonds en France et d’utiliser des billets de monnaie, renouvelant des interdictions qui avaient été promulguées en 1707 sous forme de placards, eux aussi publiés par Lamberty199. Selon le compilateur, ce fut sur l’avis d’Huguetan que les États-Généraux renouvelèrent ces interdictions. Toutefois, la défense de remettre de l’argent en France était plus ancienne. Dans un édit du 22 mai 1703, les États-Généraux avaient interdit le commerce des marchandises et l’envoi en France ou en Espagne de lettres de change et d’argent en espèces200.
130Publié en 1709, l’Avis du Sr. Huguetan sur l’épuisement de la France dénonçait l’état calamiteux des finances du roi de France. Il présentait les nombreuses avances du trésor royal et l’incapacité de la caisse des emprunts à rembourser le capital comme les intérêts des sommes empruntées. La démonstration ne se bornait pas à mettre en lumière les difficultés financières de Louis XIV. Huguetan démontrait également que l’ennemi des Provinces-Unies avait trouvé de quoi financer la guerre précisément sur la place d’Amsterdam. Il accusait ainsi les banquiers d’Amsterdam, mais aussi de Genève, de permettre au roi de France de continuer la guerre. « L’épuisement » de la France venait principalement de la « défense que Mrs les États-Généraux firent à leurs sujets de servir ce Roiaume de leur crédit201 ». Cet Avis était d’autant plus crédible qu’il émanait d’un ancien sujet du roi de France, qui lui avait prêté de l’argent de surcroît. Pour Huguetan, cette dénonciation était sans doute un moyen de se venger des défauts de remboursement et des menaces que l’on avait exercées sur lui lors de son passage à Paris. La publication d’un tel document intervenait à un moment propice pour servir les intérêts de la propagande des alliés. Au moment où les préliminaires de paix venaient d’être rompus, il fallait convaincre les populations que la guerre ne durerait pas si Louis XIV perdait les moyens de la financer. C’était un moyen de redonner du courage. D’autre part, cela augmentait la pression sur les banquiers, en les plaçant sous les regards du public, afin qu’ils cessent de prêter de l’argent au roi de France.
131Pour les ministres français, il était inacceptable de pouvoir porter atteinte à la réputation du crédit du roi. C’est la raison pour laquelle, en 1707, on tenta d’arrêter Jean-Henri Huguetan une seconde fois et directement en Hollande. Ainsi, les enjeux financiers étaient si importants qu’ils donnaient matière à être instrumentalisés à des fins politiques et que les ministres ne pouvaient tolérer des écrits à leur propos.
132Comme l’a bien montré Daniel Dessert, le système fisco-financier d’Ancien Régime reposait sur des contrats passés au nom du roi entre la couronne et des financiers qui apportaient des liquidités. En temps de guerre, le nom du roi permettait d’obtenir les avances des banquiers. Ceux-ci se trouvaient parfois engagés pour des sommes si importantes, comme Samuel Bernard durant la guerre de Succession, que s’attaquer à eux revenait à émettre des critiques directement contre les ministres et la politique suivie.
b) Les louis d’or : un thème de satire
133L’instrumentalisation des questions financières dans la diplomatie passait aussi par l’utilisation des estampes. Il existe ainsi une estampe satirique intitulée Louis dort près de ses louis d’or202. Dans cette gravure hollandaise de l’année 1705, le roi est représenté assis en train de dormir à côté de ses espèces. La légende de l’estampe est à la fois en néerlandais et en français, elle s’adressait donc tant aux citoyens des Provinces-Unies qu’aux sujets du roi de France, en premier lieu ceux qui étaient installés au Refuge, c’est-à-dire les opposants de Louis XIV.
134Le texte du pamphlet, présenté comme les pensées d’un Louis XIV assimilé au Grand Turc203, symbole de la tyrannie, concerne précisément les subsides qu’il versait. Jouant sur l’homophonie entre le fleuve du Rhin et l’organe du même nom (« rein »), l’auteur amalgame la douleur des reins à la menace militaire portée sur le flanc Est du royaume.
Les maux qu’ici je sens au Rein sont réparables
Par de bons Louis d’or en tous lieux adorables.
135Il s’agit bien sûr d’une critique contre les princes allemands qui acceptaient volontiers l’argent du roi de France. Toutefois, pour mieux faire pression sur eux, l’auteur de l’estampe satirique rappelle le sort peu enviable des deux électeurs alliés de Louis XIV, l’archevêque de Cologne et le prince de Bavière. Ils étaient alors privés de leurs États et contraint « d’errer » :
Et m’obliger d’errer long temps par tout chemin
Comme deus Électeurs du Danube et du Rhin.
136Cette rhétorique n’était pas nouvelle. Déjà, durant la guerre de la Ligue d’Augsbourg, l’usage de la corruption par Louis XIV avait été raillé. Ce thème était l’un des sujets favoris des pamphlétaires allemands204.
c) Louis XIV et le Trésor de ses adversaires
137Louis XIV saisissait l’occasion des dépêches envoyées à Amelot pour faire part de son sentiment sur la situation générale en Europe. Là encore, on retrouve des traces, ténues certes, mais réelles, d’une préoccupation pour les questions financières. L’état des caisses de ses adversaires constituait un paramètre dont il fallait tenir compte dans la stratégie à mettre en œuvre. Le roi se satisfaisait ainsi de nouvelles hollandaises qui soulignaient la lassitude des Provinces-Unies à soutenir une guerre coûteuse :
Plusieurs avis de Hollande assurent que les Hollandois, rebutés des dépenses que la guerre d’Espagne leur a causées, ont résolu de ne plus envoyer de troupes dans ce royaume, et d’amuser seulement l’archiduc par de vaines espérances et par des promesses qu’il ne veulent pas tenir. Ils comptent aussi de retenir par de pareils moyens le roy de Portugal dans ses engagements, le plus longtemps qu’il leur sera possible […]205.
138Il comptait fortement sur la lassitude des belligérants et se réjouissait de recevoir des nouvelles à ce sujet. Que Louis XIV considérât les dépenses de guerre comme le meilleur argument pour venir à bout de la volonté des puissances maritimes doit être souligné : le roi, que l’historiographie a souvent décrit comme éloigné des réalités économiques et financières, fondait ainsi ses espérances sur les difficultés pécuniaires de ses adversaires pour terminer le conflit.
Il paroist, par les différens avis de Hollande et d’Angleterre, que l’on y ressent tous les jours de plus en plus le poids de la guerre que les Anglois et les Hollandois soutiennent en Espagne, et qu’à mesure que ces deux nations en trouvent la dépense immense, elles perdent aussi l’espérance d’établir l’archiduc en Espagne206.
139Il se réjouissait également de l’ouverture d’une session au Parlement anglais, au cours de laquelle les critiques contre le coût de la guerre ne manqueraient pas d’apparaître207.
140Le Portugal, bien que lié à l’Angleterre depuis le traité signé avec Methuen en 1703, ne cessa jamais de faire l’objet de la sollicitude des cours de Versailles et Madrid. L’engagement du Portugal dans la guerre était conditionné aux versements de fonds de l’Angleterre. Amelot notait ainsi dans ses dépêches la nouvelle des arrivées d’argent à Lisbonne208. L’implication militaire du Portugal dans la guerre variait au gré des remises de fonds en provenance d’Angleterre. Le moindre retard causait un grand embarras à la cour lisboète.
141La question des finances des princes, dûment surveillées, devint une information primordiale qui permettait de faire pression sur ses adversaires. Elle sortit de la seule sphère de compétence du contrôleur général des finances, des secrétaires d’État et des fournisseurs des armées pour alimenter les billets des pamphlétaires, libellistes et autres nouvellistes puisqu’elle constituait un argument dans les stratégies déployées pour affaiblir le moral des adversaires. En 1708, Philippe V décida d’accorder une pension à Jean Orry qui avait servi auprès de lui jusqu’en 1706. Torcy se félicita de cette mesure, preuve selon lui de l’assainissement des finances du Roi Catholique ; il ajoutait : « Les ennemis jugeront qu’elles sont abondantes puisqu’elles se répandent sur un homme dont les richesses ont fait plus de bruits que sa pauvreté n’a excité de compassion209 ».
142Le secrétaire d’État soulignait l’effet qu’aurait cette nouvelle chez les adversaires de Louis XIV. Il s’agissait peut-être davantage d’une espérance ou d’une formule mais à défaut d’avoir les conséquences escomptées, elle est l’indice de l’importance attachée à cette question. L’idée selon laquelle Orry avait rétabli de l’ordre dans les finances du roi d’Espagne se propagea dès le début du xviiie siècle. On en trouve la trace sous la plume de chroniqueurs comme Vicente Bacallar y Sanna, marquis de San Felipe210. Castellví, le chroniqueur austraciste, le qualifiait d’« homme habile dans le maniement des remises211 ».
143Argument employé pour saper les fondements du crédit d’un adversaire, objet d’estampes satiriques, décoration pour l’exaltation d’un jeune roi, motif d’emprisonnement d’un libelliste, les questions financières faisaient l’objet d’un contrôle soigné de la part du pouvoir. Intégrées aux rhétoriques de glorification du monarque ou instrumentalisées dans le cadre d’une propagande, les finances du prince sont un sujet aussi délicat que le nombre de ses troupes ou le sort d’une bataille. Il n’était pas permis d’en parler avec légèreté. Peu étudiées dans le champ d’étude des relations internationales, elles apparaissent pourtant au cœur des préoccupations des conseillers du prince à la fin du xviie siècle.
144Les questions financières appartenaient à un domaine plus vaste que l’on pourrait appeler l’information économique. Celle-ci dépassait largement les seules questions d’argent pour concerner également les productions et le commerce.
145Afin de bien comprendre l’articulation entre information et négociation, il faut l’envisager dans le cadre des rapports particuliers qu’entretenaient les couronnes de France et d’Espagne depuis l’accession d’un petit-fils de Louis XIV à cette dernière. Il s’agit d’analyser comment l’information circulait — ou non — entre les deux branches de la Maison et si elle servait ce que l’on appelait alors l’« union des deux couronnes ». Comment, dans le contexte d’une relation étroite, l’information pouvait-elle être utilisée de manière commune, c’est-à-dire instrumentalisée au bénéfice des deux pays ?
146L’information, et la désinformation qui lui était intimement liée, s’articulant profondément avec les négociations, comment Amelot tenta-t-il d’en jouer ? De la collecte à la diffusion, l’information faisait l’objet de toutes les attentions de l’ambassadeur. Il faut tenter d’en retrouver les sources et les canaux, avant de comprendre comment il l’utilisa pour mener à bien sa mission.
Notes de bas de page
1 Klaits, 1976.
2 Burke, 1995.
3 Burke, 2005 ; Hermant, inédite et Ead., 2012.
4 Duccini, 2003.
5 Álvarez López, 2008.
6 Pérez Picazo, 1966.
7 AN, F12 121, Correspondance d’Aguesseau pour le compte du contrôleur général des finances, juillet 1705-mars 1706, lettre d’Aguesseau à Amelot, 12 juillet 1705, fos 7-9vo ; AN, AE, BI 770, d’Amelot à Pontchartrain, 3 mars 1705 ; AMAE, Cor. pol., Esp., t. 154, lettre de Chamillart à Amelot, Fontainebleau, 11 octobre 1705, fo 2 ; AMAE, Cor. pol., Esp., t. 155, lettre de Torcy à Amelot, 14 décembre 1705, Versailles, fo 177.
8 SHD, A1 2048, copie de la lettre d’Amelot à Pontchartrain, 22 février 1707, no 145. Chamillart se sentit obligé de répondre ; voir SHD, A1 2048, lettre de Chamillart à Amelot, 13 mars 1707, no 176.
9 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 195, extrait d’une lettre de Barcelone, 30 avril 1709, fos 406-407.
10 AN, BI 770, lettre d’Amelot à Pontchartrain, 19 juin 1705, Madrid.
11 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 167, lettre d’Amelot à Louis XIV, 17 avril 1707, fos 200-203.
12 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 173, lettre de Chamillart à Amelot, 25 juillet 1707, fos 128-130.
13 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 167, lettre d’Amelot à Louis XIV, 21 mars 1707, fo 98vo.
14 Lettre de Louis XIV à Amelot, 1er mai 1707, dans Louis XIV, Amelot, Correspondance… Espagne, t. I, p. 197.
15 Condiciones bajo las cuales han ofrecido.
16 Rey (dir.), 1998, s. v. « Informer », t. II, p. 1832-1833.
17 Rétat, Duranton, 1982 ; pour la bibliographie, on se reportera à Bély, 1990, pp. 777-778 et Sáiz, 1990.
18 Morineau, 1985 ; Haffemayer, 2002.
19 Sáiz, 1990, p. 19 ; Enciso, 1985.
20 Eisenstein, 1979.
21 Espejo Cala, 2000.
22 On peut ainsi souligner que l’une des plus belles collections d’imprimés, de feuilles volantes et de pamphlets, celle des Fullets Bonsoms de la Biblioteca de Catalunya, est composée de documents dont les plus anciens datent de la Guerra dels Segadors (1640-1659). Pour une présentation de cette collection, voir Escobedo, 1996, p. 105. Sur la guerre des Segadors et les nombreux imprimés auxquels elle donna lieu, on se reportera à Simon i Tarrés, 2003.
23 Bouza Álvarez, 2010, p. 11. Plusieurs de ses articles ont été réunis dans le recueil : Id., 2008.
24 Ibid., p. 5.
25 Bouza Álvarez, 2001, pp. 138-139; Id., 2008, p. 182 ; Id., 2010, p. 6.
26 González Cruz, 2006, p. 94.
27 Hanotin, 2012.
28 Hugon, 2004, pp. 472-473.
29 Ibid., p. 472.
30 Guinard, 1973.
31 Alabrús Iglesias, 1991, 1995 et 1996.
32 Cal Martínez, 2002.
33 Sáiz, 1990, p. 22.
34 Fondée en 1680 par Manuel Lobo, la colonie portugaise de Sacramento causa de nombreux problèmes entre Portugais et Espagnols à cause de sa situation dans le Río de la Plata, face à Buenos Aires (Lucena Salmoral [dir.], 2008, pp. 506 et 514)
35 AN, AE, BI 770, lettre d’Amelot à Pontchartrain, 25 octobre 1705, Madrid ; AMAE, Cor. pol., Esp., t. 149, lettre d’Amelot à Louis XIV, 25 novembre 1705, Madrid, fos 183-187.
36 Cervera Pery, 2000, p. 79.
37 Morineau, 1985.
38 Ibid., p. 38.
39 Varela Hervias, 1960, p. XI.
40 Sáiz, 1990, p. 39.
41 Ibid., p. 40.
42 Étienvre, 1996, pp. 112-113.
43 Sáiz, 1990, p. 42.
44 Torrione (dir.), 1998, p. 13.
45 Hermant, inédite et Ead., 2012.
46 Sáiz, 1990, p. 55.
47 Gómez de Salazar y Alonso, 1955.
48 Sáiz, 1990, p. 28.
49 Gilard, 2004 ; Ead., 2005.
50 Hermant, inédite, t. I, pp. 32-37.
51 « El público es una masa política de voluntades y de cuerpos enlaçados en una misma vida, para conseguir una misma felicidad » (cité dans Bouza Álvarez, 2004, p. 38.
52 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 155, lettre de Tessé à Amelot, 2 janvier 1705, Pina, fos 190-191.
53 Y Dios apoyará al César, pp. 6-7.
54 Ibid., p. 5.
55 Ibid., p. 10.
56 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 160, lettre d’Amelot à Torcy, camp de Jadraque, 5 juillet 1706, fo 14.
57 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 160, lettre de Bourke à Torcy, 27 juillet 1706, fo 137.
58 La Gaceta de Madrid est disponible en ligne sur le site du Boletín oficial del Estado, mais également à la Biblioteca Nacional de España, où tous les numéros peuvent être consultés sous forme de microfilms.
59 Remerciements de Torcy à Macary de lui avoir envoyé des nouvelles et la gazette de Saragosse. AMAE, Cor. pol., Esp., t. 171, lettre de Torcy à Macary, 2 janvier 1708, fo 227.
60 Klaits, 1976.
61 Álvarez López, 2008, p. 202.
62 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 156, lettre de Pontchartrain à Amelot, 1er décembre 1706, Versailles, fo 322.
63 Hermant, 2006.
64 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 156, lettre de Pontchartrain à Amelot, 1er décembre 1706, Versailles, fo 322.
65 Officier espagnol, le marquis de Gironella fut gouverneur de Ceuta. En 1706, il écrivait de Perpignan où il recevait des informations venant de « confidents » de Barcelone. AHN, Estado, leg. 281, caja 2, lettre du marquis de Gironella à Grimaldo, 19 décembre 1706, Perpignan. On trouve sa correspondance avec Grimaldo dans AHN, Estado, leg. 320. Voir également Torras i Ribé, 2004, p. 330.
66 AHN, Estado, leg. 320, lettre du marquis de Gironella à Grimaldo, 27 février 1707.
67 AMAE, Mém. et doc., France, t. 447, « Mémoire sur la nécessité de la reconnoissance de la France du roy Stanislas pour Roy de Pologne », 1704, fos 103-107.
68 Bély, 1990, p. 404.
69 AMAE, Mém. et doc., France, t. 447, « Mémoire sur la nécessité de la reconnoissance de la France du roy Stanislas pour Roy de Pologne », 1704, fo 109vo.
70 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 195, lettre de Torcy à Amelot, 10 mars 1709, Versailles, fos 204-204vo.
71 Rétat, 1996.
72 Gazette extraordinaire, 7 septembre 1648, citée dans Álvarez López, 2008, p. 131.
73 Le Roy Ladurie, 1997.
74 George Rooke était un officier de marine anglais, né en 1650. Il obtint sa première commission en 1672, comme second lieutenant du vice-amiral Spragge. Il prit part à l’ensemble des combats navals de l’époque, notamment lors de la guerre de la Ligue d’Augsbourg. L’attaque du convoi de Vigo et la capitulation de Gibraltar, obtenue le 26 juillet 1706, furent ses principaux faits d’armes durant la guerre de Succession d’Espagne. Depuis 1702, il était vice-amiral d’Angleterre. Voir Hattendorf, 2008.
75 Calvo Poyato, 1992 ; Molinero Navazo, 2001.
76 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 120, lettre de Torcy à Orry, 16 septembre 1703, fos 57-61.
77 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 167, lettre de Louis XIV à Amelot, 4 avril 1707, fos 101-103.
78 Bély, 2001, p. 393.
79 Le Mercurio Veloz commença à paraître à Saragosse en 1703. Il était publié deux fois par semaine. Enciso, 2004, t. II, p. 567.
80 AHN, Estado, leg. 281, caja 1.
81 AHN, Estado, leg. 320, caja 1, correspondance d’Aragon de l’année 1707.
82 Les lettres de Grimaldo à Gironella s’achevaient par la demande continue d’être informé.
83 Castellví, Narraciones históricas, t. II, p. 332.
84 AN, Marine, B7 72, lettre de Pontchartrain à Puyzieulx, 13 mai 1705, fo 96.
85 AN, Marine, B7 74, lettre de Pontchartrain à Puyzieulx, 24 mars 1706, fos 60-61.
86 Déclaration de l’Empereur aux États de Hongrie, 20 janvier 1706, dans Lamberty, Mémoires pour servir à l’histoire du xviiie siècle, t. IV, pp. 99-100.
87 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 155, lettre de Torcy à Amelot, 15 juin 1705, Versailles, fo 28.
88 AHN, Estado, 7 688, exp. 19, concession de la Toison d’or au prince Rákóczi ; Sacy, Histoire générale de Hongrie, t. II, p. 394.
89 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 182, lettre de Torcy à Amelot, 22 octobre 1708, fo 145, lettre d’Amelot à Torcy, 15 octobre 1708, fo 165 ; t. 183, lettre d’Amelot à Torcy, novembre 1708, fo 62.
90 Lettre de Louis XIV à Amelot, 4 avril 1707, dans Louis XVI, Amelot, Correspondance… Espagne, t. I, p. 190.
91 Lettre de Louis XIV à Amelot, 12 septembre 1706, dans Louis XVI, Amelot, Correspondance… Espagne, t. I, p. 153.
92 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 147, lettre d’Amelot à Louis XIV, 27 mai 1705, Madrid, fos 74-79.
93 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 154, lettre de Chamillart à Amelot, 9 novembre 1705, Marly, fos 105-106 ; lettre de Chamillart à Amelot, 31 décembre 1705, Versailles, fos 355-356.
94 AN, Marine, B2 198, lettre de Pontchartrain à Daubenton, 17 août 1707, Versailles, fo 959.
95 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 171, lettre d’Amelot à Louis XIV, 12 décembre 1707, fo 188. Dubet, 2009, pp. 285, 292 et 319.
96 AHN, Estado, leg. 6402, lettre de Philippe V au gouverneur du Conseil des Indes, 25 août 1705. Fidèle à Philippe V, le duc d’Atrisco s’illustra par une volonté d’apaiser les querelles liées au commerce. Il avait été nommé le 25 août 1705.
97 AHN, Estado, leg. 288, lettres de Du Verger à Grimaldo, novembre 1706.
98 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 147, lettre d’Amelot à Louis XIV, 10 juin 1705, Madrid, fo 143 ; AN, G7 1093, lettre d’Amelot à Desmarets, 16 avril 1708.
99 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 160, lettre d’Amelot à Louis XIV, 20 juillet 1706, camp d’Atienza, fos 90-99.
100 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 160, lettre d’Amelot à Louis XIV, 31 août 1706, Ciempozuelos, fos 286-288.
101 Le chevalier Domingo Recco, officier dans l’armée espagnole, montra une fidélité inaltérable pour la cause des Bourbons. Il envoyait de nombreuses informations depuis la Catalogne, souvent expédiées depuis Rosas ou Perpignan. Rapidement repéré par les ministres de Louis XIV, il jouissait de leur soutien. Chamillart appuya fortement ses promotions, il exigea notamment qu’il soit nommé gouverneur de Rosas en novembre 1705. Torcy appuya sa demande sur les bons rapports du duc de Noailles à son sujet. Recco s’était illustré en décembre 1705 en dénonçant une conspiration dans la forteresse de Rosas en Catalogne. Il fut élevé au grade de lieutenant général le 18 avril 1706 (Lettres écrites de Madrid, p. 43). Voir AGS, Estado, Francia, leg. 4301, lettre de Domingo Recco au duc d’Albe, 4 décembre 1705, Perpignan ; AHN, Estado, leg. 313, lettres de Don Dom. Recco à José Grimaldo, 25 novembre 1707 ; plusieurs lettres sur les bons effets d’Almansa en Catalogne dans AHN, Estado, leg. 320 ; AHN, Estado, leg. 352, lettre de Domingo Recco, 7 septembre 1708 ; AMAE, Cor. pol., Esp., t. 151, lettre de Torcy à Amelot, 27 décembre 1705, fo 276 ; AMAE, Cor. pol., Esp., t. 154, lettre de Chamillart à Amelot, 27 novembre 1705, Versailles, fos 225-229 ; AMAE, Cor. pol., Esp., t. 155, lettre de Torcy à Amelot, 22 juin 1705, Versailles, fo 33 ; AMAE, Cor. pol., Esp., t. 172, lettre de Chamillart à Amelot, 1er avril 1707, fo 172.
102 AHN, Estado, leg. 313, lettre de Recco du 5 novembre 1707, Nouvelles du Principat du 9 par la lettre de Recco du 10 novembre 1707.
103 SHD, A1 2048, lettre d’Amelot à Chamillart, 17 avril 1707, no 259.
104 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 185, lettre d’Amelot à Puyzieulx, 25 juin 1708, Madrid, fo 63.
105 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 184, lettre d’Amelot à Puyzieulx, 16 janvier 1708, Madrid, fo 32.
106 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 156, lettre de Pontchartrain à Amelot, 17 octobre 1706, Versailles, fos 216-218 ; t. 158, lettre d’Amelot à Louis XIV, 14 avril 1706, fos 192-196 ; t. 161, lettre d’Amelot à Louis XIV à Aranjuez, le 27 septembre 1706, fos 79-87 ; t. 166, lettre d’Amelot à Louis XIV, 6 janvier 1707, fos 24-27 ; t. 184, extrait d’une lettre écrite à Amelot de Saragosse par un officier français, le 25 février 1708, prisonnier à Barcelone, fo 118.
107 BnF, Ms. fr., 6923, Correspondance d’Amelot avec M. de Noailles, lettre d’Amelot à Noailles, 19 octobre 1706.
108 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 147, lettre d’Amelot à Louis XIV, 29 juillet 1705, Madrid, fo 313 ; t. 153, lettre d’Amelot à Puyzieulx, 29 juillet 1705, Madrid, fo 132 ; t. 153, lettre d’Amelot à Torcy, 12 août 1705, Madrid, fo 153 ; t. 156, lettre de Pontchartrain à Amelot, Marly, 28 juillet 1706, fos 50-51.
109 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 168, « Mémoire des vaisseaux qui parurent ce matin à 6 heures, le 15 mai 1707 », fos 121-122.
110 AHN, Estado, leg. 2947, correspondance de Francisco Velasco, 1705.
111 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 164, extrait d’une lettre écrite par Du Verger à Amelot, 27 avril 1706, fo 123.
112 AMAE, Cor. pol., Portugal, t. 45, avis anonyme, « De Lisbonne ce 8 décembre 1705 », fo 59.
113 AMAE, Cor. pol., Portugal, t. 45, lettre anonyme, 15 février 1706, fos 61-62.
114 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 158, lettre d’Amelot à Torcy, 5 mars 1706, fos 26-27.
115 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 184, lettre de Pontchartrain à Amelot, 17 mars 1708, fo 153.
116 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 184, lettre de Pontchartrain à Amelot, 31 août 1708, Fontainebleau, fo 294.
117 AN, Marine, B2 186, octobre-décembre 1705, Pontchartrain à Amelot, 18 novembre 1705, fo 1452 ; AMAE, Cor. pol., Esp., t. 172, lettre de Pontchartrain à Amelot, 4 mai 1707, fo 249.
118 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 184, lettre de Pontchartrain à Amelot, 28 mars 1708, Versailles, fo 178.
119 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 195, lettre de Pontchartrain à Amelot, 6 mars 1709, fo 184.
120 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 153, lettre de Pontchartrain à Amelot, 10 août 1705, fo 141vo.
121 Buchet, 1996.
122 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 147, lettre d’Amelot à Louis XIV, 17 juin 1705, Madrid, fo 168vo.
123 Il entretenait des correspondances avec Torcy et Chamillart. Il recevait d’ailleurs ses appointements du secrétariat d’État de la guerre. Corp, 2004, p. 19.
124 Sur tous les Français qui l’accompagnèrent, on pourra se reporter à l’ouvrage de Désos, 2009.
125 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 166, lettre de Toby Bourke à Torcy, 3 janvier 1707, fos 15-16.
126 Recueil des instructions données aux ambassadeurs, t. XII, vol. 2, pp. 143-146.
127 Álvarez López, 2008, p. 203.
128 Bély, 2005, s. v. « Colbert de Torcy », p. 91.
129 Vignal, 2000, pp. 378-379 ; Baillou (dir.), 1984, pp. 109-110.
130 Margairaz, Minard (dir.), 2008.
131 Autrand (dir.), 1986 ; Genet, 2007. Voir également les publications du Comité pour l’histoire économique et financière de la France : Monnier (dir.), 2004 ; Follain, Larguier (dir.), 2005.
132 Lynn, 1997.
133 Hugon, 2004, p. 125.
134 Ragnhild Hatton a montré comment la rivalité franco-anglaise à la fin du xviie siècle s’exprima à travers ces gratifications. Hatton, 1968, p. 68 ; Hugon, 2004, p. 278.
135 Bély, 1990, p. 166.
136 Picavet, 1930, p. 189.
137 Cité dans Picavet, 1930, p. 190.
138 Cité dans Picavet, 1930, p. 190.
139 Ibid., p. 181 ; Bély, 1990, pp. 163-167.
140 « Que fera doncques le saige prince auquel sera de neccessité pour aucun des cas dessus diz emprendre guerre et bataille ? Tout premierement il regardera quel puissance il a ou peut avoir tant de gent comme de finance et deniers, sans lesquelles deux principaulx choses estre bien garnis et seurs est follie l’emprendre, comme sur toutes riens y soyent neccessaire. Et par especial pecune, car qui assez en a et employer le veult treuve tousjours ayde assez de gent et plus que il ne veult : tesmoing les guerres d’Ytallie. Et par especial de Fleurence et de Venise et d’ailleurs esquelles communement plus se combat leur argent que ceulx du pays. Et pour ce a peine les puet on du tout vaincre » (Christine de Pisan, Le Livre des fais d’armes et de chevallerie, s. d., BnF, Ms. fr., 603, fo 4vo). Je dois cette information à Françoise Autrand qui me l’a très aimablement communiquée.
141 Richelieu, Testament politique, t. II, chapitre ix, section VII, pp. 149-150.
142 Wicquefort, L’ambassadeur et ses fonctions, t. II, p. 96.
143 Ibid., t. II, p. 99.
144 Ibid.
145 Ibid., t. II, p. 100.
146 Ibid.
147 Ibid., t. II, p. 99.
148 Picavet, 1930, p. 192.
149 AGS, Estado, Negociación de Francia, leg. 4301, lettre du comte d’Aguilar à Philippe V, 20 décembre 1705.
150 Callières, L’art de négocier, p. 211.
151 « … alli, el pretendiente visita en sus casas a todos los Diputados, los quales (como les es licite el recibir), les es facil el conceder, i una buena maña aiudada de razones, i de dinero, mucho podra conseguir desta nacion » (Vera y Zúñiga, El enbaxador, Discurso tercero, p. 93).
152 Boles, 1997, p. 48.
153 Frostin, 2006, p. 132.
154 « Traité entre Louis XIII roi de France, et les États des Provinces-Unies des Païs-Bas, qui porte, que ledit Roi fournira ausdits États par prêt, douze cent mille livres pour l’année 1624, & pour les années 1625 & 1626 en chacune un million de livres, fait à Compiègne, le 10 juin 1624 », dans Dumont, Corps universel diplomatique du droit des gens, t. V, partie 2, pp. 461-463.
155 « Traité et renouvellement d’alliance entre Louis XIII, roi de France, & les États-Généraux des Provinces-Unies des Païs-Bas, fait à La Haye, le 17 juin 1630. Ledit roi fournira ausdits État en don sept ans durant un million de livres chaque année », dans Dumont, Corps universel diplomatique du droit des gens, t. V, partie 2, pp. 605-606.
156 « Traité d’alliance et de secours entre Louis XIII, roi de France & les États des Provinces-Unies des Païs-Bas, avec assistance ausdits États de douze cens mille livres pour un an, fait à Paris, le 17 décembre 1637 », dans Dumont, Corps universel diplomatique du droit des gens, t. VI, partie 1, p. 150.
157 « Traité entre Louis XIV, roi de France & les États-Généraux des Provinces-Unies pour un subside de douze cens mil livres, à La Haye, le 29 février 1644 », dans Dumont, Corps universel diplomatique du droit des gens, t. VI, partie 1, p. 293. Le second était du 13 mai 1646 et faisait suite à un traité de commerce du 18 avril 1646. Voir « Traité de Louis XIV, roi de France avec les États-Généraux des Provinces-Unies des Païs-Bas, concernant le commerce par mer, fait à Paris, le 18. jour d’avril 1646 », ibid., p. 342 et « Traité entre Louis XIV, roi de France & les Provinces-Unies des Pays-Bas pour un subside ausdites Provinces de trois cent mille livres, fait le 13 mai 1646 », ibid., p. 343.
158 « Traité entre Louis XIV, roi de France & Charles Louis, Électeur Palatin, fait à Paris, 19 juillet 1656 », dans Dumont, Corps universel diplomatique du droit des gens, t. VI, partie 2, p. 143. Par l’article 4, le roi de France promettait à l’électeur de lui verser 50 000 risdales et une somme régulière de 40 000 risdales par an.
159 « Traité entre Louis XIV, roi de France & Jean Frédéric de Brunswick & Lunebourg, duc de Hanovre, par lequel ledit duc s’oblige de mettre sur pied au plutôt un corps d’armée de 10 000 hommes, pour la levée desquels Sa Majesté lui payera la moitié des frais, & lui donnera 3 000 écus par mois, pour l’entretien d’iceux, à Hanovre, le 10 décembre 1672 », dans Dumont, Corps universel diplomatique du droit des gens, t. VII, partie 1, p. 212.
160 Saint-Germain, 1960, p. 66.
161 Picavet, 1930, pp. 192-193.
162 Ibid., p. 199.
163 Schnakenbourg, 2003, p. 244.
164 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 147, lettre d’Amelot à Louis XIV, Madrid, 15 juillet 1705, fo 254.
165 Bély, 1990, pp. 182-183.
166 Lucien Bély, qui a eu recours à ce terme, a depuis invité à être prudent avec son emploi pour décrire les réalités du temps de Louis XIV. Bély, 2010, p. 23.
167 Iñigo de Cárdenas, († 1617) fut l’ambassadeur du roi d’Espagne à Venise entre 1604 et 1609, puis auprès du roi de France, de 1609 à 1616.
168 Hugon, 2004, pp. 81 et 491.
169 « Mémoire pour servir d’instruction au sieur marquis de Villars », dans Recueil des instructions données aux ambassadeurs, t. XI, vol. 1, p. 287, cité dans Álvarez López, 2008, p. 105.
170 Picavet, 1930, p. 284.
171 Ibid., p. 289.
172 Sonnino, 1988.
173 AGS, Estado, Francia, leg. K 1390, « Mémoire de l’ambassadeur de France, archevêque d’Embrun, pour le roi d’Espagne », février 1665, cité dans Álvarez López, 2008, p. 176.
174 « Mémoire pour joindre à l’instruction de M. de Feuquières s’en allant en Espagne », dans Recueil des instructions des instructions données aux ambassadeurs, t. XI, vol. 1, pp. 354-355.
175 Burke, 1995, p. 13.
176 Sabatier, 1999, pp. 300-302.
177 Dessert, 2000.
178 Ce tableau a fait l’objet d’un commentaire détaillé par Hamon, 2010, pp. 210-214.
179 Rainssant, Explication des tableaux de la galerie de Versailles, p. 76.
180 Claude Nivelon, Vie de Charles Lebrun et description détaillée de ses ouvrages, vers 1698, manuscrit, Florence, Biblioteca Laurenziana, Ms. Ashburnham, 1723, fo 223. Voir le catalogue électronique de la galerie des Glaces, <http://www.galeriedesglaces-versailles.fr>.
181 Burke, 1995, p. 107.
182 Sabatier, 1999, p. 301.
183 Avis du Sr. Huguetan sur l’épuisement de la France, dans Lamberty, Mémoires pour servir à l’histoire du xviiie siècle, t. V, p. 269.
184 Sur la famille, voir, Lüthy, 1959, t. I, p. 151 ; sur le parcours de Jean-Henri, on pourra se reporter à Sayous, 1937.
185 Du Noyer, Mémoires et lettres galantes, pp. 5-6. Sur Mme Du Noyer, on se reportera à l’étude de Brétéché, 2011.
186 Éditeur fictif.
187 Du Noyer, Mémoires et lettres galantes, pp. 255-267.
188 Ibid., p. 266.
189 Lüthy, 1959, t. I, pp. 167-168.
190 AN, G7 1119, mémoire d’Huguetan, cité dans Saint-Germain, 1960, p. 167. Il ne donne toutefois pas la date.
191 Saint-Germain, 1960, p. 168.
192 Van Biema, 1918, p. 144.
193 Voir annexe VI.
194 Van Biema, 1918, p. 145.
195 Du Noyer, Mémoires et lettres galantes, p. 267.
196 Van Biema, 1918, p. 113.
197 Saint-Simon, Mémoires, t. XXXIII, p. 9.
198 Antoine, 2003, p. 361.
199 Placard des Etats-Généraux de Hollande contre les billets de monnaie de France, 2 juillet 1707 et Placard de LL. HH. PP. pour défendre la sortie de l’argent hors des provinces, 25 juillet 1707, dans Lamberty, Mémoires pour servir à l’histoire du xviiie siècle, t. IV, pp. 603-605.
200 Van den Haute, 1932, pp. 270-271 ; Stelling-Michaud, 1935-1936, p. 149.
201 Avis du Sr. Huguetan sur l’épuisement de la France, dans Lamberty, Mémoires pour servir à l’histoire du xviiie siècle, t. V, p. 269.
202 BnF, Estampes, Collection Hennin, t. 79, no 7502, 1705.
203 Cette image était très présente dans la littérature. Voir Ferrier-Caverivière, 1981, pp. 330 sqq.
204 Schillinger, 1999, pp. 399-404.
205 Lettre de Louis XIV à Amelot, 26 septembre 1707, dans Louis XIV, Amelot, Correspondance… Espagne, t. I, pp. 238-239.
206 Lettre de Louis XIV à Amelot, 8 novembre 1707, dans Louis XIV, Amelot, Correspondance… Espagne, t. I, p. 251.
207 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 171, lettre de Louis XIV à Amelot, 21 novembre 1707, fo 7.
208 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 157, lettre d’Amelot à Louis XIV, 3 février 1706, fo 170.
209 AMAE, Cor. pol., Esp., t. 188, lettre de Torcy à Amelot, 24 septembre 1708, Versailles, fo 164.
210 Bacallar y Sanna, Comentarios de la guerra de España, p. 51.
211 « Llegó de Francia Juan Orry, hombre diestro en manejo de caudales… » (Castellví, Narraciones históricas, t. I, p. 332).
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